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Full text of "Romania"

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HANDBOUND 
AT  THE 


UNIVERSITY  OF 
TORONTO  PRESS 


ROMAN  lA 


ROMANIA 

RECUEIL     rUIMESTRIEL 

CONSACRÉ   A    l'étude 

DES    LANGUES    ET     DES     LITTÉRATURES     ROMANES 

PUBLIÉ    PAR 

Paul   MEYER    et    Gaston    PARIS 


Pur  remenbrer  des  ancessurs 
Les  diz  et  les  faiz  et  les  murs. 


S"    ANNÉE    -    1886 


PARIS 

F.  VIEWEG,   LIBRAIRE-ÉDITEUR 

67,    RUE    DE    RICHELIEU 


0-. 


4- 


o 


F.TUDES  SUR   LES   ROMANS   DE  LA  TABLE  RONDE 


GUI  NGLAIN 


LE     BEL    INCONNU 


Ce  roman,  un  des  plus  agréables  à  lire  de  tout  le  cycle  breton,  en  est 
aussi,  à  divers  points  de  vue,  un  des  plus  intéressants.  Laissant  de  côté 
pour  le  moment  la  rédaction  en  prose  du  xvi''  siècle,  la  version  anglaise, 
le  poème  italien  de  Carduino  et  le  poème  allemand  de  Wigalois,  sur  les- 
quels nous  reviendrons,  ;  ous  allons  nous  occuper  du  poème  français  de 
Renaud  de  Beaujeu.  Il  nous  a  été  conservé  dans  un  seul  manuscrit,  le 
recueil  bien  connu  qui  fait  partie  de  la  bibliothèque  de  M.  le  duc  d'Au- 
male  à  Chantilly,  et  il  a  été  imprimé,  d'une  façon  déplorable-,  en  1860, 
par  C.  Hippeau. 

Le  récit  est  très  simple  et,  sauf  en  un  point,  ne  s'écarte  guère  du 
cadre  banal  des  compositions  de  ce  genre;  mais  la  banalité  du  thème  est 
rachetée  par  le  charme  des  détails.  A  la  cour  d'Arthur,  à  Carlion-sur- 
Mer,  se  présente  un  jour,  accompagnée  du  nain  Tidogolain,  une  «  pu- 
cele  «  nommée  Hélie,  demandant  pour  sa  dame,  fille  du  roi  Gringas  de 
Galles,  le  secours  d'un  chevalier,  qui  doit  venir  seul,  être  preux  entre  les 
preux  et  capable  d'accomplir  l'aventure  du  «  fier  baiser  ».  Un  jeune  che- 
valier, qui  ne  connaissait  ni  son  père  ni  même  son  nom  3,  et  qu'on  avait 


1.  Le  tome  XXX  deVHistoire  littéraire  de  la  France  s'ouvre  par  un  grand 
article  collectif  sur  les  romans  en  vers  du  cycle  de  la  Table  Ronde.  J'extrais  de 
cet  article,  dont  la  première  partie  est  déjà  imprimée,  la  notice  du  roman  de 
Guinglain.  en  demandant  aux  lecteurs  de  la  Romania  les  additions  et  rectifica- 
tions qu'ils  pourront  me  lournir. 

2.  Voyez  les  observations  de  M.  Fœrster,  Zdtschrift  jùr.  rom.  Philologie, 
t.   II,  p.  78. 

5.  Aux  questions  qu'on  lui  fait  à  son  arrivée,  il  répond  :  «  Certes  ne  sai, 
Mais  que  tant  dire  vos  en  sai  Que  hiel  fil  m'apeloit  ma  mère,  Ne  je  ne  sai  se  je 

Romania,  XIV.  i 


appelé  le  Bel  Inconnu,  venait  d'arriver  à  la  cour  et  avait  obtenu  du  roi 
la  promesse  qu'il  lui  accorderait  sa  première  requête.  Il  demande  à  être 
chargé  de  cette  aventure,  et  Arthur  le  désigne,  malgré  les  plaintes  dHélie, 
qui  aurait  voulu  obtenir  un  des  chevaliers  renommés  de  la  Table  Ronde^ 
au  lieu  de  ce  jouvenceau  qui  n'a  donné  •encore  aucune  preuve  de  sa 
prouesse.  Elle  s'éloigne  sans  même  faire  attention  au  Bel  Inconnu,  qui  la 
rejoint  et  l'accompagne,  mais  qu'elle  engage  à  renoncer  à  une  aventure 
au-dessus  de  ses  forces.  Cependant,  arrivé  au  <(  gué  périlleux  «,  le  Bel 
Inconnu  renverse  d'abord  Bliobliéris,  qui  en  défendait  le  passage,  puis 
ses  trois  amis  qui  essaient  de  le  venger  •  ;  il  tue  ensuite  deux  géants  qui 
voulaient  faire  violence  à  une  demoiselle  dans  la  forêt.  Hélie  reconnaît 
alors  le  mérite  du  champion  qu'elle  a  dédaigné,  et  lui  demande  pardon  de 
son  injustice.  Sa  confiance  toute  fraîche  dans  la  valeur  de  son  compagnon 
lui  inspire  une  présomption  fort  peu  louable  :  elle  s'empare  d'un  «  bra- 
chet  ))  ou  petit  chien  de  chasse  qu'elle  rencontre,  et  refuse,  malgré  les 
prières  du  Bel  Inconnu,  de  le  rendre  à  son  maître,  l'Orgueilleux  de  la 
Lande  ^  ;  ce  caprice  a  pour  suite  un  combat  terrible,  où  l'Orgueilleux  est 
vaincu.  Vient  ensuite  un  épisode  qui  se  rencontre  souvent  dans  nos  ro- 
mans, celui  de  l'épervier  donné  en  prix  de  la  beauté  :  Margerie,  fille  du 
roi  d'Ecosse,  y  a  prétendu,  et  a  vu  son  ami  tué  en  voulant  soutenir  ses 
droits  ;  le  Bel  Inconnu  la  venge,  et  triomphe  en  effet  de  Giflet,  le  fils  de 
Do  3,  qui  revendiquait  l'épervier  pour  sa  belle. 

Toutes  ces  aventures  ne  servent  guère  qu'à  allonger  le  récit.  Celle  qui 
suit  est  plus  intéressante.  Nos  voyageurs  arrivent  devant  un  château 
admirablement  construit,  qui  appartient  à  «  la  demoiselle  aux  blanches 
mains  ».  Cette  demoiselle 

Les  set  ars  sot  et  encanter, 
Et  sot  bien  estoiles  garder, 
Et  bien  et  mal,  tôt  ço  savoit  : 
Merveilious  sens  en  li  avoit.  (V.  1917) 

Elle  avait  établi  une  singulière  coutume  pour  se  trpuver  le  mari  le  plus 
vaillant  possible.  Tout  prétendant  à  sa  main  devait  garder  un  pont  qui, 


oi  père  ».  Perceval  non  plus  ne  sait  pas  son  nom,  et  sa  mère  ne  l'appelle  aussi 
que  Beûus  fias.  De  même  Chev.  ju  Cygne,  éd.  Hippeau,  v.  881. 

1.  L'histoire  de  ce  second  combat  est  préparée  seulement  ici  et  n'est  racontée 
qu'après  la  dé.'aite  des  géants;  mais  le  poème  anglais  place  les  faits  dans  rordf 
que  nous  avons  suivi. 

2.  Ce  nom  provient  du  Perceval.  \ 
5.  Encore  un  personnage  de  Chrétien  de  Troies,  par  exemple  dans  £r«.  L'éd^ 

teur  imprime  à  lort  «  le  fils  d'O  »  pour  «  le  fils  Do.  » 


GUINGLAIN    OU    LE    BEL    INCONNU  î 

devant  le  château,  fermait  la  route,  et  combattre  avec  tout  chevalier  qui 
se  présentait  :  s'il  était  vainqueur  pendant  sept  années  consécutive?,  il 
devait  être  l'époux  de  la  demoiselle  ;  s'il  trouvait  un  vainqueur,  celui-ci 
prenait  sa  place  aux  mêmes  conditions.  Ce  poste  périlleux  est  occupé  en 
ce  moment  par  Mauger  le  Cris,  qui  a  triomphé  déjà  pendant  cinq  ans 
de  tous  ceux  qu'il  a  combattus  :  cent  quarante-trois  têtes  de  chevaliers 
garnissent  les  pieux  qui  entourent  sa  tente  ;  mais  s'il  est  vaillant,  il  est 
discourtois  et  félon  ;  la  demoiselle  le  hait  et  souhaite  sa  défaite  ;  autant 
en  font  tous  ses  vassaux.  Aussi,  quand,  après  un  combat  terrible,  le  Bel 
Inconnu  le  tue,  on  lui  fait  un  accueil  enthousiaste,  et  la  demoiselle, 
charmée  de  sa  beauté  autant  que  de  son  courage,  déclare  qu'elle  abolit 
l'ancienne  coutume  et  qu'elle  épousera  dans  huit  jours  le  vainqueur  de 
Mauger.  .Mais  cela  ne  fait  pas  l'affaire  d'Hélie,  qui  rappelle  à  son  compa- 
gnon l'aventure  qu'il  a  entreprise,  et  tous  deux  concertent  le  moyen  de 
s'enfuir  le  lendemain  matin  du  château.  Le  Bel  Inconnu  a  quelque  mé- 
rite à  tenir  sa  parole,  car  la  demoiselle  aux  blanches  mains  avait  employé 
de  grandes  séducnons  auprès  de  lui.  Au  milieu  de  la  nuit,  quand  tout  se 
taisait  et  qu'il  ne  dormait  pas.  il  vit  la  maîtresse  du  château  franchir  la 
porte  de  sa  chambre  : 

Sans  guimple  estoit,  eschevelee. 

Et  d'un  mantel  lu  afublee 

D'un  vert  samit  o  riche  hermine. 

Meut  estoit  bêle  la  mescine. 

As  {éd.  Les)  ataces  de  son  mantel 

De  fin  or  furent  li  tasse!  : 

Desus  sa  teste  le  tenoit, 

L'orle  lés  sa  face  portoit  : 

Li  sibelins,  qui  noirs  {éd.  voirs)  estoit, 

Lés  le  blanc  vis  meut  avenoit. 

N'avoit  vestu  fors  sa  cemise, 

Qui  plus  estoit  biance  a  devise 

Que  n'est  la  nois  qui  siet  sor  branche; 

Meut  estoit  la  cemise  blanche, 

Mais  encore  ert  la  cars  moût  plus 

Que  la  cemise  de  dessus. 

Les  ganbes  moût  blanches  estoient. 

Qui  un  petit  aparissoient  : 

La  cemise  brunete  estoit 

Envers  les  ganbes  (éJ.  la  dame)  qu'il  veoit. 

A  l'uis  la  dame  s'apuia. 

Et  vers  le  lit  adiès  garda, 
*  Puis  demanda  se  il  dormoit... 

1  0  Dort  il,  fait  ele,  qui  ne  dit.?  »  (V.  237^) 


4  G.    PARIS 

Sur  sa  réponse,  elle  s'approche  de  lui  et  le  serre  tendrement  dans  ses 
bras  ;  mais  quand  il  veut  lui  donner  un  baiser, 

Se  il  a  dit  :  «  Ce  ne  me  plaist  : 

Tôt  torneroit  a  lecerie. 

Saciés  je  ne!  feroie  mie 

De  si  que  m'aies  esposee  : 

Lors  vos  serrai  abandonee.  >• 

De  lui  se  parti  (éd.  parai  maintenant. 

Se  li  dist  :  «  A  Diu  vos  commant,  » .  . . 

Celi  a  laissé  esbahi, 

Qui  meut  se  tient  a  escarni.  (V.  2428) 

Il  n'en  quitte  pas  moins  furtivement,  le  lendemain  matin,  ce  séjour  de 
délices,  et  il  reprend  sa  marche  avec  Hélie.  Avant  d'arriver  au  terme,  il 
soutient  encore  un  combat  contre  Lampart,  le  seigneur  du  «  chastel  Ga- 
ligan  »,  qui  n'héberge  que  ceux  qui  l'ont  vaincu.  Renversé  par  notre 
héros,  il  l'accompagne  jusqu'à  la  ville  de  Senaudon  (v.  3561,  3822^  ou 
Sinaudon  v.  6078I,  qui  est  le  but  de  son  voyage,  et  dans  laquelle  il  faut 
sans  doute  reconnaître  le  nom  des  montagnes  du  Snovvdon  '  ;  mais 
Lampart  ne  peut  y  entrer  avec  lui  ;  il  lui  explique  ce  qui  l'attend  dans 
cette  ville  qui,  depuis  la  dévastation  à  laquelle  elle  est  en  proie,  ne  s'ap- 
pelle plus  que  la  Gaste  Cité.  Au  milieu  des  rues  désertes  et  des  édifices 
en  ruines,  il  verra  un  palais  de  marbre  magnifique,  qui  n'a  pas  moins  de 
mille  fenêtres  :  à  chacune  se  tient  un  jongleur  avec  un  instrument  et  un 
cierge  ardent  devant  lui  ;  ils  salueront  courtoisement  l'arrivant,  mais  qu'il 
ait  bien  soin  de  leur  répondre  :  «  Dieu  vous  maudisse  !  »  Il  entrera  dans 
la  salle  et  attendra  son  aventure,  en  se  gardant  de  pénétrer  dans  la 
chambre  voisine. 

Le  Bel  Inconnu  arrive  en  effet  au  palais,  répond   par  une  malédiction 
au  salut  des  mille  joueurs  d'instruments,  puis  entre  à  cheval  dans  la  grande 
salle,  dont  on  ferme  la  porte  après  lui,  et  qui  est  vivement  éclairée  par^ 
les  mille  cierges  des  jongleurs.   Un  chevalier  armé  sort  d'une  chambre 
et  vient  l'attaquer;  le  Bel  Inconnu  le  met  en  fuite  et  le  poursuit  jusqu'ai 
seuil  de  la  chambre  ;  il  va  franchir  ce  seuil,  oubliant  la  recommanda- 
tion de  Lampart,  mais  il  s'arrête  à  temps  en  voyant  des  haches  levée 
pour  le  frapper.  Un  nouvel  adversaire  se  présente,  monté  sur  un  chevj 
qui  porte  une  corne  au  front  et  dont  la  bouche  jette  des  flammes.  Apre 
un  combat  auquel  ne  se  comparent  pas,  d'après  le  poète,  ceux  deTristal 


\ 
1 .  Nous  voyons  également  figurer  le  Snowdon  dans   le  roman  latin  de  ; 
riadoc  ;  voy.  W^rd.,  Catalogue  of  romances,  t.  I,  p.  375. 


GUINGLAIN    OU    LE    BEL    INCONNU  .; 

contre  le  Morhout,  de  Mainet  contre  Braimant  et  d'Olivier  contre  Roland 
V.  50IO-1 5\  le  Bel  Inconnu  tue  son  ennemi,  dont  le  corps,  tombé  aus- 
sitôt en  décomposition,  exhale  une  fumée  infecte  ;  en  même  temps  les 
jongleurs  disparaissent  avec  leurs  cierges,  un  fracas  terrible  se  fait  en- 
tendre, et,  r'ongé  dans  l'obscurité  la  plus  profonde,  le  jeune  héros  sent 
l'épouvante  le  gagner  ;  mais  il  se  signe  et  reprend  courage  en  pensant  à 
la  demoiselle  aux  blanches  mains,  dont  il  espère  obtenir  le  pardon.  Sou- 
dain une  «  aumaire  »  s'ouvre,  il  en  sort  une  guivre,  dont  le  corps  était 
gros  comme  un  baril  et  long  de  quatre  toises,  et  qui  avait  une  bouche 
vermeille  d'où  partait  du  feu,  des  yeux  luisants  comme  des  escarboucles, 
et  une  queue,  quatre  fois  nouée,  brillant  de  toutes  les  couleurs.  Le  Bel 
Inconnu  met  la  main  à  l'épée,  mais  la  guivre  s'incline  : 

Semblant  d'umelité  il  tait, 

Et  cil  s'espee  plus  ne  trait: 

«  Jo  ne  la  doi,  fait  il,  tocier, 

Puis  que  la  vol  humelier  ».  (V.  3133) 

La  guivre  cependant  s'approche  de  plus  en  plus,  et  il  met  de  nouveau 
la  main  à  l'épée,  mais  elle  lui  fait  de  nouveau  des  démonstrations  ami- 
cales :  elle  est  tout  près,  il  va  la  frapper,  mais  elle  l'apaise  encore,  et  il 
admire  la  bouche  qu'elle  a  si  belle,  il  s'absorbe  dans  cette  contemplation, 
quand  elle  se  lance  sur  lui  et  le  baise  à  la  bouche,  après  quoi  elle 
s'éloigne  et  rentre  dans  1'  «  aumaire  »,  qui  se  referme.  Le  Bel  Inconnu  a 
fait  «  le  fier  baiser  »,  mais  il  craint  que  la  guivre  ne  soit  le  diable  et 
qu'il  ne  soit  perdu.  Une  voix  se  fait  entendre  et  le  rassure.  Elle  lui  ap- 
prend d'abord  qu'il  s'appelle  Guinglain  '  et  qu'il  est  fils  de  Gauvain  et 
de  Blanchesmainsla  fée-,  qui  lui  a  préparé  cette  aventure  pour  sa  gloire 
et  son  bonheur.  Epuisé  par  tant  d'émotions,  Guinglain  s'endort  ;  à  son 
réveil  il  voit  près  de  lui  une  jeune  fille  d'une  merveilleuse  beauté  :  c'est 
Blonde  Esmerée,  celle  qu'il  a  délivrée,  la  reine  de  Galles  ;  elle  lui  raconte 


1.  Telle  est  la  forme  constante  du  manuscrit  (voy.  Zeitschrijt  fur  rom.  Philo- 
logie, t  II.  p.  78);  elle  répond  au  nom  gallois  Winwaloen  ;  c'est  aussi  celle  du 
poème  anglais  'voyez  ci-dessousj.  L'éditeur  du  poème  français,  sans  prévenir, 
imprime  partout  Giglain  (sauf  au  v.  3266  Guiglain),  sans  doute  à  cause  du  roman 
en  prose  du  xv'=  siècle  qui  porte  Giglan. 

2.  Ce  nom  est  malheureusement  choisi,  faisant  une  confusion  gênante  avec 
c.p\u\  de  la  demoiselle  >•  aux  blanches  mains  ».  M.  Kœlbing  s'y  est  trompé  :  «  La 

e  du  héros,  dit-il,  semble  devoir  à   sa  nature  de  tée  le  privilège  de  pouvoir 
!  la  maîtresse  de  son  propre  fils  i.  Les  vers  4878  et  suivants  auraient  dû  lui 
',  r  cette  idée  singulière.  La  rédaction   en  prose  appelle  la   mère   de  Giglan 
■'  mchcvalec. 


6  G.    PARIS 

qu'après  la  mort  de  son  père  deux  enchanteurs,  Eurain  et  Mabon  (qu'il 
vient  de  tuer  l'un  après  l'autre),  ont  dévasté  sa  cité,  frappé  de  folie  ou  de 
mort  les  habitants,  et  l'ont  changée  elle-même  en  cette  guivre  mons- 
trueuse qu'il  a  vue  ;  elle  aurait  pu  acheter  sa  grâce  en  consentant  à 
épouser  Mabon,  mais  elle  s'y  est  toujours  refusée,  sachant  qu'elle  serait 
délivrée  si  elle  pouvait  donner  un  baiser  au  meilleur  chevalier  de  la  Table 
Ronde,  c'est-à-dire  à  Gauvain  ou  à  son  fils  Guinglain.  Celui-ci  l'a  en 
effet  désenchantée;  du  même  coup  elle  redevient  maîtresse  de  sa  ville  et 
des  trois  royaumes  qui  en  dépendent,  et  elle  offre  à  son  libérateur  et  sa 
personne  et  son  empire. 

Il  est  clair  que  le  roman  devrait  s'arrêter  là  pour  ressembler  aux  autres 
romans  biographiques,  ou  du  moins  se  borner  à  nous  raconter  le  retour  de 
Guinglain  à  la  cour,  sa  reconnaissance  avec  son  père,  et  son  mariage 
avec  Blonde  Esmerée,  et  nous  verrons  en  effet  que  le  récit  qui  a  servi 
de  source  à  Renaud  de  Beaujeu  se  terminait  de  cette  façon  naturelle. 
Mais  notre  poète  l'a  abandonné  pour  donner  à  la  première  partie  du 
roman  une  suite  qu'il  ne  comportait  pas  et  qui  n'a  pas  laissé  de  l'embar- 
rasser pour  son  dénouement  :  évidemment  séduit,  comme  son  héros,  par 
la  belle  hôtesse  de  l'Ile  d'Or,  il  lui  a  attribué,  pour  cette  seconde  partie, 
un  rôle  assez  différent  de  celui  qu'elle  devait  avoir  dans  le  conte  original 
et  qui  re  cadre  pas  bien  avec  le  reste.  Il  est  de  règle,  en  effet,  dans  les 
romans  de  ce  genre,  que  le  héros  n'a  qu'un  amour,  celui  qui  le  meneau 
mariage  final,  ou  que  du  moins,  s'il  en  a  d'autres,  ils  disparaissent  devant 
celui-là  ;  mais  ici  c'est  tout  le  contraire  que  nous  voyons  arriver.  Quand 
Blonde  Esmerée  déclare  à  son  libérateur  qu'elle  veut  faire  de  lui  son 
époux,  Guinglain  lui  montre  «  beau  semblant  «,  mais  il  déclare  qu'il  ne 
peut  prendre  d'engagement  avant  d'avoir  le  consentement  du  roi  Arthur. 
En  réalité,  il  ne  songe  qu'à  la  «  fée  »  (on  lui  donne  ici  ce  nom  pour  la 
première  fois)  de  l'Ile  d'Or;  il  la  revoit  sans  cesse  telle  qu'elle  lui  est 
apparue  dans  cette  nuit  où  elle  l'a  visité,  il  se  reproche  la  façon  discour- 
toise dont  il  a  agi  envers  elle,  et  doute  qu'elle  lui  pardonne  jamais.  Au 
moment  où  la  reine  de  Galles,  qui  a  présenté  Guinglain  à  ses  barons 
comme  son  futur  époux,  s'apprête  à  partir  avec  lui  pour  la  cour  d'Ar- 
thur, il  lui  déclare  qu'une  affaire  pressante  l'oblige  de  la  laisser  aller 
seule.  Elle  s'en  désole,  mais  continue  son  chemin,  et  Guinglain,  accom- 
pagné de  son  fidèle  écuyer  Robert,  se  dirige  aussi  rapidement  que  pos- 
sible vers  l'Ile  d'Or. 

Il  rencontre  la  fée,  puisqu'elle  s'appelle  désormais  ainsi,  qui  revient  de 
la  chasse;  il  s'approche  d'elle  et  demande  à  lui  parler  à  part  ;  il  implore 
son  pardon  ;  elle  feint  d'abord  de  ne  pas  le  reconnaître,  puis  lui  reproche 
sa  conduite  et  lui  déclare  qu'elle  ne  le  punit  pas  comme  elle  le  devra' 
cause  de  l'amour  qu'elle  a  éprouvé  pour  lui,  mais  qu'elle  ne  l'aimera       ^ 


^ViS 


r.UINGLAlN    OU    LE    BEL    INCONNU  7 

jamais,  a  Éh  bien  !  dit  Guinglain ,  je  resterai  au  moins  dans  votre  voisi- 
nage, et  j'y  mourrai  assurément  sans  beaucoup  attendre.  »  En  effet,  il 
va  prendre  son  logis  non  loin  du  palais  de  sa  belle,  et  bientôt  l'insomnie, 
le  jeûne,  le  chagrin,  le  rédi  lient  près  de  l'extrémité.  Mais  un  jour  la 
dame  le  fait  mander;  il  arrive  et  lui  parle  de  ses  maux.  «  Je  ne  crois  pas, 
dit-elle,  que  ce  soit  pour  moi  que  vous  souffriez,,  et  en  tout  cas  je  serais 
bien  folle  de  vous  donner  une  seconde  fois  mon  amour  :  vous  me  trom- 
periez encore  et  vous  en  iriez  comme  l'autre  jour.  «  Guinglain  proteste, 
s'excuse,  et 

La  dame  li  fait  un  regart, 
Et  Guingiains  li  de  l'autre  part: 
A  iols  s'enblent  les  cuer.s  andui... 
Puis  li  a  dit  :  «  Li  miens  amis, 
Meut  mar  i  fu  vostre  proece, 
Vostre  sens  et  vostre  largece. 
Qu'en  vos  n'a  rien  a  amender 
Fors  tant  que  ne  savés  amer. 
Mar  fustes  quant  vos  ne  savés  ; 
Totes  autres  bontés  avés. 
Et  je  vos  di  en  voir  gehir... 
Plus  vos  amasse  que  nului 
Se  vos  iço  faire  saviés.  »  (V.  432^) 

Elle  l'invite  cependant  à  venir  habiter  avec  elle,  et  chacun  lui  fait  fête. 
Le  soir  venu,  elle  lui  indique  un  lit  magnifique,  où  il  doit  reposer,  et  lui 
recommande,  bien  que  la  porte  de  la  chambre  où  elle  dort  soit  toute 
proche  de  ce  lit  et  qu'elle  la  laisse  ouverte,  de  ne  pas  y  entrer  pendant 
la  nuit  : 

«  Gardés  ne  soiés  tant  engrès 

Que  en  ma  cambre  entrés  a  nuit  : 

Paor  me  fériés  vos,  je  cuit; 

Ne  le  faites  sans  mon  commant.  »  (V.  4414) 

Guinglain  ne  peut  résister  longtemps  à  la  tentation.  Au  milieu  de  la 
nuit,  il  se  lève  et  veut  aller  chez  la  fée  ;  mais  il  ne  peut  trouver  la  porte, 
et  se  voit  tout  à  coup  au  milieu  d'une  étroite  planche,  au-dessus  d'un 
torrent  tumultueux,  n'osant  ni  avancer  ni  reculer.  Le  vertige  le  prend, 
il  tombe  et  se  retient  à  la  planche  ;  il  sent  ses  bras  s'affaiblir  et  lâcher 
prise,  et  se  met,  éperdu,  à  demander  du  secours  : 

«  Signor,  fait  il,  aidics,  aidiés 
Por  Dieu  !  car  je  serai  noies. 


Secorés  moi,  bone  gent  france, 

Car  je  petit  ci  a  une  plance. 

Ne  ne  me  puis  mais  retenir. 

Signor,  ne  m'i  laissiés  morir  !  »  (V.  4487) 

On  accourt  avec  de  la  lumière,  et  on  trouve  Guinglain  se  tenant  par 
les  mains  à  la  perche  d'un  épervier.  L'enchantement  dont  il  était  victime 
se  dissipe  dès  qu'on  arrive,  et  tout  honteux  il  se  remet  dans  son  lit.  Il  n'y 
reste  guère.  Il  s'étonne  de  s'être  laissé  prendre  à  cette  «  fantosmerie  >- 
et  se  décide  à  aller  voir  son  amie,  qui  est  si  près  de  lui.  Il  se  lève  ; 
mais  à  peine  a-t-il  fait  quelques  pas  qu'il  croit  soutenir  sur  sa  tète  et  ses 
épaules  toutes  les  voûtes  de  la  salle.  Plein  d'angoisse,  il  s'écrie  : 

«  Signor,  fait  il,  aiue  !  aiue  ! 
Bone  gens,  qu'estes  devenue  ? 
Sor  lo  col  me  gist  ois  palais  : 
Ne  puis  plus  soustenir  cest  fais; 
A  mort,  ce  cuit,  serrai  grevés 
Se  de  venir  ne  vos  hastés  !  » 
Lors  se  relievent  maintenant, 
Cierges  ont  espris  li  sergant  : 
Guinglain  ont  trové  corne  fol, 
Son  orillier  deseur  son  coi, 
Et  si  n'avoit  autre  besoigne. 
Quant  il  les  vit,  si  ot  vergoigne  : 
Jus  jeté  le  plus  tost  qu'il  pot 
L'orillier,  si  ne  sona  mot 
Ne  les  sergens  pas  n'araisonne  ; 
De  nule  rien  mot  ne  lour  sonne  : 
Son  cief  a  enbrucié  en  bas, 
Puis  s'est  couciés  en  es  le  pas 
Ens  en  son  lit  tosesmaris, 
Et  de  honte  tos  esbahis.  (V.  4557) 

Cette  fois  il  ne  songe  plus  à  renouveler  sa  tentative,  et  il  se  désole  si- 
lencieusement; mais  la  dame  le  trouve  suffisamment  puni,  et  elle  l'envoie 
chercher  par  une  demoiselle,  qui  l'introduit  dans  la  chambre  magnifique 
et  longuement  décrite  de  la  fée.  Celle-ci  n'a  plus  les  scrupules  qu'elle 
avait  montrés  lors  de  leur  première  entrevue  nocturne,  elles  deux  amants 
sont  heureux.  La  fée  raconte  à  Guinglain  qu'elle  l'aime  depuis  son  en- 
fance, où  elle  le  voyait  chez  sa  mère,  qu'elle  aurait  pu  le  retenir  la  pre-  ^.^ 
mière  fois,  mais  qu'elle  voulait  lui  laisser  accomplir  l'aventure  où  elh^j, 
savait  qu'il  se  couvrirait  de  gloire  et  qu'elle  lui  avait  d'ailleurs  procurée  ei-  "^ 
envoyant  Hélie  à  la  cour  d'Arthur  ;  c'est  elle  aussi  dont  la  voix,  après  L' 


GUINGLAIN    OU    LV.    BKL    INCONNi:  9 

défaite  de  Mabon  et  le  fier  baiser,  a  appris  à  Guinglain  qui  il  était.  Le 
lendemain  matin  elle  convoque  tous  ses  barons  et  leur  fait  reconnaître 
Guinglain  pour  seigneur,  mais  elle  ne  parle  plus  de  l'épouser. 

Cependant  Blonde  Esmerée  est  arrivée  à  la  cour  d'Arthur  et  y  attend 
vainement  Guinglain.  Elle  rdconte  qui  il  est  '  et  comment  il  l'a  délivrée, 
puis  a  disparu.  Pour  le  retrouver,  on  proclame  un  grand  tournoi,  pen- 
sant qu'il  voudra  y  prendre  part.  En  effet,  apprenant  cette  nouvelle, 
Guinglain  annonce  à  son  amie  qu'il  va  la  quitter  pour  aller  au  tournoi, 
mais  qu'il  reviendra  aussitôt.  Elle  lui  prédit  qu'il  ne  reviendra  pas,  qu'il 
trouvera  à  la  cour  une  femme  qu'on  lui  fera  épouser,  et  qu'il  est  perdu 
pour  elle.  Mais  voyant  sa  résolution,  elle  prend  elle-même  son  parti,  et 
le  lendemain  matin  Guinglain,  à  sa  grande  surprise,  se  réveille  dans  une 
lande,  ayant  à  côté  de  lui  ses  armes,  son  cheval  et  son  écuyer.  Il  se  rend 
au  tournoi,  dont  il  obtient  le  prix,  après  quoi  il  se  fait  connaître.  Arthur 
lui  demande  d'épouser  Blonde  Esmerée  : 

Li  roi  et  tuit  l'ont  tant  proie 

Que  Guinglains  ior  a  otroié.  (V,  60471 

C'est,  comme  on  le  voit,  un  mariage  de  raison.  Le  cœur  du  poète  est 
tout  entier  à  la  fée  de  l'Ile  d'Or  et,  bien  qu'après  son  mariage  Guinglain 
ne  dût  plus  penser  à  elle,  Renaud  de  Beaujeu,  dans  les  jolis  vers  qui 
terminent  son  roman,  manifeste  le  projet  de  les  réunir  dans  une  suite  de 
son  ouvrage  : 

Ci  faut  ii  roumans  et  define. 
Bele,  vers  cui  mes  cuers  s'acline, 
Renais  de  Biauju  moût  vos  prie 
Por  Diu  que  ne  l'obliés  mie  : 
De  cuer  vos  veut  tos  jors  amer, 
Ce  ne  li  poés  vos  veer. 
Quant  vos  plaira  dira  avant, 
U  il  se  taira  ore  a  tant  ; 
Mais  por  un  biau  sanblant  mostrcr 
Vos  feroit  Guinglain  recovrer 
S'amie  que  il  a  perdue... 
Se  de  çou  li  faites  délai, 
Si  est  Guinglain  en  tel  esmai 
Que  ja  mais  n'avéra  s'amie. 


I .  On  s'attendrait  à  ce  que  Gauvain,  quand  il  apprend  que  le  jeune  héros  est 

SOT  -,  manifestât  une  grande  joie.    Le  poète  dit   simplement  (v.    ^142):  Et 

\V*'  '  (jueses  fius  cstoit  Et  que  la  fa  amcc  avait.  Il  est  vrai  qu'il  y  a  une  lacune 

^\>iS  -es  vers,  mais  elle  doit  être  d'un  vers  seulement. 


D'autre  vengeance  n'a  il  mie; 

Mais  por  la  soie  grani  grevance 

Ert  sur  Guinglain  ceste  vengeance, 

Que  jamais  jou  n'en  parlerai 

Tant  que  le  bel  sanblant  avrai.  (V.  6105) 

Il  faut  croire  que  notre  aimable  poète  n'obtint  pas  le  «  beau  semblant  >^ 
qu'il  demandait,  car  nous  ne  trouvons  aucune  trace  d'une  continuation 
de  son  poème.  Dans  ce  poème,  à  plus  d'un  autre  endroit,  Renaud  de 
Beaujeu  se  met  en  scène  et  s'adresse  à  sa  dame,  et  ces  passages  sont 
parmi  les  plus  agréables  de  son  oeuvre  ;  ils  rappellent  les  interruptions 
du  même  genre  qui  se  trouvent  dans  Partenopeus  de  Blois.  C'est  pour 
plaire  à  celle  qu'il  aime  «  outre  mesure  »,  nous  dit-il  dès  le  début,  qu'il 
a  composé  son  roman,  et  pour  lui  montrer  ce  qu'il  sait  faire.  Plus  loin, 
et  sans  que  le  récit  fournisse  un  prétexte  à  cette  digression,  il  insiste  sur 
sa  loyauté  envers  celle  qu'il  n'a  pas  le  droit  de  nommer  «  amie  »,  mais 
qu'il  peut  appeler  «  bien  amée,  »  et  parle  avec  une  indignation  peut-être 
habile  de  ceux  qui  prennent  l'amour  légèrement  : 

Ce  dient  cil  qui  vont  trecant, 

Li  uns  le  va  l'autre  contant  : 

«  Peciés  n'est  de  feme  traïr.  » 

Mais  laidement  sevent  mentir, 

Ains  meut  est  grans  peciés,  par  m'ame. 

Or  vos  penserés  d'une  dame 

Qui  n'avéra  talent  d'amer  : 

Vers  li  irés  tant  sermonner 

Que  sera  souprise  d'amor, 

Tant  li  prières  cascun  jor 

Bien  li  pores  son  cuer  enbler... 

Por  vos  tos  ses  amis  perdra 

Et  son  mari,  qui  Pâmera  : 

Quant  en  avrés  tôt  vo  voloir, 

Adont  la  vaurés  décevoir  ! 

Mal  ait  qui  s'i  acostuma 

Et  qui  ja  mais  jor  le  fera  ! 

Cil  qui  se  font  sage  d'amor. 

Cil  en  sont  faus  et  traïtor. 

Por  ço  mius  vueil  faire  folie 

Que  ne  soie  loiaus  m'amie: 

Ce  qu'ele  n'est  l'ai  apelee; 

Que  dirai  dont .?  la  moût  amee.  f 

S'cnsi  l'apel,  voir  en  dirai  ;  " 

S'amiedi,  lors  mentirai,  à 


GUINGLAIN    OU    LE    BEL    INCONNU  I  I 

Car  moi  n'en  fait  ele  sanblant. 

Las  !  por  li  muir,  et  por  li  cant  !  (V.  1232) 

Il  se  plaint  encore  ailleurs  de  la  cruauté  de  celle  qu'il  a  aimée  dès  le 
premier  jour  qu'il  l'a  vue  : 

De  moi  ocire  ne  repose, 

Et  je  l'aim  plus  que  nu!e  cose  !  (V.  41 18) 

Et  en  racontant  le  bonheur  de  Guinglain,  il  fait  un  retour  sur  lui- 
même,  et  déclare  encore  que  toutes  les  peines  de  l'amour  sont  largement 
payées  par  la  récompense  qu'il  peut  donner.  Il  part  de  là  pour  faire 
l'éloge  des  dames  et  blâmer  sévèrement  ceux  qui  médisent  d'elles  : 

Dius  les  fist  de  si  grant  vertu  : 

De  tes  biens  les  forma  et  fist, 

Et  biauté  a  eles  eslist  ; 

Et  Dius  nos  vaut,  ce  cuic,  former 

Por  eles  toutes  honerer 

Et  por  lor  comandement  faire.  (V.  4751) 

Si  nous  ne  possédons  pas  d'autre  roman  de  Renaud  de  Beaujeu,  nous 
avons  une  chanson  dont  il  est  l'auteur,  et  qui  nous  permet  d'établir 
approximativement  le  temps  où  il  vivait.  En  effet  le  premier  couplet  de 
cette  chanson  est  cité  '  sous  le  nom  de  «  Renaut  de  Biauju  »,  dans  le 
roman  de  GullLiume  de  Dole ^  qui,  comme  on  peut  l'établir  par  un  ensemble 
de  preuves  convergentes,  a  été  écrit  dans  les  dix  ou  douze  premières 
années  du  xiii''  siècle.  Renaud  de  Beaujeu  a  donc  composé,  sinon  son 
roman,  au  moins  sa  chanson,  avant  1 2 1 2,  et  sans  doute  un  certain  temps 
avant,  puisqu'elle  était  dès  lors  devenue  célèbre.  Elle  présente  bien  d'ail- 
leurs les  sentiments  et  la  manière  de  l'auteur  du  fie/ /«connu.  On  en  jugera 
par  le  premier  couplet,  qui  ressemble  de  fort  près  aux  passages  qui 
viennent  d'être  cités  : 

Loial  amor  qui  en  fin  cuer  s'est  mise 
N'en  doit  ja  mais  partir  ne  removoir, 
Que  la  dolor  qui  destreint  et  justise 
Semble  douçor  quant  l'en  la  puet  avoir. 
Qui  en  porroit  morir  en  bon  espoir 
Gariz  seroit  devant  Deu  au  juïse; 
Por  ço  m'en  lo  quant  plus  me  fait  doloir. 


Jûhrbuck  fur  romanischc  Literatur,  XI,   161. 


Cette  chanson  soulève  en  outre  une  question  assez  curieuse.  Elle  ne 
porte  le  nom  de  Renaud  de  Beaujeu  que  dans  Guillaume  de  Dole^  qui  a 
d'ailleurs  une  autorité  exceptionnelle  ;  elle  est  anonyme  dans  deux  ma- 
nuscrits de  Paris  ',  mais  dans  le  célèbre  chansonnier  de  Berne  elle  se 
retrouve  (fol.  124]  accompagnée  de  cette  rubrique  :  Li  alens  de  dallons. 
On  a  cru  voir  -  dans  ces  mots  l'altération  du  nom  d'un  chevalier  dont 
nous  avons  trois  autres  chansons,  Alart  de  Chaus  ou  de  Caus,  mais  c'est 
une  conjecture  peu  vraisemblable  ;  il  est  bien  plus  probable  que  le  rubri- 
cateur  du  manuscrit  de  Berne,  qui  était,  comme  on  sait,  fort  ignorant  et 
fort  distrait,  a  mal  lu  et  mal  reproduit  l'indication  qu'il  devait  copier  et 
qui  portait  :  Li  cuens  de  Challons.  Cette  restitution  nous  ferait  voir  dans 
Renaud  de  Beaujeu  un  comte  de  Chalon  ;  malheureusement  nous  ne 
trouvons  pas,  à  l'époque  où  il  vivait,  de  comte  de  Chalon  qui  ait  porté  le 
nom  de  Renaud,  bien  qu'il  y  ait  eu  plus  d'un  rapport  entre  la  maison  de 
Beaujeu  et  celle  de  Chalon  ;  nous  ne  rencontrons  pas  non  plus,  à  l'époque 
où  a  dû  vivre  notre  poète,  de  Renaud  parmi  les  membres  de  la  famille 
de  Beaujeu  dont  le  nom  est  venu  jusqu'à  nous.  Nous  croyons  toutefois 
probable  que  l'auteur  du  Bel  Inconnu  appartenait  à  cette  grande  maison 
de  Beaujeu  qui  donna  à  la  France  tant  d'illustres  hommes  de  guerre,  et 
qui,  dès  le  milieu  du  xii*^  siècle,  lui  avait  donné  un  poète  célèbre,  Gui- 
chard  de  Beaujeu.  Le  roman  de  Renaud  a  bien  l'air  d'avoir  été  écrit  par 
un  chevalier,  par  un  homme  du  monde,  plutôt  que  par  un  poète  de  pro- 
fession ;  les  négligences  même  qu'on  y  remarque  décèlent  cette  origine, 
et  on  peut  en  retrouver  des  traces  jusque  dans  les  libertés  que  l'auteur  a 
prises  avec  son  sujet,  et  qui  dépassent  celles  que  se  sont  permises  d'or- 
dinaire les  auteurs  de  romans  analogues. 

Nous  avons  déjà  dit  en  effet  que  Renaud,  pris  d'un  intérêt  particulier 
pour  la  belle  habitante  de  l'Ile  d'Or,  lui  avait  sacrifié  la  véritable  héroïne 
du  récit,  et  avait  détruit  par  là  même  l'unité  et  la  proportion  de  ce  récit. 
C'est  ce  qui  résulte  clairement  de  la  comparaison  de  son  œuvre  avec  un 
poème  anglais  qui  a  certainement  la  même  source,  mais  qui  la  représente 
plus  fidèlement.  Ce  poème,  appelé  d'un  titre  français  Ly  beaus  desconus, 
n'est  pas,  comme  on  l'a  dit  5,  une  traduction  abrégée  du  roman  de  Re- 
naud de  Beaujeu.  C'est  ce  que  suffit  à  montrer  une  comparaison  rapide 
des  deux  ouvrages.  Pour  la  faire  nous  nous  servons  des  trois  manuscrits 
du  poème  anglais  qui  ont  été  imprimés  ou  collationnés,  et  qui  présentent 
entre  eux  certaines  différences  que  nous  signalerons  quand  elles  en  vau- 


1.  B.  N.,  ms.  fr.  846, /o/.  78  a;  ms.  fr.  20050,70/.  19. 

2.  Raynaud,  Bibliographie  des  Chansonniers,  t.  II,  p.  175,  231. 

;.   Hippeau,  Le  Bel  Inconnu,  p.  xxiv;  Ward,  Catalogue  of  romances,  p.  400. 


GUINGLAIN    OU    LE    BEL    INCONNU  I  5 

dront  la  peine.  L'un  de  ces  manuscrits,  conservé  depuis  longtemps  au 
Musée  Britannique  (Bibl.  Cottonienne,  Caligula  A.  ii.l,  a  été  publié  au 
XYiii*^  siècle  par  Ritson  '  ;  M.  Hippeau,  le  croyant  inédit,  l'a  réimprimé 
à  la  suite  du  poème  de  Renaud ,  en  demandant  pardon  aux  savants  anglais 
de  les  avoir  devancés.  Un  second  manuscrit,  qui  se  trouve  à  Naples,  a 
été  l'objet  d'une  collation  soigneuse  de  la  part  de  M.  E  Kôlbing  En- 
glische  Stiidien,  t- 1,  P-  121  et  suiv.).  La  troisième  copie,  qui  n'est  que  du 
xvii"'  siècle,  est  dans  le  fameux  manuscrit  que  possédait  l'évêque  Thomas 
Percy  et  qui  est  maintenant  au  Musée  Britannique  [Addiîional  27879;  ; 
elle  a  été  imprimée  avec  le  manuscrit  entier  par  MM.  Haies  et  P^urni- 
vall  -.  Des  trois  autres  mss.  on  ne  connaît  que  quelques  passages  com- 
muniqués par  les  éditeurs  du  manuscrit  Percy. 

Le  poème  anglais,  bien  que  beaucoup  plus  bref  que  le  français,  pré- 
sente une  introduction  qui  manque  à  ce  dernier.  Nous  apprenons  tout  de 
suite  que  Guinglain  ?  a  été  engendré  par  Gauvain  «  à  la  lisière  d'une 
forêts  i.  ;  il  a  été  élevé  dans  cette  forêt  par  sa  mère,  et  c'est  parce 
qu'un  jour  il  a  rencontré  un  chevalier  dont  il  a  admiré  l'armure  qu'il  se 
rend  à  Glastonbury,  à  la  cour  d'Arthur,  et  lui  demande  d'abord  de  le 
faire  chevalier,  ensuite  de  lui  accorder  le  premier  combat  qui  se  pré- 
sentera. Arrive  Elene  (c'est  le  nom  que  porte  ici  Hélie)  accompagnée 
de  son  nain  Teaudelayn,  et  les  aventures  se  succèdent,  avec  de  légères 
différences  5,  comme  dans  le  roman  français.  Mais  le  caractère  et  le  rôle 
de  la  belle  châtelaine  de  l'Ile  d'Or  sont  autres,  et  tels  que  nous  avons  sup- 
posé qu'ils  devaient  être  originairement.  Elle  est  appelée  «  la  Dame 
d'amour,  »  et  est  une  véritable  enchanteresse,  qui  ne  fait  qu'arrêter  le 
héros  dans  le  cours  de  sa  vraie  carrière.  Elle  le  retient  fasciné  '=  pendant 


i.  Ritson,  Ancicnt  Engleish  metrical  romances,  t.  II,  p.  i  ;  Hippeau,  Le  Bel 
Inconnu,  p.  xxiv,  241. 

2.  Percy's  Folio  manuscript,  t.  II,  p.  41 5. 

3.  Les  mss.  parlent  :  Gyngelayn,  Ginglûine,  Gingclyane,  Gingelagne,  Geyn- 
leyn,  Gynleyn. 

4.  Cf.  ci-dessous,  p.  18.  Ainsi  le  poème  anglais  se  rattache  au  conte  inséré 
dans  le  Pcrceval. 

5.  Voy.  ci-dessus,  p.  2,  n.  i.  Bliobliéris  est  appelé  ici  William  Cele- 
bronche  (confusion  avec  le  Guillaume  de  Salebrant  qui,  dans  le  français  est  un  de 
ses  trois  amis);  la  jeune  fille  délivrée  des  géants  se  nomme  Violette  et  a  pour 
père  le  comte  Antor,  qui  l'offre  à  son  libérateur;  Gifflet,  '  le  fils  Do,  devient 
■(  Gyfiroun  le  fludous  »  ;  l'épisode  de  l'Orgueilleux  de  la  Lande  (ici  «  Otes  de 
Lile  »)  est  assez  différent,  etc.  Le  poème  anglais  contient  même  en  plus  un  ou 
deux  épisodes  d'ailleurs  insignifiants. 

6.  «  Cette  belle  dame  savait  beaucoup  de  sortilège  ;  elle  lui  faisait  entendre 
des  mélodies  de  toutes  les  sortes  d'instruments  qu'on  pouvait  imaginer.  Quand 
il  voyait  son  visage,  il  lui  semblait  qu'il  était  vivant  en  paradis;  ainsi  elle  lui 
troublait  les  yeux.  » 


14  ti.    PARIS 

douze  mois  et  plus  ' ,  et  c'est  alors  seulement  qu'Elene  réussit  à  lui  faire 
honte,  à  lui  rappeler  l'engagement  auquel  il  manque,  et  à  le  faire  sortir 
du  château  de  l'Ile  d'Or,  où  il  ne  revient  plus.  Cet  épisode,  dans  l'anglais, 
est  d'ailleurs  traité  fort  brièvement,  et  a  sans  doute,  comme  nous  le  ver- 
rons, omis  des  traits  importants.  Arrivé  à  Sinaudon,  Guinglain,  après 
un  combat  qui  ressemble  d'assez  près  à  celui  du  poème  français,  délivre, 
en  recevant  le  baiser  du  serpent,  la  princesse  enchantée  sous  cette  forme 
elle  n'est  pas  nommée)  ;  ce  qui  est  plus  naturel  que  chez  Renaud,  c'est 
que  la  délivrance  a  lieu  dès  que  le  baiser  est  donné,  et  que  la  princesse 
est  aussitôt  devant  lui,  «  nue  comme  quand  elle  est  née,  et  tout  son 
corps  tremblant  ».  L'épisode  de  la  voix  qui  parle  à  Guinglain  fait  complè- 
tem.ent  défaut:  après  la  délivrance  de  la  princesse,  Guinglain,  qui  natu- 
rellement accepte  avec  joie  la  main  qu'elle  lui  offre,  et  qui  reçoit  aussitôt 
les  hommages  de  ses  nouveaux  vassaux,  se  rend  avec  elle  à  la  cour 
d'Arthur.  Là  vient  aussi  la  mère  de  notre  héros ,  qui  dans  le  poème 
anglais  n'est  nullement  une  fée  ;  elle  présente  à  Gauvain  le  fils  qu'elle  a 
eu  de  lui  et  qui  fait  tant  d'honneur  à  son  père.  Gauvain  bénit  les  jeunes 
époux,  la  noce  se  célèbre,  et  le  poème  finit-. 

L'auteur  dit  expressément  qu'il  suit  un  modèle  français  S  et  les  noms 
français  qui  sont  restés  dans  son  ouvrage  suffiraient  à  le  démontrer  ;  mais 
l'analyse  qu'on  vient  de  lire  prouve  que  ce  modèle  n'était  pas  le  poème  de 
Renaud.  C'était  un  poème  qui  ressemblait  beaucoup  à  ce  dernier,  et  qui 
présentait  déjà  les  noms  du  «  Bel  Desconeù  »,  de  1  Ile  d'Or,  de  Mauger  le 
Gris,  de  Lampart,  de  Sinaudon,  des  enchanteurs  Eurain  (angl.  Irain)  et 
Mabon,  mais  qui  ne  faisait  du  séjour  de  Guinglain  auprès  de  l'enchante- 
resse de  l'Ile  d'Or  qu'un  épisode  au  milieu  des  autres  et  n'y  revenait  pas 
une  seconde  fois  4.  Renaud  de  Beaujeu  a  eu  ce  même  poème  sous  les 
yeux  et  l'a  transformé  comme  on  l'a  vu,  au  détriment  de  l'unité  d'action 
de  son  poème  et  du  caractère  de  son  héros.  Quant  au  récit  lui-même, 
nous  pouvons  en  indiquer  une  forme  plus  ancienne  encore  que  celle  du 


1 .  Dans  le  manuscrit  de  Naples  il  n'est  parlé  que  de  trois  semaines. 

2.  Cette  fin  n'est  complète  que  dans  deux  mss  (Naples  et  Ashmole)  ;  dans  le 
ms.  de  Lincoin's  Inn,  il  manque  la  strophe  où  paraît  la  mère  de  Guinglain  ;  les 
mss.  Cotton  et  Lambelh  omettent  les  trois  strophes  relatives  au  père  et  à  la 
mère  ;  le  ms.  Percy  s'arrête  au  moment  où  Guinglain  et  sa  fiancée  partent  pour 
la  cour. 

j.  V.  222,  2  122  des  éditions  Ritson  et  Hippeau 

4.  On  pourrait  croire  aussi  que  l'auteur  anglais  a  remanié  et  simplifié  le 
poème  trançais;  mais  c'est  fort  peu  vraisemblable  :  le  poète  anglais  aurait  re- 
trouvé d'instinct  la  forme  que  la  comparaison  avec  Cardinno  nous  montre  avoir  ■ 
été  la  forme  primitive.  M.  Kœlbing,  dans  le  travail  cité  plus  haut,  a  porté  Icj 
même  jugement  que  nous  sur  le  rapport  des  deux  poèmes.  \ 


GUINGLAIN    OU    LE    BEL    INCONNU  I  5 

poème  où  ont  puisé  à  la  fois  Renaud  de  Beaujeu  et  l'auteur  de  la  version 
anglaise. 

Cette  forme  nous  a  été  conservée,  plus  ou  moins  fidèlement,  dans  le 
petit  poème  italien  àeCarduino,  quia  éié  composé  dans  la  seconde  moitié 
du  xiv-'  siècle,  peut-être  par  Antonio  Pucci,  auteur  de  plusieurs  ouvrages 
du  même  genre,  et  dont  M.  Pio  Rajna  nous  a  donné  il  y  a  quelques  an- 
nées la  première  et  très  bonne  édition.  Carduin,  qui  joue  ici  le  rôle  de 
Guinglain,  n'est  pas  le  fils  de  Gauvain  :  son  père  Dondinel  a  été  empoi- 
sonné à  la  cour  d'Arthur,  dont  il  était  le  favori,  par  Mordretet  ses  frères 
parmi  lesquels,  l'auteur  le  dit  expressément,  était  Gauvaim,  et  à  cause 
de  cela  la  mère  s'est  retirée  avec  l'enfant  dans  une  forêt  sauvage,  où  il 
grandit  seul,  dans  l'ignorance  absolue  du  monde,  croyant  même  qu'il  n'y 
a  pas  d'autres  humains  que  sa  mère  et  lui,  vivant  et  se  couvrant  de  la 
chair  et  de  la  peau  des  bêtes  qu'il  tue.  Mais  un  jour  il  rencontre  le  roi 
Arthur  avec  ses  hommes  :  les  chevaux  et  les  chevaliers  l'émerveillent  ;  il 
déclare  à  sa  mère  qu'il  veut  connaître  le  monde  qu'il  a  entrevu,  elle  y 
consent,  et  le  mène  à  la  ville,  où  elle  lui  procure  des  vêtements  et  des 
armes.  La  ressemblance  entre  ce  début  et  celui  du  Perceval  est  évidente  ; 
M.  Rajna  ■  a  cependant  remarqué  avec  raison  que  certains  traits  sont  ici 
plus  primitifs  que  dans  l'œuvre  de  Chrétien  de  Troies,  et  il  a  conjecturé 
que  l'auteur  de  Carduino  pouvait  bien  avoir  connu  une  forme  du  Perceval 
'<  plus  simple  et  plus  authentique ^  ».  La  supposition  est  juste  au  fond, 
mais  il  n'est  pas  nécessaire  d'admettre  que  dans  la  source  du  rimeur  ita- 
lien le  héros  de  l'aventure  ait  déjà  été  Perceval.  Si  nous  comparons  à  son 
récit  celui  du  poème  anglais,  nous  voyons  que  là  aussi  la  mère  de  Guin- 
glain habite  une  forêt  solitaire,  et  élève  son  fils  dans  l'ignorance  du 
monde,  d'où  le  tire  une  rencontre  avec  des  chevaliers.  Ce  trait  de  l'ancien 
conte  est  déjà  bien  atténué  dans  l'anglais,  et  Renaud  de  Beaujeu  l'a 
presque  tout  à  fait  supprimé  5,  mais  ce  qui  reste  suffit  à  nous  montrer 
qu'il  était  primitif.  C'est  d'ailleurs  un  lieu  commun  celtique,  et  Chrétien 
l'a  pris  n'importe  où  pour  l'appliquer  au  héros  de  son  Conte  du  graal  ; 
nous  le  retrouvons  par  exemple,  avec  des  traits  tout  particuliers  et  d'autres 
qui  ressemblent  de  fort  près  à  ceux  du  poème  champenois,  dans  le  lai  de 
Tyolet4  et  ailleurs  encore. 


1.  Rajna,  Carduino,  p.  xxviï. 

2.  M.  Rajna  n'aurait  pas  dû  d'ailleurs  comprendre  dans  .«a  comparaison  les 
6oo  premiers  vers  de  l'édition  du  Perceval,  particuliers  au  manuscrit  de  Mons. 
et  qui  ne  sont  certainement  pas  de  Chrétien. 

3.  On  en  trouve  des  traces,  comme  l'ignorance  oij  Guinglain,  appelé  seule- 
;  lement  Bels  fils  par  sa  mère,  est  resté  de  son  vrai  nom  (voy.  ci-dessus),  etc. 

4.  Romania,  t.  VIII,  p.  40. 


Carduin  se  rend  à  la  cour  d'Arthur,  et  l'aventure  du  désenchante- 
ment de  la  belle  changée  en  serpent  se  présente  aussitôt  à  lui.  Elle  s'ap- 
pelle ici  Béatrice,  et  sa  sœur,  qui  remplit  le  rôle  de  la  demoiselle  Hélie, 
raconte  tout  de  suite  au  roi  qu'il  s'agit  pour  un  chevalier  hardi  de  déli- 
vrer Béatrice  d'un  enchanteur,  qui,  pour  se  venger  de  son  refus,  a  désolé 
son  pays  et  l'a  réduite  elle-même  au  plus  triste  sort.  Entre  le  départ  de 
la  cour  et  l'arrivée  à  la  ville  enchantée,  Carduin  ne  rencontre  que  trois 
aventures  :  l'une  est  le  meurtre  d'un  chevalier  qui  veut  lui  ravir  sa  com- 
pagne de  route,  et  qui  se  trouve,  à  la  grande  )oie  de  Carduin,  êtreCuer- 
riès,  frère  de  Mordret,et  celui  même  qui  avait  remis  le  poison  au  père  de 
notre  héros  ;la  seconde  est  celle  delà  jeune  fille  délivrée  des  deux  géants, 
dont  le  récit  présente  une  remarquable  coïncidence  tant  avec  le  poème 
anglais  qu'avec  le  poème  français  ;  enfin  la  troisième  (qui  est  la  première 
dans  l'ordre  du  récit)  mérite  de  nous  arrêter  un  instant  :  c'est  au  fond 
celle  de  la  fée  de  l'île  d'Or,  mais  avec  des  traits  particuliers.  Carduin,  la 
sœur  de  Béatrice  et  le  nain  arrivent  dans  un  château  dont  la  dame,  une  du- 
chesse, était  une  puissante  «  maîtresse  d'art.  »  Elle  dit  fort  nettement  à 
Carduin,  après  lesouper:«  Tu  connais  la  coutume  constante  :  je  veux  que 
tu  dormes  avec  moi  cette  nuit.  »  Seulement  elle  ajoute  cette  restriction: 
«  Ecoute-moi  bien.  Quand  je  t'appellerai,  ne  viens  pas;  si  jeté  dis  de  ne  pas 
venir,  tu  viendras.  Fais  toujours  le  contraire  de  ce  que  je  te  dis.  »  Carduin 
le  promet,  mais  quand,  de  sa  chambre  voisine,  elle  l'appelle  et  lui  dit  : 
«  Entre  ici,  chevalier  » ,  il  oublie  la  recommandation  et  s'élance.  Aussitôt  il 
entend  des  mugissements  comme  ceux  d'une  mer  irritée  et  il  sent  un  vent  de 
tempête  ;  des  géants  le  saisissent  et  le  pendent  par  les  mains  au-dessus 
de  l'eau  qu'il  croit  voir,  il  passe  ainsi  toute  la  nuit  à  dondolare,  jusqu'à 
ce  que  le  jour  rompe  l'enchantement.  Carduin  tout  confus  quitte  le  château 
sans  prendre  congé.  La  sorcière  joue  ici,  comme  dans  le  poème  anglais, 
un  rôle  purement  épisodique,  quoique  bien  moins  important.  Mais  ce 
qui  est  remarquable,  c'est  la  présence  dans  le  poème  italien  du  trait  de 
la  fascination  du  héros,  que  le  poète  anglais  a  supprimé  ou  s'est  borné  à 
indiquer  vaguement,  et  que  le  poète  français  a  retiré  de  l'endroit  où  il 
devait  se  trouver  pour  le  reporter  ailleurs  et  le  motiver  tout  autrement. 
Il  est  probable  que  la  source  commune  accordait  à  l'épisode  de  l'enchan- 
teresse à  peu  près  l'importance  et  la  durée  qu'il  a  dans  le  poème  anglais, 
et  y  insérait  l'histoire  de  la  fascination  subie,  une  nuit  seulement  ou  deux 
nuits  de  suite,  par  le  héros.  Cette  fascination  même  est  tout  à  fait  du 
genre  de  celles  que  nous  trouvons  dans  plusieurs  romans  ou  chansons 
de  geste  du  moyen-âge,  et  paraît  répondre  plus  particulièrement  à  cer- 
taines conceptions  de  l'imagination  germanique. 

Le  dénouement  du  poème  mérite  aussi  notre  attention.  Il  n'y  a  icil 
qu'un  enchanteur  au  lieu  de  deux,  ce  qui  est  plus  naturel,  et  non  seulemera 

// 


GUlNCLAlN    OU    LE    BEL    INCONNU  I7 

il  a  changé  Béatrice  en  serpent,  il  a  encore  métamorphosé  en  toutes 
sortes  de  bêtes  tous  les  habitants  de  la  cité,  et  en  rochers  les  édifices  et 
les  maisons  qui  la  formaient,  sauf  le  palais  où  il  habite.  Instruit  par  le 
nain  qui  remplace  ici  Lampart  ',  Carduin  tue  le  magicien,  et  brise  un 
anneau  qu'il  trouve  dans  sa  ceinture  et  auquel  était  sans  doute  attachée 
sa  puissance-.  Ensuite  a  lieu  le  «  fier  baiser  "  ;  seulement,  au  lieu  que 
ce  soit  la  guivre  qui  le  donne  au  héros,  comme  dans  les  deux  poèmes 
sur  Guinglain,  c'est  lui  qui  a  le  courage  de  la  baiser  in  bocca,  ce  qui 
est  encore  visiblement  plus  naturel  et  plus  ancien.  Aussitôt  non  seulement 
Béatrice,  mais  tous  ses  sujets  reprennent  forme  humaine,  et  te  poème  se 
termine  par  le  mariage  de  Carduin,  devenu  un  des  premiers  chevaliers 
de  la  Table  Ronde,  avec  la  belle  princesse  qu'il  a  délivrée. 

On  voit  que  le  poème  italien,  quoique  bien  postérieur  au  poème  fran- 
çais, représente  plus  fidèlement,  au  moins  dans  les  traits  essentiels,  le 
vieux  conte,  dont  celui-ci  s'éloigne  au  contraire  beaucoup.  Une  première 
modification  de  ce  conte,  qui  a  consisté  a  faire  du  héros  le  fils  de  Gau- 
vain,  s  est  produite  dans  la  source  commune,  perdue  aujourd'hui,  du 
rimeur  anglais  et  du  poète  français  ;  ce  dernier  a  fait  volontairement 
d'autres  chan-gements,  dont  il  est  maintenant  facile  de  se  rendre  compte. 
Le  vrai  sujet  du  récit,  devenu  déjà  moins  important  dans  le  poème  anglais 
et  encore  plus  effacé  dans  le  poème  français,  c'est  le  «  fier  baiser  »,  sur 
lequel  il  nous  reste  à  dire  quelques  mots. 

Cette  histoire  d'une  jeune  fille  changée  en  serpent  et  qui  ne  peut 
reprendre  sa  forme  humaine  que  s'il  se  rencontre  un  mortel  assez  coura- 
rageux  pour  lui  donner  un  baiser  se  retrouve  ailleurs  encore  dans  la  lit- 
térature arthurienne.  Elle  forme  un  épisode^,  d'ailleurs  fort  altéré  et 
maladroitement  rattaché  au  reste  du  récit,  du  roman  de  Lancekt,  mis 
en  allemand  par  Ulrich  de  Zatzikhoven  3 .  Mais  ce  n'est  pas  seulement  dans 
les  contes  bretons  que  cette  merveilleuse  histoire  figure  ;  elle  paraît 
d'origine  orientale  ou  au  moins  byzantine,  et  nous  la  trouvons  localisée 


1.  Un  détail  montre  combien  est  incontestable,  malgré  tant  de  divergences,  le 
lien  qui  attache  les  différentes  versions  de  notre  conte.  Le  nain  dit  ici  à  Carduin: 
«  Quand  tu  auras  frappé  ton  adversaire,  il  fuira  dans  une  chambre  voisine  ; 
garde-loi  bien  de  l'y  poursuivre,  car  son  dessein  est  de  revenir  par  un  détour 
connu  de  lui  et  de  te  frapper  par  derrière  «;  et  en  effet  c'est  ce  que  l'enchanteur 
essaie  plus  tard  de  faire.  Ce  trait  n'est  pas  dans  l'anglajs  ;  mais  il  a  laissé  dans 
le  français  une  trace  visible.  Lampart  dit  à  Guinglain  (v.  2807)  :  Et  tant  corn  vos 
amis  xo  vie,  Si  gardes  que  vos  n'entres  mi:  En  la  cambre  que  vos  verres;  mais  le 
motif  a  été  changé  (voy.  ci-dessus,  p.  4). 

2.  Nous  avons  ici  un  vrai  trait  de  conte  de  fées,  comme  le  montreraient  des 
•'-orochements  où  nous  ne  pouvons  entrer,  mais  assez  gravement  altéré. 

"'■'   Voyez  Rom.  X,  476,  477. 

i<om.in:a,  XIV.  2 


en  Grèce  et  singulièrement  reliée  à  des  souvenirs  de  l'antiquité  classique. 
Le  voyageur  anglais  Jean  de  Mandeville,  connu  par  ses  fables,  rapporte 
qu'en  passant  devant  l'île  de  Lango  (Cos),  il  entendit  raconter  que  la 
fille  du  fameux  Hippocrate  habitait  cette  île  sous  la  forme  d'un  dragon. 
Un  jour  un  jeune  homme,  ignorant  cette  circonstance,  avait  débarqué 
dans  l'île  et  y  avait  rencontré  une  jeune  fille  d'une  grande  beauté,  qui 
lui  avait  dit  de  revenir  le  lendemain,  et  de  lui  donner  un  baiser,  sans 
s'effrayer  de  l'apparence  sous  laquelle  il  la  verrait  :  il  la  délivrerait  ainsi, 
et  jouirait  avec  elle  de  Tîle  et  de  ses  trésors.  Le  jeune  homme  revint  ; 
mais  quand' il  vit  le  terrible  dragon  qui  s'avançait  vers  lui,  la  peur  le 
saisit  et  il  s'enfuit,  en  sorte  que  la  fille  d'Hippocrate  ne  fut  pas  désen- 
chantée. Elle  l'aurait  été  plus  tard,  si  Ton  en  croit  l'auteur  de  Tirant  le 
Blanc,  qui,  ayant  sans  doute  lu  Mandeville,  fait  mettre  l'aventure  afin  par 
un  certain  Èspertius,  lequel  d'ailleurs,  comme  le  héros  de  notre  poème, 
reçoit  le  baiser  au  lieu  de  le  donner.  La  légende  de  la  fille  d'Hippocrate, 
à  en  croire  des  témoignages  récents,  n'est  pas  encore  oubliée  dans  l'île 
de  Lango,  et,  malgré  le  récit  de  Jacques  Martorell,  on  croit  qu'elle  a 
conservé  sa  forme  de  serpent  et  qu'elle  attend  toujours  un  libérateur  ' .  On 
a  rattaché  cette  légende  au  fait  qu'Hippocrate  aurait  eu  un  petit-fils  (et 
non  un  fils)  du  nom  de  Dracon.  Il  est  plus  probable  que  dans  l'attri- 
bution de  cette  métamorphose  à  la  fille  d'Hippocrate  il  y  a  un  souvenir 
de  l'ancien  rôle  du  serpent  dans  le  culte  d'Esculape,  qui  a  dû  être  facile- 
ment confondu  avec  le  «  divin  «  médecin  de  Cos.  Quoi  qu'il  en  soit, 
l'aventure  même  se  retrouve  dans  bien  d'autres  endroits,  par  exemple 
dansV Orlando  furioso  duBojardo,  dans  les  Contes  amoureux  de ]ean  Flore, 
et  dans  beaucoup  de  récits  et  de  chants  populaires  de  divers  pays  qui  ont 
été  savamment  réunis  et  commentés  -.  Elle  a  pénétré  dans  les  contes  celti- 
ques, mais,  comme  bien  d'autres  éléments  de  ces  contes,  elle  n'est  pas 
d'invention  celtique  et  provient  d'une  source  étrangère. 

Le  personnage  auquel  le  poème  qui  est  la  source  de  la  version  an- 
glaise et  du  roman  de  Renaud  de  Beaujeu  a  rapporté  l'aventure  du 
«  fier  baiser  «  n'est  pas,  en  dehors  de  cette  aventure  qui  lui  est  originai- 
rement étrangère,  inconnu  à  la  littérature  arthurienne.  La  première  con- 
tinuation du  Perceval  de  Chrétien  de  Troies  raconte  que  Gauvain  eut 
d'une  demoiselle  qu'il  avait  rencontrée  dormant  sous  une  tente  dans  une 
forêt  5  un  fils,  qui  tout  enfant  fut  enlevé  du  château  de  Lis,  oii  il  vivait 


1.  Duniop's  Geschichtc  der  Prosadichtung,  ûbcrsdzt  von  Liebrecht,  p.  175. 
Nous  devons  dire  que  malgré  nos  recherches  nous  n'avons  trouvé  aucune  trace 
de  la  survivance  actuelle  de  ce  conte  dans  l'île  de  Cos.  , 

2.  Child,  The  tnglish  and  scoUish  popular  Ballads,  part  II,  p.   307.  | 

3.  Cette  demoiselle  a  un  père,  Méiiant  de  Lis,  et  deux  frères,  Morre  dt^ 


GUINGLAIN    OU    LE    BEL    INCONNU  l  C) 

avec  sa  mère,  plus  tard  adoubé  par  un  chevalier,  et  recueilli  par  la  «  de- 
moiselle esgaree  '  '>.  La  manière  fort  abrégée  dont  l'auteur  parle  de  ces 
aventures  montre  qu'il  se  référait  à  une  source  où  elles  étaient  racontées 
en  détail  ;  ce  qu'il  ditsuffit  en  outre  pour  nous  faire  voir  que  l'enfance  du 
fils  de  Gauvain  ressemblait  beaucoup  à  celle  de  Perceval  et  de  Tyolet  ; 
le  héros  primitif  de  l'aventure  du  «  fier  baiser  »  avait  aussi  une  pareille  en- 
fance, et  c'est  sans  doute  ce  qui  a  été  cause  qu'on  a  attribué  cette  aven- 
ture au  fils  de  Gauvain.  Le  récit  qu'avait  sous  les  yeux  le  continuateur 
du  Perceval  lui  prêtait  d'ailleurs  beaucoup  d'autres  exploits  auxquels  ce 
continuateur  s'est  contenté  de  faire  rapidement  allusion  :  après  avoir 
rappelé  le  merveilleux  écu  d'or  dont  le  jeune  chevalier  se  rendit  maître, 
il  ajoute  v.  20691  et  suiv.    : 

Mais  ne  me  loist  mie  arester 

De  ceste  aventure  conter 

Ne  des  autres,  dont  meut  i  a  : 

Si  com  la  sale  délivra, 

Ne  l'abatement  del  plancier 

U  on  le  dut  jus  trebucier, 

Ne  ke  il  tensoit  sor  le  pont 

Ciaus  ki  furent  monté  a  mont, 

Ne  le  hardement  des  degrés 

Que  il  fist  quant  il  fu  armés, 

Dont  li  pules  s'esmerveilla 

Et  li  rois  quant  il  l'esgarda, 

Car  moût  estoit  jovenes  d'eage  2  ; 

En  la  chambre  a  l'orne  sauvage 

S'en  entra,  qui  5  moût  estoit  biaus, 

Et  si  avoit  nom  Yoniaus  ; 

A  sa  fin  vos  voel  amener  ; 

Ceste  oevre  me  fait  sorparler. 


et  Bran  de  Lis;  ils  surprennent  Gauvain   auprès  de  leur  sœur  et  le  défient: 
Gauvain  tue  le  père  et  l'un  des  frères,  et  combat  plus  tard  l'autre  en  pleine  cour 
d'Arthur,  puis  se  réconcilie  avec  lui,   la  demoiselle   jetant  entre  eux  deux  l'en- 
fant qu'elle  a  de  Gauvain.  La  première  partie  de  ce   récit  (Perceval,    v.  16885- 
17481)  a  fourni  le  sujet  d'un  poème  anglais  du  xve  siècle,  dont  on  ne  possède 
qu'un  long  fragment  (Madden,  S}t  Gairayne,  p.  207  et  suiv.).  Il  est  remarquable 
que  l'aventure  de  Gauvain  avec   la   demoiselle  est  racontée  une  première  fois, 
dans  une  des  rédactions  de  cette  continuation,  tout  autrement  que  dans  le  récit 
''àisç^''*''^  plus  tard  Gauvain  lui-même  (v.  i  1987  ss.). 
"  .  ^^erceval,  v.  20387  et  suiv. 
•  çn|Le  ms.  suivi  par  M.  Potvin  porte  :  Car  moût  fu  jovenes  ses'eages,  et  au 
fil^giivant  :  a  l'orne  sauvages. 
._  .^e  ms.  de  Mons  porte  et  au  liei*  de  qui. 


Un  jour  il  rencontre  Gauvain,  joute  avec  lui  sans  résultat  ;  Gauvain 
lui  demande  son  nom,  mais  il  ne  le  sait  pas  lui-même  :  au  château  de 
Lis  on  ne  l'appelait  que  «  le  neveu  de  son  oncle  ».  Gauvain  le  reconnaît 
pour  son  fils,  se  fait  reconnaître  pour  son  père,  et  tous  deux  s'en  vont 
joyeux  à  la  cour  d'Arthur.  —  Nous  retrouvons  dans  ce  conte  un  lieu 
commun  de  la  poésie  épique  de  tous  les  peuples  :  le  combat  d'un  père 
et  d'un  fils  qui  ne  se  connaissent  ou  ne  se  reconnaissent  pas'.  Dans 
les  vers  que  nous  venons  de  citer  il  faut  voir  le  résumé  d'un  poème 
perdu  qui  racontait  la  vie  du  fils  de  Gauvain,  tout  autrement,  sauf  au 
début,  que  les  romans  que  nous  avons  étudiés  jusqu'ici.  Dans  ce  résu- 
mé, aucun  nom  ni  surnom  n'est  donné  à  ce  fils.  Mais  dans  la  seconde 
continuation  du  Perceval,  celle  de  Gaucher  de  Dourdan,  qui,  suivant 
toute  vraisemblance,  n'a  pas  connu  la  première,  il  apparaît,  d'ailleurs 
seulement  pour  un  instant  (v.  24523  ss.),  sous  le  nom  du  «  Bel  Desco- 
«  neù  ».  Sous  ce  surnom  et  le  nom  de  Guiglain,  il  fait  aussi  une  courte  et 
insignifiante  apparition  dans  le  roman  de  Tristan  en  prose  ,voy.  le  ms. 
franc.  B.  N,  750,  fol.  921.  «  Lo  bels  Desconogutz  »  est  cité  dans  le  ro- 
man provençal  de  Jaujré  parmi  les  chevaliers  de  la  cour  d'Arthur. 

Si  nous  avons  pu  nous  rendre  un  compte  à  peu  près  exact  du  rapport 
qui  existe  entre  notre  poème,  le  poème  anglais  et  le  poème  italien,  il  est 
beaucoup  plus  difficile  de  comprendre  celui  qui  l'unit  au  poème  allemand 
de  11 7^^/o/5_,  composé  en  Bavière,  vers  12 10,  par  Wirnt  de  Gravenberg. 
Les  ressemblances  sont  incontestables,  mais  intermittentes  :  Wigalois, 
qui  porte  visiblement  le  même  nom  que  Guinglain,  est  fils  comme  lui  de 
Gauvain  et  d'une  fée  ;  comme  lui  il  se  présente  à  la  cour  d'Arthur  et 
réclame  le  droit  de  suivre  l'aventure  que  vient  annoncer  une  jeune  fille 
accompagnée  d'un  nain  ;  comme  lui  encore,  il  est  d'abord  l'objet  des 
mépris  de  la  demoiselle;  il  lui  arrive  en  chemin  plusieurs  des  aventures 
que  rencontre  Guinglain,  celle  de  Lampart  ifort  différente  et  mise  en  pre- 
mier lieu),  celle  de  la  jeune  fille  délivrée  des  deux  géants  (avec  des  traits 
absolument  pareils',  celle  de  la  demoiselle  à  qui  il  pssure  le  prix  de  la 
beauté  lil  s'agit  ici  non  d'un  épervier,  mais  d'un  cheval  et  d'un  perro- 
quel^),  celle  du  chien  que  son  maître  veut  reprendre  à  la  compagne  du 
héros  (le  récit  allemand  est  plus  près  de  l'anglais  que  du  françaisi  ;  mais 
l'aventure  principale  n'offre  qu'une  vague  ressemblance  :  il  y  a  bien  un 
dragon,  une  bête  merveilleuse  qui  reprend  sa  forme  humaine  et  qui  révèle 
au  héros  le  nom  de  son  père,  une  princesse  délivrée  et  épousée  par  lui, 


1.  Voy.  les  remarques  de  M.  R.  Kœhler  dans  l'cdition  des  lais  de  Ma 
France  de  M.  Wanrke,  p.  xcvii.  'rie  de 

2.  Comme  dans  le  Conk  du  papcgaut.  petit  roman  épisodique  encore  |l 

/inédit. 


GUINGLAIN    OU    LE    BEL    INCONNU  2  1 

mais  tout  cela  ne  rappellerait  guère  l'histoire  de  Guinglain  si  la  similitude 
du  nom  et  la  ressemblance  d'autres  épisodes  ne  provoquaient  à  la  com- 
paraison. Au  reste,  l'histoire  de  Wigalois,  déjà  très  longuement  racontée 
dans  cette  dernière  partie,  ne  s'arrête  pas  encore  là  :  le  roman  a  toute 
une  fin  qui  ne  correspond  à  aucune  partie  du  roman  français  ;  il  a  de 
même  une  longue  introduction,  oiï  sont  racontées  les  amours  deGauvain, 
dans  le  pays  des  fées,  avec  Florie,  la  mère  de  Wigalois,  qui  pourrait 
bien  être  sortie  de  l'imagination  du  poète  allemand  '.  Pour  le  reste,  la  • 
question  est  aussi  compliquée  :  Wirnt  dit  à  deux  reprises  qu'il  ne  tire 
pas  son  sujet  d'un  livre,  qu'il  l'a  entendu  raconter  à  un  écuyer  -,  et  se 
plaint  des  difficultés  qu'il  a  ainsi  eues  à  le  bien  connaître  '.  Quelle  qu'ait 
été  la  source  où  Técuyer  avait  puisé  et  la  fidélité  avec  laquelle  il  a  com- 
muniqué son  information,  on  ne  peut  guère  douter  que  le  chevalier  bava- 
rois n'ait  pris  à  son  tour  de  grandes  libertés  avec  le  récit  qu'on  lui  faisait, 
ne  l'ait  amplifié  notablement  et  ne  l'ait  beaucoup  changé  4.  Il  termine 
son  ouvrage  en  nous  disant  que  Wigalois  et  la  belle  Larie  (c'est  le  nom 
de  l'héroine  eurent  un  fils  dont  l'histoire  est  bien  plus  belle  que  celle 
de  son  père  et  demande,  pour  être  dignement  traitée,  un  talent  que  lui, 
Wirnt,  ne  se  sent  pas;  cependant  il  s'y  essaiera  peut-être  si  un  meilleur 
ne  se  met  pas  à  la  tâche.  Ce  héros  s'appelait  d'après  lui  (<■  li  fort  Gawa- 
nides  »  s,  nom  singulier,  qui  parait  plus  latin  que  français;  il  est  complète- 
ment inconnu  d'ailleurs,  et  il  nous  semble  fort  probable  que  le  bon  Wirnt, 


1.  Cependant  dans  le  roman  inédit  de  Rtgonur  (cf.  Rom.  x,  495),  nous 
voyons  que  Gauvain  a  pour  amie  une  fée  appelée  Lorie,  ce  qui  ressemble  d'assez 
près  à  Florie. 

2.  Wigalois,  V.   152,  596,   11623. 

5.  Racontant  que  Gauvain  fut  renversé  et  pris  par  un  chevalier  inconnu 
(grâce,  il  est  vrai,  à  une  ceinture  magique),  le  poète  croit  devoir  dire  :  «  Jamais 
de  lui  on  n'avait  raconté  pareille  honte,  et  elle  ne  sortirait  pas  non  plus  de  ma 
bouche,  si  un  écuyer  ne  me  l'avait  dit  comme  une  entière  vérité,  mais  j'en  dis- 
pute tout  le  temps  avec  lui  y.  C'est. un  passage  à  joindre  à  ceux  qui  sont  cités 
ailleurs  sur  la  tradition  qui  présente  Gauvain  comme  invincible. 

4.  M.  Kœlbing,  dans  le  travail  cité  plus  haut,  admet  que  le  poème  anglais 
et  le  poème  allemand  représentent  deu.x  poèmes  français  perdus  ;  ces  deu.x  poè- 
mes (Det  \V)  forment  avec  le  poème  français  (R)  trois  dérivations  indépen- 
dantes d'une  source  perdue  (.v),  qui  était  sans  doute  déjà  un  poème  français,  et 
dont  nous  avons  l'imitation  la  plus  fidèle  dans  D,  la  plus  éloignée  dans  W. 
Mais  M.  Mebes  iUcber  dcn  Wigalois,  progr.  de  la  Realschuk  de  Neumùnster, 
ç^79)  a  montré  qu'il  y  avait  dans  W  des  passages  qui  ne  pouvaient  s'expliquer 
c|4e  comme  une  traduction  des  passages  correspondants  de  R.  Il  conclut  avec 
„  aisemblance  que  l'écuyer  de  Wirnt  avait  des  fragments  manuscrits  du  poème 

■  Renaud  ;  pour  le  reste,  :l  l'avait  entendu  raconter  :  sa  mémoire  avait  fort  mal 

■.enu    le  récit,    et    l'imagination   de  Wirnt   s'est  efforcée,   mais  sans  grand 

nheur.  de  compléter  ce  récit  tronqué  et  incohérent. 

; .    Wigalois,  v.   1  1639. 


tout  en  se  donnant  des  airs  d'ami  scrupuleux  de  la  vérité,  comptait  tirer 
de  sa  cervelle  toute  l'histoire  du  petit-fils  de  Gauvain.  En  tout  cas  il  en 
a  été  de  son  projet  comme  de  celui  que  Renaud  de  Beaujeu  annonce  en 
terminant  son  œuvre  :  rien  ne  nous  autorise  à  croire  qu'il  ait  été  exécuté. 

En  effet,  un  autre  ouvrage  de  VVirnt  de  Gravenberg  n'aurait  sans 
doute  pas  disparu  sans  laisser  de  traces,  attendu  le  succès  considérable 
qu'a  obtenu  celui  qu'il  nous  dit  être  son  premier  et  qui  paraît  être  resté  le 
seul.  Non  seulement  les  manuscrits  en  sont  nombreux,  mais  il  a  été  mis 
en  prose  et  ainsi  imprimé  plusieurs  fois  au  xvi''  siècle  ;  il  a  même  été 
l'objet  d'une  curieuse  version  en  judéo-allemand'.  En  outre,  une  5agu 
islandaise  et  un  livre  populaire  danois  sur  Gauvain  et  Vigolès  n'ont  pas 
d'autre  source  que  le  poème  de  Wirnt,  ou  plutôt  que  le  roman  en  prose 
allemande  qui  en  est  issu. 

Le  poème  de  Renaud  de  Beaujeu,  auquel  nous  revenons  en  terminant, 
a  été,  lui  aussi,  l'objet  d'une  rédaction  en  prose.  On  en  possède  trois 
éditions,  l'une  sans  date,  l'autre  de  1 550,  la  troisième  de  1 539,  toutes 
trois  parues  à  Lyon  chez  Claude  Nourry,  et  toutes  trois  fort  rares.  L'au- 
teur, qui  se  nommait  Claude  Platin  et  était  religieux  antonin',  a  réuni 
bizarrement  deux  romans  qui  n'ont  rien  à  faire  ensemble  ;  c'est  ce  qu'in- 
dique déjà  le  titre  de  la  publication  :  L'hystoire  de  Giglan,  fdz  de  messire 
Gauvain,  qui  fut  roy  de  Galles^  et  de  Geoffroy  de  Maience  son  compagnon, 
tous  deux  chevaliers  de  la  Table  Ronde.  Ce  Geoffroy,  mal  à  propos  sur- 
nommé de  Mayence,  n'est  autre  que  le  héros  du  roman  provençaWau/rf. 
Claude  Platin  a  entrelacé  son  histoire  avec  celle  de  Guinglain,  sans  même 
essayer  de  les  unir  quelque  peu  intimement.  Dans  son  prologue,  il  nous 
dit  :  «  Moy  frère  Claude  Platin,  humble  religieux  de  l'ordre  monseigneur 
sainct  Anthoine,  ung  jour  en  une  petite  librairie  la  ou  j'estoye  trouvai  ung 
gros  livre  de  parchemin  bien  vieil  escript  en  rime  espaignolle  assez  diffi- 
cile a  entendre,  auquel  livre  je  trouvay  une  petite  hystoire  laquelle  me 
sembla  bien  plaisant,  qui  parloit  de  deux  nobles  chevaliers,  qui  furent  du 
temps  du  noble  roy  Artus  et  des  nobles  chevaliers  de  la  Table  Ronde,  dont 


1.  Graesse,  D(>  grossen  Sagenkrcise,  p.  225-227. 

2.  Frère  Claude  Platin  ne  se  contentait  pas  de  mettre  en  prose  française  du 
provençal  qu'il  prenait  pour  de  l'espagnol  ;  nous  lui  devons    encore  le  Débat  de 
l'homme  et  de  l'argent,  plusieurs  lois  imprimé   su  xv"  et  au  xvi<=   siècle,  et  que 
M.  de  Montaiglon  a  inséré  dans  !e  t.  VII  (p.   502-529)  de  ses  Anciennes  Pocsu 
françaises.  Cette  pièce,  qu'on  a  voulu,  dans  certaines  éditions,  faire  passer  poi 
l'œuvre  du  poète  Maximien,  est  précédée  d  une  préface  où   on  lit  :   «  Laquel^ 
disputation    moy,   frère    Claude  Platin,    religieux   de  l'ordre    de    monseigne'  " 
sainct  Anthoine,  ay  translaté  de  langaige  ytalien  en  rime  françoyse  ».  Le  Dèb\ 
est  traduit  d'un  poème  italien  :  //  Contrasta  dcl  danaro  e  deW  iiomo;  voyez  Tat  de 
mirable  Ca'alogiic  des  livres  des  M.  lebaron  James  de  Rothschild,  t.  I,  p.  557^ 

''lit. 


GUINGLAIN    OU    LE    BEL    INCONNU  2] 

l'un  des  chevaliers  fut  nommé  Giglan,  qui  fut  filz  de  messire  Gauvain 
nepveu  du  roi  Artus,  lequel  Giglan  fut  roy  de  Galles  qu'il  conquist 
par  sa  prouesse  ;  et  l'autre  eut  nom  Geoffroy,  fils  du  duc  de  Maience. 
Ay  voulu  translater  ladicte  hystoire  de  celle  rime  espaignolle  en  prose 
françoise  au  moins  mal  que  j'ay  peu  selon  mon  petit  entendement,  a  celle 
fin  que  plus  facilement  peust  estre  entendue  de  ceux  qui  prendront 
plaisir  a  la  lire  ou  ouyr  lire.  «  Malgré  cette  déclaration,  il  ne  faudrait 
pas  croire,  comme  on  l'a  fait  ',  que  Claude  Platin  a  réellement  traduit  un 
roman  espagnol  fondé  lui-même  sur  le  poème  de  Renaud  de  Beaujeu  :  il 
est  certain,  et  par  la  forme  des  noms  propres  =  et  par  d'autres  rapproche- 
ments, que  c'est  ce  poème  même  sur  lequel  a  travaillé  le  prosateur.  Ce  qu'il 
dit  de  «  rime  espaignolle  »  ne  s'applique  qu'au  roman  de  Jaufré  ;  il  a 
pris,  comme  bien  d'autres  de  son  temps,  du  provençal  pour  de  l'espa- 
gnol, et  il  a  étendu  à  l'autre  ouvrage  qu'il  mettait  en  prose  ce  qui  ne 
s'appliquait  qu'au  premier.  C'est  donc  en  vain  qu'on  rechercherait  l'ori- 
ginal de  Claude  Platin  parmi  les  manuscritsdes  bibliothèquesespagnoles  '. 
La  rédaction  de  frère  Claude  nous  a  paru  généralement  fidèle  ;  il  faut 
remarquer  seulement  qu'au  début  du  récit  elje  intercale  un  épisode  assez 
intéressant  qui  n'est  pas  dans  le  poème.  Giglan  vient  d'arriver  à  la  cour 
d'Arthur,  quand  une  demoiselle  s'y  présente,  accompagnée  d'un  cheva^ 
lier  qui  vient,  dit-il,  se  disculper  d'avoir  tué  Gauvain  en  trahison  et  pro- 
voque ceux  qui  douteraient  de  sa  loyauté.  Au  milieu  du  deuil  que  la 
nouvelle  de  la  mort  de  Gauvain  répand  dans  la  cour,  le  Bel  Inconnu 
demande  et  obtient  la  faveur  de  le  venger  ;  il  est  cependant  prévenu  par 
le  sénéchal  Keu,  mais  celui-ci,  selon  sa  coutume,  subit  un  échec  ridicule. 
Le  combat  entre  Giglan  et  le  chevalier  inconnu  reste  longtemps  indécis  ; 
enfin  celui-ci  lève  son  heaume  et  se  nomme:  c'est  Gauvain  lui-même  ; 
il  raconte  qu'un  félon  chevalier  avait  pris  son  nom,  et,  sachant  que  la 
demoiselle  qui  l'accompagne  s'était  éprise  de  Gauvain  sur  sa  renommée, 
avait  voulu,  sous  ce  masque  usurpé,  non  seulement  la  séduire,  mais  lui 
faire  violence  :  Gauvain  était  survenu  précisément  à  temps  pour  la  sauver 


1.  Hippeau,  Le  licl  Inconnu,  p.  i. 

2.  Le  r.om  «  Giglan  »  semblerait  seul  avoir  une  forme  méridionale,  mais 
Emerie  (Esmerie),  la  Gaste  Cité,  l'Ile  d'Or  et  plusieurs  autres  n'ont  certainement 
pas  passé  par  une  langue  étrangère.  Nous  avons  déjà  vu  que  la  mère  de  Giglan 
est  appelée  «  Blanchevalee  »  (fol.  O  ii  vo)  ;  il  est  singulier  que  dans  le  premier 
chapitre,  énumérant  les  principaux  chevaliers  de  la  Table  Ronde,  l'auteur  dise: 
Il  Giglan  qui  fut  filz  de  messire  Gauvain  et  de  la  f;ie[e]  Helinor  ». 

3.  Il  existe  bien  en  espagnol  une  imitation,  assez  libre  et  fort  médiocre,  de 
Jaiiftc,  le  roman  de  Tablante  de  Ricamonte  ;  mais  en  comparant  ce  roman  à 
celui  de  Claude  Platin,  on  voit  clairement  qu'ils  ne  proviennent  pas  l'un  de 
l'autre,  et  que  tous  deux  remontent  directement  au  poème  provençal. 


24  G.    PARIS 

et  tuer  l'usurpateur  de  son  nom.  A  cette  révélation,  la  joie  est  grande, 
comme  on  pense,  et  la  demoiselle,  charmée  d'apprendre  que  ce  Gau- 
vain  qu'elle  aimait  n'est  ni  indigne  ni  mort,  est  encore  plus  contente  de 
le  prendre  pour  époux.  Nous  avons  là  sans  doute  le  résumé  d'un  petit 
poème  épisodique  sur  Gauvain,  qui  peut  compter  parmi  les  plus  heu- 
reusement imaginés  ;  l'auteur  de  ce  poème  avait  habilement  utilisé  un 
trait  qui  se  retrouve  souvent  dans  nos  romans,  où  plus  d'une  jeune  fille, 
sur  la  grande  réputation  du  neveu  d'Arthur,  déclare,  sans  l'avoir  vu, 
qu'elle  n'épousera  jamais  que  lui.  Ce  récit  n'avait  originairement  rien  à 
faire  avec  Guinglain,  et  c'est  un  troisième  élément  que  Claude  Platin  a 
fait  entrer  dans  sa  compilation  ;  en  donnant  à  Guinglain  le  rôle  du  che- 
valier qui  combat  Gauvain,  il  a  produit  une  nouvelle  variation  du  thème 
du  combat  d'un  fils  contre  son  père,  que  nous  avons  déjà  rencontré  dans 
le  Percerai,  également  appliqué  à  Gauvain  et  à  son  fils. 

L.e  roman  en  prose  de  frère  Claude  Platin  a  été  analysé  par  le  comte 
de  Tressan,  dans  la  Bibliotliècjiie  des  Romans  i  octobre  1777',  avec 
l'inexactitude  et  les  enjolivements  qui  caractérisent  les  «  extraits  »  de  ce 
galant  vulgarisateur '. 

Gaston  Paris. 


I.  M.  Koelbing,  dans  le  travail  plusieurs  fois  cité,  a  cru  à  la  fidélité  de  l'ana- 
lyse de  Tressan,  ce  qui  l'a  induit  à  porter  un  jugement  erroné  sur  la  version  de 
Claude  Platin. 


LES 

PROVERBES  DE  GUYLEM  DE  CERVERA 


POEME    CATALAN    DU    XliT    SIECLE 


Le  poème  que  nous  publions  ci-dessous  in  extenso  pour  la  pre- 
mière fois  a  été  signalé  à  diverses  reprises  par  les  savants  qui  ont 
travaillé  à  la  bibliothèque  Saint-Marc  de  Venise.  Le  bibliophile  Jacob  ', 
Keller^  Paul  Heyse?,  K.  Bartsch4  ont  donné  quelques  extraits  du 
manuscrit  CIV  6  qui  nous  a  conservé  la  majeure  partie  de  l'œuvre  de 
Guylem  de  Cervera,  Milâ  y  Fontanals  s  a  reproduit  les  soixante  premiers 
quatrains  et  les  six  derniers,  qui  avaient  été  publiés  par  Heyse,  et  les  a 
fait  précéder  d'une  notice  sur  l'auteur,  ou  plutôt  sur  la  famille  catalane 
de  Cervera.  Est-il  bien  sûr  que  notre  auteur  appartînt  à  cette  famille  i* 
On  trouve  dans  les  Layettes  du  Trésor  des  Chartes  une  lettre  adressée  au 
roi  de  France  Louis  VIII,  vers  la  fin  d'avril  1226,  par  un  seigneur  du 
nom  de  «  Cuillelmus  de  Cervaria  »,  qui  lui  offre  ses  services  contre  les 
Albigeois  et  annonce  que  l'abbé  de  la  Grasse  fournira  au  roi  des  détails 
plus  précis  à  ce  sujet.  Teulet,  qui  a  publié  cette  pièce  6,  a  cru  qu'il 
s'agissait  en  effet  d'un  seigneur  catalan  de  Cervera;  mais  Boutaric  7 
pense  avec  raison  que  Cervaria  désigne,  dans  cette  lettre,  la  localité  de 
Serviés-en-Val,  près  de  l'abbaye  de  la    Grasse,  dans    le  département 


I  .   Dissertations  sur  t^uel^ues  points  curieux  de  l'histoire  de  France  et  de    l'Iiis- 
toirc  littéraire^  t.  VII,  p.  149. 

2.  Romvarf^  p.  1. 

3.  Romanischi  Inedita,  p.   13-20. 

4.  C/irw/. /TOI'.,  3«  éd.,col.  305-506. 

y  Los  Trovadores  en  Espana,  p.  551-357. 

6.  Lavettes,  t.  II,  pièce  n"  1776. 

7.  Saint  Louis  et  Alphonse  de  Poitiers,  p.  37. 


2b  A.    THOMAS 

actuel  de  l'Aude.  Faut-il  de  même  retirer  notre  poème  à  la  Catalogne 
pour  le  rendre  au  Languedoc?  Je  ne  le  crois  pas.  L'origine  catalane  de 
l'œuvre,  et  par  suite  de  l'auteur,  y  est  trop  fortement  empreinte  pour 
qu'on  puisse  la  méconnaître.  Je  ne  parle  pas  de  l'orthographe  du  manus- 
crit: il  se  pourrait  que  le  scribe  seul  en  fût  responsable.  Mais  ce  qui 
trahit  bien  un  auteur  catalan,  ce  qui  ne  pourrait  en  aucun  cas  se  trouver 
chez  un  Languedocien,  c'est  le  mélange  à  la  rime  des  e  fermés  et  des  e  ou- 
verts que  nous  offre  fréquemment  notre  poème.  En  voici  quelques  exem- 
ples: qu.  19  ligèts:  trobaréts;  28  trobaréts :  -^^bés:  adès ;  76  pè :  bé; 
226  jés:  portés;  371  pogués :   senyoragès ;  527  es  :  adcs,  etc. 

La  supposition  de  Milâ  y  Fontanals  est  donc  juste.  D'autre  part,  je 
pense  avec  lui  que  les  vers  du  huitième  quatrain  contiennent  une  allu- 
sion à  la  croisade  de  1 270  :  par  conséquent  il  ne  faut  pas  songer  à  iden- 
tifier notre  poète  avec  le  personnage  historique  du  même  nom  qui  joua 
un  rôle  important  en  Catalogne  dans  la  première  moitié  du  xiir  siècle  et 
qui  mourut  en  1245.  Il  est  possible  que  notre  Guylem  soit  le  même  que 
Guylem  de  Cervera,  surnommé  el  gordo,  ainsi  que  MiLi  incline  à  le 
croire  ;  mais  cette  identification  est  en  somme  d'un  mince  profit,  puisque 
nous  ne  savons  à  peu  près  rien  sur  ce  personnage,  sinon  qu'il  apparte- 
nait à  la  même  famille  que  le  précédent. 

Le  poème  de  Cervera  n'a  aucun  titre  dans  le  manuscrit  de  Venise.  Je 
lui  ai  donné  celui  de  Proverbes,  me  conformant  à  la  pensée  exprimée  par 
l'auteur  au  quatrain  22,  où  il  appliquée  son  œuvre  le  nom  de  verses 
proverbiiils,  en  l'opposant  aux  vers  légers  qu'il  avait  autrefois  composés. 
Ces  Proverbes  ne  sont  pas  toutefois,  comme  on  l'a  dit  ',  une  simple  para- 
phrase des  proverbes  de  Salomon.  Cervera  a  emprunté  beaucoup  au 
Livre  des  Proverbes  comme  aux  autres  livres  de  la  Bible,  mais  son  œuvre 
est  dans  une  certaine  mesure  originale,  sinon  pour  le  fond  des  pensées, 
du  moins  pour  la  forme  qu'il  leur  a  donnée.  Nous  avons  affaire  à  un 
recueil  de  maximes  et  de  préceptes  de  conduite  analogue  au  Libre  de 
Seneca  publié  en  18)6  par  M.  Bartsch;  c'est,  en  plus  petit  et  moins  les 
allégories,  une  encyclopédie  morale  assez  semblable  aux  Documcnti  de 
Barberino.  Cervera,  il  est  vrai,  est  loin  d'avoir  l'immense  érudition  du 
docte  notaire  florentin.  Pourtant  quand  il  déclare  au  début  de  son  poème 
ne  pas  savoir  le  latin,  il  ne  faut  pas  trop  prendre  sa  déclaration  au  pied 
de  la  lettre.  Il  est  bien  difficile  de  croire  que  pour  les  nombreuses  sen- 
tences qu'il  a  empruntées  à  la  Bible,  aux  Pères  de  l'Eglise  et  au  Pseudo- 
Caton,  il  se  soit  servi  de  traductions  en  langue   vulgaire.   Ce   qui  est 


1.  Bartsch,  Gniminss  dcr  prov.  Lit.,  p.  4^. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA  27 

exact,  c'est  que  beaucoup  de  ses  lectures,  à  en  juger  par  les  réminis- 
cences qu'elles  lui  ont  laissées,  sont  celles  d'un  laïc  instruit  plutôt  que 
d'un  clerc.  Il  connaît  le  roman  de  Renart  (qu.  625),  la  chanson  de  geste 
de  Basin;i  14$,  les  poèmes  sur  Alexandre  ipassim]  et  sur  Tristan  997  et 
surtout  une  quantité  de  fables,  de  contes  et  de  nouvelles  dont  la  mention  est 
peut-être  pour  nous  la  partie  la  plus  intéressante  de  son  poème  '.  Ce  ne 
sont  pas  seulement  ses  lectures,  mais  sans  doute  aussi  ses  voyages  qui 
lui  ont  laissé  des  souvenirs  :  c'est  vraisemblablement  au  delà  des  Alpes 
qu'il  a  appris  les  vers  italiens  qu'il  nous  a  transmis  (166  . 

Le  texte  de  Cervera  s'arrête  dans  le  manuscrit  de  Venise  au  milieu  du 
feuillet  49  v%  après  le  quatrain  1 169.  Une  main  postérieure  a  ajouté  en 
manière  d'explicit  :  Finiio  libro  sit  Lus  gloria.  Hamen  ;  mais  il  est  évident 
que  ce  n'est  pas  là  la  véritable  fin  de  l'œuvre.  Les  feuillets  50  et  5 1  ont 
été  laissés  en  blanc,  et  la  même  main  [de  la  fin  du  xiii''  siècle)  qui  a  écrit 
le  poème  de  Cervera  a  transcrit,  à  partir  du  f"  52,  une  composition  de 
Serveri  de  Gerona  dont  le  début  fait  défaut  ^.  Notre  manuscrit  semble 
donc  copié  sur  un  autre  manuscrit  où  deux  feuillets  auraient  été 
arrachés  :  ces  deux  feuillets  devaient  contenir  à  la  fois  la  fin  des  Pro- 
verbes et  le  début  du  petit  poème  de  Serveri  de  Gerona.  Si  cette  conjec- 
ture est  juste,  il  ne  nous  manque  que  peu  de  chose  de  l'œuvre  de  Guy- 
lem  de  Cervera. 

Au  xv"  siècle,  un  Majorquin  nommé  Pach,  qui  se  qualifie  de  sobrecoch 
cuisinier  en  chef)  de  Jean  1,  roi  d'Aragon,  a  cité  plusieurs  fois  notre 
poème  dans  une  composition  morale  dont  la  Bibliothèque  nationale  pos- 
sède deux  mss.  complets  ifonds  espagnol  n'*  54  et  55  3),  et  qui  a  été 
publiée  à  Barcelone,  d'après  une  copie  incomplète,  dans  le  tome  XIII  de 
la  Coleccion  de  documentas  inedkos  dei  archivo  de  la  Corona  de  Aragon^ 
pp.  186  à  301.  Par  une  bizarrerie  singulière,  Pach  cite  constamment  les 
couplets  qu'il  rapporte  sous  le  nom  de  Serveri  :  E  per  ço  diu  Serveri. . . 
ou  simplement  ^m  Se/Tm.  Il  est  probable  qu'il  avait  un  ms.  où,  comme 
dans  celui  de  Venise,  l'œuvre  de  Guyllem  de  Cervera  était  jointe  à  quelque 
poème  de  Serveri,  et  qu'il  n'aura  pas  fait  la  distinction  des  deux  auteurs. 
Mon  ami  M.  Morel-Fatio  a  bien  voulu  me  copierles  passages  cités  dans  la 
compilation  de  Pach.  Ils  avaient  du  reste  été  indiqués  pour  la  plupart  dans 


1.  Voyez  le  mot  istoria  à  l'Index. 

2.  P  Heyse  a  donné  des  extraits  de  cette  composition,  extraits  reproduits 
par  Mila  y  Fontanals.  J'avais  copié  le  texte  complet  de  Serveri  en  même  temps 
que  celui  de  Cervera,  c'est-à-dire  au  mois  d'octobre  1880,  avec  l'intention  de 
les  publier,  mais  j'ai  été  devancé  par  M.  Suchier  dans  ses  Dcnkm.:lcr  prov. 
Literiitur  luid  Sprachc,  p.  256-271. 

;.  N"^  21  et  22  du  Catalogue  de  M.  Morel-Fatio. 


28  A.    THOMAS 

les   Tromdores  en   Espana   de  Milâ  y  Fontanals,  (p.  5721,  qui  les  avait 
tirés  de  l'édition. 

Je  n'ai  fait  au  texte  du  manuscrit  que  le  minimum  indispensable  de 
corrections,  c'est-à-dire  que  j'ai  conservé  toutes  les  inconséquences  gra- 
phiques quand  elles  ne  gênaient  ni  le  sens  ni  la  mesure.  Je  publie  les 
vers  de  Cerverasous  forme  de  quatrains  de  six  syllabes  à  rimes  croisées; 
dans  le  manuscrit  ils  sont  disposés  comme  des  vers  de  douze  syllabes 
rimant  à  la  fois  par  le  premier  et  par  le  second  hémistiche.  Il  m'a  semblé 
que  la  disposition  du  manuscrit  était  purement  matérielle  et  ne  préjugeait 
pas  la  question  de  savoir  dans  quel  mètre  a  voulu  écrire  Cervera.  Or, 
pour  une  œuvre  de  ce  genre,  il  est  plus  naturel  d'admettre  des  vers  de 
six  syllabes  que  des  vers  épiques  de  douze  :  Serveri  de  Gerona  écrit 
en  vers  de  six  syllabes  rimant  deux  à  deux  et  Guiraut  Riquier  égale- 
ment. J'ajoute  —  et  c'est  M.  P.  Meyer  qui  me  suggère  cette  remarque  — 
que  le  catalan  ne  connaît  guère  de  vers  de  douze  syllabes  avec  la  césure 
épique. 

Antoine  Thomas. 


I .   Sitôt  letra  no  say,         /.  i 
Eu  Guylem  de  Cerveyra 
Als  plans  comenseray 
Plan'  obra  vertadeyra. 


^ .  Mas  am  ezay  amat 
Es  enquer  amaray, 
E  pas  etz  ay  passât 
E  ligeligiray. 


2.   Mas  nom  conexeran, 
Jes  ne  m'entendran  be: 
Can  mon  nom  ausiran 
Nels  sovendra  de  me. 


6.   Car  ligir  ditz  emblar, 
Per  qu'emblar  volgra  mi 
A  tôt  vil  malestar, 
C'aytal  emblar  vey  fi. 


] .   No  conosc  ablatius, 
Singulars  ni  plurals, 
Verbs,  oblicz,  sostantius, 
Ne  mudes  ne  vocals, 


7.    E  ligirs  coylir  dits, 
Per  qu'eu  volgra  cuylir 
Amor,  plasers,  servis, 
Ab  poder  de  servir. 


4.   Prétérits  ne  presens, 
Consonans,  leonismes. 
Ne  absens  ne  accens, 
Ne  comtes  d'argorismes. 


8.    R  ligirs  passar  dits, 
Per  qu'eu  volgra  passar 
Ab  los  très  reys,  guarnits 
De  tôt  arnes,  la  mar. 


coylir. 


b  Heyse  i7  /u  en .  —  4  c  dragorismes.  —  6  </  ney. 


E  ligits  dits 


8  a  K  li^its. 


9.    E  ligirs  dits  ligir 
Can  hoin  la  letra  lig 
E  iriar  ez  eslir, 
Siiot  be  no  config 


LES  PROVEKbES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 
17 


b» 


E  no  podrets  far  re 
Ni  menar  ab  les  mas 
Quel  cor  noy  an  dese. 
En  bocha  ni  en  nas 


29 


0.  Eslir  volgr'  e  triyar, 
Si  pogues,  mal  e  be 
El  be  pendre,  laixar 
Lo  mal,  c'axis  cove. 


No  pot  hom  re  sentir 
Quel  cor  ades  noy  an. 
Tuyt  me  poran  ausir, 
Mas  be  no  m'entendran. 


1 1 .    E  volgre  ligir  libre  s 
On  conagues  cals  suy, 
Ecolmonvay,  con  gibrefs) 
Cals  seray  e  cals  fui. 

12  .    Fiyl,  per  vos  altres  die 
Aquestz  dits  planamen, 
Car  volgra  fossats  rie 
De  saber  e  de  sen. 


9.   Fiyl,  vos  cuylets  enblan 
E  pessats  e  ligets 
Axi  con  dits  devan, 
Que  iigen  trobarets, 

!o.  Si  sebets  legir  be 
E  triar,  tal  seber 
Que  vos  metex  e  me 
Complirets  de  plaser. 


1 5 .   Esguardan  m'escoutats     i'" 
E  de  cor  m'entendets, 
E  can  be  m'entendais 
Mos  plans  dits  retenets, 

14.  Qu'escoutars  sens  entendre 
Fa  mays  trop  mal  que  be. 
Qui  escouta,  rependre 

Se  fay,  can  no  rete 

15.  Lo  be  c'als  bons  aus  dire 
E  laix'anar  lomal, 
Corn  no  deu  re  escriure 
Hon  perda  son  jornal. 

16.  Tots  vostres.v.  sens  vuyl 
Metats  en  l'escoutar, 

Car  lay  hon  guardon  l'uyl 
Fan  desel  cor  virar. 


21  .   Sitôt  non  ay  seber, 
Engeyn  subtil  eprim, 
Cor  ay  c'a  mon  poder 
Ades  aplan  e  lim 

22.  Verces  proverbials, 

En  loc  de  ceyls  c'ay  fayts 
Leugers  e  venarsals 
C'ay  en  cantan  retrayts. 

23 .  Dels  proverbis  que  fe 
Le  savis  Selamo 

Hi  pauseray  granre 
Per  gensar  la  reyso. 


24. 


Si  volets  c'om  vos  am, 
Amats  de  bon'  amor  ; 
No  camjets  per  aram 
Aur,  ne  seyn  per  foylor. 


q  f  E  matez  eslir.  —  24  <?  i  Se\ec.\.,  Epist.  ix.  4  :  Si  autem  vis  amari,  ama 


2  5-   Ab  re  tan  be  nos  pren  if. 
Focz,  corn  ab  autre  foc; 
Amors  aman  s'encen 
Mils  c'ab  als,  en  tôt  loc. 


32  .   Re  no  pren  comensar, 
Si  non  a  bona  fi. 
Not  cal  tu  eys  lausar, 
Qu'els  fayts  conex  hom  mi. 


26.   Sobre  tôt  amats  Dieu 
E  vostres  pruymes  si 
Com  vos  metex,  car  grieu 
Porets  falir  axi. 


3  3 .    Puys  Deus  asira  cel 
Qui  s'engana,  can  part. 
Que  pora  far  de  ce! 
C'assi  no  rete  part  ? 


27,   Trop  fayrets  gran  foldatis: 
E  fait  descuminal 
S'essér  cuyats  amat  si 
Fer  cel  cuy  volets  mal. 


14.   Tu  qui  parts  tot[sjtos  bes, 
Si  tu  matex  non  as 
E  rendras  comt'  ades 
A  Dieu^  que  li  diras  ? 


28.   Ab  mi  no  trobarets 
Bon'  amor  paternal, 
Fiyl,  si  vos  no  m'avets 
Bon'amor  filial. 


3  S .   Gardar  vols  de  morir 
Lo  cors  qui  t'aduts  mort, 
E  l'arma  vols  aucir  ? 
A  tu  matex  fas  tort. 


29.  A  l'un  ensenyarai, 

E  si  vol  l'autre  apendre, 
Ascolt  so  que  diray, 
Car  be  s' i  pot  entendre. 


36.   Qui  non  es  passiens 
Non  a  autruy  ni  si; 
Passiencia  vens 
E  s'esforsa  ses  fi. 


30.   Ja  no  ams  ton  paren 
Aytant  cant  us  ne  sia 
Ab  lo  teu  malvolen, 
Car  tôt  ton  dan  volria. 


37.   Tots  hom  savis  soana      [v" 
Lo  foyl  e  sa  paria  : 
Qui  si  metes  enjana, 
A  cal  leyal  séria  .'' 


3 1 .   Mos  parents  sis  restrayn 
En  far  mon  desplaser, 
Aytant  con  plus  me  tayn 
Me  doblemal  seber. 


Tu  qui  vius,  aies  cura 
Que  la  mort  no  t'enjan; 
Forts  causa  es  e  dura 
Que  mort  an  vius  sobran. 


[cité  dans  le  Moralium  dogma  public  sous  le  nom  de  Gautier  de  Chdtillon,  chap. 
xviii).  —26  a  amenas.  —  50  b  uesia.  —  36  />  atruy  {lu  par  He)scz\v\mu\^\ 
—  36   .  es  sesforsa. 


1  ES    PROVERFiEi    DE    GUYLEM    DE    CERVERA 
46 


59.    Le  coloms  guard'  el  riu 
L'ombra  de  l'esparver; 
Ans  que  perdes  ton  briu. 
Guardet  de  Lucifer. 


Si  corn  la  flors  se  te 
El  ram  contrel  fort  ven, 
Beyla  dompnas  soste 
Ab  soptil  parlamen. 


40.   Veri,  glay,  ni  turmen 
No  son  tan  temedor 
Con  desordenamen 
De  mal  e  brau  senyor. 


47 .    L'estopa  lexeras 

Près  del  foc,  pus  vent  fay  ? 
Car  no  l'enlèveras, 
A  gran  ventura  stay. 


41 .  No  deu  hom  desirar 
Sobr'  autre  senyoria 
Mas  pel  poble  selvar 
E  c'als  bashumils  sia. 


48.    Ben  es  orb  qui  orb  guia. 
Es  orb  qui  orb  aten. 
Et  orbs  qui'n  femnas  fia. 
Tal  m'au  qui  no  m'enten. 


42.   Sil  vis  te  fay  doler 
E  vols  massa  parlar, 
Cayla  e  vay  jaser 
E  fay  l'autr'  enayguar. 


49.   Qui  no  a  hoyls.orbses  1/. 
E  pus  orbs  qui  liuyls  a, 
Pus  no  ve  mais  ni  bes 
Ni  cone.x  so  que  fa. 


43 .   De  parlar  pots  apendre 
Caylan,  e  no  parlan 
De  caylar  sens  rependre: 
Savis  rete  caylan. 


50.   Qui  fer  en  l'aguylo 
Mal  se  fay  de  la  ma. 
Cavaylssens  espero 
A  se  volentat  va. 


44.  Can  la  rosa  métras 
Fresqu'en  aygua  buylen, 
Ja  puys  no  l'en  trayras 
Beyla  ni  be  olen. 

45 .  Si  dona  met  la  ma 
En  aygua  d'  amaror, 
Tant  tost  no  l'en  trayra 
Que  noy  laix  sa  valor. 


5 1  .   Greu  pot  hom  d'avol  mayre 
Bona  fiyla  tenir  ; 
Pero  vist  ay  de  payre 
Bon  avuel  fiyl  noyrir. 

^2.   Can  humilitats  raya, 
Bas  estan  a  pleser; 
Car  non  ha  [hom]  on  caya, 
Per  so  no  pot  caser. 


41  b  autra.  —  4^  b  de  maror.  —  47  d  uenturas.  —   51  c   Heyse  a  lu  de  bon 
paire,  mais  il  y  a  dans  le  ms.  un  signe  indiquant  qu'on  doit  intervertir  les  mots 


it  lue  comme  nous  taisons. 


5  5  •   Can  humilitats  mon 
Pus  ait  que  res  qui  sia, 
Pus  bays  que  res  del  mon 
Crey  eu  c'orgoyls  estia. 

5  4 .   Can  orguyls  puia  ait 
Que  bas  no  pot  estar, 
Cax  bas  e  pren  tal  sait 
Que  puys  non  pot  levar. 

5^ .    Si  vol  cuylir  plaser, 
Plasers  deus  semenar  : 
Qui  bon  fruyt  vol  aver, 
Bon  arbre  deu  plentar. 


6i .   En  foyl  merce  atens, 
Tu  qui  non  as  merce? 
Si  aus  e  no  entens, 
Sos  dits  pert  quit  diu  re. 

62 .   Can  il  senyor  an  guerra, 
Compren  ho  a  cabal 
Li  mesqui  de  la  terra 
Qui'n  re  no  meton  mal. 

65.    Molt  mays  te  val  li  affars 
De  l'amie  quit  désira 
Que  no  fa  le  baysars 
D'enemic  qui  t'asira. 


V") 


56.   Can  senyer  sofer  fayts 
Desordonats  als  seus, 
Sobre  luy  tornal  trayts 
Cals  fassens  defar  deus. 


64.  Janot  fassa  sotmes 
Peccats  a  ton  vesi, 
C  om  d'aytants  servents  es 
Corn  a  peccats  en  si. 


57.  Ben  guarda  ta  mayso 
De  companyo  malvat, 
Car  en  mal  companyo 
Pert  hom  l'onor  el  grat. 


65 .   Nuyls  hom  no  pot  valer 
Pus  c'autra,  so  sapchats, 
Mas  ceyl,  so  say  per  ver, 
Cuy  drets  enjeyns  es  dats. 


58.   Hom  conox  en  la  plasa 
Si  dona  val  ho  no 
Can  la  serventa  passa 
Menant  vil  fayt  0  bo. 


GG.   El  libre  dits  dels  Reys 
Que  als  no  es  noblea 
—  Guarda  tu  cossit  creys 
Masentigua  riquesa. 


5  9 .   Not  vuyles  far  amichs 
D'ome  fais  ne  hyros, 
Quelis)  fais  aduts  destrichs 
E  l'hyros  mou  ten 


67 .  Si  âmes  la  riquesa 

Del  mon,  no  auras  fruyt  ; 
No  camjes  te  certea 
Per  altruv  nesi  cuyt. 


60.   Leyals  fa  leyaltats, 
Guardan  de  feyliments, 
E  l'hyros  no  trempats 
Adoucix  pasients. 


68.   Seguir  la  voluntat 

Fayts  vas  es  d'equest  mon 
Pus  Deus  t'a  dreyt  format, 
Guarda  tos  fayts  com  son. 


H  a  Car.  —  58  t^  ni!  fayt.  —  G<,  b  sosebgats.   —  66  Cdtc  c'Uatlon  m  semhh 
pas  se  retrouver  dans  I:  livre  des  Rois. 


LES    PROVERBES    DE    GUYLEM  DE    CERVERA 

69.   Deus  te  guarde  de  mais  76.  Lo  porchs  met  aytant  leu 

Et  donals  bens  don  vius;  Al  fane  lo  morr  col  pe; 

E  s'al  diable  vais,  Tu  qui  deus  lausar  Dieu 

Sils bensperts,  not  n'esquius.  Fay  laus  laigs  laxan  be. 


70.   Mal  fas  tu,  qui  del  meu 
Tefas  manents  e  richs, 
E  puys  dones  lo  tieu 
A  mos  mais  enamichs. 


77,   Sil  porchs  el  caix  ténia 
D'aur  .j.  asaut  anel, 
Pus  lieu  lo  pausaria 
Al  fa[n]c  qu'en  mi  loc  beyl. 


Dona  al  creador 
So  que  l'auras  promes  : 
Membret  del  pescador 
E  del  guat,  cossil  près. 


Menys  es  que  porchs,  quels 
No  vols  al  fane  pausar     [pas 
E  mes  la  lengua  t'es 
Als  laigs  peccats  lausar. 


72  .   Aytant  es  mays  lausats 
Bas,  can  conquer  honor. 
Con  auts  es  meyns  preats, 
Merman  prêts  e  valor. 


79.   Beyl  dit  son  anel  d'aur, 
Lausan  Dieu  quils  meylura 
No  meteston  tresaur 
Dins  avol tencadura. 


73.   Qui  apeyla  freytura       /.  41 
Tots  los  abondaments 
D'aquest  mon,  dits  dretchiura 
E  no  li  fayl  sos  sens. 


80.  Volpeyls  mor  en  trepayle, 
Metges  va  mal  querent, 
Ardits  viu  en  batayle 
El  pro  van  prêts  seguent. 


74.   Mays  val  esser  amats 

Trop  mays  per  sos  sotsmes 
Que  lemuts  ni  duptats  : 
Notât  lo  fayt  cals  es. 


i .  Can  bielas  raysos  dias, 
Si  les  vols  enantir, 
Garda  près  tais  esties 
Qui  les  sapchon  gresir. 


7^ .     Malvade  voluntats 
Non  es  fesels  ni  ferma. 
Per  que  fug  trop  ivats, 
E  qui  la  te,  bes  merma. 


82, 


Le  savi  dits:  Tôt  di 
Garda  ab  qui  seras, 
C'autra  fera  foylia 
Etu  la  compreras. 


'/O  b  fayts.  —  ji  en  marge:  Nota  asi  istoria  de  .j.  pescador.  —75  c  iuats; 
sur  attc  forme  qui  semble  dériver  d'une  fausse  lecture  du  prov.  viatz,  voy.  Mus- 
safia,  au  glossaire  de  son  édition  des  Sept  Sages,  sous  ivas.  On  trouvera  plus  loin 
ivasosamens  (quatr.  435)  dans  le  même  sens.  —  78  c  mets. 

Remania,  XV  3 


54  A.    THOMAS 

85.   Per  estranya 'ncontrada  90. 

Ne  de  tiemps  per  lonjansa 
No  deu  esser  trencada 
Entra  amichs  amistansa. 

84.  Tais  cuyda  esser  estons,  91. 
Can  fug  de  la  batayla, 

Qui  s'es  per  vida  morts, 
Puys  remor  près  la  fayla. 

85.  Tota  ren  vol  son  par        v»)        92. 
E  tira  son  semblan  ; 

Orgoyls  no  pot  durar 

Ab  altre  orgoyl(si  ses  dan. 

86.  Dones,  pus  tant  punyats  95 . 
En  crexer  la  bautat, 

Prec  que  punya  metats 
En  aver  castedat. 


Sitôt  eu^  qui  be  dich, 
Be  no  fas,  no  guarts  mi, 
C'om  val  mays  quens  castich 
Per  autre  que  per  si. 

Macips  fa  bon  senyal. 
Si  vergonya  se  dona  ; 
Ve  ne  hom  el  portai 
Si  la  mayso  es  bona. 

Can  lo  caps  mal  se  sen, 
Jes  lo  cors  no  es  sas; 
Can  fan  mal  tey  serven 
Dison  que  tu  lo  fas. 

Vergua  ecastiar 
Aporton  saviesa. 
Vols  ton  fiyl  aretar  ? 
Castiel  en  tenresa. 


87.   Dona  deu  ben  guardar 
No  perda  se  valor  ; 
Lo  bon  deu  hom  selvar 
Be,  e  myls  losmiylor. 


94.    L'aguila,  ensenhan 

Sos  pauchs  poyls  a  volar, 
Sobr'  eyls  ades  volan 
Los  vol  jent  ensenyar. 


88.  A  grieu  ensemps  estan 
Foldats  e  saviesa; 

Ab  gran  contrast  estan 
Castedat  e  balesa. 

89.  Mantes  vêts  pus  se  tarda 
Quis  cuyde  cuytar  may, 
Eîn)  qui  enan  no  guarda 
Soven  areyra  cay. 


95 .  La  berbayrits  natura 
Fugir  del  lop  ensenya  ; 
Si  del  fiyl  no  as  cura, 
Mal  aventurât  venya. 

96.  Fiyls  savis  es  del  payre 
Gloria,  benenansa; 

Si'n  joven  nol  faybrayre, 
Can  es  veyls  n'a  pesansa. 


85  EccLi.  XIII,  19,  20:  Omne  animal  diiigit  simile  sibi...  Omnis  caro  ad 
similem  sibi  conjungitur.  —  92  Cf.  qu.  349  cl  la  note.  —  93  Prov.  xxix,  i  5  : 
Virga  atque  correptio  tribuit  sapientiam.  —  96  Prov.  xiii,  y.  Filius  sapiens 
doctrina  patris. 


LES  PROVERBES    DF.  GUYLEM  DE  CERVERA 

97.    Mani  arbre  fan  fruyt  tal  105.    So  que  par  senyoria 

Fer  que  la  brancha  frayn  ;  Es  gran  subjeccios; 

Per  fiyl  pren  payre  mal  Tais  n'a,  cuy  meyls  séria 

En  loc  d'alire  guasayn.  f.y  Que  pa[u]bre  romeu  fos. 


98. 


Enans  c'autra  casti, 
Deu  hom  si  castiar; 
Qui  mal  fa  e  ben  di 
Si  eys  vol  guatiar. 


06.    Un  say  que  pot  aver 
Dos,  et  duy  no  may  d'u 
D'ayso  podon  saber 
Lo  ver  per  lor  cascu. 


99.  S'autre  volsmeynspresar , 
Esservols  meynspresats. 
Qui  no  vol  autre  honrar. 
No  vol  esser  honrats. 


07.   Cant  seras  covidats, 
Derrer  vuyles  ceser; 
Aven  humilitats 
Vey  bas  aut  romaner. 


!Oo.   So  c'a  hom  es  pus  car, 
Soes  pus  vil  a  Dieu; 
So  que  vols  mays  amar 
Poras  perdre  pus  leu. 


108.    Lay  es  caps  de  la  taule 
Hon  seon  li  miylor  ; 
Pus  Deus  lo  joch  t'entaule, 
No  prendeslo  pigor. 


ICI  .   Aytant  tart  corn  la  mar 
Tenras  femna  bestada  ; 
Tant  nol  poras  donar 
Que  jan  sia  payada. 


109.   Car  hom  hon  pus  ait  es    fv" 
Es  en  periyl  major, 
Et  hon  mays  a  conques, 
Del  perdr'a  mays  dolor. 


02 .    Us  marits  asaget 
C'ab  diables  bestes 
Sa  muyler,  quils  uget 
Ans  que  fer  se  pogues. 


10.   Qui  dona  senyoria 
A  foyl,  obra  'naxi 
Com  si  peyres  metia 
Al  mon  di  Mercuri. 


105 .    No  désirs  dignitat 
La  quai  no  pots  aver 
Sens  tort  e  sens  peccat; 
Mays  te  val  pauc  d'aver. 


II.    Si  gran  compte  tenets 
Entre  mans  et  comptats, 
S'una  peyre  hi  meiets, 
Lo  compte  er  torbats. 


104.   Altesa  de  ricor 

Es  guardaris  de  vicis; 
Per  puiar  en  honor 
Porta  mants  homscilicis. 


2 .   Can  hom  al  layra  tray 
Los  oyls,  sab  bo  a  l'orp  : 
Tôt  or  so  quel  lops  fay 
Ve  a  pleser  al  corp. 


102  ci  poques.  —  102  d  paus. 


104  b  guardans. 


?6 

I  M. 


Qui  savis  vol  usar 
Savis  coven  que  sia  ; 
Qui  ab  foyls  volenar 
Apendra  de  folia. 


114.  Trebucansa  de  gents 
Ve  per  mal  regidor; 
Bos  ho  mais  noyriments 
Ensenyon  li  senyor. 

115.  Tu  voiries  aver 
Be,  e.no  esser  bos; 
Bes  nos  pot  romener 
Mas  ab  ios  valoros. 


THOMAS 
120. 


Mays  es  menifestats 
Del  savi  us  sol  dia 
Que  la  tota  états 
Deceyl  qui  sec  folia. 

Lo  foyls  fera  tal  re         \j  6) 
Hon  hom  perlara  mays 
Que  sil  savis  fay  be  ; 
Mas  de  be  far  not  lays. 


122.   Si  com  als  cors  es  bos 
L'esauts  d'efermetat, 
A  l'arm'  es  seboros 
Aver  mal  de  peccat. 


116.    Nuyls  hom  re  no  volria 
De  mal  dins  sa  mayso, 
E  plats  li  mala  via  : 
Guardats  com  vol  son  pro  ! 


Reys  cesen  en  cadeyra 
De  judici  leyal 
A  la  gendreytureyra 
Dona  be,  lo[njyan  mal. 


117.   Nuyla  causa  non  es 

Tant  vils  com  mala  vida; 
Pauc  etrop  an  après 
Tal  c'an  l'arma  delida. 


1 24.   Trop  es  enjanayrits 
La  gloria  del  mon; 
Guarda  las  trixarrits 
Cals  an  estât  e  son. 


118.   Aytant  can  es  malvats 
En  major  dignitat, 
Dieu  esser  meynspreats 
Equi  l'i  a  pujat. 


119, 


Un'  obra  de  just  val 
.c.  mil  de  peccador; 
Non  perdon  lur  jornal 
Li  bon  laborador. 


125.  De  so  que  cuyderas 
Mays  en  est  segla  aver, 
Meyns  e  pus  tart  n'auras; 
Donchs  fay  a  Deu  plaser. 

126.  Guarda  que  no  ajusts 
Aver  don  autres  plor  : 
Les  lagremes  dels  justs 
Pujon  al  sol  senyor. 


120  c  la  don  a  estais.  —  120  Seneca.:  Unus  dies  hominum  eruditorum  plus 
patet  quam  imperiti  longissima  aetas  [cïtè  dans  la  Summd.  de  virtutibus  de  Guil- 
laume^ Pcrraut  d'où  Guylem  de  Cervera  l'aura  sans  doute  tiré).  —  126  bannes 
plor. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  UE  CERVERA 


Tota  aygua  avayl  cay, 
Aquesta  puia  amon. 
Pus  lieu  que  res  s'en  vay 
Lagloria  d'est  mon. 


1 34.   Voler  de  fornicar 
Es  engux'  e  falensa  ; 
Compliment,  ses  duptar, 
Es  trop  greus  penedensa. 


28.    No  cants  quan  foc  se  tenya 
A  l'alberch  del  vesi  ; 
Garda  qu'el  tieu  nos  prenya 
E,  si  pots,  tostl'ausi. 


135.   Qui  m'a  l'arme  lonyada 
De  Dieu,  ab  mais  acorts  ? 
Vils  volentat  malvada, 
Que  es  trop  dura  e  forts. 


I  29.   La  resits  soste  l'arbre 
El  baro  leyaltats, 
Sots  la  lausa  del  marbre 
Met  hom  los  pus  honrats. 


1 56.    En  la  terra  dels  fais 
Manjon  les  rates  fer  ; 
A  cobrir  desleyals, 
Estrayns  reysos  requer. 


30.    Reys.  ausen  entendets 
So  que  dison  li  san  : 
Grieu  caus'  es  car  falets^ 
Viats  vos  rcspondran. 


37.    En  terra  dels  enjans 
Milans  infans  enporte 
A  fais  re  no  comans, 
Que  tenrat  via  torta. 


Li  reys  de  les  abeyles 
Car  no  porton  fiblo 
Son  pus  humils  que  [ejyles 
Et  l'autra  divers  [s]o. 


58.   Tant  pauc  no  poyn   l'espina 
La  fresca  flor  del  lis 
Quel  punt  cel  qui  si  clina 
No  trop  sia  prim  vis. 


132.   Non  a  en  voluntat 
Neguna  causa  gran  ; 
Nel  proisme  vol  foudat, 
Al  poc  nom  entendran. 


159.    No  m'esaut  de  mayso 
D'ivern,  can  plou  el  foc, 
Nim  pac  d'oste  felo. 
Ni  can  vil  femna  joc. 


133.    No  pot  esser  trobada 

Nuyls  temps  fma  dousor 
Tant  fort  non  es  cercada 
Per  dura  amaror. 


140.    Si  comptes  ta  revso 
Denans  tos  enamichs, 
Can  non  as  fayt  ton  pro, 
Fas  los  de  plasers  richs. 


I  28  t  de  ton  uesi.  —  1 32  c  nol  sou  dat.  —  133^  maror.  —  1 56  en  marge: 
asi  ha  istoria.  Nous  ne  relèverons  plus  cette  mention  (jui  revient  de  loin  en  loin; 
voyez  l'index  au  mot  istoria.  —  137  c  sen  porte  —  139  i  com  pion.  — 
1  56-1  57  Allusion  i)  une  'able  connue  qui  se  retrouve  dans  Lajontainc  (ix,  1)  sous  le 
le  titre  de  :  Le  dépositaire  infidèle.  —  159  i/  cam   —  140  d  desplasers. 


Sil  misatges  qu'emvies 
Lay  on  vay  malvenguts, 
Mal  a  tos  obst'i  fies, 
Que  non  seras  cresuts. 


142  .   Qui  fa  oracios 

Ab  la  lengua  a  Dieu, 
On  fa  mans  fais  sermons, 
Sos  prechs  acabagrieu. 

14;.    Si  tremets  vil  misatge 
En  cort  d'onrat  senyor, 
Aportar  ta  dempnatge 
E  tolrat  te  lausor. 


148.  En  la  lengua  esta 
La  vida  e  la  morts  ; 
Per  la  lenguat  vendra 
Bos  0  mais  desconorts. 

149.  Lengua  es  pauch'  e  lieus, 
Pero  no  la  poria 
Governar  res  mas  Dieus, 
Tant  no  y  punyaria. 

1 50.  Paucha  es,  pero  tant  val 
Quel  mon  no[i]  a  re 
Qui  fassa  tant  de  mal 

Ni  mostre  tant  de  be. 


144.    Si  misatge[s]  tremets 
Irats,  lay  on  iran, 
Guarda  'n  cal  fayt  te  mets, 
Tots  tos  fayts  vireran. 


)  I .   Ben  esguarda  te  porta 

Que  mais  hostal  noy  prengua  ; 
A  la  lengua  fe  porta 
E  guarderasla  lengua. 


14^ .   Gara  trista  caylar  /'.  7 

Fa  leu  gens  mal  disents, 
Si  con  pluyas  anar 
Aquilos  le  gransvents. 


^2.    Domdad'es  la  natura 
De  tota  res  del  mon 
Per  home,  l'Escriptura 
Ho  dits  e  ho  despon  ; 


146.   Volenters  cayleras, 

Que  nom  voiras  re  dir, 
Pus  queconexeras 
Que  not  volray  ausir. 


I  ^  ^ .   Lengua  non  es  dondade, 
Car  es  mal  senes  fi. 
Qui  ha  lengua  trempade, 
Non  a  trésor  pus  fi. 


47.   Vis  entre  dous  et  len, 
Mays  puys  mort  et  ausi  : 
Lengua  fols  lia,  pren 
Et  comfon  autresi. 


^4.   Car  es  e  precios 

Lo  fruyt  que  lengua  porta. 
La  cal  Dieu  glorios 
Governaetcomforta. 


144  c  fayts.  —  145  </ agiles.  —  1^8  a  b  Prov.  xviii,  21  :  Mors  et  vita  in 
manu  iinguae.  —  149  Prov.  xvi,  i  :  Domini  gubernare  linguam.  —  152-155 
Jacobi  Epist.  Calh.  m,  7-8  :  Natura  bestiarum  et  setpentum,  volucrum  et  ce- 
terorumdomatur  a  natura  humana,  sed  linguam  nemo  domare  potest.  —  1 S  >  c  ^^ 
Prov.  x,  20:  Argentum  electum  lingua  justa. 


'H 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA            ^,9 

Lengua  ciutats  murades  163 .    Paraula  nafra  grieu 

D'emperadors  dérocha.  Sitôt  s'es  trop  leugiera  ; 

Et  les  dompnes  preades.  De  loyn  fa  grans  colps  lieu, 

E  fen  la  pus  fort  rocha.  Tant  esfortz,ei  sobranseyra. 


1 56.  Maie  lengua  es  t'ochs 
E  universitats 

De  tôt  mal  en  tots  lochs, 
Plena  d'iniquitats. 

157.  Home  conexeras  (v°\ 
En  la  lengua  menar  : 

Sil  lauses,  feliras 

Ans  que  l'auges  parlar. 

1^8.    Nuyla  res  tant  d'onransa 
No  pot  can  lengu'  aver. 
Quant  Dieus    volch  a  sem- 
De  lengua  aperer.      [blansa 

1 59.  Ab  sen  deu  hom  guardar 
So  que  venir  poyria 

E  si  jen  castiar 
Perl'estranya  folia. 

160.  Pauc  val  cel  quis  trebayla 
Par  si  sol  aver  be, 

E  tots  hom  a  cuy  cayla 
Mays  d'autruy  que  de  se. 

161.  Trempaments,  horaysos, 
Ènsenyaments  e  laus 

De  Dieu,  comfacios 
Esgloriae  repaus. 

162.  Per  consolacios 

De  pruysmes  e  per  far 
Gracies  es  hom  bos 
E  per  foyls  ensenyar. 


164.   Guarda  si  fa  gran  guerra 
La  lengua  no  feels. 
Que  sitôt  s'es  en  terra 
Aicel  toyl  qui  es  al  cels. 

16s .   Guarda  com  parleras 
Ni  a  cuy  ne  de  que, 
El  loch  on  o  diras. 
El  temps,  c  'axis  cove. 

1 66 .  Tôt  so  qu'el  cor  t'avenya 
En  ta  lengua  no  sia  ; 
L'axemples  te  sovenya 
Dels  jagsdeLombardia  : 

1 66  bis  En  est  albe[r]ch  se  fatxic 
So  que  miser  no  satxe  ; 
Por  dicier  la  vertadc 
He  morte  lo  meu  frate  ; 
Si  tu  voy  vivere  in  pacie 
Aude  et  vide  e  tacie. 

167.  Pus  Dieus  mande  penjar 
Los  reys  no  dreture[r]s, 
Que  volgra  de  tu  far 
f^u'es  vils  et  sobrancers  ? 

168.  Dompne  sejornial  so      /. 
Par  del  mal  enemic, 
Quils  seus  met  em  preso 
El  man  volent  fainlric. 


1  ^6  c  tôt  lochs. 


dieus. 


d  sobrenters. 


40 
169. 


Tais  t'ame  quet  valria 
Trop  mays  quet  volgues  mal 
Mal  volent  not  feria 
Lo  mal  quet  fa  mortal. 


1 70 .  Per  re  no  m'esteria, 
Pus  axir  m'en  pogues, 
En  alberch,  sis  plovia, 
Can  defors  sol  faes. 

171.  L'espina  nafral  cors, 
Don  le  cors  es  sénats  ; 
Can  es  sénats  lo  cors, 
A  l'arma  ve  sentats. 


THOMAS 

'76. 


D'un  arbre  ay  vist  poms 
L'uavol,  altrebo; 
A  vêts  l'us  frayre  [es]  bos 
E  l'autre  no  te  pro. 


1 77 .  Lo  pom  hon  lo  verm  es 
Pren  ans  lo  jovenceyls 
Que  ceyl  on  no  n'a  jes, 
Car  li  semble  pus  beyls. 

178.  Bon  fruyt  no  pot  levar 
Mais  arbres,  ne  bos  mal: 
Ja  not'ansacordar 

Ab  jutge  desleyal. 


172.   Tots  hom  punyar  deuria 
En  bons  fayts  acabar, 
C'un  briant  trobaria 
Al  sol,  ab  be  sercar. 


179.   Er  ausirets  contrari, 

Que  mays  val  bo  que  bel 
Ets  un  vil  clau  d'ermari 
Ama  mays  c'  un  castel. 


175 .   Fum  geta  de  maysos 
Senyor,  so  sap  cascus, 
Estellyns  et  dregons 
Et  maie  femnapus. 

174.   Meylor  estar  faria 

Ab  dues  grans  serpents, 
Que  ab  femna  qui  sia 
Mala  ettropsebents. 


180.  Arbres tremet dousor       fv" 
Als  rams,  don  noyrit  so  ; 
Del  payredeuclamor 

Far  fiyls,  can  no  te  pro. 

181.  Tal  vesets  be  vestit 
E  beyl  et  penxinat 
C'a  lo  cordinspoyrit 
E  pie  demalvestat. 


175 .   Qui  a  sa  beyla  uxor, 
Guart  la  d'avol  vesina  ; 
Nô  esta  sens  paor 
Près  la  volp  la  gualina. 


1 82 .  Aur  ez  argent  e  perles 
Fan  dompnes  escalfar; 
Le  vents  mena  les  ferles 
Tant  que  les  fay  cremar. 


169  a  uolria.  —  170  <f  defores.  —  173  La  même  pensée  se  trouve  souvent  ex- 
primée au  Moyen  Age  :  Très  coses  giten  hom  de  casa  :  fum,  pluge  e  mala  fembra. 
(Le.livre  des  Trois  choses,  p.  p.  Morel-Fatio,  Remania,  1885,  p.  234,  §  26). 
Cf.  Le  Roux  de  Lincy,  II,  173  :  Fumée,  plu}e  et  femme  sans  rauon  ]  Chassent 
l'homme  de  sa  maison.  —  174  c  quab.  —  178  c  aus.  —  180  </  con.  —  181  d 
uestits.  —  181  />  beyls  et  penxinats. —  181  c  can,  poyrits. —  181  </ maluestats. 


i85, 


LES  PROVERBES   DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

So  dits  Agust  César  190.    L'austors  no  vel  filat, 


Q^ue  tots  SOS  fiyls  aucis: 
^<  Mays  amera  estar 
Porchs  d'eyl  que  fiyl,  »  sodis. 


Tant  voll'ausiel  guardar; 
Tu  conoys  le  peccat, 
E  no  t'en  voislunyar  ? 


184.   Ceyl  auciu  planament 
Sos  fiyls,  quiyls  lax  périr 
Per  gran  defeliment 
De  guard'  e  de  noyrir. 


Mas  .).  moment  no  dura 
Lo  délits  d'equest  mon  ; 
Be  sec  maia  ventura 
Qui'n  délits  se  comfon. 


85 .    Molts  son,  quilbestiyar 

An  pus  cars  quels  enfants  ; 

Besties  castiyar 

Et  no   fiyls,  es  mais  grans. 


192.   Tota  res  qui  turmen       /.  9) 
Dona  mays  c'autra  res  ; 
Qui  tormen  per  Dieu  sen, 
Durables  délits  es. 


186.   Guardar  se  vol  l'ausiels 
No  cag'  en  la  tesura  ; 
Tu  not  guardes,  qu'es  veyls. 
De  la  mala  ventura. 


Non  a  en  saviesa 
Trebayl,  mas  bo  seber  ; 
Can  en  prim  cor  es  mesa, 
No  désir'  autr'  aver. 


187 


Sil  cas  en  l'aygua  cay, 
Exir  s'en  vol  nedan; 
Sil  foyls  al  peccat  jay, 
Per  sa  colpay  roman. 


194.    Enseyn  qui  vol  saber. 

Qu'ensenyan  pot  apendre  ; 

Mays  en  vol  retener 

Qui  mays  en  vol  despendre. 


L'auseyl  es  près  al  las 
El  pex  de  l'aygua  en  Tarn 
Hom  es  près  en  peccats, 
No  per  set  ni  per  fam. 


9^.   Saviesa  ligen 

En  me  cas  am  déport; 
Als  laigs  peccats  fugen 
Fugiras  a  la  mort. 


189.   Si  lo  pex  Pam  vesia, 
Si  com  ve  lo  menjar, 
Jal  menjar  no  pendria, 
Ans  volria  endurar. 


1 96 .   Can  vergu'  es  tenr'  e  moyls, 
Miels  la  pot  hom  pleyar; 
Hom  veyls  peccayre  foyls 
Mal  es  per  castiyar. 


185  Sins,ulùrc  altération  d'un  mot  attribut  à  l'empereur  Auguste  par  Macrobe 
tSaturn.  11,  4,  ?;  11)  a  propos  du  meurtre  des  fils  d'Hérode  :  MâWem  Herodis 
porcum  esse  quam  filium,  —  184  ^  planaments.  —  184  c  defeliments. —  19^  /' 
Corr.  ? 


Vaxels  mostra  tôt'  ora 
Que  y  ha  primer  estât 
Tos  fayts  ara  bos  fora, 
Qui  t'i  agues  usât. 


THOMAS 

204. 


Si'n  bona  viat  mets. 
Bona  via  tendras; 
Si  bon  présent  tremets, 
Bo  guasardo  auras. 


198.  Donar  nonauseras 

Al  bax  i'avol  gualina. 
Es  a  Dieu  offerras 
Tota  la  pus  mesquina  t 

199.  Dignes  ofFertes  porta 

A  Dieu,  de!  miyls  que  auras. 
Car  s'el  te  clau  la  porta, 
Ab  luy  no  entreras. 

200.  Soven  ve  mal  per  be 
E  soven  bes  per  mal  ; 
Not  guarts  de  Dieu  et  re 
Als,  mas  guardar,  not  cal. 

201  .   Can  l'oyl  no  veson  clar, 

Lo  cors  es  tenebros , 
Longuat  de  mal  guardar, 
Si  vols  esser  joyos. 

202  .   Guardan  ne  pessan  mal 

No  pot  hom  aver  be; 
Si  vols  fer  bon  jornal, 
Pessat  so  quit  cove. 

20^ .  Nuyls  hom  sens  pietat 
No  deu  merce  querer; 
Qui  ab  Dieu  se  combat 
Infern  vol  conquerer. 


205 .  So  on  punyat  auras 
Detz  ayns  a  guasenyar 
En  .j.  moment  perdras, 
Si  no  0  sabs  guardar. 

206.  No  compres  la  meyso 
De  ceyl  qui  l'aura  feyta  ; 
Si  as  bon  companyo, 
Not  fera  re  sofrayta. 

207.  Ayceyl  fo  compayn  bo 
Qui'n  la  preso se  mes; 
E  ceyl  pus  coratjos 

Quil  jorn  vench  que  promes. 

208.  Qui  fa  mal  en  joven, 

El  cami  sempna  espines 
On  ey!  metex  se  pren 
Ab  maies  disciplines. 

■  209.  Qui'n  joven  mal  far  voyla 
Can  al  cors  san  e  tendre, 
La  lenya  ab  aygua  moyla 
C'ab  bon  foc  deu  encendre. 

210,    La  candela  muylada 

No  s'ensien  lieu  en  loch. 
Car  resos  es  provada 
C'aygua  contrastel  foch. 


\c)-]  a  b  HoRATius,  Epist.  l,  11,  69-70:  Que  semel  est  imbuta  recens  ser- 
vabit  odorem  |  Testa  diu  (aft!' </j«5 /t- Moralium  dogtna,  f/i.  32).  —  199  fCarcei. 
—  205  è  mersa. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 
218 


2  11.   Can  melesa  s'es  mesa 
Primer  en   ovencieyl, 
Contraste  la  bonesa, 
Vedan  qu'en  bes  capdeyl 


Can  fan  mal  li  major 
Li  menor  lo  vol  far  ; 
Cil  te  mostron  foylor 
Quit  degron  castiar. 


No  vol  metr'en  vaxel 
Laig  Dieu  se  dignitat 
Tantost  com  fa  al  biel  ; 
Donchs  mondet  de  peccat. 


219.    Mays  perfeta  [es]  la  vida 
De  meestra  leyal 
C'oracios  gresida 
Ne  paraula  no  val. 


21;.    Perdiment  de  tiemps  es 
Dur'e  estranya  causa, 
Car  tiemps  val  mays  que  res. 
Qui  en  ben  far  lo  pausa. 


220.    Dels  temps  c'as  meynscabat 
Te  deus  per  foyl  tenir; 
So  que  non  as  sempnat 
Jove,  vols  vieyl  cuylir  ? 


214.    Nuyla  res  mays  presada 
Que  tiemps  esser  no  sol, 
Mas  er  tant  es  pujada 
Viltats,  c"  om  tiemps  no  vol. 


Tots  savis  crey  mays  huyls 
Que  aureyles  no  fay  ; 
Tu  qui  mas  reysos  cuyls, 
Ab  leyaltat  hi  vay. 


215,    S'as  bes,  nolays  del  dia 
Passar  sol  una  part 
Ses  be  far,  car  foylia 
Fa  qui  de  be  se  part. 


Qui  per  comendamen 
E  per  paraul'  ensenya, 
Punya  hi  trop  lonyament, 
Per  molt  que  cor  destrenya. 


216.    Dompn'  es  si  consendats, 
Que  can  hi  cay  laydura, 
Non  es  beyls  ni  mundats 
Per  nuyla  levadura.      /.  10 


Hom  ensenya  molt  lieu 
Et  profitosam.ent 
Ab  l'exemple  Si  de  Dieu 
Et  leyaltat  siguent. 


Si  dues  vêts  t'enjan 
Ne  très,  Dieus  mal  me  do 
Can  no  t'en  vas  guardan 
Etz  a  tu,  si  mays  so. 


:24.    De  ceyls  vuylas  conceyl. 
Si  vols  sen  retenir, 
On  mays  te  meraveyls 
De  veser  que  d'ausir. 


212c  can  ta. 
-221c  mavs. 


2136  durs  estranya.  —  21^  <j  Ses  bes.  —  219  ^  parauia. 


44  A. 

225 .   Vergony'  es  ,  c'om  enseyn 
Be,  et  que  fassa  mal; 
Ja  d'ome  qui  mal  reyn 
No  auras  bon  jornal. 


252.    Can  diras,  be  comferma 
Tos  dits  ab  obra  bona  ; 
Mais  faytsbos  dits  desfferma 
Els  dients  ocaysona. 


226.   Tais  fay  lum  as  altruy 
C'a  si  eixnon  fay  jes, 
Ez  an  trop  mays  d'enuy 
Q^ue  si  lum  no  portes. 


23^.   Con  tu  as  so  mostrar 
Q^ue  conegut  non  as  ? 
Si  vols  mi  ensenyar 
Ne  autre,  apendras. 


227.  Ceyl  es  trop  desestruchs 
Qui  lum  porta  e  no  ve  ; 
Mays  li  val  c'an  huyls  cluchs 
C'oberts,  oz  eu  0  cre. 


234.   Trop  bona  disciplina 
Ue  maestr'  es  calars, 
Troban  puys  la  doctrina 
C'apendras  ensenyars. 


228.    No  t'asauts  de  senyor 
Si,  quant  l'auras  servit, 
Per  noveyl  servidor 
Te  meta  en  oblit. 


255 


Ans  que  parles,  aprin. 
Et  can  l'autra  aura  dit, 
Respon  pla  bonamen 
Asso  c'auras  ausit. 


229.  Mendaments  es  lucerna 
Dreyta  o  la  leys  luts  ; 

Si  bos  sens  not  gover[n]a 
Viats  seras  perduts. 

230.  En  so  que  jutgeras 
Autr'  a  mal  ni  a  tort, 
Tu  exs  condempneras  ; 
Donchs  euardet  de  la  mort. 


256.    En  sciencia  homil 
Es  saviesa  vera  ; 
Ab  fayt  franc  e  gentil 
Nobla  ricor  espéra. 

237.   Lo^rjgoylos  cre  saber 
.M.  causes  que  no  sab  ; 
Qui  no  sab  abstener. 
Grieu  er  que  no  meynscab. 


Beyls  parlars  ab  mal  vivra 
Non  es  als  mas  dampnars, 
Hon  hom  confon  délivra 
Ab  SOS  propis  parlars. 


258.   Ses  loquencia  bona 

Pauch  profetcha  sabers  ; 
A  savia  persona 
Cove  dits  de  plasers. 


226  a   fan,   altruyl.  —  227  c  uuyls.  —  229  b  dreyUi  &  la.   —  229  Prov 
VI,  25  :  Mandatum  lucerna  est  et  lex  lux.  —  2]i,  a  lui.  —  25^  ii  aprin. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERYERA 


45 


259.   Noy  ha  beyla  rayso 

C  om  no  pusch'  afolar, 
Fa) t  tan  dreyt  ni  tant  bo 
Lieu  ab  mal  recomptar. 

240.    Loquencia  me  ura       [f.  1 
Con  sciencia  custume, 
Que  la  bona  natura 
Per  la  malas  consuma. 


247.  Quel  profetcha  claus  d'aur 
Pus  que  non  potsobrir 

So  que  vols,  e  tresaur 
As  don  nol  pots  servir  ? 

248.  [E]  claus  de  fust  quetnotz 
Pus  so  c'  obrir  en  vols 
Obrir  et  tencar  pots  ? 
Per  pauc  de  mal  te  dois. 


241.    Us  foyls  afoleria, 
.iiij.  tantsab  foldats 
C'us  ab  sen  no  feria 
Ab  sinquanta  asenats. 


249.   Saviesa  madura, 
Manifesta,  suaus, 
Brieus,  profitable,  pura 
Cove.  s'aver  vols  laus. 


242.    Le  savis  dits  ;<'  natura 
Pot  lieu  dessimular 
No  loquencia  pura, 
Qui  be  la  sap  guardar. 


250.   Saviesa  cove 

Manifestar  per  tal 
Que  tuyt  l'entendon  be, 
Car  estiers  re  noval. 


245 .    La  lengua  graciosa 

En  bon  home  habunda  , 
Virtuts  es  preciosa 
Qu'agensa  obra  et  munda. 


251.    La  doctrina  es  laugera 
Dels  savis  et  plasents 
A  ceyis  qui  an  maneyra 
D'aver  entendiments. 


244.    Qui  si  eys  amonesta 
Denant  tots  de  far  be, 
Pus  gloriosa  festa 
No  pot  mandar  asse. 


252.   No  deus  ta  saviesa. 
Pus  la  as,  amegar, 
C'onors  es  e  noblesa 
Ques  deu  menifestar. 


(V) 


24^ .   Qui  si  a  ensenyat, 

Miyls  pot  autr'  ensenyar  ; 
Maestra  mal  usât 
No  vuyles  demendar. 


:  ^  ^ .  Maneyr'es  molt  lusents 
D'ensenyar  e  doctrina 
D'exemplis  justamens, 
C'autra  non  es  pus  fma. 


246.  Onraments  covinables 
Es  en  pronunciar  ; 
Bels  dits  es  agredables 
Debe  acustumar. 


254.   Albirar  e  stimar 

Deus  ceyls  qui  primamen 
Ab  cuy  as  a  perlar 
E  son  enlendimen. 


243  d  qua  guens  aobra.  —  2^4  />  corrigez  tôt  primamen. 


46 
255- 


Viula,  saltiris,  tibre 
Fan  dous  e  suau  so; 
Lengua  suaus  ses  libre 
Mostran  suau  reso^, 


262 .    La  vergonya  not  dos 
De  demendar  altruy 
S'aprendr'en  vols  rasos, 
Mas  guarda  co  ni  cuv. 


256.  E  francha  de  paraules 
Brieus  fa  mants  ausidors  ; 
Ignorans  a  vetz  faules 
Monstron  sen  ses  folors. 

257.  So  retra  sans  Bernats 
Et  es  vera  resos  : 

No  pot  esser  vertats 
Vist'  ab  oyl  argoylos. 

258.  Fochs  es  desobr'els  cauts 
E  no  veson  lo  sol; 
D'aytal  foc  no  t'asauts 
C^'estar  fay  fol  caut  sol. 

2^9.   Aycel  focchs  cauts  es  ira 
E  le  sols  es  vertats, 
Per  que  Dieus  cel  asira 
Qui  n'es  trop  escalfats. 

260.    ira  no  jutge  be 

Ne  amors  la  vertat, 
S'om  donch  non  a  en  se 
Amor  e  pietat. 

261     Ventres  gros  et  fersits 
No  resep  soptil  sen. 
Que  sent  Johan  0  dits, 
Qui  parla  soptilmen. 


265 .  Can  ben  dison  li  mal 
No  so  menspreador 
D'ausir,  car  lor  dits  vais, 
Sil  fayt  non  an  velor. 

264.   Sitemps  Dieu,noseras  1/.  1  2 
En  nuyl  fayt  negligens; 
Ja  re  be  no  feras 
S'es  vas  Dieu  no  chalens. 

26^ .    Savis,  per  que  dreyt  an, 
Endresa  be  sa  via  ; 
No  savis  meynspressan 
Los  sieus  l'estrayna  guia. 

266.  Ja  no  vuyles  contendre 
Per  peraules  disen, 

Nels  prims  soptils  rependre 
Nels  fats  c'an  pauc  de  sen. 

267.  Contendres  per  laudura 
Corn  pessan  nos  ajuda 
Que  lectors  don  foyls  cura 
Sia  per  ver  vensuda. 

268.  Perseverans'  es  mayre, 
So  vesem,  de  les  arts; 
Ja  not  diran  d'arts  payre 
Si  de  la  mayret  parts. 


260  c  non  a  seen.  —  264  d  sen.  —  26^  d  lestrayan  aguia.  —  266  Prov. 
III,  30:  Ne  contendas  adversus  hominem  frustra,  etc.  —  267  a  Corr.  par- 
laduraP 


,ES    PROVERBES    DK    GUYLEM    DK    CF.RVERA 


269.    Negligencia  es 

D'ensenyaments  mayrastra  ; 
Si  volsesser  après 
Guardat  d'aytal  desastra. 


J76.   Axicon  trop  parlars      /. 
A  mants  parladors  nots. 
Sis  fa  masa  caylars, 
Et  massa  calfar  cots. 


70.   Ignoranci'es  caps 

De  tôt  mal,  don  peresa 
S'engenra,  be  lo  saps. 
E  foli'  e  peguesa. 


277.   Qui  no  guarda  raso. 
Raso  délivre  pert  ; 
Guarda  dins  ta  mayso 
Te  teinjyon  per  espert. 


271  .    Le  ferr  es  agusats 

Ab  ferr,  pus  hom  t'en  pic, 
Ez  hom  agusa  fats 
Ab  fas  de  son  amie. 


278.    Guarda  tes  escudiers 
Not  sia  trop  privais. 
Net  sia  conseylers, 
Sin  vols  esser  preats. 


272.  A  los  fiyls  compteras 
Sen,  caylan  la  folia; 
Can  arrar  lo  veyras, 
Ab  exemplis  castia. 


279.   Si  mon  servici  prens, 
Obligats  me  seras, 
E  ja  mos  mal  volens 
A  dreyt  no  jutgiaras. 


175.   Medicin'escrusels 
De  primer  es  amara, 
E  puys  dousa  com  mels, 
Can  s'ave,  fma  cara. 


280.  Menasses  valon  mays 
A  vêts  que  betiments  ; 
Qui  de  castichs'iraxs 
No  pot  esser  valents. 


274 .  Ton  fiyl  anic  ensenya 
E  no  l'en  desespers, 
C'ans  acove  que  prena 
Senab  dits  de  plasers. 

275 .  Cals  caus'  es  que  no  gir 
Custuma  e  usansa  r 
Cax,  c'  om  no  la  pot  dir. 
Donchs  ben  usant'enansa. 


281.  Can  deu  picar  l'espina, 
Aguda  nax  e  par; 
S'aver  vols  valor  fma, 
En  be  deuscomensar. 

282.  Del  proverbi  vedans 
Com  dits  entre  no  ables 
Qui  en  joven  es  sans. 
Can  es  vieyls  es  diables. 


269  h  (Jesensenyaments.    —   i/u   ^   ui..ig^...o.    -     ^ 
274  d  pour  fin'e  cara.''  —  277  b  de!  ura,  —  281  b  ua 


dengenra.    —   270  d  folia  peguesa. 


28^ .   Ab  crusels  medicines 
Poras  de  mal  guarir; 
Mas  si  sempnas  espines, 
No  cuyts  resims  cuylir. 


291 .    La  boccha  er  maldiciha 
D'ayceyl  qui  parlera 
—  So  es  raysos  escritxa 
Lahoncaylar  deura. 


284,   Qui  mays  deu  ensenyar 
Mays  de  sen  deu  apendre; 
Reysqui  deu  mays  mostrar 
Deu  mays  de  bon  seyn  pendre. 


292. 


Si  fas  tan  gran  honor 
A  un  ton  cominal 
Con  a  ton  bon  senyor, 
No  teras  bon  jornal. 


285.   Metges  deu  bons  senyals 
Del  melaute  lausar, 
Qu'estiers  nonesleyals, 
Et  cuyt  be  comensar. 


29^ .   Si  de  jenoyls  sey[n"lan 
Entres  dins  ta  mayso, 
Tuyt  t'en  escarniran 
Et  no  feras  ton  pro. 


286.   Estudi  es  la  obra 

De  fayts  malvats  0  bos  ; 
Al  cal  d'u  e  d'als  obra, 
Don  pus  es  volontos. 


294. 


Si  vas  dins  lo  moster 
Cantan  e  gabs  disen, 
Tendran  te  per  lauger 
E  perdesconaxen. 


La  régla  dels  santspayres 
Servan  qui  son  pessats 
Es  hom  dits  fiyls  e  frayres 
De  dieu,  tant  heretats. 


29^ .   Si  fas  so  de  caresma 
Que  feras  de  carnal, 
Tôt  ton  dan  t'en  aesma. 
Sil  temps  fas  cominal. 


Be  guarda  la  persona  i/.  1  ^) 
A  cuy  deus  dir  0  far; 
Tais  caus'  es  ab  l'u  bona 
C  ab  autr'  en  pot  errar. 


296.   E  si  fas  so  d'  ivern 
Que  feras  en  estiu, 
Tuyt  s'en  feran  esquern 
Si  con  de  rat  e  niu. 


289. 


290. 


Tais  caus'  es  covinens 
Denan  avesc'  0  rey, 
Qui  es  descovinens 
Denan  autres  que  vey. 

Lochs  et  sasos  cove 
A  dire  etz  a  far  ; 
En  loch  poras  far  be 
On  te  feras  blesmar. 


297.  En  primer  apendras 
So  qui  es  corporals, 

E  puys  miyls  entendras 
So  qu'  es  espiritals. 

298.  La  maysos  non  es  ferma 
Senes  bos  fundamens; 
Ab  leyeltat  te  ferma, 

Si  vols  esser  valens. 


285  a  bon.  —  289  a  comeus.  —  292  a  ten.  —  297  d  ipiritals. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA  49 

299.    Hom  a  la  carn  aciis  507.   Sil  servienl'  es  vestida 

Et  a  ses  volentats, 
Corn  sent  Jeronim  dis, 
Per  besti'  es  comptats. 


;oo.    Lo  malvat  no  entes  v^i 

Pausats  en  gran  honor 
En  aylan  con  hom  es 
A  mens  que  porcs  valor. 


Miels  quel  dona,  dan>  t'  er, 
Quel  dona  n'  er  marrida 
E  redrat  mal  loguer. 

Hom  deu    la  dompn'  onrar 
Enans  que  la  sirventa  ; 
La  carn  vey  tant  presar 
Que  l'arme  n'  es  dolenta. 


501  .    Sil  lops  pogues  far  clam 
Ne  perles  ses  duptansa, 
Dixera  :  veus  Adam  ! 
A  la  nostra  semblansa. 


509.   So  es  causa  sebuda 
Entrels  fais  els  leyals, 
C  onors  costumes  mudi 
0  en  bes  0  en  mais. 


202 .   No  deu  senyorejar 

Sobrels  princeps  negus 
Mas  Dieu,  qui  es  ses  par. 
Toi  sols  senyer  ses  pus. 

503.    Sobrel  senyor  le  sierfs 
No  tayn  que  senyorey; 
Si  tôt  clerg  fan  iloi  reviers, 
Cleyrc  e  layc  compte  rey. 

P4.   Le  vils  cors  senyoreja 
Sobre  l'esperit  tan 
Ab  argoyl  le'  per  envega 
C'amduy  hi  auran  dan. 

305.  L'esperit  ab  lo  cors 
A  comparar  no  fay; 
Can  l'esperits  n'  es  fors, 
Lo  cors  a  tierra  vay. 

306.  S(i)  âmes  mays  la  serventa 
Que  la  dona  no  fas, 
Cascuna  n'  er  dolenta 

El  dol  tôt  tu  l'auras. 


310.  Pigor  causa  no  say 
De  bas  en  ait  pausat, 
Que  can  cossech  decay 
Ab  sa  gran  cruseltat. 

311.  Terra  es  comoguda 
Per  .ii).  causes  sofrir, 
Per  la  quarta  es  vensuda 
Que  no  pot  sostenir. 

312.  Per  nuyla  re  la  terra     f.  14 
No  trop  tant  se  destrenya 
Acata  mortal  guerra 

Con  en  temps  que  serf  renya. 

313.  Causa  fayta  com  flors 
No  dura,  ans  vay  lieu, 
Ja  per  autres  senyors 
Fayta,  mas  sol  per  Dieu. 

314.  Aspra  caus' es  e  mala 
Qui  fa  de  serf  senyor, 
E  de  senyor  ser  tala. 
E  de  iuglar  comdor. 


299  a  com  acIis.  —  joo  d  pores.  —  302  c  Corr.  A  tanta.  —  ^o-j  d  reiral. 
Romania,  XV.  4 


3'5 


Le  portaments  el  ris 
D'orne  el  cubrimens 
Mostre  s'es  fais  o  fis 
Els  dits  vilso  plasens. 


316.  Si  a  tu  no  perdones 
Per  tu  metex  sivals, 
Si  asso  t'abandones, 
Conexeran  si  vais. 

517.  A  tu  metex  perdona 
Per  Dieu,  car  de  tu  fe 
Cas'a  SOS  obs  si  bona, 
Casa  no  es  per  te. 

318.   Lusia  la  lumneyra 

Denan  les  gents  per  tal 
Que  visson  lamaneyra  ; 
Bon'  es  l'obre  ses  mal. 


THOMAS 

322. 


Cascus  deu  far  fasenda 
Tal  con  li  tayn  a  far, 
Per  quels  oyls  no  offenda 
Quil  volran  esguardar. 


52?.   Cascus  dels  membres  tieus 
Deu  far  so  que  li  tayn  ; 
Vil  causa  ese  grieus 
Qui  so  que  deu  far  frayn. 


324.   La  ma  no  deu  parlar 
Ne  la  bocca  veser 
Ni  l'aureyla  guardar 
Ni  oyl  dar  ni  tener. 

32$ .   Tais  n'  i  a,  per  orgoyl 
Tenon  la  bocha  oberta 
E  tenon  tancat  l'oyl 
E  no  fan  obra  certa. 


tv°\ 


319.   Aytal  es  disciplina 
Com  bona  vestedura 
Ab  odor  bona  e  fma 
A  Dieu,  quils  bons  milura. 


320. 


Isach  l'odor  senti 
Dels  vestirs  de  son  fiyl, 
Per  que  lo  benesi 
El  tench  per  son  espiyl. 


321.   «  L'odors  dels  vestiments 
»  Teus  es  tais  »,  dix  Isach, 
))  Con  d'encens  qu'  es  plasens 
A  son  fiyl,  tant  li  plach. 


326.  No  lieus  parlan  les  ceylas 
Ni  estendras  les  mas 

Nel  coyl  sots  les  aureyias 
Ne  les  cambes  on  vas. 

327.  Ses  be  parlar  seber 

No  pre  ni  tenc  per  biel, 
Ne  qui  no  a  poder 
El  poyn  on  tel  couteyl. 

328.  Ris  es  desordonats 
D'emveya,  e  qui  ri 

Can  no  deu  rir',  es  fats; 
Com  freneticz  fa  si. 


318  d  perts  se.  —  320-321  Cf.  Gènes,  xxvii,  27:  Ut  sensit  vestimen- 
torum  iliius  fragrantiam,  etc.  —  325  Couplet  cité  par  Pach  :  Per  ço  dit  Ser- 
ver! :  Tais  hi  a  qui  per  ergoli  |  Tenen  la  bocha  uberta,  |  E  tenen  tancat 
l'ull,  I  E  non  fan  hobra  santa  (sic)  {Esp.  54,  fol.  -j  a  ;  55,  fol.  3  b). 


LES    PROVERBES   DE   GUYLEM    DE   CERVERA 
5^6 


529.   Tots  savis  mays  volria 
Esser  sas  et  plores 
C'ab  tan  gran  malautia 
Franaticz  e  rises. 

5^0     Ris  del  foyl  son  plasen 
E  les  peraules  fines 
Con  lo  sonet  que  fan, 
Can  cremon,  les  espines. 


Rire  trop  en  est  mon    f.  i  s 
No  tayn,  ans  es  folors, 
C'ab  peccat  quins  comfon 
Esbrieus  e  vayls  de  plors. 


:^7.    Una  paraula  tayn 
A  savi^  autr'  a  foyl  ; 
Lo  privât  e  l'estrayn 
Guarda  se  dur  e  moyl. 


1 ,   Aytal  guasayn  farets 
Costal  fols  fats  cesens, 
Con  can  prop  foc  serets 
D'espines  verts  cruxens. 


38.   A  l'u  tayn  parlars  aut 
Ez  a  1'  altre  suau  ; 
Sil^oi  cor  as  d' ira  caut, 
Ab  fenx  semblant  t'esjau. 


2 .    Foyls  malign  argoylos 
Sobre  biels  ri  axi 
Conlair'  emtre  layros 
Qui  d'altruy  mal  se  ri. 


^9-    Rasos  asaut    e  suau    com- 
Dir  a  foyl  no  cove,      [posta 
C'a  rasos  no  s'acosta, 
Ans  respon  mal  per  be. 


533.   Can  canteras,  not  ries 

Ab  crits,  co  vey  mans  rire, 

Per  alegre  que  sies, 

S(ii  escarns  no  vols  ausire. 

??4.   Can  hora  se  ri  e  canta 

Mermen  prenon  tuyt  trey  ; 
Com  fa  el  ris,  par  canta, 
El  cant  si  pert  son  drey. 


340.  Paraula  non  es  biela 
En  la  bocha  del  foyl, 
Ho  es  causa  noviela, 
Si  be  lai  passai  coyl. 

341 .  Non  es  tan  solamen 
Foyls  qui  savis  non  es  ; 
Masceyl  qui  malamen 
Viu  es  per  foyl  fat  près. 


335.   Le  fats  se  ri  ab  crits 
El  savis  pla  e  gen  : 
Ris  fats  es  melasits, 
En  vil  trop  non  a  sen. 


342.   Si  parles  as  aureylas 

Dels  foyls,  meynspreseran 
Tos  dits,  si  bels  conseyles, 
E  jare  non  feran. 


330  EccLE.  vu,  7;  Sicut  sonitus  spinarum  ardentium  sub  olla,  sic  risus 
stuiti.  —  331  c  can  con,  —  334  a  serri.  —  335  Eccli.  xxi,  23  :  Fatuus  in 
risu  exaltât  vocem  ;  vir  autem  sapiens  vi.x  tacite  ridebit.  —  338  />  Ezel.  — 
358  (i  ie  fian.  —  339  Prov.  xvii,  7  :  Non  décent  sîultum  verba  composita. 
—  341  (f  e  es. —  342  Prov.  xxiii,  9:  In  auribus  insipientium  ne  loquaris, 
quia  despicient  doctrinam  eloquii  lui. 


S2 

543 


No  pots  ab  foyl  parlar 
Guayre  ses  repentir, 
Ne  l' escarnit  gaubar 
Ne  l'usât  descarnir. 


344.  Le  frayres  aiudats 
De  son  frayr'  es  axi 
Com  la  ferma  ciutats  : 
Le  proverbiso  di. 

345 .  Tart  parle  raso  brieu, 
Plana,  can  parleras, 
Ab  vots  bassceta,  lieu, 
Que  plus  grasit  seras. 

346.  Sent  Jeronim  estima 

Zo  don  par  que  bet  prengua 
Ans  aports  a  la  lima 
Tos  dits,  que  a  la  lengua. 


350.   So  c 'hom  al  pruysme  do 
No  deu  dir  ni  cutjar 
Que  per  gratia  fo  ; 
Voyl'  0  no,  ho  deu  far. 

551.   Molt  mays  val  sens  periyl 
Pa  etz  aygua  manjar 
Que  perdits  ni  conils 
Ne  vi,  ab  mal  usar. 

:;  5  2 .   Nos  corromp  causa  biela 
Per  una  vetz  veser, 
Mas  corromp  se  punciela 
Per  una  vetz  tener. 

353.   S'una  vetz  prens  olor 
De  causes  ben  olens, 
Non  perdran  lor  valor 
Ni  ja  non  velran  meyns. 


347.  Le  savis  el  cor  a 
La  boca,  el  foyls  te 
Lo  cor,  c'  a  lieu  et  va, 
En  la  bocha  dese. 

348.  Per  savi  es  tenguts  ivi 
Le  foyls,  can  va  caylan  ; 
Molt  es  noble  virtuts 

Can  hom  val  cor  sobran. 

549.   Can  l'us  membres  sent  mal, 
Sis  fan  per  semblan  tuyt  ; 
Si  fas  bos  croy  j ornai, 
Alt  leveran  lo  bruyt. 


354.  Nuyla  res  not  tenra, 
Aygua,  vens  ne  presos, 
Tant  cant  femna  fera, 

On  pus  seras  gurayos    [sic] . 

355.  Lo  corptremet  Nohe 
De  l'archa,  vertats  es, 
E  no  tornet.  Per  que  ? 
Car  dix  que  muyler  près. 

3  $6.   A  metremonis  tayn 
Que  ses  solvimen  sia; 
Del  metremonis  playn 
Qui  ab  malvat  se  lia. 


544  Prov.  XVIII,  19:  Frater  qui  adjuvatur  a  fratre  quasi  civitas  firma.  — 
347  EccLi.  XXI,  29:  In  ore  fatuorum  cor  illorum.  —  348  a  b  Prov.  xvii, 
28  ;  Stultus  quoque  si  tacueril  sapiens  reputabitur.  —  348  d  Con.  —  349  c  Si 
fas.  —  349  a  C] .  Le  Roux  de  Lincy,  Livre  des  prov.  1,  276;  Cui  li  chiés  deut 
est  {lis.  el)  tuit  ii  membre.  —  351  ^  Pas.  —  35"  '^  Nenis. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

5^5 


Deleyts  es  metremonis 

Et  torn'  en  maltrayt  grieiis 

Ez  ajustel  demonis 

Et  re  nol  solv  mas  Dieus. 


y^ 


Le  baros  no  faels 
Es  ver  santificats 
Per  muyler  qu'  es  faels 
Et  monda  de  peccats. 


^58.   Si  vols  plasen  manjar. 
No  vuylesenans  d'ora; 
Désirs  fa  meylorar 
Manjar  c'  om  asebora. 


^66.    Santa  Cicilia  fe 

Son  espos  bo,  can  1'  ac, 

El  converti  dese. 

Tan  disen  c'  a  Dieu  plac. 


559.  Nabugadonasor 
Emfants  ensenyava  ; 
Per  aver  soptil  cor. 
Pauc  a  menyar  los  dave. 

560.  Entre  quinz'  e  .xx.  ans 
Artfocdejoventpus;  'f.  16 
Qui  vol  saber  d'enyans, 

Ab  avols  femmes  us. 


567.  Muylers  ama  merit 
Qui  no  la  fir  falona  ; 
Cel  tenc  per  benesit 
Qui  la  pot  aver  bona. 

568.  Saber,  aver,  honor 
Poi  payre  fiy[l]  donar  ; 
Mas  muyler  ses  foylor. 
La  pot  hon  al  fiyl  dar 


561  .    Qui  sa  fiyla  ajusta 

Ab  amant,  be  ho  fay, 
Can  es  ver[g]es  et  justa  ; 
Mas  miyls  fa,  sis  n'  estay. 

362 .   Qui  necis  vol  peccar 
Necis  pert  ses  govern, 
E  pers  de  perdonar 
Met  mans  bocs  en  infern. 

56 ^    De  proar  se  folia 

Muyler  horn,  pus  l'a  presa  ; 
Tenya  la,  quai  que  sia, 
Pus  en  l'alberch  l'a  mesa. 

564.   Muyle[r]s  es  gaugs  durable 
O  durables  torments  ; 
Muylers  gen  resonables 
Dona  alegraments. 


369.    Si  prens  muyler,  ben  gara 
Sia  del  tieu  semblan; 
Qui  d'aytal  fayt  s'empara, 
Ops  es  c'  ap  sen  hi  an. 

570.    Dieus  can  det  a  Adam 

Muyler,  dis  ses  doptansa  : 

■<;  Adjutori  fasam 

A  eyl  de  sa  semblansa.  » 

571  .    Dieus  no  fets  del  cap  Eva, 
Per  que  dir  no  pogues 
So  don  mans  mais  s'éleva 
Et  no  senyorages. 

572.   Eva  nofo  moguda  r  , 

Del  pe  d'Edam,  que  fos 
Per  sirventa  tenguda, 
Car  no  fora  resos. 


557  d  solem.  —  359  i  emfauis. 
bon.  —  569  c  Que. 


365  Cf.  I  Cor.  VI 


568   </  pot 


37^ .    Eva  fo  del  meg  loch 

D'Edam  per  raso  bona; 
Per  aysodel  mig  moc 
Que  fos  sa  companyona. 


THOMAS 

380. 


L'alberc  sia  per  tu 
Coneguts  bonaments, 
Si  quey  miron  cascu 
Mays  tu  quels  ornaments. 


174.    No  vuyles  de  noblea 
Ab  ta  muyler  contendre; 
De  jovent,  de  bellea, 
Te  semblant  vuyles  pendre. 


?8! 


La  verga  on  es  batuts 
Xastian  deus  baysar; 
Gels  es  sers  et  creguts 
Quis  laxa  xastiar. 


575 .    Si  estret  es  l'anels 

Pus  quel  det  no  cove, 
Nol  ports  net  sia  beyls, 
Que  no  t'  estera  be. 


382 .    No  mor  cel  quis  castic 
Per  verga  ;  can  ferras 
Ab  verga  ton  amie, 
D'imfern  lo  lunyaras. 


576.   Can  l'aneyls  ampl'  estay, 
En  prim  det  no  s'enpar, 
Que  mentement  en  cay, 
C  om  no  l'en  pot  gardar. 

377.  No  deus  pendre  muyler 
Mas  per  cessar  peccat, 
E  c'aies  heratier 

Que  tenya  te  heretat, 

378.  No  désirs  fiyls  aver 
Mas  per  crexer  t'onor 
E  c'aion  bon  seber 
D'onrar  nostre  Senyor. 

379.  En  ton  alberch  no  vuyles 
Esser  reconaguts 

Per  senyor,  ney  acuyles 
Re  don  sies  perduts. 


383 .  Verga  de  diciplina 
Aygua  de  peyra  tray. 
Si  con  la  verga  fina 
De  Moysen,  se  say. 

384.  Cil  c  'an  dur  cor  con  peyra, 
Verga  d'emfermetat  [(/".  17 
0  be  d'autra  maneyra 

L'a  tost  a  Dieu  tornat. 

385 .  Liada  es  folia 

Dins  el  cor  de  1'  emfan. 
Mas  verga  l'en  desliya 
E  fug  d'eyl  castian. 

386.  Disciplina  aduts 
Saber  et  saviesa  ; 
Ceyl  es  qui  viu  perduts 
Sens  tant  nobla  riquea. 


375  c  mig  nex.  —  379  Mart.  Dumiens.,  Formula  honestas  vitas,  cap.  III  : 
Nec  dominum  velis  esse  notum  a  domo,  sed  domum  a  domino.  —380  Martin. 
Dumiens.,  op.  de  Moribus  :  Sic  habita,  ut  potius  laudetur  dominus  quam  do- 
mus.  —   381  c  sers  =  certs  .? 


l87 


LES  PROVERBES   DE  GUYLEM  DE  CERVER/ 


Salamos  fo  aytan 
Fols  con  desemparet 
Disciplina,  don  dan 
E  mal  nom  en  portet. 


595 .   Le[s]  lagrimes  del  hoyl 
Sant  et  del  piado(r  s 
Torcara  ses  orgoyl 
Deus,  qui's  sols  poderos. 


No  digues  que  ton  frayre 
Ams  mays  que  tu  no  fas 
Sil  lays  son  voler  fayre 
E  tu  castiar  l'as. 


196.   Axi  corn  les  esteles  y°] 

Del  cel  pots  lieu  comptar, 
Si  tu  meteysno  celas, 
Porasautra  celar. 


389. 


Herater  vuyl  ceyl  fiyl 
Qui  betuts  es  per  mi  ; 
L'autra  laix  en  periyl 
Que  no  bat  ne  casti. 


597.  Can  en  rocha  veyras 
Lo  pas  de  la  serpen, 
De  ta  moyier  sebras 
Tôt  son  entendimen. 


590.   Le  simis  la  nots  lansa  _ 
C  a  vert  escorxeamare, 
Don  con  foyls  l'abondansa 
Del  gra  dois  desempare. 


398.    Hom  no  sap  de  1'  ausiel 
Volan  hos  pausara  ; 
Nos  fay  del  jovenciel 
Si  bos  0  mal  seras. 


591.  Disciplin' esamare 
Que  aporta  douçor 
Fina,  plasent  e  cara  : 
Donchs  not  fasa  paor. 


599.   Tôt  axi  com  la  luna 
Crexen  poras  mermar. 
Pots  per  ver  .j.  ne  una 
Sens  alcun  crim  trobar. 


592.   Benuyrat  seran 

Ceyl  quis  ploron,  c'apres 

Lo  plor  s'alegreran, 

C  ab  plor  ve  gaug  ades. 

595 .   Ben  sabs  que  les  abeyles 
Fan  pic  amar  con  fel. 
Mas  hom  vol  noyrir  eylas 
Per  amor  de  la  mel. 


400.  Can  veyras  lo  cami 
Qu'en  la  mar  fay  la  naus^, 
Poras  far  bona  fi 

C'ab  vil  femnat  repaus. 

401.  So  qu'esser  no  poria 
Cre  fols  et  fais  semblans  ; 
Si  nuyls  hom  en  tus  fia, 
Guardet  que  no  l'engans. 


594.    Hom  poda  lasermen 
Per  fayre  fruyt  meylor; 
S'avia  sentimen 
Sentir  n'  i  a  dolor. 


402  .    Per  amor  de  la  mayre 
Vey  demorar  Temfant; 
Jamays  de  fais  compayre 
No  vendra  pro  ses  dan. 


d  castian.  —  399  d  Cens. 


56 
403. 


De  guasayn  qui  mal  sia 
No  feras  obra  bona  ; 
Tôt  can  guasayn  falcia 
Tôt  a  desastr'  o  dona. 


404 .  Si  falcia  guasanya, 

Ne  0  met  dins  la  porta, 
Nuls  hom  non  es  qui  planya 
Can  desastras  n'  0  porta. 

405 .  Aytant  me  deus  grasir 
S'a  ton  amich  fas  be 
Per  tu,  corn  de  servir 
Tu  eys  et  mays  gran  re. 

406.  Aytant  am  mon  amich, 
Si  no  m'  0  fay  saber, 
Com  tem  mon  enamich, 
Si  nom  fay  desplaser. 

407 .  Soven  te  hom  per  mal 
Lo  bo,  el  mal  per  be; 
Tal  re  dits  hom  que  val 
Qui  nots  et  pro  no  te. 

408.  Francs  senyer  et  compayns 
Sies  dins  ton  ostal  ;    [(/.  18I 
Gint  recip  los  estrayns, 
Mas  no  tots  per  egual. 

409.  Si  vols  leyo  semblar 
Aucient  tos  sotsmes, 
No  pots  guayre  durar 
Pusnot  venca  merces. 

410.  Altres  vencre  toyl  força; 
Mas  homil  vencimens 
Donan  poder  esforça 
Tots  cels  que  merces  vens. 


THOMAS 
41  I  . 


412 


Mant  sabon  grat  aver 
De  so  que  no  feran  ; 
A  moûts  vey  conquerer 
Desgrat  de  tôt  can  fan. 

Mays  vuyl  de  mon  misatge 
Beyl  respos  ses  re  far, 
Ques  ab  respos  selvatge 
Fa[r]  so  que  vuyl  mandar. 


41  ^ .    Diables  fe  duptan 
Entrepretacio 
A  Eva,  don  es  gran  dan 
Prin  la  melor  raso. 


414. 


Pus  benenans  séria 
Trencan  roques  de  grat, 
Que  si  rosas  cuylia 
Contra  ma  volentat. 


415.  Reys  vens  ab  paciencia 
Ez  ab  dous  faytz  pus  gen 
Tots  quants  paciens  vensa 
Que  ab  enfortimen. 

416.  Meylor  venser  faria 
Una  gen  c'  un  baro  ; 
Qui  son  fel  cor  vencia, 
Faria  fayt  maysbo. 

417.  Pus  leu  aturaria 

Nau  en  mar  en  gran  ven 
Us  foyls,  que  no  faria 
Sa  lenga  mal  disen. 

418.  Moli  vey  aturar 

Per  .j.  homa,  can  mol. 
Lenguar  no  castiar 
Per  mil,  can  parlar  vol. 


403  a  cia. —  403  c  fais  sia.—  403  ^destrodona. —  410  e  força.  —  415  biec. 


LES  PROVERBES    DE  CUYLEM  DE  CERVERA 


57 


419.    Pus  lieu  sera  usada 

Lenguavil,  cant  es  lonja, 
Que  no  er  [sjaiiada 
D'usar  en  dir  mensonja. 


427.   A  l'arbre  loyl  dels  rams 

Mais,  et  membret  dels  bos  ; 
Pel  fruyt  don  me  creys  fams 
Quel  pus  disgracies. 


420 .    Bestias,  peys,  auciel 
An  abitacio 

En  est  mon  ses  capdiel, 
Mas  lo  fiyl  de  Dieu  no. 


428.    La  mala  volentat 

Pot  hom  d'ome  partir 

E  metra  la  bontat 

Don  hom  pot  fruyt  cuylir. 


42  I .   Con  ymages  aiam 

De  terra  qui  pauc  val, 
Per  que  no  la  portam 
Del  ciel  bon  e  reyal  ? 


429.   Qui  sa  volentat  fa 
No  aten  guaserdo 
Mas  de  si  ;  no  l'aura 
Per  dreyt  ni  per  rayso, 


422.  Fiyls  desobediens 
Ho  destreitzd'obesir, 
Can  ho  presera  mens 
Es  jutgats  a  morir. 

423 .  Utero  jutgamen 
Donet  per  dret  jutgat  : 
'  Fiyl  desobedien 

Sion  alapidat.  >> 

424.  Mayr'  es  obediensa 
De  totes  les  virtuts. 
Mayrastra's  de  falensa 
Et  de  vicis  sebuts. 


450.   Qui  volentat  d'autruy 
Vol  far  e  no  de  si 
Aten  grat  de  seluy 
Et  de  tu  et  de  mi. 

45 1  .   Selamos  ac  contrari 
Per  desobediensa 
Un  home  adversari 
Can  fe  tan  gran  falensa. 

4^2.    La  clau  de  paradis       /.  19) 
Trobet  obediensa 
(^is  perdet  —  so  m'es  vis  — 
Per  desobediensa 


425 


Obediensa  es 
De  merits  poderosa, 
Seluts  ferm'en  tots  bes 
E  forsa  greciosa. 


435.    S'en  vida  vols  intrar 
Durable  bonamens, 
Guardet  de  mal  obrar 
Et  servels  mendaments. 


426.    Desobediens  fo 

Adam,  per  que  perdet 
Son  poder  per  raso  : 
De  senyor  serfs  tornet. 


434.  Obediensa  quer 

.vij.  causes  veramen: 
Obesir  vol  primer 
Ez  aqueyl  simplamen, 


419  d  miada?  —  425  c  form. 


^8 

A.    THOMAS 

4^5. 

E  vol  alegramen 
Et  ivasosamens, 
Volenterosamen 
Queretberonilmens, 

445- 

Mas  en  franch  cor  omil 
Non  es  obediensa  ; 
Franques'  e  fait  jantil 
Fan  beyla  continensa. 

456. 

Continuadamens, 
Et  la  entencios 
Del  voler  francamens 
Es  grans  melorasos. 

444. 

Si  ab  mi  vols  estar,          (V"i 

Mos  mendaments  feras, 

Ab  que  not  man  mal  far; 

E  ja  no  arreras.                           1 

457.  Dieu  no  guarda  la  causa 
Que  hom  fa,  mas  lo  cor  ; 
Qui'n  malvoler  se  pausa, 
Per  lo  malvoler  mor. 


445 


Si  tu  fas  a  te  guisa, 
A  ma  guisat  daray; 
Si  tu  fas  a  la  mia 
A  la  tua  faray. 


458.   A  fait  no  guarda  Dieus, 
A  pesni  quantitat, 
Sil  fayts  es  grans  0  lieus, 
Mas  sol  la  volentat. 


446.   Poder  desordonats 

Not  moua  ne  riquesa  ; 
On  pus  seras  pugats 
Aies  mays  de  simplea. 


4;9.   Ipocras  pauset  ley 
Et  Octopigoras 
Sobrels  lors  —  fe  que  dey 
Que  negus  per  nuyl  cas 


447.   Membret  qu'el  mon  poder 
Non  a  mas  ceyl  de  Dieu; 
Qui  poder  vol  aver, 
Am  ceyl  e  meynsprel  sieu 


440.    Non  auses  demendar 
Desentencia  lor, 
Per  ques  diria  mar 
Fosson  resebador  ; 


448.   Alegra  donador 

Ama  Dieus  e  te  car, 
E  pug'  e  creys  s'onor 
Al  do  gaserdonar. 


441 .   Segonsso  quel  disen 
Aurion  be  parlât 
Fosson  il  entenden 
De  la  auctoritat. 


449.   Bieyla  car'e  douçors 
De  paraules  plesens 
Son  d'obesir  colors, 
Servan  los  mendaments. 


442 .   Nuyia  virtut  non  as 

Mager  ops  que  simplea; 

E  vergonya  auras, 

Car  no  es  sens  franquesa. 


4^0.   Pus  per  obra  plesen 

D'obesir  es  pastz  Dieus: 
De  fel  li  fas  presen, 
Si  l'obesir  t'  es  greus. 


448^(fjgas  ordonar. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 


59 


4P  .    Lopsalm  dits,  qui  belguarda: 
.c  Deron  [mej  man  gar  fel.  » 
Nol  dons  vianda  amara, 
Tu  qui  dar  li  deus  mel. 


458.    La  verga  d'arbre  bo 
Lia  hom  a  .j.  pal 
Per  aquesta  rao 
Que  no  trenc  per  vent  mal. 


452.   Tota  bonesas tutcha, 
Car  es  propis  mestiers 
De  cel,  can  trop  noy  lucha. 
Qui  G  fa  volontiers. 


459.    Emfants  quan  es  laxats 
A  sa  volentat  fayre, 
S'al  pal  non  es  liats 
Estreyls,  confon  sa  mayre. 


453.    D'avso  son  molt  preyat 
Li  princep,  que  lur  man 
Sion  tost  acabat, 
C  hom  de  re  nols  desman. 


460.   A  fiyl  de  re  cove 

Sobra  tots  entendensa, 
E  sia  liyats  be 
Al  pal  d'obediensa. 


454.  Tu  qui  volontiers  fas, 
Co  c'  affar  as  fay  tost, 
Pus  vius  e  léser  n'as, 
Que  puystem  prop  not  cost. 


46 1 .    Qui  a  molt  ha  mandar 
Cove  c'  ai'  obesit, 
Qu'esters  no  pora  far 
Plasenment  ne  grasit. 


45  <, .   Vesist  l'orne  espert 
Denan  lo  rey  estar; 
L'obra  don  no  s'espert 
Li  fara  aturar. 


462.    Si  tu  vols  obesir, 

Temps  de  mendar  atens; 
Per  re  no  pots  feylir 
D'aver  obediens. 


456.   Ja  per  aspra  paraula     /'.  20)      46: 
No  lays  obediensa, 
Ne  no  parles  a  taula 
Tro  que  raysos  t'en  vensa. 


Tu  qui  obesit  as, 
Dels  mans  qui  t'  eron  grieu, 
Sim  creus,  te  guarderas, 
Que  ja  nols  faras  lieu. 


457.   On  pus  l'arbr'  es  cargats 

De  fruyt,  pus  fort  s'enclina  ; 
On  mays  seras  bestats 
De  bes,  homils  t'  afina. 


464.    S'aital  grat  corn  voiras 
Del  tieu  be  obesir 
Als  tieus  mandats  randras. 
Faries  te  grasir. 


4^1  b  Ps.  Lxviii  22:  dederunt  in  escam  meam  fel.  —  4^5  Prov.  xxii, 
29  :  V^idisti  virum  velocem  iti  opère  suo  ;  coram  regibus  stabit^  nec  erit 
3nte  ignobiJes.  ~  459  Prov.  xxix,  i  j  :  Puer  autem  qui  dimittitur  voiuntati 
suae  confundit  matrem  suam. 


6o 
465, 


Fiyls,  obeyits  als  payres 
Vostres  et  al  senyor, 
Ez  amats  vostres  frayres 
Si  queus  porton  honor. 


472.   Bos  compayns  en  la  via 
En  cax  carrera  es  ; 
De  companyos  tôt  dia 
Bos  apendras  tot[s]  bes. 


466 .  Vertats  emfanta  ira 
Et  servirs  fay  amies  ; 
Pero  en  verta[t]  vira, 
S'esser  vols  d'onor  richs. 


475 .    Fats  no  sab  guasenyar 
Ni  servar  amistats, 
E  ho  pots  bejurar, 
C'amichs  non  ha  hom  fats. 


467 .    Lenya  de  benifaits 
Encen  lo  foc  d'amor; 
D'auîramen  er  desfaits 
Et  mor  qui  noy  ha  cor. 


474.   Savis  faper  sos  dits 
Amar  a  gen  presada  ; 
La  gracia  ab  crits 
Dels  foyls  es  escampada. 


468.   Si  peguacaldaprens 
Senyal  t'en  porteras  ; 
S'  ab  orgoylos  aprens 
Superbiat  vistras. 


[V")      475.    Fiyls,  ab  humilitat 
Acaba  tots  tos  fayts  ; 
De  fayts  d'iniquitat 
Lexan  es  lieu  desfayts. 


469.   Tôt  aytal  companyia 
Corn  al  lop  [e]s  l'anyel 
A  ceyl  qui  malvat  sia 
A  cel  c'  a  bon  capdel. 


476.    Manera  d'ayman  ha 
Franc[a]  homilitats, 
Car  axi  va  tiran 
Coratges,  dits,  passais. 


470.  Ab  los  meylos  de  tu 
Conversa  ez  estay, 
Quel  carbos  morts  ab  .j. 
Viu  torna  viu,  so  say. 

471 .  Axi  corn  les  abeylas 
Se  paxon  en  les  flors, 
Se  pexon  a  seyn  d'eylas 
Li  bo  ab  los  meylors. 


477.  No  cal  erbes  cercar, 
Sorceras  ne  devines  ; 
Ama,  faras  t'amar  : 

Vet  les  meylos  metzines. 

478.  Honorar  e  servir 
Voyles  et  fayre  be, 
E  feras  t'  obesir 

Al  pruymes  portan  fe. 


466  d  Cesser.  —  469  d  capdeiel.  —  470  c  Cal  carbos.  —  475  Ecci.i- 
XX,  17:  Fatuo  non  erit  amicus.  —  474  Eccli.  xx,  15  :  Gratiae  autem  ta- 
tuorum  effundentur. 


479-   Estrecha  companyia 
Es  obligacios, 
C'ans  assi  dan  daria 
Que  a  tu  compayn  bos. 

480.   Si  pots  trovar  amie    1/. 
Savi,  benign  e  ferm. 
Non  auras  enamic 
Des'amor  te  desferm. 

481     Bénignes  tayn  que  sia 
Amichs,  per  tal  que  re 
No  fassa  qui  greu  sia 
A  son  amie,  mas  be. 


LES  PROVERBES    DE  CUYLEM  DE  CERVERA 
487. 


61 


La  poma  vert  toylras 
Per  força  del  pomier  ; 
La  madura  veyras 
Chaser,  sil  vent  hi  fer. 

Hom  joves  mor  per  forsa 
Kt  viels  per  madurea; 
Fuyla,  flors  es  escorca 
Pert  l'arbres  perveylea. 


489.   Si  us  arbres  floria 

Can  deu  son  fruyt  aver, 
Part  natura  faria, 
Obran  contra  plaser. 


482 .   Savis  tayn  si'  amichs, 
Que  sabcha  con  ne  can 
T'ajut,  set  crex  destrichs, 
De  cor  no  re  dubtan. 


490.   Si  hom  veyls  cavelcava 
En  una  cana  lonja 
E  con  enfants  manjava, 
Sariel  gran  vergonya. 


485 .    D'amie  tayn  fermetatz, 
Que  de  1'  autra  nos  toyla, 
Can  sia  fadiats, 
En  luy  mens  be  nol  voyla. 

484.  Qui  SOS  veyls  amichs  laxa 
Per  novels,  es  folors, 
C'axis  par,  sis  biaxa, 

Us  d'amiehs  com  de  flors. 

485 .  Les  flors  con  fresques  so, 
Plasens  et  agredables; 
Tal  vey  de  primer  bo 
Que  puys  es  vius  diables. 


486. 


Ligen  0  as  trobat, 
Si  as  après  Chato  : 
«  Conseyl  sacret  celât 
Livra  ton  eompanyo.  » 


491 .  Sabches  que  malesits 
Es  emfans  de  .c.  ayns; 
Can  seras  veleyits, 
Guardet  d'obres  d'emfans. 

492 .  Piyor  es  bestials  (v") 
Q^ue  bestiaestar; 

Si  bestia  fa  mais, 
Natura  ho  fay  far. 

495 .   Si  bestia  fa  re 

De  mal,  fa  ho  natura; 

Si  bestial  ave, 

Per  vicis,  part  mesura. 

494.   S'ab  negu  prens  paria, 

Guarda  nsi  que  bes  capdel  : 
Membret  la  companyia 
Del  lop  et  de  l'anyel. 


486  Dyon.  C.\to,  II  :  Consilium  arcanum  tacite  committe  sodali. 


G2 

495 


496. 


Si  tu  parts,  honra  gen 
Lo  meylor  per  raso  : 
Membret  del  partimen 
De  l'ase  et  del  leyo. 

Joe  far  can  no  cove 

Aduts  blasm'  e  folor  : 
Membret  lo  jochs  que  fe 
Alas  a  son  senyor. 


497.  Qui  pus  lo  carbo  mena 
Ab  lo  foc,  pus  s  'i  pren  ; 
Qui  de  saber  s'apena 
Saber  menan  apren. 

498.  Poders  et  saviesa 

No  son  senes  bontats; 
Car  hom  val  ses  bonesa 
Meyns  on  pus  es  pujats. 

499.  No  deu  hom  aver  cura 
D'autre  meynspresan  si; 
Trop  fa  mort  aspr'  e  dura 
Qui  per  autre  s'ausi. 

500.  Can  d'amie  parleras, 
Guarda  que,  ne  a  euy; 
Testimoni  feras 

Per  eyl  0  contra  luy. 

501.  No  voyles  esser  glots  ; 
Trop  manjar  mai  perpren, 
Si  com  es  bos  a  tots 
Manjar  eominalmen. 


503.  Peresos,  la  formiga 
Guarda,  que  fa  d'estiu, 
E  senyor  qui  rel  diga 
Non  a;  veies  con  viu. 

504.  Si  desfa  tos  compayns  [f.22] 
So  que  tu  auras  fayt, 

Mas  te  velra  l'estrayns  ; 
En  foyl  auras  maltrayt. 

S  04.   Ceyl  vol  mays  mal  parlar 
Qui  pus  en  vol  bestir 
E  degra  s'en  passar, 
Noab  far  ho  ab  dir. 

5 06.  La  brasa  pren  l'emfans 
Per  lo  foc  que  ve  bjel, 
Que  no  sap  si  1'  es  dan, 
Ez  un  taylan  coutiel. 

507.  Si  tu  fas  aytal  obra 

Com  l'emfans,  mala  creis  : 
La  mameyia  recobra, 
O  guarda  tu  mateys, 

508.  Emfans  s'alegra  mays 
Per  joc  que  per  senbiel 
E[ll  perdres  pus  l'irays 
D'un  pom  que  d'un  castiel. 

509.  Ben  lieu  tal  re  pendras 
Que  tendras  per  guasayn, 
Don  tu  matex  perdras 

Et  serat  trop  estrayn. 


502.   Ezahu  mal  obret 

Et  fet  trop  gran  mercat. 
Que  per  lantiles  det 
Tota  sa  heratat. 


510.   Mays  ama  pauca causa 
Emfans  soven  que  gran, 
E  per  eolps  se  repausa 
Et  per  be  va  ploran. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 


Femna  si  pert  leumen 
Sa  fama,  con  la  flors 
Marfa  lieu  per  lo  ven 
Et  rams  fraygtz  per  calors- 


)i'~).    Femna  qui!  cors  no  gar 

Trop  lieu  en  gran  mal  cay  : 
S'om  se  tard'  el  guardar, 
Si  els  amichs  decay. 


Can  va  entre  setmana 
Defors,  pren  1'  en  axi 
Con  près  a  na  Diana, 
Can  de  l'alberch  s'eixi. 


520.   Femna  vagan  enclausa 
Trop  lieu  cay  en  peccats  ; 
Trop  es  estranya  causa 
Le  repentirs  s'er  dats. 


5  n  .    Na  Diana  y  anet 

Per  les  dones  veser  ; 
En  Xixen  l'en  trobet 
Qui'n  fe  tôt  son  plaser. 


^21.   César  fiyles  avia  : 

Per  tal  que  no  cessesson, 
Car  guardar  les  volia, 
Voie  que  lana  obresson. 


514.    Sobra  gracia  es 

Crans  gracia  pausada 
Castedat,  mays  que  res 
A  biela  femna  dada. 


522.    Si  com  biela  penchura 
Es  sobre  blanch  pausada, 
Sobre  castedat  pura 
Es  vestadura  onrada. 


515.   Verges  solon  guardar 
Denan  honestamens  ; 
Ara  volon  parlar 
E  far  ardidamens. 


5  2  î .   Femna  verges  esquiu 
Trop  manjar  et  fort  vi, 
Con  passar  .j.  gran  riu 
Et  serpen  e  veri. 


^16.    Si  tu  as  fiyla,  voylas 
Quel  marit  let  deman  ; 
Per  re  no  li  acoyles, 
Qu'il  an  marit  sercan. 

517.   Qui  fiyla  laxa  anar 
Defors,  con  ops  hi  ha. 
No  voira  dins  estar 
Tots  jorns  c'ops  hi  aura. 


524.  La  talpa  camjet  mal 
Can  oyls  per  coa  det  ; 
Guardet  de  camj'  aital, 
Cane  bos  no  s'axorbet. 

525.  So  dits  al  lop  Raynarts  : 
Tais  de  letra  sebia 
Qu'era  pecs  et  musarts. 
Guardet  c'  hom  no  t'  0  dia. 


^18.   Si  dompnes  met  en  joch 
Ni  en  femne  laugera, 
Nol  pot  hom  tener  loch 
De  tener  vil  carreyra. 


526.   Tais  s'en  cuya  portar 
Saber  et  lum  ab  si  ; 
Can  nol  sap  gen  guardar, 
Us  pauc  de  vent  l'auci. 


^20  d  repentits  cerdats. 


64  A. 

527.   Sabers  si  com  lums  es 

Que  no  merma,  qui'n  pren. 
Ans  creix  cascus  ades 
Can  horn  autra  n'ancen.. 


554.    Dona  de  bis  vestida 
Et  de  porpre  es  bona, 
Qu'estiers  non  es  gresida 
Si  non  a  cot'  et  eona. 


^28.   Janotdostropd'esmayi/.  251 
Per  noves  ne  per  perdre, 
Me  per  guasayn  trop  jay, 
Ne  re  not  fassa  sperdre. 


^55 .    Bis  es  dats  a  vestir 
Per  aver  castedat, 
E  porpre  ses  falir 
Per  aver  caritat. 


529.    Ma  sors  voil  so  escriva 
Que  sans  Jeronim  dis  ; 
^<  Verges  de  Dieu,  esquiva 
Vi  axi  com  veris.  ■' 


!6.    Ho  femna,  tu  qu'es  biela, 
De  peccar  persabuda, 
Mentanent  c'  hom  t'apela 
Tabelesa  's  perduda 


5  30.   Lots  can  fo  ambriachs 
Ab  sa  fiyla  pequet  ; 
Per  so  da  vi  not  pachs,  [ret. 
C'ab  Lotisi  mans  homs  n'er- 


537.   Tu  biela,  c' al  segl' es 
Vils  ez  imferns  t'agatcha, 
Mays  te  valgra  t'agues 
Nostre  Senyor  desfatcha. 


5  ?  I .    Dis  a  una  donzela 
C'avia  nom  Foria 
Sans  Jaronims,  per  eyla 
Esquivar  de  folia  : 


538.   Qui  son  biel  tresaur  porta 
Denan  tots  per  la  via, 
Del  tresaur  s'aconorta, 
Car  vol  que  toit  li  sia. 


532.    «  Ho  donzela,  pausada 
En  fervor  de  joven, 
No  es  asegurada 
De  fayre  felimen  ; 


539.    Si  savis  es  presats, 
A  tos  obs  ho  sera[s]  ; 
Savis  serats  onrats 
S'a  Dieu  sirven  t'en  vas. 


^33.    Plena  de  fort  vianda 
De  salses  et  da  vi 
Ab  meraveyla  granda 
Es  femna  casta  axi.  » 


540. 


Savis  cal  caus'  a  mays 
Que  fols,  sino  car  vay 
Layon  es  vid'  e  jays, 
E  foyls  areres  tray  ? 


(v°] 


529  HiERON.  Epist.  XVIII  ad  Eastochium  .  Sponsa  Chrisli  vinuni  fugiat 
proveneno.  —  531  Furia  ctait  une  de  ces  dames  romaines  dont  sain!  Jérôme  fut 
cjuelque  temps  le  directeur  de  conscience.  —  ^3 2-5  55  Cj.  Hier.  Epist.  XVIII  ad 
Eastochium:  Vinum  et  adolescentia,  duplex  incendium  voluptalis  est.  —  537  /» 
tagratcha.  —  537  c  ta. 


LES  PROVERBES   DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

541.    Mercadiers,  si  cobria  549.  Le  manjars  s'asabora 

De  biels  draps  laigs  trosiels.  En  la  boca  testan, 

Escarnils  en  séria,  E  bos  motz  s'acolora 

Si  com  de  laigs  los  biels.  En  la  boca  menan . 


65 


^42 .   Vist  ay  mants  bos  trossiels 
De  trop  (si  laigs  draps  cuberts, 
E  cuberts  ab  draps  biels 
Mafnjs  avols,  don  suycerts. 


S  50.    L'aur  del  foc  giteras 
Qui  motle  intrera, 
Es  aytal  l'en  trayras, 
Con  lo  motle  sera. 


545 .    Dieus  mes,  a  liey  de  franch 
Qu'es  tôt  sol  poderos, 
Dins  cuberta  de  fanch 
Esperitprecios. 


551.    Paraula  ve  del  cor, 

Mas  en  la  bocas  forma. 
Es  hom  fai  la  defor 
Segons  que  s'es  la  forma. 


544.   Jes  pes  de  fust  non  es 
Gloria  de  cuil'a; 
Aytant  pauc  preye  arnes 
A  home,  can  breu  va. 


552.    Heu  ay  femna  trobada 

Pus  amara  que  mort  ;    /.  24^ 

Femna  jalosa  fada 

Plors  de  cor  ses  comfort. 


545 .    Moylers  vils  be  vestida 
Esquerns  es  de  marit, 
E  cil  es  exernida 
Ez  il  pecz  fal  mal  dit . 


5  <i  :; .    A  verges  son  .vij.  causas 
Sobre  tôt  temorosas: 
Superbia  e  pauses 
—  Fa  d'ayso  totes  hores  - 


546.    Be  se  gloriyaria 
S'avia  gran  balea 
Qui  se  gloriyal  dia 
Tôt  en  sa  gran  legesa . 


5  54.    E  taca  de  peccat 
Et  de  perseveransa, 
Fal  et  tebesetat 
Et  vils  desesperansa. 


^47.    Fiyl  et  cavelier  so 

L'argoylos  del  diable, 
Qui  es  et  er  et  fo 
Reys  d'argoyl  asirable. 


555.    La  meylor  causa  qu'es 
El  mon  es  pus  esquiva; 
E  la  pus  avol  res 
El  mon,  pus  agradiva. 


5  48 .   Senher  es  bona  nats. 

Don  hom  ha  gaugcon  manda, 

E  senyer  asirats. 

Quilsbos  mendats  desmanda. 


5^6.   Aquest  segl'  es  plo[m]bats 
De  matrimonis  gen, 
E  per  verginitats 
Paradis  bielamen. 


^42  u  Uits.  —  544  b  descasca.  —  546  a  Bes  gloriayaria. 
^^2  Cf.  EccLE.,  vu,  27  :  inveni  amariorem  morte  mulierem. 

Romania,  XV 


^6  (  quis. 


66 

557- 


Si  corn  lis  entr'  espines 
La  mia  amigastay 
Entre  les  fuyles  clines 
Al  vent  qui  las  dechay. 


558.  No  voyles  longiamen 
Sols  ab  parenta  star  ; 
Aies  remembramen 
Del  sogra  de  Tamar. 

559.  Cinc  grans  en  semblan  d'or 
Ha  en  la  flor  del  lirs  ; 

La  verges  rich  tresaur 
Ha  dins  al  cor  assis. 


560. 


Dousamen  et  fortmens 
Am'e  saviamens 
Con  fi  aur  finamens 
Dieu  ;  l'als  es  niens. 


565.  L'enamics  cèlera 
Lo  be,  can  lo  faras, 
E  l'envejos  dira 

Mays  mal  que  no  diras. 

566.  Tal  obra  penss'  a  far 

Que  per  loc  ne  (per)  fenestra 

No  la  deies  laxiar, 

Per  mar  ne  per  tempesta . 

567.  Princep  deu  esquivar 
Si  molt  perfetamen 
Nuyl  peccat  non  empar, 
Altra  peccat  giquen. 

568.  Princep  deu  abacort 
Es  ab  cossirer  far 

.  Bos  fayts,  guardan  de  tort 
E  dels  sieus  a  raubar. 


^6\ .   En  blanca  vestadura 

Par  miels  qu'en  autra  taca  ; 
Sis  fay  en  verge  pura, 
Mays  que  vert  sobre  laça. 

562.  Maysc'angels  an  poder 
Verges  la  carn  sobran  ; 
So  dits  le  viers  per  ver, 
Etl'angel  carn  no  an. 

563 .  No  voyles  c'  hom  t'apeyl 
Per  semblan  foyl  repres; 
Nés  deu  vestir  la  peyl 
Del  lop,  qui  lop  no  es. 

J64.  Tais  ha  cross'  e  aniel,     (v°) 
Non  oac  bonament; 
Tal  porton  lonc  mantel 
Q^ui  galion  la  gen. 


569.  Can  princep  guasa[n]yes 
Tôt  lo  mon,  nol  valria, 
Pus  si  metex  perdes  ; 
Tôt  l'als  re  nol  séria. 

570.  Princep  se  deu  guardar 
Que  no  sia  argoylos, 
Monsonges  ne  guabar, 
Mal  parlier  ni  iros. 

571 .  Princep  se  guart  d'emvege 
Et  de  rependre  be, 

E  monsongiers  no  crege, 
Per  cuy  tots  mais  rêve. 

^72.   Lo  nosavis  desplats 

Can  miyls  cuyda  plaser  ; 
Per  tal  es  dos  donats 
Qui  non  sab  grat  aver. 


557  Cant.  II,  2  :  Sicut  liliutn  inter  spinas,  sic  arnica  mea  inter  filias.  — 
55b  Thamar,  bru  du  patriarche  Judas;  voy.  Gènes.,  xxxviii,  6  et  suiv.  —  564 
crossa  aniel.  —  571  c  no  creyre. 


S7? 


LES    PROVERBES   DE    GUYLEM    DE   CERVERA 


Exempli  pren  sotsmes 
Del  prélat  al  peccar  ; 
Si  pecca  cel  cuy  es, 
Tuyt  volon  aytal  far . 


581 


Dieus  me  donet  lo  cor 
Per  penssar  en  tôt  be, 
E  dins  pens  e  defor 
Mal  d'autruy  e  de  me. 


67 


574.   La  pistola  primeyra 
Als  Corinthis  disen 
Dis  :  <:<  prélat  son  carreyra, 
Del  mon  esguardamen.   » 


I2  .  Pes  e  cambas  avem 
Per  anar  salvamen , 
Es  anam  e  querem 
Blasme  et  falimen. 


575 .   Si  als  mirayls  tecats 
Vols  esguardar  te  cara, 
Ja  non  seras  payats; 
D'aytal  mirayl  te  guara 


Can  hom  la  fiyla  ve 
Plasen  ab  gran  bautat, 
De  la  mayrel  sove, 
Con  ne  quais  ha  estât. 


576.   Puslaigspeccatsnonesî/. 25! 
Ne  pus  durs  de  cobesa  ; 
Hom  de  cobeitat  pies 
Compon  tota  malea . 


584.   Can  princep  tort  estay 
Qui  en  dreyt  es  pausats, 
Si  el  poble  decay 
Ab  aximplis  malvat. 


577.   Ceyl  es  benuyrats 
Qui  senes  taca  viu; 
E  senyor  asirats, 
Pus  los  sleusfranchs  esquiu. 


^85 .   Sus  pes  te  vay  entort, 
El  cap  mal  te  fera  ; 
Guarda  si  seran  fort 
Tort  qu'aïs  deys  mandara. 


578.   La  lengans  era  dada 
Per  nostra  ben  parlar, 
Es  avem  la  virada 
En  tôt  lo  corstecar. 


^86.   Qui  sa  boca  gen  guarda  iv°i 
L'anima  gara  be; 
Qui  a  parlar  nos  tarda 
Sens  causir,  mal  lui  ve. 


79.    Dieu  nos  det  les  aureyles 
Per  tots  bos  fayts  ausir, 
E  si  mal  me  cosseylas 
Nom  pots  mays  plaser  dir. 


^87.    Cel  qui  molt  vol  parlar 
Usan  moites  paraules. 
Vol  s'anima  nafrar 
Meten  per  vertats  faules. 


580  .   Les  mas  nos  eron  dades 
Per  bones  obres  far, 
Es  avem  lespausadas 
A  l'arma  imfernar. 


Axi  con  savis  fay 
Per  son  parlar  grasir, 
Foyls  al  contrari  vay  : 
Als  prims  non  cal  pus  dir. 


i74  I  CoRi.  IV,  9  :  Puto  enim  quod  Deus  nos  apostolos  novissimos  ostendit. . 
quia  spectaculum  facti  suinus  mundo  et  angelis  et  hominibus.  —  S^S  '^  entorn. 


68 
589 


Le  malvats  comfondra, 
Qui  sera  comfonduts  ; 
Fais  tant  nos  rescondra 
Que  no  sia  sebuts. 


590.  Per  les  tuas  paraules 
Seras  justificats, 

Si  con  gint  les  entaules, 
0  ben  lieu  condempnats. 

591.  David  dix:  «  Senyor  Dieus, 
Pessats  ay  en  mes  vias 

E  girats  los  peus  mieus.  » 
A  tu  enseyn  c'o  dias. 

592.  Hom  es  pus  bestials, 
C'a  raso,  can  no  n'usa, 
Que  bestia,  els  mais 
Sobrar  l'a,  per  que  musa. 

593 .  Causes  no  covinents 
Serion  als  prélats 

Tais,  que  les  autres  gens 
O  serion  assats. 

5  94 .    Fayts  no  covinents  es 
Tais  als  religios, 
Cals  seglars  f[r]anchs  entes 
0  séria  et  bos. 


THOMAS 

595 


La  paraula  del  fat 
En  la  boca'  s  represa, 
Car  loch  ne  temps  ne  grat 
Noy  a  ne  rayso  mesa. 


^96.    Riquesa,  dignitats 
Fay  autr'  omeliar 
Es  a  las  volentats 
De  si  aperaylar. 

597.  Axi  com  es  l'avars 
Devasceluy  que  ve 
Empes  assolassars 
Entorn  celuy  qui  se. 

598.  Homilmen  aclinar       1/.  26) 
Can  li  passa  denan, 

Can  s'en  va,  solats  far, 
Seguir  plasers  comtan . 

599.  Estan  de  jonoylons 
Sirven  devan  senyor  ; 
L'Apostols  en  somos 
Romans  d'aytal  honor. 

600 .  Si  trobes  via  torta, 

No  la  tendras  per  bona  ; 
Guarda  tort  con  comforta 
Da  reys,  c'a  tort  se  dona. 


07  Couplet  cité  par  En  Pach:  Cell  qui  molt  vol  parlar  |  Husant  moites  pa- 
raules I  Vol  sa  anima  nafrar  |  Mêlent  per  veritat  falcies  {Esp.  ^4,  fol.  40  d; 
55,  fol.  2]  d\  Documentos,  p.  248).  —  ^9  Prov.  xiii,  5  :  Impius  autem  con- 
fundit  et  conlundetur.  —  590  Couplet  cité  par  En  Pach:  Per  les  tues  perau- 
les  I  Seras  justifichat  |  Si  com  gint  les  entaules  |  0  ben  leu  condempnat  (Esp. 
54,  fol.  40  V";  ^^,  fol.  23  v«;  Documentos,  p.  248).  —  591  Psalm.  cxviii, 
^9  :  Cogitavi  vias  meas  et  converti  pedes  meos.  —  595  Eccli.  xx,  22  :  Ex 
ore  fatui  reprobabitur  parabola.  —  599  d  Remans.  On  ne  voit  pas  bien  à  quel 
passage  de  l'épitre  aux  Romains  Ccrvera  fait  allusion. 


LES    PROVERBES    DE    GUYLEM    DE    CERVERA 


60 1 .   Si  portes  .j.  besto 

Tort,  no  t'  estera  gen  ; 
Sis  fa  poble  felo 
Princep,  can  tort  cossen. 


608.   Tais  cuyde  SOS  fayts  far 
Prim'  et  celadamen, 
Quils  fai  a  tos  comptar, 
Esquerns  et  gabs  disen. 


69 


602.   Can  hom  .1.  mot  tort  dits 
Als  ausens  es  esquiuiSi; 
Princeps  trop  es  maldits 
C'a  tort,  loyndedreyt,  vi^s) 


609.  A  ceyl  dey  comendar 
Sacret,  si  l'ay  a  dir, 
C'a  vergonya  d'arrar 
Et  paor  de  faylir. 


60^ .   Cobeitats  es  enveja 

Fa  mants  a  tort  aucir  ; 
Cel  qui  l'autruy  emvegia 
Al  rey  n'a  c'ap  servir. 


610.   Sit  vey  tots  jorns  felir 
Et  vergonya  non  as, 
Eu  con  pusc  avenir 
En  aquo  que  tu  fas  ? 


604 .   Le  bos  profeta  di  : 

«  Aucesist,  possessist. 
D'aytal  mort  pendras  fi 
En  breument  con  faist.  >: 


611.   Si  no  voyl  celar  mi, 
Tu  per  que  celarayi' 
Pus  tu  metex  desfi, 
Autre  ja  no  faray. 


60  s.   Tots  aytal  tayn  que  sia 
Senyer  als  sieus,  com  vol 
Que  Dieus  vas  luy  estia, 
Qu'estiers  als  sieus  fai  dol. 


612.   Très  causas  son  plasens  iv") 
D'enluminacio  : 
Bêles',  endressaments, 
Segurtats  ab  raso. 


606.   Axi  deus  voler  vivra 
Be  ab  lo  tieu  menor, 
Ab  franc  cor  et  délivra, 
Con  vols  de  ton  major. 


61?.   Lengua  no  endressada, 
A  causir  desgrasida_, 
Enans,  car  mays  l'agrada. 
Vole  chausirmort  que  vida. 


607 .   Les  causas  ton  amich 
En  ton  alberch  veyras, 
E  sil  vols  far  destrich, 
Bon  solas  los  auras. 


614.  A  cel  honor  deras 

Cuy  honors  es  deguda  ; 
Tan  d'onor  no  feras 
Que  not  sia  renduda. 


604  Sans  doute  inspire  d'un  passage  mal  compris  de  Jérémie,  Thren.  iii,_  4}  : 
Occidisti,  nec  pepercisti,  etc.  —  605  b  can  uoL  —  609  Couplet  cité  par 
En  Pach.A  cel!  deig  comenar  j  Secret,  si  1'  aja  a  dir  |  C'a  vergonya  d'errar  j  E 
pahor  de  fallir.  {Esp.  54,  fol.  42;  ^^,fol.  24  vo;  Documentos,  p.  2^0).  — 
615  EccLi.  XXVIII,  13:  Lingua  testificans  adducit  mortem. 


70 
6i5 


Sans  Peyres  dix  axi  : 
«  Amich,  lo  rey  honrats. 
El  rey  deu  aitressi 
Honor  far  als  presats. 


THOMAS 

622, 


Li  fiyl  d'Aron  maseron 
Als  ansencies  lo  foc  ; 
E  l'encens  que  doneron 
Denant  Dieu  el  sant  loc, 


616.   Lig  se  en  Levitich  : 
«  Denan  lo  cap  canut 
Te  leva,  e  l'antich 
Honra,  car  es  degut.  » 

6  [  7 .   E  Malachies  fo 

D'est  proverbi  auctors  : 
«  Donchs,  si  eu  payre  so, 
Hones  la  mia  honors?  » 

618.    Cil  qui  son  regidor 
D'esglesa  en  loc  so 
De  Dieu,  perque  honor 
Cove  be  c  'om  lur  do. 


623 .  Car  nols  era  mandat, 
Foc  de  Dieu  dexendet, 
E  car  feron  peccat 
Amdos  los  devoret. 

624.  Elyodorus  fo  (/.  27 1 
Ferits  per  un  cavayl, 

Car  raubet  la  mayso 

De  Dieu,  on  man  foyls  fayl. 

625.  En  .).  sant  loch  devenc 
De  parlar(s1  muts  e  cechs 
Us  foyls,  car  no  s'abstenc 
De  far  mal  part  sos  dechs. 


619.   L'avesque  el  prélat 
D'esgleya  regidor 
Tuyt  son  Dieu  apeylat 
Et  del  mon  guardador. 


626.   Si  us  laychs  tray  .j.  pa 
D'esgleya,  er  vedats  ; 
El  clerchs  estorciera 
La  crots,  et  er  honrats  ? 


620.  E  nuyl  temps  no  feras 
Als  Dieus  detreccio, 
Ne  no  malesiras 
Aycels  qui  princep  so. 

621 .  Miracles  ai  ausits 

Que  Dieus  vole  de  laycz  far; 
Declergues  non  m'es  dits 
Us,  per  glesas  trancar. 


627.  Pus  li  laych  prendon  mal, 
C'a  la  glesa  mal  fan, 
Per  quel  clerch,  desleyal 
Als  laychs,  no  prendon  dan  ? 

628.  Dits  G.  DE  Cerveyra 
Solven  la  questio  : 
Clerchs  no  fa  de  maneyra 
Contra  si  mencio. 


615  I  Pet.  17  :  Regem  honorificate.  —  616  Levit.  xix,  52  :  Coram  cano 
capite  consurge  et  honora  personam  senis. — 617  Malach.  I,  6:  Si  ergo  pater 
ego  sum,  ubi  est  honor  meus?  —  619  C  .  le  quatrain  574.  —  624  La  mort 
d'Eliodorc  est  rapportée  au  livre  II  des  Machabèes^  chap.  m. 


LES    PROVERBES    DE    GUYLEM 

629.   Membret  de  l'Elizeu  6^6. 

E  del  seu  foyl  misatge, 
Corn  ac,  car  près  do  grieu, 
Mal,  ab  tôt  son  linatge. 


DE    CERVERA 


Superbia  es  mayre 
De  tôt  asiramen, 
E  cel  es  d'argoyl  payre 
Qu'  en  superbia  'nten. 


630.    Als  vesis  malamen 

No  trenchs  la  carn  ne  l'ossa 
Membret  de  la  serpen, 
De  l'osqu'  e  de  la  fossa. 


637.   Soperbia  no  quer 

Mas  pau  de  cobramen  ; 
Homelitats  requer 
Trossels  seguramen. 


651.    Cals  causa  S;  pus  lieu  dura  ? 
Lamps.  Et  de  lamps,  que  r  Vens. 
De  vens  ?  femna,  can  dura. 
De  femna,  que  ?  Niens. 


6^8.    Homelitats  désira 

Lo  gra  per  que  s'esforça  ; 

Soperbia  asira 

Lo  gra  et  vol  s'escorça. 


652.   Gran  meraveylam  do 
Can  femna  ri  e  plora 
Lieu  per  pauc  de  raso 
En  .).  pauch  es  demora. 


6^9.    Homelitats  repren 
En  tôt  loc  la  baxesa  ; 
Soperbia  enten 
En  pendra  la  autesa. 


6  ^  ^ .   Non  es  jes  cosa  grans 
En  paubres  exilats, 
Vils,  bas  e  malenans. 
Esser  homiliats. 


640.   La  pus  auta  montanya 
Vol  superbi'  aver; 
Homilitats  se  lanya 
Dels  vils  a  retaner. 


634.   En  ait  honrat  et  rie, 
Biel  et  de  loc  jantils 
Es  gran  causa,  sous  die, 
Es  es  tart  cor  homils. 


641 .   Soperbia  s'en  vay 

Als  mons  on  vental  ven, 
Per  que  el  pus  bas  chay 
Et  seca  mentanen. 


6-}S  ■   Sodis  Crisostomus: 
«  Homilitats  es  bona 
Noyrissa;  v  mas  cascus 
Ab  argoyl  esperona. 


642 .   Sans  Agustis  0  dits  : 
«  Secas  son  les  altures, 
Els  bas  lochs  aemplits 
De  bes  ab  grans  verdures.  » 


629  c  Car;  allusion  un  peu  confuse  à  l'histoire  de  Giézi,  serviteur  d'Elisée,  qui 
se  retrouve  au  quatrain  762  ;  voy.  Reg.,  IV,  ^.  —  630  Allusion  à  une  fable  con- 
nue; voyez  l'édition  de  la  Chanson  de  la  Croisade  des  Albigeois  par  M.  Paul 
Meyer,  IL  281.  — 651  Quid  levius  flanima?  Fulmen;  quid  fulmine?  Ventus. 
Quid  vente?  Mulier;  quid  muliere  ?  Nihil.  {Voyez  Hauréau,  Journ.  des  Savants, 
1884.  p.  401).  —  640  c  seslaya. 


72 
645 


Be  deuries  entendre, 
Aven  de  saber  cor, 
De  cel  c'anava  pendre. 
Qu'en  la  mar  gitet  l'or. 


644.  Homils  fug  [l]a  lausor. 
Et  lausor[s]  l'omil  s)  sec  ; 
Orgoylos  a  lausor 

Cor,  laus  fug,  (e)  nolcossec. 

645.  De  Senacherip  rey 

Se  deu  tots  hom  penssar, 
Con  orgoylsab  des^fjrey 
Fes  ses  gents  pois  tornar. 

646.  Con  cil  de  la  ciutat 

Axi  con  lamps  pendre,    isic) 

E  non  fo  als  trobat 

Mas  pois  e  terra  ab  cendre. 

647 .  Terra  pus  baxia  es 
Dels  autres  elamens, 

E  Deus  de  terrans  fes, 
Sens  aur  e  sens  argens. 

648.  Per  que  terrans  enduts  (/.  28) 
A  gran  homilitat. 

Car  tant  nuyla  vertuts 
No  dona  dignitat. 

649.  Si  t'esguardes  d'un  ves, 
Gran  vergonya  auras  ; 
E  temor  auras  près, 

Si  cossires  on  vas. 


THOMAS 

6jo. 


651 


6^2 


(^Sh 


En  les  estelas  pots 
D'omilitat  apendre 
Eximpli,  et  nol  nots, 
Quil  pot  de  si  eus  pendre. 

Con  pois  e  cenra  sia, 
Parleray  al  senyor 
Mieu  ?  et  d"est'  obra  mia 
Met  Abram  per  auctor. 

Reys  fats,  en  la  cadeyra 
Cesen,estotaxi 
Con  bugia  maneyra 
Enterrât,  sousafi. 

S'entres  per  bassa  porta, 
Lo  cap  as  a  dinar, 
E  quil  cap  bas  no  porta, 
Ses  mal  no  pot  passar. 


654.  Pus  Dieus  lo  cap  baixet 
El  sant  foro  homil, 
Dieus  gran  aximpli  det 
Contrai'  orgolos  vil. 

655.  Al  ser  par  que  no  iproibast. 
C'axi  con  senyer  es  ; 
Guarda  tos  sens  nos  guast 
Per  obra  dels  rapres. 

60.   Le  sers  mager  non  es 

Quel  senyer,  nés  deu  far  ; 
Can  sers  es  d'orgoyl  pies, 
Senyor  cuya  sobrar. 


6^6  b  Corr.  Axiron  las  gens  prendre  ?  —  6p  Gen.  xviii,  27  :  Cum  sim  pulvis 
et  cinis,  ioquar  ad  dominum  meum?  —  60  Jo.  XIII,  16,  x\,  20:  Non  est 
servus  major  domino  suc. 


LES    PROVERBES 

657     Tortra  vol  soletats 

Et  Colomba  companya  ; 
Qui  val  entre  malvats, 
Doble  valor  guasanya. 

6s8.  Vols  esser  emperayre 
Es  aver  gran  honor  ? 
De  tu  eys  governayre 
Sies,  lonyan  d'error. 

6^9.   Res  no  sofer  pus  grieu 
Terra,  mas  car  hom  n'es. 
Rei  la  qui  la  sustien        {sic\ 
Cals  non  es  tant  li  pes. 


660.    Pus  aspre  caus' el  mon    iv"!      668. 
Non  a  d'orne,  e  par. 
Que  l'ayr  corromp  et  fon, 
Can  vol  desmesurar. 


DE   GUYLEM    DE   CERVERA 


7^ 


665 .  Ja,  a  Roma  anan, 

Ab  cels  no  l'acompayns 
Qui  a  sent  Jacme(s)  yran, 
Car  fayts  séria  estrayns. 

666 .  Ces  companyo  no  mena 
Nuyls  hom,  maslay  on  vay; 
Mas  mal  senyor  fa  pena 

A  ceyl  qui  mal  no  fay. 


667. 


Compenyo  délicat 
Te  feran  départir 
Del  be  c  'as  custumat, 
Si  no  t'en  vols  fugir. 

El  oyl  poras  vesser 
De  ceyl  quit  voira  be, 
Qu'  el  cor  met  oyls  plasser 
De  cel  on  l'amor  ve. 


661  .   Li  princep,  toledor 

Del  paubre  no  colpable, 

E  l'ofecial  lor 

Son  pus  mal  que  diable. 

662.   Ab  gran  discrecio 
Deu  prin.ceps  eligir 
Ceyls  qui  entorn  luy  so 
Es  al  poble  ponir. 

665.  Ja  no  cuygs  esser  sas, 
Sit  dolon  li  costat; 
Ne  ja  bos  no  seras 
Fasen  mal  a  ton  grat. 

664.   Not  sera  S)  sanitats, 

S'ab  mesel  prens  companya  ; 
Qui  s'acost'  als  malvats, 
Grieu  er  que  no  s'en  planya. 


669.  L'aureyla  de  celuy 
C'a  de  ton  be  pesar, 
Si  parles  denan  luy, 
Not  voira  escoutar. 

670.  Be  pots  ton  mal  volent 
Entre  .v.  sens  chausir  : 
En  lalengua  disen, 

Si  prims  dits  sabs  eslir. 

67 1 .  Conoxer  pots  en  l'obra 
Del  fasen  say  et  lay, 
Per  asaut  que  s'en  cobra. 
Si  a  ton  dan  la  fay. 

672.  S'es  usteus  enamichs  (/.  29) 
El  loc  on  tu  seras, 

Entre  .D.  amichs 
Lo  pots  causir  al  nas. 


74 
673. 


En  l'anar  pots  saber 
Cel  qui  no  t'ameran, 
En  l'obrar  el  ceser, 
Cascus  en  lor  semblan. 


674.  Cavelaria  es 
Trebayls,  periyls  d'afîan  ; 
Rey,  duc,  compte,  marques 
Paciencia  obs  an. 

675 .  Princeps  e  cavaliers 
E[s]quiu  gloria  vana  ; 
Ira  de  reys  sobres 

Es  d'autres  sob(r)eyrana. 

676.  Guerra  es  temedora 

A  pri[n]ceps  et  peccats; 
Ez  es  esquivadora 
Paraula  ab  vil  solats. 

677.  L'amonsi  c'  a  pats  Dieus  ac 
Deu  princeps  esquivar, 

E  ja  d'ome  nos  pac 
Meten  foc  per  cremar. 

678.  Le  pus  grans  bos  sabers 
D'aquest  mon  es  guasayns, 
El  major  desplasers, 
Perdres,  el  pus  estrayns. 

679.  Senyor  son  li  juglar 
Dels  temens  di  maldir  ; 
Aytant  deu  hom  duptar 
Falimenconmorir. 


THOMAS 

680. 


681 


682. 


Si  not  guardes  d'arror, 
Arros  te  sotsmetra, 
E  affar  auras  senyor 
D'aqueyl  quit  jutyara. 

Q^ui  vol  sa  cossiensa 
Pausar  en  lengu'  estranya, 
Ades  es  sa  valensa 
Miendre,  ez  ades  manya. 

Si  con  savis  seras, 
Si  seras  paciens; 
Ligen  0  troberas, 
Si  ben  es  entendons . 


68^.  Volenterosamen 
A  ceyls  perdoneras 
Da  cuy  nuyl  honramen 
Del  venyar  no  auras. 

684.   Si  savis  es  ne  grans, 
Ja  no  diras  quet  sia 
Anta  fachia,  enans 
Cobriras  ta  feunia. 

685  Dique  tos  enamichs 
Not  nots  ne  t'  a  nogut. 
lEJsII  ve  nuyl  destrichs, 
Not  sia  conagut. 

686  Can  lo  tieu  mal  volen 
Veyras  en  ton  poder, 
Pren  ho  per  venjamen 
Et  fay  lison  plaer. 


677  b  esquivar  est  évidemment  une  faute  du  scribe.  Con.  esgardar  ?  —  680  c 
Corr.J  —  684-686  Cf.  Martin.  Dum.  Formula  honestae  vitas,  II  :  Si  ma- 
gnanimus  fueris,  nunquam  judicabis  tibi  contumeliam  fieri.  De  inimico  dices  : 
Non  nocuit  mihi,  sed  animum  nocendi  habuit;  et  cum  illum  in  potestate  tua 
videris.  vindictam  putabis,  vindicare  potuisse. 


LES  PROVERBES   DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

687 .    Li  home  son  semblan 

De  cas,  c'  us  l'autr'  asira 
Es  nafron,  don  an  dan  ; 
Et  serps  a  sa  par  tira. 


75 


694.   So  di  sant'  Escriptura 
Que  gran  es  la  malea 
Dois  princeps  ses  masura 
A  la  gent  d'eyls  sotsmesa. 


Bestia  es  ausiels     * 
Aten  tiemps  a  peccar , 
A  hom  estostiemps  biels 
On  pusca  peccats  far. 


695 .   Pasls  de  layo  e  d'  ors 
Es  en  ermps  boscz  solius  ; 
Si  s'es  dels  riez  senyors 
Sobrels  paubres  caytius. 


689     Membret  de  l'escudier, 
Que  fets  a  son  senyor, 
E  con  per  la  muyler 
Ac  (peri  le  marits  paor. 


696 .   Can vel  paubr'  escorjar  (/.  jol 
Son  ben  al  raubador, 
No  poria  portar 
De  si  eys  mays  dolor. 


690.   Le  pas  dels  fraturans 

Es  de!  bas  paubres  vida, 
E  quil  n'es  arrepans, 
Es  hom  desanc  aunida. 


697.  Jal  paubres  no  deria 
Al  metge  sopaucc'  a, 
Si  morir  en  sebia  : 
Donchs  qui  li  0  tolra  P 


691 .    Davis  ques  do  a  Dieu, 
Que  la  mort  de  ses  jens 
Tornes  sobr'  el  em  brieu, 
Qui  n'  era  mal  mirens. 


698.   Si  ses  colpa  prendia 
Le  senyer  son  sirven, 
En  axi  faliria 
Con  sers  senyor  prenden. 


692.    Fel,  can  es  de  bon  ayre, 
Deu  tots  hom  soffertar, 
E  lo  vil  qu'es  tritchayre 
Deu  senyer  esquivar. 


699.   Qui  fa  al  sieu  sotsmes 
Magermal  c'a  l'estrayn, 
Ab  diable  après, 
C'a  us  quels  sieus  gavayn. 


695 .    Mays  ha  ops  qui  mays  te 
Saviesa  madura 
A  foyl  non  a  ops  re, 
Car  de  re  non  a  cura. 


700 .   Dels  dits  non  ayes  cura 
Cal  pol  dits  le  mila  ris: 
Ne  prendas  part  masura, 
Mas  tin  so  c'  ab  dreit  as. 


690  EccLi.  XXXIV,  25  :  Panis  egentium  vita  pauperum  est;  qui  defraudat 
illum,  homo  sanguinis  est.  —  690  b  Et.  —  690  d  aunida  ne  donne  aucun  sens. 
—  695  EccLi.  XIII,  25  :  Venatio  leonis  onager  in  eremo  ;  sic  et  pascua  divitum 
sunt  pauperes    //  semble  qi.c  l'auteur  n'ait  pas  su  traduire  onager.  —  698  d  senyer. 


76 
701 


Femn'  e  diable  fan 
Peits  a  cel  quil[s]  serv  mays, 
C  a  cel  no  tenon  dan 
Qui  contra  lors'irays. 

Greuyan  cels  d'Irael 
Roboan  se  mermet, 
Car  en  sos  fayts  mes  fel 
De  .X.  trips  que  perdet. 


703 .  Cel  qu'es  de  paucs  bes  bos 
Et  fesels  et  verays,. 

Es  per  tots  gracios, 

Et  Dieus  comandal  mays. 

704.  Cel  qui  ha  gran  poder, 
Si  be  nossapguardar, 
Dieus  qui  no  fayl  al  ver 
L'en  vol  despoderar. 

70  ^ .  Si  con  es  gloriosa 
Causa  e  gran  donars, 
Es  vergonya  antosa 
Als  homils  demanda[r]s. 

706 .  Bos  pri[nlceps  deu  voler 
Mays  amor  que  tamor 
Dels  sieus,  car  ab  temer 
No  l'auran  fin'  amor. 

707.  El  senyoris)  se  desmen 
So  c'  a  dompna  disem  : 
«  Non  ama  finamen 

Qui  sa  dompna  no  tem.  * 

708.  Amans  tem  si  dons  perdre, 
Et  sil  senyer  fasia  (v°] 
Gens  en  los  sieus  esperdre, 
Hom  perdre  nol  tembria. 


709.  Per  mal  de  mala  gen 
Dona  Dieus  mal  senyor; 
A  Roman[s]  fets  presen 
D'un  vil  emperador. 

710.  Dels  trebayls  sofertar 
Pels  sieus,  et  de  can  dona, 
Deu  reys  grat  esperar 

De  Dieu,  ses  pus  persona. 

711.  Sans  Bernats  es  auctors 
D'ayso,  don  dis  vertat  : 
«  En  arror  de  senyors 
S'enboscon  man  malvat.  » 

712.  Aujats  paraula  estranya  : 
Eu  die  qu'ergoyls  es  bos  ; 
Qui  ha  argoyl,  guasanya 
Contrel  segl'  argolos . 

71^.   Per  femn'  es  tais  vensuts, 
Qui  per  homes  nos  vens  ; 
Tal  pert  per  vi  virtuts, 
Per  fer  non  es  perdens. 

714.  Orgoyls  va  tota  via 
A  maneyra  de  rey, 
Menan  gran  companyia, 
Mas  no  tem  fene  ley. 

7 1 5 .  Tal  re  dits  hom  que  nots, 
Qui  val,  et  que  val  tal 
Qui  ten  dan;  et  si  pots, 
Guardet  de  caus'  aital. 

716.  Eu  die  que  trop  pessars 
Crex  trebayls  e  tristors 
Ez  aduts  mays  affars 

Et  pessaments  majors. 


70^  a  ues  bos.  —  7  !  o  è  per  sieus.  —  7  1  s  que  nots  tal. 


LES  PROVERBES   DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

724 


717.   No  voyles  ton  amich 
A  son  dan  trop  proar, 
—  PelsditsdeJobhodich  — 
Ne  l'enamic  blasmar. 


Ceyl  qui  mal  te  voira 
Not  trop  ab  cara  irada 
A  vêts  bays'  om  tal  ma 
Que  veser  vol  taylada. 


718.  Sifas  causa  ceiada, 

De  ta  moyler  te  guarda, 
Que,  si  la  fas  irada, 
Cridan  dira  c'  om  t'  arda. 

719.  Tal  ha  cara  d'anyel 
Qui  a  cor  de  serpen, 
Ê  fa  pits  c'  ab  coutiel 
Ab  honest  vestimen . 

720.  Qui  la  coa  tolia  1/.  ]\' 
A  la  serp  can  es  viva, 

Meyns  de  coa  vivria 
Pus  mala.  pus  esquiva. 


72^ .    La  sigala  acoyl 

Lo  moscaylo  sots    l'ala, 
Puys  l'auci  et  no  voyl 
Companya  ta  mala. 

726.  Peressos  vol  far  (soni  pro, 
Et  nol  vol,  c'  ades  di  : 

«  Paras  ayço?  —  Hoc,  no  ; 
Aspera  t'  al  mati.  - 

727.  Als  bos  es  laigs  fayts  durs 
Ab  mais  perseverar  ; 
Anyels  non  es  segurs 

Si  vol  si  ab  lops  estar. 


721.  Qui  serp  al  coyl  tocava, 
Ab  l'als  gran  mal  faria, 
E  quil  cap  li  trancava, 
De  mentanen  morria. 

722 .  Superbia  es  caps 
Detots  mais,  et  quil  cap 
Nol  toyl,  re  aïs  no  saps 
Qui  d'aucir  los  acap. 


728.  Pus  Dieus  te  manda  trayre 
L'oyl,  sit  fa  dan  mortal, 
Guarda  quet  manda  fayre, 
S'ab  foyl  prens  ton  ostal. 

729.  Li  aut  senyormal  fan. 
Car  cuyon  c'  hom  nol  dia; 
Per  quel  fait  no  diran 
Qu'en  se  dits  que  fayts  sia. 


723.   Si  vols  ton  cors  sanar 

De  tots  los  mais  c  'auras, 
Voiles  desemp[ar]ar 
Soperbia,  si  l'as. 


7^0.   Cuyan  fan  la  .i.  mal 

Que  nuyl  hom  no  l'aus  dir 
L'autra,  car  nols  en  cal 
Et  no  temon  faylir. 


718  Couplet  cité  par  En  Pach  :  Si  fas  cosa  selada,  |  De  ta  muller  te  guar- 
da, I  Que  si  la  fas  hirada  |  Cridant  dira  c'om  t'arda  {Esp.  <,4,Jol.  42  a;  55, 
fol.  24  c;  Documentes,  p.  2jo).  —  722  Eccli  x,  i  5  :  Initiam  omnis  peccati 
est  superbia.  —  722  d  ausir.  —  726  Prov.  xiii,  4:  Vult  et  non  vult  pi- 
ger, etc.—  728  M.\TTH.  v,  29:  Quod  si  oculus  tuus  dexter  scandaiizat  te, 
crue  eum. 


78 

7?' 


L'un  fan  cuyan  falcia  7^9. 

Que  no  sia  sebuda 
Desque  passada  sia 
Es  als  disens  venguda. 


7p.   Enans  son  .c.  mais  fayt  (v°)      740. 
C  us  be  non  es  pessats  ; 
En  be  far  ha  mal  trayt, 
En  mal  sejorns  pessats. 

75  j.   Li  regidor  de  mar  741. 

Trason  pats  quels  sotsmes  ; 
En  terra  degron  far 
Aital,  mas  revers  es. 

7^4.   Nauchies  guarda  la  nau  742. 

De  la  rocha  ferir  ; 
En  terra  ab  gran  frau 
La  fan  premier  périr. 


Membret  le  pots  de  Roma 
Et  cel  qui  per  paubresa 
Intrct  dins  et  vi  soma 
C  hom  prenmal  per  malesa. 

Pauc  as  armes  duras 
Defors,  si'n  ta  mayso 
Cosseyl(si  aut  non  [aurlas 
Ab  to  cosseler  bo . 

Tuyt  dese  periran 

Qui  cuyon  far  per  forsa, 

Qui  en  batayla  van 

Ses  cosseil  quils  estorsa. 

Le  cosseils  deu  régir 
La  forsa  el  poder, 
Qu'  estiers  no  pot  complir 
Princep  son  bo  voler. 


735 .   A  princeps  ez  a  rey 

Es  bes,  s'a  conseyl  bo, 
Car  .V.  cauzes  hi  vey 
Nobles  ez  ab  raso. 


745 .   No  fasses  nuyla  causa 
Sesbo  cosseilador  ; 
Si  refrenar  no  t'ausa. 
Non  al  cosseil  valor. 


736.  Conseil  a  demendar, 
Eslir  cosseylador, 
Del  cosseil  a  donar 
Que  tayn  a  bo  senyor, 

737.  Examinar  cosseyl, 
Segons  lo  cosseil  far  : 
Ab  aquest  apareyl 

Pot  tots  reys  be  regnar . 

7^8.   Lay  on  governador 

Non  a,  poble  laig  cay  ; 
Sobre  malvat  senyor 
Tornal  mal  tôt  ques  fay. 


744.   Pus  no  t'aus  refrenar  \f.  ?2i 
Tos  cosseils  de  malesa, 
Pauc  val,  ne  rexidar 
No  t'  ausa  ta  paresa. 

74^ .   Reprenden  si  t'orgolias 
Ne  vols  sobrepujar 
Castian  et  .i.  voilas 
Bo  denant  tots  triar. 

746 .  Can  tots  tos  cosseils  sia 
En  Dieu,  no  pot  périr  ; 
Roboam  car  cresia 
Fol  cosseil,  fets  falir. 


738  Prov.  XI,  1 4  :  Ubi  non  est  gubernator,  populus  corruit.  —  746  f  cor  cresia. 


LES    PROVERBES    DE    GUYLEM    DE    CERVERA 


79 


;47.   Joyas  fan  cechs  ab  dos 
Et  muts  jutges  et  reys, 
Giran  contriccios, 
Castichs  et  durs  esfreys. 


754.   La  via  del  foyl  es 

Als  sieus  oyis  dretchureyra, 
Per  que  t'es  mal  perpres 
Si  secz  aytal  carreyra . 


748.  Princep  no  son  fael, 
Pcr  so  car  amon  do 
Qui  ha  sebor  de  feK 
Reseb  en  gasardo. 


7S  5 .   Fondaments  de  drelura 
Es  qui  no  vol  noser 
As  alcu  ez  a  cura 
Dels  cominals  valer . 


749.  Si  con  joyes  prenden 
Pot  dona  cast'  estar, 
De  cel  on  prêts  enten 
Pot  jutgeis)  et  reys  dreit  far. 


756.    Resebimens  de  dons        (v^i 
Fa  jutges  e  senyors 
Cecz  e  muts,  et  dels  bos 
Fa  vils  et  sordeyors. 


750.   Tûtes  causes  me  so 
Lagudes,  pus  no  sia 
Sotsmes  d'autra  per  do 
Ne  per  autra  paria. 


757.   Crans  dons   corromp    gran 
E  met  en  servitut  [fama 

De  mort  cel  qui  dons  ama, 
Car  dos  l'a  lieu  vencut. 


7^1.   Si  la  resebedora 

De  pessa  en  prendia 
De  tu  per  do  nuyl'  hora, 
Rependre  not  poria 


758.   No  voyles  dos  recebre, 
Car  los  savis  orbs  fan 
El  tort  del  dreit  percebre, 
Les  paraules  viran . 


7^2.   Aicel  es  melasits 

Qu'  es  de  do  resabens, 
Per  que  cel  es  ferits 
Qui  non  es  mal  mirens. 


759.   No  resebes  pressonas 

Ne  dos,  quels  oyls  fan  cecz, 
E  si  per  dos  îedones, 
De  savis  venras  pecz. 


75?.   Cosseil  demanderas 

Als  tieus  meilors  amichs, 
Los  quais  lonyar  veyras 
De  tos  mais  enamichs. 


760,  Cil  seran  melasit 
Qui  justificaran 
Ceils  qu'  auran  mal  merit, 
Los  no  miren[s]dampnan. 


747  EccLi.  XX,  j  I  :  Xenia  et  dona  excaecant  oculos  judicum.  —  748  b 
cor  amon.  —  754  Prov.  xii,  15:  Via  slulti  recta  in  ocuiis  ejus.  —  756  d 
sordeyros.  —  70  Cf.  le  couplet  747.  —  7^8  c  El  toil. 


8o  A. 

76 1 .  Gobes  reseben  do 

Cuya  los  dos  grans  pendre 

Per  benediccio, 

Et  Dieus  vol  lo  car  vendre . 


768.    Mais  focz  dévorera     [f. 
Palays  e  tabernacles 
De  cel  qui  dos  pendra, 
Et  sera  vers  miracles. 


n' 


762.   Car  Gesai  près  do 
Mal,  no  degudamen, 
En  malediccio 
Li  tornet  mantanen . 


769.   Qui  met  dins  sa  mayso 
Tal  qui  1'  exorp,  es  fais 
Assi,  et  per  raso 
Deu  li  venir  tots  mais. 


76  ^   A  cadescu  linatge 

Dels  homens  respost  da, 
Que  no  prend'  ab  dapnatge 
Mays  qu'escrit  Dieus  non  a . 


770.   Ne  le  savis  quais  es 
C'ama  aquesta  causa, 
G'  aiso  li  toyl  tôt  bes 
Es  en  mal  crim  lo  pausa. 


764.    Nuyls  hom  non  a  désir 
De  re,  pus  n'  a  assats, 
E  femna  deu  fugir 
A  far  ses  volentats. 


771  .    Trobat  so  al  meu  poble 
Alcu  mal  guaytador 
Paran  ate  mal  no  noble 
Gon  d'  auciels  prendador. 


76^ .   Aquo  qui  es  meillor 

Gonquer  hom  pus  greumen, 
E  lo  conqueridor 
Fa  bo  enfortimen. 


772.   Gan  lo  tieu  aurai  près, 
Mantanen  viraray; 
Jusi  qui  non  drits  es 
Jutge  Dieus  say  e  lay. 


766 .   Trebayls  es  conquerers 
Et  posseirs  paors 
Ez  afïans  reteners 
Et  pendres  grans  dolors. 


77  ^ .   Giyl  qui  son  vendador 
De  justicia,  son 
Jutgat  per  lo  Senyor, 
Jutge  dreyt  d'equest  mon. 


767 .   Les  mas  se  guardaran 
De  dos  d'equels  malvats 
Emvagos,  qui  seran 
Tuyt  pie  d'iniquitats . 


774.   Ja  alcu  no  trebayls 

Per  lo  tieu  jutgiamen  : 
Axi  con  l'omil  tjiayls, 
Te  talaray  coscen . 


761  b  Guya  est  répété  dans  le  ms.  —  762  Même  allusion  qu'au  quatrain  629, 
—  769  c  assir.  —  771  Jer.  V,  26:  Quia  inventi  sunt  in  populo  impii  insi- 
diantes,  quasi  aucupes  laqueos  ponentes  et  pedicas  ad  capiendos  vires.  — 
771  c  Corr.  Par  artimal.? 


77^  •  Princeps  qui  volontiers 
Vol  monsonyes  ausir 
Esquivais  vertadiers 
Et  vol  malvats  soffrir . 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 
782 


81 


Le  richs  non  es  repres 
Par  toyira  solamen, 
Mas  car  no  part  sos  bes 
Entre  la  paubra  gen . 


776     Diable  valon  may 

Que  raubador  no  fan, 
Car  no  fan  mal  ne  glay, 
Mas  a  cels  quil  faran . 


Adonchs  dira  le  reys  : 
"  Via  al  foc  d'infern, 
Vos  qui  des  malavey  r  s 
Als  mieus  bas  ses  govern. 


777.    Le  raubayre  pendria 
De  frayre,  de  cusi  ; 
Dels  homils  pren  tôt  dia. 
No  del  forts  .j.  teri. 


784.   Can  grans  fams  me  prendia. 
Nom  dones  a  manyar; 
So  que  manyar  volia 
Me  tolgues  ab  raubar.  « 


778.    Diable  re  no  fan, 

Mas  per  dreyt  jutyamen; 
El  raubayre  desfan 
A  tort  la  bona  jen. 


785 .    Dieus  no  meynspresara 
Preyeres  de  pobils  ; 
Vidues  ausira, 
Esguardan  lorsperiyls. 


779.    Mays  val  lops  part  mesura 
Que  raubador  no  fan, 
C  us  lops  da  nuyt  s'atura. 
Ho  tuyt,  can  lors  obs  an. 


786.    Laixals  termes  pauquets 
Els  camps  dels  pobils  bas. 
Car  los  proysmes  altetz 
Forts,  don  jutgat  seras. 


780.    Le  raubayre  no  pausa       v" 
De  raubar  nuyt  ne  jorn, 
Ans  l'es  estranya  causa, 
Can  ve,  c'  ades  noy  torn. 


]~ .   Si  fas  als  paubras  forsa, 
Car  lurs  homils  seran, 
De  tu  aura  1'  ascorsa 
Le  droyt  (sic  jutges  c'auran, 


781  .   Car  Dieus  celuy  repren 
C  als  bas  no  part  son  be, 
i^nie  fera  cel  qui  pren 
Los  bes  lors  ses  merce  ? 


788.    Los  paubres.  que  auran 
Raubats  et  despuyiats, 
D'aqueyls  jutge  seran 
Quils  auran  mal  jutgats. 


783-784  Matth.  XXV,  41-42:  Discedite  a  me  maledicti  in  ignem  aeter- 
num,  etc.  —  785  Eccli.  xxxv,  17:  Non  despiciet  preces  pypilli  nec  viduam. 
—  786  Prov.  xxiii,  10  .  Ne  attingas  termines  parvulos  ;  agrum  pupillorum 
ne  introeas.  —  787  Prov.  xxii,  22  :  Non  facias  violentiam  pauperi  quia 
pauper  est. 

Romania,  XV  6 


789.  Q^ui  vol  fayt  comensar 
Noble,  primeramen 

Se  deu  ab  Dieu  pausar, 
Es  après  ab  se  gen. 

790 .  Qui  combatres  voila 
Es  guarnia  d'argen, 
A  l'autrels  vis  toylria 
Contrel  sol  resplanden. 

791.  Li  nat  fiyl  dels  malvats 
No  montiplicaran; 
Doncs  malais  veyran  nais 
Et  mal'  engenreran . 


A.    THOMAS 

796. 


La  gracia  no  val 
Dels  auts  tan  con  nots  ira 
Dels  bas,  enans  fa  mal 
Quil  comperar  s'albira. 


797.  D'oliver  porte  ram, 
Qu'el  tiemps  antic  faras, 
E  pats,  que  desiram, 
Membran  lay  on  iras. 

798.  Reys  dreturies  endressa 
La  tierra,  e  1'  avars 

La  destruy,  car  no  pensa 
Mas  mais  e  braus  affars. 


792.   Li  malvat  sobre  terra  (/.  ^4)      799. 
Seran  toit  et  perdut, 
Sil  proverbis  non  erra  ; 
Mal'  aura  mal  viscut. 


Rey  qui  jutga  sa  gen 
A  dreyt  es  ab  vertat 
Pot  ceser  fermamen 
En  seti  endressat. 


793 ,   Per  pus  maltenc  raubar 
Qu'enblar,  et  die  raso, 
C  ab  manifest  peccar 
Esmeyns  que  a  layro. 


800 .   Reys  deu  savis  eslir 
Desobre  se  companya 
E  fesel  a  régir, 
Per  so  c'  us  no  s'en  planya , 


794.   E  par  en  aolteri; 

Quim  manda  con  rt^spondre. 
Eu  respon  c'  als  no  queri 
Declinar  ne  espondre. 


.  Car  si  savis  no  es, 
Leumens  es  galiats, 
E  no-fesiels  repres 
Es  d'enjanar  cotchats. 


795 .  Volp  son  li  raubador, 
Card'Erodes  dix  Dieus  : 
«  Volp  «  que  vi  prendador 
Dels  autruys  et  dels  sieus. 


802.   Non  es  hom  dreits  jutjats, 
Sitôt  sarayso's  bona, 
Per  jutges  despayats, 
Si  ans  del  sieu  nols  dona. 


792  Prov.  II,  22:  Impii  vero  de  terra  perdentur.  —  795  d  &  meyns.  — 
795  Luc.  XIII,  32:  !te  et  dicite  vulpi  illi.  —  795  a  reubador.  —  797  c  de- 
siran.  —  798  Prov.  xxix,  4:  Rex  justus  erigit  terram  ;  vir  avarus  destruet 
eam.  —  801  b  liuemis. 


LES  PROVERBES   DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

805 .   Tal  re  te  hom  per  pro  811.   D'emfan  foyl  nom  desfi 

Qui  es  perda  trop  grans; 
Qui  no  conoix  raso 
Non  es  jutges  bestans. 


Per  mal  comensamen, 
Car  vist  ay  bona  fi 
Comensan  malamen. 


804.   Qui  de  si  vol  parlar 

Deu  pendre  la  maylor 
Raso,  et  so  laxiar 
On  agues  desonor. 

80^ .    Mantes  vêts  ay  ben  dit 
So  don  volgra  mal  dir  ; 
Lo  lau  de  l'escarnit 
Deuis]  pendre  per  aucir. 


812.    Qui  son  voler  asira 

Mal,  no  pot  re  miyls  fayre; 

Del  philosoph  cosira 

Veyl,  quefets  del  viupayre. 

81  :; .    Be  tenc  celuy  per  orp 
Qui  laxa  son  viatge 
Per  grayla  ne  per  corp, 
Fasen  vas  Dieu  oltratge. 


806.  Rev  d'Egiptes  livret 
A  Josep  cant  avia; 
Don  sans  Bernât  parlet 
Que  vergonya  séria 

807.  C  hom  da  Crist  no  livres 
Lo  sieu  a  crestia  ; 

So  c'hom  ses  fe  feses, 
Nol  tendria  per  pla  r 


14.    Vist  ay  malvat  tornar 
Per  sobres  de  mal  dir, 
Quis  fesia  presar 
Ab  sobres  de  servir. 

I  ^ .   Qui  prosomes  no  fay 
Non  es  pros  acabats; 
Mays  aycel  quils  desfay 
Es  de  vert  ai  laus  lonyats. 


Vensut  de  camp,  exit 
D'orda,  ne  trasidor 
No  vey  gen  acoylit 
En  cort  d'onrat  senyor. 

No  livres  ton  peccat 
Al  boc  qui  lo  seu  port, 
Mas  al  clergue  segrat 
Per  penedensa  fort. 

Aguylo  de  parlar 
Son  bo  entendador  ; 
Entendr'  e  escoltar 
Aguson  parlador. 


816.  Ab  tôt  aytal  mesura    /.  ^  5 
Con  tu  mesureras, 

Lo  cabal  et  l'usura 
El  guasayn  cobreras. 

817.  Qui  no  sab  esmendar, 

Per  dreit  no  deu  rependre; 
Si  vols  fayt  comensar. 
En  la  fi  deus  entendre. 

818.  Princeps  bénignes  dona 
Al[sl  sieus  gran  fermetat; 
Homils  bassa  pressona 
Puganbenignitat. 


2  d  qui  fets  del  nin  p. 


84 
819. 


A  tot(Si  senyor  cove 
Pietats,  per  semblar 
Sels  don  poder  li  ve, 
Per  poder  de  mermar. 


826.   Misericordios 

Merce  conseguira; 

Sans  Luchs  dis  :  «  piados 

Benauyrats  sera.  « 


820.  Dieus  del  celavalei 
Pietat,  can  carn  près. 
Epels  sieus  se  vendet 
Pertal  quels  resames. 

821.  Per  c'  a  tôt  senyor  tayn 
Que  fas'  als  sieus  ajuda 
Contra  tôt  hom  estrayn. 
Sils  es  tensos  moguda. 

822 .  Senyer  deu  sacors  far 
Als  paubres  c'an  freytura, 
Es  als  frevols  aydar 
Contrels  forts,  ab  mesura. 

823 .  Jhesus  fo  oyls  de[riS  sechs, 
Dels  contrets  dressaments, 
Entendens  dejusts  pechs, 
Del  bas  sosteniments. 


827.  Li  riu  secan  corren 
Et  fonts  axecaran  ; 
Sans  Agostin  non  men, 
Qui  0  va  recomtan. 

828.  E  Ysayes  dits  :  r" 
'(  Amichs,  trenca  ton  pa, 

E  seras  benesits, 
A  ce!  qui  fam  aura,  » 

829.  Pietats,  qui  promet 
Aquesta  présent  vida 
E  l'autra  ti  sotsmet, 

Per  qu'  es  foyl  qui  l'oblida. 

8:?o.   Preyem  lo  poderos 

Qu'el  deu  per  nos  preyar. 
Si  tôt  em  freturos, 
Et  preyan  ajudar. 


824.   Per  la  gran  mesquinea 

Dels  freyturans  di.x  Dieus  : 
«  Levarm'ay;  «gransimplea 
Dix  et  fetz  per  los  sieus. 


1^1.    Per  tus  combat,  amichs, 
L'almoyna  ses  duptansa, 
Ab  los  tieus  enamichs, 
Ab  escutes  ab  lansa. 


82  $ .   Princeps  deu  mays  aver 
De  merce,  qu'e  major 
Péril  c'  autres,  per  ver, 
Es  en  loc  pus  ausor. 


1^2 


Re  tan  amar  no  fay 
A  Dieu  con  pietats; 
Cel  c'ap  pietat  vay 
Es  sobre  tots  amats. 


8iç)  a  senyer.  —  826  Ce  n'est  pas  dans  saint  Luc,  mais  dans  saint  Mathieu 
qu'on  lit:  Beat!  miséricordes  (V,  7).  —  828  Isai.e  lviii,  7:  Frange  esurienti 
panem  tuum.  —  829  d  toblida.  —  8^2  a  amat. 


8v 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 


Tu  sies  als  pubils 
Misericordios, 
Axi  con  a  sos  fiyls 
Es  payres  piados. 


Ja  no  meynspreseras 
La  tua  carn  per  re; 
Dels  tieus  proismes  auras 
Pietai  e  merce . 


14.  Als  pubils  sies  payre 
Bos.  en  fayts  es  en  dit[s] 
E  sies  a  lor  mayre 
Ses  mal.  si  con  merits. 


842.  No  vuyles  paubre  u 

Per  ton  plaser  destrenyer. 
Car  niembr'  es,  si  com  tu, 
De  Dieus,  qu'es  de  tu  senyer. 


8;  s .    Qui  a  sel  quis  déclina 
Misericordios 
Es,  vol  far  vida  fina 
Es  es  benuyros. 

8;6.   Senyer  no  deu  ser  far 
Ce!  qu'esser  franc  deuria, 
Qu'en  franc  senyorayar 
Vey  noble  senyoria. 

8^7.   Mant  son  de  sers  senyor 
Qui  son  paubr^  e  malvat, 
Mas  pels  franchs  an  honor 
Qui  son  sobr'  els  pausat. 


845 .   E  si  r  us  membres  dol 
Tuyt  s'en  an  a  doler  ; 
A  los  membres  se  vol 
■    Le  cap  sas  sostener. 

844.  Cel  ama  son  amie 

Qui  lo  mal  que  pren  sen, 
E  can  paubre  vel  rie, 
Ques  teny^  ab  cor  manen. 

845 .  So  e'hom  als  paubres  fay 
Comta  Jhesus  per  si  ; 
Honra  los  mieus,  sit  play 
C  onrats  sies  per  mi. 


8:;8.    En  oli  de  merce 

Art  foc  de  mal'  amor  ; 
Can  l'olis  fai  dese, 
Princeps  se  claror  [sic). 


Princep  deu  aver  fe 
Esperans'  e  temor 
De  Dieu,  part  tota  re, 
Et  la  carta,  amor. 


839.   Senes  merce  dretura 
Es  si  com  seehs  aurats. 
Qui  d'aucir  homes  cura, 
Can  deu  aucir  peccats. 


847 .   Ses  fe  plaser  a  Dieu 
Jes  possibles  non  es  ; 
Plasens  es,  so  say  hieu, 
A  Dieu  fes  e  merces. 


840.   TotaxicomLamechs  /.   ;6       848. 
Ab  l'areh  Caym  alcis 
Per  so  car  era  seehs  ; 
Non  ofera  si  vis. 


Senyer  Dieu,  li  teu  oyl 
Esguardon  be  la  fe, 
E  1'  amor  ses  orgoyl 
Esgardon  tey  oyl  be. 


853  EcCLi.  IV,    10:  Este  pupiilis  misericors  ut  pater.  —  8?7   b  fayre.   — 
^o  c  cor  era.  —  84:;  Cf.  le  quatrain  349. 


86  A.    THOMAS 

849.   Jhesu  Crist  no  perdona 
A  cels  qui  fe  non  an  ; 
Desespers  ocaysona 
Pus  c'  als  cels  quey  estan. 


857.   Nos  amam  per  la  fe 
Et  no  per  esperança, 
Mas  emparam  gran  be 
Aver  per  alegrança. 


50.  Ja  non  aura  durable 
Vida,  qui  no  creyra 
Al  fiyl,  ne  profitable 
En  est  mon  ne  delà. 


I58,   Lo  cors  imfernal  ponya 
Rompre  l'oyl  de  la  fe, 
El  corporal  nos  lonya 
De  1'  oyl,  tant  can  mort  ve. 


i  $  I .   Qui  fa  be  ans  de  fe 
Ha  trop  gran  leugeria, 
Con  hom  leus  qui  cor  be 
Et  vay  fora  de  via. 


859.   Peccats  no  pot  valer 
Aytant  con  la  fes  val, 
Ans  fa  fes  dechaser 
Tôt  peccat  et  tôt  mal. 


1 5  2 .    Re  no  viu  en  mar  morta  {v"l 
Per  vida  corporal, 
Ne  hom  ses  fe  no  porta 
Vida  espiritual. 


860.  Jes  les  portes  d'imfern 
No  valon  tan  —  so  say 
Del  poder  de  l'estern 
Diable,  con  fes  fay. 


I5  ^ .   Tant  es  fe  causa  grans, 
C'oltra  la  fe  nos  mostra 
A  vid'  esser  pessans 
Maylor  c'  aycesta  nostra. 


861.   Ceyl  qu'en  gran  benenansa 
Tôt  son  sejorn  (sic) 
En  sol  .  I .  punt  se  lansa 
En  imferm  ses  retorn. 


1^4.   L'arbres  per  la  rasits  862 

Fay  foyles,  (et)  flors  et  fruyt(s)  ; 
Hom  per  fe  fay  et  dits 
Totsbes;  masnolsfan  tuytfsl. 


Fes  es  forts  saviesa 
Pus  que  casteyls  en  rocha  , 
Guarda  s'es  lonc  estesa  : 
Del  cel  en  imfern  tocha. 


«55.   La  fes  es  saviesa 
Que  malesa  no  vens. 
Ans  fe  vens  la  malesa 
C  auci  lo[s]  mal  mirens. 


Si  causes  demendam 
Be  dousas  et  plasens, 
Ans  cove  les  soffram 
Amares  et  cosens. 


1  $  6 .   Fes  es  lusens  lanterna 
Qui  l'arme  lumi'  e  guida 
En  la  nuyt  fort  escura 
D'aquesta  présent  vida. 


864.   Qui'n  primer  non  aprenf/.  ^71 
De  servir,  can  servir 
Cuya,  desser  ses  sen, 
Per  ques  fay  escarnir. 


85  j  <J  es  répété  dans  le  ms 
doit  probablement  être  corrigé. 


85^  c  Ans  se.  —  856  c  escura  ne  rime  pas  et 


|i  LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

865.   Nabugadenosor  871 


87 


866. 


Fo  punits,  car  cresia 
Senyorajar  part  for 
So  que  d'autre  ténia. 

Bo  ministre  feray, 
Dits  Dieus,  es  entenden, 
Qu'  esser  cuyg,  si  fayl  ay. 
Ministre  solamen. 


872, 


Per  la  fe  de  las  gens 
Le  murs  de  Jherico 
Casegron  ;  ver  disens 
L'Apostol  es  d'ayco. 

.Ananias,  pausats 
Ab  los  .ii).  a  cremar. 
Fo  per  fe  delivrats, 
Que  hom  nol  poc  mal  far. 


867 .  Ministres  deu  aver 
Gran  cura  de  complir 
Al  senyor  son  voler, 
No  pausan  de  servir. 

868.  Nécessitât  avem 

De  gran  pr  o]esa  far. 
Si  donchs  no  la  volem 
Del  tôt  dissimolar. 


873 .  Alexandris  qui  fo 
Gentils,  car  fe  avia, 
Li  fe  miracle  bo 

Dieus  els  mons  que  clausia. 

874.  Guarda  que  fara  Dieus 
Per  SOS  faels,  car  tan 

Fe  ab  precs  paucs  et  brieus 
Per  no  fasels  preyan. 


869.  Tots  ministres  deu  far 
A  guisa  del  senyor, 
Dels  sieus  bes  no  terdar 
Al  paubre  queredor. 

870.  La  part  del  menscresenis'i 
Et  del  tenen  sera 
Estayns  de  foc  arden. 

Ab  sofïre  quey  aura. 


875 .  Alexandris  per  fe 
Lo  prever  ahoret 
En  Jérusalem  be, 

Quil  nom  de  Dieu  portet. 

876.  Nos  deu  [hom]  enuyar     (v"'i 
De  preyar  leyalmen, 

Can  no  pot  acabar 
Sonfayt  delivramen, 


871  cSasegron.  Hebr.  xi,  50:  Fide  mûri  Jéricho  corruerunt.  —  875  Cela 
signifie  que  bien  qii  Alexandre  Jût  paien,  Dieu  fit  pour  lui,  parce  qu'il  avait 
la  foi,  un  miracle  dans  la  montagne  {cor.  el  mon)  qui  se  fermait.  Il  semble  qu'il 
so.t  fait  allusion  ici  au  récit  du  Val  périlleux,  qui  n'a  été  rencontré  jusqu'à  pré- 
sent que  dans  le  roman  en  alexandrins  (éd.  Michelant,  pp.  J20-9K  Alexandre  et  son 
armée  se  sont  engagés  dans  une  vallée  enchantée  d'où  ils  ne  peuvent  srtir.  Alexandre 
cependant,  ayant  invoqué  Dieu  «  le  roi  du  paradis  »  découvre  une  inscription 
disant  que  ceux  qui  sont  entrés  en  ce  val  ne  peuvent  sortir  qu'à  une  condition:  c'est 
que  l'un  d'eux  consente,  de  son  plein  gré,  à  y.  rester.  Alexandre  se  dévoue.  L'ar 
met  s'éloigne,  et  lui-même  peu  après  trouve  moyen  de  sortir  aussi,  —  Le  quatrain  i  1 06 
contient  une  allusion  au  même  épisode. 


A.    THOMAS 


877.    Pero  al  preyador 

Creix  gaugs  de  cabar  lieu, 

E  grats  al  donador 

C'o  fa  ses  semblan  grieu. 


Quecz,  per  so  que  solia 
Jutgiar,  jutgat  sera, 
E  d'ayso  mays  feunia 
Del  jutgiamen  aura. 


878.   Mas  l'evangelis  dits 
Que  la  femna  preyet 
Tant  Dieu,  tro  fo  ausits 
Sos  precs,  que  la  sanet. 


886.    Lerichs,quanpaubrestorna, 
Es  cen  tans  pus  irats 
Qu'iceyl  qui  nos  sajorna 
E  es  de  mal  usats. 


879.   Die  que  comensamens 
De  saviesa  es 
Temors  certanamens 
De  Dieu,  caps  de  tots  bes. 


Josaphat  dis  pels  jutges  : 
«  Guardet  quel  jutgiamens 
Non  n'es  d'ornes  que  jutges, 
Mas  de  Dieu  solamens.  » 


880.   Al  far  tayn  conoxiensa 
De  vera  saviesa, 
E  can  hi  es  temensa, 
Conquer  majer  noblesa. 


No  sie  excepcios        \f. 
Fatchia  d'ornes  c'axi 
Jutya,  es  es  rasos, 
Paubres  et  richs  con  mi. 


881.    Hom  no  temens  de  mais 
Es  —  le  savis  ho  dits  — 
Castiels  qui  pels  portais 
Es  primes  esvasits. 


Nos  no  voylam  jutgar 
Et  no  serem  jutgat, 
Ne  devem  desirar 
Senyoriu  ne  jutgat. 


882  .   Pels  portais  dels  castiels 
Entron  tuyt,  mal  et  bo, 
Per  que  portais  apiel 
Los  .V.  seyns  qu'en  tu  so. 


890.   Can  los  dos  lexeras 
A  pendrel  tieu  emfan, 
Molt  meyns  lo  presaras 
Que  con  ca  mal  usan. 


E  sil  porties  se  tem, 
Los  portais  gen  guardan, 
Nom  dels  justs  li  direm 
Qui  temon  tôt  quanfan. 


891.   Ceyl  qui  benifeyts  dona 
Es  resemblans  de  Dieu, 
Majormen  can  s'adona 
C'a  paubres  do  lo  sieu. 


Aycel  qui  son  pausat 
Sobrels  autres  jutyar 
Seran  pus  durjutgat(h) 
Per  Dieu  de  lor  mal  far. 


892.    Con  princeps  savis  sia. 
Net,  suaus,  libérais, 
Meynsprean  tota  via 
Les  causes  temporals. 


879  EccLi.  I,  16:  Initium  sapientiae,  timor  domini.  —  885  Matth.  vu,  1  : 
Noiitejudicareutnonjudicemini. —  892  a  an  lieudeCon,  corr.  Tayn.?  —  892 ^Nec 


LES  PROVERRES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

S95.    E  deu  esser  homils  901.    Homelitats  es  bona, 

Es  ab  leyal  amor, 
No  ab  dits  femanils 
Ne  fasen  lo  pigor. 


89 


S94.    De  saviesa  es 

Fis  atelentaniens; 
Nedesa,  part  tots  bes, 
Es  al  senyor  plasens. 

895 .   Saviesa  raquer 

Ans  que  als  castedat. 
Don  nets  de  Dieu  conquer 
Amor  et  pruysmetat. 


Que  David  fo  faits  bos 
Can  ac  homil  pressona 
Segons  Dieu  piados. 

902  .    Enfants  paucs  es  homils 
Et  nol  sove  greujansa, 
E  Dieus  es  tant  gentils 
C'aver  vole  d'eyl  semblansa. 

90^ .    Franca  homilitats 
Fe  homil  Benjamin, 
Don  fo  per  Dieu  amats, 
Segons  quel  libres  di. 


S96.    Susans  es  resemblans. 
Dix  Dieus,  don  Moysens 
Fo  susans  et  presans 
Per  Dieu  entre  les  gents. 

897.   Savis  deu  esser  reys. 

Tan  que  nol  trop  malesa, 
Si  que  met'  en  esfreys 
La  gen  qui  l'es  sotsmesa. 


904.  A  princep  tayn  amors 
De  Dieu  et  de  sa  gen  ; 
Amors  de  Dieu  de  cors 
Vay  lanostra  seguen. 

905 .  Per  que  nons  amera 
Dieus  si  l'amam,  qu'enans 
Que  nos  l'amessam  ja 
Nos  amav'  ab  mais  grans? 


898.  Per  liberalitat, 

Qui  es  la  quarta  causa. 
En  Pau  deu  resemblar, 
Qui  de  dar  bes  no  pausa. 

899.  Qui  benifayts  sab  dar, 
De  Diu  es  resemblans, 
E  vol  Dieu  contrafar 
Reys,  can  n'es  arrapans. 

900.  Reys  qui  te  loc  de  Dieu 
Sembla  Dieu  ses  malesa, 
Guardan  l'autruy  el  sieu 
Dona[n|  per  sa  franquesa. 


906     Les  causes  temporals 

Deu  princep  menspresar  ; 
Aman  sos  naturals, 
E  Dieus  voirais  amar. 

907.  E  dits  ho  sans  Mathieu, 
Senequ'  e  sans  Bernats  : 
Amans  les  causes,  greu 
Seras  per  Dieu  amats. 

908 .  L'us  dels  meylors  senyals 
Es,  c'om  en  princep  ve, 
S'ama  Dieu  con  leyals, 
Can  en  Dieu  pessa  be. 


'éçf'i  cC  est  s  ans  doute  le  Aom  d'un  contemporain  (fui  devait  être  célèbre  par  sa  bien- 


90 
909. 


Vas  lay  on  l'amor  an 
Tenon  tuyt  l'oyl  del  cor, 
E  qui'n  Dieu  va  pessan 
Non  a  pus  rie  trésor. 


917.   Con  Dieus  asir  peccais 
Et  no  voyP  autra  re, 
Mays  valgra  no  fos  nats 
Qui  de  peccat  nos  te. 


910.   Can  trobet  Magdaiena 
En  Tort  nostre  Senyor, 
Demande!  l'ab  gran  pena, 
Car  l'avia  amor: 


9ii 


Les  vertuts  son  noyrides 
Per  tu  benignamen, 
Per  so  car  les  faylides 
Portes  a  veniamen. 


911.   «  Si  tul  n'as  levât,  senyer, 
Digues  on  l'as  pausat, 
Car  lay  nol  poc  atenyer, 
On  l'avia  sercat, 


919.  E  David  al  salm  di  : 
«  Agui  los  enamichs 
En  ira  per  cami, 
Tu  Dieus  fossas  amichs. 


912.    Sitôt  ab  gran  cossir    (/.  ^91 
D'el  seber  ho  volia.  » 
Aytan  volia  dir 
Qu'ela  el  cor  l'avia. 


920.   Qui  payr' e  mayr' el  sieu 
Per  Dieu  no  desempare, 
Non  es  dignes  de  Dieu, 
Don  s'amor  desempare. 


915.   Ceyl  ha  forsa  d'amor 

Qui  tots  temps  cre  conoxer 
Els  autres  ab  laudor 
D'amor  no  meynsconexer. 


921.  Le  ters  senyals  es  bos, 
Can  be  princeps  soffer 
Tots  SOS  fayts  volontos 
Per  Dieu,  don  grat  raquer. 


914.  Le  segons  senyals  es 
Can  princeps  celuy  ama. 
Sitôt  s'es  d'eyl  sotsmes, 
Que  cre  per  bona  fama 

915.  Sia  per  Dieu  amats. 
Et  can  celuy  asira 
Qu'es  per  Dieu  asirats, 
Et  vas  tort  far  nos  vira. 


922.  El  foc  arden  s'aseya 
S'es  bos  aurs  es  argens; 
Hom,  al  foc,  qui  no  pleya 
D'omelitat  soffrens. 

923 .  L'enap  de  passio 
Pie  que  mos  payrem  dona 

■No.- 


No  vols  que  be\ 
Obres  obra  falona. 


916.   Volers  0  no  volers 
Dits  aitan  a  la  fi 
Con  amors,  es  es  vers 
Vera  dona  dor  fi  [sia . 


924.    Pena  certa  demanda        fv" 
Le  suaus  qui  be  ama, 
Soffren  toi  quan  comanda 
Dieus  a  cel  quil  reclama. 


Jaisance. 
11,  56s). 


909  Cf.  le  prov 
-914  sostmes.  - 


.•  Ou  li  amors  est,  Il  cuers  est  \Le  Roux  de  Lincy^ 
921  c  uoiontes. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA            91 

925 .   Bel  senyal  ha  al  quart,  93^ .   Propria  causa  es 

Don  princeps  es  amats  Del  fiyl,  con  que  repayre, 

Per  Dieu,  so  es  que  guart  Venya  li  mal  0  bes, 

Los  lochs  sants  et  segrats.  Veny'  al  alberch  del  payre. 


926.   El  be  e  las  franquesas 
Dels  lochs  sion  servades, 
E  qui  fera  malessas. 
Que  sion  car  comprades. 


9^4.  Reys  qui  te  loch  de  Dieu 
Deu  far  de  Dieu  jornal, 
C'anar  deu  al  loch  sieu, 
Enans  qu'en  altr'  osdal. 


927.   Anna  al  templ'astava. 
Ja^Sj  fos  so  que  duptes, 
Per  so  car  no  levava 
Fruyt  c'a  Dieu  Si  no  pases, 


9:;^ .   El  princep,  can  ira 

El  loch,  sil  loch  noil'  ama. 
Ja  grasits  noy  sera 
Ney  aurabona  fama. 


928.   Mas  per  so  car  avia 
Amor  a  Dieu  ten  gran, 
Del  temple  nos  movia, 
Mas  per  obs.  Dieu  aman. 


956.   E  com  poras  preyar    /.  40 
Celuy  cuy  mal  voiras  ? 
Sil  mal  nol  pots  celar, 
Obesits  non  seras. 


929.    El  temps  c'avia  Dieus 

Dots'  ans,  al  templ'  estava, 
Can  sa  mayr'  ab  plans  grieus 
Et  Josep  lo  s)  sercava. 


937.   Le  quint  es,  quels  reys  onre 
Los  ministres  de  Dieu, 
Qu'eu  not  pusch  jen  respon- 
Si  desondres  lo  mieu.      ^dre 


9:50.   E  can  s'en  plays  se  mayre, 
Respos  qu'en  la  mayso 
L'er  estât  de  son  payre, 
Que  en  les  autres  no. 


9:18.   Qui  honrals  loch  s'  lenents 
De  Dieu,  Deu  vol  honrar, 
E  s'il  fan  falimens, 
A  Dieu  ve  del  venyar. 


931 .    E  can  en  la  ciutat 
Entret  primeyramen, 
Al  tiempl'  a  Dieu  donat 
S'en  anet  homilmen. 


9:; 9.   Le  sise  es,  can  reys 
Vol  volontiers  parlar 
De  Dieu  qui  l'honra  el  crex 
El  fay  senyorajar. 


9J2.   Per  quens  donet  raso 
Qu'en  la  casa  devem 
Anar  d'oracio, 
Ans  que  d'als  no|s]  penssem. 


940.   Car  amichs  parla  mays, 
Can  ausa,  de  s'amor 
Que  d'als  on  ha  pantays, 
Can  enten  parlador. 


926  b  Si  son.  —  929  b  tots  ans.  —  938  c  Ecil. 


92 

941 


Magdelena  parlava 
Da  Dieu  soven  ades  ; 
Perso  car  molt  l'arnava, 
L'era  de!  cor  tam  près. 


942.   El  sete  pots  causir 

Los  rieys  per  Dieu  grasits, 

Can  soven  vol  ausir 

Dieu  els  fayts  bos  els  dits. 

945.   So  es  con  el  sermo 

De  Dieu  (u)ausen  s'atura, 

Donan  aximpli  bo 

Al  sotsmes  de  dreitura. 

944.  E  so  qu'en  ausira 

Nuyl  temps  nol  dessovenya, 

E  tôt  quan  li  dira 

En  son  cor  dins  retenya. 

945 .  Qui  au  los  mandamens 
De  Dieu  els  serv'  els  te, 
Aymé  Dieu  fmamens 

Et  Dieus  iuy  aytambe. 

946.  Lo  vuyte  senyals  es, 
Can  reys  volantiers  dona 
Per  Dieu,  et  part  sos  bes, 
Toylen  a  sa  pressona. 

947.  E  can  ihomt  per  Dieu  deria 
Tôt  son  sostenimen, 
Encaral  cuydaria 

Aver  dat  caymen. 


948. 


E  nuyla  re  tan  lieu 
No  conex  hom  amor, 
Con  en  donar  lo  sieu 
Es  en  fayre  honor. 


949. 


950. 


9)1 


Le  noves,  can  rey  vol 
Obesir  so  quel  manda 
Far  Dieus,  can  al  rey  dol. 
Qui  de  re  lo  desmanda. 

Dieus  dits  c'  hom  onr'  es  am 
Sos  amichs  leyalmen, 
E  si  an  set  ne  fam, 
Quels  [sjason  bonamen. 

Le  proverbis  retray 
Que  la  major  besonya, 
Si  la  ricors  s'en  vay, 
L'amich  sldelpaubr'eslonya. 


9^2.   Sil  princep  paubre  ama, 
No  l'ama  per  lo  sieu. 
Que  menifesta  fama 
Es  que  l'ama  per  Dieu. 

955.   Ja  tu  no  ameray 

Be,  si  no  am  los  tieus  ; 
Dieu  t'amera  —  so  say  — 
Si  be  âmes  los  sieus. 

954.    Membret  del  rey  de  F'ransa 
Quel  juglar  terra  det, 
E  con  non  ach  duptansa 
Con  l'ostias  levet. 

9^  ^ .    D'eiso  quels  reys  tolia 
Vol  al  paubre  donar, 
E  so  que  be  cresia 
No  volch  ab  oyls  guardar 


(v"i      90.   Membret  de  sent  Johan 
Qiaels  dexebles  preyava 
Qu'ânes  l'us  l'autr'  aman. 
Que  res  als  nols  parlava. 


949  f  Can  dieu.  —  95 1  Au  besoing  voit  l'en  qui  amis  est.  Le  Roux  de  Lincy 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 


9? 


9^7.   No  voyles  apeylar 

Nagun  payr  en  la  tierra, 
C'un  n"as  al  cel,  et  par 
Con  soffri  per  tu  guerra. 


96s .   A  rey  lare  no  cal  murs, 
Barreyra  ne  fossats, 
Qu'en  pia  es  si  segurs 
Con  en  castiels  obrats. 


958.   Segons  Dieu  tuyt  em  frayre, 
Pero  pauc  nos  semblam  ; 
Pus  tuyt  avem  .j.  payre. 
Per  que  tuyt  nons  amam  ? 


966.    Castiel  ne  fermetats 
No  val  a  rey  avar 
Que  no  sia  sobrats  ; 
El  larch  nos  pot  sobrar. 


9^9.   Tu  qui  als  morts  t'en  vas 
F'orsat  et  mal  ton  grat, 
Aytan  can  viu  seras, 
Hi  vay  de  volontat. 


967 .    Rey  avar  al  sotsmes 
Es  assi,  no  pre[s]  re  ; 
Pus  be  no  part  sos  bes, 
Res  de  be  nol  cove. 


960.   Tu  qui  portes  la  flor,  /.  41 
Guardel  mort  qu'il  s'en  porta  ; 
Penssa  de  far  conor, 
Qu'els  pes  tens  près  la  porta. 


968.    Reys  can  es  larchs  als  sieus 
Es  assi,  es  presats, 
El  sieu  l'amon  e  Dieus, 
Per  que  régna  honrats. 


961.   Tu  portes  la  guarlanda 
El  mort  portel  sudari; 
Laxian  la  beyla  landa 
Tens  lo  cami  contrari. 


969.    Reys  qu'es  avars  assi 

Per  c'als  autres  mays  do, 
Be  valors  per  pus  fi 
Et  mays  sec  se  reso. 


962.   Es  es  dreits  fil  d'aranya 
Que  re  fort  no  atura^ 
Que  mentenen  no  franya 
Mas  frevol  creatura. 

96:; .    Dreyts  fo  faits  pels  malvats, 
No  jes  per  los  valens  ; 
Er  confon  los  presats, 
Als  croys  non  es  nosens. 


970.  Tan  can  rey  es  valens, 
Donan  et  fasen  be. 

Es  can  vol  presar  mens 
L'altruy,  el  sieu  rete. 

971 .  Ops  es  c'hom  se  délivre 
De  peccat  et  d'enyan, 
C'ab  ayso  no  pot  vivre 
Sos  jorns  ne  tan  ne  can. 


964.   Reys  als  autres  avars 
Et  larchs  assi,  pauc  val, 
E  sil  creys  grans  affars, 
Laxar  l'an  a  cabal. 


972.   Si  con  l'oyl  an  plaser       {v°) 
De  veser  biela  flor, 
Ha  l'arme  bon  saber 
De  sentir  bon'  odor. 


Livre  des  prov.  II,  272  ««485.  —  958  a  en.  —  964  c  E  cil. 


94 

A.    THOMAS 

975- 

Volontats  et  sabers 
Acaba  tota  re, 
E  poders  et  lasers 
Et  majormen  tôt  be. 

980.   Vist  ay  ab  mal  malvat 
Qui  guarir  no  volia, 
E  vist  que  mal  son  grat 
Le  metges  lo  guaria. 

974.   si  us  parla  entre  cen, 
Ades  guard'  al  meylor 
0  al  pus  entanden 
O  cel  cuy  port  amor. 


981  .   Sans  Mertis  guarilfsi  sec 
Mal  son  grat  el  contrait  ; 
E  tenc  celuy  per  pec 
Qui  desraso  son  playt. 


97^.   Molt  miyls  deu  hom  parlan 
Lospechsquelscertsguardar, 
Quel  cert  ben  entendran 
El  pechis)  no  ses  tornar. 


982 .   No  so  eguals  franquesa 
Es  obliguacios, 
Nés  fay  segons  riquesa 
Aculimens  ne  dos. 


976 .  Si  puges  en  ricor 

E  sents  orgoyl  sobrar, 
Membret  del  texidor 
Els  mirayls  que  vole  far. 

977.  Ciyl  cuy  valors  destreyn 
No  deu  hom  pusdestrenyer, 
Car  forts  destreyt  l'ateyn  ; 
Sobre  tôt  s'en  guart  senyer. 


985 .    Donar  et  franchs  coratges 
Acolirs  et  honra[riS 
Aporta  bos  usatges 
Et  lunya  fayts  avars. 

984.    Savis  es  bos  amichs   (/•  42) 
E  foyls  non  es,  pot  far; 
Ans  te  dura  destrichs, 
Si  no  t'  en  sabs  lonyar. 


978.  E  sembla  causa  stranya 
Qu'eu  digua  que  valor 
En  pla  et  en  montanya 
No  segon  li  miylor. 


98^ .    Un  sol  amich  volria 
Aytal  con  la  mas  es 
A  l'oyl,  car  non  auria; 
Mas  al  mon  non  es  ges. 


979.   Qui  te  loch  de  senyor, 
Mays  deu  temer  falir  ; 
Sil  senyor  ha  valor, 
Pus  c'altrel  deu  punir. 


986.   Si  [l'joyl  nuyl  mal  se  sen, 
La  mas  hi  cor  délivre 
E  donal  guarimen 
Ans  c'als  prenda  ne  livre. 


979  Couplet  cité  par  En  Pach:  Qui  te  lloch  de  senyor  |  Mes  deu  tembre 
fallir  I  Sil  senyor  a  valor  |  Pus  que  altre  deu  punir.  {Esp.  S^-,fol.  52  c; 
SSJol.  51). 


LES  PROVERBES   DE  GUYLEM  DE  CERVERA 
99?- 


95 


987.   Si  l'oyl  deu  .j.  colp  pendre, 
La  mas  denan  se  pare 
Per  lo  colp  a  deffendre; 
Neys  al  pendre  nos  guare. 


Femna  esquivaras. 
Si  vivra  vols  adreyls, 
Ho  tu  car  compreras 
Los  tieus  els  sieus  nalets. 


988.   Nostres  perents  amem 
Si  co  la  nostra  stranya, 
Car  veramen  sabem 
C'amars  amors  guasanya. 


994.   Femna  fets  Selamo 
De  sa  fe  delivrar, 
E  sa  muyler  Semso 
A  l'estrayn  axorbar. 


989.    Li  prevera  qui  vivon 
Be  es  ensenyan  be, 
Doblamen  tayn  que  sion 
Honrat,  es  eu  0  cre. 


99$ .   Ceyl  per  cuy  fol  portais 
De  Roma  derocats 
Fo  entrels  fmestrals 
Per  l'amfanta  penjats. 


990.   A  ceyls  qui  mal  vivran 
Ensenyan  fais  jornal 
Deu  hom  doblar  l'aflfan 
La  desonor  el  mal. 


996. 


Vergilis  l'encantayre 
Vole  con  besti'  anar 
Si  com  vi  l'emperayre 
Tant  saub  sa  fiyla  far. 


991  .   Manjar  deu  desirar 

Hom,  per  tal  c'aia  vida, 
No  vivra  per  manjar 
Voler,  qu'es  vida  aunida. 


997 .   Sa  moylers  fets  Tristayn 
Morir.  car  noy  jasia, 
Que  d'als  tôt  son  coman 
Et  son  voler  fasia. 


992.  Per  tal  que  fassa  be 
Ddu  hom  vivra  voler 
Qui  de  be  no  fay  re, 
No  deu  vida  querer. 


998.   La  reyna  al  bayn 
Fets  son  marit  aucir 
E  restauret  l'estrayn. 
Et  fo  durs  fayts  d'ausir. 


991    Couplet  cité  par  En 
/Ida. 


Pach:  Menjar  deu  i'om  desijar  |  Per  tal  que  aia 
la,  I  No  viure  par  menjar  |  Voler,  que  es  vida  hun\da.  (Esp.  54,  fol  15  ;  55, 
fol.  8;  Documentos,  p.  203).  Ce  mot,  que  Molière  a  rendu  célèbre,  vient  origi- 
nairement d'une  parole  de  Sacrale  rapportée  par  Plutarqae,  Stobéc^  Aulu-Gclle  et 
autres  ;voy.  le  Molière  de  la  collection  des  Grands  Ecrivains  delà  France^  VII,  129, 
note.  —  995  a  b  Nous  ne  voyons  pas  qui  l'auteur  veut  désigner  par  cette  péri- 
phrase ;  quant  à  la  légende  elle-même,  les  écrivains  du  moyen  âge  l'attribuent  gé- 
néralement à  Virgile.  Voy .  Comparetti,  Virgilio  nel  medio  evo,  II,  103.  —  996 
Légende  ordinairement  attribuée,  au  moyen  âge,  à  Aristote. 


96 

999- 


La  reyna  d'Espanya 
Volch  son  fiyl  matzinar, 
E  fo  be  causa  stranya, 
Pel  Sarrasi  usar. 


1000.   L'indienchs  vole  ab  femna 
Alaxandri  aucir; 
Qui'nvilfemnalsieusemna. 
Blasme  vol  recuylir. 

1001  .    Le  reys  Davi  julget 
Si  mateys  a  périr 
Per  femna,  et  pequet. 
Don  vole  tormens  soffrir. 

1002.   La  causa  pus  malvada 
Del  mon  e  la  mays  bona 
Es  femna  be  usada 
Ho  can  a  mal  se  dona. 


THOMAS 
1007 


Mays  ameria  anar 
Ab  trobador  leyal, 
C'ab  playdes  rasonar 
Meyns  de  seyn  natural 


1008.  Barayl[a]  et  pinxura  1/.  45) 
Voyles  de  loyn  guardar; 
Quax  que  non  âges  cura 
Net  vols  meraveylar. 

1009.  Ab  quais  oyls  guarderas 
Ton  amich,  sil  fas  mal 
Can  denan  li  seras  ? 
Not  tenra  per  leyal. 

1010.  Grieu  feras  son  plaser 
Del  tieu  a  ton  amich 
Si  del  sieu  ex  aver 

Li  fas  dan  et  destrich. 


1005 .   Femn'  es  pus  abstenens 
Com  er  ab  sen  mayor, 
Que  semblans  fa  c'am  mens 
So  que  te  per  meylor. 

1004.  La  femna  vils  no  fora, 
S'  om  no  fos  vils,  es  es 
Hom  vils  es  desonora 
Ses  femna  morts  et  près. 

1005 .  Mays  volria  estar 
Ab  .).  trobador  bo, 
C'un  conquister  tener 
Don  hom  no  fa  son  pro. 

1006.  Meylor  estar  faria 
Ab  .).  bo  trobador, 
C'ab  metge  qui  tôt  dia 
Fa  de  gran  mal  pigor. 


1011.  L'amistansa  del[sl  fats 
Lieu  se  pren  et  lieu  frayn 
Grieu  l'amor  del[sj  sénats 
S'apren  e  grieu  remayn. 

1012.  Larguesa  dison  qu' es 
Vicis  et  vicis  mais, 
Don  sobre  totas  res 
Es  lausats  libérais. 

\on, .   No  désirs  lay  ricor 
On  senyoreg  vilas, 
Ne  milas  pren  d'ostor, 
Ne  orps,  tu  qui  veyras. 

1014.   Le  guayls  se  fay  emblar 
El  cavayls  atressi 
E  son  senyor  sobrar 
0  venir  a  la  fi. 


1000  Cf.  couplet  1 149. 


1009  b  Cil. 


I  c  Leu. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 
1021 


97 


101  ^ .   No  duptes  a  servir 

De  pauc  dos  grans  senyors 
C'axit  feras  grasir 
Et  duptar  als  menors. 


Moyiers  vol  mal  soven 
A  ceyl  quel  marit  ama, 
E  vol  be  axamen 
A  celuy  que  desama. 


ioi6.   No  duptes  a  querer 

Per  pauc  molt  a  senyor. 
Que  per  .j.  pauc  plaser 
Fay  senyor  gran  honor. 


1022.   Si  ton  amich  castias 
Et  not  cre  mentanen, 
Ja  per  so  no  estias 
De  castiar  soven. 


1017.   Ameras  tos  amichs 
Axi  que  non  seras 
De  tu  eix  enamichs, 
Qu'els  et  tu  serviras. 


Homils  et  paciens 
Conquer  sirven  amichs; 
Ergoylos,  negligens 
Desserven,  enamichs. 


1018.   No  t'acorts  ab  celuy 
Qui  ab  sis  desacort  ; 
Grieu  s'acord'  ab  autruy 
Qui  ab  sis  desacort. 


1024.   Si  vols,  can  veyl  seras, 
Los  autres  fayts  comptar, 
Guarda  so  que  faras 
Non  âges  a  laxiar. 


1019.    La  causa  desempar 

Quet  sia  dampnamens 
On  pus  te  sera  care, 
Et  valra'n  mas  tos  sens. 


102^.   Si  hom  te  lausa  mays 
Que  no  deu,  per  plaser, 
Ja  no  t'en  fenyeras 
Guays  et  fay  en  dir  ver. 


1020.   Ta  moyler  no  creyras    (V) 
Can  a  tort  se  rancur 
Dels  serfs  que  tu  auras 
Eraa  (?)  ab  sen  segur. 


1026.    No  cresas  de  tos  fayts 
Negu,  mas  tu  metexs, 
Car  trop  [es]  malvat  plaits 
Et  crims  et  dans  en  crexs. 


1015-16  Cf.  Caton,  I,  35;  Ne  dubites,  quum  magna  petis,  impendere 
parva  ;  |  His  etenim  rébus  conjungit  gratia  caros.  Ccrvira  n'a  pas  compris  le 
texte  latin.  —  loi  7  Caton,  i,  1  1  :  Dilige  sic  alios,  ut  sis  tibi  carus  amicus.— 
1018  Id.,  I,  4  :  Sperne  repugnando  tibi  tu  contrarius  esse:  I  Conveniet  nulli, 
qui  secum  dissidet  ipse.  —  1019  Id.,  i,  6  :  Quse  nocitura  tenes.  quamvis  sint 
cara,  reiiiique.  —  1020-102 1  Id.,  i,  8  :  Nil  temere  uxori  de  servis  crede  que- 
renti  :  |  Saepe  etenim  mulier,  quem  conjux  dil  git,  odit.  —  1022  Id  ,  i,  9  : 
Quum  moneas  aliquem,  nec  se  velit  ille  tr.oneri,  |  Si  tibi  sit  carus.  noii  désistera 
cœptis.  —  1C24  Id.,  1,  16  :  Multorum  quum  facta  sene.\  et  dicta  recenses,  |  Fac 
tibi  succurrant,  juvenis  quae  leceris  ipse.  —  1025-1026  Id.,  i,  14:  Quum  te 
aiiquis  laudat,  judex  tuus  esse  mémento  :  |  Plus  aliis  de  te,  quam  tu  tibi,  cre- 
dere  noIi. 


Romania,  XV 


98  A.    THOMAS 

1027.  Si  tu  servici  prens,  'Oî4- 
A  mans  0  deus  comptar, 

E  sil  fas,  majormens 
0  deus  a  tots  celar. 

1028.  Qui  parla  ab  feunia  'o?5- 
Be  et  adrechamens, 

Ab  alegra  diria 

Beyis  dits  dous  et  plasens. 


No  ternes  mort,  ne  re 
No  deus  tan  fort  temer, 
Si  vols  finar  en  be 
Ni  viven  gaug  aver. 

Si[tu]  vols  tos  amichs 
Al  tieu  servir  respondre, 
Non  deusesser  enichs 
Nel  teu  servir  confondre. 


1029.  Ja  no  curs  ne  demans,  1036.  Si  as  deconaxens 

S'  us  ab  autra  cosseyla  Servit,  guarda  enan 

De  nuyls  fayts  pauchs  ne  grans  Que  serves  conexens, 

Denan  tu;  clau  l'oreila.  Car  grat  t'  en  refferran. 


1030.  Ce!  quis  sent  mal  mirens 
Ades  cuya  c'  hom  dia 
Sos  mais  captenimens, 
El  cuyars  es  foylia. 

1031.  Entre  mil  non  es  us 
Da  morir  asinats, 

E  te  es  ha  cascus 

La  mort  entre  sos  bras. 


1037.  De  re  tan  no  m'  es  grieu 
Corn  dels  jorns  c'ay  perduts 
En  obra  contra  Dieu 

Ab  fais  crois  dits  menuts. 

1038.  Celuy  que  tu  pories 
Lieu  venser  combatten, 
Per  que  mays  preats  sies, 
Vuyles  venser  soffren. 


1032,   Lefoylsmets'esperansa(/.  44)  1039. 
Soven  en  mort  d'autruy, 
E  lieu  aytal  fiansa 
Tornadel'autra'n  luy. 


1033.  Ab  cosselier  avar 

No  t'acorts  de  larguesa. 
Ne  de  leyaltat  far 
Ab  cel  c'  an  ab  falcesa. 


1040. 


Be  guarda  tôt  quant  as 
Et  majormen  la  causa 
C*  ab  treybal  conquerras 
Et  Dieu  conquiren  lausa. 

Can  hom  la  causa  pert 
Que  conquer  ab  treybal, 
Cent  tans  mays  s'  en  espert, 
Per  qu'  el  no  guarda!  fayl. 


1027  Caton,  I,  1 5  :  Officium  alterius  multis  narrare  mémento,  |  Atque, 
aliis  quum  tu  beneieceris  ipse,  sileto.  —  1029-1030  Id.,  i,  17  :  Ne  cures,  si 
quis  tacito  sermone  loquatur:  |  Conscius  ipse  sibi  de  se  putat  omnia  dici.  — 
1030  a  cent.  —  1031-1032  Id.,  i,  19  :  Quum  dubia  et  fragilis  sit  nobis  vita 
tributa,  |  In  mortem  alterius  spem  tu  tibi  ponere  noli.  —  1034  Id.,  ii,  3  : 
Linque  metum  ieti,  nam  sultum  est  tempore  in  omni,  |  Dum  morlem  metuis, 
amiltere  gaudia  vitae.  —  1038  Id.,  i,  38  :  Quem  superare  potes,  interdum  viiice 
ferendo;  |  Maxima  enim  morum  semper  patientia  virtus.  —  1039-1040  Id.,  i, 


LES  PROVERBES    DE  CUYLEM  DE  CERVERA 
1047 


99 


1041 .  Si  lo  libre  aprens 
De  Vergili,  sebras 
Tots  los  cultivamens 
De  terra  et  veyras. 

1 042 .  S'apendre  vols  la  forsa 
De  les  erbes  presen, 
Le  libres  no  t'estorsa 
De  Marcer  lo  valen. 


1048. 


Mays  entra  de  la  nau 
Per  Tayga  dousa  sana 
Que  per  la  mar;  tal  m'  au, 
Que  resos  no  l'es  plana. 

Mays  entra  d'amor  bona 
En  noble  criatura 
Qu'en  malvada  presona 
On  nuyls  bes  no  s'atura. 


104? .   De  la[s]  batayles  soma 
Et  comtet  mostrera 
D'Affrica  et  de  Roma 
Le  libres  de  Luca. 


1049.    Axi  apren,  cosi 

Tots  temps  dévias  vivra, 
E  viu  si  con  la  fi 
Dévies  far  délivra. 


1044.   No  voyles  conquérir     (v°)       1050. 
Sacrets  celestials  ; 
Pensât  c'as  a  morir 
Et  penssa  dels  mortals. 


1045 .  Alegret  de  so  qu'es 
Pauc  es  amasurat, 
Si  quet  sobre  merces 
Es  âges  pietat. 

1 046 .  La  naus  es  en  major 
Periyl  en  alta  mar      [cor; 
Qu'en  pauc  flum  qui  pauc 
Mas  nauchier  non  0  par. 


Mays  voiles  sol  soffrir 
Ira,  que  si  disies 
So  don  fessas  aunir 
Mas  per  so  que  diries. 


1051.  Notcuyts  c'hom  segur  sia 
De  mal,  lo  mal  fasen, 
Sitôt  lo  primer  dia 

Non  pren  Dieus  venjamen. 

1052.  No  vuyles  meynsprear 
Home  poc  ne  sa  forsa, 
Car  mantes  vêts  sab  dar 
Cosseil,  don  mans  estorsa. 


39:  Conserva  potius,  que  sunt  jam  parla  labore  :  j  Quum  labor  in  damne  est, 
crescit  mortalis  egestas. —  1040  d  guardat.  —  1041-1043  Caton',  ii,  préface: 
Tellurissi  forte  velis  cognoscere  cultus  |  Virgilium  legito.  Quod  si  maie  nosce 
laboras  j  Herbarum  vires,  Macer  tibi  carminé  dicet.  |  Si  Romana  cupis  vel 
Punica  noscere  bella,  |  Lucanum  quaeras,  qui  Martis  prœlia  dicet.  —  1044  Id., 
Il,  2  :  Mitte  arcana  De!  cœlunique  inquirere  quid  sit  :  |  Quum  sis  mortalis, 
quae  sunt  mortalia  cura.  —  1045-6  Id.,  ii,  6:  Quod  nimium  est  fugito,  parvo 
gaudere  mémento;  |  Tuta  mage  est  puppis,  modico  quum  flumine  fertur.  — 
1047  ^  ^^l  nau.  —  1051  Id.,  ir,  8:  Nolo  putes,  pravos  homines  peccata  lu- 
crari  :  ]  Temporibus  peccata  latent,  sed  tempore  parent.  —  10^2  Id.,  ii,  9: 
Corporis  exigui  vires  contemnere  noli  :  |  Consilio  pollet,  oui  vim  natura  ne- 
gavit. 


105?.   Lochuria,  emvega 

Es  orgoyl  fan  mais  mais 
Que  nuyla  res  qu'  eu  vega 
A  senyors  terrenals. 


THOMAS 

1059. 


No  lays  la  covinen 
Causa  que  ops  auras. 
Que  corn  n'auras  talen 
Aver  no  la  poras. 


1054.   Luchurios  fai  mal 
Als  autres  es  a  si 
Major  et  pus  mortal, 
Segons  quel  savis  di. 


1060.   Jener  vuyles  semblar 
Qui  guarda  l'an  pessat 
El  vinen  vol  guardar 
Per  vivr'  ab  si  honrat. 


1055.   Orgoyl  fay  de  senyor 
Soismes  et  mens  de  ser, 
E  senyer  de  valor 
Nol  cossen  nel  sofer. 


[061.    No  sia  meynspresada 
La  causa  sol  per  tu 
Qu'es  pels  autres  presada 
Per  plaser  de  sol  .j. 


1056.   Novoylesperperaula(/.45 
Ab  ton  amie  contendre, 
Car  grans  temors  s'entaula 
Per  vil  rayso  défendre. 


1062.   Si  puges  en  riquesa, 

Quan  mays  poder  tenras, 
Te  membre  la  pobresa 
Que  sofferta  auras. 


1057.   De  long  te  guayteras 
Lo  mal  quit  deu  venir, 
C'a  miyl  s]  t'en  cubriras 
Ab  cor  de  mal  soffrir. 


1 06  3 .   Qui  soffer  malenansa 

Et  blasmel  tiemps,  pejura, 
Si  non  a  be  membransa 
C'aia  de  selut  cura. 


1058.  Can  hom  ve  lo  cayrel, 
Miyls  s'en  pot  escudar, 
Qu'el  mon  escut  pus  beyi 
Non  a  de  be  guardar. 


1064. 


Qui  soffer  gran  dolor 
Deu  aver  membramen 
Que  la  cura  meylor 
Aia  primeramen. 


1055  Messer.  —  1056  Caton,'  ii,  m  :  Adversus  notutn  noii  contendere 
verbis:  |  Lis  minimis  verbis  interdum  maxima  crescit.  —  1057  1d.,  ii,  24; 
Prospice,  qui  veniant,  lios  casus  esse  ferendos  ;  |  Nam  levius  iaedit,  quidquid 
prasvidimus  ante.  —  1059  1d.,  11,  26:  Rem  tibi  quam  nosces  aptam,  dimit- 
tere  noIi  :  |  Fronte  capillata,  post  est  occasio  caiva.  —  1060  1d.,  ii,  27: 
Illum  imilare  Heum,  partem  qui  spectat  utramque.  —  1061  1d.,  11,  29  :  Ju- 
dicium  populi  nunquam  contempseris  unus,  |  Ne  nulli  placeas,  duni  vis  con- 
temnere  multos. —  1062  Couplet  cité  par  En  Pach:  Si  pujes  en  riqueses  |  Quant 
may  poder  tendras,  |  Te  membra  la  pobresa  |  Que  soferta  aras  {Esp.  ^, 
fol.  55  (j  ;  J5,  fol.  32  d).  —  1063-4  Id.,  II  ,30:  Sit  tibi  prascipue,  quod  pri- 
muni  est,  cura  salutis:  |  Tempora  ne  culpes,  quum  sis  tibi  causa  doloris. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 
1071 


106^ .   So  on  mets  [tos]  alurs 

Veilan,  pensses  dormen; 
Per  qu'en  sompnis  no  curs 
Mas  en  Dieu  solamen. 


Guardat  de  far  anuy 
Tostiemps  et  de  mal  dir  ; 
Quil  fa  nel  dits  d'autruy 
Pendrel  volet  aucir. 


1066.   Vida  ses  be  saber 

Es  de  mort  ressemblans  ; 
Donchs  met  tôt  ton  poder 
En  apendre  tos  ans. 


1072 .   Per  cobesa  d'argen 

Ja  muyler  non  pendras; 
Laxe  la,  mantinen 
C'a  altra  la  sebras. 


1067.   Can  tu  vivras  leyals 
Et  poderosamens, 
Si  hom  dits  de  tu  mais 
Sies  en  non  chalens. 


1075 .   Qui  no  sab  cosseilar 
Que  deu  segr'  0  fugir, 
Los  fayts  dels  altres  guar 
Can  blasmar  0  ben  dir. 


1 068 .   Nuyls  hom  non  a  poder  1  v») 
Que  pusca  chastiar 
Los  dits  de  desplaser 
Ne  las  bocas  tencar. 


1 074 .   Faits  d'autres  bos  0  mais 
Es  dreyts  chastiamens 
Dels  emendens  leyals 
Et  dels  bos  noyrimens. 


1069.   Sil  blasme  vols  celar 
Nel  mal  de  tos  amichs, 
A  testimoni  far 
Ta  fe  guardan  noy  trichs. 


1 07  ^ .   Can  hom  vol  fayt  celar 

Pausat  contra  dretchura, 
Aycel  vol  recemblar 
Qui  fa  la  desmesura. 


1070.   Qui  vol  los  dits  rependre 
Dels  necis  et  dels  fats, 
A  tal  re  se  vol  pendre 
Que  sia  meynspresats. 


1 076 .   Paciens  sofferras 

So  quit  vendra  per  dreyt, 
E  tu  eus  puniras 
Si  sabs  c'ages  neleyt. 


106s  C.A.TON,  II,  31  :  Somnia  ne  cures:  nam  mens  humana  quod  op- 
tans,  I  Dum  vigilat,  sperat,  persomnum  cernit  id  ipsum.  —  1066  In.,  m,  i  : 
Instrue  praeceptis  animum,  nec  discere  cesses;  |  Nam  sine  doctrina  vita  est 
quasi  mortis  imago.  —  1067-68  Id.,  111,5  •  Qyuni  recte  vivas,  ne  cures  verba 
malorum  :  |  Arbitrii  non  est  nostri,  quid  quisque  loquatur.  —  1069  Id.,  m, 
4:  Productus  testis,  salvo  tamen  ante  pudore,  |  Quantumcumque  potes,  celato 
crimen  amici.  —  1071  d  ausir.  —  1072  Id.,  m,  13  :  Uxorem  fuge  ne  ducas 
sub  nomine  dotis,  |  Nec  retinere  velis,  si  cœperit  esse  molesta.  —  1072  dCorr. 
c'aoltra?  Coupla  cité  par  En  Pach:  Per  cobdicia  d'argent  |  Ja  muiler  no  pen- 
dras, I  Lexala  mantinent  ]  Que  aduiteri  li  sebras  {Esp.  ^,  j^o/.4^  c;  SW  /o'- 
27  d\  Documentes,  p.  2^7).  —  1075  Id.,  m,  16  :  Quod  nosti  haud  recte  fac- 
tum,  noiito  tacere,  |  Ne  videare  malos  imitari  velle  tacendo.  —  1076  Ip.,  m, 
18  :  Quod  merito  pateris,  patienter  ferre  mémento  :  |  Quumque  reus  tibi  sis, 
ipsum  te  judice  damna.  —  1076  a  soffirens. 


1077. 


Si  vols  esser  cortes, 
Non  âges  parlaria, 
Car  trop  parliesnon  es 
Ensemps  et  cortesia. 


1083 .   Fiyls  bos  ha  bon  saber 

Can  ve  sa  mayre  honrar; 
Qui  Dieu  vol  retener, 
Sa  mayre  deu  lausar. 


1078.  Ta  moyler  despegada 
No  cresas  tota  hora  : 
Dits  de  muyier  irada 
Descep  marit,  quan  plora. 


Tots  bos  fiyis  ama  mays 
Can  ve  servir  se  mare 
Que  si,  e  pus  s'irays 
Sii  ve  desonor  fayre. 


1079.   De  soffrir  no  volers 
Trop  maie  causa  es  ; 
De  caylar  no  poders 
Es  grans  mal  et  repres. 


I5 .  Aytan  amaras  Dieu 
Con  sa  mayr'  amaras, 
Es  aytan  l'amich  sieu 
Con  los  sieus  honreras. 


1080.   Pus  segurs  es  qui  mena 

Nau  arriban  al  port  (/.  46) 
Que  quan  puja  l'antena 
En  l'auta  mar  et  fort. 


1 086 .   No  voyles  esquern  far 

Delsveyls,si  prop  te  stan, 
Qu'entot  vieyl,  sensduptar, 
Haalcu  sen  d'enfan. 


1081 .   Tal  causa  asagia  a  far 

Que  pugues  traur'  a  cap, 
C  hom  no  deu  comensar 
Nuyl  fayt,  pus  no  l'acap. 


1087.   Tôt  quan  hom  ha,  pert  lieu, 
Massolamen  saber, 
Per  que  not  sia  greu 
Siy  mets  tôt  ton  poder. 


1082 .  Tos  perents  ameras 
Bonamen  et  te  mare 
De  re  no  greujeras, 
Si  vols  plaser  (al  ton  pare. 


1088.  Altressi  con  la  cura 
Ajuda  a  l'angeyn, 
Us  ab  obra  s'atura, 
Per  c'  us  tôt  art  ateyn. 


1077  Caton,  m,  20  :  Inter  convivas  fac  sis  sermone  modestus,  |  Ne  dicare 
loquax,  dum  vis  urbanus  haberi.  —  1078  Couplet  cité  par  En  Pach:  Ta 
muller  despagada  |  No  creges  tota  hora;  |  Dits  de  muller  yrada,  |  Decep 
marit  quant  plora.  {Esp.  54,  fol.  45  c;  ')'>:>  f°l-  26  d;  Documentos, /?.  257). 
Cf.  Caton,  III,  21  :  Conjugis  iratae  noii  tu  verba  timere.  |  Nam  lacrymis 
struit  insidias  cum  femina  plorat.  —  1081  Id.,  11,  i^:  Quod  potes,  id  tentes, 
operis  ne  pondère  pressus  |  Succumbat  iabor,  et  frustra  tentata  relinquas.  — 
1082  Id.,  II,  25  :  Aequa  diligito  caros  pietate  parentes;  |  Nec  matrem  offen- 
das,  dum  vis  bonus  esse  parenti.  —  1083  c  Que.  —  1086  Id.,  iv,  18: 
Quum  sapiasanimo,  noIi  ridere  senectam;  |  Namquicumque  senet,  pueriiis  sen- 
sus  in  illo  est.  —  1087  Id.,  iv,  19  :  Disce  aliquid;  nam,  quum  subito  fortuna 
recessit,  |  Ars  remanet,  vitamque  hominis  non  deserit  unquam.  —  1088  Id.. 
IV,  21  :  Exerce  studium,  quamvis  perceperis  artem:  j  Ut  cura  ingenium,  sic  et 
manus  adjuvat  usum. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 
1096 


105 


Si  as  alcuns  lausats, 
Guarda  non  digues  mal, 
Car  seras  ne  blesmats 
De  lieu  sen  venertzal. 


Nuyis  homs  non  esnafrats 
De  nafra  tan  mortal 
Con  le  nafra  peccats 
Al  quai  dûlors  molt  val. 


1090.  Los  homilspus  quels  braus 
Asaia  quais  seran, 
Carenflom  si  qu'es  su islaus 
Moron  mans  no  guardan. 

1091.  Quan  trebayl  soflFerras 
De  perdre  0  de  mal, 
Los  autres  guarderas 
Qui  soffron  atretal. 

1092.  Can  tu  tôt  sol  seras       [v°) 
En  affayn  a  soffrir, 
Trebaylar  te  poras, 

Mas  no  del  tôt  alcir. 

1095.   Can  les  riquesas van, 

Foyl  es  qui  s'  en  espert  ; 
Hom  no  pren  ten  gran  dan 
Con  quan  [son]  amie  pert. 


1097.  Si  tu  not  vols  presar, 
Ja  no  seras  presats, 

Si  quet  voyles  guardar 
De  far  vils  fayts  malvats. 

1098.  Can  inquisicio 

Fa  senyer  sobrel  sieu, 

Non  i  a  .).  tam  bo 

Que  nol  deg'  esser  grieu . 

1 099 .  Que  si  Dieus  la  fasia 
Contrels  angiels  del  ciel, 
Cascus  paor  auria. 
Sitôt  son  sey  fesel . 

1 1 00.  L'aut  puig  se baxon  jos 
E  s'aclinon  las  sierres, 
Can  inquisicions 

Fay  senyer  per  les  terres. 


1094.  Tôt  axi  con  la  ombra 

Sec  son  cors,  sec  la  morts 
Homa,  qui  lieu  encombre, 
Can  non  es  lieu  ne  forts. 

1095 .  Can  hom  la  naffr'  a  sana, 
La  gran  dolors  que  sen 
Es  medicina  plana 

Del  naffrat  veramen. 


1101.  L'arbre  lexon  les  flors 
E  li  prat  la  verdor 
Per  pavor  dels  senyors, 
Can  enquer  lor  arror. 

1 1 02 .  Les  bestias  els  peys 
Se  laxon  de  manjar, 
Can  vesen  que  fal  reys 
Obra  per  lor  dempnar. 


1089  Caton,  IV,  25:  Laudaris  quodcumque  palam,  quodcumque  pro- 
baris,  |  Hoc  vide,  ne  rursus  levitatis  crimine  damnes. —  1090  Id.,  iv  3 1  :  Dé- 
misses anime  ac  tacitos  vitare  mémento:  |  Qua  flumen  pincidumest,  forsanlatet 
altius  unda.  —  1091  Id.,  iv,  32  :  Quum  tibi  displiceat  rerum  fortuna  tua- 
rum,  I  Alterius  specla,  quo  sit  discrimine  pcjor.  —  1093  Id.,  iv,  55  :  Ereptis 
op  bus  noii  mœrere  doiendo.  —  1094  Id.,  iv,  37:  Tempora  longa  tibi  noli 
promittere  vitas.  |  Quocumque  ingrederis.  sequitur  mors,  corporis  umbra.  — 
1095  Id.,  IV,  40:  Vulnera   dum  sanas,  dolor  est  medicina  doloris.  —  1102  e 


104 

I  10^ 


La  tierra  n'es  pus  dura, 
En  axecon  li  riu, 
E  l'aygua  s'en  atura 
Per  senyor  trop  esquiu. 


1104.  Guardet  de  far  tal  obra 
Que  d'enquisicio        (/.  47) 
Not  ternes,  quels  fais  sobra, 
Per  drei  menan  reso. 

1 105 .  Membret  de!  jutgiamen 
De  Dieu,  nol  fases  tort; 
Per  un  pom  solamen 
Jutget  tôt  segl'  a  mort. 


A.    THOMAS 

1 1 1 1 


M 06.   Los  fiyls  d'Aron  cramet, 
Car  feron  part  son  man, 
Els  Indienchstanquet 
Part  la  montanya  gran. 

1107.   Nabugadenosor 

Fets  bestia  tornar  ; 

A  ceyls  fet[s]  barba  d'or 

Quil  volgron  contrafar. 

1  r  08 .   Nostre  Senyor  sofer  1 1 1 6 . 

Maysquenuylshomsvivens, 
Mays  puyspren,  qui  mal  mer, 
Pus  mais  d'autres  lurmens. 

I  1 09 .    Mans  mais  pessamens  ve  1 1 1 7 . 

Per  la  tierra  guardar; 
El  ciel  guardan  per  re 
Non  pusch  nuyl  mal  pessar. 

1 1 1 G.   De  nuyl  fayt  no  m'asaut  1 1 1 8 . 

Pus  ca  Dieus  s'en  [corn]  planya; 
Tais  cuyda  far  gran  saut 
Qui  roman  en  la  fangua. 


Fayts  don  la  us  se  lausa 
Et  l'altres  vay  cleman 
Es  bona  mala  causa 
Et  nos  part  per  guaran. 


1 1 1 2 .   Fayt  tench  per  covinen 
Can  de  cascuna  part 
S'en  van  payadamen 
Et  dreyt  jutges  lo  part. 

1 1 1^.  Cavaliers  deu  estar 
Cavaliers  et  servens 
E  senyer,  si  vol  far 
So  qu'es  dels  mendamens. 

11 14.  Cavaliers  d'ardimens 
Far  e  de  cortesia, 
E  ques  renda  sirvens 
De  Dieu,  tan  can  viu  sia. 

1115.  Senyer  deu  esser  tais 
Que  tenya  als  sotsmes 
Drechur'  ab  fayts  leyals, 
Ho  frayn  so  c'a  promes. 


E  deu  esser  compayns  (v°) 
Als  sieus  del  sieu  aver, 
Quels  privats  els  estrayns 
Pot  axi  conquerer. 

Senyers  deu  tais  estar 
Que  de  ceyls  quil  deurion 
Deffendra,  a  guardar 
No  s'aia,  que  l'aucion. 

Mays  valria  senyor 
Moris,  qu'en  ses  ciutats 
De  ceyls  aver  tamor 
Hon  deg'  esser  guardats. 


uesdeu.  —  wod  c  d  Cf.  k  quatrain  875  et  la  note.  —  1 118  i  quan. 


LES  PROVERBES    DE  GUYLEM  DE  CERVERA 

1 119.  Alexandris  moric  1 126 

Per  .j.  pauc  de  veri, 
Car  fets  del  sieu  amie 
[En]emic,  don  près  fi. 


io< 


Ab  aguyla  punyen 
T'as  a  trayre  l'espina, 
S'anar  vols  drechiamen  : 
A  fort  mal,  fort  metzina. 


1120.  Puselatge  ne  tiemps 

Ne  mort  nos  pot  cobrar; 
Tots  très  losguarda  'nsemps 
C'hom  not  pus^cja  blesmar. 

1121.  Per  tal  que  lengua  es 

Pus  fort  que  re  c'hom  port, 

Nostre  Senyor  la  mes 

En  loch  c'hom  ha  pus  fort. 


II  27 


No  pot[s]  aver  lausor 
Ses  coinpanya  'ndressada, 
C'om  dits  :  A  bon  senyor 
Tots  temps,  bona  maynada. 

Les  companyes  del  bo  (/.  48) 
Acompanyon  l'estrayn, 
El  sirven  del  feylo 
Fan  so  donqierts  se  playn. 


1122.   Que  als  oyls  no  fets  Dieus 
Mas  sol  .'f.  coberta 
E  la  lengua  qu'es  lieus 
N'a  mais — raysoescerta — . 

112^.   Car  esta  dins  dos  murs 
Con  castiels  ben  guardats 
De  mal  pendre  segurs 
Ab  d'aiga  pies  fossats. 

1124.   Membreusdelscersquefan: 
Deus  tos  pruysmes  sofrir, 
C'us  cers  va  l'autr  'aydan 
Al  cap  a  sostenir. 


!  I  29.   Sil  senyer  es  avars 

Sis  sera  se  companya; 
S'a  senyor  plats  donars 
Noy  ha  .).  qui  s'en  planya. 

1130.   Del  fiyl  te  guarderas 
Non  anpar  re  del  tieu  ; 
Del  ostor  apendras 
Go  noyrix  lo  fiyl  sieu. 

1 1  j  1 .   Axi  con  conexensa 

Es  caps  d'ensenyamens, 
Axi  desconoxensa 
De  tots  fais  falimens. 


112^.   Can  lo  cers  mal  se  sen 

Ho  vieyls,  per  s'en  tornar, 
Manya  .j*.  serpen 
Quil  fay  renoveylar. 


I  U.   Paraules  et  badayl 
Se  mudon  d'u  en  u  ; 
S'eu  per  valor  no  vayl, 
Ja  no  velray  per  tu . 


1 121  <î  ta!  can.—  1123/»  guandats.  —  1 124  a  c  et  1 125  a  sers.  —  1 125  d 
sacen.  C'est  la  croyance  à  laquelle  Serveri  de  Gironc  fait  allusion  au  commence- 
ment d'une  de  ses  pièces:  Tolz  hom  deu  far  aco  quel  vielhs  cers  fa.  (Mila. 
Trov.  en  Esp.  p-ijs)-—  "25  è  santomar. 


io6 

un 


Ab  aygua  ne  ab  foc 
Ne  ab  senyor  contendre 
No  deu  hom,  qu'en  nuyl  loc 
Not  pot  mas  mal  atendre . 

1 1  ?4.   Las  ymages  de  Roma 
Fasen  gran  mesastria 
Per  cel  quel  fais  consoma 
Mostravon  senyoria  : 

11^5.   Can  negus  s'elevava 

Contra  ceyl  senyoratge, 
L'imatges  se  girava 
Estan  en  son  estatge. 

1 1  ?6.   D'aysos  deu  hom  pensar 
Qu'era  obra  de  mal, 
C'hom  non  deu  contrafar 
Son  senyor  natural . 

iny.   Senyori' es  tan  forts 
Que  senyer  laxals  sens 
De  lôyn  lay  on  naix  torts 
El  cor  per  pessamens. 

1 1 38 .   Enveg'  es  causa  justa 
De  las  justes  del  mon. 
Car  ceyl  c'ab  si  l'ajusta 
Primeramen  comfon. 

!  I J9.   S'us  hom  tôt  segla  avia 
Enquer  volria  mays; 
Entro  lay  tornat  sia 
On  fo,  non  er  trop  guays. 


A.    THOMAS 
I  140. 


De  sant  Esperit  fo         {v°\ 
Hom  et  non  er  payats; 
Del  tôt  ne  aura  pro 
Tro  lay  sia  tornats. 


I  141  .   La  terra  tôt  be  dona 
Et  tôt  lo  vol  cobrar  ; 
Als  us  gaug  abandona 
Els  autres  fay  plorar. 

1 1 42 .   De  terr'  es  hom  et  par, 
Que  sit  laves  la  cara 
En  vols  .j.  drap  passar, 
Aygu'  en  trayras  no  clara. 

114^.    So  que  nos  pusca  far 
Atorga,  can  obs  sia, 
S'entrels  braus  vols  usar 
Fasen  be  tota  via. 

I  144.   Us  abats  en  Castela 
Emparet  de  mostrar 
A  un  poli  ses  ciela 
De  letra,  de  chantar. 

1145.  Caries  Maynes  fo  layre 
Et  Basi  SOS  compayn 

A  cels  quil  volgron  trayre 
A  mort  de  plaits  estrayn. 

1146.  Femne  es  d'ome  lats 
Si  com  filats  d'ausiel  ; 
Ab  femn'  es  enjanat 
Ans  c'ab  autra  sembiel. 


1 134  Voy.  sur  cette  légende  de  la  Salvatio  Romas,  à  laquelle  le  nom  de  Virgile 
a  été  souvent  attaché,  l'ouvrage  de  M.  Comparetti,  Virgilio  nel  medio  evo,  H,  64 
etsuiv.  —  1 139  i  uabria.  —  m 45  Sur  cette  légende,  voy.  G.  PariSyHhl.  poét. 
de  Charlemagne,  ;?.  315.  —  1 146  Cf.  Eccl.  vu,  27:  laqùeus  venatorum  est, 
et  sagena  cor  ejus. 


LES    PROVERBES    DE   GUYLEM 


1 147.   Qui  vol  son  enamich 

Pendre,  ab  femnel  gatcha; 
Per  sol  proverbi  dit 
Quetguartsd  aquela patcha. 


155 


DE    CERVERA  lO' 

Hanc  Dieu  no  vole  far  re 
Que  desfar  nos  pogues 
E  quel  poder  a  se 
Del  tôt  no  retengues. 


1 148.    De  dos  te  guarderas 
Perpendre  no  deguts  ; 
Acels  remembreras 
C'an  mal  do  confonduts. 


1156. 


Es  ab  sacrificar 
Es  ab  oracios 
Es  ab  preyeras  far 
Es  ab  devocios, 


I  149.  Alexandri  près  do 

D'Indis  et  la  puciela 
Quel  cuydet  passio 
Dar,  car  era  tam  biela. 

1 1 50.  Aristotils  no  fos 
Apres  d'astronomia, 
Alaxandri  per  dos 
Perdera  quant  avia. 

1 1 5 1 .  Dieus  no  vole  per  nien 
'  Qu'en  estelas  agues 

Tan  gran  entendimen 
Mas  per  c'hom  se  guardes. 


1 1 57.  Ab  dejunis  fasen, 

Be  esquivan  tots  mais, 
Alieuga  Dieus  tormen, 
Si  con  reys  terrenals. 

11^8.  Sans  Bernât  carn  manjet 
Pel  frayre  chastiar, 
Don  miyls  lo  castiet 
Que  sil  fases  liyar. 

II 59.   Non  voyles  far  esquem 
Si  Deus  te  fay  honor  ; 
Membret  del  guat  d'imfern 
Que  fets  al  fort  senyor . 


1 1 52.   De  80  qu'es  a  venir  (/.  49) 
Trop  miyels  te  guarderas 
Si  ho  saps,  que  cubrir 
Estiers  no  t'en  poras. 


1 1 60 .   Al  metge  di  vertat 
Es  a  ton  comfassor 
Es  a  ton  avocat: 
Si  no,  perdras  t'onor. 


11^}.  Car  l'ivern  e  Pestats 
Sab  hom  c'a  venir  sia, 
Mieyls  n'es  apereylats 
Que  si  re  non  sabia. 

1154.   So  die  per  mans  disens 

Que  nos  deu  hom  guardar 
De  les  causes  vivens 
Que  nos  podon  mudar. 


1161.  Femnal  pus  prim  enjana 
Tant  hasaber  sobrer; 
Membret  la  Soriana 
Que  fes  al  cavalier. 

1162.  La  moylers  al  marit 
Fets  la  torta  tener  ; 
Cel  tenc  per  exernit 
C'a  femna  pot  saber. 


1 149  Cf.  coupl.  1000.  —  1 1 50  />  dostronomia.  —  1 1 51  d  saguardes 


I08  A.    THOMAS 

1 165 .  Can  ton  amie  felo  1 167.  Guarda  quit  servira 
Veyras,  no  deus  gabar  Ot  voira  far  plaser, 
De  re,  car  nol  sab  bo,  Si  per  amor  0  fa 

Si  nol  te  vols  lonyar.  O  vol  del  teu  aver. 

1 164.   Can  le  fiyls  soffer  mal    iv)      1168.   Car  tal  ser  vex  altruy 
Le  payr'  en  sen  dolor  ;  C'o  fay  per  so  que  agia 

Del  payrel  fiyl  no  cal  Dos  tans  0  may  de  !uy, 

Sil  payr'  a  mal  major.  No  per  amor  que  l'agia. 

116^.   Pus  femna  vol  entendre  1169.   La  donzeyla  cuydet 

En  far  sen  0  folor.  Un  burgues  veyl  desebre 

Geyn  et  maneyra  pendre  Ab  servir,  mas  guardel 

Sab  de  manta  color.  S'en  lo  veyl  ab  recebre. 

1 166.  D'un  preyicadorfe, 

Ab  semblan  de  bonesa, 
Alcavot,  so  say  be, 
.']'.  richa  burgiesa. 


i 


LES    PROVERBES   DE    GUYLEM    DE    CERVERA 


109 


INDEX  DES  NOMS  PROPRES 

ET    DES   MOTS    ET    FORMES   REMARQ.UABLES. 


Abr.\ai,  65 1. 

Adam,  50., 370,  372,  373,  426. 

Affrica,  1043. 

Agostix  (S'),  642,  827. 

Agust  César,  183. 

Alas,  496. 

Alexandris,  873,  875,  1000,   1119' 

1 149,  1 1 50. 
Ananias,  872. 
Anna,  927. 
jrelar,  93  (=:  heretar). 
Aristotils,  I  1 50. 
Aron,  622,  1 106. 
atorgar,  1143  (rr  autorgar). 
axir,  passim  (zr:  eissir). 
dxorbar,  524  (rr  eissorbar). 
Basi,  1 145. 
Benjamin,  903. 
Bernart  (S»),  257,  711,  806,907, 

1158. 
Carles-Maynes,  1145. 
Castela,  1 144. 
cayment  (?),  947. 
Caym,  840. 
César,  183,  521. 
Chato,  486. 
CiCILIA  (S'3),  366. 
Corinthis  (pistola  als),  574. 
David,  45  i,  919,  looi. 
délivre^  employé  adverbialement,  avec 

le  sens  de  «  sur-le-champ  »,  231, 

277.  986. 
Diana  {Na),  J12,  ^13. 


Egiptes(/o  rey  d'),  806. 

Elizeu  (/'),  629. 

Elyodorus,  624. 

enayguar,  v.  act.,  couper  d'eau    (en 

parlant  du  vin),  42. 
Erodes,  795. 

Espanya  (la  reyna  </'),  999. 
(spiyl,  héritier,  320. 
estellyns  (?),  173. 
EvA,  371,  372,  373. 
Ezahu,  502. 
ferles,  papillons,  182. 
FoRiA,  531. 
Fransa  {to  rey  de),  954. 
Gesai,  762. 
gibrar^  tourner,   1  1 . 
Guylem  de  Cerveira,  1 ,  628. 
Indiench  (/'),   1000.   —   Indienchs 

(los),  1 106. 
Indis,  1 149. 
Ipocras,  439. 

ISACH,   320,   321. 

istorias  '  ;  del  pescador  e  del  guat,  7 1  ; 
del  mark  e  dels  diables,  102;  du  dépo- 
sitaire infidèle,  136-137;  d'ayceyl 
quin  la  preso  se  mes,  207;  del  lop  e 
de  l'anyel,  494  ;  de  l'ase  e  del  leyo, 
495  ;  de  la  talpa,  S2^;de  la  serpen, 
de  l'osqu  e  de  la  fossa,  630;  de  cel 
c'anava  pendre,  643  ;  de  l'escudier  e 
de  son  senyor,  689;  del  pol  e  del 
mita,  700;  del  philosoph  veyl,  812; 
del  texidor,  976  ;  de  ceyl  per  cui  fol 


I.   Nous  réunissons  ici  les  renvois  aux  nouvelles  dans  lesquelles  ne  figurent 
pas  de  noms  propres. 


portais  de  Roma  derocats,  995  ;  de 
la  reyna  que  Jets  aucir  son  marit  al 
bayn,  998  ;  del  guat  d'infern,  1 1 59; 
de  la  moyier,  del  marit  e  de  la  torta^ 
1162;  del  preyicador  e  de  la  bur- 
giesa,  1166;  de  la  donzela  e  del 
burgues,  1 169.  Voyez  en  outre  Cas- 
tela^  Espanya^  Fransa,  Roma^  So- 
riana,  Tristayn,  Vergili,  etc. 

ivasosamens,  adv.,  rapidement,  435. 

Jacme  (S'),  pèlerinage,  665. 

jags  (?),  166. 

Jéricho,  871. 

Jeronim  (S*),  299,  J46,  ^29,  ^31. 

Jérusalem,  875. 

Job,  717. 

Johan-Baptiste  (S'),  956. 

JOHAN  l'EvANGÉLISTE  (S'),   26 1. 

Josaphat,  897. 

JosEP,  fils  de  Jacob,  806. 

JosEP,  époux  de  Marie,  929. 

Lamechs,  840. 

lenguar,  bavard,  418. 

Levitich,  616. 

l0mbardie,  166. 

Lots,  530. 

LucA  (Lucain),  1043. 

LucH  (S»),  826. 

Magdalena,  910,  941. 

Malachies,  617. 

manifest  (ab),  ouvertement,  793. 

Marcer  (zr  Macer),  1043. 

marfar,  v.  n.,  se  flétrir,  511. 

Mathieus  (S<),  907. 

/ne/,  s.  fém.,  miel,  393. 


Mercuri  (la  mon  de),  1  10. 

Mertis  (S»),  saint  Martin,  981. 

MoYSEN,  383,  896. 

Nabugadonasor,  3^9,  865,  1107. 

Nohe,  355. 

Octopigoras  (Pithagore?),  439. 

Peyre  (S'),  615. 

pic,  s.  m.,  piqûre,  393. 

Psalm  {Lo)^  voy.  David. 

Raynart,  625. 

Reys  [Livre  dels),  66. 

RoBOAM,  702. 

Roma,  665,  739,  995,  1043,  11 34. 

Roman  (/;),  709. 

Salamo,  23,  387,  994. 

sejornial,  adj.,  de  loisir,  168. 

Semso  iSamson),  994. 

Senacherip,  645. 
Seneq.ua,  907. 
SoRiANA  (la),  1 161. 
Tam.\r,  558. 

teri,  -j-jj,   espèce  de  monnaie;  voy. 
Raynouard,  Lex.  rom.^  V  tari,  et 
Du  Gange,  Gloss.,  \°  tarenus. 
tesura,  filet,  186. 
Tristayn,  997. 
tutchar  (?),  452. 
ugar  (.?),  102. 

Utero  (Deuteronome),  423. 
venarsal,  venertzal^  adj.,  léger,  frivole, 

22,  1089. 
Vergilis,  996,  ÎO41. 
Xixen  (En),  51}. 
Ysayes,  828. 


L'ESCRIVETO 

CHANSON  POPULAIRE  DU  MIDI  DE  LA  FRANCE 


J'avais  réuni  quelques  versions  de  la  chanson  de  l'Escriveîo  avec 
l'intention  de  les  publier  dans  Mélusine  et  de  provoquer  une  enquête  sur 
ce  sujet,  lorsque  je  vis  qu'il  venait  d'être  traité  d'une  manière  très  appro- 
fondie par  M.  le  comte  Nigra  dans  la  Romania  (XIV,  2^1-273),  so^s 
le  titre  de  :  //  Moro  Saracino,  canzone  popolare  piemontese.  La  question  se 
trouvant  être  ouverte  dans  la  Romania,  il  était  à  désirer  que  les  supplé- 
ments d'information  relatifs  à  cette  chanson  parussent  également  dans 
cette  Revue.  C'est  ce  qui  m'a  engagé  à  publier  ici  les  quelques  versions 
que  j'ai  rassemblées  '. 

Eugène  Rolland. 
I 

VERSION    DE  BRASSAC  (tARN*) 

Lou  viscont'  se  marido      lou  visconte  joli, 
2  N'a  preso  l'Escrivoto       la  flou  d'aquest  pais. 

La  n'a  presa  tan  jouve      noun  s'en  sap  pas  vesti. 
4  Quand  la  ne  mand'  a  l'aygo      noun  s'en  sap  pas  veni. 

S'en  va  set  ans  en  guerro      per  la  laissa  nouiri. 
6  Al  cap  d'set  ans  arrive      lou  visconte  joli. 

S'en  va  tust'  a  la  porto  :       «  Scrivoto,  dourbis  me?  » 
8  Soun  pero  i  responde  :       «  L'Escrivot'  n'es  p'  aici, 


1.  Depuis  la  publication  de  l'article  de  M.  Nigra,  M.  G.  Guichard  a  publié 
dans  la  Revue  des  langues  romanes  (août  1885,  p.  89-95)  une  version  dauphi- 
noise de  VEscrivcto  qu'il  a  fait  précéder  de  considérations  d'une  valeur  fort  con- 
testable. 

2.  Cette  version  a  été  recueillie  par  M.  Jolibois  et  publiée  dans  le  Revue  du 
département  du  Tarn,  1877,  p.  6.  —  Cette  Revue  n'étant  probablement  pas 
entre  les  mains  de  la  plupart  de  nos  lecteurs,  nous  avons  jugé  opportun  de  la 
reproduire. 


E.    ROLLAND 


«  Lous  Mouros  l'a  t'an  preso       lous  Mouros  Sarazis. 
10  —  Que  l'anarei  be  querre      quand  saurio  d'i  mouri! 

«  Farei  fair'  uno  barco      tout'  or  e  argen  fi.  » 
12  La  barco  lou  transporto      dejouts  un  albrespi. 

Rencontre  très  lavairos      que  lavoun  lour  drap  fi  : 
14  «  Dias  mi,  vautros  lavairos,       quun  caste!  es  aici? 

—  Aco's  castel  das  Mouros      das  Mouros  Sarazis. 

16  —  Dias  mi,  vautros  lavairos,      quuno  dam'  y  a  dedins? 

—  Y  a  madam'  Escrivoto      la  flou  d'aquest  pais. 
18  —  Dias  mi,  vautros  lavairos,       coum  fa  per  i  parlai 

—  Vou  cal  avilh'en  paure,       en  paure  pèlerin, 
20  «  Ana  de  port'  en  porto,      l'almoyno  demanda. 

—  Scrivoto,  fai  l'almoyno      als  gens  dal  teu  pais. 
22    -  Aco  seri'  impoussible      que  sias  del  meu  pais 

«  Que  les  auzels  que  voloun      s'en  savoun  pas  veni, 
24  «  Soun  00  las  iroundelos      que  voloun  tan  poulit. 

—  0  si!  soun  ieu,  Scrivoto,       ieu  sui  lou  teu  amie! 
26  L'Escrivot'  met  la  taulo       de  boun  pa,  de  boun  vi. 

0  Dio  mi,  tu  l'Escrivoto       t'en  vouidrios  pas  veni.? 
28  —  Si  fait,  cert',  lou  visconte.       vouldri'  estr'  a  miex  cami. 

L'Escrivot'  s'en  v'as  cofTres       prene  cinq  cens  lois, 
30  L'Escrivot'  v'a  l'estable      cauzi  pus  bels  roussis. 

i(  Vous  mountares  lou  rouje,       ieu  mountarei  lou  gris.  » 
32  Sieroun  pas  dins  la  barco       lou  Mouros  sier'  aqui. 

a  Set  ans  la  t'ei  nourido       de  boun  pa,  de  boun  vi, 
54  «  Set  ans  la  t'ei  vestido      de  vairtz  e  de  sati. 

«  So  que  lario  pas  aro      dal  maiti  jusqu'al  ser, 
36  «  Aro,  ieu  la  gardavi      per  un  petit  moun  fil.  » 


VERSION    DU   CANTON    DE    BRIVE    (CORREZE' 


&-i'~--ir-  z=f-;-?=z 

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Ma  -  ri   -   doun  lo    lA    -  je    -    to,       Lo  Li-je  ■   to    jo- 


_  ^^ — tzt:__t:pz=::ï! — >_t 


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II',     Ma    -    ri  -  doun  lo    Li  -  je    - 


lo  Li  '  je  -  to     jo- 


I .  Cette  version  m'a  été  communiquée  par  M.  G.  Godin  de  Lépinay. 


l'escriveto  llj 

li\       Lo     ma      ri  doun  tun  dzeou,  -  no      que  chen  po     pas  vech- 

ti,      La        ma  -  ri-doun  tan  dzeou-no   que  chen  po  pas  vech- ti. 

Maridoun  lo  Li)eto      lo  Lijeto  joli'; 
2  Lo  maridoun  tan  dzeouno      que  ch'en  po  pas  vechti. 

Choun  paire  lo  courdedzo  ',       choun  eiman  lo  vechti. 
4  L'o  leichado  a  cho  mero       chet  ans  per  lo  nouiri. 

«  Apren'  a  couje,  ma  mero,       couje  iou  lindze  fi.  » 
6  Quand  lo  Lijeto  ei  grando      damando  choun  mari. 

«  Ount'  l'anirai  atteridre?       —  Churlou  pount  dî  Paris.  . 
8  Tout  choun  tsami  rancountro      rancountro  Barbari. 

<i  Ount'  ana  vous,  Li|eto.?      —  Voou  tsartsa  moun  mari. 
10  —  Lei  anyas  pas,  Lijeto,       que  ieou  l'ai  vi  mouri; 

«  Ai  vi  ferra  lo  caicho      et  Iou  mettre  dedin  ; 
12  «  Ai  tegu  lo  tsandelo       mai  l'ai  vi  deifeni  2; 

«  Me  voudrias  vous,  Lijeto,       per  Iou  vochtre  mari? 
14  —  Lou  meou  quo  n'er'  un  dzecune      vous  ches  un  barban.  J  1 

Lo  prend  et  lo  n'en  niounte       déchu  choun  tsaval  gris, 
16  Lo  prend  et  lo  n'emmeno      al  tsachtel  charaji4. 

Al  bout  de  chet  anados      choun  eiman  revingait; 
18  Ch'en  vai,  frapp'  a  lo  porto       que  li  venioun  drubi. 
Cho  mero  n'ei  tan  lechto,       che  prend  li  vai  drubi. 
20  «  Ount  aves  lo  Lijeto,       que  venio  pns  drubi.?  » 

—  Lo  vous  ooun  emmenado       al  tsachtel  charaji. 

22  —  Didza  me  doun,  ma  mère,       qu'ei  bien  lort  lound'eichi? 

—  Huet  cheiit  chinquanto  legos       et  tretan  de  tsami.  • 
24  Trobo  las  budzadairos,       budzavavou  en  d'un  rioou. 

«  Didza  me,  bud/.adairos       coumo  l'yappclou'  eichi.'  • 
26  —  Mouchur,  eichi  i  appeioun       al  tsachtel  charaji. 

—  Didza  me,  budzadairos,       ma  qu  l'i  recht'  eichi? 
28  —  0  qu'ei  uno  ritso  damo       qu'ei  d'un  estran  poïs. 

—  Didza  me,  budzadairos,       pourio  pas  ieou  l'oouvi  s  ? 


1 .  Lui  passe  les  cordons. 

2 .  Je  l'ai  vu  mourir. 

j.  Un  vieux,  un  barbon. 

4.  Au  château  sarraziii. 

5.  L'entendre. 

Romania,  XIV 


114  ^-    ROLLAND 

50  ■!  Poouja  me  l'abit  roudze,       prene  lou  peleri  •  ; 

'Na  damanda  l'ooumorno       al  noun  de  Dzieju-Cri.  > 
32  Del  temps  que  lo  demande       n'i  0  dzita  qu'un  yardi  î. 

Del  temps  que  l'amachavo      lou  paoure  cherijioJ. 
34  «  De  que  vous  rijais,  paoure?       n'amachas  qu'un  yardi 

—  Voudria  tourna,  Lijeto,       voudria  tourn'  al  pois? 
36  —  Attendais  qu'un  quart  d'ouro       vous  me  veirei  veni. 

Ch'en  vai  a  l'echcurio,       brido  choun  tsaval  gris; 
38  Del  temps  que  lou  bridavo       lou  vieillard  n'en  vengait. 

«  Lou  diable  lo  te  pialo4,       bougre  de  peleri; 
40  «  Chet  ans  te  l'ai  nouirido      de  boun  po,  de  boun  vi, 

«  Chet  ans  te  l'ai  couidzado       dedin  del  lindze  fi, 
42   (t  Chet  ans  te  l'ai  bicado  (       lou  cher  et  lou  matin.  » 


m. 


VERSION    DU    CANTON    DE    LASALLE    (GARD''). 

Maridou  l'Escriveto       flou  de  nostre  pais, 
2  La  maridou  tan  jouve      que  si  sab  pas  vesti. 

Soun  paire  la  courdelo,      sa  maire  la  vestis. 
4  Soun  ome  ni  vo'n  guerro      per  la  laissa  nourri. 

Al  bout  de  set  anados      soun  ome  vo  veni  ; 
6  Del  pe  piqu'a  la  porto  :       «  Escriveto,  dourbis  ». 

La  maire  ni  davalo      per  li  veni  dourbi. 
8  «  Ount  es  moun  Escriveto       que  mi  ven  pas  dourbi?  1 

—  L'aven  mandado  a  l'aigo,       la  vezen  pas  veni; 

10  Cl  Lous  Morous  l'aurôu  preso       lous  Morous  Sarrazis.  » 

—  Ounte  l'ôu  emmenado?  »       —  «  Cent  legos  ièn  d'aici. 
12  —  0  !  ieu  l'anarai  querre      quand  saupriei  de  mouri  ; 

(I  Farai  fa  'no  barqueto      tout  d'or  et  d'argen  fi, 
14  "Se  lou  ven  be  la  buto  7       mi  veirez  Ieu  aici.  » 

S'en  vo  de  ribo  en  nbo       per  elo  descouvri. 
16  Après  de  semanados      el  touquet  al  païs 

Ounte  restou  lous  Morous      lous  Morous  Sarazis. 
18  Troubet  très  bugadieiros,       lou  long  de  soun  cami  : 

t  Adieussias,  bugadieiros,       lavairos  del  drap  fi, 


1.  Laissez-Ià  l'habit  rouge,  prenez  celui  de  pèlerin. 

2.  Elle  ne  lui  a  jeté  qu'un  liard. 

3.  Se  mit  à  rire. 

4.  Que  le  diable  te  la  pèle. 

5.  Baisée;  voy.  le  dict.  de  Mistral,  bica. 

6.  Cette  version  m'a  été  communiquée  par  M.  P.  Fesquet. 

7.  Si  le  vent  bien  me  la  pousse,  c.-à-d.  si  le  vent  m'est  favorable. 


l'escriveto  1 1  s 

20  «   De  eau  es,  vous  en  pregue,       lou  c^stel  qu'es  aqui? 

—  Es  lou  castel  des  Morous,       des  Morous  Sarazis. 
22  —  Digaz.  coumo  s'apelo      la  qu'en  el  si  gauzis  '  ? 

—  S'apelo  l'Escriveto       l'Escriveto  joli. 

24  —  Et  coussi  pourriei  faire       per  elo  entreteni  ? 

—  Vou  C3U  ablhia  'n  paure,      en  paure  pelegri, 

26  0  Piei  demanda  raumorno      al  noum  de  Jésus  Christ. 

—  Chambrieiro,  fai  l'aumorno       al  paure  peregri. 
28  —  Fasez  lo  vous,  madamo,       qu'es  de  vostre  pais. 

—  Ah!  coussi  vos  que  vengou  =       de  gens  de  moun  pais  i* 
50  <(  Lous  ausselous  qui  voulou       podou  pas  sai  veni, 

—  Assetat  las  liroundos      que  vôu  per  tout  pais.  » 

52  —  Chambrieiro.  sus  la  taulo       met  bon  pan  e  bon  vi 

f  Et  bailo  li  a  beure      en  tasso  d'argen  fi.  ^> 
54  Après  vôu  a  soun  coffre       per  de  Iidors5  cauzi, 

Davalou  din  Testable       per  prene  dous  roussis  ; 
]6  Un  monîo  sus  lou  rouge       et  l'autro  sus  lou  gris. 

Erou  p'ancaro  a  l'aigo.       lou  Morou  si  f'auzi  4  : 
]8  —  Emb  l'or  que  tu  mi  prenes       la  mar  vo  treluzi  ; 

«  Lous  roussis  que  m'emmenos       la  terro  lou  treni; 
40  I  Set  ans  la  t'ai  nourrido       de  bon  pan,  de  bon  vi, 

«  Set  ans  la  t'ai  veslido      de  velou,  de  sati, 
42  •  Set  ans  la  t'ai  caussado       embe  de  marouqui; 

i  Se  la  ti  poudiei  téne      la  ti  fariei  mouri. 
44  —  L'as  be  que  trop  tengudo;       d'elo  aro  passe  ti.  » 

Ansin  l'o  preso  as  Morous       as  Morous  Sarazis. 

IV. 

VERSION    DE    LA    LOZÈRE  5. 


:t.-â:7=i=^:riT:;:i^:^^r:j-^j:z:^Tzi;Ti::^=z^-:^i_I„.N_r^3 


Bla  -  ri  -  dou  F  Es-cri  -be-  to,  ma  -  ri  ■  dou  V  Es-cri  -  be-  io,  IjEs- 


cri  -be  -  to  jo  -  U\  V  Es-cri  -  be      -      to    jo   -   Zi'. 


1.  Comment  s'appelle  celle  qui  en  lui  se  réjouit,  c.-à-d.  celle  qui  y  habite. 

2.  Ah  !  comment  veux-tu  que  viennent, 

3.  Des  louis  d'or 

4.  S'est  fait  entendre. 

5.  Cette  version  a  été  recueillie,  en  1857,  par  M.  Liebich.  alors  pasteur  dans 


!6  E.    ROLLAND 

Maridou  l'Escribeto,      l'Escribeto  joli'. 
2  La  maridou  tan  sjuno      qe  si  sa  pas  besti. 

Sou  mari  bai  en  guerre      per  la  laissa  nourri. 
4  Al  bout  de  sel  anados      sou  mari  bai  béni. 

D'un  pefrapo  la  pouerto;       «  Scribeto,  bien  m'ouvri. 
b  —  Lous  Maouros  l'oou  emmenado,       lous  Maouros  Sarazis. 

—  Icou  l'anarai  be  querre      qon  saoubrio  de  lai  mouri; 
8  «  Farai  faire  uno  barqueto       d'or  ou  d'arljen  fi 

«  Et  la  métrai  sus  aigo      sus  aigo  ou  sus  cami.  » 
10  Qon  seguet  al  bout      d'une  rivieiro', 

Troubet  dos  bugadieiros      qe  labou  lous  dra  fi  : 
12   «  Diga  mi,  baoutres  bugadieiros,       coumoapelou  iou  casteld'aqui? 

—  L'apelou  Iou  castel  des  Maouros,       del  Maouro  Sarazis.  » 
14  —  Coumo  apelou  ladamo,       la  damo  q'es  dedin  .? 

—  L'apelou  l'Escribeto      l'Escribeto  joli. 

16  —  Coumo  poudrai  ieou  faire      per  li  poudre  parla  ? 

—  Bous  caou  abiye  en  paoure,       en  paoure  peieri, 
18  «  Li  demanda  l'acumorno      al  noun  de  Tjesus-Christ. 

—  Douna  qoucon,  Madame;       un  paouro  q'ey  ici. 
20  —  Tsanibrieiro,  fai  l'aumorno      al  paoure  peltrin. 

—  Façet  la  bous,  Madame,       qu'es  de  boste  pais. 
22  —  Coumo  poudrie  estre      estre  de  moun  pais.'' 

«  Qe  lous  aousselous  qe  bolou       s'i  peuedeu  pas  gandi  2, 
24  «  Ammi  l'iroundelete      qe  sai  0  pas  soun  nis  5. 

—  Si  soui  Le!  leou.  Madame,       qe  soui  beste  mari. 
26  —  Tsambrieiro,  m.e  la  taeulo,       al  pan  et  al  boue  bi, 

c  Barlet,  bai  a  l'estapie,       selle  Iou  tsabal  gris.  » 
28  Lous  Maouros  .sortou  de  la  fenestre,       per  les  beire  parti  : 
«  Adieou  nost'  Escribete,       l'Escribeto  joli'.  » 


le  départen'ent  de    la  Lozère.   Elle   se  trouve  dans  Poésies  fop.  de  la  France, 
Ms.  delà  Bihl.  Nat.,  t.  11  (Nouv.  acq.  Ir.  J339),  feuillet  290. 

1 .  Pass.^ge  corrompu. 

2.  Ne  peuvent  pas  s'y  rendre. 

3.  EAcepté  1  hirondelle  qui,  ici,  n'a  pas  son  nid. 


L'ESCRIVETO 
V. 


117 


VERSION    LANGUEDOCIENNE    (SANS    INDICATION    DE    LOCALITÉ  "). 

Ma   ■   ri'âou  lEs-cri  -    6c  -  ta.  Ma  -  ri-douVE&-cri' 


be  -  ta,  VEs  -  cri  -  be  •  ta    jo  -  W,  La  fleur  de 


Mandou  TEscribeta,       maridou  l'Escribeta, 
2  L"Escribeta  joli',       la  fleur  de  ce  pays. 

La  maridou  tan  chouina,       que  se  sap  pas  besti. 
4  Soun  marit  bai  en  guerra       per  la  laissa  grandi. 

Aou  bout  de  sept  annadas       soun  mari  rebeni. 
6  «  Ount'  es  moun  Escribeta,       ount'  es  moun  Escribeta, 

L'Escribeta  joli',       la  fleur  de  ce  pays  ? 
8  —  L'abian  mandada  a  l'aygua      a  pas  sachut  béni; 

«  Lous  Morous  nou  l'an  presa       tous  Morous  Sarasins. 
10  —  leou  bole  l'ana  quere      quan  saouprie  de  mouri, 
1  Farai  faire  une  barca      tout  d'or  et  d'archen  fin, 
12   (I  Que  lou  ben  la  transporta      cinq  cent  legas  d'aici.  - 

Arribait  co  das  Morous      das  Morous  Sarazins; 
14  Aqui  troubait  de  fennas      que  derabalou  de  lin  2  ; 

—  Digua  me,  baoutres  fennas      que  derabas  de  lin, 
16  «  Deques  aqueta  tourrc      et  lou  castel  qu'es  aqui?  » 

—  Es  lou  castel  das  Morous      das  Morous  Sarasins. 
18  —  Coussi  ieou  pouriey  faire       per  ye  intra  dedin  ? 

—  Bos  caou  abiya  en  paoure      en  paoure  pèlerin, 

20  «  Demandares  raoumorna      aou  nom  de  Jésus  Christ. 

—  Dounas  quicon,  madame,       as  chens  de  bostre  peys. 
22  —  Coussi  bous  pourias  estre       des  chens  de  mon  peys? 

«  Lous  aousselous,  que  boulou       lai  podou  pas  beni; 
24  '<  Y  a  que  las  chiroundelas       que  fan  soun  nis  aici. 

—  Si  fe  be.  yeou,  madame.       ne  sabe  lou  cami.  >• 
26  Sus  aquela  paraoula      elle  chita  un  grand  cri, 

Elle  chita  un  grand  cri,       recounoui  soun  marit, 
28  Et  la  pren  et  l'emporta      dessus  soun  chibal  gris. 


-  ys. 


1.  Cette  version  a  été  recueillie  en  18^4  par  M.  Al.  Germain,  probablement 
dans  les  environs  de  Montpellier.  Elle  se  trouve  dans  le  recueil  ms.  des  Poésies 
pop.  de  la  France,  t.  II,  feuillet  279. 

2.  (^ui  arrachaient  du  lin. 


ti8 


E.    ROLLAND 


VI. 

VERSION    DE    GANGES   (ARRONDISSEMENT    DE    MONTPELLIER) 
K        .  .         .  K 


ffizîz:^ 


i-'zzf-=ïii^_-!^-5i|:z*=;^.^^ 


• 0 


Ma  •  ri-dounVEs-cri  -  vè  -  to,      Ba -  ra  boumboumboumboum 


boum  ba  -  ra      boum     Ma    -   ri-dou  V  Es -cri    •    vè  -  to,      L'Es- 


jo    -    li\         aïe      aïe  aïe       aïe,         VEs- 


cri  -  ve  -  to 


en  -  vè 


-    U\ 


^ii 


-  to      jo    -     /*',    VEs  -  cri  -  ve  -  to      jo    -    IP. 

Maridoun  l'Escriveto^  —  baraboitm,  boum,  boum,  boum,  boum 
2  baraboum 

Maridoun  l'Escriveto      aie,  aïe,  aïe,  aïei, 
4  L'Escriveto  joli'       TEscriveto  joli'. 

La  maridoun  tan  jhouino      que  si  sa  pas  vesti. 
6  Soun  mari  vai  en  guerro       per  la  laissa  nourri. 

Al  bout  de  set  anneios      soun  mari  vai  veni. 
8  «  Ent'  es  moun  Escriveto,       l'Escriveto  joli'?  » 

—  Es  anado  querre  d'aigo,       la  vesen  pas  veni. 

G  «  Lous  Maurous  la  to  'ou  preso,       lous  Maurous  Sarasins. 

—  Yeou  l'anarai  be  querre      quan  saouprie  de  mouri.  » 
12  Ni  faguèt  uno  barco      tout  d'or  et  d'arjhen  fi; 

Marcliét  set  ans  su  l'aigo      sans  veire  res  veni. 


1 .  Cette  version  se  trouve  dans  les  Poésies  pop.  de  la  France,  Ms.  précité  de 
laBibl.  nat.,  t.  11,  feuillet  286. 

2.  Vieux  mot  signifiant  femme  de  petite  taille  et  chétive.  Il  est  encore  d'usage 
dans  le  pays  [note  de  la  personne  qui  a  recueilli  la  chanson]. 

^  Les  mots  en  italique  forment  le  refrain. 


l'escriveto  119 

14  Trovo  très  bugadieiros      que  lavoun  de  dra  fi: 

a  Adisias,  bugadieiros.       —  Amai  a  vous,  daouphi. 
16  —  Diga  mi  coumo  s'apelo       lou  castel  qu'es  aqui? 

—  Aco  's  lou  castel  des  Maurous,       des  Maurous  Sarasins. 
18  —  Coumo  yeou  pourrie  faire       per  lai  intra  dedins. 

—  Vous  cal  abiya  en  paoure,       en  paoure  pèlerin, 

20  «  Et  demanda  raoumorno       al  nouni  de  Jésus  Christ.  » 

S'en  vai  pica  a  la  porto  :       «  Servante,  douvri  mi.  • 
22  Si  met  a  la  fenestro,       recounoui  soun  mari, 

Et  se  ly  mest  la  taoulo,      al  bon  pain,  al  bon  vi. 
24  Se  lou  menou  al  coffre       al  coffre  de  l'arjhen  : 

(I  Et  prenos  ni  que  gnague       per  fa  nostre  cami.  » 
26  Lou  meno  a  l'estable      per  veïre  lous  poulis: 

•  Mountarés  su  lou  roujhe       et  ieou  dessu  lou  gris.  » 


VII. 

VERSION    DE    LODÈVE    (HÉRAULT'). 

^^ ^.^ , 

:F  „. * *— F-* — jts » *— ^ 

Ma  •  ri  -  doun  V Es-cri  -  ho  •  ta,     VEs  -  cri  -  bo  -  ta      jo- 


Ma  -  ri  -   doun        VEs  -  cri   -   bo      -      -     ta,  La 


fleur     de        ce       pa      -      ys. 

Maridoun  l'Escribota       l'Escribota  joli", 
2  Maridoun  l'Escribota      la  fleur  de  ce  pays. 

Se  Louis  se  marida      Louis,  Comte  Louis, 
4  Ne  pren  una  Escribota       la  fleur  de  ce  pays. 

Se  l'o  presa  jouina,       que  se  sap  pas  vesti. 
6  Louis  s'en  bo  en  guerra      per  la  daissa  grandi 


I.   Cette  version  a  été  recueillie  en  18^5  par  M.  Jules  Calvet.  Elle  se  trouve 
dans  le  recueil  ms.  des  Poés.  popul.  de  la  France,  t.  II,  feuillet  282. 


E.    ROLLAND 

Al  bout  de  set  anadas,      soun  mari  bo  bini  ; 
8  S'en  bo  pica  a  la  porta:       *  Escribota,  veni  me  droubi.  » 

Sa  mera  dilig^nta       dit:  «  Bo  vite  droubi. 
10  —  Ount'  ai  mon  Escribota,       mon  Escribota  joli'?  s 

—  L'aben  mandara  a  l'aiga,       n'es  pas  sachu  rabeni  ; 
12  «  Lous  Morous  l'oourou  presa      lous  Morous  Sarasis. 

—  leou  l'anarai  la  querre      quan  saouprio  de  lai  mouri  ; 
14  «  Farai  una  barca       tout  d'or  ou  d'argen  fi.  » 

Lou  ben  me  lai  transporta       dins  un  tan  bel  jardi. 
16  •  Digas  me,  labairetta,       qu'es  aquel  castel  d'aqui  ? 

—  Lou  castel  des  Morous      des  Morous  Sarasis. 
18  —  Comei  s'apelo  la  dama      la  dama  qu'es  dedins  i* 

—  S'apelo  l'Escribota,       TEscribota  joli'. 

20  —  Comei  yeou  pourio  faire      per  di  dintra  dedin  ? 

—  Vous  cal  abilla  en  paoure,       en  paoure  pèlerin, 
22  «  Et  demanda  l'aoumorna      al  noum  de  Jésus  Christ. 

—  Dounas  quicon,  madama,      al  paoure  pèlerin, 

24  «  Que  demandj  l'aoumorna      al  noum  de  Jésus  Christ. 

—  Chambriera,  me  t'  en  fenestra       per  beire  cal  i  0  aqui. 
26  —  Madama,  acos  un  paoure,       un  paoure  de  vostre  peïs. 

—  Couci  aco  pourio  estre       un  paoure  de  moun  peïs  ? 
28  <-  Lous  aousselous  que  bolou      lai  sabou  pas  veni  ; 

«  Soun  que  les  giroundettas  que  boou  per  tout  peïs.  » 

}o  Al  prumi  boussi  que  copa  '  d'y  jetta  un  grand  soupir. 

—  Aquel  soupir  que  jetta  sembla  un  soupir  de  moun  marit. 
}2  —  Oui,  jouina  Escribota,  ieou  soui  bostre  marit; 

«  Soui  aici  per  bous  queri      se  bous  boules  veni.  » 
34  Bai  faire  un  tour  des  coffres      et  pren  tout  l'argen  fi, 

Bai  faire  un  tour  d'esîable,  ,    caousis  lous  gros  roussis. 
36  —  Ieou  mountarai  lou  rouge,      et  moun  mari  lou  gris.  » 

Siogurou  pas  al  pont  d'Arma,       lous  Morous  boou  béni  : 
î8  —  Set  ans  te  l'ai  nourida      de  boun  pan  et  de  boun  bi  ; 

«  L'argent  que  tu  m'emportas      la  mar  lairio  lusi; 
40  «  Lou  chabais  que  m'emmenas       la  mar  fairio  lusi.  » 


Vin. 


VERSION    DE    l'arrondissement    DE    BÉZIERS    (hÉRAULTI 

Maridou  l'Escriboto      la  flou  de  soun  païs; 
2  L'aou  maridado  jouino      que  se  sa  pas  vesti.  * 


1.  Au  premier  morceau  que  (la  servante  lui)  coupe. 

2.  Cette  version  recueillie  par  M.  de  Portalou,  vers  1854,  se  trouve  dans  le 
recueil  ms.  des  Pois.  pop.  de  la  Fr.,  t.  II,  feuillet  288. 


l'escriveto 

Soun  marit  ba  a  la  guerro  per  la  laissa-  grandi. 
4  Ay  bout  de  set  années      soun  mari  ba  béni; 

Daou  pe  pico  la  porto:  «  Escribolo,  doubris  ! 
6  —  Soi  pas  toun  Escriboto,       mais  ta  mero,  moun  fils. 

—  Ount'  ai  moun  Escriboto,       la  flou  de  soun  pais? 
8  —  Es  annd'  querre  d'aigo,       la  besen  pa  béni; 

<i  Lous  Morous  l'aouran  preso,       lous^Morous  Sarazins. 
lo  —  Mais  ieou  l'ar.arai  querre,       quan  saouprio  de  mouri. 

Faguèt  fayre  uno  barco  tout  d'or  et  d'argen  fi. 
12  Lou  ben  li  la  trasporto       dejous  un  tamari. 

Troubet  très  bugadieiros  laban  soun  linge  fi. 
14  a  Diga  me,  bugadieiros,       qu'  es  lou  castel  d'aqui  ? 

—  Es  lou  castel  des  Morous,       des  Morous  Sarazins. 
16  —  Coussi  ieou  pourrio  tayre      per  yedmtra  dedin  ? 

—  Abilla  bous  en  paoure,  en  paoure  pèlerin, 
18  «  Demanda  ye  l'aoumorno       al  noun  de  Jesu  Cri. 

—  Fases  l'aoumorno,  madamo,       aou  paoure  pèlerin. 
20  —  Diou  bous  assiste  !  paoure,       n'ai  pas  ni  pan  ni  bi. 

—  Fases  l'acumorno,  madamo,       as  gens  de  bostre  pais. 
22   —  Y  a  que  las  hiroundelos      que  sai  fagou  lou  nis. 

—  Fafes  l'aoumorno,  madamo,       a  bostre  cher  marit.  » 
24  Faguet  serbi  uno  îaouio      de  pan  et  de  boun  bi, 

S'en  anet  a  soun  coffre  prene  soun  argen  fi  : 
26  li  Préparas  me  mas  malos       ambe  moun  chabal  gris.  » 

Qu.m  sou  a  niiecho  ruo,  trobou  lou  Sarazi  : 
28  «  Ounte  bas,  Escriboto,       ambe  aquel  pèlerin? 

—  Tu  n'as  mentit,  gran  Morou,       aco's  moun  cher  marit. 
}o  —  Ieou  que  l'ay  pla  nourido      de  lebres,  de  lapins, 

«  Ieou  que  l'ay  abillado      de  drap  et  de  satin, 

52  •  Que  l'ay  tengut  caoussado      de  pel  de  marouquin, 

«  Aro  tu  m'abandounes       per  aquel  pèlerin!  • 


IX. 


VERSION    DES    ENVIRONS   DE    MONTAUBAN 

Guilalmes  se  marido,      Guilalmes,  tant  joli, 
2  Ne  pren  uno  fenneto       que  se  sap  pas  besti. 

Lou  ser  la  desabillo,       la  bestis  lou  mati, 
4  Et  la  baillo  a  sa  mayro       per  la  i  fa  nouiri. 

Guilalmes  ba  a  la  guerro,       a  la  guerro  set  ans. 


Cette  version  recueillie  vers  1857  se  trouve  dans  le  recueil  ms.  des  Pois. 
de  la  Fr.,  t.  II,  feuillet  281. 


E.    ROLLAND 

6  Al  cap  de  sel  anados,       Guilalmes  es  tournant; 

S'en  ba  tusta  a  sa  porto:       «  Escriboto,  djrbis.  » 
8  Mais  sa  mayro  en  fenestro       respoun  :  a  N'es  pas  aici; 
«  Lous  Meures  la  t'aou  preso,       lous  Mouros  Sarazis. 
10  —  Troubarai  l'Escriboto       quan  saxo  di  mouri.  h 

Rencountro  de  labairos      que  laboun  linge  ti. 
12   «  Digas,  baoutros  labairos,       qu'es  lou  castel  d'aqui? 

—  Es  lou  castel  des  Mouros.       dal  Mouro  Sarazi. 
14  —  Digas,  baoutros  labairos,       péri  dintra,  coussi? 

—  Abilla  bous  de  suito       en  paoure  peleri, 

16  «  Demandares  l'armoino,       l'armoino  al  noun  de  Di. 

—  M'en  (arias  pas  l'armoino,       al  noun  de  Jesu  Cri? 
18  Escriboto  en  fenestro       i  en  tito  un  ardit  '. 

—  Digas,  belle  Escriboto,       coussi  bous  ses  aici? 

20  —  Lous  Mouros  m'en  au  preso      et  m'au  menado  aici. 

—  Digas,  bello  Escriboto,       coussi  pourries  sourti  ? 
22  —  Anas  a  l'escurio      scia  lou  bel  roussi; 

«  lou  baou  mounta  a  ma  crambo       per  serca  mous  abits, 

24  «  Passa  de  crambo  en  crambo      per  serca  l'or  pu  fi. 

«  Bous  me  mettrie  en  sello      de  bostre  gran  roussi. 

26  «  Si  qualqu'un  bous  demande:       Que  ne  pourtas  aqui  ;' 

«  Dires  :  qu'es  de  l'aboueno       d'aboueno  pel  roussi  2.  » 
28  —  Lou  Diables  lou  t'engulo,       lou  traite  peleri! 

«  Set  ans  iou  l'ai  nouirido      de  pa  et  de  boun  bi; 

30  «  Set  raoubos  ye  croumpades      de!  bel  dra  de  Paris.  » 


X. 

VERSION    DE    VENCE    I ALPES-MARITIMES)  ' 
-I ..N- 


$i^=5=^^3=É3i^Jli_^î^=^ 


Oou    cas  •  teou    de     Li     -     an    -    dro  U  -  no     fil- 


1.  Lui  jette  un  liard. 

2.  Il  doit  manquer  ici  un  vers  ou  deux,  car  l'intervention  du  Maure  n'est 
pas  annoncée. 

3.  Cette  version  est  tirée  des  Poésies  pop.  de  la  France,  recueil  manuscrit  de 
la  B.  N-,  t.  III,  feuillet  244.  Quoique  obscure,  elle  semble  se  rapporter  à  notre 
thème. 


L'ESCRIVETO  12? 


lo     Vij  a  Se      lou     rei       îoii  soou       pessé 


:^izizj>: 


L'a  -na  -  rie      de  -  roou    '    ha. 

Oou  casteou  de  Liandro       uno  fillo  ly  a; 
2  Se  lou  rei  lou  soupesse,       l'anariè  deroouba. 

Lou  rei  s'abillo  en  padre      en  pèlerin  rouman  ; 
4  Oou  casleou  de  Liandro       rooumouino  demandât!  : 

«  Filletto  de  Liandro,      filleto  de  quinze  ans, 
6  0  Fagues  en  paou  rooumouino      oou  pèlerin  rouman. 

La  fillo  es  caritouso,       l'ooumouino  n'y  a  fa; 
8  En  li  faguen  rooumouino,       li  a  coustré  la  man  '. 

f  0  fillo,  la  miou  fillo,       laisse  lou  pura  fa, 
10  0  Aco  es  caouque  jouin"  orne      que  si  voou  marida.  > 

a  0  fillo,  bello  fillo,       filleto  de  quinz'  ans, 
12   «  Moustres  en  paou  la  routo       oou  pèlerin  rouman.   i 

La  fillo  es  caritouso.       la  routo  li  a  moustra. 
14  En  li  moustran  la  routo,       la  fillo  a  deroouba. 

Leis  sourdas  sur  leis  armos,       encaro  leis  garçouns 
16  Et  vivo  noustro  reyno,       espouso  nouastre  patroun. 


XL 


VERSION    DU    PÉRIG0RD2     FRAGMENT!. 

Margarito  se  bagno      e  lavo  din  la  mer. 

An  tal  coumo  se  bagno       passo  treys  galouneys. 

«  Dieu  l'adjut,  Margarito,       de  toun  pays  venen. 

—  De  mon  pays,  ah!  paouro  ! 

«  Y  3  qu'a  d'aouzel  que  bolo       que  n'en  saougue  béni 
«  Nouma  Tirondelle      que  bay  pertous  pays, 
t  Fay  lou  tour  de  la  France      may  torno  rebeni. 


1.  II  lui  a  serré  la  main. 

2.  Ce  fragment  a  été  recueilli  par  M.  de  Gourgues  avant  1857.  Il  se  trouve 
dans  le  recueil  m?,  des  Poésies  pop.  de  la  France,  t.  VI,  feuillet  J58. 


124  E      ROLLAND 


XII. 


VERSION    DU    TARN-ET-GARONNE  '    (FRAGMENT! . 

Quand  Margarido  se  bagno      a  l'alo  de  !a  mer 
2  Se  praqui  ne  passaboun      très  cabaliersou  dous. 

Lou  dous  l'an  saludado,  l'aoutre  non  y  a  re  dit 
4  Sounquo:  «  Adiou,  niaynado,       benen  de  toun  pays. 

—  De  moun  pays,  lou  paoure,       que  n'es  ta  loun  d'aici  ? 
6  «  Y  a  pas  aousel  que  bole      que  n'i  posque  béni, 

•  Soi'nque  l'iroudeleto,  que  posque  tourna  aici. 
8  —  N'as  unftay  que  se  marido,       ta  sorre  prcn  mari. 

«  Tal  tu  farios,  maynado,  s'erez  al  teou  pays; 
lo  «  Ta  mayre  pla  malaoudo,       toun  payre  ensebelit  , 

«  N'eroun  quatre  pourtayres  —  et  lou  cure  fan  cinq. 

XIII. 
VERSION    DU    TARN-ET-GARONNE    (FRAGMENT). 

—  Fasez  mi  Parmouineto,      Guinoto,  la  jolie, 

2  *  Fasez  mi  l'armouineto,      damo  de  moun  pays. 


Fragment  communiqué  par  M.  J.  Daymard  ainsi  que  le  suivant. 


MÉLANGES 


LE   DÉCASYLLABE  ROMAN. 

Le  vers  principal  de  tout  le  moyen  âge  grec  est  le  trimètre  iambique 
paroxyton,  prosodique  dans  toute  son  étendue  et,  de  plus,  tonique  en  sa 
pénultième.  Cela  est  bizarre,  mais  cela  est.  Voici  deux  échaniillons,  avec 
la  coupe  tantôt  hephthémimère,  tantôt  penthémimère  '  : 

'loo'j  [jpyai;  dj/O'joa  Ppaa|iôy  -/apoia;. 

"E/£'.;  t6  -/.auLta  tôiv  aicvayfjLXTajv  ^iov. 

Supposons  qu'au  commencement  du  moyen  âge  ce  type  se  soit  cons- 
titué chez  les  Latins  comme  chez  les  Grecs  (pour  avoir  l'accent  sur  la 
pénult'ème,  il  n'y  a  qu'à  finir  par  un  mot  comme  hâbet] .  Le  premier  hé- 
mistiche a  la  pénultième  longue  ;  en  latin,  elle  sera  toujours  accentuée. 
Ainsi  notre  trimètre  latin  aura  deux  accents  fixes,  soit  sur  la  sixième  syl- 
labe du  premier  hémistiche  et  la  quatrième  du  second,  soit  inversement. 
Il  n'aura  pas  d'autre  accent  fixe. 

Cela  supposé,  raisonnons.  Dans  un  tel  trimètre,  un  sujet  de  Dagobert 
ou  de  Charlemagne  eût  senti  l'accent,  non  la  quantité.  S'il  eût  essayé  de 
le  reproduire,  il  eût  fort  bien  mis  Jlivit  au  lieu  de  hàbet  à  la  fin,  ou  hàbet 
pour  flâv'it  à  la  coupe  ;  il  eût  de  plus  oublié  la  règle  de  clore  par  un  di- 
syllabe,  et  il  eût  terminé  le  vers  indifféremment  par  multos  habet  ou  par 
quos  ajflavit.  Avec  le  temps,  d'après  ce  que  nous  savons  en  phonétique, 
latone  finale  de  chaque  hémistiche  se  serait  ou  conservée  ou  perdue, 
selon  sa  nature,  car,  dans  notre  trimètre  hypothétique  tout  comme  eu 
prose,  bona  eût  fait  bune  et  bonum  eût  fait  bon.  Ainsi,  en  latin  parlé  du 


Assoc.  pour  l'tncourag.  des  et.  grecques,  J88j,  p.  20. 


126  MÉLANGES 

XI*  siècle,  notre  trimètre  à  la  byzantine  eût  pris  naturellement  quatre 
formes  penthémimères  : 

Fors  Saragûce        kist  en  une  muntâigne 
N'i  ad  castél        ki  devant  lui  remâigne, 
Li  reis  Marsllies         out  sun  conseil!  finét 
Si  'n  apelât        Clarin  de  Balaguér. 

ainsi  que  les  quatre  formes  hephthémimères  correspondantes. 

Je  conclus  que  le  principal  vers  roman  et  le  principal  vers  byzantin 
ont  des  chances  d'être  identiques.  Cette  idée  m'est  venue  en  lisant  un 
excellent  travail  de  M.  V.  Henry,  Contribution  à  l'étude  des  origines  du 
décasyllabe  roman  iParis,  Maisonneuve,  i886i;  M.  Henry  y  réfute  avec 
force  les  systèmes  antérieurs,  et  présente  une  hypothèse  nouvelle,  qui 
fait  du  décasyllabe  un  cousin  de  Tiambique  scazon  de  Martial.  Cette  hy- 
pothèse est  irréprochable  au  point  de  vue  métrique  ;  historiquement  elle 
manque  de  vraisemblance  en  ce  que  le  scazon  est  un  vers  savant.  C'est 
à  peine  si  je  m'écarte  de  M.  Henry  en  proposant  de  remplacer  le  scazon 
par  le  paroxyton  byzantin,  qui  représente  par  excellence  la  phase  ro- 
mane, si  l'on  peut  ainsi  parler,  de  la  versification  grecque'. 

Louis  Havet. 


ALCUNl  APPUNTI    SUl   «   PROVERBl    VOLGARl   DEL    1  200  » 
ED.  GLORIA  2. 

9.  De  ogni  carne  magna  el  lovo  aster  de   la  soa.  Cosî   la  stampa  ;   il 
Marciano  :   dastira.  Il  Gloria  annota:  «  reputo  l'uno  e  l'altro  vocabolo 


(i.  On  trouvera  plus  loin  mon  appréciation  du  travail  de  M.  Henry.  L'hypo- 
thèse de  M.  Havet,  outre  qu'elle  a  l'inconvénient  de  postuler  un  vers  lat  n  dont 
l'existence  n'est  attestée  nulle  part  avant  l'apparition,  au  x  siècle,  des  plus  an- 
ciens décasyllabes  romans  connus,  a  le  défaut  de  toutes  celles  qui  cherchent 
l'origine,  non  de  la  versification  romane,  mais  d'un  vers  roman.  Je  crois  que 
c'est  là  une  méthode  détectueuse,  qui  ne  saurait  mener  à  un  résultat  assuré. 
Mais  en  elle-même,  celte  hypothèse  est  fort  bien  conçue  et  mér/tail  en  tout  cas 
d'être  communiqufr.  —  G.  P.]. 

1.  Atti  de!  r.  istituto  vcnelo  di  scienze,  httere  ed  arti,  série  sesta,tomo  terzo, 
pag.  95  segg.—  Sono  estratti  dall'  opéra  di  Geremia  Uor\U^T\ox\ç  Compendium 
moralium  nolabiliurn  0  Epiionia  sapienttae.  Il  Gloria  si  valse  dell'  unica  stampa 
di  Venezia  1^05  e  del  codice  Marciano  Lat.  VI,  100.  Il  Rajna  mi  communica 
chéri  sono  aitri  quattrocodici  :  Riccardiana  (816,  Laurenziana  (Gadd.  Reliqu.46) 
Nazionale  di  N.^poli  (VII.  E  2),  Darmstadt.  I  soli  proverbii  volgari  nel 
Magliab.  Palch.  IV,  cod.  128.  —  Sul  lavoro  del  Gloria  si  legga  la  bella  disser- 
tazibne  del  Salvioni  nel  Giornale  stor.  délia  tctler.  ital.,  VI,  2jj. 


1  PROVERBI  VOLGARI  DEL  1200  1 27 

scorrezione  di  s'asten  si  astienei  ».  Ma  l'Ascoli  [Arch.  glottol.  III,  278) 
aveva  già  ricordato  l'cîi/fr  délie  Rime  genovesi  «  eccetto  che  »,  cor- 
rispondenie  a\V  estiers  àe\  provenz.  ed  ant.  fr.  Nella  cronica  veneziana 
dastier;  «  riviene  a  de-exterius...  È  la  prima  volta,  se  non  erro,  che 
s'incontri  codesta  combinazione  preposizionale  ».  Ora  ne  troviamo  aitro 
esempio  nella  vicina  Padova.  La  /  è  riduzionedi  ie  ;  quantoall' -a,  desi- 
nenza  che  ricorre  di  fréquente  negli  indeclinabili,  vedi  Arch.  III,  254, 
n°  13.  — Si  confronti  ora  altresî  il  Flechia  nelle  annotazioni  ai  testi 
genovesi  [Arch.  VIII,  517)  s.  v.  aster. 

12.  Chi  vol  morireel  te  po  alcire ;  il  Gloria  :  ^  Chi  vuol  morire  ti  puô 
uccidere  »  senza  altra  spiegazione.  E  si  puô  intendere  :  Chi  non  si  cura 
délia  viia  è  pronto  a  commettere  qualunque  enormità,  persino  un  omi- 
cidio;  giacchè  in  vero,  che  cosa  di  peggio  puo  accadergli,  che  d'esserne 
punito  con  la  morte,  la  quale  egli  appunto  desidera.?'.  Molto  più  efficace 
è  il  proverbio,  se  corne  ha  la  stampa  e  secondoil  Rajna  anche  il  codice), 
leggiamo  el  re  po  alcire ,  «  il  disperato  attenta  persino  alla  vita  del  re  » . 

16.  La  stampa  non  ha  l'ara,  come  dice  il  Gloria  aggiungendovi  un  sic. 
ma  lara  =  ital.  latra,  che  corrisponde  al  baja  del  codice. 

44.  H  rd/e  délia  stampa  non  sla  per  rétine,  che  non  è  ne  del  toscane 
ne  del  dialetto,  ma  va  letto  retié. 

47.  La  guera  alargà  entra  e  streta  ensuà.  L'ultima  voce  viene  spiegata 
«  sen  va  ».  Ma  come  s'ha  ad  intendere  ciô  ^  H  Gloria,  per  felice  intui- 
zione,  dichiara  :  '<  La  guerra  cittadina  entra  pur  per  le  larghe  ed  esce 
per  le  strette  ».  E  questo  in  vero  dice  il  proverbio,  che  va  letto  :  La  guera 
à  larga  entra  e  streta  ensûa  i«  uscita  »t. 

58.  Mal  compra  clesura  chi  toi  dinari  a  osura.  Clesura  è  spiegato 
u  chiusura  »,  ma  in  toscano  questa  voce  come  notô  il  Tobler  nel  glos- 
sario  aggiunîo  alla  sua  edizione  di  Uguccione  da  Laodho  s.  v.  closura) 
non  ha  precisamente  il  significato  délia  dialettale;  questa  significa  : 
«  TERRENO,  PODERE  chiuso  da  sicpc,  muro  »  e  cosî  via. 

64.  Lo  stampâio  :  quel  che  povolo  endevina  de  rado  ch'el  no  sea  ;  che 
su  per  giù  è  il  vox  populi  vox  Dei.  Il  Gloria  accetta  la  lezione  del  mano- 
scritto,  il  quale  seconde  lui  ha  cundenna.  Anche  cosî  si  potrebbe 
capire;  ma,  come  ognuno  vede,  la  santenza  non  sarebbe  altrettanto 
chiara.  Ora  il  Rajna  lesse  nel  codice  endeuna,  che  è  la  lezione  dello 
stampato  ;  il  copista  ommise  una  délie  cinque  astedi  uin. 


1.  Il  copista  del  Riccard.  scrive  anstcrc  de  fuora  che  de  la  sua,  accetlando  la 
voce  dialettale  e  la  glossa  che  avrà  trovato  nel  suo  originale.  Il  Laurenziano,  che 
volta  le  forme  dialeltali  in  toscano  ed  il  Magliab.,  ad  esso  affine,  non  capirono 
nulla;  esii  leggono  :  ogni  carne  mangia  el  (il)  lupo.  Astore  de  la  sua.. 


128  MÉLANGES 

70.  El  no  è  seno  repenare  a  rasejo.  Il  Gloria  :  «  repennare  è  voce  antica, 
che  vale  impennarsi,  inquietarsi  per  cosa  che  non  piaccia.  Asejo  è  scor- 
rezione,  reputo,  di  asio...;  inierpreto  cosi  :  Egli  non  è  senno  di  far  atto 
di  riirosia  0  d'inquieiudine  in  posto  commodo  ».  Ma  fra  le  sentenze  latine 
che  precedono  il  proverbio  volgare  è  quella  del  vangelo  :  Durum  est  contra 
stimu'.um  recalcitrare;  ed  in  vero  il  venez,  asejo  (oggidi  asegio]  vale  non 
solo  «  pungiglione  délie  api  »,  ma  altresî  «  pungolo  dei  buoi  »;  cfr. 
Flechia,  Arch.  III,  167. 

77.  Aseno  cargà  ben  amblà.  Vuolsi  senza  dubbio  accentare  dmbla.  Ma 
anche  cosî  non  intendo  che  cosa  significhi  il  proverbio.  Suppongo  che  in 
luogo  di  due  ben  ne  sia  stato  scritto  uno  solo,  e  leggo  as.  cargà  ben 
(«  asino  caricato  in  modo  coveniente,  cosi  che  d'ambedue  i  lati  la  soma 
sia  eguale  »)  ben  ambla,  e  sarebbe  variante  del  n"  17:  enguar  (cosi  il 
Marciano,  a  detta  del  Rajna,  non  eugual)  soma  uon  rumpe  el  doso. 

ijj.  Massara  dura  fa  jameja  jura.  «  Significa,  mi  sembra,  rendere 
ladra  la  famiglia  quella  donna  che  non  è  buona  massaja  ».  «  Buona 
massaja  »  vuol  dire  «  padrona  di  casa,  che  amministra  bene  le  cose  sue  » 
e  dicesi  specialmente  di  colei  che  usa  saggia  economia  e  non  sciupa  il 
proprio;  ond'  è  che,  secondo  il  Gloria,  il  proverbio  verrebbe  adiré  che 
la  dissipatrice  dà  alla  serviiù  occasione  di  rubare,  le  lascia  libertà  di 
rubare.  E  sarebbe  sentenza  giusia.  Ma  il  proverbio  non  vuol  dire  questo  ; 
dice  anzi  che  la  padrona  di  casa  soverchiamente  dura  e  taccagna  obliga 
quasi  al  furto  i  suoi  servi,  giacc'nè  costoro,  non  ricevendo  quello  ch'  è 
loro  necessario  per  vivere,  se  lo  pigliano  da  se  di  soppiatto.  Si  confronti 
il  latino  che  précède  :  jurari  famulos  dominas  compellel  avarus. 

1 58.  Non  eser  largo  ai  sol.ii  e  scarso  a  le  medaie  (lo  stampato  ha  mane, 
che  va  letto  maiie  z=zmïje  =  fr.  mailles].  «  Re'ativo  l'odierno  :  Chi  tien 
le  man  strcte,  no  ghe  ne  cava,  ma  gnanca  ghe  ne  mete  ».  Non  ravviso  la 
corrispondenza  fra  i  due  proverbii.  Quello  registrato  dal  Montagnone  si- 
gnifica :  non  fare  spese  grandi  e  piccole  économie. 

164.  Chi  ha  el  mal  si  ha  le  scherme.  S'intende  da  se  che  va  corretto 
schernie.  La  forma  antiquata  schernia  è  registrata  nella  Crusca. 

168.  Amore  no  guarda  palazo  ne  richeze.  Cosi,  secondo  il  Gloria,  il 
Marciano  ;  la  stampa  p.iraco  [c  =  ç  =z  z).  Ma  il  Rajna  lesse  anche  ne! 
Marciano  paraço,  che  è  l'italiano  anî.  paraggio,  fr.  parage;  amore  non 
guarda  ne  a  nobiltà  di  naîali  ne  a  richezze. 

A.   MUSSAFIA. 

P.-S.  —  Il  Rajna  mi  fa  ora  sapere  che.  secondo  una  communicazione  del  No- 
vati,  v'ha  un  altro  codice  delT  opéra  di  Geremia,  contenuto  in  una  collezione  di 
provenien/.a  Belgiojobo  che  il  niirchese  Triai  ha  venduto  0  sta  per  vendere  al 
librajo  Hoepfli. 


UN    NOUVEAU    MANUSCRIT    DU     «OMAN    DE    JULES    CÉSAR  I  29 


UN   NOUVEAU   MANUSCRIT   DU   ROMAN    DE  JULES  CESAR 
PAR  JACOT   DE  FOREST. 

On  n'a  signalé  jusqu'à  présent,  du  moins  à  ma  connaissance,  qu'un 
seul  manuscrit  da  poème  de  Jacot  de  Forest  sur  Jules  César  :  le  n^  1457 
du  fonds  français  de  la  Bibliothèque  nationale,  dont  ont  fait  usage 
Amaury  Duval,  dans  le  t.  XiX  de  VHistoire  littéraire,  et  M.  Settegast, 
dans  le  t.  Il  du  Giorn.ile  de  Filologia  romartza  '.  Bien  que  ce  roman  ait 
une  valeur  assez  petite,  si,  comme  M.  Settegast  a  cherché  à  l'établir,  il 
est  non  la  source,  mais  la  mise  en  vers  du  roman  en  prose  de  Jean  de 
Thuin,  il  peut  n'être  pas  sans  utilité  d'en  signaler  un  second  ms.  que 
j'ai  trouvé  à  la  bibliothèque  de  Rouen  il  y  a  peu  d'années.  C'est  un  livre 
en  parchemin,  de  26  centimètres  sur  17,  orné  de  quelques  miniatuns  à 
fond  d'or  bruni,  et  ayant,  sauf  dans  les  pages  qui  contiennent  ces 
miniatures,  ]o  lignes  à  la  page.  L'écriture  est  de  la  fin  du  xiiT  siècle, 
et  m'a  paru  être  du  nord  de  la  France,  C'est  un  des  mss.  qui  proviennent 
du  chapitre  de  Rouen.  Il  est  coté  actuellement  U.  12.  Je  l'ai  comparé 
attentivement  avec  les  deux  morceaux,  formant  en  tout  80  vers,  que 
M.  Settegast  a  publiés  d  après  le  ms.  de  Paris,  et  jai  constaté  que  lés 
différences  entre  ces  deux  copies  étaient  peu  nombreuses.  Voici,  en 
laissant  de  côté  les  variantes  purement  graphiques,  les  seules  divergences 
que  j'aie  notées  pour  ces  80  vers  : 

PREMIER   MORCEAU. 
MS.     DE    PARIS.  MS.     DE    ROUEN. 

v.  2  2  Qui  tant  fist  en  sa  vie.  Que  tant  fist  et  conquist  ^ 

^2  qe  qu'enviouz  en  die.  coi  que  nus  voz  en  die. 

56  doutent.  doutoit. 

44  reprenderont.  atorneront. 

47  mes  tant  lor  en  respont.  mes  itant  lor. 

5 1  qu'il  de  lor  bonté  ont.  que  il  de  lor  biens  ont. 

55   porra.  porroit. 

^8  menteor.  envious. 


I.   Voy.  Romania,  IX.  622. 

2  C'est  la  répétition  d'un  hémistiche  placé  un  peu  plus  haut.  La  bonne  leçon 
est  donc  celle  du  ms.  de  Paris. 

Romama,  XV.  9 


I?0 


MÉLANGES 
DEUXIÈME    MORCEAU. 


6  Quar  o.  Qu'aveuc. 

7  cornues.  agues. 

8  cis  tempes.  icis  tans. 

9  Quar  les  pierres  les  erent.  Que  les  pierres  les  vont. 
1 1  s'iert.  s'est 

I  ^  parmi  les  dras  ne  fust,  p.  le  dos  n'  i  soit. 

Après  le  V.  14  [Si  ronpoient  tes  pierres. ..)  il  y  a  dans  le  ms.    de  Rouen 
un  vers  de  plus  :  Et  si  vont  les  Roumains  moût  durement  blesans. 

P.  M. 


IV. 


QUELQUES  PARTICULARITÉS  GRAMMATICALES  DU 
DIALECTE  WALLON  AU   XIII«  SIÈCLE. 

LES    PRONOM    PERSONNEL,    RÉGIME    INDIRECT. 

Le  pronom  les  est  employé  fréquemment  comme  datif  dans  le  sens  de 
leur  : 

...  En  tesmoingnage  de  nos  homes  de  fiez  et  par  lor  jugement  celé  dime 
grosse  et  menue  de  Pères  rendiemes  nos  à  la  maison  deuant  dite  por  tenir  et 
reciuoir  perpetuement  si  corn  luur  dime  ligement  et  les  afFaitames  loianient  tôt 
ensi  ke  nostre  home  de  fiez  jugarent  ke  nos  en  deuiens  faire.  Et  a  guerpissemenl 
de  nostre  frère  deuant  dit  par  le  jugement  de  nos  homes  pais  les  fu  jugie  per- 
petuement. 

(Mai  1265.  —  Chartes  de  l'abbaye  du  Val  Saint  Lambert,  n°  284). 

Dans  un  double  de  cette  charte  qui  se  trouve  aux  mêmes  archives,  les 
deux  les  sont  remplacés  par  lor. 

Et  de  ceste  pais  li  abbes  et  couens  deuant  dit  misent  auant  lettres  ki  de  ce 
furent  faites  et  saeleies  des  saeaz  maistre  Ribert  Doien  del  glize  de  Saint  Martin 
de  Liège  et  sangnor  Thirri  doien  del  concilhe  d'Uffeyet  sangnor  Nichole  doien 
del  concilhe  de  Hozemont  et  une  autre  lettre  ki  est  saeleie  del  saeal  mon  sangnor 
Gerart  de  Heran  marescaus  mon  sangnor  Henri  pir  la  grasce  de  Deu  esueke 
de  Liège,  en  la  quele  ilh  tesmong  ke  li  maires  et  li  eskeuien  de  Ramelhu  en  sa 
présence  auoient  reconu  qu'ilh  et  li  masuir  de  Rameilhu  auoicnl  l\iit  al  abbeit  et 
a  couent  del  vaus  saint  Lambert  bone  pais  et  ki  bien  les  sulfioit  del  bois  de 
Rameilhu. 

...  Apres  nos  disons  ke  Hanons  n'ot  droit  en  bois  de  Rameilhuel  qu'ilh 
clamoit,  fors  k'en  cinquante  boniers  ki  furent  asseneil  et  liureit  a  masuirs  quant 


LE    DIALECTE    WALLON    AU    Xlll*    SIÈCLE  1  5  1 

la  pais  fut  fait  del  bois  entre  eaz  et  l'abbeit  et  le  couent  et  ki  puis  les  furent 
aboneit. 

(20  mars  1272.  —  Chartes  de  l'abbaye  du  Val  Saint-Lambert,  n"  324). 

Je  pourrais  multiplier  les  exemples,  car  cet  emploi  de  les  est  assez 
commun  dans  les  chartes  liégeoises  du  wif  siècle.  On  le  rencontre  fré- 
quemment plus  tard  dans  les  chroniqueurs  liégeois,  surtout  dans  Jean 
d'Outremeuse. 

Le  patois  moderne  l'a  conservé  : 

Le[s]  promettont  tote  assuronce. 

Et  qu'on  Us  freut  mâïe  pus  nuisonce  ' . 

Dans  les  textes  wallons  du  xii''  siècle  nous  trouvons  également  cet 
emploi  de  les. 

pans  le  Poème  moral  du  manuscrit  Canonici  74  d'Oxford  : 

Sovent  les  disoit:  Faites  ce  ke  vos  ai  mostreit... 
Or  et  argent  et  terre  et  posteit  les  dona  2. 

Dans  la  vie  sainte  Juliane,  même  manuscrit  : 

V.  ^97     Illoc  baniomes  les  chaitis, 
Ankor  les  faisomes  nos  pis  3. 
Dans  le  Job  : 
Quant  il  dotent  de  ce  ke  il  encor  ne  seuenl  ke  a  uenir  tes  est4. 

Le  seul  exemple  que  j'aie  rencontré  dans  un  texte  non-wallon  de  cet 
emploi  de  les  se  trouve  dans  le  Psautier  de  Metz,  civ,  14: 

Il  ne  volt  point  soffrir  que  nul  Us  nuisit  ne  ne  feisit  grevance. 

Il  faut,  je  crois,  voir  simplement  dans  ce  régime  indirect  les  la  [forme 
de  l'accusatif  employée  pour  le  datif,  cas  analogue  à  lor,  génitif  dont 
l'emploi  s'est  de  si  bonne  heure  étendu  au  datif.  La  langue,  dans  son 
travail  inconscient  de  simplification,  aboutit  ici  à  créer  une  forme  super- 
flue; on  comprend  que  lor  ait  prévalu  et  que  l'usage  de  les  régime 
indirect  soit  resté  cantonné  dans  un  coin  du  domaine  d'oïl.  Ce  qui  doit 
nous  étonner,  c'est  la  persistance  de  cette  forme  du  xii*  siècle  jusqu'à 
nos  jours  5 . 


1.  Choix  de  chansons  et  poésies  wallonnes^  recueillies  par  M.   El.   B.  et  D. 
p.  56. 

2.  Archiv's  des  missions,  série  IL  2«  série,  V,  pp.  200  et  202  (Rapport  de 
M.  P.  Meyer:  pp.  196  et  198  du  tiré  à  part). 

3.  Li  vtT  del  jais  ,  af  Hu^o  von  Feiht/en.  Upsala,  1883. 

4.  Li  Dialogc  Giegore  herausg    von  W    Focrstér,  p.  325,  I.   ^. 

5.  [Cela  n'a  rien  de  parliculièrement  étonnant.  Il  n'y  a  pas  création  d'une 
forme  nouvelle  et  superflue,  mais  emploi    de   Us  au  lieu  et  place  de  lor,  leur. 


ij2  mélanges 

2.  —  Conjugaison  du  parfait  en  ont 

La  5*  pers.  plur.  en  ont  du  parfait  des  verbes  en  a  est  assez  fréquente 
dans  les  chartes  liégeoises.  Cette  forme  de  la  ^^  pers.,  qui  se  trouve 
souvent  dans  les  textes  lorrains,  est  maintenant  bien  connue,  mais  je  ne 
crois  pas  qu'on  ait  jusqu'ici  rencontré  la  i^''  pers.  de  ce  parfait.  On  com- 
prendra d'ailleurs  que  cette  r*  pers.  soit  rare,  attendu  qu'elle  était  iden- 
tique à  la  r*"  pers.  plur.  du  présent  de  l'indicatif.  Dans  ces  conditions, 
elle  ne  pouvait  pas  persister  longtemps  à  côté  de  la  désinence  habituelle 
en  âmes  du  parfait. 

...  Et  nos  Thiris  del  Preit  cheualirs  deuant  dis,  après  che  ke  nos  eûmes  eut 
le  bone  veriteit  et  veùes  les  Chartres  et  les  esplois  ki  de  che  parloient  et  les  iu- 
gemens  ki  lais  en  astoient  par  ceas  ki.iugier  en  deuoient  et  lugiet  en  auoient, 
desimes  par  sentence  arbitral  et  par  droit  ke  mes  sires  Wilheames  d'Astenois 
cheualirs  deuant  dis  n'auoit  droit  en  cel  daim  ne  en  cel  hiretage  qu'ilh  clamoit. 
Apres  che,  nos  demandons  a  mon  Saingnor  Wilheame  deuant  dit  s'ilh  tenoit 
nostre  dit,  ilh  respondil  k'oilh  et  tenir  le  voloit,  puis  ke  drois  et  iugemens  l'en 
osteuet,  quitte  le  clamoit  ne  iamais  nient  n'i  clameroit. . . 

(2j  juin  1270.  —  Charles  de  l'abbaye  de  Robermont,  ancien  n"  2). 

...  Et  nos,  après  chon,  a  la  proiere  de  proudomes  et  des  parties  desor  no- 
meies  et  a  lor  requesle,  presimes  le  dit  en  nos  si  corn  arbitre  en  tel  manire  que 
desor  est  deviseit,  et  apcllons  par  devant  nos  les  parties  et  oïens  lor  raisons  ; 
et,  après  chon,  nos  apcllons  cheaz  ki  auoient  esteil  a  couens  de  mariage  et  a 


Même  fait  s'observe  dans  certaines  parties  du  midi  de  la  France,  principalement 
dans  le  S.-O.,  où  !os  tend  à  se  substituer  à /or,  dans  l'emploi  pronominal.  Ainsi 
dans  la  chanson  de  la  croisade  albigeoise: 

4-60  Et  ago  la  vianda,  cla  quels  (pour  que  lor)  fo  mestier. 
5624  E  so  quels  remandra. 

7216 Franc  caval.er,  deni  los  (en  rime). 

8472  Quels  con:iec  las  novelas. 

Des  exemples  analogues  pourraient  être  recueillis  en  grand  nombre  dans  le 
poème  de  la  guerre  de  Navarre  [quels  pour  que  lor,  v.  22;  disso  los,  en  rime, 
v.  2654). 

Voici  une  phrase  où  lor  et  los  sont  employés  dans  le  même  sens:  «  E  qui 
plus  lor  deman:ava,  l'orssa  tes  fara  »  (Coutumes  de  Prayssas,  L.-et-Gar., 
§40^. 

Les  exemples  de  los  pour  lor  foisonnent  dans  les  textes  de  la  Gascogne  et  du 
Béarn,  où  lor  se  conserve,  surtout  lorsqu'il  est  construit  avec  une  pré|.osJlion. 
Ainsi,  dans  les  r  gistres  de  la  jurade  de  Bordeaux  but  lor,  per  lor,  maïc  «  los 
ac  drven  deiiunciar  »  (Arch.  munie,  de  Bjrdeuux,  III,  18)  M.  Bauquier  s'est 
trompé  lorsqu'il  a  supposé  (Rtv.  des  langues  rom.,  2,  VI,  249-'jo)  que /ou5 
employé  comme  rég.  indirect  était  pour /ou/5.  C'est  l'ancien  los,  l'équivalert  du 
français  Us.  On  irouve  aUiSi,  mais  plus  rarement,  lo  pour  /;  au  sing.  :  «  E  deu 
|lo  portierj  lare  adobar  las  portas  am  lo  bosc  quels  senhors  lo  devon  donar  » 
(Coût,  de  Prayssas,  §  21;.  —  P.  M.] 


LE    DIALECTK    WALLON     AU    XIII^    SIÈCLE  I?5 

doiement  délie  dame  et  les  fcsimes  |urer  sor  sains  de  voir  a  dire  en  quel  manière 
Il  dame  auoit  esteit  doiei  et  cornent  cm  lediet  doier  des  .xviii.  mars  desor  dis 
et  sor  quees  biens  ;  cl  lor  aeriteit  csimes  mètre  en  escrit  et  nos  conseilhons  sor 
chon  a  proudomes,  a  sauoir  est  a  bon  clers,  a  prechoirs,  a  menoirs,  a  cheua- 
liers,  a  maioirs  et  a  tôt  le  sains  del  pais,  et  mesimes  jor  par  deuant  nos,  après 
chon  que  nos  fumes  conseilhiet,  les  parties  desor  dites  d'oir  nostre  senlenche 
arbitral  sor  les  querelles  ki  astoient  entre  caz. 

(14  mars  1274.  —  Chartes  de  la  Collégiale  Saint-Denis  de  Liège,  ancien 
n«7)- 

Je  pourrais  donner  d'autres  exemples,  mais  je  crois  que  ceux-ci  suffi- 
ront :  encadrés,  comme  ils  le  sont,  entre  d'autres  formes  du  parfait,  ils 
ne  laissent  aucun  doute  sur  la  valeur  du  temps. 

Ces  exemples  confirment  la  théorie  de  la  formation  par  analogie  du 
parfait  en  ont:  le  singulier  du  parfait  habituel  ayant  les  mêmes  désinences 
que  le  singulier  du  fuiur,  le  pluriel  s'est  trouvé  entraîné,  pour  ainsi  dire, 
à  adopter  également  les  désinences  du  futur  pluriel.  Je  ne  crois  pas  que 
ce  pluriel  analogique  du  parfait  remonte  au  delà  du  xir  siècle.  Parmi  les 
textes  littéraires  wallons  je  ne  le  trouve  (à  la  ]"  pers.)  que  dans  le  Job 
dont  la  langue  est  évidemment  postérieure  à  celle  des  Dialoge  Gregore  et 
du  manuscrit  Canonici  74  d'Oxford. 

J.    —    PARFAIT    EN    INS. 

La  i"=  pers.  plur.  du  parfait  pour  les  verbes  en  ë,  ë,  i,  peut  se  former 
par  ns  au  lieu  de  mes,  autrement  dit  être  nasalisée.  D'autre  part  la 
1''^  pers.  plur.  des  autres  temps  peut,  comme  en  picard,  ne  pas  être  na- 
salisée, de  sorte  que  si  avoines  existe  à  côté  à'avons,  en  revanche  fesins 
se  rencontre  auprès  àefesimes. 

...  Et  nos  Thiris  deuant  dis,  a  le  requeste  et  par  le  volenteit  des  parties 
deuant  dittes,  presimes  l'arbitre  et  le  dit  en  nos  et  cnquesiens  le  bone  veriteit  et 
veimesles  oeures  et  les  Chartres  ki  faites  en  astoient  et  escritesetsaieleesdel  saial 
le  noble  damme  me  damme  Ysabeal  ki  iadis  fut  femme  mon  saingnor  de  Was- 
senberg. 

(25  juin  1870.  —  Chartes  de  l'abbaye  de  Robertmont,  ancien  n"  2). 

...  Et  nos  li  home  de  la  Cise  Deu  ',  après  chou,  donames  et  fesins  dun  et 
vesture  a  dant  Henon  trecensoir  de  la  maison  de  la  val  Saint  Lambert  desoir 
escrite  des  vint  bonier  d'aluen  desoirdis  a  ces  de  la  maison  de  la  val  Saint 
Lambert  deuant  nomeie. 

(31  mai  1274.  —  Chartes  de  l'abbaye  du  val  Saint-Lambert  n"  529). 

...  lequel  don  et  lequel  lansage  je  Giles  maires  deuant  dis  mis  en  warde  des 


I .    Casa  Dei,  Cour  allodiale  de  Liège. 


I  ^4  MÉLANGES 

eskeuiens  dcsordis,  a  la  requeste  des  parties  et  des  tenans  deuant  r.omeis  Et* 
je  li  maires  et  li  eskeuin  et  li  tenan  desordit  en  owins  nos  droitures, 
(lo  avril  1275.  —  Chartes  de  l'abbaye  du  val  Saint-Lambert,  n»  341^. 

Dans  l'extrait  de  la  charte  de  la  collégiale  Saint-Denis  que  nous  avons 
donné  plus  haut,  on  trouve  encore  un  exemple  de  cette  forme  du  parfait  ; 
«  Nos...  apellons  par  deuant  nos  les  parties  et  oïens  lor  raisons  ». , 

On  rencontre  le  parfait  en  )ns  plusieurs  fois  dans  les  Dialoge  Gregore  ; 
je  mets  entre  parenthèse  le  mot  correspondant  du  texte  latin:  atcndins 
(exspectauimus)  p.  88,  1.  8,  poins  (potuimus),  p.  212,  1.  10; 
quant  nos  deparlins  de  la  p.  265,  1.  20,  desins  (diximus),  p.  266,  1.  7, 
oins  (audiuimus)  p.  277,  1.  5. 

Si  la  désinence  en  ins  de  la  r^  pers.  plur.  du  parfait  ne  s'est  pas 
maintenue,  c'est  sans  doute  parce  que  cette  forme  nasalisée,  avec  l'or- 
thographe picarde  et  wallonne  où  ie  =:  /,  et  /  =-  ie,  était  fort  souvent 
identique  à  la  i"  pers.  plur.  de  l'imparfait  de  l'indicatif.  Si,  dans  les 
exemples  cités  plus  haut,  enquesiens  et  owins  ne  peuvent  pas  se  confondre 
avec  les  imparfaits  {aviens,  enqueriens),  fesins  pourrait  être  simplement 
une  forme  graphique  de /^/5/>n5.  Voici  un  exemple  où  le  parfait,  écrit 
iens,  ne  diffère  en  rien  de  l'imparfait  : 

...  Et  nos,  entre  les  dois  parolhes,  a  le  requeste  dant  abbeit  et  mon  sangnor 
Lowi  deuant  dit,  turnames  a  un  de  nos  homes  de  fiez,  a  sauoir  mon  Sangnor 
Johan  de  Parfontriw  cheuaiier,  et  li  somungniens  sor  le  feaute  ke  ilh  noj  deuoit 
qu'illi  nos  raportast  par  droit  de  cui  mes  sieres  Lowis  deuant  dis  deuoit  tenir 
le  dit  fies. 

(j  octobre  1298.  —  Chartes  de  l'abbaye  du  val  Saint-Lambert,  n°  408). 

Je  crois  que  cette  forme  du  parfait  en  ins  n'existe  guère  que  dans  le 
dialecte  wallon  ;  si  on  la  rencontre  parfois  dans  des  textes  picards  en 
vers,  c'est  seulement  à  la  rime  comme  licence  poétique. 

Emmanuel  Pasquet. 


V. 


L'ADJECTIF  POSSESSIF  FÉMININ   EN  LYONNAIS. 

J'ai  vainement  cherché  dans  la  dissertation  de  Hermann  Flechtner: 
Die  Sprache  des  Alexander-Fragmentes  des  Al  erich  von  Besançon  (Breslau 
1882)  et  dans  la  Phonétique  lyonnaise  au  xiV  siècle  que  M.  Philipon  a 
publiée  dans  le  tome  XIII  de  la  Romania,  la  mention  et  l'explication  des 
deux  adjectifs  possessifs  la  min  et  la  sin  que  nous  rencontrons  dans  les 
Œuvres  de  Marguerite  d'Oingt  et  dans  les  Conventiones  dominorum  et  B.  de 
Varey  visitatoris operis  [Romania,  XIII,  ^76-581).   La  singularité  de  ces 


L  ADJECTIF    POSSESSIF    FEMIMIN    EN    LYONNAIS  |^^ 

formes,  que  nous  lisons  dans  les  passages  suivants,  aurait  dû,  ce  semble, 
éveiller  leur  attention  : 

Je  desirro  vostra  salut  assi  corne  jo  foy  la  min  (Marg.  d'Oingt,  p.  36). 
Le  servis  de  nostron  Seigneur  Jhesu  Crit  et  de  la  5;V(gloriousa  virginamare, 
(p.  49); 

D'atra  main  seignia  et  aprova  de  la  sin  (Conventiones,  p.  580). 

Malgré  leur  aspect  étrange,  l'explication  en  est  fort  simple  et  c'est 
peut-être  pour  cela  que  ni  Flechtner  ni  M.  Philipon  n'en  disent  mot.  Si 
l'on  considère  que  Va  tombe  dans  bateri,  cortesi,  maladï,  il  est  clair  que 
la  mia  a  dû  donner  la  mi  devenu  la  min  par  l'influence  de  la  nasale  initiale. 
La  min  a  donné  naissance  à  la  sin. 

Le  phénomène  que  présente  la  min  n'est  pas  isolé  en  lyonnais.  Les 
œuvres  de  Marguerite  d'Oingt  nous  donnent  menais,  p.  36,  =  médis, 
midi;  et  manques,  p.  36,  =  masque,  maques,  maqae,  meque,  proprement 
((  mais  que,  sinon  ».  Dans  les  dialectes  de  la  suisse  romande  mei  «  rien  « 
n'est  pas  minus  comme  le  pensait  le  bon  doyen  Bridel.  Meï  répond 
au  fr.  mie  et  remonte  aux  formes  hypothétiques  mi  mï;  cf.  la  mi  de 
pan. 

Des  exemples  nombreux  du  même  phénomène  ont  été  recueillis  par 
nous  au  Val-de-Bagnes;  voir  Phonologie  du  Bagnard,  §  252,  où  j'ai  cité 
nin  «nid  »  et  «  nuit  »,  tenin,  vinin,  etarnin  «  éternuer  »,  furnin,  femin 
«  fumier  »,  min  «  plus  »  et  «  mais»,  min  «  pétrissoire  »,  mingro 
«  maigre  »  driimin  «  dormir  »,  en  attribuant  à  tort  à  1'/  le  développe- 
ment de  la  résonnance  nasale.  Le  portugais,  comme  on  sait,  a  des 
exemples  tout  pareils.  Voir  Romania  1882,  p.  90. 

Dans  le  Jorat  Vaud)  les  adjectifs  possessifs  toniques  ont  aujourd'hui 
les  formes  suivantes  :  la  meîna,  la  seina,  la  feina,  à  côté  de  la  myôna,  la 
tyôna,  la  xôna.  Les  premières  remontent  à  la  min,  latin,  la  sin,  formes 
auxquelles  on  a  ajouté  un  a  pour  mieux  marquer  le  genre.  Malgré  la 
ressemblance  qu'elles  ont  avec  la  mienne,  la  tienne,  la  sienne,  ce  serait 
se  tromper  étrangement  de  les  expliquer  comme  les  formes  françaises. 

J.  Cornu, 


VL 


LA  POÉTIQUE  DE  BAUDET  HERENC. 

Dans  leur  rapport  sur  leur  mission  littéraire  en  Italie  [Archives  des 
Missions,  \.  I,  p.  267-2781,  MM.  Renan  et  Daremberg  ont  donné,  d'après 
le  ms.  du  Vatican  Reg.  1468,  d'assez  longs  extraits  d'une  Poétique, 
ou,  pour  prendre  le  mot  employé  au  xV'  siècle,  d'une  Seconde  rhétorique 


I ;6  MÉLANGES 

composée  en  i4p  par  un  auteur  que  le  ms.  appellerait  Baoldet  Hercut. 
Ce  nom  étrange  a  de  bonne  heure  provoqué  des  doutes,  et  on  a  pensé  le 
corriger  avec  vraisemblance  en  lisant  «  Raol  de  Thercut  ».  Mais,  outre  que 
la  forme  Raol  pour  Raoul  est  un  peu  étonnante  au  milieu  du  xV  siècle, 
le  nom  de  Thercut  est  fort  invraisemblable.  J'ai  conjecturé  que  Baoldet 
Hercut  était  une  mauvaise  lecture,  qui  s'e.xplique  facilement,  pour  B<3uWgf 
Herenc,  et  je  me  suis  adressé,  pour  vérifier  cette  conjecture,  à  M.  Ernest 
Langlois,  membre  de  l'Ecole  française  de  Rome,  qui  a  bien  voulu  me  ] 

faire  savoir  que  le  manuscrit  du  Vatican  portait  en  effet  Bauhiet 
Herenc.  C'est  donc  le  nom  qu'il  faut  désormais  donner  à  l'auteur  de 
cette  Poétique.  Baudet  Herenc  n'est  pas  absolument  un  inconnu.  Il  faut 
évidemment  l'identifier  avec  le  «  Baudet  Harenc  de  Chalon  »  qui,  en 
1449  ou  1450,  «  faisait  des  ballades  devant  mon  seigneur  «  Charles 
d'Orléans  (voy.  A.  Champollion-Figeac,  Louis  et  Charles  d'Orléans, 
p.   361). 

M.  Langlois  a  copié  en  entier  la  poétique  de  Baudet  Harenc',  il  est  à 
désirer  qu'il  l'imprime.  Elle  est  la  troisième  que  nous  connaissions;  la 
première  est  celle  d'Eustache  Deschamps,  la  seconde  celle  qui  appartint 
à  Monmerqué,  puis  à  A.  Firmin  Didot,  àonlWoli [Ueber die  Lais, p.  141) 
a  imprimé  des  fragments,  et  dont  on  trouve  une  description  assez  étendue 
dans  le  Catalogue  Firmin- Didot,  1 88 1,  p.  5?  et  suivantes.  Il  y  a  entre 
ce  traité,  qui  doit  remonter  environ  à  141  $,  et  celui  de  Baudet  Herenc 
des  rapports  qui  indiquent  que  ce  dernier  a  utilisé  l'œuvre  de  son  pré- 
décesseur (cf.  Zschalig,  Die  Verslehren  von  Fahri,  Du  Pont  und  Sibilet, 
Leipzig,  1884,  p.  74I,  et  qui  font  souhaiter  que  les  deux  œuvres  soient 
publiées  ensemble;  mais  je  ne  sais  où  est  aujourd'hui  le  ms.  Monmerqué- 
Didot. 

G.  P. 


I .  Je  suis  informé,  du  reste,  que  M.  G.  Servois  l'a  copié  de  son  côté  il  y  a 
bien  des  années. 


COMPTES-RENDUS 


Contribution  à  l'étude  d^s  origines  du  décasyllabe  roman,  par 

Victor  Henry,  chargé  de  cojrs  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Douai.  Paris,  Maisonneuve, 
1886,  in-8',  47  p. 

Le  jeune  auteur  de  ce  mémoire,  déjà  connu  fort  avantageusement  par  d'ex- 
cellents travaux  linguistiques,  présente  avec  beaucoup  de  modestie  une  hypo- 
thèse nouvelle  sur  l'origine  du  décasyllabe  roman  :  il  serait  p!us  juste  de  dire  du 
décasyllabe  gallo-roman  car  on  est  aujourd'hui  assez  généralement  d'accord 
pour  croire  que  les  Espagnols  et  les  Italiens  nous  l'ont  emprunte  (voy.  Rom, 
XIII,  622).  Ce  vers  répondrait  au  trimètre  iambique  scazon: 

Baiana  nostri,  Basse,  villa  Faustini. 

Entendons  bien  ce  que  veut  dire  l'auteur.  Il  n'a  pas  l'idée  qu'un  vers  rythmique 
provienne  d'un  vers  métrique  par  la  substitution  de  l'accent  à  la  quantité;  il 
pense  que,  d'une  versification  grécc-latine  préexistante,  et  fondée  d'ailleurs  sur 
la  quantité,  il  est  sorti  parallèlement  un  vers  métrique  (grec,  puis  latin)  et  un 
vers  rythmique  (latin  vulgaire). 

Je  n'entrerai  pas  dans  la  discussion  de  l'ingénieuse  hypothèse  de  M.  Henry. 
Elle  est  à  coup  sûr  plus  admissible  que  toutes  celles  qui  ont  été  proposées  jus- 
qu'à présent,  et  de  la  façon  dont  la  présente  l'auteur,  elle  peut  ne  pas  trop 
souffrir  du  fait  que  le  trimètre  scazon  métrique  est  assez  rarement  employé  en 
latin  ou  que  le  trimètre  scazon  rythmique  ne  se  rencontre  jamais.  Mais  Tensemble 
de  la  méthode  suivie  par  l'auteur  me  paraît  déîectueux,  et  j'ai  eu  plus  d'une 
fois  occasion  de  le  dire.  Ce  n'est  pas  tel  ou  tel  vers  français  qu'il  faut  rattacher 
à  tel  ou  tel  vers  latin;  c'est  là  un  travail  mécanique  plus  ou  moins  facile,  mais 
toujours  inutile.  Les  vers  f-'ançais  ne  nous  apparaissent  qu'après  l'élaboration  qui 
s'est  opérée  dans  la  langue  aux  temps  mérovingiens,  et  qui,  bouleversant  dans 
la  langue  les  conditions  de  la  tonalité,  a  profondément  modifié  celles  du  rythme. 
Avant  d'essayer  de  montrer  comment  s'est  constitué  le  système  de  la  versifi- 
cation française,  il  faut  étudier  comment  s'est  établi,  à  l'époque  antérieure,  le 
principe  de  la  versification  rythmique  en  regard  de  la  versification  métrique. 
Une  fois  ce  principe  constitué,  les  différents  vers  en  sont  naturellement  issus, 
sans  que  chacun  d'eux  ait  un  rapport  direct  avec  une  des  formes  de  la  versi- 
fication métrique,  d'origine  grecque,  devenues  toutes,  pour  le  peuple,  incompré- 


M 8  COMPTES-RENDUS 

hensibles  avec  le  principe  même  de  cette  versification.  C'est  donc  la  question 
préalable  que  j'oppose  aux  recherches  du  genre  de  celles  de  M.  Henry,  tout  en 
rendant  justice  à  la  science  et  à  la  pénétration  dont  il  fait  preuve. 

Je  n'ajouterai  qu'un  mot,  sur  un  sujet  qui  me  tient  au  cœur.  M.  Henry, 
d'accord  avec  M.  Meyer,  de  Spire,  trouve  exagérée  l'importance  que  j'accorde 
au  septénaire  rythmique,  dont  les  chansons  populaires  de  l'époque  impériale 
nous  ont  conservé  quelques  fragments.  Il  est  cependant  impossible  de  nier 
que  les  vers  des  soldats  d'Aurélien,  où  le  rôle  de  l'accent  est  incontestable,  se 
rattachent  à  ceux  des  soldats  de  César,  oii  l'accent  est  encore  joint  à  la  quantité. 
Non  seulement  dans  ces  vers,  et  dans  tous  ceux  du  même  genre  que  nous  con- 
naissons, le  second  membre  se  termine  par  un  proparoxyton  ou  par  un  mono- 
syl'abe;  mais  encore  dans  tous  le  nombre  des  syllabes  est  rigoureusement  le 
même  ;  le  vers  se  divise  en  deux  membres,  l'un  de  huit,  l'autre  de  sept  syllabes; 
dans  le  second  membre  l'alternance  régulière  des  toniques  et  des  atones  est  sans 
exception;  dans  le  premier  il  n'y  a  d'exceptions  (et  encore  bien  rares)  que  pour 
les  trois  premières  syllabes.  Voilà  des  caractères  qui,  dès  la  première  apparition 
de  ce  vers,  le  différencient  nettement  du  tétramétre  trochaïque  catalectique  tel 
que  nous  le  rencontrons  ailleurs.  Je  n'insiste  pas,  ayant  l'intention  de  revenir, 
dans  un  travail  spécial,  à  cette  question  de  première  importance. 

Je  tiens,  en  terminant,  à  faire  remarquer  que  j'ai  depuis  longtemps  abandonné 
l'idée  que  la  versification  latine  ait  pu  être  rythmique  dès  l'origine,  et  que  le 
saturnien  fût  fondé  sur  l'accent.  Il  était  peut-être  permis  d'avoir  des  opinions 
semblables  il  y  a  vingt  ans;  ce  serait  moins  excusable  aujourd'hui,  et  je  demande 
à  mes  contradicteurs  de  vouloir  bien  ne  plus  me  les  attribuer.  Je  ne  puis 
d'ailleurs  souhaiter  d'en  rencontrer  de  plus  courtois  que  M.  Henry. 

G.  P. 

La  Chanson  de  Roland.  Nouvelle  édition  classique,  précédée  d'une  introduction 
et  suivie  d'un  glossaire,  par  L.  Clédat,  professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Lyon. 
Paris,  Garnier,  1886,  in-12,  xxxv-223  p. 

Ce  qui  distingue  la  «  nouvelle  édition  classique  »  de  M.  Clédat  des  éditions 
antérieures,  et  notamment  des  «  éditions  classiques  »  de  M,  Gautier,  c'est  sur- 
tout, à  ce  qu'il  nous  dit  lui-même,  qu'il  a  francisé  le  texte  d'Ox''ord.  «  C'est-à- 
dire,  ajoute-t-il,  que  nous  avons  adopté  l'opinion  de  la  majorité  des  romanistes, 
qui  considèrent  la  chanson  de  Roland  comme  d'origine  française.  La  langue  de 
la  Chanson  de  Roland,  telle  que  nous  la  rétablissons,  est  donc  le  français  du 
xi«  siècle,  d'où  dérive  le  français  actuel.  Ce  n'est  plus  (?)  le  dialecte  d'où  est 
sorti  le  patois  normand.  » 

Il  y  a  plus  d'une  observation  à  faire,  et  sur  le  point  de  départ  du  système 
du  nouvel  éditeur,  et  sur  la  façon  dont  il  l'a  appliqué.  Est-il  sûr  d'abord  que 
«  la  majorité  des  romanistes  »  regarde  le  Rollant  comme  français  ou  plutôt 
francien.?  L'absence  de  formes  en  -ui  pour  0  tonique  plus  /  et  surtout  déformes 
en  i(S3uf  j/rc,  qui  est  sans  doute  une  forme  empruntée,  et  engignent.  qui  peut 
s'expliquer  autrement),  pour  è  tonique  plus  /,  indique  au  contraire,  comme 
je  l'ai  remarqué  {Rom.,  IX,  407),  la  marche  de  Bretagne,  pays  dont  Roland 
était   comte,   comme  le  berceau  de  la  chanson    où    il    est   célébré,    et    cela 


CLÉDAT,  La  Chanson  de  Roland  i  ^9 

s'accorde  fort  bien  avec  la  f^rande  place  faite,  non  à  saint  Michel  en  générai, 
mais  à  saint  Michel  du  Péril  de  la  Mer.  Je  ne  m'arrête  pas  à  demander  à 
M.  Clédat  ce  qu'il  entend  par  «  le  patois  normand  »,  ni  à  rechercher  si  le  lan- 
gage du  copiste  du  ms.  d'Oxford  (car  il  ne  s'agit  que  de  lui)  peut  être  l'ancêtre 
d'un  parler  normand  quelconque;  ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  vernis  dont  ce 
scribea  revêtu  le  texte  est  un  vernis  anglo-normand,  et  que  M.  Clédat  a  bienfait 
de  l'effacer.  Entre  la  langue  du  RolLmt  et  celle  qu'on  parlait  à  Paris  au  xie  siècle, 
il  n'y  avait  sans  doute  pas  grande  différence,  et,  surtout  dans  une  édition  clas- 
sique, il  valait  mieux  en  tout  cas  raporocher  le  Rollant  du  français  de  France 
que  de  l'anglo-normand.  Mais  la  tâche  n'était  pas  aussi  facile  que  semble  l'avoir 
cru  l'éditeur  :  «  L'opération,  dit-il,  consistait  surtout  à  remplacer  par  des  0 
les  u  provenant  d'o  longs  ou  d'u  brefs  latins  ».  C'est  là  une  question  de  graphie 
qui  n'a  d'importance  que  pour  l'œil  :  qu'on  l'écrive  0,  qu'on  l'écrive  u,  le  son 
en  question  n'est  pas  celui  du  français.  Le  français  moderne  (voy.  Rom.,  X,  40) 
rend,  comme  on  sait,  ô  tonique  du  latin  vulgaire  (ô,  «classiques)  par  ou  quand 
il  est  entravé  \tour),  par  eu  quand  il  est  libre  (fleur)  ;  il  ne  peut  descendre  d'un 
idiome  qui  ne  tait  aucune  différence  entre  les  deux  (tor  et  flor,  ou  tur  t\  flur  ri- 
ment ensemble).  La  langue  du  Rollant  n'est  donc  pas  «  le  français d'où  dérive 

le  français  actuel  ».  J'ai  indiqué  plus  haut  une  autre  différence.  On  peut  encore 
en  signaler  d'autres  pour  des  mots  isolés,  comme  D.u  pour  Dieu,  chadir  pour 
chadeir\  peut-être  m.disme  pour  medesme.  Je  me  borne  à  celles  qui  sont  attes- 
tées par  l'assonance,  et  que  l'éditeur  ne  pouvait  faire  disparaître  ;  si  on  exa- 
minait chaque  mot  du  texte,  on  pourrait  se  demander  si  le  nouvel  éditeur  a 
toujours  bien  mis  la  forme  française  au  lieu  de  formes  dialectales:  cons,  par 
exemple,  n'est-il  pas,  à  ce  point  de  vue,  préférable  à  cuens,  ah  à  as,  charnels  à 
chameilz,  etc  ?  Mais  en  général  il  faut  reconnaître  que  M.  C.  .a  rempli  avec 
soin  et  attention  la  tâche  qu'il  s'était  assignée. 

Il  ne  s'est  pas  borné  à  franciser  le  texte  du  Rollant;  il  l'a  encore  archaïsé, 
notamment  par  une  importante  innovation,  dont  il  ne  parle  p^s  dans  sa  préface, 
et  qui  est  pourtant  ce  qui.  au  premier  coup  d'oeil,  distingue  le  plus  nettement  son 
édition  de  touies  celles  qui  l'ont  précédée,  je  veux  parler  de  la  restitution  cons- 
tante du  d  intervocal.  Il  est  certain  que  le  copiste  d'O  avait  sous  les  yeux  un 
modèle  qui  conservait  ce  d,  sinon  toujours,  au  moins  souvent,  et  qu'il  l'a  sup- 
primé à  peu  près  partout,  bien  qu'en  le  conservant  çà  et  là  par  négligence 
(chiedent,  vsdeir,  etc.)  2.  M.  C.  a  fait  pour  le  Ko//ii/7^  ce  que  j'ai  fait  pour 
V Alexis,  ce  que  j'ai  conseillé  (Rom.,  XIII,  129I  pour  le  Pèlerinage,  et  ce  que  j'ai 
appliqué  au  Rollant  même  dans  un  choix  d'extraits  actuellement  sous  presse  5  : 


1 .  Il  n'est  pas  sûr  que  chadir  et  chadeir  n'aient  pas  existé  à  côté  l'un  de  l'autre, 
comme  tenir  et  teneir.  Mais  cette  forme  soulève  une  question  fort  délicate  au  poiut  de  vue 
chronologique,  que  je  traiterai  dans  une  note  spéciale. 

2.  La  version  norvégienne  a  dû  être  faite  sur  un  ms.  qui  avait  aussi  conservé  çà  et  là 
ce  d.  Le  neveu  de  Marsile,  appelé  Aelroth  dans  0,  y  est  nommé  Adeiroth,  et  peut-être  le 
curieux  contre-sens  commis  sur  le  mot  arrement  (rendu  par  adra  ir.and,  d'autres  hommes) 
prouve-t  il  que  l'original  français  avait  gardé  ici  la  forme  adrement,  restituée  par  M.  Clédat. 

3.  M.  Stengel  a  procédé  de  même  dans  un  spécimen  du  Rollant  qu'il  a  inséré  dans  le 
livre  encore  inédit  dédié  à  la  mémoire  de  Caix  et  Canello. 


140  COMPTES-RENDUS 

il  a  rétabli  le  </,  tombé  à  la  fin  du  xi«  siècle,  dans  tous  les  mots  où  il  a  droit  de 
figurer.  Cette  opération  n'est  pas  sans  présenter  à  l'occasion  des  dilficultés. 
M.  Cl.  me  paraît  s'en  être  fort  bien  tiré  ;  je  ne  vois  qu'une  remarque  à  lui  sou- 
mettre. Si  on  rétablit  le  d  devant  r  {pedre,  adrement,  etc.),  il  semble  qu'il  faille 
également  le  rétablir  devant  /,  et  imprimer  non  seukmenl  crodlede,  modiez  (0  a 
crollcc,  molle:;  pourquoi  M.  C.  a-t-il  niohz  à  côté  de  crollede?),  mais  Radiant. 
On  sait  que  l'existence  de  cette  forme  dans  des  textes  poétiques  français  est  at- 
testée par  des  témoignages  provençaux  et  sans  doute  aussi  par  le  Turpin  (cf. 
Rom.,  XI,  485). 

Voici  encore  quelques  formes  qui  me  paraissent  critiquables  dans  la  nouvelle 
édition.  Le  /  final  est  mis  ou  omis  sans  régularité.  Il  aurait  mieux  valu  réserver 
l'/z  initiale  aux  mots  d'origine  germanique  et  à  hait  ;  on  aurait  ainsi  évité  défaire 
croire  et  de  croire  soi-même  que  Vh  d'origine  latine  pouvait  se  prononcer  et 
empêcher  l'élision  nécessaire  (v.  13,  20;  en  revanche,  au  v.  3,  il  faut  altaigne 
et  non  hal'aigne).  Les  signes  diacritiques  sont  employés  très  sobrenient;  on  au- 
rait pu  en  être  encore  plus  avare:  à  quoi  bon  un  tréma  dans  avions,  puisque 
io,  ion  forment  toujours  deux  syllabes  ' .?  Quel  risque  y  a-t-il  qu'on  Use.  fredrè, 
puisqu'aucun  mot  ne  se  termine  pare?  N'est-il  pas  fâcheux  d'employer  l'ac- 
cent à  distinguer  les  homonymes  {set,  set  ;  n'es,  nés),  ce  qui  lui  assigne  deux 
fonctions  si  différentes.''  et  si  on  le  fait,  pourquoi  ne  pas  distinguer  aussi  les 
deux  /o,  les  deux  si,  les  trois  la,  etc.?  Quand  on  entre  d.ins  cette  voie  dan- 
gereuse, on  ne  sait  plus  où  s'arrêter.  L'éditeur  écrit  saive  et  sage;  il  fallait  par- 
tout la  dernière  forme.  Filiastre  est  mauvais,  et  d'autant  plus  singulier  que 
l'éditeur  écrit,  bien  à  tort  selon  moi,  paille,  artimailk  (qu'il  m'attribue,  mais 
j'ai  proposé  artimdlie,  etc.).  La  graphie  jiet.t  est  contraire  à  tout  l'usage  du 
moyen  âge  (Rom.  II,  104)  ;  mais  que  dire  de  jiou,  Hou?  Ce  sont  là  des  formes 
qui  n'ont  jamais  existé.  Je  préfère  nedreguarde  à  redreguarde,  le  composé  étant 
assez  récent.  Faicon,  lion,  et  autres  cas-sujets  me  paraissent  douteux;  au  moins 
dès  l'époque  du  Rollant  on  devait  dire  falcons,  lions.  De  bonc  aire.,  de  pute  air. 
sont  des  erreurs  (voy.  Rom.,  [IX,  159).  Enchadcignez  129  est  impossible  dans 
une  assonance  en  ê;  il  faut  enchadenez. 

Pour  la  constitution  du  texte,  M.  C.  s'est  borné  à  corriger  çà  et  là  le  ms. 
d'Oxford  soit  à  l'aide  des  autres  manuscrits,  soit  par  conjecture  ;  il  ne  paraît  pas. 
avoir  essayé  de  se  rendre  compte  du  rapport  des  différentes  recensions.  Prenant 
donc  son  texte  comme  une  simple  revision  du  dernier  texte  de  M.  Gautier, 
j'en  ai  lu  les  mille  premiers  vers,  et,  sous  la  réserve  faite  ci-dessus,  j'ai  trouvé 
cette  revision  en  général  intelligente  et  satisfaisante.  Cependant  dans  plus  d'un 
passage  l'éditeur  a  laissé  subsister  des  leçons  que  le  sens,  la  mesure  ou  l'asso- 
nance devaient  lui  faire  corriger;  beaucoup  des  corrections  nécessaires  avaient 
été  faites  ou  suggérées  soit  dans  les  éditions  de  Miiller,  Bohmer,  Hofmann.,  soit 
dans   divers  recueils  (notamment    dans    la   Ronunia) ,   et  il    faut    reprochera 


I.  Sauf  dans  marions  227,  départions  1900;  mais  muriuns  du  ms.  doit  être  interprété 
morjons,  et  le  ms.  porte  departum  =  départons. 


L.  CLÉDAT,  La  Chanson  de  Roland  141 

M.  Clédat  de  ne  pas  les  avoir  connues.  Voici  quelques  cas  relevés  dans  ma  lec- 
ture, faite  très  en  courant;  j'y  joins  quelques  endroits  où  le  nouvel  éditeur  a  cru 
devoir  moJifier  le  texte  sans  nécessité  ou  sans  réussir  à  l'améliorer  réellement. 
Je  signalerai  d'abord  les  infractions  à  l'assonance,  pour  lesquelles  je  dépasse  la 
partie  du  poème  que  j'ai  lue  attentivement.  Un  a  oral  ne  peut  assoneravec  un  a 
nasal  :  il  taut  donc  changer  redreguarde  858.  hanslt  1273,  sale  3707,  marches 
3716,  amiralz  2%i\\  en  et  an  féminin  ri'assonent  pas:  prendre  est  donc  fautif 
3710;  cinelïm  n'assonent  pas:  mainent  de  manent  est  donc  impossible  983  (cf. 
Rom.  X,  29S);  -aille  n'assone  pas  avec  £,  «,  il  faut  donc  changer  venlaille  1293. 
Une  leçon  évidemment  erronée  est  celle  des  v.  527-8,  où  dans  une  laisse  en  è 
on  lit  : 

Tanz  riches  reis  conduit  a  mendistiet: 

Quant  iert  il  mais  recredanz  d'osteiier  ? 

Il  est  clair  que  ces  deux  vers  ont  été  par  erreur  repris  à  la  laisse  suivante,  où 
ils  figurent  à  bon  droit.  11  faut  les  remplacer,  comme  l'ont  fait  d'autres  éditeurs. 
La  faute  la  plus  choquante  est  celle  du  v.  1986,  où  chadeite  ('  cadecta)  figure 
dans  une  laisse  en  a  léminin.  La  bonne  correction  n'a  pas  encore  été  trouvée, 
que  je  sache,  mais  il  en  faut  une. 

Passons  aux  leçons  proprement  dites.  V.  27  pourquoi  changer  esmaiiez  en 
esmaiur?  —  40  (et  encore  ailleurs)  è  pour  et  est  une  erreur  qui  m'étonne  chez 
un  savant  aussi  versé  dans  la  syntaxe  que  l'est  M.  Clédat;  cet  emploi  de  et  est 
bien  connu.  —  124  devez  (G.  vaut  mieux  que  devons.  —  147  Vo  t  par  osîages 
est  changé  en  Ço'st;  j'aimerais  mieux  Ça  erl,  mais  je  préférerais  encore  Vos. — 
216  est-il  bien  nécessaire  de  changer  (avec  G.)  l'ordre  des  mots  pour  mettre 
respont  à  la  fin  du  vers  en  place  de  nevot?  —  234  entendut,  neutre,  me  paraît 
préférable  à  entenduz.  —  307  que  veut  dire  Tôt  !ols  ?  je  lis  Trut  !  lots.  —  3  SS  •' 
faut  estrait  et  non  estraiz,  et  le  vers  signifie:  «  Vous  êtes  parents  de  fort  près.  » 

—  391  il  vaut  bien  mieux  lire  avromes  (et.  922)  que  changer  lote  en  tait  pour 
obtenir  la  forme  suspecte  amomei.  —  397  la  ponctuation  traditionnelle  était 
bonne.  —  400  je  serais  porté  à  corriger  plutôt  Le  rei  mcdisme  (et  non  Li  reis). 

—  455  je  lirais  Sil  deûssez.  —  4i6  la  leçon  d'O,  mei  l'avient  a  sojrir,  me  paraît 
fort  bonne  ;  G.  corrige  me /'cuv/^/jf,  M.  Cl.  fort  bizarrement  mei  l'enu'ut. — 
505  \'e  d'oncles  ne  peut  s'élider  ;  il  faut  supprimer  et.  bien  que  cela  semble  un 
peu  dur.  —  p  5  Giiaz,  que  M.  Cl.  remplace  par  Faz  (avtc  G.)  est  fort  bon; 
voyez  la  discussion  de  tout  ce  passage  Rom.  Xil,  401,  où  est  aussi  indiquée 
au  V.  519  la  leçon  v  rtisset.  —  523  pourquoi  un  point  d'interrogation?  —  605 
le  complément  du  vers  dé  ectueux  5'//  i  est,  bien  qu'admis  par  tous  les  éditeurs 
depuis  Mùller,  est  peu  satisfaisant.  La  trahison  de  Guenelon  consiste  précisé- 
ment à  faire  que  Rolar.d  soit  à  l'arrière-garde  :  «  s'i!  y  est  0,  en  quoi  peut  il  le 
tralir  encore.?  On  pourrait  lire  dcmaneis.  —  634  la  leçon  d'O  est  bonne,  en 
supprimant  la;  reine.,  commt  reis,  sire,  dame,  peut  se  passer  d'article.  —  727  je 
ne  vois  pas  bien  la  nécessité,  ici  et  732,  de  chinger  vers,  ver  en  ors,  ni  de 
changer  set  en  scveut  au  v.  735,  non  plus  que  la  en  l\n  au  v.  779.  —  Le  v.  830 
est  depuis  longtemps  une  crux  interprclum;  la  leçon  d'O  Suz  sun  manlel  en  fait 
la  cuntenance  est  lort  obscure:  la  correction  de  Mùller,  adoptée  par  M.  G.  en- 
fuit (il  faudrait  enfuet),  est  ingénieuse,  mais  on  ne  trouve  pas  d'emploi  analogue 


1^2  COMPTES-RENDUS 

d'enfoir  en  ancien  français  '  ;  M.  Cl.  lit  en  ''uit,  et  traduit  (au  glossaire)  :  «  Char- 
lemagne,  en  se  cachant  sous  son  manteau,  se  soustrait  à  la  nécessité  de  faire 
bonne  contenance  »  ;  c'est  bien  cherché  et  peu  vraisemblable.  —  836  jolis 
plutôt  m  une  avison  d'angele.  —  856  pourquoi  changer  Terre  Cerlaigne  en  De  la 
C?  les  noms  de  pays  ne  prennent  pas  l'an'cle^.  —  907  je  lirais  plutôt  Si 
nos  mandrat  à  cause  de  la  construction. 

M.  Cl.  a  accompagné  son  texte  d'une  brève  introduction  littéraire  5,  d'une 
esquisse  grammaticale  4,  et  d'une  analy:.e  bien  faite,  insérée  par  morceaux  entre 
les  divers  épisodes  du  poème,  et  qui  en  facilitera  certainement  l'intelligence.  Il 
n'a  pas  cru,  et  à  bon  droit,  devoir  y  joindre  une  induction  ;  je  regrette  qu'il 
n'y  ait  pas  eu  presque  pas  mis  de  notes  :  ce  ne  sont  pas  seulement  des  expli- 
cations grammaticales  dont  ce  texte  a  besoin  (et  il  s'en  laut  qu'on  puisse  toutes 
les  mettre  au  glossaire)  :  un  commentaire  littéraire,  historique,  archéolo- 
gique lui  donnerait,  pour  les  lecteurs  auxquels  il  est  destiné,  beaucoup  plus 
de  clarté  et  surtout  d'intérêt.  La  poésie  du  RoUant  n'est  pas  d'un  accès  aisé,  et 
il  me  semble  qu'il  eût  été  bon  d'en  faciliter  l'abord  ;  c'est  ce  qu'a  fait  M.  Gau- 
tier dans  son  édition  classique,  et  son  exemple  était  bon  à  suivre. 

Le  glossaire,  étant  purement  explicatif,  ne  contvent  que  les  mots  qui  ont 
beaucoup  changé  ou  manquent  dans  le  français  moderne,  et  ne  renvoie  pas  aux 
passages  où  ils  figurent.  L'éditeur  justifie  cette  double  restriction  par  le  besoin 
de  ménager  la  place;  mais  en  elle-même  elle  a  de  réels  inconvénients.  Les  ar- 
ticles dece  glossaire,  généralement  très  satisfaisant,  sont  parlois assez  étendus  et 
comprennent  des  faits  de  syntaxe,  des  rapprochements,  etc.  ;  en  outre,  on  y 
trouve,  simplement  indiquées,  les  étymologies  latines.  En  le  lisant,  j'ai  fait,  au 
point  de  vue  de  la  forme  des  mots,  de  leur  étymologie  ou  de  leur  explication, 
quelques  remarques  que  je  consigne  ici,  dans  l'idée  qu'elles  pourront  servir  à 
l'auteur  pour  une  nouvelle  édition,  que  son  utile  publication  ne  saurait  manquer 
d'avoir  bientôt. 

Abatre,  absolument  «  être  vainqueur  ».  Où  donc  trouve-t-on  ce  sens.? 

Ate,  d'où  adate,  aate,  ne  peut  venir  d'adapîum,  qui  aurait  donné  adal  ;  il 
doit  provenir  d'habitum;  cf.  malate  à  côté  de  malade  (corriger  ainsi  ce  que 
j'en  ai  écrit,  Rom.  III,  378). 

Amore.  M.  Suchier  a  montré  il  y  a  longtemps  que  ce  mot  n'existe  pas  ;  il 
faut  lire  la  mon. 


1 .  On  peut  comparer  l'emploi  d'enclore  dans  ce  vers  :  En  sun  mantel  son  chef  enclôt 
(Folie  Trisiran.  éd.  Michel,  t    II,  p.  112). 

2.  M.  Cl.  fait  précéder  on  deux  endroits  (2489,  2758)  le  mot  Sebre,  singulière  et 
constante  altération,  encore  inexpliquée,  da  nom  de  fleuve  Ebre,  de  l'article,  qu'il  n'a  ja- 
mais dans  le  ins  ;  c'est  peut-être  pour  se  conformer  à  une  opinion  de  Mûllerqui  me  pa- 
raît assez  peu  fondée 

5.  M.  Cl.  dit  que  dans  notre  chanson  la  «  capitale  de  la  France  est  placée  tantôt  à 
à  Paris,  tantôt  à  Laon.  tantôt  à  Aix  ».  Paris  n'tst  pas  mentionné  dans  le  Rollant,  et 
c'est  là  une  assez  giave  distraction. 

4.  Je  relève  (p.  i  >0;  un  passage  tout  à  fait  incompréhensible.  «  En  p  ésence  de  la 
forme  t  drecez  »,  1-j  première  pensée  de  l'élève  sera  sans  doute  de  cherciier  drecER,  qu'il 
ne  trouvera  pas  :  l'infinitif  de  ce  verbe  est  drec.ER  »-.  mais  alors  pourquoi  pas  dreciez  ?  Le 
plus  singulier,  c'est  que  dans  le  texte  (v.  2829),  o.i  lit  correctement  dreciez. 


L.  CLÉDAT,  La  Chanson  de  Roland  14^ 

Angrest  pour  engrcs  est  une  fantaisie  sans  aucune  base,  qu'il  faut  simplement 
rayer. 

Bjcheler.  L'étymologie  de  ce  mot  reste  inconnue  ;  mais  pourquoi  voufoir  qu'il 
vienne  de  iachelaie?  C'est  évidemment  l'inverse  qui  est  vrai. 

Barbamosche ;  «  la  forme  française  actuelle  serait  Barbcinouchc  ».  Alors  pour- 
quoi ne  pas  écrire  par  a  tous  les  e  féminins? 

Bricon  «  misérable,  fou  »  :  rayer  le  premier  mot  {Rom.  IX,  626). 

Bue.  «  Paraît  de  même  famille  que  buste,  dont  il  a  le  sens  ».  Erreur  bien  su- 
rannée ;  tout  le  monde  sait  que  bue  veut  dire  «  tronc  »  et  non  «  buste  ji,  et  est 
l'ail,  bue  (au).  Baueh). 

Conteneer.  Pourquoi  cette  graphie.?  il  faut  eonteneicr. 

Enhaiticr,  «  bénir  ».  Je  lis  au  vers  1693  gue  vos  en  haitet  f  et  je  comprends 
tout  autrement. 

Envadir  viendrait  d'un  vçrhtvadir,  mais  vadere  n'a  rien  donné  en  roman  , 
itivadir  vient  d'i  nvadire  pour  in  vadere. 

Esjredcr  «  effrayer  et  courroueer  >■.  :  ni  l'un  ni  l'autre,  mais  «  troubler  »  (Rom. 
X,  443). 

Eslegier  «  lat.  *exlitigare,  disputer  ».  Tout  est  faux,  et  on  a  assez 
éclairci  ce  mot  pour  qu'une  pareille  explication  ait  lieu  de  surprendre  (voy. 
Rom.  Xll.  382). 

Esloltie  «  lat.  *stultiam  ».  Il  se  rattache  peut-être  plutôt  à  estait  de  l'ail, 
stolt. 

Estorn.,  I.  Estorm. 

Eve:  d'après  la  graphie  adoptée  par  l'éditeur,  il  fautive. 

Geste.  Geste  Fr'ancor  3262  devait  être  laissé  tel  quel  ;  c'est  ici  le  pluriel  latin 
Gesta  Fra  corum. 

Guige,  «  origine  incertaine;  étoffe  qui  servait  d'ornement  ou  d'attache  au 
bouclier.  •  Lisez:  «  origine  germanique:  bande  qui  suspendait  l'écu  au  cou  ». 

Jamcil.  Le  ms.  a  jjmeiz  au  plur.,  qui  renverrait  en  effet  à  jjmeil.,  mais  un  é 
lermé  ne  pourrait  assoner  avec  è,  ai;  il  faut  lire  jamtls,  au  sg.  jamel.  Le  lat. 
*gamelum  (aussi  dans  G.)  m'est  inconnu. 

Judise  :  «  le  vrai  judise,  c'est  la  vraie  religion  ».  Où  est  ce  sens.? 

Laidement.  A  propos  du  vers  où  il  est  dit  que  Marsile,  blessé,  plein  de  dou- 
leur et  de  honte,. Sor  la  vert  (tl  non  verte)  erbe  moll  laidement  se  colchet,  M.  Cl. 
fait  cette  singulière  remarque:  «  Laidement  est  un  adverbe  de  nature  qui  est  ap- 
pliqué à  l'action  de  Marsile  parce  que  celui-ci  est  un  mécréant.  C'est  comme  si 
l'auteur  disait  :  le  mécréant  Marsile  se  couche  sur  l'herbe  ». 

Lorent.  Cette  forme  est  inconnue  au  moyen  âge,  qui  de  Laurenlium  fait 
régulièrement  Lorenz. 

Luder :  I.  loder,  de  lûtare  (Rom.  X,  43). 

Matir  me  paraît  n'avoir  rien  à  faire  avec  le  mat  des  échecs,  mais  tenir  à  mate. 

Nois:  <(  origine  incertaine  ».  Mais  l'étymologie  nausea  est  très  bien  établie. 

Nosehe  ne  signifie  pas  «  collier  »,  mais  «  bracelet  ». 

Puleelle  •  vient  d'un  diminutif  de  pulla,  qui  a  lui-même  donné  poule  », 
preuve  qu'il  n'est  pas  l'auteur  indirect  de  pulcele.  qui  seraa  polcele  ;  pullicella 
est  un  diminutif  de  puella,  où  l'u  s'est  allongé  par  suite  de  sa  fusion  avec  i'c. 


144  COMPTES-RENDUS 

Quat  «  subst.  verbal  du  vieux  verbe  quatir=  secouer  »  ;  on  voudrait  connaître 
l'étymologie  de  qiiatir. 

Quile  «  lat.  *quittum,  qui  se  rattache  à  quietum  ».  Q_uittum  ne  pourrait 
donner  que  quil;  qmti  est  l'adj.  verbal  de  qah'uf  (cf.  Rom.  Vlll,  448). 

Sain:.  Il  y  a  longtemps  que  nous  avons  ind  que  ici  (X,  304)  la  jolie  décou- 
verte de  M.  Suchier,  qui  a  reconnu  dans  «  les  Saints  »  la  ville  de  Xanten, 

Sa^cou^  lat.  sarcogum  pour  sarcophagum  »;  cette  forme  barbare  est 
bien  inutile;  sarcophagum  donn;  régjlicrement  sarcuef,  plur.  sarcdes.,  à'oh 
plus  tard  le  sing.  sarcue,  changé  ensuite  en  sjrcueil,  ccrcutU. 

SoJuisant  ei,l  une  forme  erronée;  on  ne  trouve,  au  moins  dans  ce  sens,  que 
soduuint. 

Terremoete  «  lat.  terra  mota  »  ;  c'est  impossible,  on  aurait  tcrremodc  ;\\sez 
*  movita  (cf.  Rom.  X,  58). 

TincI  est  présenté  (d'après  G.)  comme  un  diminutif  de  tlgnum  ;  mais  l'étymo- 
logie  de  ce  mot  a  été  donnée  depuis  longtemps  par  Diez  :  il  vient  de  tTna  avec 
le  suflF.  -a  le  m  et  non  -ellum  .  C'">mme  le  montre  l'assonance 

.A  côté  de  ces  observations,  dont  quelques  unes  n-.ontrent  que  l'auteur  ne  se  tient 
pas  suffisamment  au  courant  des  acquisitions  journalières  de  la  science,  il  serait 
injuste  de  ne  pas  ajouter  que  !e  glossaire  de  M.  CI.  contient  des  remarques  fort 
intéressantes,  notamment  en  ce  qui  concerne  la  syntaxe,  et  qu'il  paraît  bien  ap- 
proprié au  but  que  l'auteur  s'est  proposé  après  M.  Gautier,  et  que  nous  leur 
souhaitons  à  tous  deux  d'atteindre:  faire  une  édition  du  RolLint  qui  rende  le 
texte  compréhensible  sans  trop  de  peine,  et  en  faciliter  ainsi  l'introduction  et 
l'usage  permanent  dans  le  haut  enseignement  secondaire.  En  ce  sens  l'édition  de 
M.  Clédat  marque  certainement  un  progrès  sensible  ;  il  saura  sans  doute,  en  la 
revoyant  et  en  la  complétant,  la  rapprocher  de  plus  en  plus  de  la  perfection. 

G.  P. 


Sur  la  versiBcat'on  anglo-normande,  par  G.  Vising.  upsula,  Almqvit  et 
Wiksel!,  1S84.  ln-8",  91  pages. 

Le  titre  de  cet  opuscule  peut  induire  en  erreur  sur  l'objet  traité.  On  s'attend 
à  des  recherches  sur  quelques-uns  des  faits  qui  caractérisent  la  versification 
du  français  transplanté  en  Angleterre,  notamment  sur  les  formes  de  vers  ou  de 
strophes  en  usage  dans  la  poésie  anglo-normande,  et  on  s'aperçoit  avec  quelque 
surprise  que  l'auteur  traite  d'un  seul  point,  à  savoir  si  la  versification  des  poètes 
anglo-normands  est  ou  n'est  pas  syllabique,  comme  celle  des  poètes  français  du 
continent.  C'est  assurément  une  question  qui  intéresse  la  versification,  mais  en 
réalité  elle  se  rattache  bien  plus  encore  à  la  phonétique,  puisqu'il  s'agit  en 
somme  desavoir  comment  les  Anglais  prononçaient,  à  des  époques  déterminées, 
certains  sons  français.  Je  m'empresse  d'ajouter  que  mon  observation  s'adresse 
surtout  à  ceux  qui  se  sont  occupés  du  sujet  avant  M.  Vising,  et  qui  ont  traité 
la  question  sous  un  titre  qui  ne  lui  convenait  pas.  L'opuscule  de  M.  V. 
est  en  effet  un  travail  de  critique  dans  lequel  l'auteur  passe  en  revue,  un  peu 
longuement  peut-être,  et  discute  les  théories  exposées  par  ses  devanciers  sur  la 
constitution  du  vers  anglo-normand.  Ces  théories  sont  i''  celle  de  M.  Suchier, 


visiNG,  La  versification  anglo-normande  145 

adoptée  par  divers  savants  allemands,  et  en  dernier  lieu  par  M.  Fœrster  1,  selon 
laquelle  la  versification  anglo-normande,  tout  en  restant  en  partie  romane,  aurait 
subi  fortement  l'influence  germanique  (ici  anglaise),  en  ce  sens  que  les  vers 
anglo-normands  ne  seraient  plus  strictement  syllabiques  comme  les  vers  français, 
mais  auraient  comme  élément  constitutif,  outre  la  rime,  un  nombre  fixe  d'accents 
dans  chaque  vers;  2"  celle  des  savants  français  (qui  sont  les  deux  directeurs  de 
la  Romania)  selon  laquelle  la  versification  anglo-normande  n'aurait  admis  aucun 
principe  étranger  à  la  versification  française  du  continent,  mais  présenterait  des* 
irrégularités,  des  incorrections,  si  l'on  veut,  causées  par  ia  rapide  altération  que 
les  sons  français  ou  normands  éprouvèrent  sur  le  sol  anglais.  M.  V.  se  rallie  à 
«  la  théorie  des  savants  français  »,  ce  que,  naturellement,  nous  ne  pouvons 
qu'approuver,  et  il  fait  valoir  contre  la  théorie  de  M.  Suchier  (ou  dont  il  croit 
M.  Suchier  l'auteur)  d'assez  bons  arguments.  S'élevant  à  des  considérations  de 
haute  psychologie,  M.  V.  veut  bien  dire  que  l'opinion  à  laquelle  il  se  range 
n'est  pas  seulement  «  une  théorie  de  savants  français  »,  mais  que  «  c'est  une 
théorie  toute  française  en  comparaison  des  autres  plus  comoliquées  qu'ont  pro- 
posées les  Allemands  B.  C'est  là  une  appréciation  qui  nous  flatte,  mais  sur 
laquelle  il  n'appartient  pas  à  un  Français  de  se  prononcer.  Qu'il  me  soit  permis 
toutefois  défaire  remarquer  à  M.  V.  que  les  «  théories  allemandes  »  ne  sont 
pas  aussi  proprement  allemandes  qu'il  se  le  figure.  M.  Suchier  n'a  guère  fait 
autre  chose,  dans  son  mémoire  sur  la  Vie  de  seint  Auban  2,  que  développer  des 
idées  déjà  émises  par  M.  Atkinson,  l'éditeur  de  la  vie  de  saint  Alban.  Et  c'est 
parce  que  j'avais  dès  l'origine  contesté  absolument  >  les  vues  de  M.  Atkinson 
sur  la  façon  de  scander  les  vers  anglo-normands,  que  je  n'ai  pas  cru  utile  de 
discuter  celles  de  M.  Suchier. 

Tout  en  donnant  raison  à  M.  V.  (et  comment  ne  le  ferais-je  pas,  puisque 
l'opinion  qu'il  a  adoptée  est  celle  que  G.  ParJs  et  moi  avons  toujours  soutenue.?), 
je  ne  puis  m'empêcher  detrouver  que  sa  discussion  est  un  peu  molle,  qu'elle 
place  sur  le  même  plan  des  arguments  de  valeur  inégale,  qu'enfin  il  ne  pose  pas 
avec  assez  de  décision  la  question  sur  son  véritable  terrain.  Les  faits  sont  ceux- 
ci  :  les  irrégularités  métriques  (si  l'on  veut  les  vers  faux)  sont  incomparable- 
ment plus  nombreuses  dans  les  mss.  anglo-normands  que  dans  les  mss.  français 
du  continent.  Cela  admis,  on  se  demande  ordinairement  si  ces  irrégularités  sont 
de  véritables  fautes  commises  soit  par  les  auteurs  soit  par  les  copistes,  ou  si 
elles  peuvent  être  légitimées  par  une  manière  de  scander  propre  à  l'Angleterre. 
Je  n'hésiterai  certainement  pas,  d'accord  avec  M.  V.,  à  accepter  la  première 
explication  et  à  rejeter  la  seconde.  Mais  je  crois  que  la  question,  posée  en  termes 
aussi  généraux,  n'est  pas  susceptible  d'une  réponse  tout  à  fait  satisfaisante.  Il  y 
a  un  tri  à  faire  entre  les  documents  sur  lesquels  on  raisonne.  Avant  tout  il 
importe  de  ne  pas  confondre  les  irrégularités  introduites  par  les  copistes  avec 


1.  Dans  un  article  du  Cenîralblatt  du  24  janvier  1885,  qu'il  a  réimprimé  en  grande 
partie  dans  la  préface  du  t.  IX  de  son  Altjranzœsische  Bibliothek.,  et  qui  vise  à  réfuter 
le  travail  dont  nous  rendons  compte. 

2.  Voy.  Romania,  XI.  144. 

3.  Dans  VAthentsum  du  24  juin  1876. 

Romania,  XV.  10 


146  COMPTES-RENDUS 

celles  dont  les  poètes  eux-mêmes  ont  la  responsabilité.  Ceux  qui  ont  manié  des 
mss.  anglo-normands  (et  j'en  ai  manié  plus  que  personne)  savent  qu'un  grand 
nombre  de  ces  mss.  sont  l'œuvre  de  scribes  anglais  qui  ne  savaient  qu'un 
français  fort  corrompu,  et  ne  pouvaient  avoir  aucune  idée  de  la  mesure  des  vers. 
Ces  copies  doivent  être  résolument  écartées  :  il  n'y  a  rien  à  en  tirer  pour  la 
question  qui  nous  occupe.  Les  seuls  textes  à  invoquer  sont  ceux  que  nous 
sommes  assurés  d'avoir  tels  qu'ils  sont  sortis  de  la  plume  des  auteurs,  soit  que 
nous  possédions  l'autographe  même  du  poète  ou  une  copie  faite  sous  ses  yeux 
et  revisée  par  lui,  soit  que  les  copies  se  présentent  dans  des  conditions  telles  que 
la  restitution  de  l'original  puisse  être  faite  à  coup  sur.  Or,  jusqu'ici,  nous 
n'avons  pour  aucun  ouvrage  de  la  littérature  anglo-normande  une  édition  critique 
fondée  sur  un  classement  certain  des  copies,  et  d'autre  part  la  vie  de  saint  Alban, 
qui  a  été  le  point  de  départ  des  recherches  de  M.  Atkinson  et  de  M.  Suchier, 
est  un  document  sans  autorité  pour  le  point  qui  nous  occupe,  puisqu'on  ignore 

.quand  le  poème  a  été  composé  et  dans  quelle  mesure  l'unique  copie  qu'on  en 
possède  est  fidèle  à  l'original,  l'opinion  de  M.  Alkinson,  qui  attribue  la  vie  de 
saint  Alban  à  Mathieu  de  Paris,  étant  évidemment  inacceptable.  De  sorte  qu'en 
somme  on  a  opéré  jusq^j'à  présent  sur  des  données  tout  à  fait  insuffisantes.  Mais 
actuellement  nous  avons  au  moins  deux  poèmes,  du  même  auteur,  il  est  vrai,  et 
contenus  dans  le  même  ms.,  pour  lesquels  une  copie  autographe  nous  est  par- 
venue :  c'est  la  traduction  du  Dialogue  de  saint  Grégoire  et  de  la  vie  de  saint 
Grégoire  par  frère  Anger.  de  Sainte-Frideswyde.  Voilà  un  texte  absolument  sûr 
et  précieux  en  ce  qu'il  est  daté  de  temps  et  de  lieu  :  la  version  du  Dialogue  a 
été  achevée  en  12  12,  celle  de  la  vie  de  saint  Grégoire  en  1214,  et  ces  deux 
ouvrages  ont  été  composés  et  copiés  à  Oxford.  Je  n'hésite  pas  à  dire  que  la 
publication  de  la  vie  de  saint  Grégoire  dans  le  t.  XII  delà  Romcinia  a  porté  le 
coup  de  grâce  au  système  de  MM.  Atkinson,  Suchier  et  consorts,  et  on  peut 
regretter  que  M.  V.  n'en  ait  pas  tiré  parti  dans  sa  discussion  1.  En  effet,  le  texte 
parfaitement  sûr  d'Anger  nous  offre  un  vers  construit  d'après  les  principes 
adoptés  dans  la  versification  française  du  continent.  «  C'est,  avec  une  correction 
«  un  peu  moindre,  la  versification  de  tous  les  poètes  de  la  France  continentale 

.  t  qui  vivaient  au  même  temps  »  [Romania^  XII,  201).  Ce  que  j'appelle  une 
correction  un  peu  moindre  consiste  en  ceci  que,  de  temps  à  autre,  les  postto- 
niques ne  comptent  pas  dans  la  mesure,  principalement  lorsqu'elles  sont  en  hiatus 
avec  la  tonique  qui  précède.  C'est  ainsi  que  la  finale  -ent  ne  compte  pas  dans 
ce  vers:  Grâces  rendaient  dévotement  (v.  2588).  Mais  il  n'y  a  là  rien  de  con- 
traire  au  principe  fondamental  de  la  versification  française,  qui  est  la  fixité  du 

■nombre  des  syllabes.  Sur  le  continent,  au  xiip  siècle,  on  faisait  sonner  la  finale 
atone  de  rendaient,  et  par  conséquent  on  la  comptait  pour  une  syllabe  ;  en 
Angleterre,  au  contraire  on  ne  la  prononçait  pas  et  par  conséquent  on  pouvait 
ne  pas  la  compter.  Mais  on  pouvait  aussi  la  compter,  parce  qu'en  Angleterre 
le  français  devenait  de  plus  en  plus  une  langue  littéraire,  soustraite  dans  une 


1.  Il  est  à  croire  que  lorsque  la  vie  de  saint  Grégoire  a  paru,  le  travail  de  M.  Vising 
était  déjà  rédigé. 


visiNG,  La  versification  anglo-normande  147 

mesure  variable  à  l'influence  du  langage  parlé  et  par  contre  soumise  jusqu'à  un 
certain  point  à  l'influence  du  français  continental.  Il  est  parfaitement  admis- 
sible que  pour  le  cas  susindiqué  un  poète  ait  suivi  tantôt  sa  propre  pronon- 
ciation, tantôt  l'usage  continental  qui  reposait  sur  une  prononciation  difTérente. 
En  tout  cas,  il  est  absolument  sûr  qu'aucun  principe  nouveau,  inconnu  au  fran- 
çais de  France,  n'est  intervenu  dans  la  versification  d'Anger.  Faut-il  admettre 
que  le  principe  nouveau,  emprunté  à  la  versification  germanique,  que  suppose 
M.  Suchier,  et  qu'Anger  n'a  certainement  pas  connu,  a  pris  place  dans  la 
versification  d'autres  poètes  anglo-normands?  Mais  alors  qu'on  me  présente  des 
textes  siirs,  et  non  pas  des  textes  oia  on  ne  sait  distinguer  ce  qui  appartient  au 
copiste  de  ce  qui  est  l'œuvre  de  l'auteur,  et  nous  discuterons.  Présentement  on 
n'a  produit' qu'un  seul  texte  réellement  digne  de  confiance:  les  poèmes  d'Anger, 
et  ce  texte  est  absolument  contraire  aux  théories  que  combat  M.  V.  et  que  je 
combats  avec  lui. 

Ce  n'est  pas  que  tous  les  poèmes  anglo-normands  aient  eu,  à  mon  sens,  le 
degré  de  correction  qu'offre  frère  Anger.  Je  ne  prétends  rien  de  pareil.  Il  a  pu 
exister  au  même  temps  des  poètes  beaucoup  moins  corrects.  En  certains  milieux 
le  français  s'est  conservé  mieux  qu'en  d'autres.  Les  poètes  nés  en  Angle- 
terre qui  avaient  eu  occasion  de  séjourner  en  France  devaient  écrire  en  meilleur 
français  que  ceux  de  leurs  confrères  qui  n'avaient  pas  eu  le  même  avantage.  En 
somme,  s'il  est  vrai  que  le  français,  et  par  suite  la  versification,  a  été  s'altérant 
de  plus  en  plus  à  partir  de  la  conquête,  et  surtout  à  partir  du  temps  où  Jean- 
sans-Terre  eut  perdu  ses  possessions  continentales,  on  ne  saurait  pourtant, 
sans  témérité,  fixer  des  règles  linguistiques  générales  s'appHquant  à  l'ensemble 
des  poètes  d'une  époque.  Dans  les  cas  même  oij  on  peut  prouver  que  l'irrégu- 
larité dans  le  nombre  des  syllabes  est  le  tait  du  poète,  il  y  a  lieu  de  repousser 
absolument  le  système  de  MM.  Atkinson  et  Suchier,  qui  comptent  les  accents 
au  lieu  de  compter  les  syllabes.  M.  V.  dit  (p.  50)  que  pour  de  telles  irrégula- 
rités la  seule  explication  possible  est  que  les  poètes  «  ont  mal  appliqué  les 
règles  de  la  versification  française  »  ;  et,  au  fond,  il  a  raison,  bien  que  l'expres- 
sion ne  réponde  pas  tout  à  fait  à  la  réalité.  Vainement  M.  Fœrster  '  prétend 
qu'il  vaudrait  autant  dire  que  les  poètes  n'ont  pas  su  compter  4,  6,  ou  8  sylla- 
bes !  En  vérité,  la  chose  n'est  pas  si  simple,  et,  s'il  y  a  ici  autre  chose  qu'une 
boutade,  M.  P'œrster,  qui  aime  à  reprocher  à  ses  adversaires  de  ne  pas  comprendre 
la  question,  s'expose  au  même  reproche.  Car  on  peut  savoir  compter  jusqu'à  huit 
et  ne  pas  savoir  quels  sont  les  éléments  qu'il  faut  compter.  Les  éléments  ce  sont 
ici  les  syllabes.  Ne  perdons  pas  de  vue  que  beaucoup  de  poètes  anglo-normands, 
et  des  meilleurs,  devaient  être  indécis  entre  leur  propre  prononciation  et  l'usage 
qu'ils  voyaient  suivi  dans  les  poèmes  écrits  sur  le  continent.  Mais  il  y  a  plus. 
On  peut  être  très  fort  en  calcul  et  ne  pas  savoir  qu'un  vers  doit  avoir  8,  10, 
12  syllabes.  Or  tel  était  certainement  le  cas  d'un  grand  nombre  de  poètes  anglo- 
normands,  surtout  au  xin«  siècle,   lorsque  la  fréquence  des    rapports    avec  la 


Dans  l'article  indiqué  ci-dessus. 


148  COMPTES-RENDUS 

France  eut  diminué.  Beaucoup  rimaient  en  français,  parce  que  c'était  la  mode, 
qui,  en  dehors  de  la  rime,  n'avaient  qu'une  idée  fort  confuse  des  règles  de  la 
versification  romane  et  qui,  assurément,  se  préoccupaient  moins  encore  d'ap- 
pliquer les  règles  de  la  versification  anglaise. 

D'ailleurs  est-il  donc  en  soi  si  étrange  que  des  Anglais,  prononçant  le  français 
autrement  que  les  Français  du  continent,  n'aient  pas  su  mesurer  leurs  vers,  ou 
même  n'aient  pas  su  —  je  l'admets  pour  quelques-uns  —  qu'il  fallait  les  me- 
surer.? Le  contraire  eût  été  véritablement  surprenant.  Et  ce  qui  s'est  passé  en 
Angleterre  s'est  produit,  bien  que  sur  une  moindre  échelle,  dans  le  nord  de 
l'Italie.  Les  jongleurs  de  la  Lombardie  et  de  la  Vénétie,  quand  ils  se  sont  misa 
versifier  en  français,  ont  eux  aussi  péché  contre  la  mesure,  faisant  des  vers  trop 
longs  et  des  vers  trop  courts.  Dira-t-on  que  leur  manière  de  versifier  a  été 
déterminée  par  une  influence  germanique.?  Je  tiens  donc  pour  vraie  la  thèse 
soutenue  par  M.  V.,  bien  qu'il  ne  l'ait  pas  appuyée  de  tous  les  arguments 
qu'une  connaissance  plus  approfondie  de  la  poésie  anglo-normande  aurait  pu 
lui  fournir. 

M.  Vising  connaît  de  la  poésie  anglo-normande  ce  qu'on  en  peut  connaître  par 
les  livres,  et  c'est  peu  de  chose.  La  «  Revue  des  poèmes  anglo-normands 
publiés  »  qui  occupe  les  dernières  pages  de  son  opuscule,  montre  combien  il  est 
difficile  de  se  faire  de  ce  rejeton  de  la  littérature  française  une  idée  correcte, 
quand  on  a'a  pas  fouillé  les  bibliothèques  anglaises.  M.  V.  est  obligé  de  confesser 
qu'il  n'a  pas  fait  figurer  dans  ses  listes  «  Helys  de  Vinchester,  Samson  de 
«  Nanteuil,  Hugh  de  Rutland,  Simon  du  Fresne,  Adam  de  Ros,  John  de 
«  Hoveden,  David,  Bozun,  Thomas  de  Kent,  et  l'auteur  du  Beuve  d'Hanstone, 
((  tous  cités  par  Warton  ou  M.  'Wright  et  ses  devanciers  »,  parce  qu'il  n'avait 
pas  sur  ces  personnages  des  renseignements  suffisants.  Il.y  avait  là  deux  ou 
trois  noms  à  exclure,  mais  les  autres  devaient  être  mentionnés,  et  ce  n'est  pas 
s'excuser  que  dire  qu'on  manque  d'informations.  Il  fallait  se  procurer  ces  infor- 
mations ou  renoncer  à  dresser  des  listes  qui  ne  peuvent  être  qu'incomplètes.  Outre 
que  cette  «  Revue  »,  limitée  aux  ouvrages  publiés,  est  peu  utile,  elle  est  disposée 
selon  un  ordre  fort  arbitraire  et  appelle  diverses  rectifications.  En  voici  quelques- 
unes:  P.  69  «  Un  poète  qu'on  a  nommé  Herman  n'a  peut-être  jamais  existé  ». 
C'est  un  des  poètes  les  plus  remarquables  du  xw  siècle,  mais  il  est  continental. 
Pourquoi  M.  V.  (p.  77)  dit-il  que  la  traduction  de  saint  Grégoire  par  Anger 
est  «  probablemml  de  l'an  1212  »  .?  La  date  est  aussi  précise  que  possible.  Le 
Renaut  de  Montauban  cité  p.  78  est  français  d'origine,  quoique  copié  et  çà"  et 
là  remanié  en  Angleterre.  Les  Dits  mentionnés  en  haut  de  la  p.  80  {Du  roy  ki 
avait  me  amie,  de  la  femme  et  de  la  pye)^  sont  non  pas  du  xii"  siècle,  mais  de  la 
fin  du  xiiF  ou  même  du  xiv^,  puisqu'ils  sont  de  Nicolas  Bozon  {Romania,XUl, 
506-7  et  518).  Les  poèmes  du  ms.  Lambeth  522  (p.  80)  sont  du  xiii"  siècle  et 
non  du  xir.  P.  84  M.  V.  dit  que  «  stlon  M.  Meyer  Raùf  de  Linham  écrivait  en 
1256  ».  Je  n'ai  pas  sur  ce  point  d'autre  opinion  que  celle  de  Raiit  lui-même,  qui 
a  daté  son  ouvrage.  J'ai  cité  le  passage  dans  mon  rapport  sur  les  mss.  de  Glas- 
gow. Pour  le  xive  siècle  la  bibliographie  de  M.  V.  est  singulièrement  incomplète. 
Le  poème  de  Chandos  le  héraut  sur  le  Prince  Noir  n'y  est  pas  mentionné. 

En  somme  M.  Vising  a  fait  un  travail  judicieux  et  soigné,  qui  toutefois 
n'ajoute  pas  notablement  à  nos  connaissances.  P.  M. 


PÉRIODIQUES 


i.  —  Revue  des  langues  romanes,  ^^  série,  XIV;  juillet  188^.  —  P.  1- 
23,  Chabaneau,  Sainte  Manc-MadcUine  dans  la  littérature  provençale  (suite).  A 
défaut  d'un  mystère  provençal  de  sainte  Marie-Madeleine  qui  a  pu  exister,  bien 
que  nous  n'en  possédions  pas  la  preuve  certaine,  M.  Chabaneau  publie  quelques 
extraits,  où  figure  la  Madeleine,  du  mystère  provençal  de  la  Passion  que  ren- 
ferme le  ms.  Didot,  et  dont  )'ai  préparé  une  éditron  destinée  à  la  Société  des 
anciens  textes.  —  P.  44,  J.-P.  Durand  (de  GrosI,  Notes  de  philologie  rouergate. 

—  P.  47-51,  Lambert,  Contes  populaires  du  Languedoc,   «  La  femme  qui   est 
plus  rusée  que  le  diable  ». 

Août  1885.  —  P.  53,  Chabaneau,  Sainte  Marie-Madeleine  dans  la  littérature 
provençale  (suite).  Notes  sur  les  textes  précédemment  publiés.  —  P.  72,  Cha- 
baneau, Sur  quelques  manuscrits  provençaux  perdus  ou  égarés.  Appendice.  Sur  les 
travaux  de  Pierre  de  Chasteuil-Gallaup ,  du  président  de  Mazaugues  et  de  Jean  de 
Chasteuil-Gallaup.,  concernant  la  littérature  provençale.  M.  Ch.  donne,  d'après  un 
recueil  de  notes  variées  conservé  dans  une  bibliothèque  privée  et  ayant  appar- 
tenu à  Fauris  de  Saint-Vincent,  cinq  notices  biographiques  relatives  à  autant  de 
troubadours.  C'est  un  débris  de  l'histoire  des  troubadours  qu'avait  composée 
Pierre  de  Gallaup,  et  dont  on  avait  perdu  la  trace.  J  avais  cru  pouvoir  autrefois 
supposer  à  cet  ouvrage  une  certaine  valeur,  croyant  que  l'auteur  avait  eu  à  sa 
disposition  un  chansonnier  provençal  aujourd'hui  perdu  {Romania,  I,  55).  Mais 
j'ai  reconnu  depuis  longtemps  qu'il  n'y  avait  là  qu'une  illusion  ivoy.  Romania, 
XII,  402),  et  en  effet  les  notices  de  Pierre  de  Gallaup  sont  tout  à  fait  insigni- 
fiantes. Suit  un  fragment  dans  lequel  le  président  de  Mazaugues  conteste  avec 
raison  diverses  assertions  de  J.  de  Nostre-Dame.  Vient  ensuite  un  extrait  d'un 
ouvrage  imprimé  et  fort  connu  de  Jean  de  Gallaup  (père  de  Pierre)  relatif  à 
l'histoire  fabuleuse  de   Tersin.   Rien  de   tout  cela  n'offre  un  bien    vif  intérêt. 

—  P.    89-93,  Guichard.    Une   version  dauphinoise  de  /'  «  Escriveto  ».  Voy.  ci- 
dessus  p.  :  I  I . 

P.  M. 

II.  -  Ro.M.AXiscHE  STUDIEN,  VI,  1,  Juan  di  Valdès,  Dialogo  de  Mercurio  y 
Caron.,  publié  par  Boehmer,  —  VI,  2.  Boehmer.  Catalogue  de  la  littérature  rétoro- 
mane. — VI,  3.  P.  2  i9,Bcehmer,  Catalogue  de  la  littérature  rétoromane,  suite,  3wec 


1^0  PÉRIODIQUES 

additions  et  corrections.  —  P.  239.  Gartner,  Die  zchn  Aller ,  eine  rdtoromanische 
Bearbeitung  aus  dem  16.  Jahrhundert.  M.  Gartner  nous  donne  l'édition  d'un  texte 
très  important  en  haut  engadinois  du  xvi«  siècle,  imité,  ou  plutôt  traduit  de 
l'allemand,  composé  par  Gebhard  Stuppan  avant  1564,  car  dans  cette  année  la 
pièce  fut  représentée  à  Ardetz.  L'éditeur  a  joint  à  son  texte  quelques  observa- 
tions grammaticales  et  un  glossaire  complet  et  très  utile.  Il  est  dans  la  nature 
des  choses  que  toutes  les  difficultés  n'aient  pas  été  levées  du  premier  coup.  Ainsi 
M.  Gartner  traduit  intschin  par  «  Schmeichelei  »,  en  pensant  à  intschais,  encens; 
c'est  plutôt  ruse  r=  ingenium.  Lùdi,  que  M.  Gartner  n'explique  pas,  vient  pro- 
bablement de  la  Suisse  allemande  qui  a  le  mot  ludi  dans  une  signification  défa- 
vorable; liidi  chiauns  est  tout  à  fait  ludihans.  Huntra  est  encore,  à  ce  qu'il  me 
semble,  un  mot  emprunté  à  l'allemand  :  Huntra^  Satanas^  serait  en  ail.  de  la 
Suisse  undereSalan^c'tsVï-àxTt  :  «  A  bas  Satan  ».  Partschett,  que  M.  Gartner  a 
pourvu  d'un  signe  d'interrogation,  se  trouve  aussi  Josef  2S1  :  A  cura  tu  vainst 
partschett  da  que,  et  quand  tu  seras  en  possession  de  cela.  C'est  le  latin  perceptus. 
M.  Gartner  m'a  mal  compris  en'disant  que  j'ai  traduit  Arch.lY^,  43  mock  par 
klumpen  ;  j'ai  dit  «  mock  =:  mocke,  stûck^klumpcn  ■»,  et  les  deux  mots  allemands 
devaient  donner  la  signification  du  mot  dialectal.  Pour  mil  viers  l'éditeur  aurait 
pu  comparer  Susanna  i\od.  —  P.  303,  Gartner,  W.  v.  Humboldt  iïbcr  Ràtoro- 
manisches.  Nebst  Ungedrucktem  von  M.  Conrad'u  Humboldt  avait  demandé  à  Con- 
radi,  l'auteur  d'une  grammaire  rétoromane  et  d'un  dictionnaire,  une  série  de 
mots  dont  l'origine  lui  semblerait  incertaine  et  il  avait  pourvu  ces  mots  de 
notes  étymologiques.  M.  Gartner  publie  ces  notes  avec  des  matériaux  recueillis 
par  Conradi.  —P.  355.  Bœhmer,  Zum  Praedicativiis  casus.  Sur  quelques  obser- 
vations de  M.  Schuchardt,  —  P.  335.  Bœhmer,  Supplément  au  catalogue  cf.  p. 
219.  —  P.  336.  Bciblajt.  Contient  des  polémiques.  Cette  fois  c'est  le  tour  de 
M.  Ascoli. 

J.  Ulrich. 

III.  —  RoMANiscHE  FoRSCHUNGEN,I,  3  (1883  ')•— P.  3  27,  Andresen,  Sur 
les  sources  employées  par  Benoît  dans  sa  chronique  (nous  parlerons  de  ce  travail 
quand  il  sera  terminé).  —  P.  413,  Rœnsch,  Remarques  sur  le  texte  lombard  de 
Dioscoride.  —  P.  415,  Vogel,  Sur  le  texte  d'Hégésippe. —  P.  4i8,Weiland,  Vers 
(non  inédits)  de  Guillaume  de  Saint-Hilaire  de  Poitiers  à  l'antipape  Clément  III. 
—  P.  419,  Rœnsch,  Contributions  à  la  latimiè  biblique  d'après  le  ms.  de  Saint-Gall 
des  Evangiles.  —  P.  426,  Hotmann,  Sur  la  question  des  dialectes  :  Paris  devrait 
être  compté  dans  la  Bourgogne  (?)  ;  c\t3iûon  in  extenso  de  curieux  passages  de 
Roger  Bacon  relatifs  aux  dialectes  français.  —  P.  428,  Hofmann,  Notes  complé- 
mentaires sur  Am\s  et  Amiles  ff  Jourdain.  —  P.  429,  Hofmann,  N  proclitique  en 
ancien  français  :  Naimer i  esl  dsius  des  chartes  lorraines,  n'est  donc  pas  provençal. 
Mais  qui  prouve  que  ce  nom  ne  vient  pas  de  l'épopée.''  Il  n'est  nullement  sûr 
que  Naimes  s'explique  par  Dominus  Hcimoih  forme  primitive  du  sujet  est  Namalo. 


I.  Par  suite  de  circonstances  fortuites,   ce  compte  rendu  paraît   fort  en  retard.  Nous 
nous  remettrons  prochainement  au  courant. 


PÉRIODIQUES  151 

d'où  NamU,  Nalc  et  d'autre  part  Naimc.  —  P,  429,   Hofmann,  Tcn  de  Bire  : 
serait  le  pays  de  la  Berre  (Birra)^  où  Charles  Martel   battit  !es  Sarrazins ,  et 
Imphe  serait  pour  Nuncs;    mais  Birt   n'est   pas  Bcrrc.  Il  est  très    probable  que 
Birc  zz:  Btric  ^:   BUic ;  on  trouve  ailleurs  la  forme  Bile,   qui   est   équivalente, 
sans  que  d'ailleurs  cela  éclaircisse  la  question  d'identité.  —  P.  430,  Hofmann, 
Sur  la  chronologie  de  la  chanson  de  Roland  ;  voy.  Rom.,  XIV,  415.  —  P.  432, 
Hofmann,  Taillefcr  cl  la  bataille  de  Hastings.  Henri  de    Huntingdon,  GeofFroi 
Gaimar,  le  Carmen  de  bello  Haslingensi  parlent  de  Taillefer  comme  d'un  jongleur 
qui  exécute  des  tours  d'adresse  en  vue  des  Anglais,  mais  ne  mentionnent  pas  la 
chanson  de  Roland,  que   Wace  lui  fait  chanter.  «  La  relation    de  la  chanson 
de  Roland  à  la  bataille  de  Hastings  provient  uniquement  de  Wace  ».  Cela  n'est 
vrai  que  pour  le  nom  de  Taillefer,  qui  n'est  qu'un  détail.  William  de  Malmesbury 
il.  III,  ji  242)  dit:  0  Tune  cantilena  Rollandi  inchoata,  ut  martium  viri  exemplum 
pugnaturos  accenderet...    praeiium   consertum   est».    Taillefer    était   jongleur 
[mimas  dans  le  Carmen)  i  rien  n'empêche  qu'il  ait  fait  la  prouesse  qui  lui  valut 
la  mort  après  avoir  chanté    quelques  strophes  du  Roland.  Le  témoignage  de 
Wace,  confirmé  par  celui  de  W.  de  Malmesbury,   repose  sur  la  tradition,  et 
n'est  nullement  dénué  de  valeur.  —  P.  434,  Hofmann,   Les  deux  Roland  dans 
Turpm.  —  Ib.    Hofmann,  La  plus  ancienne  source  de  la  légende  de  Barbe- Bleue  ; 
dans  le  Saint  Graal  en  prose.  Mais  pourquoi  citer  la   version  galloise  au  lieu  du 
texte   français    (Perceval  en  prose,   éd.  Potvin,   251,    299)?   Le    cruel    époux 
s'y  appelle  Aristot  et    non  Aristor,  et  qu'a-t-il   à    faire  avec   Mac  Alister?  — 
P.  43^,  Hofmann,  Sur  Chardry.  Il  a  imité  deux  vers  de  Chrétien:  à  la  bonne 
heure;    mais  aussi  ce  vers  du  Brut  de  Munich  :  Tant  as,  tant  vaus  et  je   tant 
t'ain;    malheureusement    il    est    aussi    dans    Wace    (v.     1790).    —    P.  436, 
Hofmann,  Corrections  au  texte  ^ê  Joufroi.  —  P.  437,  Hofman,  Le  futur  en  -ri  et 
la  traduction  d'Ezéchiel.  Ce  futur  placerait    ce  texte  dans  la   Suisse  romande, 
peut-être  à  Romainmotier  dans  le  pays  deVaud.  —  P.  438,  Hofmann,  Pf/rj;?^;/- 
dans  le  PiTziwal  de  Wolfram;   serait  dans  le  Graisivaudan  et  plus  précisément 
la   Grande    Chartreuse.   —    P.    459,  Baist,  Sur   Wace,   Rou,   III,   3079-99: 
l'histoire  des  manteaux   pris  pour  sièges  et  laissés  {Rom.,  IX,  515)   peut  être 
réellement  arrivée  à  Robert  de  Normandie.  —  P.   441,   Balst.,  Corrections   à 
Octavicn.  —  P.  441,  Baist,  Etymologies.  Springare  (additions  à  Diez)  ;  serin  zz: 
citrinus  (cette  étymologie,  qui  n'est  d'ailleurs  pas' bonne,  est  celle  deBrachet); 
esp.  pelma,  pelmazo  (pegma?)  ;  nata,  mattone,  suero  (mots  peut-être  indigènes; 
remarques  intéressantes  sur   l'histoire  de   l'industrie  laitière);    hoto   (faut us; 
cf.   Rom.  IX,  35  3»;  v.  f.  rè  (non  pas  ratis.,  mais  ail.  rat,  qui  signifie»  bûcher  » 
et  «  rayon  de  miel  »  ;  le  fém.  rata  a  donné  en  v.  fr.  rèe  (de   miel)  changé  plus 
tard  en  raie).  —  P.  44^,  Rœnsch,  Mélanges  étymologiques  :   Galopparc  (qua- 
drupedare!   Il  est  siîr  que  l'étymologie  de  Diez  est  mauvaise)  ;  verve  (revient 
inutilement  à   verva,   cf.  Rom.    X,   302);    VàftYf  (de  1  ici  a  ri  a,  mais  on  aurait 
licierc);  ovata.,  ouate  (dérivé  non  de  ovum,  mais  de  ovem;   mais  cf.  Littré  et 
Scheler)  ;  vi7(jp/'o  (rattaché  d'une  manière  inadmissible  àvolvere);  quamdius 
déjà  dans  une  inscription  (Orelli,  6206).  —P.  450,  Andresen,  Sur  la  Chresto- 
mathie  provençale   de  Bartsch  (corrections;    l'explication    de   ransana  par   «  de 
Reims  »,  a.  fr.  rancienne,  est  certainement  la  bonne).   —  P.  452-3,  Andresen 


152  PÉRIODIQUES 

et  Baist,  Noples  et  Commibhs  dans  le  Roland^  198  (l'un  serait  Noblejas  près  de 
Tolède,  invraisemblable;  l'autre  est  pour  Conimblesm  Coimbre,  cf.  Rom  ,  XI, 
489).  —  P.  455,  Braunfels,  annonce  de  la  Revisla  Euskara.  —  P.  4^5,  Sette- 
gast;  en  réponse  à  mes  observations  sur  andarc  (Rom.,  XII,  32),  M.  S.  conteste 
(\n'andarc,  aller  aient  essentiellement  le  sens  de  «  s'éloigner  »,  et  il  me  demande 
d'en  fournir  des  preuves.  Mais  le  fait  est  tellement  évident  qu'il  n'a  pas  besoin 
de  preuves:  il  suffit  d'ouvrir  un  texte  quelconque.  M.  S.  dit  que  l'idée  d'éloi- 
gnement  n'est  exprimée  que  par  s'en  aller,  mais  qu'il  compare  s'en  aller  à  s'en 
venir,  et  en  général  l'opposition  constante  de  aller  et  de  venir.  M.  S.  remarque 
ensuite  que  je  n'ai  pas  répondu  aux  objections  de  M.  Fœrster  contre  addere 
gradum  comme  étymologie  à'andare.  C'est  vrai,  mais  c'est  que  j'ai  l'intention 
de  faire  un  jour  une  étude  approfondiesur  cette  question. 

G.  P. 


IV.  —  MÉLANGES  d'Archéologie  et  d'Histoire  (publiés  par  l'Ecole  fran- 
çaise de  Rome.)  .Paris,  Thorin,  Rome,  Spithœver.  In-80,  1881  et  années  suiv. 
—  Nous  ne  pouvons  pas  dire  que  nous  approuvions  la  création  de  ce  nouveau 
recueil  qui  vient,  se  joindre  au  nombre,  déjà  trop  grand  chez  nous,.des  périodiques 
sans  spécialité.  Les  travaux  qui  y  prennent  place  se  rapportent,  en  eflfet,  aux 
sujets  les'plus  variés:  l'antiquité  grecque  ou  romaine,  Thistoire,  la  littérature 
et  les  arts  du  moyen  âge  et  des  temps  modernes,  y  sont  représentés.  Il  y  a  même 
des  comptes-.rehdus  d'ouvrages  nouveaux.  Le  seul  point  commun  est  que  la 
plupart  des  rédacteurs  (non  pas  tous  cependant)  appartiennent  à  l'Ecole  fran- 
çaise de  Rome.  Mais  l'unité  doit  consister  dans  la  nature  des  travaux  et  non 
dans  la  condition  de  leurs  auteurs.  Les  mémoires  d'érudition  s'adressent  à  un 
public  très  restreint,  et  ne  sont  assurés  de  parvenir  à  ce  public  qu'à  la  condition 
d'être  groupés  dans  des  recueils  spéciaux  où  on  sait  d'avance  qu'on  les  trouvera. 
Une  publication 'périodique  où  toutes  les  branches  de  l'érudition  sont  confondues 
ne  prend  place  que  dans  les  bibliothèques  publiques  ou  dans  les  bibliothèques 
privées  de  personnes  qui  n'ont  pas  payé  pour  l'avoir,  et  qui,  d'ordinaire,  ne  la 
lisent  pas.  C'est  ce  qui  arrive  pour  les  Annales  de  Facultés  qui  se  sont,  depuis 
quelque  temps,  multipliées  sans  profit  pour  personne,  surtout  pour  le  budget  de 
l'Enseignement  supérieur.  Nous  observons  d'ailleurs  qu'en  France  comme  en  Al- 
lemagne, l'accroissement  immodéré  des  recueils  érudits  à  périodicité  plus  ou 
moins  régulière  n'est  pas  un  signe  certain  des  progrès  et  des  besoins  réels  de  la 
science.  Les  innombrables  périodfques  dont  nous  sommes  inondés  surexcitent  la 
production  et  provoquent  la  mise  au  jour  de  travaux  hâtifs,  que  des  rédacteurs 
en  chef  à  court  de  copie  acceptent  trop  facilement,  et  qu'on  regrette  d'avoir  lus. 
Nous  ne  dirons  pas  que  tel  soit  le  cas  des  Mélanges  de  l'École  de  Rome,  qui  sont 
presque  entièrement  rédigés  par  des  jeunes  gens  sortis  de  l'École  normale,  de 
l'École  des  Chartes,  ou  de  l'École  des  hautes  études,  tous  exercés  aux  bonnes 
méthodes  et  animés  du  désir  de  faire  des  découvertes.  Mais  nous  aurions  autant 
de  plaisir  et  plus  de  commodité  à  lire  leurs  écrits  dans  les  périodiques  auxquels 
les  destinait  la  spécialité  de  chacun  d'eux.  Voici  l'indication  des  mémoires  qui 
peuvent  intéresser  les  lecteurs  de  la  Romania. 


PERIODIQUES  in 

I  (1881),  2^9-65,  A.  Thomas.  Un  manuscrit  de  Charles  V  au  Vatican^  notice 
suivie  d'une  étude  sur  les  traductions  françaises  de  Bernard  Gui.  Le  ms.  697  du 
fond  de  la  Reine  au  Vatican  contient  l'exemplaire  unique,  jusqu'à  présent, 
d'une  verston  française  de  divers  opuscules  de  Bernart  Gui  exécutés  pour 
Charles  V  par  le  carme  Jean  Golein,  de  qui  on  connaît  depuis  longtemps  d'autres 
travaux.  Le  ms.  même  sur  lequel  M.  Th.  appelle  pour  la  première  fois  l'atten- 
tion a  été  fait  pour  la  librairie  de  Charles  V.  M.  Th.  signale  en  passant  divers 
mss.  latins  de  Bernart  Gui,  jusqu'ici  non  étudiés.  C'est  un  travail  intéressant 
et  bien  fait  qui  sur  certains  points  complète  le  grand  mémoire  de  M.  L.  Delisle 
sur  Bernart  Gui.  Un  fac-similé  en  héliotypie  du  premier  feuillet  du  ms.  de  Jean 
de  Golein  est  joint  à  la  publication.  —  II  (1882),  pp.  113-35  ^^  43  ^^o, 
A.  Thomas,  Extraits  des  archives  du  Vatican  pour  servir  à  l'histoire  du  moyen-dge. 
Certaines  parties  de  ce  travail,  riche  en  faits  nouveaux,  ont  été  publiés  d'abord 
dans  h  Romania^  X,  321,  "XI,  177.  Nous  avons  annoncé  l'ensemble  de  la  publi- 
cation, d'après  le  tirage  à  part,  ci-dessus,  XIII,  493.  — V.  (1885),  p.  25-80,  E. 
Langlois,  Notice  du  manuscrit  Ottobonien  2523.  Ce  ms.,  exécuté  dans  le  nord  de 
la  France  entre  1450  et  1460,  contient  un  recueil  très  varié  de  pièces  françaises 
en  prose  et  en  vers,  ayant  en  général  un  caractère  religieux.  M.  L.  a  fait  de 
louables  efforts  pour  joindre  à  sa  description  les  renseignements  bibliographiques 
qu'elle  comportait,  mais  il  est  visible  qu'écrivant  à  Rome,  les  conseils  et  les 
livres  lui  ont  manqué.  On  remarquera  entre  les  morceaux  contenus  dans  le  ms. 
Ottoboni  un  texte  assez  développé  de  l'épître  de  la  Saint-Étienne  (n»  IX);  une 
«  Desputoison  de  Dieu  et  de  sa  mère  »  (n°  X)  en  198  vers,  dont  le  texte  est 
donné  en  entier  par  M.  Langlois.  Si  la  date  indiquée  au  v.  116  est  correcte,  ce 
petit  poème  aurait  été  composé  vers  1 417.  Citons  encore  une  nouvelle  patenôtre 
de  saint  Julien  fn"XI),  cf.  Romania,  XI,  577;  une  nouvelle  copie  (n"  XIII)  ducom- 
put  dont  j'ai  publié  (ce  qu'a  ignoré  M.  L.)  trois  textes  distincts  dans  le  Bulletin 
delà  Société  des  anciens  textes,  1883,  pp.  80  et  102;  un  nouveau  textedes«  dix 
souhaits»  connus  déjà  parla  publication  de  M.  Ritterdans  le  Bulletin  précité, 
année  1877.  —  P.  i  10-4,  E.  Langlois,  La  somme  Acê.  Notice  du  ms.  1063  du 
fonds  de  la  reine  Christine  au  Vatican,  déjà  décrit,  mais  d'une  façon  bien  impar- 
faite par  le  professeur  Brunner  dans  la  Nouvelle  Revue  historique  du  droit  français 
et  étranger. 

P.  M. 

V.  —  Anxuaire  de  la  Faculté  des  lettres  de  Lyon,  troisième  année, 
fasc.  I,  1885.  —  P.  163-192.  L.Clédat,  L(7  Chronique  de  Salimbcne.  Collationde 
l'édition  de  Parme.  1°  Les  cinquarte  premières  pages.  Cette  collation  justifie  l'opi- 
nion déjà  exprimée  par  M.  Clédat  que  les  morceaux  omis  dans  l'édition  de 
Parme  n'ont  pas.  en  général,  une  grande  ûnportance.  Ce  sont  ordinairement  des 
citations  bibliques  accumulées  à  tout  propos  et  hors  de  propos.  Néanmoins,  il 
est  essentiel,  pour  que  la  chronique  recouvre  sa  vraie  physionomie,  que  les  par- 
ties omises  soient  rétablies.  C'est  ce  qui  aura  lieu  dans  une  future  édition  dont 
la  publication  prochaine  est  annoncée.  Mais  nous  ne  voyons  pas  bien  l'intérêt 
qu'il  peut  y  avoir  à  imprimer  dans  une  revue  une  suite  de  passages  sans  valeur 
pour  quiconque  n'a  pas  sous  les  yeux  l'édition  de  Parme.  Nous  le  voyons  d'au- 


I  54  PÉRIODIQUES 

tant  moins  que  la  collation  ne  s'étend  qu'à  une  faible  partie  de  l'ouvrage.  Jusqu'à 
la  page  177  M.  Clédat  indique  les  sources  des  citations  bibliques.  Delà  page  178 
à  la  p.  192  il  s'abstient.  Les  renvois  sont  disposés  d'une  façon  singulière.  Pourquoi 
citer  pour  la  Bible  «  l'édition  Didot  »?  A  quoi  bon  avertir  le  lecteur  de»  ne  pas 
confondre  V Ecclésiastique^  autrement  dit  la  Sapientia  Sirach,  avec  VEccIe- 
siaste  »  (p.  167)? 

P.  M. 

VI.  —  Revue  critique,  avril-décembre  1885.  —  Art.  59.  Gay,  Glossaire 
archéologique  du  moyen  âge  et  de  la  Renaissance  (H.  de  Curzon).  —  60.  Scheler, 
Etude  lexicographique  sur  les  poésies  de  Gillion  le  Muisit  (A.  Delboulle).  —  87. 
Thomas,  Francesco  da  Barberino  et  la  littérature  provençale  en  Italie  (Ch.  J.).  — 
92.  G.Meyer,  Essays  undStudien  zur Sprachgeschichte und  Volkskunde  (V.  Henry). 

—  too  Catalogue  de  la  bibliothèque  de  feu  M.  J.  de  Rothschild  (T.  de  L.  ;  ou- 
vrage capital,  sans  parler  des  temps  plus  modernes,  pour  la  littérature  du 
xve  siècle).  —  119.  Thomas,  De  Joannis  de  Monsterolio  vita  et  operibus  (Ch. 
J.).  —  136.  Documents  bas-tatins,  provençaux  et  français  concernant  la  Marche  et 
le  Limousin  p.  p.  Leroux,  Molinier  et  Thomas,  H  (A;.  —  148.  Gaster,  Litera- 
tura  populara  romana  (E.  Picot  :  article  important).  —  157.  Armitage,  Sermons 
du  xiP  sikle  en  vieux  provençal  (A.  Thomas).  —  160.  Godefroy,  Dictionnaire  de 
l'ancienne  langue  française,  \t\.ivt  F  (A.  Jacques).  —  161.  Schuchardt,  Slawo- 
deutschesund  Slawo-italienisches{L.  L.). —  i66.Toubin,  Dictionnaire  étymologique 
et  explicatif  de  la  langue  française  (A.  Delboulle  :  absurde;  cf.  Rom.  XIV,  633). 

—  204.  Eraclius,  deutsches  Gedicht  des  Xll.Jahrhunderts.,  hgg.  vonGraef  (A.  Chu- 
quet  :  remarques  sur  le  rapport  du  poème  allemand  à  son  original  irançais).  — 
218.  Godefroy,  Dictionnaire  de  l'ancienne  langue  française.,  lettres  G  et  H  (A. 
Jacques). —  240.  Kluge,  Etymologisches  Wœrterbuch  der  deutschen  Sprache  {]tzn 
Kirste  .•  article  intéressant  sur  un  livre  qui  a  de  l'importance  aussi  pour  les 
études  romanes). 


CHRONIQUE. 


Le  19  octobre  1885  la  Hollande  a  perdu  un  de  ses  savants  les  plus  illustres 
et  les  plus  estimés,  M.  le  D""  Jonckbioet,  décédé  à  Wiesbaden,oiJ  il  avait  espéré 
pouvoir  consacrer  un  séjour  d'hiver  à  terminer  la  y  édition  de  son  Histoire  de  la 
littérature  néerlandaise.  M.  Jonckbioet  a  laissé  à  tous  ceux  qui  l'ontconnu  le  sou- 
venir d'une  des  natures  les  plus  richement  douéesqu'on  pût  voir,  d'un  esprit  qui  sa- 
vait varier  ses  occupations  à  l'infini  sans  jamais  se  départir  de  la  rigueur  de  sa 
méthode  detravail.  Néen  1817,  à  la  Haye,  il  s'était  fait  inscrire  en  1835  à  l'uni- 
versité de  Leyde  comme  étudiant  en  médecine  ;  après  avoir  passé  à  la  Faculté 
de  droit,  il  s'arrêta  définitivement  à  l'étude  de  la  langue  et  de  la  littérature  na- 
tionales et  soutint  en  1840  une  thèse  latine  sur  \e S piegkcl  historiacl  de  Lodewyk 
van  Velthen.  Il  représenta  successivement  ces  études,  comme  titulaire  d'une 
chaire  de  lettres  néerlandaises,  à  l'ancien  «  Athénée  illustre»  de  Deventer  (1847), 
à  l'université  de  Groningue  (1854-64)  et  à  celle  de  Leyde  (1877-84).  Pendant 
ces  différentes  périodes  d'activité  scientifique  il  publia  de  nombreux  textes 
moyen-néerlandais,  tels  que  \t  D'ut  su  doctrinale  (1842),  le  Lancelot  (1846-48), 
le  iValcmin  11846-48),  le  Dietsce  Caloen  (1845),  le  Renart  ('<  Van  den  vos  Rei- 
naerde  »,  1856),  Beatrys  et  Carel  ende  EUgast  (1859).  Son  histoire  de  la 
poésie  moyen-néerlandaise  [Gesch'udenis  der  Midden-Ncderlandscht  dichtkanst, 
4  vol.,  1849  a  1855),  fut  écrite  à  une  époque  oi!i  les  études  des  littératures  du 
moyen  âge  n'avaient  encore  acquis  ni  l'étendue  ni  la  précision  qui  leur  ont  été 
données  plus  tard.  Aussi  ce  livre,  si  intéressant  et  si  remarquable  pour  l'époque  où 
il  fut  écrit,  a-t-il  perdu  aujourd'hui  beaucoup  de  son  importance  et  de  sa  valeur. 
On  doit  regretter  que  M.  Jonckbioet  n'ait  plus  trouvé  le  temps,  dans  sa  vie 
si  occupée,  de  le  refondre  et  de  le  renouveler.  A  l'époque  où  il  aurait  fallu  faire 
ce  travail,  son  attention  s'était  plutôt  concentrée  sur  la  littérature  néerlandaise 
du  XVII''  siècle,  qu'il  connaissait  à  fond.  Cependant  l'auteur  a  voulu  dédommager 
son  public  en  donnant,  dans  les  trois  éditions  successives  de  son  histoire  de  la 
littérature  néerlandaise  \Geschiedtnis  der  Nederlandsche  Lctterkunde  ;  la  1"  édition 
est  de  1866-70,  la  2«  est  de  1872,  la  ?«  se  publie  depuis  1881),  une  place  tou- 
jours plus  grande  à  la  littérature  du  moyen  âge,  reprenant  les  questions  du 
Graal,  de  Renart  et  d'autres,  et  les  discutant  à  nouveau  en  utilisant  les  dernières 
recherches  des  savants  allemands  et  français. 


1^6  CHRONIQUF 

Dès  qu'il  eut  entrepris  l'étude  des  lettres  néerlandaises  du  moyen  âge, 
M.  Jonckbloet  comprit  que  ces  études  touchaient  de  trop  près  à  celles  delà  litté- 
rature française  de  la  même  période  pour  qu'il  lui  fût  possible,  non  seulement  de 
ne  pas  en  prendre  connaissance,  mais  encore  de  ne  pas  s'en  occuper  directement. 
Au  sortir  des  bancs  de  la  Faculté,  en  1841,  il  entreprit  une  série  de  voyages 
scientifiques,  visita  plusieurs  bibliothèques  étrangères,  et  en  rapporta  assez  de 
copies  d'anciens  manuscrits  français  pour  pouvoir  donner  successivement  une 
édition  fort  estimable  du  Roman  de  la  CharcU  (inséré  au  tome  II  du  Lancdot 
néerlandais)  ;  l'édition  princeps  de  trois  chansons  de  geste  appartenant  au  cycle 
de  Guillaume  d'Orange  (2  vol.  La  Haye,  chez  Martinus  Nyhoff,  1854)  ^^  ^o" 
Etude  sur  le  roman  de  Renart  (Groningue,  Leipsig,  Paris,  1863).  C'est  surtout 
dans  son  Guillaume  d'Orange  que  M.  Jonckbloet,  à  une  époque  où  les  éditions 
des  vieux  textes  français  se  faisaient  plutôt  au  point  de  vue  des  questions  d'histoire 
littéraire  qu'au  point  de  vue  de  la  linguistique,  a  produit  un  travail  remarquable 
par  les  vues  ingénieuses  de  l'auteur,  et  dont  il  devra  être  tenu  compte  dans  toute 
étude  ultérieure  de  ce  cycle  intéressant.  [Député  à  la  seconde  chambre  des  Etats 
généraux  de  1864  à  1877,  M.  Jonckbloet  prit  une  part  active  à  l'élaboration  de 
la  nouvelle  loi  sur  l'enseignement  supérieur  dans  les  Pays-.Bas  en  1876,  et 
essaya  même  à  cette  époque,  sans  succès,  de  faire  créer  à  Leyde  une  chaire  de 
langues  romanes.  Ses  nombreux  travaux,  ses  fréquents  voyages  avaient  valu  à 
M.  Jonckbloet  de  précieuses  relations  à  l'étranger.  Il  était  membre  correspondant 
de  l'Académie  des  sciences  de  Berlin  et  prenait  une  part  active  aux  travaux  de 
la  Société  des  Flamands  de  France.  Le  gouvernement  français  avait  reconnu  ses 
mérites  en  lui  conférant  la  croix  de  chevalier  de  la  Légion  d'honneur.  Nous  sommes 
heureux  de  consacrer  ici  un  souvenir  sympathique  et  reconnaissant  à  l'aimable 
savant  hollandais  que  plusieurs  romanistes  français  orit  eu  le  privilège  de 
connaître  personnellement  et  qui  a  été  l'initiateur  des  études  romanes  en  Hol- 
lande. —  A.  V.  H. 

—  M.  Henry  Bradshaw,  bibliothécaire  de  l'Université  de  Cambridge,  est 
décédé  subitement  le  12  février  1886  à  l'âge  de  55  ans.  C'était  un  savant 
d'une  érudition  très  variée,  mais  qui  se  résignait  difficilement  à  publier  le  fruit 
de  ses  études.  L'amour  de  la  recherche  le  dominait  et  lui  rendait  pénible  le  labeur 
de  la  mise  en  œuvre  C'est  ainsi  qu'il  avait  fait  sur  Chaucer  des  travaux  consi- 
dérables qu'il  n'a  jamais  rédigés,  et  ce  n'est  que  par  le  témoignage  de  ses  amis 
que  certains  des  résultats  auxquels  il  était  arrivé  ont  été  connus.  Il  était 
l'homme  d'Angleterre  qui  savait  le  mieux  l'histoire  des  anciennes  bibliothèques 
delà  Grande-Bretagne,  et  en  général  la  bibliographie  anglaise.  Les  origines  de 
l'imprimerie  avaient  été  aussi  l'objet  de  ses  recherches.  Ses  publications,  en 
général  peu  étendues,  ne  donnent  qu'une  idée  très  imparfaite  de  la  variété  de 
ses  connaissances.  Il  est  du  reste  à  peu  près  impossible  d'en  former  une  col- 
lection complète,  car  elles  consistent  généralement  en  documents  inédits  ou  en 
très  courts  mémoires  qui  ont  paru  dans  des  recueils  peu  répandus,  ou  même  ont 
été  imprimés  à  part  sans  être  mis  dans  le  commerce.  Bradshaw,  qui  dès  l'ori- 
gine fit  partie,  comme  membre  perpétuel,  de  la  Société  des  anciens  textes  fran- 
çais, a  fait  quelques  publications  qui  touchent  à  nos  études.  La  plus  importante 


CHRONIQUE  •  I  57 

est  est  son  mémoire  sur  les  mss.  Vaudois  de  la  Bibliothèque  de  l'Université  de 
Cambridge,  qui  a  été  réimprimé  par  Todd  dans  son  livre  intitulé  The  books  of 
thc  Vaudûis  (London,  1865^  Bradshaw  était  un  homme  d'un  esprit  élevé  et 
droit.   Sa  mort  prématurée  laissera  à  ceux   qui  l'ont  connu  de  profonds  regrets. 

—  M.  Wilmotte,  ancien  élève  de  l'Ecole  des  Hautes  Etudes  de  Paris,  vient 
d'être  chargé  d'un  cours  de  philologie  romane  à  l'Ecole  normale  des  Humanités 
de  Liège.  M.  Wilmotte  achève  en  ce  moment  un  travail  sur  la  dialectologie 
ancienne  de  la  province  de  Namur. 

—  La  Société  des  anciens  texfes  français  vient  de  mettre  en  distribution  le 
tome  II  de  l'édition  des  œuvres  poétiques  de  Philippe  de  Rémi,  sire  de  Beau- 
manoir,  publiées  par  M.  H.  Suchier.  Ce  volume' appartient  à  l'exercice  de  1885, 
qui  sera  prochainement  complété  par  deux  autres  publications. 

—  Livres  adressés  à  la  Romania  : 

Discours  prononcé  à  l'assemblée  générale  de  la  Société  de  l'histoire  de  France,  le 
26  mai  1885,  par  M.  L.  Delisle,  président  de  la  Société.  (Extrait  de 
y  Annuaire-Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  de  France,  année  1885).  Paris, 
Renouard.  In-8,  60  pages  et  une  planche.  —  Ce  discours  mérite  ici  une 
mention  spéciale  pour  plus  d'un  motif.  D'abord  l'éminent  directeur  de  la 
Bibliothèque  nationale  y  met  en  lumière  l'intérêt  qu'offre  pour  l'histoire  du 
XV"  siècle  la  collection  A.  de  Bastard,  récemment  donnée  à  la  Bibliothèque 
11  s'y  trouve  nombre  de  pièces  (provenant  en  général  des  archives  de  la 
Chambre  des  Comptes}  qui  sont  à  consulter  pour  l'histoire  de  la  littérature 
des  derniers  temps  du  moyen  âge  et  de  quelques-unes  des  plus  célèbres 
bibliothèques  de  ce  temps'.  En  outre  M.  D.  signale  et  décrit,  dans  un 
appendice  à  son  rapport,  un  bien  curieux  recueil  de  poésies  latines  rythmiques 
écrit  en  P>ance  au  xiii"  siècle,  et  qui,  conservé  actuellement  à  la  Lau- 
rentienne  ,  n'avait  été  indiqué  que  fort  sommairement  dans  le  catalogue 
de  Bandini  2.  Les  pièces  qu'il  renferme,  et  qui  sont  au  nombre  de  plus  de 
quatre  cents,  appartiennent  à  des  genres  très  divers.  Elles  sont  anonymes, 
mais  il  a  été  facile  à  M.  D.  de  constater  que  plusieurs  se  retrouvent  ailleurs 
sous  le  nom  du  chancelier  Philippe  de  Grève.  Ce  ms.,  dont  le  contenu  est 
maintenant  parfaitement  connu,  grâce  à  la  description  de  M.  Delisle,  apporte 
à  l'histoire,  toujours  à  faire,  de  notre  poésie  latine  rythmique  un  contingent 
considérable  de  faits  nouveaux  ?. 


1.  M.  Delisle  vient  de  publier  un  inventaire  détaillé  de  cette  précieuse  collection  sous 
ce  titre  ;  Les  collections  de  Bastard  d'Estang  à  la  Bibliothèque  nationale,  catalogue  ana- 
lytique. Nogent-le-Rotrou,  imprimerie  Daupelcy-Gouverneur,  iSSj,  in-8,  xxij- 5 38  pages. 

2.  Au  tirage  à  part  est  joint  un  fac-similé  en  photogravure  de  deux  pages  du  ms. 

i-  La  publication  de  M.  Delisle  a  appelé  l'attîntion  sur  un  ms.  d'Oxford,  un  peu 
plus  ancien  que  celui  de  Florence,  et  contenant  un  grand  nombre  de  pièces  rythmiques, 
dont  quelques-unes  se  retrouvent  dans  le  recueil  de  la  Laurentienne.  M.  F.  Madan,  sous- 
bibliothécaire  de  la  Bodléienne,  a  adressé  à  M.  Delisle  une  t^ble  de  ce  ms.  qui  a  été 
publiée  dans  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  Chartes,  XLVI  (1885),  382- j. 


158  CHRONIQUE 

I  Trovatori  nella  marca  Trivigiana.  Studio  di  Tommaso  Casini.  Bologna,  i88j. 
In-8,  41  pages  (Extrait  du  Propagnatore^  t.  XVIII).  —  Mémoire  fait  avec 
soin  et  intelligence,  et  oij  il  n'y  aurait  qu'à  louer  si  l'auteur  était  plus  fa- 
milier avec  la  langue  des  troubadours.  Selon  un  usage  qu'on  ne  saurait  trop 
approuver,  M.  Casini  joint  une  traduction  à  chaque  pièce  provençale  qu'il 
cite,  mais  ces  traductions  laissent  singulièrement  à  désirer,  et  parfois  les 
conclusions  historiques  queprésente  l'auteur  se  fondent  sur  des  interprétations 
erronées.  On  peut  compter  en  moyenne  un  ou  deux  contre-sens  par  strophe 
traduite.  Quelques-uns  de  ces  contre-sens  sont  terribles,  par  ex.  dans  la 
pièce  de  Hugue  de  Saint-Cirq  Lonjamen,  le  vers  Lo  cnms  a  tan  coiregut 
traduit  par  a  il  delitto  a  tanti  cuori  tcnuti  »!  M.  C.  lit  en  effet  cor  regut  en 
deux  mots,  et  croit  bonnement  que  regut  est  provençal.  Le  plus  grave  est 
que  les  éditions  antérieures  donnaient  la  bonne  leçon  correguL  Ceci  doit 
mettre  en  garde  contre  les  corrections  que  M.  C.  fait  à  ses  textes,  souvent 
sans  même  avertir  le  lecteur.  Ainsi,  p.  24,  il  ne  dit  pas  qu'au  vers  19  de  la 
pièce  Canson  ^ue[s]  leu  per  entendre  il  a  corrigé  ci  du  ms.  en  5/;  mais  dans  le 
ms.  corrigé  (fr.  1 521 1)  ci  veut  dire  ijni^  de  sorte  que  le  vers  doit  être  lu  : 
£,  Q.UI  lam  blasma^  défendre.  Il  y  a  bien  d'autres  fautes  dans  la  même  pièce; 
mais  la  plus  maltraitée  de  toutes  les  poésies  publiées  dans  ce  mémoire  est 
certainement  celle  de  la  p.  14,  Una  danseta  vodl  far.^  dont  M.  C.  n'a  pas 
compris  une  seule  phrase.  11  n'a  pas  vu  (non  plus  du  reste  que  M.  Bartsch, 
Ztitschr.  f.  rom.  Phil.  II,  198)  que  le  refrain  devait  être  détaché  des 
vers  qui  précèdent,  et  il  a  eu  le  tort  de  rendre  inintelligible  par  d'intem- 
pestives corrections  des  passages  qui  sont  fort  clairs  dès  qu'on  sait  que  Ve$lai 
et  Anonai  (au  dernier  couplet)  sont  des  noms  de  lieux  fort  connus. 

Lt  rime  provenzali  di  Rambertino  Buvalelli  trovatore  bolognese  del  sec.  XIII. 
Firenze,  1885,  in-8,  32  pages.  —  Cette  publication,  qui  est  fort  élégam- 
ment imprimée,  a  pour  auteur  M.  T.  Casini,  auteur  d'un  mémoire  sur  Bu- 
valelli et  ses  poésies,  qui  a  paru  en  1880  dans  le  Propugnatore.  Ce  mémoire 
contenait  en  appendice  le  texte  des  pièces  de  ce  troubadour.  Nous  fîmes 
alors  remarquer  (Romûn;<7,  IX,  632)  que  le  texte  et  le  commentaire  laissaient 
parfois  à  désirer.  Actuellement  M.  C.  nous  offre  des  mêmes  poésies  une 
nouvelle  édition  incontestablement  améliorée,  mais  encore  assez  fautive,  et 
de  plus  une  traduction  italienne  certainement  littérale,  mais  cependant  peu 
fidèle.  Comme  dans  la  dissertation  ci-dessus  annoncée,  les  contre-sens  y  sont 
nombreux,  et  nous  croyons  que  M.  C.  a  encore  des  progrès  à  réaliser  avant 
d'être  en  état  de  faire  le  recueil  des  poésies  provençales  dues  à  des  trou- 
badours italiens  qu'il  annonce  dans  son  avertissement. 
A, -M.  Elliot,  Contributions  to  a  History  of  the  french  lenguage  oj  Canada 
(Reprinted  from  American  Journal  of  Philology,  vol.  VI,  n"  2).  —  M.  Elliot, 
professeur  de  langues  romanes  à  Baltinfore,  donne  un  aperçu  des  recherches 
qu'il  a  commencées  sur  l'état  du  français  au  Canada,  et  qui  paraissent  devoir 
être  fécondes  en  résultats.  L'essay  qu'il  publie  actuellement  contient  beaucoup 
de  remarques  inféressantes  sur  les  éléments  dont  se  compose  la  partie  de  la 
population  qui  parle  actuellement  français,  et  sur  les  progrès  étonnants  de 
la  langue  française  dans  le  bas  Canada. 


CHRONIQUE  1  59 

Frants  Villon',  Dct  stort  Testament.  Forfattet  i  aanl  1461.  Oversat  paa  rimede 
versaf  S.  Broberg.  Copenhague,  1885,  126  p.  petit  in-8.  — Traduction, 
la  première  qu'on  ait  tentée  en  aucune  langue,  sauf  en  anglais,  d'un  choix 
des  poésies  de  Villon.  M.  Broberg,  qui  s'est  fort  bien  acquitté  de  son  travail 
comme  traducteur,  a  en  outre  accompagné  son  petit  volume  d'une  intro- 
duction générale  sur  Villon,  où  il  y  a  trop  de  généralités  contestables,  et 
de  quelques  remarques  explicatives  qui  auraient  dû  être  plus  nombreuses. 

-  Kr.  N. 

Die  àltestt  Schilderung  vom  Fegefeur  des  hdligen  Patricius  (von)  Johann 

EcKLEBEN.  Halle,  Heudel,  1885,   in-8  de  828  p.  (dissertation  de  docteur). 

—  L'auteur   annonce  que  son  travail   complet  paraîtra    prochainement  à 
Halle  chez  Niemeyer. 

Libro  de  los  Fechos  e  Conquistas  de!  principado  de  la  Morea,  compilado  por 
comandamiento  de  Don  Fray  Johan  Ferrandez  de  Heredia,  maestro  de| 
Hospital  de  S.  Johan  de  Jérusalem.  Chronique  de  Morée  aux  xm«  et  xiv« 
siècles,  publiée  et  traduite  pour  la  première  fois  par  Alfred  Morel-Fatio. 
Genève,  imprimerie  de  Guillaume  Fick,  1885,  in-8,  lxiii,  177,  160  p. 
(publication  de  la  Socicic  de  l'Orient  latin).  —  Outre  son  intérêt  historique, 
qui  n'est  pas  de  premier  ordre,  le  Libro  de  los  fechos  étant  essentiellement 
une  nouvelle  version  du  Livre  de  la  conquête  de  Morée,  cette  publication  a 
une  véritable  importance  philologique,  comme  nous,  fournissant  un  texte 
ancien  et  étendu  du  dialecte  aragonais  au  xiv»  siècle. 

Notice  sur  le  livre  de  Barlaam  et  Joasaph,  accompagnée  d'extraits  du  texte  grec 
et  des  versions  arabe  et  éthiopienne,  par  H.  Zotenberg.  Paris,  Maison- 
neuve,  1886,  in-4,  166  pages  (tiré  des  Notices  et  Extraits  des  manuscrits  de 
la  Bibliothèque  nationale.^  t.  XXVIIl,  i"  partie).  —  Dans  cet  important 
mémoire,  dédié  à  Paul  Meyer,  l'auteur  prouve  que  le  roman  de  Barlaam  et 
Joasaph  n'est  pas  de  saint  Jean  Damascène  et  qu'il  a  été  rédigé,  probable- 
ment entre  620  et  634,  par  un  moine  de  Saint-Saba  près  de  Jérusalem.  Il 
e.xamine  le  rapport  de  l'histoire  de  Joasaph  avec  les  diverses  versions  de  la 
légende  de  Bouddha  qui  en  est  la  source,  et  présente  des  observations  sur 
les  traductions  orientales  du  roman  grec.  Dans  l'Appendice,  outre  des 
extraits  des  versions  arabe  et  éthiopienne,  on  trouvera  une  édition  critique 
du  texte  grec  des  paraboles  insérées  dans  le  roman. 

Der  Roman  de  Mahomet  von  Alexandre  du  Pont.,  eine  sprachische  Untersuchung... 
von  Richard  Peters.  Gottingen,  Dietrich,  in-8,  iv-86  pages  (diss.  de 
docteur  d'Erlangen).  —  Monographie  très  faible,  d'un  auteur  auquel  on  a 
indiqué  les  modèles  à  suivre,  et  qui  n'a  pas  su  en  tirer  parti.  Les  erreurs 
abondent  et  le  dépouillement  n'est  ni  complet  ni  bien  ordonné.  On  doit  louer 
l'auteur  d'avoir  fait  rentrer  dans  son  travail  l'étude  de  la  syntaxe,  d'autant 
plus  que  cette  partie  du  mémoire  est  la  moins  défectueuse.  Pour  la  phoné- 
tique, bornons-nous  à  dire  que  d'après  M.  Peters  (p.  9)  chortem  devrait 
donner  cort,  qu'il  voit  dans  mariée  (p.  18)  une  exception  à  la  contraction 
de  iee  en  />,  qu'il  regarde  le  ng  de  tesmoing  (p.  21)  comme  une  notation  de 
{1,  et  qu'il  admet  ip.  41)  que  iw(7=z  videt  peut  compter  pour  deux  syllabes. 


l6o  CHRONIQUE 

Il  déclare  d'ailleurs  à  tort  la  langue  du  copiste  identique  à  celle  de  l'auteur 
du  poème,  ce  qui  donne  à  tout  son  travail  une  fausse  direction. 

Recueil  de  morceaux  choisis  en  vieux  français  par  Eugène  Ritter,  professeur  à 
l'université  de  Genève,  seconde  édition.  Genève,  Georg,  1885,  in- 12,  viii- 
128  p.  —  Réunion  de  quinze  morceaux  en  vers  et  en  prose,  sans  notes 
ni  glossaire;  simple  recueil  pour  explications. 

Adgars  Marien-Legenden,  nach  der  Londoner  Handschrift  Egerton  612  zum 
ersten  Mal  vollstaendig  herausgegeben  von  Cari  Neuhaus.  Heilbronn,  Hen- 
ninger,  i886,  in- 12,  xvi,  xlviii,  259  p.  —  Cette  édition,  faite  d'après  un 
manuscrit  unique  collalionné  avec  soin,  est  surtout  intéressante  par  l'étude 
des  sources;  la  langue  d'Adgar,  écrivain  anglo-normand  du  xii"  siècle,  a  été 
étudiée  ailleurs  par  M.  Rolfs  (voy.  Rom.  Xll,  132).  M.  Fôrster  a  joint  à 
l'édition,  outre  le  vocabulaire  et  des  remarques  critiques,  une  introduction 
qui  consiste  surtout  dans  la  reproduction  d'un  article- ancien  sur  la  métrique 
anglo-normande.  C'est  un  sujet  fort  discuté  depuis  quelques  années  (voy. 
ci-dessus,  p.  144);  disons  seulement,  quelque  opinion  qu'on  puisse  avoir 
sur  l'ensemble  de  la  question,  que  les  vers  d'Adgar  ont  certainement  été 
faits  pour  être  des  vers  de  huit  syllabes,  et  ne  manquent  leur  but  que  par 
la  faute  du  copiste,  ou,  rarement,  celle  de  l'auteur. 

Sir  Gonther.  Eine  englische  Romanze  aus  dem  XV  Jahrhundert,  kritisch  heraus- 
gegeben nebst  einer  litterarhistorischen  Untersuchung  ùber  ihre  Quelle 
sowie  den  gesamten  ihr  verwandten  Sagen-und  Legendenkreis,  mit  Zugrun- 
delegung  der  Sage  in  Robert  dem  Teufel,  von  Karl  Breul.  Oppein,  Franck, 
1886,  in-8,  xvi-241  p.  —  La  partie  de  cet  excellent  ouvrage  qui  nous  in- 
téresse le  plus  est  le  chapitre  V  (p.  45-134),  consacré  à  la  légende  qui  fait 
le  sujet  de  Sir  Gowlher,  légende  très  voisine  de  celle  de  Robert  le  Diable. 
M.  Breul  étudie  cette  légende  dans  toutes  ses  formes  avec  beaucoup  de  science 
et  de  pénétration.  Il  montre  qu'elle  n'a  rien  d'originairement  normand 
(cf.  Rom.  IX,  523),  et  il  y  voit  la  transformation  chrétienne  d'un  vieux  conte 
mythologique;  sur  cette  dernière  partie,  il  y  aurait  peut-être  à  faire  quelques 
réserves  de  détail,  mais  l'absence  de  tout  fond  historique  est  parfaitement 
mise  en  lumière.  Nous  pensons  que  le  nom  de  Robert  donné  au  héros  de  la 
légende  est  antérieur  à  la  localisation  de  cette  légende  en  Normandie,  et 
qu'il  a  donné  lieu  à  cette  localisation  de  se  produire.  Une  très  riche  biblio- 
graphie et  un  appendice  contenant  dix  textes  relatifs  à  Robert  le  Diable  ter- 
minent cet  intéressant  volume. 


Le  Propriétaire-gérant  :  F.  VIEWEG. 


ImprimeHe  Durand,  à  Chartres. 


NOTICE   D'UN    MS.    MESSIN 

^Montpellier  164  et  Libri  961 


Entre  les  manuscrits  de  la  collection  Libri  signalés  en  1883  par 
M.  Delisle  comme  ayant  été  dérobés  à  plusieurs  de  nos  bibliothèques 
publiques,  et  qui  par  suite,  n'ayant  été  acquis  ni  par  le  gouvernement 
anglais  ni  par  le  gouvernement  italien,  sont  restés  en  la  possession  de 
M.  le  comte  d'Ashburnham,  se  trouve  un  portefeuille  décrit  ainsi  qu'il 
suit  sous  le  n"  96  du  catalogue  des  mss.  vendus  par  Libri,  en  1847,  au 
feu  comte  d'Ashburnham  : 

Varia,  x"  Oraiiones  ad  missam.  2°  Vita  Sanctorum.  3»  Capitulationcs  de 
Marscilla  de  l'an  1257  et  de  l'an  1262.  4°  Ci  après  exent  '    li  terre  Prestre  Jehan. 

Manuscrit  sur  vélin,  in-folio,  de  diverses  époques  et  de  différentes  mains.  Le 
le""  2  est  à  deux  colonnes,  du  ix"'  siècle,  avec  unegrande  lettre  initiale  en  couleurs 
au  commencement.  Le  2'^,  également  à  deux  colonnes,  est  du  xiv>=  siècle.  Le  3% 
à  longues  lignes,  est  en  provençal,  d'une  écriture  du  xv«  siècle.  Le  4'',  écrit  à 
deux  colonnes,  est  du  xiv'^  siècle. 

Ce  recueil  se  compose  donc  de  quatre  fragments  qui  n'ont  aucun 
rapport  les  uns  avec  les  autres.  Ce  sont  des  débris. 

Le  savant  directeur  de  la  Bibliothèque  nationale  a  établi  que  le 
premier  et  le  plus  ancien  de  ces  quatre  morceaux  a  été  arraché  au  ms. 
122  de  la  Bibliothèque  d'Orléans  h  L'origine  des  trois    autres  morceaux 


1.  Libri  a  mal  lu.  Il  faut  lire  enxeut  {^=z  ensuit). 

2.  Sous-entendu  «  article  ». 

3.  Nûlice  sur  plusieurs  mss.  de  la  Bibliothèque  d'Orléans.,  dans  les  Notices  et 
Extraits  des  mss.,  XXXI,  première  partie,  p.  370  (p.  14  du  tiré  à  part).  Cf. 
Les  mss.  du  comte  d'Ashburnham,  Rapport  au  Ministre  de  l'Instruction  publique, 
p.  21. 

Romania,  XV  1 1 


102  P-    MEYER 

n'a  pas  encore  été  déterminée.  On  a  pu  légitimement  supposer  qu'ils 
avaient  été  détachés  de  manuscrits  appartenant  à  nos  bibliothèques.  Leur 
apparence  et  le  voisinage  compromettant  des  feuillets  arrachés  au  ms, 
d'Orléans  favorisent  cette  supposition.  Il  y  a  lieu  notamment  de  croire 
que  le  troisième  article  [capitulations  de  Marseille),  où  se  lisent  quelques 
mots  de  la  main  de  Peiresc,  a  été  pris  à  Carpentras,  où  Libri  a  tant 
volé  '. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  fragments  2  et  3,  j'apporte  présentement  la 
preuve  que  le  quatrième  morceau  a  été  pris  dans  un  manuscrit  de  la 
Bibliothèque  de  l'Ecole  de  Médecine  de  Montpellier.  Mais  d'abord  il 
convient  de  décrire  ce  fragment.  Il  se  compose  de  douze  feuillets  écrits 
d'une  grosse  écriture  gothique  penchée  de  la  fm  du  xiv  siècle,  à  deux 
colonnes  par  page,  et  numérotés  anciennement  jiii''^  et  ij  à  iiij''^  et  xiij. 
Les  dimensions  du  parchemin  sont  0,323  pour  la  hauteur  et  0,246 
pour  la  largeur.  Ces  douze  feuillets  forment  deux  cahiers,  l'un  de  quatre 
feuillets  doubles,  l'autre  de  deux.  Ils  contiennent  trois  opuscules  écrits  en 
français,  ou  plutôt  en  dialecte  messin  :  1"  la  lettre  du  prêtre  Jean  ;  2"  un 
morceau  sur  les  litanies  ;  3"  une  consultation  médicale  sur  le  traitement 
de  la  goutte.  Les  deux  premiers  de  ces  opuscules  sont  écrits  à  39  lignes 
par  colonne,  le  troisième  à  35 . 

Muni  de  ce  signalement,  et  m'étant  gravé  dans  la  mémoire  la  form.e 
de  l'écriture,  j'étais  en  mesure  de  reconnaître  le  ms.  d'où  ces  feuillets 
avaient  été  arrachés  si  la  fortune  me  le  faisait  passer  sous  les  yeux.  Une 
circonstance  notable  me  permit  d'aider  la  fortune.  En  tête  du  troisième 
des  opuscules  ci-dessus  énumérés,  la  consultation  médicale,  était  écrite 
cette  rubrique:  Por  lez-  goutte  S''  lehan  à'Aix.  Or  dans  le  catalogue  des 
manuscrits  de  l'Ecole  de  médecine  de  Montpellier  5  se  lit  un  article 
ainsi  conçu  : 


1.  J'ai  copié  en  1867  à  .Ashburnhamplace  le  début  de  ce  morceau.  Le 
voici: 

Capitulations  de  Marseille,  mcclvii  c  mcclxii.  {Ces  mots  en  capitales  sont  de  la 
main  de  Peireso 

En  nom  de  nostre  senhor  Jhesu  Christi,  sia  a  ment,  l'an  de  la  incarnacion  .Mcclij.,  la  indicion  XV«, 
a  .iuj.  nonas  Junii,  sia  manifest  a!  touts  pressens  et  esdevenidors,  que,  com  entre  lo  noble  e  tresque 
illustre  senhor  Karlle,  filh  del  rey  de  França,  comte  d'Angieu  e  de  Provenssa  e  de  Forcalquier  e  mar- 
ques de  Provenssa,  en  nom  d'el  e  de  sa  molher  madama  Beatris,  tresque  illustre  conte.sa  e  marquessa 
dels  dis  contas 

En  marge  de  la  date,  Peiresc  a  écrit  Legendum  Mcclvii.  — On  reconnaît  à  pre- 
mière vue  que  ce  document  est  la  traduction,  faite  au  xv<=  siècle,  d'un  acte 
latin.  —  Au  fol.  vij  commence  la  traduction  des  statuts  de  Marseille  (l'original 
dans  Méry  et  Guindon,  II,  109  et  suiv.). 

2.  Lez  pour  la:  c'est  du  lor.'-ain. 

5.  Catalogue  général  des  niss.    des  bibliothèques  publiques  des  départements^ 


\ 


NOTICE    d'un    MS.    messin  ib] 

N-  164.  In-folio  sur  vclin.  —  i-^  «  Ari.stote,  don  gouvcrnemant  des  rois.  — 
2°  Ci  Comacet  1  il  passion  Jhesu  Crit.  —  xiv*-'  siècle. 

De  l'oratoire  deTroyes,  donné  par  de  Corberon  en  i~64.  Il  y  a  en  U'ie  les  armoiries  de  Sire 
Jehan  d'Aix... 

La  mention  des  armoiries  de  sire  Jehan  d'Aix  me  donna  à  penser 
que  ce  livre  pouvait  bien  être  celui  dont  avaient  fait  partie  les  feuillets 
contenant  la  consultation  relative  à  la  goutte  de  sire  Jehan  d'Aix  men- 
tionnée plus  haut.  Sur  ma  demande  le  manuscrit  me  fut  envoyé  à  Paris, 
et  je  reconnus  au  premier  aspect  l'écriture  et  la  langue  du  fragment  con- 
tenu dans  le  n"  96  de  la  collection  Libri.  Les  dimensions  sont  les  mêmes 
de  part  et  d'autre;  le  ms.  de  Montpellier  est  à  deux  colonnes  et  à  39 
lignes  par  colonne.  Enfin  le  dernier  feuillet  de  ce  ms.  est  numéroté  iiij 
et  j,  tandis  que  le  premier  des  douze  feuillets  volés  par  Libri  est  numé- 
roté iiij^''  etij.  D'ailleurs  l'examen  de  la  reliure  du  ms.  de  Montpellier 
montre  avec  évidence  que  plusieurs  feuillets  ont  été  arrachés  à  la  fin.  Il 
ne  peut  donc  rester  aucun  doute  sur  la  provenance  du  fragment  actuel- 
lement conservé  à  Ashburnhamplace. 

Je  vais  maintenant  indiquer  le  contenu  du  ms.  dans  son  entier, 

Le  ms.  de  Montpellier  a  conservé  sa  reliure  originale,  formée  de  deux 
ais  recouverts  de  cuir  gaufré.  Elle  est  endommagée  par  de  nombreuses 
piqûres  de  vers.  Pour  la  protéger,  le  livre  a  été  placé,  à  une  époque 
récente,  dans  un  étui. 

Il  contient,  en  son  état  actuel,  58  feuillets  paginés  d'une  main  moderne, 
précédés  d'un  feuillet  de  garde  entièrement  blanc  qui  n'est  pas  compris 
dans  la  pagination.  Les  dispositions  matérielles  sont  celles-ci: 

Trois  feuillets,  le  premier,  resté  blanc,  n'est  pas  paginé,  les  deux  sui- 
vants sont  numérotés  i  et  2  . 

Cahier  I,  fï.  3  a  10. 

Cahier  II,  ff.  11  à  18. 

Cahier  III,  ff.  19  a  26. 

Cahier  IV,  flf.  27  à  34. 

Cahier  V,  ff.  35  à  42. 

Cahier  VI,  ff.  43  à  50. 

Cahier  VII,  fï.  $  i  à  58. 

A  l'intérieur  du  plat  supérieur  de  la  reliure  est  collé  un  feuillet  de 
parchemin  au  haut  duquel  on  lit,  d'une  écriture  qui  parait  appartenir  aux 
dernières  années  duxv*  siècle: 


.  Lisez  comancd. 


164  P-    MEYER 

Plus"  biais  enssignement  d'Aristotes  fait  a  Alixandre,  et  plus"  morallitez. 
It.,  la  passion  notre  S^ 
Il  y  ayt  une  table  an  cest  livre,  qui  est  devant  l'istoire  delà  passion  JhesuCrist'. 

Les  feuillets  actuellement  numérotés  i  et  2,  qui  sont  d'anciens  feuillets 
de  garde,  sont  en  partie  écrits.  Le  recto  du  premier  est  occupé  entiè- 
rement par  une  énumération,  écrite  au  xv^  siècle,  des  vertus  du  gui  de 
chêne.  En  voici  les  premières  et  les  dernières  lignes  : 

C'est  la  vertus  du  wy  de  chelne. 

Je  Ypocras,  le  plux  soverain  maistre  en  médecine  qui  onquez  fuit  sur  terre, 
aix  vehu  en  mon  livre  la  vertu  que  le  wy  de  chelne  ait.  Et  est  la  millour  made- 
cine  et  maistrie  qui  onquez  iuit.  La  premier  vertu  est  qui  que  onque  panrait^ 
de  la  corse  du  ,wy  de  chêne  et  la  met  en  poure  et  en  uset  avec  yauwe  de 
vie,  il  deschasset  les  fievrez  cottidianez,  lez  autrez  fievrez,  les  fievrez  tiercennez 
et  les  fievrez  quartainnez 

Item,  celle  parsone  qui  par    l'espasse    de    .vij.  ans  maingerait  du    wy 

de  chelne  a  june,  jamaix  ne  serait  entachiet  de  la  fort  malladie.  Et  ont  approvey 
lez  maistrez  qui  ci  dessus  sont  escripz  ^  la  puissance  que  le  dit  wy  de  chelne 
ait. 

Le  wy  de  chelne,  nous  l'appelions  par  de  sa  le  wix,  que  croist  sus  ung  chelne, 
maix  d'autre  arbe  il  n'est  point  vertuous,  fors  que  cil  que  croist  sus  le 
chelmez  (sic).  Et  pour  tant  l'apellet  on  wy  de  chelne  ou  guy  de  chêne.  Et 
duquel  boix  ons  en  met  dedens  lez  anelz  d'argent  ou  d'or  pour  touchier  au  vis, 
et  en  font  on 4  dez  patenostrez,  et  lez  portent  on  pars  médecine  et  par  la  grant 
vertut  qu'il  portet,  comme  dessus  est  dit. 

Le  verso  est  blanc,  comme  aussi  le  recto  du  feuillet  2.  Au  verso 
du  feuillet  2  se  lit  une  table  sommaire  écrite  de  la  même  main  que 
les  notes  du  feuillet  collé  sur  le  plat.  Elle  est  ainsi  conçue  : 

Il  y  ait  une  table  en  cest  Ibr.,  .iiij.  fueillet  devant  l'istoire  la  passion  nostre 
S""  Jesucrist,  et  qui  est  nombrée  et  signée,  laquelle  deust  estre  sy  devant  ou  a  la 
fin  darier  de  ce  livre. 

It.,  a  premier  plus"  bialz  dis  et  enssignemens  d'Aristotes  fait  a  Allixandre, 
et  plus"  belles  moralitez  pour  le  cor  et  pour  l'armes. 


1.  Au-dessous  de  ces  lignes,  au  milieu  du  parchemin,  est  collée  une  gravure 
des  armes  du  sieur  de  Corberon  à  qui  le  ms.  a  appartenu  et  qui  l'a  donné  à 
l'Oratoire  de  Troyes. 

2.  Forme  lorraine,  «  prendra  ». 
5.  Hippocrate  et  Constantin. 

4.  On  trouvera  plus  loin  (p.  171)  un  autre  ex.  du  verbe  au  plur,  avec  on 
pour  sujet  :  lez  pouront  on. 

5.  Ou  ;7£r  :  il  y  a  un  /?  barré. 


NOTICE    d'un    MS.    messin  165 

It.,  la  passion  Nostre  S""  Jesucrist. 
It.,  plus"  altres  choses  après. 

It. ,  plus"  belles  et  bonnes  dotrines  de  régimes  et  medecinnes,  tant  pour  le  cors 
comme  pour  l'armes  que  sont  nécessaire  a  savoir. 

It.,  la  vertus  du  guis  de  chelnes  est  sy  devant  escriptes. 

Au  bas  du  feuillet,  et  toujours  de  la  même  écriture,  on  lit  les  deux 
couplets  dont  je  donne  le  fac-similé  et  la  transcription  : 

Quant  les  vivans  s'amanderont, 
Toutes  mes  trompes  tromperont. 

Ma  trompe  sonnera  haulx  ton 
Quant  le  monde  devendra  bon. 

On  voit  que  le  mot  souligné,  dans  chacun  des  deux  couplets,  n'est  pas 
écrit  :  il  est  figuré  par  un  dessin  rudimentaire  qui  apparaît  déjà  sur  le 
feuillet  adhérent  au  plat,  et  dans  lequel  on  doit  reconnaître  sans  hésita- 
tion une  guimbarde  ou  trompe  d'Allemagne.  Il  n'y  a  aucun  doute  sur  la 
signification  de  ce  dessin  qui  est  un  indice  certain  de  la  provenance  du  ms. 
C'est  l'emblème  bien  connu  d'une  famille  qui  tint  un  rang  considérable 
à  Metz  du  xiv«  siècle  au  xvi%  la  famille  d'Escli  dont  le  nom  est  écrit 
dans  notre  ms.  d'Aix  '. 

M.  Bonnardot  a  signalé  le  même  dessin  en  plusieurs  endroits  du  ms. 
189  de  la  Bibliothèque  d'Epinal  dont  il  a  donné  une  description  détaillée 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes  français,  année  1876,  pp. 
64  et  suiv.  Il  y  a  plus  :  M.  Bonnardot  a  cité  d'après  ce  même  ms.  deux 


1 .  Metzeresche,  commune  du  canton  de  Metzerwisse,  ancien  arrondissement 
de  Thionville  ;  voy.  S.  Berger,  La  Bible  française  au  moyen  âge,  p.  41  . 


l66  p.    MEYER 

distiques  (p.  65)  qui  sont,  sauf  une  variante  insignifiante  ',  identiques  à 
ceux  qu'on  vient  de  lire.  Le  ms.  d'Epinal  est  de  diverses  mains.  La 
partie  la  plus  récente  contient,  entre  autres,  une  pièce  qui  a  dû  être  écrite 
en  1462.  M.  Bonnardot  (p.  66)  attribue  cette  partie  du  ms.  d'Epinal  à 
Philippe  II  d'Esch,  maître  échevin  de  Metz  en  1 46 1 ,  qui  mourut  en  1 477  ^. 
Cette  attribution  paraît  conjecturale.  Du  moins  M.  Bonnardot  l'énonce 
sans  la  démontrer.  N'ayant  pas  vu  le  ms.  d'Epinal,  j'ignore  si  les  deux 
distiques  sont  de  la  main  qui  a  tracé  ces  mêmes  distiques  sur  le  ms.  de 
Montpellier.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  que  l'écriture  dont  on  a  vu  ci-dessus  un 
spécimen  n'est  pas  celle  de  Philippe  d'Esch.  C'est  celle  d'un  autre  membre 
de  la  même  famille. 

Le  ms.  de  Montpellier,  en  effet,  et  celui  d'Epinal,  ne  sont  pas  les 
seuls  livres  connus  pour  avoir  appartenu  aux  d'Esch.  M.  Bonnardot 
(p.  6$,  note)  a  signalé,  comme  ayant  la  même  provenance,  les  ms. 
^,  161,  195,  302,  403  de  la  bibliothèque  de  Metz,  et  on  peut  ajouter 
à  cette  liste  le  ms.  2083  de  l'Arsenal  contenant  une  version  française 
des  épitres  et  évangiles,  décrit  par  M.  S.  Berger  dans  son  livre  intitulé 
La  Bible  française  au  moyen  âge,  p.  36  5.  Or,  le  ms.  de  l'Arsenal  a  certaine- 
ment appartenu  au  même  possesseur  que  le  ms.  de  Montpellier.  A  la 
vérité,  les  vers  ci-dessus  rapportés  ne  s'y  trouvent  pas,  mais  on  y  lit, 
au  premier  et  au  dernier  feuillet,  ces  mots,  dont  l'écriture  est  certaine- 
ment celle  que  fait  connaître  le  fac-similé  donné  plus  haut  ;  Espoir  en 
Dieu,  Esch  ;  a  Jaiques.  Au  devant  de  cette  note  est  dessinée  à  la  plume 
la  guimbarde.  Au  verso  du  premier  feuillet  est  peint  Técu  armorié  dont 
la  présence  a  été  signalée  dans  le  ms.  de  Montpellier.  Il  est  donc  incon- 
testable que  les  deux  mss.  ont  appartenu  au  même  personnage,  Jacques 
d'Esch,  et  ce  Jacques  devait  être,  comme  l'a  déjà  dit  M.  Berger  décrivant 
le  ms.  de  l'Arsenal,  Jacques  d'Esch,  seigneur  de  Bazoncourt  et  des 
Etangs,  mari  de  Françoise  de  Gournai,  mort  en  14895. 
Reprenons  maintenant  l'examen  du  ms.  de  Montpellier  : 
Avec  le  feuillet  3  qui  est  le  premier  du  premier  cahier,  commence  le 
ms.  proprement  dit.  Dans  la  marge  supérieure  sont  peintes  les  armoiries 
bien  connues  de  la  famille  d'Esch  :  l'écu  fascé  de  dix  pièces  d'hermine 
et  de  gueules-^.  Au-dessus  on  a  écrit,  au  siècle  dernier  :  «  Armoiries  du 
Sire  Jehan  d'Aix.  »  Nous  verrons  plus  loin  qui  était  ce  Jean  d'Aix. 
Dans  la  marge  inférieure  apparaît  de  nouveau  la  guimbarde,  cette  fois 
peinte  en  rouge. 


1 .  M.  Bonnardotalu5'«?(;?fro.'!/,làoùlems.deMontpellierporte5'am^rt(/(.TOrt/. 

2.  Voir  Hannoncelles,  Metz  ancien,  II,  64. 
].  Hannoncelles,  Metz  ancien,  II,  64-8. 

4  II  est  reproduit  dans  le  Metz  ancien  du  président  d'Hannoncelles,  II,  64. 


NOTICE    d'un    MS.    messin  167 

L'ancienne  pagination,  qui  se  poursuit,  comme  on  l'a  vu  plus  haut, 
dans  le  fragment  dérobé  par  Libri,  commence  au  fol.  17  de  la  pagina- 
tion actuelle,  et  elle  débute  par  le  n"  xl,  se  poursuivant  régulièrement 
depuis  lors.  On  ne  s'explique  pas  d'abord  pourquoi  on  a  fait  commencer 
ainsi  cette  pagination,  étant  d'ailleurs  certain  qu'il  n'y  a  aucune  lacune, 
ni  à  cet  endroit  ni  entre  les  feuillets  qui  précèdent.  Voici  l'explication. 
Au  fol.  17  commence  le  chapitre  xl  du  premier  des  articles  contenus 
dans  le  ms.  ;  au  fol.  18  se  trouve  le  chapitre  xlj.  On  s'est  avisé  d'écrire 
au  haut  de  ces  deux  feuillets  les  chiffres  xl  et  xlj,  et  ces  deux  numéros 
sont  devenus  le  point  de  départ  d'une  pagination  qui  a  été  continuée  jus- 
qu'à la  fm  du  volume.  Cette  pagination  paraît  être  de  la  main  qui  a  écrit 
les  diverses  notes  du  feuillet  collé  sur  le  plat  delà  reliure  et  du  feuilleta, 

Passons  maintenant  à  l'analyse  du  manuscrit. 

1. 
Traduction  du  secretum  secretorum. 

On  sait  que  le  Secretum  Secretorum  a  été  depuis  son  apparition  en 
Occident,  auxii«  siècle,  l'un  des  ouvrages  les  plus  lus  de  la  littérature 
morale  du  moyen  âge.  Le  texte  latin  se  rencontre  en  iine  infinité  de  mss., 
et  a  été  plusieurs  fois  imprimé  au  xv'=  siècle  et  au  xvi"  ;  il  en  existe  des 
traductions  en  diverses  langues  romanes  ;  en  français  notamment  on  en 
connaît  plusieurs,  soit  en  vers  soit  en  prose,  qui  n'ont  été  jusqu'à  ce  jour 
ni  étudiées  ni  même  simplement  distinguées  les  unes  des  autres  '.  Il  n'y 
a  pas  lieu  de  traiter  incidemment  ici  un  sujet  qui  fournirait  facilement  la 
matière  d'un  mémoire  d'une  certaine  étendue;  je  donnerai  toutefois  un 
court  extrait  de  la  traduction  que  renferme  le  ms.  de  Montpellier,  puis 
dans  un  appendice  à  la  présente  notice,  je  citerai  à  titre  de  rapproche- 
ment quelques  lignes  d'autres  traductions  françaises  en  prose. 

Voici  d'abord  le  début  des  premiers  paragraphes  du  texte  latin,  d'après 
l'édition  publiée  à  Bologne  en  1501  : 

(Fol.  2  a).  Philosophorum  maximi  Aristoteiis  Secretum  secretorum,  aiio 
nomine  liber  moralium  de  regimine  principum  ad  Alexandrum. 

Domino  suc  excellentissimo  et  in  cuitu  christiane  religionis  strenuissimo  Gui- 
don] vere  de  Valentia,  Tripoli  glorioso  pontifici  2,  Philippus  suorum  minimus 
clericorum,  se  ipsum  et  fidèle  devotionis  obsequium. 

1.  Dans  un  article  du  Jahrbach  f.  rom.  u.  engl.  Literatur,  X  (1869),  162-4, 
M.  H.  Knust  a  rassemblé  un  certain  nombre  de  notes  bibliographiques  sur  les 
versions  françaises  du  Secretum.  C'est  un  travail  dont  il  n'y  a  absolument  rien  à 
tirer,  étant  exécuté  presque  entièrement  de  seconde  main,  d'après  des  catalogues 
fort  imparfaits,  dont  les  indications  n'ont  pas  été  toujours  comprises,  et  sans 
aucun  souci  de  distinguer  les  diverses  traductions  les  unes  des  autres. 

2.  A.  Jourdain  {Rech.  sur  les  anc.  trad.  ht.  d'Aristote.  i"^  édit.,  1843,  p.  147- 


I68  p.    MEYER 

Quantum  luna  ceteris  stellis  lucidior  et  solis  radius luciditate  lune  fulgentior, 
tantum  ingenii  vestri  claritudo  vestreque  scientie  profunditas  cunctos  citra  mare 
modernos  in  iitteratura  exuberat,  tam  barbaros  quam  latinos,  nec  est  aliquis 
^ane  mentis  qui  huic  sentenlie  valeat  refragari,  quia  cum  largitor  gratiarum,  a 
quo  cuncta  bona  procedunt,  singula  suis  dona  distribuit,  ubi  soli  videtur  gra- 
tiarum et  scientiarum  dona  contulisse 

(c)  Deus  omnipotens  custodiat  regem  nostrum  ad  gloriam  credentium,  et  con- 
firmet  regnum  suum  ad  tuendam  legem  divinam  suam,  et  perdurare  faciat  ipsum 

ad   exaltandum  honorem  et  laudem  bonorum (d)  Quando  enim  Alexander 

subjugavit  sibi  Perses  et  captivavit  magnâtes,  direxit  epistolam  suam  ad  Aris- 
totelem  sub  hac  forma  :  Doctor  eggregie,  rector  justicie,  significo  tue  prudentie 
me  invenisse  in  terras  Perses  quosdam  habentes  habundantem  rationem,  intel- 
lectum  penetrabilem 

(Fol.  3  a).  Prologus  Joannis  qui  transtulit  librum. 

Joannes  qui  transtulit  istum  librum,  filius  Patricii,  linguarum  interpretator 
piissimus  et  fidelissimus,  inquit:  Non  reliqui  locum  neque  templum  in  quibus 
philosophi  consueverint  componere  et  deponere  sua  opéra  et  sécréta  que  non 
visitaverim 

Fiii  gloriosissime,  justissime  imperator,  confirmât  te  Deus  in  via  cognoscendi 
semitam  veri  et  virtulis 

Voici  maintenant  le  début  et  la  fin  de  la  version  que  nous  offre  le 
manuscrit  de  Montpellier,  et  qui  m'a  paru  abrégée  en  certaines  parties  : 

{Fol.  3).  Ou  non  dou  Peire,  dou  Fil  et  dou  Saint  Esperit,  amen. 

Si  coumancet  li  livres  dou  gouvernement  de  rois,  des  princes  et  des  autres 
signours.  Ou  livre  c'on  dit  le  livre  des  secreis  Aristote  le  philosophe  a  Alixandre 
le  roi,  ouquel  une  chacune  personne  puet  panre  bonne  doctrine  et  profitable,  ou 
sont  les  mandemans  c'Aristotes  li  souverains  de  philosophes  anvoiait  a  grant  roy 
Alixandre  son  disciple,  li  quels  livre  fui  trais  d'arabique  en  latin  en  la  meniere 
qui  s'anxeut. 

Cl  comancct  li  prologues  de  celi  qui  translaitait  cest  livre  de  lai  langue  arabike 
an  lai  langue  latine  ./. 

A  son  très  excellant  signour  et  très  noble,  uzant  de  la  foy  cristienne  Guys 
de  Vallance,  glorious  esveques  de  la  citeit  de  Tripolle,  Philippes  li  plus  petis 
de  ces  clers  se  recomandet  a  ly  dou  tout  et  son  fiable  servise  en  devocion.  Une 
choze  fut  qu'a  vostre  debonnair[et]eit  parvint  cis  livres  ouquel  bien  sont  con- 
tenues toutes  chozes  profitaubles  de  toutes  sciences.  Sachiés  que  quant  j'estoie 
avec  vous  par  dever  Anthioche,  ou  ceste  marguerite  de  philosophie  fut  trovée, 
il  vous  pleut  qu'elle  fut  transcrite  et  translatée  de  la  langue  arabique  an  la 
langue  latine;  pour  la  quel  choze  je  obeyxans  humblement  a  vostre  volanteit  ai 


8),  s'est  demandé  si  ce  Guido  ne  serait  pas  le  prélat  désigné  par  G.  dans  une 
charte  de  vente  faite  par  Ham,  connétable  deTripoli,  aux  Hospitaliers,  en  1  204 
iPaoli.  Codice  diplomatico,  1,  95).  Vérification  faite,  cette  identification  n'est  pas 
admissible.  Nous  ne  savons  rien  de  cet  évêque  de  Tripoli. 


NOTICE    d'un    MS.    messin  169 

trait  fuer  cest  livre  avoc  grant  labor  par  pairolles  reluxans  dou  langaige  c'om 
dit  arabike  en  latin.  Lequel  livre  Aristoles  li  très  saiges princes  dez  philosophes 
composait  a  la  peticion  d'Alixandre  (b)  son  disciple,  li  quels  Alixandre  prioit 
Aristote  par  ces  lettres  qu'i  vouxit  venir  a  li.  Maix  Aristotes,  anpechiés  et 
aigreveis  pour  viellesse  et  la  pezantize  de  son  cors  ne  pooit  venir  a  Alixandre, 
li  quels  Aristotes  s'ecuzait  en  ceste  meniere  : 

C'est  li  responce  ^u  Aristotes  fit  a  la  requeste  d'Alixandre  .ij. 

0  très  débonnaires  amperour,  je  ait  {sic)  antandut  plennement  cornant  tu 
desires  que  je  fuxe  avec  toi,  et  se  te  mervelle  cornant  je  mepuxatenir  deta  véné- 
rable compaignie,  et  si  me  reprans  que  j'ai  petite  cusançon  de  tes  ewres  et  de 
tes  besongnes.  Pour  queil  choze  je  t'ai  fait  cestuit  (51c)  livre 

Autres  Ictres  d'Alixandre  a  Aristotes  Jij . 

0  reverans  maistre,  je  faix  asavoir  a  vostre  prudance  que  j'ai  mis  en  ma 
subjection  et  an  mon  anpire  novellemant  les  Persans  qui  (c)  sont  gens  abondans 
de  raison  et  d'antandemant 

Le  prologue  attribué,  dans  le  texte  latin,  à  «  Joannes  filius  Patricii  » 
fait  ici  défaut.  Les  chapitres  de  médecine  et  d'hygiène  (éd.  de  Bologne, 
fol.  ioa-i')d)  sont  également  omis. 

Fin  (fol.  18^) 

Li  fin  de  cest  livre. 

Ci  fenit  li  livres  dou  gowernemant  des  rois,  le  queil  Aristotes,  lisowerains  phi- 
losophes, composait  et  fit  a  l'instruction  dou  grant  roy  Alexandre  qui  fut  so- 
werains  rois  de  tou  le  monde,  qui  an  son  anfance  et  en  sai  jonesse  avoit  esteit 
disciples  d'Aristotes  desus  nomeis. 

Ci  s'anxeut  une  tauble  de  la  matière  qu'est  contenue  ou  liwre  por  trower  plus 
aipertemant  ce  c'en  vourait  lire  et  quérir. 

Suit  la  table  des  41  chapitres  de  l'ouvrage. 
II 

Enseignement  d'Aristote  a  Alexandre. 
Cet  enseignement  est  tiré  du  premier  livre  de  l'Alexandreis  de  Gautier 
de  Châtillon,  vers  72  et  suiv.  La  traduction,  sans  être  littérale,  est  pas- 
sablement exacte,  et  ne  paraîtra  pas  dépourvue  de  mérite,  si  l'on  tient 
compte  de  la  nature  du  texte  qui  n'était  réellement  pas  facile  à  rendre 
en  ancien  français.  Faut-il  supposer  qu'il  a  existé  une  traduction  com- 
plète de  VAlexandreis  dont  nous  aurions  ici  un  fragment  copié  à  part  ?  Je 
ne  le  pense  pas.  Les  conseils  d'Aristote  à  Alexandre  devaient  être  un 
morceau  célèbre,  car  Rutebeuf  les  a  mis  en  vers  français  ' ,  et  il  en  existe 

I.  Le  dit  d'Aristote,  deuxième  édition  de  Jubinal,  II,  93. 


lyO  p.    MEYER 

une  autre  traduction  en  prose  dont  je  donnerai  un  extrait  dans  un  appen- 
dice au  présent  mémoire.  Le  rapprochement  de  cet  extrait  àeVAlexandreis 
et  du  Secretum,  dans  notre  ms.,  ne  doit  pas  être  fortuit.  C'est  l'analogie 
du  sujet  qui  a  conduit  le  copiste,  ou  celui  qui  a  dirigé  l'exécution  du  ms. 
à  réunir  ces  deux  écrits.  Il  n'est  guère  douteux  en  effet  que  Gautier  de 
Châtillon  se  soit  inspiré  du  Secre/umpour  composer  le  discours  qu'il  prête 
à  Aristote.  Remarquons  que  le  même  morceau  se  retrouve  dans  le  ms. 
d'Epinal  mentionné  plus  haut'.  Il  est  probable  qu'il  y  aura  été  copié 
d'après  notre  manuscrit. 

(Fol.  19  fl)  Apres  vcci  un  notable  ansignemans  c'Aristoles  donnait  az  roy 
Alexandre  son  disciples. 

Aristotes  trowait  une  foix  lez  roy  Alexandre  plorant;  ce  li  demandait  qu'il 
avoit.  Et  Alex,  li  respondit  que  ces  peires  estoit  ci  wiés  qu'i  ne  se  pooit  plus 
deffandre  contre  (b)  i'ampereur  de  Perce.  Dont  li  dit  Aristotes  :  «  Biaus  filz, 
«  laixe  l'anfance  et  pran  cuer  d'omme.  Tu  ais  mastrie  an  toi  de  vertus  :  ce  la 
«  met  a  ewre,  et  combien  que  tu  le  puixes  faire,  apran  conmant  tu  dois  owreir. 
«  Toute  chozes  doient  estre  conmancies  par  conseil,  et  il  sont  moult  de  malvaix 
I.  consillours.  Pour  ceu  t'apran  le  queilgenstu  dois  eslire  a  ton  conseil.  Gairde 
«  toi  de  celui  qui  ait  .ij.  langues  et  dou  fellon  et  dou  cowoitou.  Note  bien  2  : 
((  N'essaciet  point  celui  qui  par  son  vice  et  par  son  malice  doit  estre  au  bas, 
«  car,  tout  auci  corn  l'yaue  qui  ce  desrivet  est  plus  crueuse  que  celle  qui  court 
«  son  droit  cours,  ency  est  plus  orguillous  et  plus  cowoitous  li  cers  essauciez 
a  quant  il  est  osteit  dou  lieu  ou  il  dovreit  5  demoreir  anvers  le  franc  qui  tout 
«  jour  ait  esteit  honoreis  4    ». 

Fin  (fol.  iç)  d]: 

Après  li  princes  doit  estre  deboinnaires  et  honteus  de  mal  faire,  honoraubles 
d'anxeure  les  millours  et  ameir  lez  loys,  repanre  lez  gens  cortoizemant,  delaixier 
lai  vangence  tant  que  l'yre  soit  passaie  ;  ne  li  doit  point  remambrer  de  lai  haine 
après  lai  paix  S. 


1.  Voy.  Bulletin  de  la  Soc.  des  anciens  textes  français,  1876,  p.  69. 

2.  Ces  deux  mots  en  rouge. 

3.  Ms.  dôneroit. 

4.  Voici  le  passage  correspondant  de  VAlexandreis: 

82  Indue  mente  virum,  Macedo  puer,  arma  capesse  ; 
Materidm  virtutis  habes,  rem  profer  in  actum, 
Quoque  modo  id  possis,  aares  adverte,  docebo. 

85  Consulior  procerum  servos  contemne  bilingues 
Et  nequam,  nec  quos  humiles  natura  jacere 
Precipit  exalta  :  nam  qui  pluvialibus  undis 
Intumuit  torrens  fluit  acrior  amne  perenni. 
Sic  partis  opibus  et  honoris  culmine  servus 

90  In  dominum  surgens,  truculentior  aspide  surda, 
Obturât  precibus  aures,  mansuescere  nescit. 
<).  Akxandrcis  : 

Nec  desit  pietas,  pudor  et  reverentia  recti, 
Divinos  rimare  apices,  mansuesce  rogatus, 


NOTICE    d'un    MS.    messin  I7I 


m 


Des  Quatre  Ages. 
Cet  opuscule  a,  pour  le   sujet,  quelque  rapport  avec  le  traité  bien 
autrement  intéressant  de  Philippe  de  Navarre  des  quatre  temps  d'âge 
d'homme;  il  en  est  toutefois  entièrement  indépendant.  11   suffira    d'en 
donner  un  extrait. 

(Fol.  19  d)  Ci  devisons  tous  lez  aiges  de  la  pcrsone  :  premier  conmant  on  doit 
maintenir  les  anf'ans  en  jonesse  jcsques  a  l'aigc  de  .xx.  ans. 

La  sonme  de  bonne  anfance  ci  est  que  li  anfans  soient  duremant  doutis  et 
obeyxans  az  conmandemans  de  cyaulz  qui  lez  ont  ai  gairdeir,  et  par  ceu  lez  puet 
on  gairdeir  de  mort  et  de  perilz  et  de  mal  faire,  d'yre  et  de  moût  d'autre  menieres 
de  perilz,  tant  corn  il  sont  petis.  Et  quant  il  sont  .j.  poc  grans,  ce  il  sont  bien 
au  '  conmandement  obeyxans,  par  ceu  lez  pouront  on  apanret  (sic)  et  ansignier 
bien  et  saigemant  et  maintenir  a  l'estude  et  a  antandre  a  bien  savoir  acum  mestier. 
Car  il  n'avie[n]t  mie  sowant  que  anfes  facet  bien,  ce  ce  n'est  par  douteir  ou  par 
ansignemans  de  lor  maistres,  li  queilz  maistres  dolent  estre  teilz  que  il  saiche[n]t 
venir  a  chief  et  qu'i  congnoixe[n]t  la  meniere  dez  anfans,  car  lez  acuns  cowient  plus 
mestrieir  et  les  autres  moinx. 

Conmant  on  ce  doit  maintenir  an  jovant  (fol.  20)  antre  .xx.  et  .xl.  ans. 

La  somme  de  jovant  ci  est  que  li  jones  doient  bien  savoir  que  pour  jovant  ne 
doient  il  pas  vivre  conme  bestes  qui  font  naturelmant  lor  voulanteit  tou  sans 
pechiet... 

Conmant  on  ce  doit  maintenir  ou  moyen  aige  entre  .xl.  et  .Ix.  ans. 

(Fol.  20  b)  Conmant  on  ce  doit  maintenir  en  vielles  se  des  Ax.  ans  jestjues  a  la 
mort. 

La  somme  de  viellesse  est  la  darienne  et  que  moût  bien  affiert  a  vies  qu'i 
dongnet  bon  example  a  gens  de  bien  faire,  et  il  meymes  ce  doit  gairdeir  de  faire 
ewres  de  jonesse,  car  ce  sont  choze  que  trop  desplaizet  a  Dieu.  Maldis  cis 
que  [est]  anfes  d'ewres  et  vies  d'aige!  Et  tout  jours  doient  avoir  an  remam- 
brance  qu'i  sont  sus  l'oure^  de  lor  fosse,  et  que  nuns  ne  puet  eschapeir  de  la 
mort.  Et  il  meymes  ont  sowant  veut  morir  anfans  jones  et  moyeins,  ce  ce  doient 
recongnoistre  que  nostre  Sires  les  ait  tant  respiteit  an  aitandant  que  il  viengnet 
a  amandement,  ce  seront  sauf.  Et  por  ceu  doient  il  tout  jour  avoir  les  eulz 
owers  et  regairdeir  la  fosse  antantivemant  an  teille  meniere  qu'il  aient  tout  jours 


180  Legibiis  insuda,  civiliter  argue  sontes, 
Vindictam  differ  donec  pertranseat  ira, 
Nec  meminisse  velis  odii  post  verbera...  . . 

1.  Le  ms.  porte  plutôt  an;  mais  en  maint  endroit  l'u  est  fait  comme  une  n. 

2.  Corr.  6r,  bord. 


172  p.    MEYER 

la  chiere  (c)  vers  paraidiz  et  lez  dos  a  anfer.  Car  iiz  doient  savoir  que  par  tans  1 
seront  bouteis  dedans.  Et  ce  il  ce  trowe[n]t  en  bonne  plaice,  ce  l'averont  per- 
durablement;  et  ci  ce  trowe^njt  an  mavaixe,  il  seront  tormanteis  san  fin.  Deu  an 
deffandet  tous  crestiens  par  sa  miséricorde  et  dont  graice  a  tous  vielz  de  bien 
useir  lor  vieilesse  et  venir  a  bonne  fin  et  a  repos  perdurable  !  Amen. 


IV 


DÉBAT    DE   JeSUS-CHRIST    ET    DE    l'aME 

Dialogue  traduit  d'un  original  latin  que  je  ne  suis  pas  en  état  d'indiquer. 
Le  même  morceau  se  trouve  en  divers  mss.  d'origine  lorraine  :  Bibl.  de 
la  Faculté  de  médecine  de  Montpellier,  n"  43,  fol.  41  ;  Metz,  n°^  554  et 
67$  ;  Epinal,  n"  169  {Bulletin  des  anc.  textes,  1876,  p.  68). 

(Fol.  20  c)  Ci  après  s'anxeut  conmant  l'arme  argile  Jhesucrit  de  sai  miséricorde, 
et  conmant  Jhesucrit  li  respont. 

Nostres  Sires  parolletal'armeet  liarme  li  demande!  :  «Sires  Deus,»  fait  l'arme, 
n  je  dis  que  par  droit  deveis  avoir  mercyde  moy,  car  cej'ay  pechiet,  vous  estes 
«  misericors,  quepardoner  le  me  deveis.»  Respont  nostre  Sires:  «Bêle  amie,  ce 
«  je  suix  misericors,  auci  suix  je  droituriés,  pourquoi  jedoie  pugnirles  malz.  » 
L'arme  respont  :  «  Sires,  je  suix  si  powre  et  ci  despite  créature  que  poc  acroi- 
«  xeroit  vostre  justice,  ce  vous  preniés  vangance  de  ci  powre  créature...  » 

Fin  (fol.  2\  a): 

Nostre  Sires  respont  :  «  Damoizelle,  vous  m'argiieis  moût  fort  et  me  teneis 

«  moût  près.  Or  faxon  paix,  et  je  vous  congnoix  que  san  my  vous  ne  poeis  bien 

«  faire,  maix  faites  vostre  partie  bonne,  et,  cequ'affierta  moy,  vousmetrowereis 

«  aidés  aiparilliez.  »  Or  le  regraicie  !i  arme  et  li  demandet  paix  parfaite.  «  Sire, 

«  moût  grant  mercy.  Dont  je  vous  pry  et  requier  que  vous  me  pardonneis  mes 

«  pechiés  et  me  donneis  force  de  raipaizier  mai  sensualité!  et  ma  conplexion, 

«  et  tout  mon  mouvemant  2  desordenei  charnel  et  esperituel,  par  quoi  je  vous 

«  puixe  (Jol.  21  b)  servir  puremant,  ameir  et  amandeir  de  tout  mon  cuer  antie 

•  remant,  et  sowant  panceir  a  vous  devotemantî.  »  Amen. 


I .  Ms.  pariant. 

.2  11  y  a,  non  pas  mouremant,  mais  moucmant  avec  un  signe  d'abréviation  sur 
\'o.  Il  me  paraît  cependant  incorrect,  ici  et  en  quelques  cas  analogues  (voy.  page 
suivante),  de  transcrire  ce  signe  par  h. 

.3  La  fin  du  morceau  est  un  peu  différente  dans  le  ms.  45  de  Montpellier  (fol. 
41  c)  (f . . .  servir  purement  et  amandeir  de  tout  mon  cuer  entièrement,  et  so- 
«  vant  a  vos  panseir  dévotement,  et  que  je  soie  dou  tout  a  vos  traite  et  tout 
«  autres  choses  sans  vos  me  soient  a  tais,  et  vos  me  soiez  toute  mai  joie,  touz 
i  mes  confors  et  tous  mes  solais.  Amen.  » 


NOTICE    D  UN    MS,    MESSIN  17^ 


Il  s'agit,  dans  le  chapitre  transcrit  ci-dessous,  de  Jourdain  de  Borrentrick 
près  Mayence,  qui  fut  le  second  général  de  l'ordre  de  Saint  Dominique, 
et  mourut  en  1257.  On  peut  voir  sur  ce  personnage  Quétif  et  Echard,  1, 
9J-I00,  etOudin  III,  85-6.  Sa  \\e  esl'impnmée  àansksActa sanctorum, 
au  I  î  février.  Les  Bollandistes  ont  joint  en  appendice  à  cette  vie  une 
suite  d'exempla  tirés  du  Bonum  universale  de  apibus  de  Thomas  de  Can- 
timpré,  dont  frère  Jourdain  est  le  héros.  Je  n'y  vois  pas  figurer  l'histo- 
riette dont  la  teneur  suit.  Même  texte  dans  le  ms,  d'Epinal  189,  fol.  4 
{Bulletin  prêché,  p.  68). 

Ce  sont  lez  parollcs  que  li  ancmins  dit  de  la  tris  grant  biautè  nostre  Signour 
(f.  21  b). 

Il  avint  a  freireJordain,des  freires  proichours,qu'i  pairloit  a  une  personne  qui 
avoit  i'anemin  ou  cors,  et  demandait  a  l'anemin  an  queil  leu  qu'i  seroit  plus 
voulantier  ;  il  respondit  :  •  Ou  cielz.  >'  Et  il  li  demandait  la  cause  pour  quoi 
il  deziroit  estre  ou  cielz.  Il  li  respondit:  «  Pour  ceu  qu'i  veyt  lai  faisse  dou 
«  Creatour  ».  Et  li  freire  li  demandet  pour  quoi  il  lai  veireit  si  volantier.  Il 
respondit  :  «  Pour  ceu  que  je  lou  vis  on  poc  de  tans,  autretant  de  tans  com  on 
«  meteroit  a  clore  .j.  eulz;  mai.K  pour  autretant  a  veoir  sa  faice  a  dairien  jour 
«  je  vo'jrcie  que  je  soutTri.xe  jesques  a  celui  jour  lai  poinne  de  toutes  1  les  armes 
«  dampnées.  »  Quant  li  freires  oït  ceu,  il  fuit  si  formant  espowanteis  qu'i  sambloit 
qu'i  n'eût  an  ly  point  d'esperith.  Quant  il  fut  a  lui  revenus,  ce  dit  a  mavaix 
esperith  :  »  Tu  ais  moût  très  bien  dit,  maix  je  te  prie  que  tu  me  dies  lai 
«  conpairixon  d'aucunne  biautei  a  lai  biautei  dou  Creatour.  »  Li  mavaix  es- 
peris  respondit  :  «  Tu  [fjais  follie  de  dcmandeir.  Se  lu  estoies  aniens  moy  {sic) 
«  ajoins  et  2  creatour  par  ci  grant  vicinitei  com  je  ly  fus  ajoins  quant  j'estoiet 
«  encores  séraphin  et  croeis  a  ceu  que  veïxet  la  faisse  dou  Creatour,  et  je 
«  amsamble  tous  lez  bons  angres  et  lez  mavaix  et  tous  lez  (c)  sains  anconman- 
n  xaixet  a  dire,  nos  tuit  ne  poriens  nulle  choze  dire  que  tu  antandixes,  jai  soit 
«  ceu  que  tu  veïxes  la  faisse  dou  Creatour.  Grief  choze  m'est  acunne  choze  de 
«  ceste  comparixon  de  celle  biautei  non  comparauble,  maix  une  choze  te  dis 
a  qu'est  dou  tout  niant  a  regairt  de  la  veritei  :  Regairde  de  3  toutes  les  biauteis  sus 
<  toutes  lez  biauteis,  soit  de  coullours,  soit  de  gemmes,  c'on  dit  pieres  preciouses, 
«  ou  d'escharboucie  4  ou  de  toutes  autres  pieres,  ou  d'yvoire  ou  d'or  ou  d'argent, 
«  de  tous  metaul,  de  flours  et  de  toutes  lez  chozes  que  delitet  les  eulz  par  lor 
«  biautei  estoient  ansamble  an  un,  et  toutes  lez  estoiles  luxoient  a  lai  samblance 


1.  Ici  et  plus  bas  (I.  24  de  ce  morceau)  il  y  a  tôtcs^  et  de  même  (I.  4,1  j)  dô\ 
)e  ne  crois  pas  pouvoir  transcrire  tontes,  don,  bien  que  M.  Bonnardot  admette 
Ion,  don  pour  /ou,  dou,  en  messin  ;  voy.  La  guerre  de  Metz  en  1J24,  p.  442,  note. 

2.  Pour  a. 

3.  Ici  et  quatre  lignes  plus  bas  de  semble  mis  pour  se. 

4.  Ms.  escharb'te.  Le  signe  abréviatif  est  celui  qui  ordmairement  signifie  ur. 


174  P-    l^EYER 

0  dou  soulailz,  et  li  soloilz  avoit  lumière  devant  toutes  ces  estoiles,  anci  corn 
«  il  ait  or  devant  celles  qui  ores  sont,  et  toutes  ces  belles  estoiles  et  cilz  soloil 
(I  getoient  lor  clairteit,  saiches  certainnemant  que  celle  biautez  resplendiroit  dou 
«  tout  an  tout  par  desus  toute  humainne  estimation.  Et  toute  voie,  ce  '  seroit 
(I  celle  biautei  niant  comparaubie  a  la  biautei  dou  Creatour,enci  com  li  neus  est 
«  plus  obscure  et  niant  comparaubie  a  jour,  quant  il  est  plus  cleirs.  »  Adons 
dit  freires  Jordains  qu'  i  ce  faixoit  bon  travillier  a  ceste  morteil  vie  que  duret 
poc  pour  veoir  celle  grant  biautei  a  tout  jour  maixsan  defallir. 

VI. 

Ce  morceau  et  le  suivant  se  lisent  aussi  au  fol.  5  du  ms.  d'Epinal. 

Vcci  .;'.  notable  trait  de  dis  Salmon. 

Qui  fut  onques  que  .j.  soûl  jour  antier  fut  an  son  délit  joeusemant,  que 
d'acunne  choze  ne  fut  troubleis  {d)  an  aucunne  heure  dou  jour  ou  par  poour 
de  cowoitize  ou  par  aguillon  d'anvie,  ou  par  ardour  d'avairice  ou  par  orguelz 
demeneir,  ou  par  bobant  ou  par  damaige  ou  par  aucun  courous  ou  par  veoir 
ou  par  oïr  ou  par  autre  fait.''  Oie  la  santance  dou  Saige  qui  dit  :  «  De  le  matin 
(1  jesques  a  vespres  ce  chainget  li  tamps  2,  et  cogitations  diverses  sorvienent 
a  et  la  paiicée  de  l'omme  est  rai  vie  an  diverses  choses,  n 

VII. 

Autre  notable  d'AiisloUs. 

Vertus  est  une  très  bonne  chozes,  maix  elle  est  messaixie  a  lai  persone  a 
aquerir.  Vertus  weult  estreaquise  an  angouxe  et  an  pressure  de  cuer,  c'est  an 
mortefiant  trestous  malvais  usaiges  et  mavaixe  couslumes.  trestoute  propre  3 
voulanteir  [sic)  de  cuer  et  toute  propre  et  desordenée  amour. 

VIII. 

La  Passion,  traduction  d'un  traité  latin  de  Michel   de   Massa. 

Michel  de  Massa  est  un  religieux  augustin  qui  mourut  à  Paris  en  1 3  56. 
On  trouvera  l'énumération  de  ses  écrits,  qui  paraissent  être  tous  restés 
inédits,  dans  les  ouvrages  de  Gandolfi  et  d'Ossinger  sur  les  écrivains  de 
l'ordre  de  saint  Augustin  4.  Les  mss.  de  son  traité  sur  la  Passion  ne 
sont  pas  communs.  Gandolfi  en  signale  un  dans  la  bibliothèque  de 
Bodiey  s.  Ossinger  ajoute  qu'il  s'en  trouve  un  à  Munich  et  un  autre  à 


1.  Corr.  ne. 

2.  ECCLI.  XVIII,  26. 

5.  Ms.  ppc  (le  premier  p  bouclé)  ici  et  à  la  ligne  suivante. 

4.  Disseitalio  liistorica  de  ducentis  celebenimis  Augustiniams  scriptoribus. . . 
...  auctore  Fr.  Dominico  Antonio  Gandolfo,  genuensi.  Romaï,  1704,  in-4, 
p.  267-8  ;  Ossinger,  Bibliothcca  augustiniana^  IngohUdt.,  1768,  in-!ol.,  p.  567-8. 

5.  C'est  le  n»  2670  (BodI.  sup.  D  i ,  art.  71)  des  Catalogi  de  Bernard. 


NOTICE    D  UN    MS,    MESSIN  1  7 1, 

Louvain.  J'en  pourrais  indiquer  plusieurs  en  des  bibliothèques  étran- 
gères ',  mais  je  n'en  ai  pas  trouvé  à  Paris.  Je  ne  connais  pas  non  plus 
un  second  exemplaire  de  la  traduction  française  que  nous  a  conservée 
le  ms.  de  Montpellier.  Cette  traduction  est  en  prose,  mais  elle  est  pré- 
cédée d'un  prologue  en  vers  dans  lequel  le  traducteur  nous  apprend  qu'il 
a  suivi  ce  frère  Michel  de  Masse  ».  Il  y  a  d'autres  exemples  d'ouvrages 
en  prose  précédés  d'un  prologue  en  vers  -,  mais  il  a  pu  arriver  que  ce 
prologue  ait  été  supprimé,  et  qu'avec  lui  ait  disparu  le  nom  de  l'auteur 
du  traité  original.  Par  suite  il  n'est  pas  impossible  qu'on  trouve  d'autres 
exemplaires  de  notre  traduction  entre  les  traités  anonymes,  rédigés  en 
français,  de  la  Passion. 

Le  ms.  de  Montpellier  n'a  point  d'ornements.  Toutefois  il  paraît  que 
l'intention  du  traducteur  était  que  son  œuvre  fût  accompagnée  de  minia- 
tures, car,  dès  le  début,  après  le  prologue  en  vers,  il  note  que  si  on 
voulait  enluminer  son  récit  de  la  passion,  il  y  faudrait  faire  une  initiale 
ornée  contenant  la  représentation  du  sacrifice  d'Abraham. 

(Foi.  22).  Ci  conmanctt  li  passion  Jhcsucrit. 

[A]n  l'ounour  de  la  Trinitei,  An  ajustant  dez  dis  plusours 

Trois  persone  en  vraie  unité,  De  sains  et  d'autres  docteurs. 

Ci  conmancet  li  passion  Cy  panrait  preinieremant 

Que  pour  nostre  rédemption  Une  pairolle  cieiremant 

Jhesus  fil  de  Marie  souffrit  A  nostre  pourpous  désert 

Quant  a  Dieu  le  paire  s'offrit  Corn  Abraham  en  .j.  désert 

An  l'arbre  de  la  croix  angouxeuse  Vot  Ysaac  panreet  lier 

Ou  il  soustint  la  mort  honteuse.  Et  sus  l'auteil  sacrifier, 

Et  en  ceste  exposicion  Laquelle  sacrification 

Je  weul  xevre  l'antancion  Fut  figure  de  la  passion, 

De  l'ewangelistre  saint  Matheu  Com  il  aipairait  ci  après 

Et  des  autres,  chescun  an  son  leu,  Que  l'istoire  voirrait  de  près. 

Selont  freire  Michiel  de  Masse,  Ce  weul  l'ystoire  conmancier 

(Jhesu  an  gloire  leu  li  fasse  !  Et  Marie  saluer  premier: 

Bacheleirs  fut  an  théologie,  Ave  Maria  gratia  pltna.,  etc. 
Li  millours  qui  fut  an  sa  vie) 

Qui  vouroit  ceste  passion  escrireet  anlumineir,  il  est  a  savoir  qu'an    la  pre- 


1.  Par  ex.  Musée  britannique,  Add.  28785,  fol.  26-84,  ^^^  siècle;  Vienne 
(Autriche),  4186,  fol.  151-72,  xv^  siècle. 

2.  Je  citerai  l'histoire  en  prose  de  Philippe-Auguste  dont  il  ne  nous  reste 
plus  que  le  prologue  en  vers  que  )'ai  publie  d'après  un  ms.  du  Musée  britan- 
nique, dans  la  Romania,  Vl,  494-8,  et  la  vaste  compilation  intitulée  dans  les  plus 
anciens  mss.  :  «  Le  livre  des  histoires  du  commencement  du  monde  «  (histoire 
ancienne  jusqu'à  César),  Romania^  XIV,  59. 


176  p.    MEYER 

miere  lettre  doit  awoir  l'ymaige  d'Abraham  tenant  une  espaie  en  l'unne  des 
mains,  et  an  l'autre  son  fil  Ysaac  liés  et  couchiet  sus  l'auteil,  sus  un  monceil  de 
langnez,  et  a  dessius  (sic)  de  (b)  l'auteil  doit  avoir  l'ymaige  dou  crucefy  seulemant. 

Conmancemant 

ExtcnJit  manum  suam  et  arripuit  gladium  ut  inmohrct  filium.  Genesis  xxiij. 
La  santance  de  ceste  pairolle  qui  est  ditte  d'Abraham  qui  figuret  Dieu  le  peire 
et  de  son  fil  Ysaac  qui  figuret  Dieu  le  fil,  est  teille.  Il  estandit  sai  main  et  prit 
l'espée  pour  son  fil  sacrifier.  Et  sont  escripte  ou  premier  livre  de  lai  Bible 
qu'estaipelleis  Genesis,  ou  .xxiij.  chapitre.  Pour  avoir  de  ces  pairolles  l'antancion, 
et  pour  antieremant  companre  l'ystoire  de  la  passion,  i!  est  a  savoir  que  .j. 
maistre  qu'est  aipelleis  Jaiciues,  an  un  livre  c'on  dit  de  la  vie  de  Jhesucrit,  res- 
contet  conmant  li  vierge  Marie  fut  crucifié[e]  de  la  passion  de  son  très  amez  filz 
Jhesucrit. 

Note  la  dolour  de  Marie  devant  la  passion. 

Et  dit  que  lou  mecredy  devant  la  passion,  que  nous  dixons  le  grans  mecredy, 
li  vierge  Marie  lut  an  teil  doulour  et  an  teille  angouxe  que  pluseurs  fois  an  celle 
journée  elle  cheït  az  pies  de  son  chier  fil  pâmée  et  auci  corn  demy  morte... 

Ce  traité  contient  nombre  d'éléments  pris  ailleurs  que  dans  les  évan- 
giles. Saint  Augustin,  saint  Jérôme,  saint  Bernard  et  d'autres  pères  y 
sont  cités,  les  bestiaires  y  sont  mis  à  contribution.  L'auteur  introduit 
dans  son  récit  de  nombreux  discours  de  Jésus,  de  la  Vierge,  de  sainte 
Marie  Madeleine.  L'ouvrage  devait,  dans  la  pensée  de  son  auteur,  être 
orné  de  peintures.  Cela  résulte,  non  seulement  du  passage  du  début 
rapporté  ci-dessus,  mais  encore  d'un  morceau  qui  interrompt  la  narra- 
tion au  fol.  51  c.  «  Icipuetonnoteir  le  figures  de  lai  mort  et  de  la  passion 
«  Jhesucrit,  especialmant  celles  dou  Viel  Testamant.  —  1 .  Veci  Abel  que  ces 
«  frères  Caym  occit  pour  l'anvie  qu'il  avoit  de  ceu  que  Deus  ces  dons 
«  an  bon  greit  recevoit.  II.  Veci  Noél  lou  '  juste  a  cui  Deus  fist  le  con- 
te mandement  de  monteir  en  l'airche  pour  saveir  tout  humains  lignage 
«  entieremant.  —  III.  Veci  Ysaac  que  ces  pères  Abraham  vot  offrir  en 
a  aicomplixant  de  Dieu  lou  commandemant  et  qui  sus  ces  espaules  portoit 
«  lez  laingnes  pour  faire  le  feu  dou  sacrifice...  «  Le  nombre  des  figures 
ainsi  décrites  est  de  douze. 

Fin  (fol.  58)  : 

Car,  selont  ceu  que  dit  li  apostres,  ce  nous  sonmes  par  compassion  partici- 
pans  des  doulours  Jhesucrit  et  de  sai  passion,  nous  serons  parsonniers  de  sai  gloire 
et  de  sai  résurrection.  Laiqueille  gloire  il  nous  wellet  otroierJhesus  fil  de  Marie 
parlai  prière  des  .ij.  vierges  Marie  et  Jehan,  qui  est  uns  Dieus  avec  le  père  et 
saint  Esperilh  benois  et  glorieus  a  tous  jours  maix  san  fin.  Amen. 

I.  Ici  et  plus  bas  lou  est  écrit  lo  avec  une  barre  supérieure. 


NOTICE    D  UN    MS.    MESSIN  1 77 

Explicit  l'ystoire  de  la  passion  Nostre  Signour  Jhcsucrit,  amen,  a  cui  en 
soient  graice  et  gloire.  Amen.  Amen. 

IX. 
La  Lettre  de  Prêtre  Jean. 

A  ce  morceau  commence  la  partie  qui  a  été  arrachée  par  Libri  au  ms. 
de  Montpellier.  L'ouvrage  analysé  dans  le  paragraphe  précédent  se  ter- 
mine au  fol.  Ixxxj  recto  de  l'ancienne  pagination  ;  le  verso  avait  été 
laissé  blanc.  Cette  circonstance  était  favorable  à  la  fraude,  puisque  la 
partie  laissée  à  Montpellier  paraissait  complète,  et  les  feuillets  enlevés 
eussent  présenté  la  même  apparence  si  Libri  n'avait,  contrairement  à  sa 
coutume,  négligé  de  faire  disparaître  l'ancienne  pagination. 

Le  texte  de  la  lettre  de  Prêtre  Jean  qui  occupe  les  fol.  Ixxxij  à 
Ixxxvij  de  l'ancienne  pagination,  n'offre  pas  d'intérêt.  C'est  une  copie 
très  médiocre  d'une  traduction  dont  nous  avons  déjà  maint  exemplaire, 
et  qui  a  été  publiée  par  Jubinal,  à  la  suite  de  son  édition  de  Rutebeuf, 
2«éd.,  m,  556. 

Ci  après  enxeut  U  terre  '  preste  Jehan. 

Preste  Jehan  par  lai  grâce  de  Jhesu  Crit  rois  entre  lez  cristiens,  mande  salus 
et  amour  a  Ferri  i'empereour  de  Rome.  Nous  fasons  savoir  a  lai  vostre  amour 
que  il  nous  ait  esteit  rescontei  que  vous  desiriés  moût  a  savair  par  veritei  de  nos 
et  de  nostre  terre  et  de  nos  chestez  et  de  nostre  créance.  Nous  voulons  bien 
que  vous  saicliiés  2  lou  Père  et  le  Fil  et  iou  saint  Esperit  estre  .iij.  persones  en 
.j.  Deu  soulemant,  et  enci  le  créons  nos  fermemant  ;  pour  lequeil  choze  vous 
nos  mandastes  que  nos  lai  créance  de  nostre  gent  et  de  nostre  terre  vous 
feïssiens  asavoir  par  nos  letres.  Et  nous  vous  dixons  le  covine  de  nous  et  de 
nostre  terre  tote.  Et  se  vous  vouleis  aucunne  choze  que  nos  puissiens  faire, 
mendeis  le  nos,  et  vousl'aireiz  a  vostre  voulantei.  Et  se  vous  vouleis  venir  en 
nostre  terre,  bien  il  soiez  vous  venus,  car  vous  sereis  sires  de  toute  nostre 
terre  après  nous... 

Fin  (fol.  iiij^^  et  vij)  : 

Or  vous  avons  raicontei  en  veritei  5  toutes  ces  chozes  pour  ceu  que  vous 
sachiés  l'estre  de  nostre  pais  et  de  nostre  palais,  et  queil  gent  nos  sommes,  et 
de  queil  créance,  et  quel  vie  nous  menons. 

Expiicit. 


I  .  Sic,  corr.  htre. 

2.  Suppl.  que  nous  créons? 

3.  Ms.  rcntà. 

Romania,  XV 


p 

MEYER 

X. 

:s 

Litanies 

«78 


Suit  un  morceau  ayant  pour  titre  Pour  coy  lez  letanies  furent  ordonnées 
que  on  disî  les  rogacions.  Inc.  :  «  Les  letanies  sont  faites  ij.  fois  en  l'an, 
u  c'est  a  savoir  la  première  letaniele  jour  de  feste  S.  Marcevangelistre...» 
Le  titre  est  de  la  main  qui  a  numéroté  les  feuillets,  et  écrit  au  commen- 
cement du  ms.  les  notes  rapportées  plus  haut,  c'est-à-dire,  selon  toute 
apparence,  de  la  main  de  Jacques  d'Esch.  Le  morceau  occupe  les  deux 
feuillets  numérotés  uij^''  et  vil'i  et  iuj^^  et  ix. 

X. 

Consultation  de  Jean  Le  Fèvre,  médecin  établi  a  Montpellier, 
sur  le  traitement  de  la  goutte. 

Ce  morceau,  qui  me  paraît  être  le  plus  intéressant  de  tout  le  ms.  et 
qui  sans  doute  a  déterminé  le  choix  fait  par  Libri,  est  précédé  de  ces 
mots:  Pour  lez^  goutte  S'  Jehan  d'Aix.  L'écriture  de  cette  sorte  de 
rubrique  est  celle  que  je  crois  pouvoir  attribuer  à  Jacques  d'Esch.  Quant 
au  Seigneur  «Jehan  d'Aix  »,  il  n'est  pas  facile  de  le  déterminer  avec 
une  entière  certitude.  Lems.  étant,  selon  toute  apparence,  des  dernières 
années  du  xiv^  siècle,  il  me  paraît  probable  que  le  Jean  pour  qui  a  été 
faite  la  consultation  insérée  dans  ce  ms.  était  Jean  d'Esch,  maître  échevin 
en  1373  et  qui  mourut  avant  1598  ^.  Ce  Jean  eut  un  fils,  également 
appelé  Jean,  sur  lequel  nous  ne  savons  rien,  sinon  qu'il  survécut  à  son 
père.  Un  troisième  Jean  d'Esch,  fils  de  Jacques  d'Esch,  mourut  en  1439. 
Hannoncelles,  II,  67,  publie  son  épitaphe.  Mais  l'époque  à  laquelle 
il  est  permis  de  rapporter  le  ms.  convient  mieux  au  premier  de  ces  trois 
personnages. 

Jean  d'Esch  souffrait  de  la  goutte.  C'était  un  homme  riche.  Il  résolut, 
probablement  après  avoir  essayé  sans  succès  des  médecins  de  Metz, 
de  consulter  un  médecin  de  Montpellier.  Il  s'adressa  à  un  certain  Jean 
Le  Fèvre,  de  Metz,  qui  se  nomme  à  la  fin  de  la  consultation,  et  qui 
combinait  en  sa  personne  les  deux  avantages  d'être  un  compatriote 
et  d'habiter  la  ville  renommée  entre  toutes  pour  son  école  de  médecine. 

Il  est  probable  que  maître  Jean  Le  Fèvre  rédigeait  ordinairement  ses 
conseils  en  latin,  cette  fois  il  s'est  servi  de  la  langue  française,  ou  plutôt 
messine,  car  nous  n'avons  aucune  raison  de  croire  que  le  texte  qui  nous 


.  Lez  est  pour  la,  en  lorrain. 

.  Voy,  le  Président  d'Hannoncelles,  Metz  ancien^  II,  6y 


NOTICE  d'un  ms.  messin  1 79 

est  parvenu  de  sa  consultation  soit  traduit  du  latin.  Il  est  bien  plus  vrai- 
semblable que  Jean  d'Aix  ou  d'Esch  l'a  fait  trancrire  dans  son  manuscrit 
telle  qu'elle  lui  était  parvenue.  Ce  faisant,  il  témoigna  pour  son  médecin 
d'une  considération  méritée.  Jean  Le  Fèvre,  sur  qui  du  reste  il  m'a  été 
impossible  de  découvrir  aucun  témoignage,  paraît  avoir  été  un  homme 
sensé.  Ses  conseils  sont  en  général  judicieux,  autant  qu'il  m'est  permis 
d'avoir  une  opinion  en  pareille  matière.  Les  superstitions  astrologiques  et 
autres  y  tiennent  peu  de  place,  et  s'il  est  vrai  que  plusieurs  des  remèdes 
indiqués  ont  dû  être  plus  profitables  au  pharmacien  qu'au  malade,  le 
régime  prescrit  est  raisonnable  et,  somme  toute,  la  médication  de  maître 
Jean  Le  Fèvre  ne  doit  pas  avoir  été  beaucoup  moins  efficace  que  celle 
qu'on  suit  aujourd'hui  en  pareil  cas. 

L'hypothèse  admise  par  notre  docteur,  qui  n'avait  pas  vu  son  malade, 
est  que  la  goutte  de  Jean  d'Esch  «  vient  de  chaude  cause  »  ;  mais  si  par 
aventure  elle  venait  de  «  froide  cause  »,  de  tout  autres  remèdes  devraient 
être  ordonnés  (§  1 3).  Le  moyen  de  se  décider  entre  ces  deux  causes  est 
bien  simple  :  il  consiste  à  savoir  si  la  partie  du  pied  où  on  sent  la  douleur 
est  froide  ou  chaude.  Jean  Le  Fevre  prie  son  malade  de  le  renseigner 
sur  ce  point  «  par  aucun  qui  vieingne  à  Montpellier  ».  En  attendant  il 
lui  adresse  les  conseils  qui  conviennent  à  la  goutte  venant  de  «  chaude 
cause  ».  Tout  d'abord  il  lui  trace  un  régime,  indiquant  en  premier  lieu 
ce  qui  doit  être  évité.  Il  interdit  les  poissons,  principalement  ceux  d'eau 
limoneuse  comme  est  la  Seille,  qui  passe  à  Metz,  comme  chacun  sait  (3), 
la  viande  de  porc,  les  oiseaux  aquatiques,  oies,  canaids,  etc,  (4],  le  vin 
nouveau,  les  vins  épicés  (5],  le  fromage  (61,1e  lièvre,  le  bœuf  trop 
âgé  (7I,  les  salaisons  (10),  les  fruits,  à  peu  d'exceptions  près  (17;.  Il  lui 
défend  de  coucher  sur  le  dos  (19),  de  chevaucher  le  ventre  plein  (14I.  Il 
lui  recommande  la  continence  et  l'engage  à  éviter  les  soucis  comme  aussi 
à  se  coucher  de  bonne  heure  et  à  se  bien  couvrir  tout  le  corps  en  hiver, 
et  particulièrement  les  pieds  (151. 

Après  avoir  dit  ce  qu'il  faut  éviter,  maître  Jean  Le  Fèvre  indique  les 
aliments  et  les  remèdes  qu'il  juge  appropriés  à  la  condition  du  malade. 
Il  l'engage  à  ma-^ger  du  pain  bien  cuit  et  bien  levé,  à  boire  du  vin  rouge, 
qui  ne  soit  pas  doux.  Il  conseille  la  viande  de  veau  ou  de  jeune  bœuf  ou 
de  mouton  n'ayant  pas  plus  d'un  an  ou  un  an  et  demi,  les  poulets,  les 
jeunes  lapins,  de  temps  à  autre  les  pieds  et  le  groin  de  porc  (25).  En 
carême  et  en  temps  de  jeûne  il  recommande  l'orge  ou  lerizauxamandes 
et  la  purée  de  pois  chiches  (25).  Il  permet  les  pêches,  pourvu  qu'elles 
soient  bien  mûres,  les  prunes  noires  et  les  cerises  aigres  et  différents  lé- 
gumes (27-8).  Il  lui  donne  la  recette  d'une  sauce  où  le  gingembre,  le  co- 
riandre et  les  clous  de  girofle  tiennent  une  grande  place,  pour  assaisonner 
les  pâtés  (29K   Par-dessus  tout,  il  lui  recommande  l'usage  constant, 


l8o  P.    MEYER 

avant  le  dîner  et  après  le  souper,  du  coriandre  qui,  dit-il,  empêche  les 
oreilles  de  corner,  éclaircit  la  vue,exciie  l'appétit,  prévient  l'esquinancie 
et  mainte  autre  maladie,  et  empêche  la  goutte  de  descendre  dans  les  ar- 
ticulations (50,  51).  Il  lui  prescrit  ensuite  de  se  faire  saigner  deux  fois 
l'an,  en  mars  ou  au  commencement  d'avril,  et'à  l'automne,  entrant  dans 
de  minutieux  détails  sur  les  conditions  dans  lesquelles  cette  opération  doit 
avoir  lieu  (54-37)- 

Arrivant  ensuite  aux  remèdes  proprement  dits,  il  lui  donne  la  recette 
de  divers  liniments  et  emplâtres  destinés  à  calmer  la  douleur.  Il  recom- 
mande aussi  les  bains  de  pied  dans  une  décoction  de  fleur  d'amande,  de 
camomille,  de  feuilles  de  myrte  et  de  mélilot,  ou  encore  dans  de  l'eau  où 
on  aurait  fait  longtemps  bouillir  un  renard  ($51'-  Et  si  ces  divers  remèdes 
ne  suffisent  pas,  il  convient  d'user  de  chirurgie  et  d'appliquer  des  fers 
rouges  au-dessous  de  la  cheville  et  au-dessous  du  genou. 

Maître  Jean  Le  Fèvre  était  un  médecin  honnête.  Il  ne  s'exagérait  pas 
la  valeur  des  remèdes  qu'il  conseillait.  Il  y  voyait  plutôt  des  palliatifs. 
«  Si  vous  vous  gardez  des  choses  dessus  dites  »,  écrit-il,  «  et  si  vous 
«  faites  ce  qui  s'ensuit,  vos  douleurs  ne  seront  plus  si  fortes  qu'elles  étaient 
«  et  vous  y  trouverez  un  allégement  sensible.  Et  toutefois  ne  vousémer- 
«  veillez  pas  si  l'amélioration  n'a  pas  lieu  promptement,  car  cette  maladie 
«  est  trop  forte  à  guérir  »  (22).  Et  ailleurs:  «  Notez  bien  tout  ce  qui  vous 
«  est  défendu  et  tout  ce  qui  est  permis  pour  votre  gouvernement  et 
«  comment  vous  en  devez  user.  Et  comme  cette  maladie  peut  difficile- 
«  ment  être  guérie,  je  vais  vous  écrire  ce  que  vous  devez  faire  pour  al- 
«  léger  vos  douleurs,  et  par  aventure  il  pourra  arriver  que  vous  gué- 
«  rissiez,  mais  toutefois  ce  que  je  vous  écris  n'est  que  pour  alléger  votre 
«  maladie  »  (33).  Au  xiv<^  siècle,  la  thérapeutique  appliquée  au  traitement 
des  affections  rhumatismales  n'était  pas  encore  en  possession  de  remèdes 
bien  efficaces,  notre  médecin  en  avait  conscience  et  ne  cherchait  pas  à 
le  dissimuler. 

En  terminant,  il  conseille  à  son  malade  de  se  pourvoir  d'un  bon  phy- 
sicien qui  surveille  l'exécution  des  ordonnances  prescrites  «  car,  »  ajoute- 
t-il,  «je  crois  bien  que  vous  ne  les  sauriez  lire  ni  entendre,  ».  Enfin,  écrit- 
il  encore,  «  si  vous  n'avez  toutes  les  choses  qui  sont  contenues  dans  les 
«  recettes  susdites,  envoyez  à  Montpellier  par  quelqu'un  de  vos  mar- 
«  chands  qui  ont  coutume  de  s'y  rendre,  et  faites-moi  remettre  par  écrit 


I  .  Cette  médication  est  ancienne  :  l'emploi  du  renard  bouilli  dans  l'huile  est 
conseillé  par  Oribase,  Synopsis,  IX,  lvii,  éd.  Bussemaker  et  Daremberg.  V, 
$52,  cf.  VI,  391. 


NOTICE    d'un    MS.    messin  i8i 

«  les  noms  des  herbes  ou  autres  choses  qui  vous  manquent,  avec  l'argent 
«  pour  les  payer.  >^ 

Telle  est  cette  consultation  qui  m'a  paru  à  bien  des  égards  digne  d'être 
publiée,  malgré  les  difficultés  et  les  incertitudes  que  présente  le  texte  qui 
nous  est  parvenu. 

Por  lez  '  goutte  S'  Jehan  d'Aix  (fol.  90  b). 

(1)  Veci  comment  il  vous  covient  governeir  contre  la  maladie  de  vos  goûtes. 
Donc,  tout  premier,  wardez  vous  que  vous  ne  mangieiz  pois  ne  fèves  ne  aultres 
leûns,  ne  chaistines,  fors  que  2  tant  que  vos  poeiz  bien  maingier  de  la  puriée  de 
poi.x  et  de  chiches,  et  non  mie  trop  sovent.  (2)  Item,  wardeiî  vous  de  maingier 
toutes  viandes  faites  de  paiste,  c'est  a  dire  de  toutes  paistes  queutes  an  viandes 
ou  en  browas,  ou  que  soit  saichiée  de  devant  et  pues  queute  en  xaul  ne  avec 
chair  ne  au  fromaige,  ne  que  soit  confice  (sic)  avec  miel,  ensi  com  pain  d'espice 
que  en  appelle  awedique.  (3)  Item,  wardeiz  vous  de  mangier  tous  poi.\'ons  li- 
moneux, com  sont  anguilles,  tanches,  gravices,  loches  et  aultres  teilz  poixons;  et 
briesment,  se  vous  poeiz,  wardJz  vous  de  mangieir  toutes  manière  de  poixons, 
si  fereiz  bien,  e  en  especiaul  de  tous  poixons  de  awe  limoneuse,  ensi  com  est  la 
rivière  de  Saille.  (41  Item,  wardeiz  vous  de  mangieir  toute  chair  qui  est  vis- 
couse,  com  est  chair  de  porc,  soit  vieilz  soit  josne,  et  de  tous  oiselz  qui  vivent 
et  conversent  en  yawe,  com  sont  oyes,  quainnes,  mellairs  et  aultres  teilz,  soit 
privés  ou  savaiges.  (5)  Item,  wardeiz  vous  de  boivre  vin  novel  jusquez  a  tant 
que  il  soit  bien  repairieiz  et  bien  purifieiz,  et  de  tous  vins  fors  com  est  vins 
confis  aux  espices  et  claueiz  5  et  vin  saugieiz,  et  teilz  aultres  vins  confis.  (6) 
Item,  wardeiz  vous  de  mangieir  nulz  fromaiges  et  de  laicel.  (7)  Item,  wardeiz 
vous  (fol.  90  c)  de  mangieir  chair  de  lièvre  et  de  buef  anciens.  (6)  Item, 
wardeiz  que  vous  ne  mangieis  a  un  disneir  ou  a  un  sopeir  plusours  paires  de 
viandes.  (7)  Item,  wardeiz  vous  de  dormir  tantost  après  mangieir.  (8)  Item, 
wardez  vous  de  trop  boivre  et  defuer  de  hore.  C9)  Item,  wardeiz  vous  de  man- 
gieir toute  choses  fort  et  agùe,  si  com  de  poivre,  de  hurucle  4,  de  mostarde, 
d'aulz,  d'oignons,  de  porreiz  et  de  telles  samblans  choses.  (10)  Item,  wardeiz 
vous  de  mangieir  tous  poixons  salleiz  et  toutes  chairs  sallée.  (1 1)  Item,  wardeiz 
que  nulz  fruis  vous  ne  mangieiz;  toute  voie,  quant  li  temps  et  la  saisons  vanrait, 
vous  porreiz  bien  mangier  des  prunes  noirez  et  de  sereiseunpoc  aigres,  com  sont 


1.  Forme  lorraine,  pour  la. 

2.  Ms.  lortjues. 

; .  Sic,  corr.  clairei:  ? 

4.  Sans  doute  Veruca,  vulgairement  roquette,  plante  acre  et  à  propriétés  exci- 
tantes, eruc  dans  le  dictionnaire  de  M.  Godefroy  qui  traduit  par  ••  chenille  » 
sans  faire  attention  que  lexemple  unique  qu'il  cite,  emprunté  au  glossaire  de 
Glasgow,  est  rangé  sous  la  rubrique  de  hcrbis.  Je  trouve  eruquc  au  xv  siècle,  et 
plus  tard,  dans  Cotgrave,  :ruce  «  the  herb  rocket  »,  mix^erucle  ou /ïuruc/t' n'ap- 
paraît nulle  part  à  ma  connaissance.  Cette  forme  semble  indiquer  un  type  eru- 
cula  toutefois  -ucle  peut  s'être  dit  pour  -uijue,  par  addition  d'une  /  non  étymo- 
logique, comme  dans  triade,  canticle,  chronicle,  etc. 


l82  p.    MEYER 

brequenades  ' .  (12)  Item,  ne  vous  beingnieiz  mie  au  mainsscuvent  ou  temps  que 
vous  sentei?:  vostre  maladie,  se  vous  n'estçs  devant  saingnieiz.  ou  que  vostre  corps 
soit  purifieiz  par  medicine.  (13I  Item,  wardeiz  vous  de  travillicir,  soit  en  alleir 
ou  aullrement,  et  de  fort  labour  tatitost  après  ce  que  vous  avereiz  mangieit. 
(i^)  Item,  wardeiz  vous  de  piumeir  2  les  pieis  et  de  chevauchieir  les  jambes  trop 
aquaisiées  et  de  chevauchieir  a  ventre  remplis,  (i^l  Item,  wardiir  (sic)  vous 
de  avoir  compaignie  a  femme,  et  de  tous  corrous  de  hayne,  de  tristece,  de  très 
grans  cusansons,  et  de  longement  veilieir  ;  et  en  yveir  couvreiz  bien  vostre  teste 
et  tout  lou  corps,  et  les  piciz  en  especial  wardeiz  bien  de  froit  au  plus  que  vous 
porreiz.  (16)  Item,  wardeiz  que  les  avant  pieiz  de  vos  chauces  ne  soient  (fol. 
90  d]  trop  estroites,  ne  vos  soliers  auci.  (17)  Item,  wardeiz  vous  de  mangieir 
poires  que  en  mainjuten  yver,  et  de  pomes  auci,  et  cuignes  3,  et  de  chaistines 
et  de  vieiz  raisins  et  de  navieiz.  (18)  Item,  wardeiz  vous  de  maingier  gelines 
trop  viellez.  (19'  Item,  wardès  vous  de  gésir  sus  vostre  dolz.  (201  Item,  wardeiz 
vous  de  boivre  vins  purs  et  trop  subtilz  et  de  mamgieir  aisilz  trop  sovent  et  de 
useir  choses  aigres  et  de  tous  pains  sens  levain  et  mal  cuit,  com  sunt  waisteizet 
pain  trop  blanc.  (21)  Item,  wardeiz  vous  de  toutes  nuixes4  grandes  et  petites. 
(22)  Sire  Jehan  d'Aix,  pour  tant  que  vous  sachieiz  quelz  choses  vous  pueent 
aidier  ou  nuire  a  vostre  maladie,  j'ai  ces  choses  ordenée  (sic)  pour  vosuesancteit, 
et  vous  signefie  que,  ce  vous  aveiz  cusançon  de  vous  wardeir  des  choses  dessus 
dites  et  vous  laites  les  choses  que  si  après  s'ensevent  et  que  je  vous  escris,  sens 
doubtes,  vos  passions  et  les  dolours  de  vostre  maladie  ne  seront  mie  si  grief  ne 
si  fortes  comme  elles  ont  esteit,  maix  ils  apercevereiz  sensible  allégement,  ne 
les  accès  que  vous  solieiz  avoir  ne  seront  si  fort  ne  si  grevable  com  il  soient,  ne 
si  ne  vous  tanront  mie  si  sovent.  Et  si  ne  vous  mervillieiz  mie  se  si  tost  vous  ne 
aperceveiz  alligement,  quar  trop  fort  est  a  wairir  ceste  maladie.  Veci  dont  après 
ceu  que  il  vous  couvient  faire  et  governeir  por  vostre  régime,  quant  a  maingier 
et  a  tout  vos  aultre  governement. 

{21;  fo!.  91)  Veci  conment  il  vous  covient  governeir.  Premieir,  quant  a 
maingieir,  vous  deveiz  niaingieir  pain  qui  soit  bien  cuit  et  bien  leveit,  qui  ne 
soit  mie  ne  trop  durs  ne  trop  blanc  6,  et  boveiz  vin  rouge  qui  ne  soit  mie 
doulx,  main  soit  bien  purifieiz  et  purgieiz  de  toutes  superfluiteiz?  ;  et  maingieiz 
chars  de  veel  qui  soit  de  leit  ou  de  buef  qui  soit  jones,  non  mie  anciens,  et 
chair  de  motons  d  un  an  ou  de  un  an  et  demi  au  plux.  Maingieiz  hardiement 
des  pucins,  des  jones  gelines  et  perdris  et  des  petiz  oiselès,  des  cunins  jones, 


1 .  Je  ne  trouve  ce  mot,  que  je  ne  puis  lire  autrement,  dans  aucun  diction- 
naire. 

2.  Je  ne  saisis  pas  le  sens  de  cette  expression.   Du   reste  la  leçon  plumeir 
n'est  pas  sûre. 

3.  Des  guignes  ou  des  coings.? 

4.  Noix,  actuellement  nuche^  en  patois  lorrain. 

5.  Pour  /  ou  )'. 

6.  C'est  ce  qui  a  déjà  été  dit  au  §  20. 

7.  Cf.  §^ 


NOTICE    d'un    MS.    messin  iS^ 

et  aucunes  foiz  des  pieiz  et  des  groing  (sic)  de  porc  et  des  ventres  de  veel 
et  de  motons.  (24)  Item,  wardeiz  tant  corn  vos  porroiz,  et  especialment  ou 
temps  de  esteit,  que  vous  ne  boveiz  point  de  vin  qui  ne  sot  bien  attrampeiz 
d'iawe.  (25)  Item,  quant  vous  junereiz,  ou  ou  temps  que  en  doit  juneir,  soit  en 
quairesme  ou  en  au  tre  temps,  vous  poeiz  bi^n  maii  gieir  de  l'orge  aux  esman- 
dres  ou  dou  riz  fais  a  foison  J'amandres  et  de  la  purie  de  chiches.  (26)  Item, 
toutes  choses  que  en  puet  humeir  sont  profr.ables.  (27)  Item,  ou  temps  que  les 
perses  sont  bonnes,  vous  en  poeiz  bien  maingieir  une  que  soit  bien  meure,  et 
poeiz  bien  maingieir  des  prunes  noires  et  des  sereises  aigres.  (28)  Quant  aux 
herbes,  vous  poeiz  bien  useir  delà  loraige  ",  deschos  lombardas,  des  espinaches, 
des  laituee,  et  des  somences  de  chos  blans  avec  un  poc  de  persil.  (29)  Item, 
quant  au  saices,  vous  porreiz  bien  useir  en  vos  paistelz  et  en  {fol,  91  b)  vos 
salses  de  cest  porré  et  non  mie  trop  habundanment,  maix  en  petite  quantitei  :R.  ^ 
preneizdou  blanc  gegimbre  .ij.  3  3,  c'est  .ij.  onces,  et  demy  once  de  coriandre 
qui  soit  buHis  en  vin  aigre,  et  bien  saichieiz  et  bien  apparillieiz,  et  des  clos  de  gi- 
rofle- et  dou  saffran,  autretant  de  l'un  conme  de  l'autre,  Ies4  poix  de  une  dragme, 
iS  .j.,  et  de  la  kenelle  bien  fine  .vj.  dragmes,  5  .vj.;  et  de  toutes  ses  choses 
faites  bone  porre,  et  de  ceste  porre  vous  meslereiz  avec  amandres  bien  broiées, 
et  en  fereiz  une  salse  avec  un  poc  de  verjus  ou  de  vin  aigre  ou  6  de  ceste  porre 
en  poeiz  confire  vos  paistelz,  especialment  par  tout  lou  temps  d'esteilz,  especial- 
ment quant  on  tire  les  pastelz  fuer  dou  four.  (}o)  Item,  vous  poeiz  bien  useir 
dou  lait  d'amandres  detrampeiz  an  jus  de  pomes  de  granate  ou  an  verjus;  et 
pour  tant  que  a  Mes  vous  ne  poeiz  mie  bien  recovreir  de  pomes  de  granate,  il 
soffit  que  il  soit  fait  au  verjus,  et  en  faites  en  manière  de  une  salse  que  soit 
commune  a  chairs  rostie  ou  a  poixons;  et  il  7  meteiz  de  la  fine  quanelle  avec  foi- 
son d'amandres  et  de  l'aisy  ^,  et  en  yver  y  meteiz  dou  blanc  gegimbre.  (51)  Item, 
je  vous  los  et  conseille  souvrainnement  que  vous  usieiz  bien  sovent  dou  co- 
riandre confis  et  bien  apparrieiz,  ou  dou  pur  coriandre  apparilliez  senz  sucre, 
et  dou  confiz  preneiz  en  devant  disner  et  après  soupeir  ou  vous  beveiz  après  ce 
que  vous  lou  panreiz  aultre  fois,  quar  vous  en  apersevereiz  plusours  profis  et 
au  stomaque  et  aux  {()  oreilles,  quar  il  deffent  les  oreilles  de  corneir,  et  aux  eulx, 
quar  vous  en  vaireiz  plus  cleir,  et  wairde  de  occursir  les  eulx  et  aguise  et  forte- 
fie  l'appétit  et  warde  les  gensives  de  porriture  et  de  punaisie  et  de  l'esquinance 
et  de  moult  d'aultres  maladies  les  queilles  ie  laisse  a  nommeir  pour  cause  de 
briefteit.(  3  2)  Et  saichieiz  que  il  valt  et  résiste  encontre  toutes  humor  et  vapour 
venemouse,  et  deffent  que  les  humours  que  sont  causes  de  ses  goûtes  ne  des- 


1 .  Corr.  borraige,  de  la  bourrache.?  Littré  n'indique,  à  l'hiit.  de  ce  mot,  que 
borracctl  bourrache,,  mais  il  y  a  barage  dans  un  vocabulaire  latin  anglais-français 
du  xiir  siècle,  Wright,  A  vol.  of  vocabulanes  I  (1857),  140. 

2.  Rccipc. 

j.  Faute  de  mieux  j'emploie  ce  chiffre  pour  désigner  l'once 

4.  Pour  le. 

5.  Je  rends  par  un  5  le  signe  de  la  dagme. 

6.  Il  faut  supposer  une  lacune,  ou  corriger  ou  en  et. 

7.  Pour  i  ()). 

«.  Pour  aisil,  vinaigre. 


184  P-    MEYER 

cendient  au  junctures,  et  pour  tant  vous  consoille  je  tant  corn  je  puix  pour  vostre 
profit  que  vous  en  uzieiz  chesques  jour. 

(33)  Or  noteiz  bien  tout  ceu  que  vous  est  deffendut  et  toutes  choses  que  je 
vous  ai  deffendut  cy  dessus  et  toutes  les  choses  auci  que  vos  sunt  oltriéfe]s  por 
vostre  governement,  et  connient  vous  en  deveiz  useir.  Et  pour  tant  que  ceste 
maladie  a  poinne  puet  estre  wairie,  pour  tant  vous  escris  je  tantost  après  quelz 
choses  vous  deveiz  faire  pour  aliegieir  vostre  maladie,  et  par  avanture  vous 
porreiz  '  bien  garir,  maix  toute  voie  ceu  que  je  vous  escris  ici  je  vous  escris 
plus  pour  aliegieir  vostre  maladie,  et  se  n'avereiz  mie  si  fors  assez  ne  si  sovent 
com  vous  aveiz  ehut. 

(34)  Donc,  quant  au  regimen  pur  wardeir  vostre  santeit  et  la  continueir  ou 
pourwairir,  il  serait  bon  et  profitable  que  vous  vos  facieiz  saignieir  au  meyt 
mars  ou  a  l'anconmencement  dou  mois  d'avril  ou  en  mey  lieu  dou  mois,  {d)  de  la 
voine  conmunedou  dextre  bras,  se  elle  appert  plus  plenne  ou  plus  grosse,  et 
traieiz  dou  sanc  jusques  a  demey  Ib',  c'est  demey  chopine,  ou  au  moins  jusques 
a  .iiij.  3.  (35)  Et  devant  que  ceci  faites,  se  vous  aveiz  le  ventre  dur,  faites  lou 
allaisieir^  par  aucune  médecine,  c'est  assavoir  par  un  clisteire  legieir  ou  par 
cassiafiscale  3,  et  de  ceste  saingniée  faire  entens  je  que  ne  li  air  ne  la  disposi- 
cion  dou  corps  ou  dou  ventre  ne  soit  contraire  a  celle  saingniée  ou  aultre  empê- 
chement notables,  si  com  puet  estre  grant  flux  de  ventre  ou  de  emorroydes  ou 
de  vomissement  violent  et  incisant  [qui]  souvant  surviennent  a  plusours  corps. 

(36)  Et  pour  tant  que  point  ne  m'aveiz  escript  les  signes  de  vostre  goûte,  ne 
de  queil  cause  et  matière  elle  vous  vient,  ce  de  sanc  ou  de  fleume  ou  de  cole  ou 
de  mélancolie,  pour  ceu  ne  vous  escris  je  point  la  forme  dou  digestif  que  vous 
deveiz  panre  après  la  saingniée,  pour  ceu  vous  covient  il  useir  dou  consoil  d'au- 
cuns phesiciens  de  Mes  qui  saiche  ordeneir  aucun  digestif  appropriei4  a  la 
matière  qui  est  cause  de  vostre  maladie,  le  queil  vous  panreiz  après  vostre  sai- 
gnie.  (37)  Et  après  celi  digestif  vous  panreiz  ceste  medicine  pour  vous  pur- 
gieir,  dont  la  recepte  est  telle  :  Vous  panrerz  de  la  lectuare  de  succo  ros,  et 
le  jour  que  vous  panreiz  purgacion  aieiz  boin  regimen  de  consoil  de  bon  phisi- 
ciens.  (38)  Et  wardeiz  de  vous  (fol.  92)  saingnier  ou  temps  que  li  lune 
serait  ou  signe  que  on  appelle  gemini,  pues  après  en  l'anconmancement  d'aupton 
et  partout  lou  mois  de  septembre.  Quant  vos  vous  fereiz  saingnieir,  se  lou  faite 
dou  bras  senestre  et  de  la  voigne  commune  que  on  appelle  baselique,  jusque  a 
.ij.3,  amollie  devant  le  ventre  et  purgieiz,  se  il  estoit  durs  et  restraint. 

(39)  Or  viens  je  au  remède  especial,  c'est  a  savoir  pour  osteir  ou  apaisieir  la 
dolour  et  la  passion  que  vous  soffreiz  a  vos  piei^,  quar  se  grant  challour  vous 
tient  en  pieiz  avec  la  dolour,  preneiz  de  l'oie  rosat  et  de  l'oie  d'anoi  S,  vd  mir- 


1.  Ms.  porreir. 

2.  Plus  ordinairement  alaschkr,  0  relâcher  x. 

3.  Cassia  fistuld. 

4.  Ms.  approprieir. 

5.  Sans  doute  l'aneth,  ancthum  gravcokns  L.  Ce  mot  n'est    pas   relevé  dans 
le  dict.  de  M.  Godefroy  et  il  n'y  en  a  pas  d'ex,  ancien  dans  Littré  sous  aneth,  mais 


NOTICE    D  UN    MS.    MESSIN  I55 

tino,  et  de  l'oie  de  camomille,  et  prenes  ij.  part  de  l'oie  rosat  et  une  de  l'oie 
de  camomille,  une  aultre  de  l'oie  d'anoi  ou  de  mirtifi,  et  mesleiz  tout  en- 
semble, et  perneiz  de  ses  oies  ensis  ensamble  meslées,  et  un  poc  teive, 
en  unpnieiz  le  lieu  ou  vous  santeiz  la  dolour,  et  se  li  trmps  est  frois  ne 
l'esxaffés  point,  maix  tous  frois  en  oingnieiz  la  dolour.  (40)  Et  ce  ces  choses  ne 
profilent  et  que  la  dolour  ne  se  assoage  point,  faites  cest  oingnement  et  en  oin- 
gnieiz le  lieu  ou  est  la  dclour,  et  veci  la  recepte  :  R.  farine  ordci  opii  ana  5 ./.  '  ; 
misccanlur  cum  succo  solatri  et  tribus  vitdUs  ovorum,  et  fiùt  unguentum.  Item,  ad 
idem  valet^  c'est  que  a  ceci  vat,  herba  piiltd  5  Iritj  et  cum  o'eo  rosaceofnxa  modi- 
cum,  mise  dessus  le  mal.  (41)  Et  ce  encor  ses  choses  ne  profilent,  si  faites  un 
teil  oingnement  :  R.  spodi'i,  camphore,  (b)  memiche  acacieana^  -l-iOp-i  grana 
tria,  confiaanlur  cum  aqua  lacluce  vel  portulace  vel  succo  plantagmis  vel  cum  aqua 
solaln.  Item  a  ce  meisme  vait  cest  emplaistre  :  R.  allium  de  pluma  ceruse,  boli 
armeniciAana^  .iiij.  rrastic.jhuris  ana.  5  jj .; Icreaniur omnia cum  jïij^^a.lbumlnibus 
OYOrum,  vel  cum  succo  poitubce,  lactuce^  endivievel  plantaginis  distemperentur.  (42) 
Item,  veci  une  aultre  remède  qui  est  tout  approveit  pour  faire  cesseir  la  dolour.  r. 
la  miate  de  pain  bien  blanc  et  la  menuisieiz  en  lassel  de  vaiche,  et  tant  la  menuis- 
sieiz  et  debrisieiz  en  celui  laisse!  que  elle  vieingne  en  samblance  de  oingnement, 
et  il  meteis  la  quarte  partie  de  opii,  et  bien  fort  les  mesleiz  ensamble  avec  lou 
laissel,  et  meteis  ceci  tout  sus  lou  feu,  et  pues  ceci  meleis  bien  tost  sus  la 
dolour.  (43)  Et  deveiz  si  noteir  que  ces  emplaistres  et  oingnemens  que  sont  ici 
deviseiz  ne  doit  on  mie  mettre  sus  la  doulour,  maiques  en  l'anconmencement  de 
la  maladie,  et  quant  ele  croist  plus,  et  les  doit  on  continueir  .iij.  jours  ou  .iiij.,  et 
quant  la  maladie  est  en  son  estet  parfait,  porreiz  useirde  teil  emplaistre  et  medi- 
cine:  R.  rosarum  rub  5  s.  i,  croci^  ./.;  camo.,melli!oti  ana  '6s.;  confuiantur  cum  succo 
vel  cum  aqua  decoctionis  coriandri.  (44)  Item  ad  idem  :  R.  succi  mente  3  i.,  aloen  5, 


on  trouve  aneie  dans  le  nominale  latin  français  que  j'ai  fait  connaître  d'après  un 
ms.  de  Glasgow  (voir  mes  Rapports,  p.  i  23),  et  anois  dans  le  vocabulaire  latin 
français  de  Douai  publié  par  Escallier  (n"  170,  p.  227). 

1.  Ici  et  en  quelques  autres  cas  il  serait  posssible  que  le  ms.  eût  lesignede 
l'once  et  non  celui  de  la  dragme.  Les  deux  signes  ne  différent  pas  considérable- 
ment, du  moins  dans  ce  ms.,  et  toute  vérification  m'est  actuellement  impossible. 
En  cas  de  doute  je  crois  agir  avec  une  sage  prudence  en  mettant  la  dose  la 
moins  forte  (la  drachme  est  le  huitième  de  l'once)  pour  épargner  des  accidents 
à  ceux  de  nos  lecteurs  qui,  suffisamment  édifiés  sur  les  ressources  de  la  médecine 
moderne  en  ce  qui  concerne  le  traitement  des  rhumatismes,  voudraient  faire  faire 
les  ordonnances  de  M'^  Jean  Le  Fevre. 

2.  PljntJgo  Psytlium  L. 

5.  C'est  probablement  le  grec  ar.oZ'o-j,  scorie  métallique.  Carpentier  (dans 
Du  Cange)  cite  des  extraits  d'anciens  glossaires  oij  on  voit  que  spodium  a  été 
employé  au  sens  de  «  .crugo  aiis  »  et  de  »  res  adusta  ».  Un  traité  de  matière 
médicale  connu  d'après  un  incipit,  sous  le  nom  de  Circa  instans,  et  attribué  à 
Platearius,  porte  :  »  Sprodiumos  est  elephantis  combustum  »,  voy.  J.  Camus, 
L'opéra  sa!crn:tana  «  circa  instans  n  ed  il  testa  primitive  dcl  «  Grand  herbier  en 
français  «,  p.  121  (Extr.  des  mémoires  de  l'Académie  de  Modène,  1886). 

4.  Bol  d'Arménie,  substance  argileuse  employée  comme  astringent  ou  hé- 
mostatique. 

5.  Une  demi -once;  1'^  est  le  sigle  de  semis. 


l86  p.    MEYER 

.ij.,opii.3s.,  pulveris  camomille  et  meUiloù  quod  sujficit  ;  fiât  tmphmstrum,ettepi' 
dtimapponalur.hem  ad  iJcm:  R.  boH  armenii,  alocn,  croci,  ro.,  mirli,  ana  conficun- 
tur  cum  aqua  \c)  corunJri.  (45'.  Et  quant  la  maladie  s'en  vat  en  déclinant,  pour 
resolveir  et  aniainrir  les  matières  que  font  les  goûtes  en  pies,  vous  fereiz  cest 
epichime':  R.ceruse  nove  ./.,  et  fondeiz,  et  resolveizen  oie  de  lis,  et  adde  musa!- 
lagims  fcnugrcci  3  s.  et  scmen  Uni  3  ./'.,  et  ses  choses  broieis  bien  tout  ensemble, 
et  en  faictes  un  epichime  '.  (46)  Encor  il  vait  ceci  :  R.  cere  3  .ij.,oleianai  3  .j.et 
s.\  disso'vatur  ierapigra^  in  predicto  o!co,  et  post  addatur  camomille  pubis,  cum 
axuni:,ia  galline  vel  anatis,  simul  misceantur,  et  en  faites  oingnement  et  teivelet  5  le 
meteiz  sus  lou  mal.  (47)  Item,  en  la  plus  grant  dolour  de  la  goûte,  le  darrien 
remède  que  tantost  fait  cesseir  la  dolour,  faites  ceste  recepte  :  R.  succi  iolatri 
montalis  IbA.  /.;  zz  S  bcne  pu!ven:aîi,  3  s.,  vitella  ovorum  .^I/o^  ;  misceantur  omnia 
et  stupe  canabuK  inbibantur  et  super  locum  ponatur.  (48)  Et  saichieiz  que  tous  ses 
remèdes  ici  dessus  eicris  sont  ordeneiz  pour  les  goûtes  dez  pieiz  que  viennent  de 
chaude  cause,  quar  se  elles  venient  de  froide  cause  il  nuirent^  plus  que  il  n'ai- 
derient;  et  pourtant,  se  vous  aveiz  chalour  grande  ou  pieit  ou  ou  lieu  que  la 
goûte  vous  tient  et  la  doulour,  elle  vient  de  chaude  cause,  et  se  il  est  froiz  elle 
vient  de  froide  cause.  (49)  Si  me  rescriveiz  par  aucun  qui  viegne  a  Montpel- 
lieir  se  li  membre  ou  queil  vous  senteiz  la  dolour  est  froiz,  et  adonc  je  vous 
ordenerai  les  remèdes  contre  et  que  vous  {d)  porront  aidieir,  quar  quanque  je 
vous  escrips  n'est  maiques  con're  la  goûte  des  pieiz  que  vient  de  chaude  cause, 
et  a  ceu  le  poieiz  vous  cleirement  apercevoir,  quar  li  lieux  ou  la  dolour  tient 
doit  estre  rouge  et  chauz.  (50)  Item,  vous  deveiz  conforleir  lou  membre  o\x  la 
dolour  vous  tient,  afin  que  la  mauvaise  matière  n'i  descendent,  par  mettre  sus 
aucuns  amplaistre  profitable  qui  serait  teilz  :  R.  lucci sigillaci  3  ./.  cl  5.,  olei 
mirtini^  spice,nardi,ana  5  ./.,  acacie^mirrc^ana  5  ./..  et  5.,  mie.  cypressi  5  i.,  ro.  5  s. 
squinanci  5.  5.,  cere  nove  5.  s.  lapdani  5.  in  olei  camo.  quod  sufficit  ad  incorpo- 
randum  ;  dissolvantur  dissohenda  in  predictis  oleis  et  fiat  emplaustrum  quod  ponatur 
supra  pannum et  mvolvatur  menbrum  dolens.  (^\)  Ad  idem  veci  un  aultreemplaistre 
dou  queil  vous  porreiz  useir  de  l'anconmancement  de  voslre  maladie  jusques  a 
la  fin.  R.  hermodactillorum  3  .ij .;  puhcrizentur  et  deinde  addatur  farine  ordei  3  /., 
vitella  ovorum  quod  safficiant  ad  incorporandum,  et  fiat  emplastrum.  (52)  Item^ 
R.fabds  cum  corticibus  et  coque  in  aqua,  et  postea  cola  et  aquam  ponas  in  caldario 
novo;  post  accipe  scmen  malvasti,  semen  citoniornm,  scmen  lactuce,  semen  pa pave- 
ris  aibi,  ana  5  .//•.  sc^en  planlaginis,  fenugreci  et  anetijol.  ro. ,  semen  caulium,  man- 
dragore, sandallorum,  cicerum,  ana  5  ./'.,•  coque  totum  in  aqua  plantaginis  ita  quod 
coopcriantur  medicine  donec  (M.  95)  remaneat  medidds;  deinde  cola  et  misceatur 
tantumdem  olei  ros.  quousque  consumatur  aqua,  et  rcmovcas  oleum,  et  postea 
pondéra  oleum  et  cuihbct  ponderi  in  5  appone  5  .iij.  cere  albe  et  5  .11/'.  de  cepo  de  renibus 


1 .  'E7:t'/uuLa,  un  Uniment. 

2.  Hiera  pixra,  préparation  composée  d'aloes  et  de  miel. 

5.  Un  peu  tiède. 
4.  Ltbrani. 

<,.  C'est-à-dire  zinziberis. 

6.  Corr  nuiraient. 


NOTICE    d'un    MS.    messin  1 87 

vituli,  et  misce  totum  et  utere  cumopus  fuerit.  (5^»  Item,  veci  un  emplaistre  qui 
valt  por  conforteir  le  membre  uu  est  la  dolour,  et  que  bien  attramprement  des- 
truit  et  font  la  mauvaise  matière  et  l'ampeche  de  descendre  ou  membre  dole- 
rculz  et  assoagit  la  dolour.  R.  re.  lub.bdr.  3  ./.,  nue.  inJic.  5  .ij.,  tdere  terrcs- 
triso  ./.,  achori  5  ./.,  verbcne3s.,fIor.  cctlcane^  ./.  lucisigilItlti.S.j.,  ccre  novc^s.; 
disiolvatur  cera  in  olco  mirlino  et  camomillino  cqaalibus  partibus,  addenda  de  oleis 
predklis  ejiiod  suficlt  àd  incorporandum,  et  fuU  emplastnim.  {^^)  Item,  baingnieir 
ses  pieiz  en  yawe  ou  soient  cuites  id  est  in  aejua  decoclionis  florum  amigdalarum 
camomille  et  (o'iorum  mirte atque  mtlhloti,  moult  les  confortet.  (55)  Item,  les  bai- 
gnieir  en  moust  novel  il  valt  moult.  Item,  les  baingnieir  en  yawes  ou  la  chairs 
d'un  volpiz,  qu'est  un  renairs,  si  est  cuite  et  si  bien  cuites  qu'elles  soit  toute 
deffaite  et  fondue;  et  auci  valt  moult  encontre  cest  maladie  li  oie  ou  la  chair 
d'un  welpis  est  cuite;  si  en  doit  on  oindre  les  pieiz  ;  maix  devant  on  se  doit  faire 
saingnieir  et  panre  purgacion.  (56)  Et  ce  ces  choses  ne  profitent,  si  converrait 
useirde  cerurgerie,  de  ter  chaulz  ardant  et  bouteir  le  fer  ardant  desous  la  cha- 
ville  dou  pieiz  au  (b)  par  de  fuer  .iij.  dois  aval  et  auci  desous  lou  genoilz  .iij.  dois 
aval,  maix  warde/z  que  ceci  soit  fait  par  lou  conseil  de  saige  et  apers  cyrur- 
giens.  (^7)  Et  quant  a  présent,  non  plux  ne  vous  escrips,  maiques  tant  que  je 
vous  prie  que  vous  faites  tant  que  vous  aieiz  un  boin  phisicien  qui  vous  saichet 
ordeneir  les  receptes  que  je  vous  escrips  et  vous  envoie,  et  que  il  soit  présent 
en  l'osteil  de  l'apothequaire,  quar  je  crois  bien  que  vous  ne  les  savereiz  lire  ne 
entendre;  et  vous  preneiz  bien  en  warde  que  vous  ne  useiz  de  nulles  des  choses 
dessus  dates  que  vous  sunt  deffenduecs,  se  vous  voleiz  avoir  santeit  et  non  sentir 
les  dolours  que  vous  aveiz  acoustumeir  a  sentir,  maix  useiz  de  celles  que  je  vous 
escrips,  et  teneiz  celé  governement  que  je  vous  escrips.  (58)  Et  ce  vous  n'aveiz 
toutes  ou  aucunes  de  choses  que  sunt  contenues  es  receptes  dessus  dittes 
envoieiz  a  Montpellieir  par  aucuns  de  vos  merchans  qui  y  suelent  venir  vel  >  par 
aucuns  certains  messaige,  et  m'envoieiz  les  nons  en  escript,  soient  herbes  ou 
aultre  chose,  et  l'airgent  pour  les  paieir,  et  je  les  vous  envoierai  ;  et  si  m'escri- 
veiz  auci  se  vostre  maladie  vient  de  froide  cause,  ensi  com  vous  porreis  aper- 
cevoir par  ccu  que  j'ai  si  dessus  escript,  et  je  vous  ordenerai,  avec  l'ayde  de 
mes  maistres,  ceu  que  vous  serait  profitable  encontre  la  maladie.  (59)  Et,  ensi 
com  j'ai  dit  si  dessus,  se  ou  temps  que  vous  senteiz  vostre  dolour,  se  li  vostre 
pieiz  est  chaulz,  la  maladie  vient  de  challour,  et  se  il  est  frois  elle  vient  de  froi- 
deur ;  et  pour  tant  (c)  faites  ensi  com  je  vous  escris.  Jehans  Le  Fevres  de  Mes, 
le  tous  vostre  pour  servir  a  vous  et  aux  vostres  selon  mon  pooir,  de  bon  cuer 
et  de  bonne  volenteit. 


I.  Il  y  au?  dans  le  nis.,  mais  il  est  évident  que  la  lettre  du  médecin   devait 
porter  ul'  abréviation  de  vcl. 


i88 


APPENDICE 

I.  —  Sur  les  versions  en  prose  française  du  Secretam  Sccretorum. 

Outre  la  version  du  ms.  de  Montpellier,  dont  je  n'ai  rencontré  aucune 
autre  copie,  je  connais  quatre  versions  en  prose  du  Secretum  Secretorum. 
La  plus  ancienne  est  probablement  celle  qui  a  pour  auteurs  Joffroi  de 
Waterford  et  Simon  Copale,  et  qui  n'a  été  signalée  jusqu'à  présent  que 
dans  le  ms  Bibl.  nat.  fr.  1822.  Elle  est  fort  libre  et  d'autant  plus  inté- 
ressante. Je  me  borne  à  renvoyer  à  l'étude  que  lui  a  consacrée  V.  Le  Clerc 
dans  le  t.  XXI  de  V Histoire  littéraire,  tout  en  faisant  remarquer  qu'il  reste 
encore,  en  ce  qui  concerne  l'origine  et  la  part  de  collaboration  des  deux 
traducteurs,  bien  des  points  obscurs.  Je  désigne  par  A,  B,  C,  les  trois 
autres  versions. 

A.  —  Version  remontant  probablement  au  xiii*  siècle.  Elle  paraît 
fort  exacte.  Je  cite  d'après  le  ms.  Bibl.  nat.  fr.  571  (anc.  7068),  qui 
paraît  avoir  été  écrit  au  xiV'  siècle.  P.  Paris  en  a  cité  quelques  lignes 
dans  ses  Manuscrits  français,  IV,  407-8. 

{Fol.  I  24  <î)  A  son  seign""  hautisme  en  culture  de  crestiene  religion  très  ver- 
teus  (5(c)  Guy,  veirementde  Valence,  de  la  cyté  Tripoli  glorius  eveske,  Phelippe, 
de  ses  clers  li  mendres,  soi  meimes  e  leal  service  de  dévotion.  D'autant  corne  la 
lune  est  plus  clier  ke  les  esteiles  e  li  ray  du  soleil  plus  lusant  que  la  lune, 
d'autant  surmonte  la  clarté  de  vostre  engin  et  la  parfondesce  de  vostre 
savoir  governe  la  gent  qi  ore  sunt  environ  la  mer,  ausi  bien  barbariens  corne 
latins,  en  lettreùre.  Si  n'est  nuls  de  sien  (lis.  sein)  curage  ki  a  ceste  sentence 
puisse  relucter...  Et  corne  a  vostre  seignorie  plout  ceste  margarite  de  philosophie 
a  Antioche,  ou  je  ou  vous  estoie,  k'ele  de  lange  d'Arabie  en  latin  fust  trans- 
latée, je.  a  vostre  comandement  covoitant  humblement  obéir,  et  a  vostre  volenté, 
si  corne  je  sui  tenuz,  servir,  cest  livre  ke  les  Latins  pas  n'avoient,  por  ce  k'en 
pou  lius  fu  trové  neis  d'Arabie  ',  ai  translaté  od  grant  travail,  en  apert  lengage 
de  latin,  delà  lange  d'Arabie... 

(Fol.  124  d)    Prologes  du  translateur  en  loenge  d'Aristotle. 

Deus  omnipotent  gard  nostre  roy  a  glorie  des  creanz,  e  conferme  son  règne  a 
sa  lei  divine  défendre,  e  pardurer  lui  face  a  eshaucerhonur  e  loenge  des  biens  2... 

(Fol.  125  û)  Jehan  qe  cest  livre  translata,  le  fiz  Patrie,  tresachant  e  très 
ioial  disour  des  langages  dist  :  Je  n'ay  pas  guerpi    ne  le  liu   ne   le  temple  ou  li 


1.  Texte  latin:  «  quia  apud  paucissimos  Arabos  reperitur 

2.  Il  faudrait  buens 


NOTICE    d'un    MS.    messin  1 89 

philifophe  {sic)  soloient  escrivre  e  lur  privez  oevrez  respondrc  que  je  point 
n'eschivai... 

{Fol    125  a)  Une  epistrc  Alex,  a  Ar. 

Je  fais  a  savoir  a  vostre  cointise  ke  j'ai  trové  en  la  terre  de  Perse  unes  genz  que 
de  raison  abundent  e  de  perzant  (corr.  parfont?)  entendement... 

(Fol.  \2\  b)  L'cpistn  Ar.  a  Altsandrc. 

0  filz  très  glorius,  très  doiturier  emperere,  Dieus  te  conferme  en  voie  de 
conisance  e  en  sente  de  vérité  e  de  vertu.. . 

B.  —  Version  qui  remonte  au  xiv«  siècle.  Le  commencement  est 
remanié  et  abrégé.  Je  cite  d'après  le  ms  Bibl.  nat.  fr.  1086  qui  appar- 
tient à  la  fmdece  siècle.  Autres  copies  :  Bibl.  nat.  fr.  562  ^anc.  7062, 
voy  P.  Paris,  Mss.fr.  IV,  544-6I  et  10468,  Arsenal  2691  '  ;  Londres, 
Mus.  brit.  Add.  18179;    Oxford,   Saint  John's  Coll.  102. 

Johan  filz  Patrice,  sage  de  touz  langagez,  trouva  en  Grèce,  repost  ou  temple 
du  soleil  que  Esculapides  avoit  fait  faire,  le  livre  des  secrez  Aristote,  et  le  trans- 
lata de  grieu  en  caldieu.  Et  puis,  a  la  requeste  du  roy  d'Arabie  le  translata 
de  caldieu  en  arabic.  Et  après  grant  temps  ung  grand  clerc  appelle  Philiippes 
le  translata  d'arabic  en  latin  et  l'envoya  a  révèrent  père  en  Dieu  très  sage  noble 
et  honneste  personne  Guy  de  Valence,  evesque  de  Triple... 

Comme  Alixandre  envoya  une  epistre  a  Aristote  pour  avoir  conseil  se  il  occiroit 
ceulx  de  Perse. 

0  très  noble  signour  de  justice,  je  segnifie  a  ta  prudence  que  j'ay  trouvé  en 
la  terre  de  Perse  unes  gens  habundans  de  raison,  et  ont  entendement  a  acquerre 
royaumes... 

Le  .iii'].,  comme  Aristote  envoya  aAlixandreune  epystreen  soy  excusant  qu'inepoutt 
alcr  de  vers  ly  pour  sa  viellessc,  et  pour  ce  luy  envoyé  ce  livre  comme  il  se  doit  gou- 
verner. 

Alixandre,  biau  filz  gloriex  emperierez,  le  très  précieux  Dieu  te  vueille  con- 
fermer  et  envoyer  cognoissance  et  sentir  vérité  et  vertu... 

C.  —  Version  qui  ne  parait  pas  être  antérieure  à  lafmdu  xiv*  siècle, 
mais  qui  ne  peut  être  notablement  postérieure,  puisque  le  duc  de  Berry 
en  possédait  un  exemplaire  en  141^-.  Elle  supprime  le  premier  pro- 
logue et  commence  au  chapitre  Deus  omnipotens  custodiat  regem  nostrum 
(ci-dessus,  p.  168)  et  ensuite  confond  en  un  seul  personnage  le  Phi- 
lippus  du  prologue  supprimé  et  Joannes filius  Pairicii.  Je  la  cite  daprès 
lems.  Bibl.  nat.  fr.  1087.  Il  en  existe  d'autres  copies,  par  ex.  Bibl. 
nat.fr  1166,  19^8  ;  Cambridge,  Bibl  de  l'Université,  FF.  i .  ^3  (daté 
de  1420)  Elle  a  été  imprimée  à  Paris  pour  A.  Verard,  en  un  volume 
renfermant  divers  traités  ainsi  indiqués  à  l'explicit  : 

1.  Mss.  ayant  appartenue  •  Mademoiselle  Anne  de  Graville  »,   puisa  d'Urfé. 

2.  Cet  exemplaire,  qui  ne  s'est  pas  retrouve,  figure  dans  l'inventaire  de  141 3  ; 
voy.  Delisle,  Cabunt  des  mss.  Ili,  184  (n>'  165). 


190  p.    MEYER 

Icy  fine  le  livre  du  gouvernement  des  princes,  du  trésor  de  noblesse  et  des 
fleurs  de  Valere  le  grant,  imprimé  à  Paris  par  Anthoine  Verard.  —  (Bibl.  nat. 
E  1087,  Rés.). 

Elle  occupe  dans  ce  livre  les  vingt-deux  premiers  feuillets. 

Dieu  tout  puissant,  vueilles  garder  nostre  roy  et  la  gloire  de  ceulz  qui  croyent 
en  lui,  et  conferme  son  royaume  pour  prendre  la  loy  de  Dieu,  et  le  face  régner 
a  l'exultation,  loenge  et  honneur  des  bons.  Je  qui  suis  serviteur  du  roy  ay 
mis  a  exécution  son  mandement,  et  ay  donné  oeuvre  d'acquérir  le  livre  des  bonnes 
meurs  au  gouvernement  de  lui,  lequel  livre  est  nommé  le  secret  des  secretz'... 

(V°)  Une  epislre  que  Alixandre  envoya  a  Aiislole. 

Dotteur  de  justice  et  très  noble  recteur,  nous  signiffions  a  ta  grant  sagesse 
que  nous  avons  trouvé  ou  royaume  de  Perse  pluseurs  hommes  lesquels  habondent 
très  grandement  en  raison  et  entendement  subtil  et  penetratif... 

(Fol.  3)  Le  prologue  d'un  docteur  appelle  Phelippe  qui  translata  ce  livre  en  latin. 

Phelippe  qui  translata  cest  livre  fu  filz  de  Paris,  et  fut  très  saige  interpréteur 
et  entendeur  de  toutes  langues,  et  dist  ainsi  :  Je  n'ay  sceu  ne  lieu  ne  temple  ou 
les  philosophes  ayent  acoustumé  de  faire  ou  deffaire  toutes  oeuvres  ou  tous 
secrezqueje  n'ay  cerchié... 

(Fol.  3  V")  Très  glorieux  filz  et  juste  empereur,  Dieu  te  conferme  en  la  voye 
de  congnoissance  les  chemins  de  vérité  et  de  vertus... 

Je  mentionne  ici,  pour  mémoire,  la  version  très  abrégée,  et  probable- 
ment exécutée  en  Angleterre,  que  renferme  le  ms.  Roy.  20.  B.  V.  du 
Musée  Britannique,  fm  du  xiV  siècle.  En  voici  les  premières  lignes  : 

(Fol.  136)  Ici  comencent  les  epististels  (sic)  sescretes  (sic)  del  livre  Aristotle  a 
Alisandre,  q'est  apelé  secré  des  secrez,  et  dist  ensi  Aristotle  a  Alisandre: 

Beauz  fiz,gloriousdretturel  cmperers,  Dieux  te  conferme  et  refreyne  tes  apetis 
desordenés,  et  com'erme  ton  règne  et  illumine  ta  conscience  a  son  service  et  a 
sa  honur... 

II.  —  Enseignement  d'Aristote  à  Alexandre,  d'après  Gautier  de  Châtillon. 

Voici  les  premières  et  les  dernières  lignes  de  la  version  des  Enseigne- 
ments d'Aristote  annoncée  plus  haut  (p.  169).  Je  n'en  connais  qu'une 
copie,  Bibl.  nat.    fr.    1975,   ff.    66  à  68,    du  xv«  siècle: 


1.  Il  y  a  dans  l'imprimé  de  Vérard  une  curieuse  interpolation:  «  Dieu  tout 
puissant,  vueille  garder  nostre  Roy  et  la  gloire  de  ceulz  qui  l'hon- 
neurent,  et  conierme  son  royaulme  à  la  gloire  de  Ditu,  et  le  face  régner  a 
l'exultation,  louenge  et  honneur  dp  tous  bons  chnstiens.  Je  qui  suis  servi- 
teur du  dict  s  Agneur  Charles  VIII  de  nom,  a  sa  l&uenge  el  honneur,  ay  mis 
peine  et  entente  d'acquérir  le  livre  de  bonnes  meurs  au  gouvernement  de  lui.» 

2.  Corr.  a  preud' hommes. 


NOTICE    D'UN    MS.    MESSIN  I9I 

Alixandre,  biaus  filz,  devieng  homme  et  aprens  a  porter  armes.  Tu  as  bonne 
achoison  de  Cbtre  chevalier,  car  tu  as  anemis  contre  qui  tu  poes  moustrer  ta 
vertu.  Et  le  te  diray  comment  tu  le  pouras  laire.  se  tu  me  veulz  entendre.  Con- 
seilles toi  apprendes  hommes  -  et  laissiez  les  serfs  et  gengleurs  et  les  félons.  Ne 
souhaulce  ja  ceuz  que  par  nature  doivent  estre  bas,  car  tu  vois  par  coustume  que  le 
ruisseaulz  qui  est  enflés  par  le  pluie  ceurt  plus  orgueilleusement  que  cil  qui 
vient  de  la  fontaine  et  court  tousjours.  Autresi  est  plus  fier  et  plus  crueulz  li 
povres  homs  soushauchiés.  Il  ne  vueit  oïr  preiere  ne  fléchir  soi   a  deboinaireté. 

Fin  (fol.  68  v°)  : 

Et  se  aucuns  t'a  mesfait,  délaisse  a  prendre  vengance  tant  que  l'ire  soit 
apaisie,  et  puis  que  accordemens  ara  esté  fais,  ne  te  souviengne  ja  depuis  de  la 
hayne.  Se  tu  vis  en  cesie  manière,  tu  gaingneras  renommé  qui  ne  fauldra  a  nul 
jour  du  monde. .. 

Paul  Meyer. 


P. -S.  Tout  ce  qui  précède  était  imprimé  lorsque  j'ai  trouvé  à  la 
Bodleienne  un  manuscrit  (Rawlinson  C  5581  qui  renferme  une  traduc- 
tion du  Secret  des  Secrets  différente  de  toutes  celles  qui  ont  été  exami- 
nées ci-dessus.  Elle  commence  ainsi  un  fol.  5  v°  à  la  suite  de  la  table  : 

A  son  seigneur  très  excellent  en  la  religion  crestienne  estable  et  très  ferme 
Guy  de  Valence,  de  la  cité  de  Tripole  glorieux  evesque.  Phelipe,  de  sez  clers 
le  plus  petit,  humble  recommendacion  et  dévote  et  loyale  subjection.  C'est 
chose  digne,  juste  et  resonnable  que  vostre  paternité  aist  cest  livre  ouquel 
comment  (?)  de  toutez  les  sciences  aucune  choze  profitable  i  est  contenue.  Quar, 
quant  je  estove  en  Antioche  avecque  vous  et  ceste  precieuze  de  philosophie 
marguerite  si  fust  trouvée,  il  plut  a  vostre  domination  que  il  fust  translaté  de 
arabic  en  latin... 

Lems.,  qui  est  de  très  petites  dimensions,  a  été  exécuté  à  la  fin  du 
xiV  siècle.  En  tête  du  texte  est  placée  une  fort  belle  miniature  de  pré- 
sentation. Au  bas  de  la  page  est  peint  l'écu  d'azur  semé  de  fleurs  de  lys 
et  entouré  d'une  bordure  dont  la  couleur  ne  peut  plus  être  distinguée. 
Ce  sont  probablement  les  armes  de  Jean  duc  de  Berry  (écu  de  France 
à  la  bordure  engrêlée  de  gueules  ,  et  en  ce  cas  le  ms.  d'Oxford  pou.Tait 
être  identifié  avec  le  "  petit  livre  en  françois,  escript  de  lettre  de  court, 
«  du  gouvernement  des  rois  et  des  princes  »  qui  occupe  le  n"  164  dans 
l'inventaire  de  la  librairie  du  duc  de  Berry  édité  par  M.  Delisle  [Cabinet 
desmss.,  III,  184).  P.   M. 


MÉLANGES 

DE  LITTÉRATURE  CATALANE' 


III.  —  Le  livre  de  courtoisie. 

Le  poème,  qui,  dans  le  manuscrit  n°  377  de  la  bibliothèque  de  Car- 
pentras,  où  il  occupe  les  feuillets  22]  à  242,  est  intitulé  Fasset,  et  que  je 
nomme  Le  livre  de  courtoisie,  po\ir  en  mieux  déclarer  le  contenu,  n'est 
pas  une  œuvre  originale. 

Fasset,  ou  plus  correctement /îc<;/,  renvoie  à'faceîus  qui,  en  bas  latin, 
on  le  sait,  ne  signifie  pas  seulement  «  plaisant,  facétieux  »,  mais 
«  courtois,  bien  élevé  »  ;  c'est  fort  souvent,  au  moyen  âge,  un  synonyme 
de  curiàlis  et  à'urbanus.  Or,  sous  le  titre  de  Facetus,  ont  été  composés 
deux  poèmes  latins,  l'un  en  hexamètres,  l'autre  en  distiques,  que 
M.  Hauréau  a  récemment  étudiés  et  décrits  dans  sa  Notice  sur  les  œuvres 
authentic]aes  ou  supposées  de  Jean  de  Garlande^.  D'un  de  ces  poèmes,  de 
celui  qui  est  écrit  en  distiques  et  commence  par  le  vers:  Moribus  et  vita 
quisquis  vult  esse  facetus,  a  été  tiré  le  nôtre.  Je  dis  tiré  plutôt  que  traduit, 
car  bien  que  le  rimeur  catalan  ait  translaté  à  la  lettre  de  longs  passages 
du  latin,  il  s'est  donné  çà  et  là  quelques  libertés,  il  a  maintes  fois  délayé, 
développé  et.  à  l'occasion  aussi,  abrégé. 

Le  Facetus  latin  tient  du  manuel  de  discipline  mondaine,  du  livre  de 
civilité  et  de  l'art  d'aimer.  Après  des  généralités,  des  conseils  sur  l'édu- 
cation et  le  choix  d'une  carrière,  des  règles  touchant  le  maintien,  la  toi- 
lette et  l'accoutrement,  l'auteur  dicte  à  ses  élèves  une  ars  amatoria,  qui 
est  la  partie  essentielle  de  son  œuvre  et  de  toutes  la  plus  longue,  puis- 
qu'elle embrasse  environ  la  moitié  du  poème  [v.  1 5 1  à  584I.  L'influence 
d'Ovide,  on  pouvait  s'y  attendre,  est  ici  sensible  et  se  manifeste  en 


1.  Voir,  pour  les  deux  premiers  articles,  Romanla^  X,  497  et XII,  230. 

2.  Notices  et  extraits,  t.  XXVII,  2=  partie,  p.  1  j  et  suiv. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE   CATALANE  U)3 

plusieurs  passages.  Comme  le  poète  de  Sulmone,  notre  Catalan  débute 
par  le  choix  d'une  amie  (v.  151-152): 

Providus  imprimis  oculis  sibi  quaerat  amandam, 
Eiigat  e  mullis  que  placet  unasibi. 

(comp.  Ovide,  Ars  amat.,  I,  55,  42),  et  continue  par  l'énumération  des 
artifices  qu'emploiera  le  jeune  homme  pour  se  concilier  les  faveurs  de 
la  belle.  De  même  qu'Ovide,  il  recommande  d'avoir  recours  à  une 
entremetteuse,  une  messagère  {Vancilla  ou  l'index  de  \'Ars  amaîorla.  est 
ici  unenun/m);  il  n'a  pas  meilleure  opinion  que  lui  de  la  vertu  féminine 
et  ne  croit  pas  qu'une  femme  quelconque,  adroitement  sollicitée,  puisse 
résister  longtemps  (v.  198-200)  : 

Improbitas  vincit,  pectora  frangit  amor; 
Ferrea  congeries  disrumpitur  improbitate 
Et  durum  lapidem  gutta  cadendo  cavat. 

(comp.  Ovide,  I,  473);  il  est  d'avis  aussi  qu'un  moment  vient  oii  il 
faut  tout  brusquer,  sous  peine  de  se  rendre  ridicule  et  odieux  (v.  295  ss.)  : 

Vim  faciat  juvenis,  quamvis  nimis  illa  repugnet... 
Expectat  potius  iuctando  feinina  vinci 

Quam  velit,  ut  nieretrix,  crimina  sponte  pati... 
Qui  querit  coitum,  si  vim  posl  oscula  differt, 

Rusticusest... 

(comp.  Ovide,  I,  669  et  suiv.).  Enfin  les  recommandations  qu'il  fait 
à  son  disciple  sur  sa  toilette  et  la  propreté  de  ses  vêtements  sont  égale- 
ment empruntées  au  poète  latin  (v.  5 1-52,  et  v.  109  et  suiv.)  : 

Sepius  insinuet  vestes  ut,  tegmine  mundus, 

Purgatus  viciis  significetur  ut  est... 
Libéra  frons  pateat,  detonsis  arte  capillis... 
Cesarie  longa  fit  turpis  forma  virilis... 
Non  natal  in  caligis  vel  crus  vel  pes  juvenilis, 

Sed  sotularJs  formel  utrumque  pedem. 

(comp.  Ovide,  I,  $  14  et  suiv.]. 

Après  cette  longue  dissertation  de  amore,  dont  Ovide  a  fait  les  frais  en 
partie,  nous  retombons  dans  les  moralités;  l'auteur  reparle  des  diverses 
professions,  de  leurs  avantages  et  inconvénients,  des  qualités  spéciales 
qu'elles  requièrent,  etc. 

Ce  Facetus,  dont  le  succès  au  moyen  âge  est  attesté  par  les  manuscrits 

nombreux  qui  nous  l'ont  conservé,  a  tenté    un    rimeur   catalan   de   la 

seconde  moitié,  je  crois,  du  xiv"  siècle.  Il  lui  parut  que  le  livre  du  docteur 

Face:  —  c'est  ainsi  qu'il  interprète  le  litre  du  poème   latin  —   méritait 

Romania,  XV.  1  ? 


194  ^-     MOREL-FATIO 

d'être  mis  en  roman,  car  il  tenait  ce  livre  pour  le  meilleur  code  qui  se 
pût  trouver  de  l'art  de  corterU.  D'abord  il  suit  de  très  près  son  modèle. 
Sans  garder  la  concision  du  latin,  ce  qui  lui  était  impossible,  —  à  lui 
comme  à  tout  autre  poète  en  langue  vulgaire  —  il  ne  paraphrase  guère 
que  pour  les  besoins  de  la  rime.  Après  c'est  autre  chose.  Il  est  visible 
que  l'art  d'aimer,  qui,  dans  les  distiques  latins,  se  soude  à  l'introduction 
et  y  forme  déjà  le  morceau  de  résistance,  est,  aux  yeux  du  rimeur  catalan, 
la  seule  partie  du  poème  qui  compte,  le  reste  ne  devant  servir  que  de 
prétexte  et  de  prologue.  Ce  manuel  du  parfait  séducteur  est  ce  qui  sur- 
tout l'a  charmé  et  lui  a  semblé  digne  d'être  révélé  à  ses  compatriotes; 
mais  traduire  ici  ne  serait  pas  suffisant,  il  faut  insister  et  longuement 
commenter  l'original.  Aussi  les  trois  cent  cinquante  vers  que  le  premier 
auteur  avait  consacrés  à  l'^r^  amaîoria  en  fournissent-ils  plus  de  quatorze 
cents  au  second  ;  et,  ce  qui  est  remarquable,  au  lieu  de  revenir,  après 
cette  longue  digression,  aux  règles  de  conduite  qui  terminent  le  poème 
latin,  notre  Catalan  continue  pour  son  compte  à  parler  de  l'amour  :  la 
morale  de  son  trané  est  une  diatribe  terrible  contre  les  femmes,  qu'il 
n'atténue  qu'à  la  fin  par  quelques  réserves  à  l'endroit  des  fembres  bones. 

Donc  le  Facet  catalan  est  essentiellement  un  art  d'aimer  et  se  rattache, 
par-dessus  son  modèle  immédiat,  à  la  littérature  des  imitations  d'Ovide 
en  langue  vulgaire.  Je  voudrais  pouvoir  trouver  dans  cette  œuvre,  et 
surtout  dans  les  partiesajoutéespar  l'auteur  catalan,  quelque  autre  intérêt 
qu'un  intérêt  liguistique  :  cela  ne  serait  pas  facile.  Il  faut  convenir  que 
le  tout  est  piètrement  composé,  écrit  et  versifié,  et  que  le  Catalan  a  peu 
marqué  son  coin  dans  ce  délayage,  peu  marqué  aussi  la  couleur  de  son 
époque  et  de  son  pays.  Quelques  allusions  à  Flore,  à  Tristan,  à  Jaufre 
Rudel  de  Blaye  dénoncent  le  poète  en  langue  vulgaire,  auquel  étaient 
familières  les  œuvres  principales  des  littératures  provençale  et  française; 
un  dicton  castillan  rapporté  quelque  part  (v.  1549-50)  trahit  seul  le 
rimeur  d'outre-monts.  Voilà  à  quoi  se  borne  la  note  locale  du  Facet. 

Ou  faudrait-il  encore  relever  l'importance  relative,  et  plus  accen- 
tuée que  dans  le  latin,  donnée  ici  au  rôle  de  la  messagère  d'amour? 
Serait-ce  un  trait  plus  particulièrement  espagnol,  quelque  chose  qui 
rappellerait  le  pays  de  la  Celestine  ?  A  peine.  Mais  le  nom  que  porte  la 
moyenneresse  et  que  je  n'ai  pas  rencontré  ailleurs  vaut  qu'on  s'y  arrête. 
Ce  nom  est  hdestral;  or,  destral,  en  catalan,  signifie  «  hache  ».  Qu'a  de 
commun  une  hache  et  le  personnage  en  question  ?  Au  premier  abord, 
j'ai  pensé  que  destral,  au  lieu  de  son  sens  habituel  et  constant  de  «  hache  » 
avait  ici  celui  d'  «  indicatrice»  et  de  «  guide  »  (comp.  le  castillan «^/e^/ro, 
guide,  licou,  et  destrar,  adestrjr,  guider,  conduire!,  et  que  le  poète,  en 
employant  ce  terme,  s'était  souvenu  de  l'épithète  d'index,  qu'Ovide 
[Ars  amat.,  I,  389  et  597}  a  deux  fois  appliquée  à  Vancilla  qui  sert  les 


MÉLANGES  DE  LITTÉRATURE  CATALANE  19$ 

intérêts  de  l'amant  ;  mais  voici  que  deux  passages  établissent  qu'au  con- 
traire l'auteur  catalan  a  bien  entendu  prendre  le  mot  au  sens  de  hache 
(v.  570-71): 

La  destral  sia  tan  aguda 

A  dos  colps  l'arbre  s'en  aduga. 

Littéralement  :  «  Que  la  hache  soit  assez  aiguisée  (ou  l'entremetteuse 
assez  adroite;  pour,  en   deux  coups,   abattre   l'arbre.   »    Et  encore 

[V.  1 102-03I  : 

Tremeta  tost  par  la  destral 
Per  derrocar  l'arbre  fortal. 

«  Que  l'amant  demande  aussitôt  la  hache  {ou  l'entremetteuse)  pour 
abattre  l'arbre  robuste  ».  Tout  au  plus  pourrait-on  admettre  un  jeu  de 
mots  :  destral  aurait  les  deux  sens  de  hache  et  d'index. 

Le  texte  du  Facet  nous  est  parvenu  dans  un  état  lamentable.  Assurément 
plusieurs  scribes  ont  dû  travailler  à  rendre  inintelligibles  bien  des  pas- 
sages de  ce  poème;  c'est  eux,  non  pas  l'auteur,  qu'il  faut  rendre  res- 
ponsables de  mots  altérés,  d'infractions  à  la  mesure  du  vers  et  d'omis- 
sions de  vers  entiers.  Mais  l'auteur  a  à  sa  charge  aussi  des  négligences  et 
des  incorrections.  Ainsi  n'est-ce  pas  à  lui  qu'on  doit  s"en  prendre  d'une 
faute  contre  la  syntaxe  qui  revient  souvent,  j'entends  la  confusion  du 
discours  direct  et  du  discours  indirect,  le  passage  dans  une  seule  et 
même  phrase  de  la  deuxième  personne  à  la  troisième,  ou  l'inverse  ? 
Par  exemple  (v.  340  et  suiv.)  : 

No  sies  entre  !os  maiors 
En  paraules  trop  hdbundos 
E  tingii  tant  entre  sa  pensa 
So  que  voira  dir  niporpuisa. 

L'auteur,  vraisemblablement,  était  peu  maître  de  sa  langue  et  compre- 
nait mal  le  latin. 

La  versification  du  Facet  prête  à  diverses  observations.  Un  trait  d'abord, 
qui  la  distingue  nettement  de  celle  du  conte  de  Vamant,  la  femme  et  le 
confesseur^  et  la  rapproche  de  celle  des  Sete  Savis^,  est  l'emploi  d'asso- 
nances féminines.  Nous  trouvons  ici  des  assonances  telles  que  doctrina  : 


! .  Romania^  X,  497. 

2.  Publ.  par  M.  Mussafia. 


196  A.     MOREL-FATIO 

dia;  disciplina:  sia  ;  ciciliana:  mala  qu'ignore  le  conte  que  j'ai  publié, 
alors  qu'elles  sont  fréquentes  dans  les  Sete  Savis.  Mais  cette  question 
demande  à  être  examinée  d'un  peu  près. 

Il  semble  au  premier  abord,  et  à  considérer  seulement  certains  cas, 
que  l'auteur  ait  eu  la  ferme  intention  de  rimer  son  poème  correctement, 
et  si  correctement  qu'il  n'aurait  vu  aucun  inconvénient  à  plier  la  gram- 
maire et  la  syntaxe  aux  exigences  de  la  rime  pure  :  obtenir  de  vraies 
rimes  aux  dépens  de  la  correction  grammaticale,  de  la  forme  régulière  des 
mots,  tel  aurait  été  son  but.  Comment  expliquer  autrement  des  rimes 
telles  que  hom:  perdoin  (266-67);  ^' •  ^^z"'  (392-9?) ;  desesper  :  esforser 
{^92-ç)])',  diner:  fier  (12^^-4%)  \  fer  :  parler  (526-27);  infant:  veraya- 
mant[j62-6]]  ;  où  perdom  {perdon.it]  échange  son  n  contre  une  m,  où  di 
[dico]  perd  son  c  final,  ce  qui  est  contraire  à  la  phonétique  catalane,  où 
esforser  et  fier  passent  de  la  première  à  la  deuxième  conjugaison,  et  où 
verayamant,  cet  adverbe  en  ment,  prend  un  a  auquel  il  n'a  aucun  droit  ? 
Et  je  ne  parle  pas  de  beaucoup  d'autres  exemples,  où  l'addition  d'une  s 
à  un  substantif,  un  adjectif  ou  un  adverbe  transforme  une  assonance  en 
une  rime  pure,  parce  qu'on  ne  peut  pas  déterminer  exactement  dans  quels 
cas  l'emploi  de  cette  5  de  déclinaison  était  ou  non  conforme  à  l'usage 
catalan  au  xiv"  siècle.  La  règle  de  Vs  n'a  jamais  été  observée  en  catalan 
populaire;  mais  l'influence  des  lectures  provençales  amena  presque  tous 
les  poètes  catalans  du  xiir  et  du  xiV  siècle  à  ajouter  un  peu  au  hasard 
à  bon  nombre  de  substantifs,  d'adjectifs  et  de  participes  1'^  du  nominatif 
singulier  ou  du  régime  pluriel,  dont  ils  ne  connaissaient  pas  exactement 
la  valeur.  Lors  donc  qu'on  trouve,  comme  ici,  des  mots  terminés  par 
une  s  que  ne  légitiment  pas  l'étymologie  et  la  règle  provençale,  il  ne 
serait  pas  exact  de  taxer  ces  formes  d'incorrectes  :  c'est  une  licence  per- 
mise. Notre  texte  fournit:  v.  688-89  conoriats  (nom.  pi.)  :  bontats 
(nom.  sing.);  v.  714-15  resplandents  (rég.  sing.)  :  plazenis  (rég.  pi.); 
V.  ç)o ]-04  corîés  (nom.  sing.)  :  mercés  (rég.  sing.);  v.  957-58  bontats 
(rég.  sing.)  :  pentinats  (ind.  prés.  2"  p.  pi.);  v.  1054-55  abrassats  (nom. 
pi.)  :  nats  inom.  sing.);  v.  1647-48  morts  (rég.  sing.):  storts  (nom. 
pi.)  ;  enfin  trois  exemples  d'adverves  en  ment  terminés  par  une  s: 
V-  7  3  2-7  n  luents  ^nom.  pi. ,  :  verayements  ;  v.  1 48  5-84  serpents  ^nom.  sing.)  : 
examents;  v.  1521-22  jausents  rég.  sing.)  :  verayaments.  En  provençal 
classique  l'une  ou  l'autre  de  ces  formes  de  mots  rimant  ensemble  et 
quelquefois  toutes  deux  seraient  condamnées,  tandis  qu'ici  l'idiome 
littéraire  et  poétique  les  tolère:  nous  ne  rangerons  donc  pas  ces  exemples 
parmi  ceux  où  la  grammaire  est  sacrifiée  à  la  rime  pure.  Mais  il  en  reste 
d'autres  à  joindre  à  ceux  qui  ont  été  cités  précédemment,  j'entends  des 
mots  où  l'accent  a  été  transposé  pour  les  faire  rimer  parfaitement  avec 
d'autres:  v.  504-05  cortés:  largués   (pour  largues,  pi.  masc.  delarch); 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE  1 97 

V.  104S-4C)  gracia  :  alegrd;  V.  \  <iO()-io  faysô:  Ovidiô  (au  lieu  d'On'^i.  ; 
V.  1708-09  ha  :  luxurid  ;au  lieu  de  luxuria  !'. 

En  revanche  le  Facet  contient  un  grand  nombre  d'assonances,  ou,  si 
l'on  veut,  de  rimes  imparfaites.  Est-ce  négligence,  est-ce  système  ?  Je 
n'en  sais  rien.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  ces  assonances  vont  à  ren- 
contre du  procédé  antérieur,  qui  consiste,  comme  on  l'a  vu,  à  subor- 
donner la  grammaire  à  la  rime.  A  quoi  bon,  se  demande-t-on,  torturer 
des  mots  au  profit  de  l'homophonie,  quand  ailleurs  le  poète  se  contente 
de  simples  approximations  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  voici  le  relevé  de  ces 
assonances.  Il  convient,  il  est  vrai,  dedistinguer  celles  qui  ne  sont  qu'ap- 
parentes, simplement  graphiques,  de  celles  qui  sont  réelles. 

I.  Assonances  graphiques.  Voyelles.  E :  a.  v.  S<^-S6  mesîre  :  metra; 
V.  1455-54  ^ro^a;  roge;  il  n'y  a  là  qu'une  différence  de  notation,  e  et 
a  dans  cette  position  représentant  exactement  le  même  son.  —  Con- 
sonnes. Rs:  s,  après  un  e  ou  un  o.  V.  ]oS'iocortés:  es:  leugers;v.  340- 
541  maiors:  habundos;  v.  5  54"5  5  abdos :  amors ;  v.  818-19  ^'°^'  t^f^ors; 
V.  917-18  lausors:  nos;  v.  981-82  vos:  cors;  v.  1 1  ^o-ji  vos:  lausors; 
V.  99-100,  297-98  sasarros  :  fors.  Dans  tous  ces  exemples,  il  est  très  pro- 
bable que  l'r  ne  se  faisait  pas  entendre,  et  que  es  et  ers,  os  et  ors  se  confon- 
daient dans  la  prononciation;  en  effet,  il  n'est  pas  rare  de  trouver  en 
catalan  des  formes  telles  que  primés  pour  primers  primarios]  et  cos  pour 
cors  [corpus),  quoique  le  phénomène  inverse,  c'est-à-dire  la  présence 
d'une  r  parasite  dans  certaines  finales,  dans  des  dérivés  par  exemple  du 
suffixe  latin  osiis,  ne  soit  pas  sans  exemple  »  :  ici  même  nous  avons  assors, 
^v.  1421),  pluriel  de  05  |05,  055/5).  — nf5 :  n5,  après  ^  ou  c.  V.  111-12 
recomptants:  escrivans ;  V.  i  ^S-^c)  infants:  capelans;\.  776-777  mans : 
guants ;  v,  1 126-27  mans:  stants ;  v,  1 379-80  manaments :  sens\  1688- 
i6Sç)  fems  :  calents.  Dans  cette  situation,  la  dentale  ne  se  fait  pas  faci- 
lement entendre  :  toutes  ces  finales,  de  quelque  façon  qu'elles  fussent 
écrites,  sonnaient  donc  de  même  ans  et  ens.  —  nt  :  n,  après  e.  V.  504- 
505  defaylimen:  altiment  ;  le  cas  étant  isolé,  il  n'y  a  trop  rien  à  en  dire, 
car  le  t  du  premier  mot  a  pu  être  omis  par  un  scribe  ;  mais  la  chute  du 
t  en  ce  cas  ne  serait  pas  non  plus  sans  exemple.  —  m:  n,  après  a. 
V.  249-50  am:  deman  ;  v.  856-37  sabran  :  am.  Si  ce  sont  bien  là  des 
rimes  parfaites,  on  a  dû  prononcer  an,  Vm  s'est  assimilée  à  1'^;  mais  il 
est  possible  qu'on  doive  mettre  ces  exemples  au  nombre  des  assonances 


1.  Des  faits  du  même   genre   ont   été   signalés    ailleurs;    voy.   P.    Meyer, 
Chanson  de  la  Crois,  albig.,  I,  cix. 

2.  Voir  Romania,  X,  280;  Mussafia,  Introd.  aux  StU  Savis,  §  j6. 


198  A.     MOREL-FATIO 

réelles,  et  ce  qui  tendrait  à  le  prouver,  c'est  le  perdom,  forme  citée  plus 
haut,  que  le  poète  a  créée,  contrairement  à  l'étymologie,  pour  rimer 
avec  hom.  —  Puis  quelques  cas  isolés  et  où  la  graphie,  sans  doute,  est 
seule  en  cause.  V,  j  22-2  5  trists:  smarrits  (je  crois  qu'on  prononçait 
plus  souvent  au  pluriel  tr.îs  que  trists  et  que  le  poète  a  bien  pu  écrire 
frits]  ;  V.  421-22  agual:  vall  \\\  n'est  pas  douteux  qu'on  doive  prononcer 
aguall,  l  simple  étant  constamment  employée  dans  les  manuscrits  pour 
/  mouillée),  enfin  v.  1 5M'3<^  mes  es  :  bezes  [kl  le  z  est  une  faute  pour  s). 

II.  Assonances  véritables.  Voyelles  g;  ci;  ^,  fl/,  ay  :  au.  v.  152-53 
drei:  deig^  ;  V.  ^<)6-ç)-j  said :  mal;  594-95  senyals :  suaus;\.  1427-28 
plau:  natural;  v.  i/{6y64 play  :  said.  — Consonnesf:c,  après?,  /,  0,  or. 
V.  1712-13  met:  dech  ;  v,  538-39  ohlit:  die;  v.  768-69  dich  :  esperit; 
V.  1084-85  dit:  ric;v.  57-58  tôt:  hoc;  v.  1409-10 /jorc/z  :  mort.  —  ;?  .• 
c, /,  après /,  or.  V.  604-oi  macip  :  trich;  V.  854-55  macip:  exarnit; 
V.  1627-28  fort:orp.  —  n:  rn,  après  0.  V.  16 iç)-20  son  :  jorn. — 
ts:  s,  après  /.  V.  754-55  vestits :  paradis.  — yll:  y.  V.  1437-38  erguyll: 
anuy ;  peut-être,  cependant,  /  mouillée  (représentée  ici  par  le  groupe)'//) 
se  prononçait-elle  déjà  comme  /  consonne. 

Assonances  féminines.  /^;  in^: /r^: /5^;  ira:  ida:  iea.  V,  138-39 
doctrina  :  dia  ;  V .  230-31  disciplina:  sia  ;  v.  704-05  nina:  morria; 
V.  911-12  estia:  nina;  v.  478-80  sia:  profira:  dia;  v.  1655-56  gira: 
dia;v.  461-62  camisa:  via;  V.  975-76  aymia  :  agradiva;  v.  1447-48 
tenyida:  falia;  V.  ic)S>-c)C)sia:  saviea.  —  ala:  ana.  V.  ^66-67  ciciliana: 
mala.  —  Ola:  ona:  ora:  orra.  V,  702-703  dona:  hora ;  v.  740-41 
madona:  axora;  v.  1302-03  gola:  bona;  v.  1349-50  dona:  hora; 
V.  i<i6ç)-jo  s'anamora:  modorra.  —  Oca:  ota  ;  v.  1050-51,  1221-22 
boca  :  tota.  —  ua  :  nda  :  uga  :  uyla  {■=  iiHa] .  V.  1292-93  perduda  :  faduga  ; 
V.  1419-20  eguylla:  niia. —  ea:  ella.  V.  1 579-80  balea  :  ella. —  esa:  eta. 
V.  4^ç)-6o  sartroresa:  robeta.  —  eles :  eyles:  eses.  V.  760-61  mameles: 
mereveyles;  V.  \/{4C)-^o  creses :  merereyles.  —  ates:  agiies.  v.  1545-46 
mates:  bujalagues.  —  iquen:  iguen.  V.  750-51  signifiquen  :  liguen.  — 
Assonances  féminines  où  plus  d'une  consonne  diffère  V.  243-44  crusca  : 
alguna;  v.  1399-400  balea:  sembla;  v.  1461-62  blanca  :  auca;  v. 
1551-52  castes  :  maridades. 

De  tous  les  morceaux  en  vers  ou  en  prose  dont  se  compose  le  manus- 


I.  Il  est  bien  probable  que  Vi  ne  se  faisait  pas  sentir  du  tout  et  qu'on  pro- 
nonçait detx  {xz=.ch  franc.)  :  ce  ne  serait  qu'une  assonance  graphique.  Toute- 
fois, au  V.  764,  le  poêle  a  écrit,  contrairement  à  l'étymologie,  dreig  pour  faire 
rimer  ce  mot  avec  dcig. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE 


199 


crit  de  Carpentras,  le  Facet  est  celui  qui  contient  le  plus  de  passages 
inintelligibles,  du  moins  pour  moi.  J'ai  fait  ce  que  j'ai  pu  pour  trouver 
un  sens  aux  vers,  qui,  tels  que  nous  les  livre  le  manjscrit,  m'en 
paraissent  dépourvus,  et,  dans  le  petit  glossaire  placé  à  la  suite  du  texte, 
j'ai  soigneusement  relevé,  à  côté  des  mo:s  plus  ou  moins  rares  que  tous 
les  dictionnaires  ne  citent  pas,  ceux  dont  mes  lectures  ne  m'avaient  pas 
encore  fourni  d'exemple  et  que,  généralement,  je  n'entends  point.  Enfin, 
pour  donner  à  d'autres  le  moyen  de  corriger  à  leur  tour  plus  facilement 
ce  texte  si  maltraité,  j'ai  cru  devoir  le  faire  suivre  du  petit  poème  latin 
d'où  il  a  été  tiré.  Ce  Facctus  n'ayant  pas  été,  que  je  sache,  imprimé,  il 
n'était  pas  à  la  portée  dt  tout  lecteur  de  le  comparer  à  sa  traduction 
libre  catalane.  Des  chiffres  de  renvoi,  placés  entre  crochets  dans  les 
deux  textes,  permettent  de  se  reporter  du  catalan  au  latin  et  du  latin  au 
catalan. 

Alfred  Morel-Fatio. 


Senyors,  qui  vol  esser  certes, 
Be  ensenyat  e  gint  après, 
Aquest  roinans  venga  ausir 
Quis  vol  d'ensenyament  garnir. 
Aquest  romans  ha  nom  Fasset, 
Milor  libre  en  feus  promet 
Que  anc  [no]  posquessets  ausir 
Ne  atendra  per  gint  noyrir; 
Et  qui  'e]:>tudiar  hi  voira. 
Mantes  causes  hi  atrobara 
D'ensenyament  e  corteria. 
Hi  apendra  [en]  cascun  dia 
Li  clerga  e  li  xivaler, 
Li  ciutada  e  mercader, 
L'infant  atressi  e  li  veyil, 
Tuyt  ne  apendran  bon  conseyll 
Ez  instruhiran  tota  via, 


Si  aquest  romans  sovin  legia. 

Donques  qui  vo!  esser  certes 

Ben  ensenyat  e  gint  après, 

Entene  en  humilitat 

E  en  bonea  abrivat. 

No  vulles  esser  mensonger, 

Mas  tota  via  vertader  ; 

Ages  lo  cor  ferm  e  [e]stable, 

Si  a  tuyt  vols  esser  agradable  ; 

E  no  sies  endeny[i]es 

Ne  trop  mal  ne  trop  renyios, 

E  âges  te  e  leyaltat 

E  seras  de  tuyt  meit  amat  ; 

Car  qui  es  foyil  [e]  senes  fe 

No  es  cregut  de  nuyla  re. 

Mas  si  s'  ave  sayso  e  loch 

Mentir  no  nou,  ab  que  dur  poc, 


28 


32 
[9] 


15.  e  li.  Ms.  el.  —  18  II  faudrait  legian.  mais  l'auteur  passe  sans  cesse 
d'un  nombre  à  l'autre,  sans  s'occuper  de  l'accord  du  verbe  avec  son  sujet.  — 
19  Donqa:s,  ms.  Doncs.  —  21  —  Entene  zz:  enUna.,  subj.  A' entendre.  Le  ms.  a 
plutôt  enUnc.  —  35  ave,  du  verbe  avenir:  «  Mais,  à  l'occasion,  mentir  ne  nuit 
pas,  pourvu  que  cela  dure  peu.  » 


MOREL-rATlO 


Car  per  retrer  les  veritats 

Del  altre  part  les  amistats.  36 

Pecat  del  amie  caleras, 

Tant  con  poras  0  cobriras. 

Si  vols  esser  bo  ni  certes 

Ni  laus  aver  en  tota  res,  40 

Sies  [tu]  gint  amesurat 

En  tu  e  tan  adotrina[t] 

No  vulles  largament  parlar 

Sutzes  paraules  ne  comptar:  44 

Tindra  t[e]  hom  per  agualat, 

Atressi  per  mal  ensenyat. 

E  con  nagu  voiras  lausar 

Ne  ses  noveyles  reconptar,  48 

Deus  lo  lausar  trempadament: 

So  que  diras  verayament, 

So  que  d[e]  ell  auras  conptat 

Sia  trestot  be  veritat  ;  52 

Car  si  deyes  mes  que  noy  ha, 

Desonrar  1'  ies  tôt  en  p'a, 

Sobra  lot  quant  [en]  parlaras 

En  tôt  loch,  e  noy  faliras;  j6 

Mas  no  vulles  calar  de  tôt,  [i  5] 

Car  tindrie  t[e]  hom  per  boc. 

So  que  voiras  dir  ni  parlar 

En  ton  cor  te  deus  porpensar  :        60 

Qui  parla  a  ssa  voluntat 

Axi  es  con  cavall  desfrenat; 

Perque  dix  savi  Salamo 

Que  anc  lo  sovinent  sermo  64 

Nel  moit  parlar  nuyia  sayso 

Anch  sens  [nagu]  pecat  no  fo. 

Donques  qui  certes  vol  [e]star, 

Poques  paraules  deu  parlar.  68 

E  qui  vol  esser  plazenter 

A  tôt  hom  ayço  deu  aver  : 

No  vulles  esser  erguylos.  [17] 

Molt  hom  [e]  per  bo  e  per  pros      72 


Tostemps  mostra  cara  rient. 

E  sies  suau  exament  : 

Cran  virtut  es  en  ell  per  cert 

Qui  en  aço  es  be  apert.  76 

Tostemps  sies  enginy[i'os 

E  fug  al  mon  quis  erguylos, 

Perque  no  sies  menyspreat 

De  nagun  hom  ascienlat.  80 

E  sies  be  [e^studios 

En  ton  offici  e  euros,  [21] 

Saviament  e  conseylada, 

Noy  faliras  seyia  vagada,  84 

Dien  que  lo  us  ret  l'om  mestre 

En  qualque  art  ques  vulla  metra. 

E  con  veura  que  fassa  fer 

Vullau  disputar  volenter  88 

Si  que  no  vages  murmurant 

Ni  mala  cara  demostrant. 

So  faras,  segons  ton  poder,  [25] 

Perque  not  playa  (lo)  despener,      92 

Car  qui  mes  despen  que  no  ganya 

Tart  es  que  no  sofranya. 

En  tôt  loc  es  bona  mesura, 

Car  sen[e]s  ella  res  no  dura.  96 

Deus  te  tenir  gint  de  vestir,  [27] 

Que  hom  not  puxa  [e]scarnir, 

E  que  no  vages  sassaros, 

Mas  nedeu  [de]dins  e  defors.  100 

Eceyil  qui  poca  roba  ha 

Axi  corn  ja  avets  ausit, 

Si  nou  avets  mes  en  oblit,  104 

Mas  pel  vestir  ne  pel  causar 

No  deu  hom  son  mester  lexar; 

E  visque  hom  saviament 

En  heure  [e]  menjar exament;        108 

E  la  ploma  sia  gitada  [31] 

En  la  ma  de  cuy  es  pausada, 


3  $-36  Le  sens  est  bien  évidemment  que,  pour  dire  aux  gens  la  vérité,  on 
perd  leur  amitié.  Peut-être  faut-il  corriger  au  v.  3  5  la  ventât  et  au  v.  suivant 
De  r altre  pcrt  l'us  (ou  hom]  ïamistat.  —  37  cekras  pour  cehuas.  —  67  Don- 
qucs^  ms.  Donchs.  —  87-88  le  ne  comprends  pas.  —  94  Corrigez  :  Tart  es  que 
[res]  no  [lï]  sofranya?  «  Il  est  difficile  que  celui  qui  dépense  plus  qu'il  ne  gagne 
ne  se  trouve  pas  dans  le  dénûment.  »  —  102  La  ligne  est  restée  en  blanc  dans 
le  ms. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE   CATALANE 


201 


Trestotes  coses  reconptants  : 

Ayso  pertany  aïs  [ejscrivans  1 12 

Que  hom  aprena  de  doctrina 

Viur'  en  lo  mon  en  diciplina. 

Ton  fin  deus  metre  en  clerecia 

Per  tal  que  tenga  bona  via  1 16 

E  no  solament  per  legir, 

Mas  que  el  puxa  mils  nodrir, 

Mentre  lo  mestre  lo  castia, 

Perque  no  vinga  a  mala  via.  120 

Diu  hom  que  qui  no  bat  merdos 

No  pot  [de]puys  batra  palos. 

Perque  no  puxa  folcjar 

Ab  veyis  homens  lo  fe  anar,  124 

Car  si  ab  veyls  fa  conpanyia 

No  pora  errar  ni  fer  foyiia. 

Tin  lo  après  de  esser  ventola, 

Car  peu  qu'es  massa  moveJer         128 

Lo  seny  deu  aver  trop  leuger. 

Si  bes  costuma  pauc  [e]stant,        [37] 

Vergony'  aura  con  sera  grant. 

Perque  tostemps  playen  aysets       132 

Qui  plagucren  per  una  vêts. 

E  ceyil  qui  hac  virginitat 

De  gran  jovent  en  sa  adat 

Tostemps  sia  honest  e  cast,  1 36 

Deus  guardar  la  de  tôt  malast  ; 

(E)  cant  es  de  salut  de  doctrina, 

No  ses  de  pendre  nuyt  e  dia, 

Per  tal  que  sia  dreturat  140 

Con  or  ver  epara  nomnat. 

Sies  valent  e  [bej  entes,  [42] 

[E]studios  en  tota  res 

E  maiorment  en  ton  offici,  144 

Que  no  sies  tengut  per  nici, 

E  que  dipa  pus  dignament 

(Sa)  paraula  a  Deu  omnipotent. 

Aycell  gran  desonor  li  es  [45] 

Qui  los  propris  lexe(n)  per  res,      149 


Car  orda,  per  qui  trobats  es,         [46] 

Die  vos  que  no  val  .j.  puges. 

Cant  la  corona  ay  son  dret  152 

Pus  blanc  par,  fe  queus  deig, 

Axi  tôt  prou  clar  sia, 

Car  axis  deu  fer  tota  via. 

(Tôt)  clerga  deu  sos  menbres  cobrir  [49] 

Ab  gint  calsar,  ab  lonc  vestir,        1 57 

So  es  saber  los  menbres  d'infants 

E  maiorment  de  capelans. 

[MoltJ  gran  desonor  li  cabria         160 

Si  la  carn  nua  li  aparia. 

Mostre  soven  son  vestiment  [p] 

Esser  nedeu  per  cobriment 

E  denejats  de  tots  pecats,  164 

E  perayço  sera  honrats. 

Sies  savi  e  [be]  euros 

E  no  demans  spectancios;  [53] 

Gint  ta  porta  e  ab  bon  seny  168 

E  garda  [be]  los  mandaments; 

Et  si  Deus  t'a  donat  aver 

No  sies  scars  en  despender,  [55] 

E  nagu  hom  no  say  que  sia  172 

Usara  de  gran  corteria, 

Pus  que  bet  basta  so  del  teu, 

A  tu  e  a  altre  ben  leu. 

Cant  sies  vey  0  hom  honrat  [57] 

Per  dies  e  per  gran  adat,  177 

Lo  poble  amonestiras 

E  bons  aximplis  los  daras 

De  seguir  tostemps  honestats         180 

E  sera  son  nom  exalsats, 

Per  tal  que  no  puxa  errar 

Ab  tu  lo  poble  ni  pecar. 

Aquest  romans  enseyara  [61] 

E  lo  loc  li  demostrara  18^ 

A  compondre  vida  plazent; 

E  aço  reconpta  breument 

Quai  cosa  [ejsta  [a]  hom  be  188 


127  Ce  vers  est  isolé.  —  137  Corrigez:  E  deus  (deu  se]  guardar  de  tôt 
malast  —  139  ses  pour  ces  de  cess.ir  icesser).  —  148  II  faudrait  A  aycel. 
—  149  Quilos^  ms.  Quils. —  153  bbnc,  lire  blanca.—  1^4  Vers  de  6  syllabes. 
167  Corr.  deman  spectacios.  —  168  fa  pour  te.  —  \-]i  No  say  que  sia  =z  quel- 
conque. —  181  io/i,  lire  ton. 


202 


A.     MOREL-FATIO 


E  quai  li  play  ni  li  cove. 

Primerament,  si  infants  as, 

Alguna  art  los  mostraras, 

E  proveex  los  enaxi  192 

Que,  sis  partien  de  assi, 

Posquesspn  viure  ab  iur  art; 

Car  [los]  homens  de  bona  part 

Demanen  [tots]  a  son  infant  196 

De  quai  art  [elj  es  pus  altmt  : 

Si  il  play  ietra  equeclerch  sia      [65] 

0  esser  de  gran  saviea, 

Axi  con  jutge  0  fasia,  200 

Doctor,  metge,  gran  [e]scriva, 

En  poquea  li  enseny  de  amar 

Los  libres,  car  axis  deu  far, 

Si  l'infant  vol  clergue  esser;  204 

0  vula  esser  cavaler 

0  dels  cavails  acontornar, 

Ffermant  los  peus  vera[ya^ment, 

Fer  tal  qu'en  sia  pus  sabent.         208 

Diu  hom  que  si  abte  es  .j.  infant 

Molt  nés  pus  savi  par  avant, 

E  deu  esser  ans  [ejscuder 

Primerament  que  cavaler,  212 

E  que  servesque  volenter, 

Si  de  tots  loat  vol  esser. 

(E)  si  no  vol  esser  cavaler,  [73] 

E  voira  esser  mercader,  216 

Die  que  aja  [la]  conexensa. 

De  les  monedes  ses  falensa. 

Primerament  axi  deu  far 

Que  aprena  [be]  de  conptar,  220 

Sia  agut  e  entricat, 

Savi  mercader  assenât 

E  serch  les  terres  covinents 

Per  conptar  ventura  examents,      224 

Que  null  hom  noi  engan  leument, 

Sapia  conptar  [molt]  soptilment, 

Lavors  digan  que  es  valent. 

Si  no  vol  esser  mercader  228 


E  cobcia  de  esser  ferrer, 

Caiit  quer  diciplina 

Es  ops  que  pereros  no  sia, 

C-^r  ceyll  qui  en  poquesa  apren(a),  [81] 

E  ell  cant  es  de  adat  complida 

Lnuor[e]s  es  l'art  enflorida. 

Si  be  ladoncs  no  s'es  infant 

E  es  tôt  barbât  e  [tôt]  grant  236 

E  no  sal.  nagun  mester  far. 

Nos  deu  ja  vergonyadar 

Ni  dir  con  apendria  ara, 

Per  veyil  que  sia,  hoc  encara,        240 

Car  mes  val  mester  qu'es  per  ver, 

Scvin  ho  ausim  retr[a]er: 

Bestia  es  l'om  quis  crusca  [85] 

Aycell  [que]  art  no  ha  alguna.       244 

Art  de  vida  et  pensament 

No  lexa  hom  esser  noent. 

Mas  empcro  asso  deu  fer 

Qui  vol  esser  savi  enter,  248 

Que  eyll  de  tôt  en  tôt  [0]  am       [88] 

E  vulla  saber  e  deman. 

Lo  saber  no  mete  en  va, 

Profit  ni  be  aigu  no  fa;  252 

(E)  sol  qu'en  aja  de  la  natura 

De  pendra  (muyler)  hom  no  s'atura, 

E  la  natura  molt  hom  fay  [91] 

Benuhirat  e  rich  c  gay  256 

Per  molts  0  ficis  verament, 

E  axi  tôt  hom  del  mon  ha 

Qiie  pot  fabricar  tôt  de  pla. 

Hu  molts  mesters  no  deu  aver,      260 

Poch  de  son  prou  ne  pot  faser. 

Cascun  per  son  primer  offici 

Pot  esser  bo,  si  no  es  nici 

E  que  l'am  be  de  tôt  son  cors        264 

Sens  perea  dins  e  defors. 

E  no  conseyll  a  nagun  hom 

(E)  les  greuges  de  vida  perdom, 

Axi  que  per  molt  trabaylar  268 


204  Clcrguc  esser,  ms.  esser  clergue.  —  206  Vers  isolé.  —  22  ^-27  Trois  vers 
sur  la  même  assonance.  —  230-232  Le  passage  semble  altéré.  Le  v.  230  est 
trop  court  de  trois  syllabes  et  ne  rime  pas  avec  le  suivant;  le  v.  237  est  isolé. 
—  24}  Crusca  n'est  pas  sûr.  —  251-4  Le  sens  paraît  être  (en  supprimant 
muyler)  que  l'homme  ne  s'applique  à  apprendre  que  les  choses  vers  lesquelles 
sa  nature  le  porte;  cf.  le  latin,  v.  89-90.  —  257  Vers  isolé. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE   CATALANE 


Hom  ne  muyra  senes  duptar; 
Ans  deu  [hom]  son  cor  refrenar 
En  le  temps  c'  cm  dcu  feslivar. 
Trabayil  axi  que  puxa  viure 
Ab  gauig  [e]  ab  plaser  e  riure, 
Car  certes  la  vida  florida 
Par  pensa  es  ennoblehida, 
Con  se  mira  en  alegratge 
E  vol  aver  aytai  usatge; 
Mas  ceyil  quis  dona  tristicia 
Viu  ab  gran  avaricia. 
E  le  macip  en  son  jovent 
Don  se  plaser  [tôt]  axament 
E  cant  e  bayll  e  tingues  gay, 
Que  per  un  any  ne  viura  may 
E  sia  a  tuyt  plasenter, 
Saviament  o  sapia  fer, 
E  que  sid  anamorat 
Si  vol  tenir  son  corpagat; 
Mas  empero  asso  es  dat 
[E]  per  hora  e  per  adat. 
E  que  tinga  ses  cabeylls  gent. 
Nuls  aja  neyres  exament, 
Car  ceyia  color  es  d'om  veyil 
E  no  pertany  a  jovencell  ; 
E  quels  tinga  gint  pentinats, 
Mils  ne  parra  afaysonats. 
Macip  qui  vaja  sasarros 
E  mal  net  [de]dins  et  de'^ors 
De  fembra  e  de  nul  hom  nat 
No  sera  amat  ni  presat  ; 
Mas  con  es  veyll  [e]  anantat, 
Lavor[e]s  no  li  es  gardât, 
Car  con  la  valea  pren  tant, 
Nos  cura  hom  de  gint  estant. 
E  qui  voira  esser  cortes 
No  tinga  sos  cabeylls  largues, 
Car  [la]  longa  cabeyladura 
A  fembra  tany  per  sa  natura, 
Tengues[e]  gint  e  [be]  cortes, 
[En]axi  con  dessus  dit  es; 


Sia  leus,  trempât  e  leugers 

E  nostrat  en  sos  moviments. 

Calsar  se  deu  [e]stretament 
272       Sabdtes,  calses  exament, 

C'aparega  sia  leus  anats, 
[101]       Cuxes,  cames  [e]  pcus  privais; 

Pero  ayso  segons  usansa 
276       De  la  terra,  senes  duptansa, 

Carsi  hom  era  singular, 

P'arias  tenir  per  juglar. 

Cove  al(s)  macip(s)  verament 
280       Esser  entrels  jausents  jausent, 

E  que  sia  trist  ab  los  tr;sts. 

Conpacient  e  [ejsmarrits; 

Aconpany  se  ab  homens  veyils 

284  Perque  sia  de  bons  conseyils, 
E  perseverar  ab  los  bons 

Lo  jovenseyll  totes  faysons; 
Car  ceyii  qui  ab  bons  ha  paria, 

285  No  potseguir  !a  mala  via, 
E  do  a  tots  saviament       ^ 

[107]       Honor  e  laus  publicament. 

No  vules  nagun  menyspresar, 
292       Sitôt  mesqui  lo  veus  [e]slar, 

E  vulies  dar  loc  al  menor; 

Enclina  ton  cap  al  maior. 

Sempres  vulla  sa  fas  mostrar 
296       Alegramcnt,  e  [deu]  honrar 

Aquell  0  aquells  verament 

A  qui  s[e]  esgart  l'onrament. 

(E)  no  sies  entre  lo[s]  maiors 
300       En  paraules  trop  habundos 

E  tinga  tant  entre  sa  pensa 

So  que  voira  dir  ne  porpensa, 

Que  hom  no!  tenga  trop  parler  : 
[111]       Savi  es  sis  sap  abstener. 
305       On  que  veja  savis  [ejstar, 

Ab  ells  se  deu  acompayar, 

Escolt  be  [tût]  lur  parlament, 
308      Entre  ells  [e]stia  plazent, 

Car  tota  ora  apendra 


20? 


312 


316 


['■9] 
321 


324 

[121] 


328 


n6 


[127] 
34' 


344 


348 


311  Nostrat,   lire  m-slrat  ou  destrat?  —  326  Au  lieu  de  E  pcneverar,  lire 
Perseverara  ou  Perseverar  deu. 


304 

Seny  e  rao  qui  asso  fara. 
Mas  si  no  vols  ptr  [a]ventura       f 
D'aqucstes  coses  aver  cura 
E  vols  esser  anamorat 
E  en  amors  de  fembres  dat, 
E  conexs  que  mes  ta  aprofit 
Que  en  so  que  dessus  ay  dit, 
Comensaras  axi  d'aymar 
Axi  con  ayci  vull  (eu)  dictar. 
Gardar  t'as  de  monge  sagrada, 
Que  sposa  de  Christ  es  nomnada; 
Eceyil  pecat  destrui  lo  cors 
E  l'arma  [dejdins    e  defors; 
E  de  femna  c'age  marit 
Ta  gardaras,  so  not  oblit, 
Car  semblant  es  d'aytal  peccat  : 
So  sia  en  ton  cor  pausat. 
Gardar  t[e]  as  de  la  putana         [ 
E  maiorment  de  publicana, 
Car  ceyia  amor  not  durara, 
Sil  teu  diner  primer  no  ha. 
La  vil  femna  no  porta  amor, 
Si  hom  no  es  larch  donador, 
Metra  son  pens  en  tu  net  ama, 
Mas  so  del  teu  tôt  jorn  te  marna. 
Son  ne  d[e]  altres  examents        [ 
Qui  son  en  tal  fayt  covinents, 
Axi  con  viuda  o  puncela. 
Lo  dur  pits  se  amoieix  per  ella 
E  fa  perdre  tota  tristor 
E  axeque  trol  cel  lo  cor. 
De  la  viuda  sa  dois'  amor 
Fa  aleujar  febre  e  dolor, 
Aquesta  sobre  totes  ama, 
Saviament  art  e  afiama; 
E  beyia  puela  vagant  [ 

De  joy  replex  hom  veramant. 
CeyIa  ha  los  iochs  covinents, 


A.     MOREL-FATIO 


Franch  coyll  e  boca  examents. 

iji]       Ayccsta  am  lo  jovenceyil, 

3  53       Saviarrent  tir  al  casieyil. 

Si  entens  l'art  que  eu  te  di, 
Sabras  d'aymar  lo  dret  cami. 

356      Caiit  te  voiras  anamorar 
De  la  nina  e  enflamar, 
Gardar  l[a]  as  de  fit  en  fit 
Ab  dolses  uylls,  so  not  oblit: 

360      Ayco  faras  a  la  venguda 

[E]  de  part  d'  eyla  verament 
No  pendras  [nuylj  defayliment. 
De  moites  una  en  legiras 

364      E  de  aquella  cura  auras, 

Car  ceyll  qui  en  moites  enten, 
Semblant  es  d'asa  veramen. 
Ab  una  sapges  far  ion  pro, 

137]       Mas  per  esters  faras  asso, 

369      Ab  uylls  rients  la  gardaras, 

En  qualque  loch  l'encontraras, 
E  gardar  l'en  as  fermement 

372  Per  que  sia  a  tu  consent, 
Car  si  ella  noy  consentia, 
Aycela  amor  res  no  valia: 
Per  so  diu  una  parladura 

141]       Que  amor  d'una  part  no  dura. 

377       E  aço  deu[s  tu]  ben  gardar 
De  quin  linatge'  s  ses  duptar 
Ne  si  a  tu  [sej  pertanyia, 

380      Ans  que  l'amor  fos  en  la  via. 

Hom  no  deu  fembra  dema[n]dar 
Que  nol  tangues  lo  destalsar; 
Mas  deu  amar,  cert,  sa  agual 

384      O  miylor  que  ell,  si  liu  vali, 
Car  tost  trabuca  verament 

147]       Qui  vola  sobrel  firmament 

Del  cel,  e  sobre  les  [ejsteles 

388       Vol  [e]stendre(s)  ses  vêles. 


['49] 
393 


396 


400 


404 


408 


412 


[155] 
4.6 


420 


424 
['S8] 


356  ta  pour  te.  —  359  Axi,  ms.  Ayn.  —  362  destrui,  peut-être  faut-lire 
destruu  ou  destrux.  —  365  Ta  pour  Te.  —  372  La  vil,  ms.  Laul.  On  pour- 
rait garder  L'^u/  (avol).  Cf.  cependant  v.  1637,  1670,  1696.—  374- 5  Vers  cor- 
rompus. —  392  di.  De  première  main  dans  le  ms.  dich.  —  398  Vers  isolé.  — 
401  en.  ms.   ne.  —  420  «  Qui  ne  soit  digne  d'être  déchaussée  par  lui  n. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE 


205 


E  l'apostol  sent  Pau 

Nos  monesta  suau 

Tenir  via  mijana, 

Car  es  via  ben  sana. 

Al  loch  on  ceyla  sta 

Que  tu  fort  amaras, 

Aqui  tu  aniras; 

Aprin  ios  locs  on  va 

E  la  casa  on  sta, 
E  para  aqui  tos  fiiats 
E  sies  be  enraysonats; 
E  com  li  vendras  [en]  denant, 
Lausar  l'as  tota  en  xantant, 
E  après  sospira  fortment 
Quaix  qui  de  cor  ha  torbament, 
(E)  si  coneixs  quet  vulla  amar, 
Si  no,  penset  de  be  sforsar; 
Ab  ta  art  e  [ta]  parlaria 
Sapges  aver  la  maestria 
En  que  la  lies  en  ta  amor, 
Si  vols  seguir  Facet  doctor, 
E  assage  tota  ta  forsa 
E  not  vaja  lo  cor  en  orsa 
Que  leixs  tes  paraulas  anar. 
Lavors  te  cresque  lo  parlar 
Dolsament  e  [molt]  amorosa, 
Per  que  sia  de  tu  curosa, 
E  fe  so  que  ella  voira, 
Sapges  que  mes  t'en  amara 
Ab  so  que  ella  torn  a  plaser; 
E  prin  fêta  ocasio 
Cant  aniras  a  sa  mayso, 
Axi  con  si  era  sartroresa, 
Vey  per  scusa  de  fer  robeta, 
Car  nostra  lenga  es  camisa, 
Noy  erraras  naguna  via. 
E  sobra  qualque  mester  aja 
Prenga  [e]scusa  con  hi  vaja, 
Qualque  sia  l'anamorat, 
Si  vol  esser  de  cor  amat. 


160] 
4P 


436 


440 


444 


448 


4^2 


456 
[165] 


460 


464 


468 

[■69] 

472 

476 
480 


484 


Car  '"embra  es  pus  diligent 

D'aycel  qui  ama  azautament. 

Près  de  mal  ab  vol  de  s'aymia 

Ab  qualque  fembra  eles  confia, 

E  con  trametras  res  a  dir 

A  ella,  queu  sapges  cobrir, 

E  ella  a  ell  atretal 

Per  por  de  descobrir  [lo]  mal, 

Qu'en  aço  es  vengut  lo  mon  : 

Tanstost  diran  que  li  0  fa 

0  liu  ha  fet  0  liu  fara  ; 

E  qualque  la  destral  [se]  sia, 

L'anamorat  grans  dons  profira 

A  ella,  si  be  yc  es  tôt  dia, 

E  mes  que  no  li  don  la  proferta.  [172] 

Don  li  algun  cordo  0  trena 

0  sabates  per  [la]  [e]strena, 

Car  maior  cura  s'en  dara 

E  tota  hora  si  pensara 

Que,  axi  con  [el]  dat  li  a 

(Sis)  fara  so  que  promes  li  a. 

En  après  deu  la  instruir 

En  les  paraules  que  ha  dir 

Ceyla  en  quit  confiaras 

Tu  ni  ceyla  que  amaras. 

E  les  paraules  son  aytals 

Que  deu[ra  li]  dir  la  destrals 

A  la  [nina]  anamorada, 

Ceyla  que  as  en  ton  cor  pausada  : 

«  Madona  dolsa,  Deus  vos  saul,  [17s] 

€  Missatge  son,  no[m]  prena  mal, 497 

«  E  lo  vostre  molt  dois  poder, 

«  Amasurat,  pie  de  saber. 

«  Aycel  Deus,  queusha  formada,  $00 

«  Fayta  vos  a  agraciada, 

«  Vos  sots  beyia,  e  vostra  cara 

(I  Resplandenl  con  lo  sol  e  clara  ; 

«  En  vos  no  vey  defaylimen 

(I  De  balea  ni  d'altiment. 

«  Sapgats,  madona,  que  dolsor 


488 


492 


504 


431  et  456  Vers  isolés.  —  457  fêta,  corr.  fencha?  —  40  aniras,  ms. 
•voiras  anar.  —  461  Je  ne  comprends  pas.  —  469  Je  ne  comprends  pas.  — 
475  Vers  isolé.  —  47S-81  Ces  vers  ne  riment  pas;  au  v.  478  corr.  fia?  cf. 
V.  S57- 


206 


«  Avets  justada  ab  sabor, 

«  Milor  sabor  ne  deu  aver.  508 

«  Ayço  be  0  devets  saber 

f  C'un  macip  de  vos  es  torbat, 

«  Anamoral  e  enflamat 

«  E  amaus  mes  que  res  al  mon  sia, 

«  (Ej  vol  esser  en  vostra  batlia      5 13 

«  E  quel  prenais  per  servidor 

«  E  que  li  donets  vostr'  amor, 

«c  Que  son  cor  ha  en  vos  pausat:  516 

«  NoI  partiria  null  hom  nat. 

«  Ans  les  aygues  qui  van  [a]  jus 

a  Farien  lur  cors  per  anarsus 

«  Que  de  vostr'  amor  nospartiria.  520 

«  Madona,  asso  no  es  falcia, 

«  Qu'eu  say  quel  vos  ama  de  cor, 

«  Jorn  que  nous  veja,  per  vos  mor; 

«  Cant  vos  ve,  es  en  paradis,         524 

«  Ayço  m'a  dit  ades  per  fis  ; 

«  Si  no  veya  que  fos  a  fer, 

(I  D'eyço  non  auzirets  parler, 

«  Mas  ell  es  dois  e  vos  dolseta,      528 

«  Quai  sera  cell  qui  torp  li  meta? 

«  Sabets  c  'una  flor  ben  oient, 

«  Ajustad'  ab  altra  exament, 

«  Molt  n'aurien  niylor  olors,  532 

f  Axi  es  de  dolses  amors, 

(I  Que,  con  serets  justats  abdos, 

«  Anch  no  loren  aytals  amors. 

«  Ay,  dolsa  amor,  merce  ajats       536 

«  D'aquell  vostra  anamorats  ! 

«  Que  tota  res  na  en  oblit 

a  Per  vostra  amor,  axius  0  die, 

f  E  fets  me  respcsta  breument       540 

«  Que  l|^o]  fassa  [e]star  jausent. 

«  Maior  désir  a  y  que  diguets 

«  C'ab  vos  parlas  sol  unn  vêts; 

«  A  mi  prega  queus  0  dixes  544 

»  E  que  per  res  nom  oblides, 

t  Que,  tant  vos  a  mesa  al  cor. 


MOREL-FATIO 

«  No  nés  jorn  que  per  vos  no  plor  : 


«  Menjar  e  beure  pert  per  vos       J48 

«  Con  nos  pot  raysonar  ab  vos, 

«  Que  si  ab  vos  parlar  podia 

«  De  soias  ede  joy  viuria, 

«  Moita  ponceyia  veig  qu'el  ama,  552 

«  Mas  ucy  son  cor  en  vos  aflama. 

«  A  totes  ha  renunciat 

«  Pel  voitre  cors  car  e  honrat, 

«  E  per  so  m'a  tramesa  assi  556 

a  A  vos,  per  tal  con  (se)  fia  ab  mi, 

«  E  li  sia  tael  e  leya! 

«  E  a  vos,  madona,  atretal  ; 

«  E  podets  me  dir  vostre  cor,        560 

«  Que  nous  cal  aver  de  res  por.  » 

E  si  ella  per  [a]ventura  ['83] 

Feya  respcsta  aspr'  e  dura 

La  puel'  al  comensament,  564 

No  y  dcnets  res,  tôt  es  piment. 

Abte  es  de  ciciliana. 

Qui  de  primer  se  mostra  mala 

E  despuys  fa  blana  farina,  568 

Car  veu  que  l'anamich  (se)  déclina. 

La  destral  sia  tan  aguda 

A  dos  colps  l'arbre  s'en  aduga. 

Sapi'  ab  sa  lenga  pintar  572 

La  nina  e  afalagar, 

E  que  li  diga  anaxi 

Con  [ara]  auzirets  dir  a  mi: 

«  So  queus  deman  de  la  amor      576 

Il  Vostra  prou  sera  e  honor, 

B  Tant  es  ell  bo  e  gint  après, 

«  Per  so  vol  vostre  cor  cortes 

«  Quel  puxa  servir  e  honrar         580 

«  El  puxa  tenir  gint  e  car. 

«  Vos  avets  nom  Na  Bonanada, 

•  Tant  sots  piazent  e  ensenyada, 

a  Per  sous  ama  axi  de  cor  584 

«  Lo  vostre  dolset  aymador.  » 

E  si  a  la  nina  desplau,  ['89] 


5:0  Trop  long.  —  <^ 26  fos.  Ms.  [es.  —  556  mcrce,  de  première  main, 
mcrccn.  —  ^42  diguets,  ms.  J.sir.  —  557-8  Lire  A  vos,  per  tal  qucs  fia 
ab  mi.^  [Qu]c  il  sia...  ?  —  565  donets,  corr.  doteis'f  —  569  Je  ne  comprends 
pas. 


MÉLANGES  DE  LITTÉRATURE  CATALANE 


Que  li  fassa  resposta  brau, 

Deu  s'en  tost  al  macip  tornar         588 

E  deu  li  0  tôt  reconptar 

Con  li  a  respost  ferament 

E  li  fo  dezobedient. 

Mas  lo  jove  nos  desesper,  592 

Ans  se  deu  mays  [eJNforser 

Qui  ab  signes  e  ab  senyals 

Li  parla  humils  e  suaus, 

Car  ninaqui  no  sap  d'amar  396 

Axi  bey  deu  hom  aucar, 

Que  li  sia  hom  avinent, 

Humil  e  pie  d'ensenyament. 

Diu  hom  que  mes  va!  giny  que  forsa  ; 

Aquest  sermo  no  vol  l'escorza,      601 

E  dix  un  savi  entirat 

C'axiu  deu  1er  l'anamorat. 

Puys  fasse  y  tornar  lo  macip  604 

La  missatgera,  no  so  trich, 

Qui  la  pens  regeu  de  tenptar 

Si  que  nos  puxa  refrednr, 

Car  femnas  fa  tostemps  pregar    [197] 

De  ço  per  c'om  la  te  en  car.         609 

Si  niala  voluntat  ha  vensiment, 

La  amor  trenca  los  pits  verament  : 

Si  com  lo  ferre  suaexs 

E  la  dura  roca  destroexs 

E  la  père  [molt]  forts  e  dura 

Qui  es  forada  per  molura, 

So  es  con  l'ayga  hy  degota, 

Tantost  hi  es  la  pera  rota 

E[s]  las  per  assiduitat  : 

Axiu  deu  fer  l'anamorat. 

Ab  moltfels  prechs  e  ab  gran  usansa 

Met  hom  la  nina  en  acordansa,      621 

Axi  que  per  fin[aj  amor 

Voira  parbr  ab  l'aymador. 

Deven  abdosos  .j.  logar  [205] 

Eiegir  per  secret  parlar;  625 

So  que  a  cascun  d'ells  plaura, 

Ne  la  un  a  l'altra  dira, 

Sapiau  sol  la  missatgera,  628 


6l2 


616 


207 

Nû  altre  parler  ni  parlera, 
Car  sol  hom  dir  :  «  Saben  0  très, 
«  Despuys  0  sab  tota  res  ». 
Cant  passarets  denant  la  tor         632 
D'aycela  cuy  porta(re)ts  amor, 
Eyla  ve  be  aconpanyada. 
De  dones  ab  trop  gran  maynada, 
Deu[s]  la  dignament  saludar         636 
E  solas  tôt  atretal  far, 
[Ejsgardant  ceyla  soptilment 
Per  quel  teu  cors  sia  jausent. 
Apres  deus  un  jove(nsel)  sercar     640 
Ab  qui  pusques  sovin  anar 
E  que  de  aquell  veynat  sia 
On  [ejsta  ta  dolsa  aymia, 
Car  ab  [ayjseyil  te  cobriras  644 

Per  que  ab  ella  parlar  poras. 
E  con  seras  aprivadat 
En  aquell  teu  dois  veynat^ 
Ton  companyo  anagaras  648 

Que  comens  algun  [bo]  solas 
0  de  baylar  0  de  saltar 
E  poras  ta  virtut  mostrar, 
Qne  nou  sabra  nul  hom  nat  652 

Que  tu  hi  sies  anamorat, 
Mas  que  y  vens  per  rao  d'aquells. 
Aquest  es  lo  mylor  conseylls; 
Mas  lo  teu  cors  celât  tindras         656 
Aytant  de  temps  con  tu  poras, 
E  si  t'aymiat  dona  loc 
De  parlar  ab  tu  falgjun  poc, 
No  li  vages  [tu]  molejant,  660 

Parla  li  manifestamant, 
No  fasses  [e]scut  de  vergonya, 
Car  qui  ha  vergonya,  [sis]  ha  ronya 
E  diras  li  tôt  enaxi  664 

Con  [ara]  ausirets  dir  a  mi  : 
(1   [E  stela  dara  resplandcnt,       [209] 
«   Eu  vos  salut  tôt  humilment, 
«   E  veus  assivostre  servent,         668 
t   So:[e]rits  li  son  parlament. 
'(  Si  vostra  bontat  e  noblea 


597  Je  ne  comprends  pas.  —  601  Je   ne   comprends  pas. 
trop  longs. 


610-11    Vers 


208  A.     MOREL-FATIO 

«  E  la  forma  e  la  belea  « 

s  Se  lausava  axi  con  es,  672  « 

«  Qui,  al  meu  semblant,  en  voses,  « 

€  De  totes  quantes  nines  son  « 

«  Portais  vos  flor  en  tôt  lo  mon.  « 

«  EceyII  senyor  qui  vos  forma      676  « 

•  Temps  desafanat  hi  garda  « 
(I  Perqueus  posques  ben  faysonar  « 
«  E  de  balea  carregar.  • 
«  Angels  vos  posaren  lo  nom  680  î 
«  Certa[na]ment,  que  no  gens  hom,  « 
«  E  tos  en  paradis  formada  « 
«  Con  axi  sots  agrasiada,  « 
(  Car  ceyil  qui  ab  vos  pot  parlar  « 
«  No  pot  faylir  ne  pot  errar.  685  « 
«  Per  vos  son  los  pechs  instruits  « 
t  E  los  pobres  enriquehits,  « 
«  Los  desconsolats  conortats.  688  « 
«  Veusdoncs,  madona,  quais  bontats!  « 
«  (Doncs)  con  me  poria  de  vos  partir,  « 
8  De  vostre'  amor  ne  derre[n]clir?  « 
«  Sil  peu  ténia  en  paradis  692  « 
«  E  l'altra  assi,  sous  affis,  « 
«  De  paradis  eu  lo  trauria  • 
«  Per  a  vos  fer  conpanyia.  0 
«  Vejats  con  sots  agraciada  [213]  « 
«  Milorquefembrac'ancfosnada.  697 
«  De  la  verge  Maria  avall  « 
0  No  fo  anch  vist  tan  beyll  mestayll.  » 

•  Deus  !o  payre  spiritual  700  « 
«  Vos  ha  layta  médicinal.  « 
0  Si  (axi)  fosseu  poma  con  sou  dona,  « 

•  Malaits  garirets  tota  hora;  70 j  « 
t  Si  (axi)  lossets  ayga  con  sots  nina,  t 
«  Null  hom  ja  per  vos  no  morria,  « 
€  Si  fossets  altar  atretal,  « 
«  (Los)  pecadors  gar(i)rets  de  lur  mal  « 
«  E  de  lur  tribulacio.  708  a 
«  En  vos,  dolsa,  es  tôt  asso  « 
«  E  mes  que  no  sabria  dir:  t 
t  Asso  cregats  senes  faylir.  « 


Deus  voshafetscabellsdaurats  [215] 
Gracioses  e  envejats;  71  j 

Asauta  fas  e  respiandents, 
Uylls  amoroses  e  plazents, 
Ceyies  fêtes  per  maestria,  716 

Mils  hom  dictar  no  les  sabria; 
E  con  vostres  uylls  regirats, 
Mi  e  lot  hom  [ajturmentats, 
E  fam  lo  cor  dins  alegrar  720 

E  amor  moure  ses  duptar. 
E  la  color  de  vostra  cara 
Blanxa  es,  resplandent  e  dara, 
Gint  fayta  e  [be]  colorada,        724 
Lo  deu  de  amor  trop  s'en  agrada. 
Lo  nas  es  tan  gint  ordonat 
Que  lot  hom  nés  anamorat. 
La  vostra  boca  rosedeta  728 

Semblem  [una]  rosa  fresqueta, 
Plagues  ara  a  Sancta  Maria 
Fos  prop  la  vostra  de  la  mia  ! 
Les  dents  semblen  cristals  luents, 
Tant  blanquexen  verayements    733 
E  son  per  or[de]  enformades 
Qu'en  re  no  son  desparaylades. 
E  lo  vostra  agrados  ris  736 

A  tôt  hom  play,  tant  es  jolis. 
Can  vos  riets,  ploure  deuria. 
Tant  es  pUzent  vostra  cuydia. 
Encaraus  dich  yo  mes,  madona, 
Que  si  es  nuvol,  sis  axora.        741 
La  vostra  boca  es  tan  plazent, 
Tan  graciosa  exament, 
Nuyt  e  jorn  baysar  la  volria      744 
E  que  duras  .j.  any  lo  dia, 
E  [que]  la  nuyt  tôt  atressi 
No  volria  agues  may  fi, 
E  con  vos  vey,  tôt  m'  es  calent,  748 
Tant  he  en  vos  l'enteniment. 
Estes  coses  me  signifiquen       [227] 
En  quant  vostres  membres  meliguen, 
Que  son  pus  blancs  que  (nul)  hom 
[déport 


682 /oî  pour  Jots.  —  695  Pour  la  mesure,  lire/^:cr  au  lieu  de  fur.  —  730 
Plagues  ara.,  mi.  Ara  pLigues.  —  739  Cuydia  n'est  pas  sûr.  Ce  doit  èxrecuyndia^ 
le  prov.   coindia,  cunhdia,  grâce.  —  741  Vers  corrompu.''  —  751-752  Sens? 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE   CATALANE 


209 


Qui  ab  vos  es  ja  notem  mort. 

E  con  son  dignes  les  vestits 

Qui  cobren  vostra  paradis, 

So  es  lo  vostre  cors  ho[nVat,    756 

De  cuy  eu  suy  anamorat! 

El  vostra  pils  agraciat 

Molt  es  plasent  e  ben  format, 

Per  virtut  de  vostres  mameles,  760 

Que  feu  Deus  a  grans   mereveyies, 

Qu'en  la  ma  d'un  pauc  iniant 

Cabrien  molt  verayamant. 

Lo  vostres  cors  es  axi  dreig       764 

Con  lo  cipres,  la  fe  queus  deig, 

E  es  layt  gint  per  abrassar. 

Doncs,  do!sa,  quius  pot  desamar  ? 

Nû  yo,  per  cert,  axius  0  dich,  768 

Tro  d'est  cors  isque  l'esperit, 

Encara  puys  vos  amaria, 

Vostr'  amor  non  oblidaria, 

Si  sofaria  pena  e  turment,         772 

Tôt  me  séria  bel  piment. 

Pus,  madona,  vos  âges  vista, 

Non  séria  la  pena  trista. 

Los  vostres  brasses  e  [les]  mans,  776 

Blanques  e  blanes,  semblen  guants. 

Trestot  es  digne  de  lausor 

E  tuyt  li  membres  de  blancor 

Qui  son  en  vos,  ma  dolsa  res.   780 

Beneyt  sia  quant  en  vos  es  1 

Mays  es  en  vos  qu'eu  no  poria 

Dir  ne  noninar  la  nuyt  nel  dia. 

Cant  eu  vos  vey,  yo  cuy t  périr,  [235] 

E  cant  nous  veig,  [yo]  cuyl  morir. 

Aço  es  senyal  de  bon'  amor 

Que  eu  ay  mesa  dins  mon  cor, 

E  las  me  assi  vostre  servent      788 

E  vostre  hom  tôt  exament, 

E[m]  ret  a  vos  per  servidor, 

Al  vostre  dois  cors  pie  d'amor 

Per  fer  a  vostra  voluntat  792 


"  Tostemps  volenter  de  bon  grat. 

«  Siin  volets  vos  reebre  car, 

<i   Ma  dolsa,  nem  volets  amar, 

«   Pus  rie  me  farets  ses  duptansa  796 

«  Que  quim  daval  règne  de  Fransa. 

«  Prech  vos,  madona,  humilment 

K   Vullats  amar  vostre  servent. 

I  Si  vos  me  amats,  mes  ne  viure,  800 
«   De  gauig  mon  cois  conpiit  aure, 

«   De  anamichs  aure  vensiment, 

(I  Crexer  m'a  forsa  e  ardiment. 

«  Madona,  no  diats  de  no;  804 

«  Sapiats,  siu  fets,  mort  so. 

«   E  si  per  vostr'  amor  moria, 

(I  Lo  deu  d'amor  vos  reptaria 

«  Que  vos  avets  fet  greu  homey  ;  808 

II  Ponir  vos  n'[i]a,  fe  queus  dey, 
(c  E  no  aurets  nul  reunador, 

<i   Tôt  hom  vos  sera  acusador 

K   E  Virgili  primerament,  812 

1  Tristany  e  Floris  exament, 

«  E  [En]  Jaufre  Rudel  de  Blaya 

«  Qui  mori  per  sa  dona  gaya, 

«  Encara  savi  Salamo, 

«  Qui  tostemps  anamorat  fo; 

•  Tots  aquests  seran  contra  vos 

»   Si  vos  desdeyts  a  mes  amors 

«  Ni  per  amor  me  fets  morir: 

4  Nou  fassats  vos,  merce  vos  quir.  » 

E  si  eylla  es  nina  certa  [243] 

E  vol  respondra  ab  cuberta; 

Dient  paraules  trop  [e]squives,       824 

No  t'o  preus  tu  biuteles  vives, 

Que  [ella]  be  djns  son  cors  consent, 

Mas  nou  vol  donar  aparvent, 

Ans  te  dira  tôt  anaxi  :  828 

9   Germa,  sit  play,  part  te  de  mi; 

(I  No  se  de  queus  entremetets, 

«   Anats  vos  en,  fe  quem  devets. 

«   Pegues  paraules  me  comptais.   852 


816 


820 


762  Pour  la  mesure,  lire  patit  au  lieu  de  piiuc.  —  785  nous.  Ms.  vous.  — 
82^  Le  sens  des  vers  est  «  N'en  liens  aucun  compte.  »  Mais  qu'est-ce  que 
biuteles?  Le  ms.  porte  biu  teks. 

Romania,  XV.  14 


MOREL-FATIO 


«  [Yo]  creu  que  vos  vos  [ajcuydats 

«  Que  sia  fembra  de  viltat. 

M  En  va  m'avets  mon  cor  lausat. 

«  Vêts  an  aquellsquius  0  sabran,  836 

«  Que  yo  no  m'entremet  neus  am. 

«  E  si  yo  son  beyla  assats, 

«  Queus  fa  a  vos  de  mos  pensats  ? 

«  Que  de  axo  no  son  curosa.         840 

c  Lexats  me  filar  ma  filosa 

«  E  nom  vingats  assi  torbar. 

«  Viares  m'es  siats  juglar 

«  O  que  siats  encantador  844 

«  0  qualque  tragitador. 

«   Bon  cavalier  forets  salvatge, 

«  Que  beyil  parlar  sots  d'evantatge. 

«  Si  acaptats,  donar  vosem  848 

«  Del  pa  ades  com  menjarem. 

I  Ab  tant  tenits  vostre  cami 

«  E  partits  vos  tost  denant  mi, 

«  Si  no,  desonrar  vos   he  (ben)  leu, 

«   De  que  a  mi  sera  fort  greu.  »    8  y 

Lavors  respona  lo  macip 

[E]  estia  be  exarnit 

E  prena  0  trestot  en  joc,  856 

Car  puys  aura  sayso  e  loc. 

Lo  macip  digali  axi, 

Humil  estant  ab  lo  cap  cii 

E  gar[dan]tla  sus  en  la  cara  :       860 

«   Ha,  dolsa  res,  plasent  et  cara,  [249] 

«  Vos,  perquem  fets  axi  morir 

«   Em  carregats  de  greu  martir? 

«  Car  la  pera  esclataria  864 

«  Si  tanta  dolor  sostenia, 

«  Con  las  yo  per  vos  verament. 

«  Madona,  de  so  (en)  res  nous  ment. 

«  Pecat  n'avets  gran  e  forsor        868 

(I  Con  axim  fets  penar  d'emor. 

«   De  tant  pobre  avets  merce, 

«   Doncs,  sius  play,  ajats  la  de  me; 

«  Nous  vull  tan  gran  do  demandar  872 


«  Que  no  sie(n)  digne(s)  de  dar 

a  E  de  atorgar  tôt  exament. 

«  Vejats  queus  nots,  sim  duyts  amer, 

(I  Quin  pecat  es  ni  quina  error  !    876 

«   No  siats  contra  mi  irada, 

«  Que  anc  nous  viu  mal  ensenyada. 

«  Ajats  un  poc  de  pietat 

«   D'un  vostre  hom   greu   turmentat. 

"  S'ab  vos  merce  no  puschtrobar;  881 

«  Sus  ades  me  vau  confessar, 

I  Apres  fare  mon  testament, 

<i  La  mort  m'es   prest,   que  yo  m'  0 

«  Elegire  mos  marmassors,         [sent; 

«  Tristany,  Virgili  el  deu  d'emors, 

«  Als  quais  pie  poder  vull  donar 

«   De  départir  e  de  donar  888 

«  Tôt  so  del  meu  per  apagar 

«  Les  injuries  senes  duptar 

»  Qui  verladerament  (a)parran, 

«  Axi  con  ells  conexeran.  0  892 

La  nina  axi  respondra  [25 3J 

Per  aventura,  e  dira  : 

«  Germa,  jous  am  covinentment, 

«  Que  anc  non  fos  en  res  noent:  896 

«   Nous  volria  nul  mal  veser 

«  A  vos  ne  a  altre  ne  saber, 

«  Vêts  vos  en,  e  amor  vos  he 

(I  Volentera  mentre  pore  ;  900 

«  E  nom  vullats  mes  demandar 

«  Que  fer  mi  ets  trop  anujar  «. 

Lavors  lo  jove[n]seyll  certes        [255] 

Pertesqued'eyia  ab  gran  merces,  904 

Enclinant  son  cap  exament 

E  profires  per  son  servent, 

E  arrap  li  tost  un  baysar,  [259] 

E  puys  pens[ej  s'en  de  anar  908 

Alegrament  e  ab  gran  goig, 

Pus  Deus  li  ha  donat  tal  goig; 

E  en  tôt  loch  on  ell  estia 

Crans  laors  diga  de  la  nina,  912 


84^  Il  faut  allonger  le  vers  en  ajoutant  une  épithète  à  tragitûdor.  —  847  Corr. 
parlassctz.  —  848  Corr.  acaptam.  —  886  d.  ms.  lo.  —  896  fos  pour  fats. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE 


La  y  cant  ab  nines  parlara, 

Car  cascuna  le  y  retraura 

E  dir  li  an  :  «  Bona  fos  nada 

Cl  C'aytal  macip  vos  ha  loada,       916 

«   E  doneus  tantes  de  lausors 

'(  Retrer  no  les  poriem  nos. 

((  Null  hom  li  poria  dir  mal 

«  De  vos  ni  de  vostra  hostal.       920 

«  0  es  de  vos  anamorat, 

«  Que  fort  lo  veym  de  vos  pagat!   » 

E  ella  respondra  poder  : 

«  Deus  li  do  be  qui  per  mil  quer,  924 

«  Que  yoanc  ab  cil  no  parli 

«  Ne  noi  conec,  sous  jur  per  fi  ; 

«  Si  es  de  mi  anamorat 

«  Fa  be  que  foyll,  en  veritat,       928 

«  Que  d'ell  ni  d'altre  no  he  cura, 

a  Car  sembicm  fort  gran  horadura 

«  Que  de  mi  [e]l  ren  volgues  dir 

«  On  fes  mon  prou,  senes  faylir  ».  932 

Pero  eylla  trop  s'entendra, 

Del  foch  d'amor  s'escalfara. 

E  la  destral  deu  procurar 

Loc  on  puxen  abdos  parlar  936 

La  nina  e  lo  jovensell. 

Ades  lou  ella,  ades  lou  ell. 

E  con  lo  macip  entrara 

AI  loc  on  la  nina  sera,  940 

Deu  la  francament  saludar 

Ab  gint  parlar  e  gint  gardar. 

«  Deus  vos  saul,  ma  dolsa  res, 

«  Beneyta,  ab  cors  cortes.  944 

«  Salut  lo  vostre  cors  honrat 

(1   De  Deu,  lo  payra  speritat, 

i  Salut  lo  loc  on  vos  [ejstats 

«  El  noble  lit  on  vos  pausats;       948 

«  Salut(s)  la  taula  on  menjats 

«  E  les  nines  ab  qui  parlais. 

«  Salut  la  let  que  vos  marnas 

«   E  l'ayga  on  vos  batejas,  952 


E  lo  capela  atretal 

Quius  pausa  crisma  al  cervigal  ; 

Salut  padrins  e  les  padrines 

E  trestotes  vostres  vesines;       956 

Salut  la  pinta  de  bontats 

D'on  vostres  cabeyils  pentinats, 

Salut  l'anap  ab  que  bevets 

E  lo  pan  qu'en  taula  tenets;       960 

Salut  lo  vi  toi  axament 

Que  vos  bevels  e  lo  piment  ; 

Salut  lo  vostre  dois  anar 

E  lo  vostre  gint  saludar;  964 

Salut  lo  vostre  testament 

De  part  de  Deu  omnipotent  ; 

Salut  la  vostra  dolsa  cara, 

Plazenl,  rient,  fontana  clara,     968 

Madona,  valent  vostr'  amor, 

Pus  que  del  mon  portais  la  flor. 

Car  si  en  res  fer  se  podia. 

Denant  vos,  la  nuyt  e  l[o]  dia   972 

Volria  star  ajonoyiat, 

Tant  m'es  l'azaut  al  cor  intrat 

Que  yo  he  de  vos,  dois'  aymia, 

Plazent  cara  et  agradiva,  976 

E  queus  posques  tostemps  servir 

E  nous  posques  enfaylonir. 

No  volria  menjar  ni  dormir 

Mas  vostra  servent  posques  morir. 

Dels  portamentsqui  son  en  vos  981 

Dire  un  pauc.  Del  vostre  cors, 

Certa[najment  crey  e  albir 

Re  no  y  stiamal,  ses  mentir,     984 

Ans  lots  quants  son  d'aquest  carrer 

La  on  [ejstats  ni  s[ej  deu  fer 

Sabets  honrar  e  gint  servir, 

Per  que  lot  hom  vos  deu   ben  dir. 

Vos  sols  suau,  franca,  humil,    989 

D'ensenyament  portais  [ejstil, 

Vos  parlais  per  auctoritat 

De  que  cascun  de  vos  ha  grat,  992 


914  /«  pour  lo.  —  925  Lire  podra  responder.  —  93  3  Lire  s'encendra  ?  —  938? 
—  980  Lire  pour  la  mesure  vo5  strulnld^u  lieu  de  vostra  scruent.  — 992  grat.,  ms. 
yrat. 


212 


MOREL-FATIO 


Tôt  quant  deyts  es  proverbial, 

De  vos  no  ix  eximpli  de  mal, 

Nous  trets  [ejscarn  de  nuyla  res: 

Per  que  la  vostr'  amor  m'a  près  996 

E  liât  corn  a  presoner 

Ab  .j.   filet  de  amor  enter. 

Perqueus  die  certanament 

Que  yosofir  un  greu  turment,     1000 

Que  anc  Tristany  l'anamorat 

Maior  lo  sofri  ne  (nul)  hom  nat. 

No  pux  refer  la  nuyt  el  dia 

Queab  vos,  dols'amor,  no  sia.  1004 

Menjar  e  beure  mi  toylets, 

Si  vos,  dolsa,  nom  acorrets, 

E  nom  fassats  axi  morir 

C  apenes  pux  nagun  be  dir,     1008 

Vn  nuu  se  para  sus  assi 

Que  no  pux  mètre  lo  boci 

De  vianda  que  yo,  las,  prena. 

Veus  con  me  tenits  en  cadena  !  1 0 1  2 

Mas  [e]sta  nit  he  somiat 

De  quem  son  .j.  poc  alagrat. 

Prech  vos  me  vullats  [ejscoltar. 

Madona  dolsa,  e  arrenar  1016 

Lo  que  sompnave  certament 

Qu'  era  ab  vos,  cors  covinent 

En  un  verger  prop  paradis, 

On  exament  auseylls  divis,        1020 

E  que  plorava  denant  vos 

Ajonoylat,  trop  engoxos, 

Clamant  merce  molt  humilment 

Que  lam  aguessets  de  corrent,  1024 

E  vos  nom  deyts  hoc  ni  no. 

Ab  tant  prec  Deu  de  corasso 

El  deu  d'amor,  senes  faylia; 

Totes  les  lagrames  coylia,         1028 

Qui  deyils  meus  uylls  se  corria, 

Si  qu'en  unpii  un  gran  baci, 

Cite  les  me  pel  cap  axi, 

E  con  axi  les  ach  gitat  1032 

Vera  font  viu  fou  tornat. 


«  E  volgui  de  vos  aytal  far, 

«  Si  nous  pensassels  de  cuytar 

«  Del  fet  edixes  :  —  [Ha]  senyor,  1036 

«  Retornats  me  mon  aymador, 

«  Abrassar  l'e  e  besar  l'e 

«  Per  fin'  amor  que  yo  li  he. 

'i  —  Quem  play,  so  dix  lo  deu  d'amor, 

«  Que  del  vostra  dolç  aymador    1041 

«  Ajats  merce  e  pietat, 

•  Eu  l'avia  encant  gitat 

«  E  vos  nol  voliats  servir  1044 

<i  E  t[a]es  lo  de  mors  morir.  — 

«  Tanstost  torni  en  mon  esser, 

«  (E)vos,  dolsa,  volgues  me  pexer 

«  Delà  vostre  dolsa  gracia,  1048 

«  Don  lo  meu  cor  trist  se  alegra, 

(I  [EJstant  ab  vos  boca  per  boca, 

«  Atressi  la  persona  tota, 

«  Con  fa  la  ungla  ab  la  carn  :       10^2 

'(  Ayço  vos  die  sen[e]s  escarn. 

ï  Estavem  axi  [ajbrassats 

«  E  nons  partia  nul  hom  nats. 

«  So  sera  ver,  si  Deus  ho  vol,     1056 

«  Si  con  mon  cor  désira  e  vol. 

«  E  veus  lo  sonpni  acabat. 

«  Doncs  preneus  demi  pietat       1059 

«  Quem  donassets  quai  do  vos  playa, 

«  Un  de  vos  quir,  merce  mi  vayla, 

a  Donets  me  .j.  dous  baysar, 

"  Fer  m'ets  de  greus  mal  [ejscapar, 

«  Quet  [yo]  sofir  per  vostr'  amor  1064 

«  Qui  m'es  intrat  [de]dins  al  cor 

«  A  vos,  dolsa,  res  nous  sera 

"  E  a  mi,    las,  tant  me  vaira  I  « 

Si  ella  s'enfeya  forsar,  1068 

Sapies  le  y  tu  arrapar 

E  besa  la  [cjstretament. 

Tin  li  la  boca  longament. 

[A\  dona  qui  non  es  usada,  1072 

Primera  e  segona  vagada 

Li  deu  lo  besar  arrapar. 


1032  hs  ach^  ms.  l'ach.  —  1069  k  ziz  lo. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE   CATALANE 


21  ^ 


E  a  la  tersa  si  fa  far. 

E  lo  macip  li  deu  disir  :  1076 

«   Ara  posais  en  vostra  aibir 

«   Q^iin  ddin  fjrets,  per  fin'  amor, 

(I  Quein  fe.->sets  jausent  en   mon  cor, 

«  Car  nu!a  amor  no  es  presada     1080 

«  Si  no  si  dona  abrassada, 

«  Car  es  comensament  d'amor, 

«  Segons  que  recompta  l'aclor  i. 

E  axi,  coM  demunt  es  dit,  1084 

Arrapali  lo  baysar  rie. 

Apres  fes  li  grat  e  lausor. 

«  Gracias  mil,  Na  cors  gensor, 

«  Ara  avels  l'amor  liada  1088 

«   De  tôt  en  tôt  e  confirmada. 

«   Ara  sabets  que  molt  vos  am, 

«   A  Deu,  madona,  vos  coman  ». 

Part  de  d'eyia  alegrament,  1092 

Saltant  [e]  jugante  corrent. 

Enapresse  deu  porpensar,  [265J 

De  tôt  en  tôt  [e]  studiar, 

On  pora  [ajtrobar  seleta  1096 

La  sua  dolsa  amoreta 

Quesia  en  loch  covinent 

De  raysonar  secretament  ; 

E  sil  jova  no  pot  trobar  i  100 

Loc  covinent  para  parlar, 

Tremeta  tost  per  la  destral 

Per  derrocar  l'arbre  fortal, 

Asso  larasaviament  1  104 

E  no  y  pendra  defayliment. 

E  con  0  aura  acabat 

La  missatgere  e  tractât 

Ab  la  nina  anamorada  1 108 

Lo  loc  que  al  macip  agrada, 

Venga  lo  joue  ab  son  stil 

De  gint  parlar,  mans  e  humil 

E  salut  la  covinentment  :  i  1  1  2 

«   Deus  vos  saul,  Na  rosa  plasent  ! 

1   Rosa  vos  puix  dir  ni  nomnar. 

«  Car  pus  fresque  sots,   sens  duptar, 


«  Que  la  rosa  al  mes  de  may       1116 

1   Per  lo  mati  quant  lo  sol  ray. 

t   Si  eu  avia  lenga  d'asser, 

<i  Ja  nous  poria  may  retrer 

«  Les  grans  laors  qui  en  vos  son.  1120 

«   Asso  vos  jur,  per  tôt  lo  mon, 

«  Que  si  tots  los  arbres  de!  mon, 

«  Aytant  con  tenen  en  viron, 

«  Tornaven  ploines  verament       1124 

«  E  la  niar  tinta  exameiit 

0   E  les  [ejsteles  fossen  mans 

«  E  que  fossen  en  quatre  stants 

»    E  [que]  lo  cel  los  pregami        1  128 

«   E  fos  paper  tôt  atressi, 

«  No  bastarien  scriure  de  vos, 

t   Na  corsjansor,  vostres  lausors. 

«   Mils  me  tindriets  per  .j.  still    1132 

«  Vos,  madona,  Na  cors  gentil, 

«   Car  si  corterias  perdia 

«   Ne  ensenyament,  senes  faylia 

li   Per  vos  séria  mils  tornada,       1  136 

«  Mils  que  la  primera  vagada, 

«  Car  yo  no  era  ensenyat 

»   E  avets  m'o  vos  tôt  mostrat 

«   D'on  yo  son  .j.  poc  ensenyat,  i  140 

«  Despuys  que  ab  vos  fuy  privât. 

«  E  fas  vos  en  gracias  mil; 

«  Mas  fort  m'avets  aduyt  al  fil 

a   De  mort, [vos]  francares  humil,  1 144 

a  So  sab  la  vostra  dolsa  amor 

•   Quim  va  ferir  sus  al  [meu]  cor, 

«   Per  que  la  nit  no  pux  dormir, 

«  Nom  pux  pausar  ni  abaltir  ;      11 48 

«  Si  vos  donc3  nom  avets  merce, 

"  Mentre  suy  viu,  ne  pux  dir  re.  » 

Mentre  aço  li  comptaras  [271] 

E  ses  lausors  li  retrauras,  1152 

Ve  la  tocar  en  son  vestir 

Tôt  suaument  ab  greu  sospir 

E  vas  li  [e]strenyent  la  ma, 

Qu'eu  say  que  mils  s'escaifara,      1156 


1089  confirmada,  ms.  conformada.  —  1132? 
ne,  lire  no. 


148  Nom,  lire  Nim.  —  1150 


214 

E  no  aura  tan  forts  la  pensa 

Con  no  le  y  trenc  qui  be  s'o  pensa, 

E  la  on  hom  la  toch  de  ma, 

Jochs  e  ris  no  muyren  ja.  1 160 

E  si  elles  vol  apensir 

Nel  tocamcnt  le  vol  sofrir, 

Deus  la  aver  en  bon  huyr 

Mas  no  la  vulles  derrenclir;         1 164 

E  si  li  fas  greu  lo  tocar, 

Jugant,  rient,  no  deus  vagar, 

Ades  cuxes,  ades  costats, 

Per  tu  sien  sovin  palpats,  1 168 

Mas  non  fasses  con  a  porquer 

Mas  fe  u  con  a  franc  cavalier, 

Car  aver  nianera  plasent 

En  tota  res  es  covinent,  1 172 

Nulla  res  no  val  ses  mesura 

Ne  deu  valer  senes  dretura. 

Lo  joves  deu  de  so  curar  [279] 

Passa  la  nina  alegrar  1 176 

Ab  jangles,  ab  jochs  atretal 

Per  apansir  son  cors  leyal. 

E  cant  ella  no  sera  brava 

Que  ell  no  li  meta  la  trava,  1 180 

La  trava  es  de  gint  parlar, 

Qui  fa  molt  hom  fort  declinar 

E  les  punceles  maiorment 

Qui  no  son  en  amor  sabent.         1 184 

Demanali  un  dois  baysar, 

Vulles  l'en  humilment  pregar 

E  dia  li  tôt  anaxi  : 

t  Madona,  si  yol  me  prenia,        1 188 

«   Per  Ventura  greu  vos  sabria, 

«  Mas  donats  lo  m[e]  vos  de  grat 

t  E  aurets  me  puys  he[re]tat 

8  D'un  regisme  0  d'un  conptat,   1 192 

«  Aurets  me  mes  en  paradis 

«  On  es  tostemps  [e]  joy  e  ris; 

«  E  no  vull  que  pus  m'en  donets 

t  E  jurar  vos  he,  sius  volets,       1 196 

€  Que  yo  als  pus  nous  deman. 


A.    MOREL-FATIO 


<■  Promet  vos  ho  senes  engan, 

«  Que  be  creu  quem  deura  bastar 

€  Aytal  do  per  [a]  demandar.  «   1200 

E  si  ella  noi  te  vol  dar 

E  ques  prenga  a  manassar 

E  que  s[e]  vage  retrahent 

So  de  que  s'es  anat  plivent  1204 

E  li  diga  que  mal  0  feu 

E  no  si  torn  per  altre  veu 

E  si  no  fa  queu  comprara 

E  carvenir  li  0  fara,  1208 

Lo  macip  sia  tan  [e]spert 

Baysar  la  vaja  con  a  sert, 

Nosolament  una  vagada, 

Mas  .L.  ab  abrassada,  1212 

Que  so  que  diu  vergo[n]ya  fa, 

Maiorment  con  vezat  nou  ha. 

Per  que  tu  no  deus  rebujar 

Lo  bras  per  coy  11  [e]spert  pausar,  1216 

Siu  vol  0  nou  vol  atretal, 

No  li  cayla  aver  destra!. 

Lavors  nou  deu  fer  moyiament,  [289] 

Mas  bes  la  be  [e]stretament  1220 

E  tinga  y  molt  la  sua  boca 

E  (fara)  cremar[a]  la  nina  tota, 

E  meta  li  la  ma  al  si, 

Palp  les  memeles  atressi,  1  224 

[E  e]strenya  les  li  un  poc, 

No  molt,  car  no  seriade  joch. 

Que  semblaria  hom  porquer 

0  strempauc  0  paltuner,  1228 

La  cuxa  el  ventre  exament, 

(E)  cascu  senta  lobaysament, 

E  la  calor  el  foc  d'amor 

Be  li  intrara  dins  lo  cor.  1232 

Lo  macip,  con  conexera 

Qu'  ela  trestota  cremara 

E  la  veura  tota  tremolar, 

Deu  la  tantost  resubinar  1236 

E  gir  li  les  faldes  en  sus, 

Si  que  no  parega  camus. 


1 58  Sens?  —   1 160  Pour  la  mesure  : 
apensir.  de  première  main  apensar.  —  121 


Los  jochs  ils  ris  no  m.  ja. 
1  solament,  ms.  foyiament. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE   CATALANE 


1240 


244 


252 


Aquis  deu  lo  jove  sforsar, 

Sitôt  elles  sap  reguitnar, 

Ne  ab  ell  [se]  vol  forsejar 

Perque  li  puxa  fejscapar, 

Que  puys  naura  sayso  ne  loc 

Ne  la  lex  si  con  a  badoc, 

Que  si  lavors  la  desempara 

E  la  lexa  anar  eucara, 

No!  preara  puys  .j.  diner 

Nés  voira  puys  en  ell  fier, 

Apeyiar  s'  a  benuhirada 

Con  axi  li  es  [ejscapada. 

«  Car  bagassa  fora  nomnada 

«   Si  malem  fos  a  ell  liurada 

«  Ne  que  lo  pecat  se  fos  fet 

«  Que  fos  putana  soldedera. 

«  Ay  lassa,  tan  mal  m'o  valguera! 

«  No  agra  amies  ne  parents         1256 

a  Que  tots  no  fossen  malvolents. 

«  Be  y  fora  mes  certament 

•  Quem  degolassen  exament  o. 

Per  quet  dich  que  not  [ejscapas  1260 

Nagunafembra  en  aquell  cas; 

E  si  0  fa,  Deus  te  do  mal  dia 

E  quet  meta  en  maia  via, 

Car  tôt  hom  deu  esser  baro, 

Con  es  en  [e]streta  mayso, 

Ab  fembra  viuda  0  punceyia, 

En  camisa  0  en  goneyia. 

Avol  es  e  vesa  sens  mantir 

Qui  en  tal  cars  la  vol  jaquir, 

No  deu  esser  digne  d'amar 

Nula  nina,  mas  de  penjar. 

Lebrer  a  qui  [ejscapa  presa 

Ja  nol  preza  hom  una  pugesa, 

Ne  nuyll  auseyiet  de  rapina 

Si  ell  no  pren  cant  veu  i'asina. 

Ella  pot  dir  :  t  Senyer  Nartus, 

«  Ja  vêts  la  filosa  e!  fus, 

«  Babot  camus,  babot  camus  ! 

a  Que  ja  de  mi  non  aurets  pus. 


215 

280 


1264 


[30'] 
1269 


1272 


1276 


Mas  sil  jove  n'a  avantatge 

E  n'age  aut  lo  puncelatge, 

E  no  sia  d'aytal  maneyra 

Con  aquell  qui  lexa  la  carreyra, 

Axi  con  demunt  as  ausit,  1284 

Con  hom  al  fayt  no  es  ardit, 

Deus  la  nina  amonestar, 

Si  del  feyt  la  veus  entristar 

Plorosanient  ab  greu  sospir,         1288 

E  que  dira  senes  mentir: 

«  Ay  !  Inssa,  mal  anchsuy  nascuda 

«  E  de  ten  ait  castel  cayguda  ! 

(I   Ma  virginitat  he  perduda,         1292 

«  Marit  et  honor,  Na  faduga  ! 

"  Ay  Na  lassa,  yo  que  fare  ? 

•  Al  meu  marit  que  li  dire,  1295 

«  Ceyll  que  mos  amies  me  daran  ? 

(1   Yo  li  fassa  tan  gran  [ejscarn 

«  QueeyII  per  puncelam  tindra? 

«  Quel  foyll  sospitanon  aura, 

«   L'excreix  m'aura  fet  abrivat      1300 

«   Per  la  mia  virginitat, 

(I   E  axi  mintre  per  la  gola 

«  Perdesleyal  no  con  a  bona  ». 

El  macipdeu  la  conortar  1304 

E  amorosament  preycar 

Que  aytal  desconort  nos  do, 

E  jur  li  per  lo  Deu  del  tro 

Que  nul  temps  li  devenra  1308 

Mentreal  segla  viu  sera. 

«  Vos  non  perdrets  vostre  marit, 

«  Que  pus  siats  abdos  al  lit, 

«   No  gardara  lo  puncelatge,        1312 

"  Tant  aura  en  vos  son  coratge, 

I  E  que  puxa  far  sos  délits, 

"   E  metra  hi  tots  sos  envits, 

«   E  vos  serets  beu  leu  [ejstorta.  1316 

«  Nous  calra  [e]star  con  a  morta, 

«  Car  vos  le  y  porets  smenar, 

«  La  y  cant  testament  vcirets  far; 

II  De  ço  del  vostre  li  lexats         1320 


1268  Lire  Vcsa  es  es  auol  s.  m. —  1283  aquell,  lire  'ceyl.  —  1290  mal  anch, 
lire  mal  any  ^  —  1308  li  devenra,  lire  la  dexelara;  et.  1347-48.  —  1318  le, 
pour  lo. 


2l6  A.    MOREL-FATIO 


«  E  despuys  non  aurets  pecats. 

1   L'escreix  li  podets  ben  jaquir, 

«  Que  de  Deu  non  aurets  reptir, 

f   E  axi  sera  [bej  celât  1 324 

«  Que  nou  sabra  nul  hom  nat. 

«  E  yo  fer  vos  he,  ses  duptar, 

(I  Que  nous  porets  emprenyar. 

«   E  porem  fer  nostres  délits,       1328 

(I  Vullats  per  vergers  0  per  lits.  » 

E  si  ellet  vol  demandar 

Con  se  poria  alo  far 

Qu' ela  nos  posques  emprenyar,  1332 

Deus  tu  alguna  res  trobar 

Que  crega  que  aios  pot  far, 

Mas  no  tos  ver  axi  con  dius 

A  la  nina  ni  liu  scrius,  1336 

Maior  séria  lo  pecat 

Quel  primer  que  auras  tractât, 

Que  sin  avias    j.  infant 

Deliria  lo  pcccat  grant,  1340 

D'on  auriat  profit  la  mara 

O  prevere  esser  poria 

D'on  lo  payre  honorauria.  1344 

Mas  tu  deus  esser  ten  cortes,      [315) 

O  ceyll  qui  la  nina  conques, 

Que  no  la  vulla  dexelar 

Ne  descobrir  de  nuyll  afar  ;  1 348 

Car  ceyll  qui  dexela  sa  dona 

De  sos  afTers  naguna  hora, 

Deu  la  per  sa  colpa  perdra, 

E  no  la  deu  puys  mays  aver,        1352 

Ni  es  lengut  per  natural. 

Ans  per  hom  vil  e  pie  damai. 

Ensenyament  e  corteria 

Pert  hom  cant  favilania.  1356 

E  es  digne  dealapidar 

Qui  s'aymia  no  pot  celar. 

Eximpli  es  de  castigar 

Tota  nina,  senes  duptar,  1 360 


365 


368 


172 


.376 

[32'] 


Que  cant  la  hoen  defet  vanar, 

Dira  cascuna  :  «   Mal  fiar 

'(   Se  faria  en  ell,  per  cert, 

«  Que  veus  que  diu  en  descubert 

(i   D'aycelaque  ha  aytant  amada, 

«  Assats  deu  esser  malanada.  » 

Donques,  si  gardes  lo  Facet, 

Tostemps  sia  en  tu  secret. 

Qui  tôt  so  que  [el]  sab  vol  dir 

Séries  no  lexe  res  a  dir. 

Aycell  ama  secretament 

En  far  per  Deu  son  ir.andament. 

Ceyll  qui  Deu  creu  ne  vol  amar 

En  ceyl  pecat  no  deu  [ejstar 

Longament,  si  con  alguns  fan. 

Car  trestot  ios  torna  a  dan. 

Doncs,  si  cobeges  de  jaquir 

Ta  aymia  quit  fa  périr, 

Deus  gardar  Ios  .x.  manaments. 

Si  catolic  vert  Deus  te  sens,         158c 

Gardant  la  sancta  [ejscriptura, 

Qui  diu  que  hom  nos  [deu]  dar  cura 

De  la  muyier  del  prohisme  seu, 

Car  por  ne  deu  aver  de  Deu 

No  es  al  mon  tan  leig  pecat, 

Tan  sutzane  tan  mal  fadat, 

Car  en  una  hora  perdras  Deu 

Per  vil  pecat  el  règne  seu; 

E  si  vols  seguir  so  quel  die. 

Tolraste  d'eyla  e  seras  rie. 

Lo  pecat  te  hom  enlassat 

Qui  toyil  a  hom  tota  bontat. 

Si  gardaves  quant  es  noent 

L'amor  de  fembra,  vil,  pudent, 

Nul  temps  fembres  no  amaries 

Ni  per  aquel  iet  la  reque(r)ries, 

Pus  pudent  es  que  lo  Satan 

E  pus  lege  senes  engan. 

Si  vols  saber  la  lur  balea, 

Yo  t'en  dire  so  que  m'en  sembla.  1400 


384 


1392 

[325] 


396 


1342  Une  ligne  a  été  laissée  en  blanc  dans  le  ms.  —  1351  II  faudrait  ptnicr. 
—  1356  Pcrt.  Le  p  de  ce  mot  est  muni  des  signes  abrévialif  de  per  (par,  por) 
etàepre.  La  mesure  demande  un  mot  de  deux  syllabes.  —  1396  a^uel.  Lire  ceyl 
ou  est. 


MÉLANGES  DE  LITTÉRATURE  CATALANE 


Si  tu  vols  amar  fembra  grassa,    (325] 

Faxuga  es  con  una  massa 

De  plom  0  d'autre  greu  rretayll. 

Fembra  grassa  es  d'equell  tayll,   1404 

Moyla  con  (a)  fane  la  trobaras, 

Nagur.  plaser  ja  non  auras; 

Lo  cuyr,  con  tu  jauras  ab  ella, 

Li  suara  a  mereveyia,  1408 

Semblara  ensunya  de  porch, 

Puys  pudira  con  a  ca  mort. 

De  fembre  roget  die  aytant, 

Anuig  fa  y  aytant  sertamant  1412 

La  con  tu  la  voiras  tocar, 

Sos  membres  tenir  ni  palpar. 

Ayso  per  [solj  una  vagadi, 

No  la  fa  hom  de  res  pagada.        1416 

Fembra  magra  no  pot  plaser        [529] 

Car  SOS  membres  punyen  per  ver 

Tôt  axi  con  (a)  punta  d'eguyla, 

De  colteyll  0  d'espasa  nua,  1420 

Los  essors  li  paren  de  fora 

E  la  coena  dura  tôt'  ora, 

[E]  la  lenya  tost  es  cremada 

E  per  lo  foc  tost  consumada  :       1424 

Axi  destruu  hom  tost  sa  .amor 

E  erema  hom  dins  e  de  for. 

E  longe  dona  a  nulh'  hom  plau    [533] 

Ne  ha  bon  seny  ne  natural,  1428 

Fada  es  e  trop  riolega, 

No  sap  que  s'es  amor,  la  pega, 

E  es  semblant  a  bestiassa, 

Nul  temps  se  mou  con  hom  le  y  massa, 

Que  a  pênes  pot  replegar  1435 

Ses  membres,  ne  pot  loc  trobar. 

De  fembra  poca  not  dons  cura,    [337] 

Dir  vos  ay  quai  es  sa  natura  :       1456 

Sempres  s'ireix,  tant  ha  d'erguyll. 

Tôt  quant  !i  dius  li  torna  anuy, 

E  irex  se  leugerament 


217 
1440 


E  erema  dintre  forsorment, 

Cuyda  esser  tan  uilraeuydada 

Que  nul  hom  viu  li  agrada, 

E  ja  no  val  res  sa  amor, 

Axi  con  vibra  nafral  cor,  1444 

No  poden  certes  be  bastar 

Sos  membres  pocs  pera  jugar. 

Fembra  blancha  es  [be]  lenyida    [341] 

De  groguea,  scnes  falia,  1448 

Semblant  es  aço,  per  eert  creses, 

D'una  flor  c'  a  nom  mereveyles, 

C'aytantes  hores  con  al  dia 

D'aytantes  colors  se  canbia  ;        1452 

Per  lo  mail  la  veuras  groga, 

Fembra  blanca  e  puys  roge. 

Fembra  blanca  tostemps  es  freda 

E  porta  fredor  con  a  feda  1456 

Trestota  [de^dins  lo  seu  cor: 

Per  que  not  pot  usar  d'emor. 

Molt  hom  nés  enfalagat 

En  sa  balea  e  temptat.  1460 

Eylla  enten  esser  pus  blanca 

Que  pera  marbre  ne  ploma  d'auca. 

Mas  fembre  negra  per  que  play   [345] 

A  nagun  hom,  si  Deus  vos  saul  ?   1464 

Que  eyla  tiny  trestot  lo  cors 

De  si  e  de  sos  aymadors, 

Amor  tenyida  de  negror 

No  poden  durar  de  dolsor,  1468 

Car  sembla  [lo]  foc  infernal 

0  par  sunyia  0  fumerai; 

Con  ve  la  nit,  ceyll  qui  liu  fa, 

Tôt  lo  erema  de  ssa  e  de  la,  1  472 

No  voiria  l'anea  lavar 

Ne  les  cuxes  debetegar 

E  con  l'om  s'en  vol  levar 

Ela  l'estreny,  fal  acurar,  1476 

Car  no  voiria  may  vagar 

Tant  il  sap  bo  lo  recalear. 


1425  destruu  n'est  pas  sûr.  Cf.  v.  562.  —  1452  le  pour  lo. —  1449  creses  est 
la  2"  p.  s.  du  subj.  {crcdas).  —  14^6  con  a  jeda.  ms.  con  ajcda  ou  con  aseda. 
Sens.''  —  14^9  nés,  lire  en  es  pour  la  mesure, —  1463  Lire  0  pour  ne.  —  1474 
Debetegar,  lire  dencUgar}  —  147^^  Lire,  pour  la  mesure:  E  con  dcl  lit  s'en  vol 
Itvar.  —   1476  Acurar  pour  acorar. 


2l8 

Fembra  roge  es  vcrinosa, 
Per  sanch  e  per  coira  cremosa, 
Locors  el  cor  cou  exament 
Del  amador,  tant  es  calent. 
Axi  nafra  con  a  serpents 
E  gita  veri  examents 
Perses  membres  de  malvestats, 
A  nul  hom^no  diu  leyaltats 
Ne  bona  fe,  tant  es  cruel, 
Son  coratge  es  si  con  fel,- 
Mes  vicisha  qu'eu  no  say  dir. 
Piyor  ayma,  senes  mentir, 
Carregada  de  malencolia, 
Tart  li  bull  (la)  sanc,  senes  faiia 
De  fembra  fosca,  [qu'es]  quaix 
D'eytal  te  garda  que  not  noga, 
Car  del  demoni  es  semblant 
En  engan  e  en  tôt  son  talant. 
Con  d'enganar  se  jaquira 
Le  carbo  fuyles  levara. 
Qui  de  totes  quanîes  ay  dites 
Dessus  al  libre  ni  [ejscrites 
Vols  fer  amiga  verament, 
Deus  t'en  partir  soptosament  ; 
Sit  penses  so  que  yo'ne  die, 
Ja  no  les  voiras  en  ton  lit; 
Mas  de  aquelles  te  deus  altar 
Que  ara  ausiras  conptar. 
Fembra  de  forma  migensera  _ 
[Ajceyla  es  fort  plazentera, 
Car  ceyia  es  d'aytal  fayso, 
So  diu  l'actor  Ovidio. 
Ne  sia  gran  ne  massa  poca 
E  que  no  aia  ampla  m.oca 
E  que  no  aja  longa  cara 
Ne  ma  breu,  per  cert,  encara, 
Mas  aja  la  un  poc  radona, 
No  massa  ampla,  tal  es  bona; 
E  que  no  sia'massa  roge 
Ne  massa  grossa,  cascu  o  oge. 


A.    MOREL-FATIO 


[M9] 


.484 


.  1492 

groga, 


1496 


[3^7] 
1500 


P4 


[459] 


IS12 


5.6 


1 520 


1524 


Ceyla  ama  qu'eu  te  say  dir, 

A  cuy  no  puxa  hom  res  dir. 

Ceylat  fara  [e]star  jausents 

Dins  en  ton  cor  verayaments, 

E  la  amor  d'eyia  ab  dolsor 

Trop  es  azauta,  diu  l'actor. 

Penset  en  los  comensaments 

E  aço  no  liures  als  vents 

E  part  asso  [e]  quants  danpnatges 

Seguexen  hom  e  quants  coratges.i  528 

Eceyil  qui  ama  sens  manera  [365] 

Foyil  es  e  sens  tota  carrera, 

Hom  ne  menysprera  son  offici, 

Pec  es  hom  assats  e  [molt]  nici.  1 532 

Fembra  en  lo  comensament 

Ayma  [lo]  hom  trop  caldament, 

Mas  pus  sien  passats  .iij.  meses 

Si  no  le  y  fas  0  no  la  bezes 

Raula  del  breu  que  no  te  prou, 

La  tua  amor  no  val  .j,  ou  ; 

Tu  t'ensendras  al  foc  d'amor, 

[A]ceylla  en  la  gran  fredor, 

Per  que  fara  amich  novell 

Per  cert  de  qualque  jovencell, 

Ceyll  la  aura  a  son  plaser, 

On  tu  deuras  gran  dol  aver. 

Diu  hom  que  tu  batras  les  mates, 

Los  rromanins  e  bulafagues 

E  altre  aura  los  conylls. 

Bet  pora  hom  dir  seny  de  yryls.  1 54 

Be  saps  que  diu  lo  casteyiano 

Que  fembra  fa  lo  desguiado. 

Los  uns  amaranfembres  castes, 

Altres  viudes  0  niaridades. 

De  ques  enganen  malament  : 

Aço  fa  pertot  lo  jovent. 

No  y  ha  belea  de  puncela 

Nos  mut  [alla],  quaix  per  mazela 

Pus  agen  .j.  infant  0  dos, 

Tota  ceyla  color  ques  pos 


1536 


S  40 


W4 


[368] 
>5W 


5^6 


1493  Lire  La  pour  Ds.  —  150^  Lire  Mas  de  aqucllet  deus  a.,  puisqu'il 
n'est  question  que  d'une  seule  femme.  —  1527  part,  lire  pens. —  1536  le  pour 
lo.  —  1537  Sens  .?  —  1  ^8  Sens .?  —  1550  desguiado,  lire  desguisado  ? 


MÉLANGES  DE  LITTÉRATURE  CATALANE 


Tôt  es  pudor,  d'on  puxes  ploren 
E  de  dolor  per  pauc  nos  moren  ; 
Tots  dies  pensen  de  pintar 
Con  ymage  senes  duptar, 
D'on  hom  es  assats  desastrats 
Qui  per  fembra  es  enj^anats. 
Elles  s'afayten  per  vestir 
D'on  puxen  sos  membres  cobrir, 
Qui  son  sutzes  e  moût  pudents 
E  vils  ses  tots  comparaments. 
Nou  garda  hom  con  s'anamora 
E  paren  oveyia  modorra. 
Axi  fan  hom  mètre  en  gir 
E  fadejar,  Deus  les  ahir  ! 
Con  es  hom  axi  axorbat 
Que  no  veu  la  lur  sutzetat. 
Axi  giren  lurs  uylls  ten  gins 
Ab  qups  alegren  los  mesquins; 
En  moites  es  hom  enganats 
E  hom  ne  va  mort  e  cuytats. 
Vois  [tu]  veura  la  lur  balea? 
Ve  t'en  mayti  tantost  a  ella 
Con  jau  nua  en  son  lit, 
Descobrila  e  not  oblit 
E  lavors  be  le  t[e]  [e]sgarda, 
Aqui  veuras  con  es  galarda. 
E  jau  ab  ella  mantinent 
E  gardala  puys  exament 
Quina  pudor  exira  d'eyia! 
Nos  potsofrira  mereveyla  ; 
Tart  sera  que  not  taps  lo  nas, 
Si  li  [ejstas  gayra  de  fas, 
Con  ella  put  en  sa  natura  ! 
E(n)  tots  sos  membres  de  sutzura 
Son  e  les  cuxes  exament 
Qui  prop  li  [ejstan  verament. 
Molt  hom  d'arenchs  no  ha  talant 
Mas  de  la  pudor  ha  semblant: 


560 


1564 
[372] 


1568 


S72 


576 


[lis] 

1580 


1584 


S92 


596 


Per  que  no  deu  plaura  assi 

Ne  a  nul  hom,  jurte  per  fi. 

Bona  medicina  pendra 

Qui  d'aqutst  feyt  se  lexara.  1600 

Si  to[sJt  d'eyia  nos  vol  partir, 

Lo  cors  te  fara  amagrir 

Per  la  sua  art  [tan]  malvada 

Qui  trespua  [a]  hom  la  corada.     1604 

Quatre  coses  son  ses  duptar 

Qui  no  s'e]  poden  sadoyiar  : 

La  mar,  lo  cony  de  la  putana, 

Foch  e  avar,  causa  es  certana.     1608 

Puta  es  fiyla  de  Satan, 

Car  la  ressembla  per  engan, 

E  es  plena  de  dois  veri 

Ab  que  engana  lo  mesqui,  1612 

Segonsque  sent  Gregori  dits. 

Recomptant  als  savis  [e]scrits. 

Las  de  animas  es  la  putana 

E  de  luxuria  cabana,  1616 

Tôt  axi  put  con  lo  demoni 

Qui  es  tôt  pie  de  malenconi. 

Los  mais  qu'en  la  putana  son 

Nols  poria  retre[r]  d'un  jorn,       1620 

(Car)  ella  fa  corrompre  lo  cors 

E  fa  destrohir  los  trezors 

E  fa  la  arma  infernar 

E  Deu  lo  payra  oblidar.  1624 

Salamo  fo  sobrat  per  cert 

Per  femna  [e]  enganat  apert, 

E  atressi  Sampso  lo  fort  1627 

Per  sa  muyler,  d'on  puys  fo  orp, 

E  Sent  Père  atretal 

Per  fembra  fo  enganat  mal, 

Que  tresveus  senes  duptar 

Li  feu  Jesu  Christ  renegar  1632 

En  lo  palaus  de  Ponç  Pilât, 

On  près  e  ligat. 


1585  le  pour /a. —  1605-1608.  En  marge  ce  renvoi  :  «  Proverbiorum  ultimo 
capitulo.  Il  iallait  penullimo  :  «  Tria  sunt  insaturabilia,  et  quartum,  quod  nun- 
quam  dicit  <i  sufficit  »  :  infernuset  os  vulvae,  et  terra,  quae  non  satiatur  aqua  : 
ignis  vero  numquam  dicit  «  sufficit  ».  »  [Piov.  xxx,  15,  16).  —  1625  la  arma, 
ms.  larma.  —  1629-30  Rétablir  pour  la  mesure:  E  Sent  Père  \lo]  atretal  Per 
[una]  fembra  enganat  mal.  —  1634  Lire  :  On  [elfo]  près  e  [fo]  Ugat. 


220 


MOREL-FATIO 


Perque  fembra  es  cnganosa 

E  de  mais  aptes  abundosa.  1656 

Cant  fembra  vil  se  gardara 

Que  algun  hom  no  decebra, 

La  mar  certes  s'axecara 

E  segnor  iuyiles  levara.  1640 

Garda  Eva  quants  mais  basti 

Cant  menget  aquell  mal  boci, 

Elen  dona  a  son  marit 

D'on  puys  se  tench  per  [e]scarnit, 

Car  per  ayce!  mal  los  malvats      1645 

Foren  de  paradis  gitats, 

D'on  Jesu  Christ  n'a  presa  morts. 

D'on  nos  e  ella  ne  som  [ejstorts.  1648 

Tostemps  fo  e  tostemps  sera 

Que  la  fembra  abans  fara 

Lo  contrari  sertanament; 

D'eyço  en  res  nul  hom  no  ment.    1652 

Fembra  es  rayll  de  barayla 

E  de  tofs  mais,  ses  tota  fayla, 

E  aytantes  veus  elles  gira 

Con  pot  fer  lo  panell  al  dia,         1656 

E  so  con  ab  sos  uylls  veura 

Al  quaix  glassar  II  0  fara. 

Moit  hom  veig  que  fa[n]  ayrar 

Que  deurien  certes  amar.  1660 

Anamich  es  vostre  mortal, 

Semblant  es  del  diable  mal. 

De  que  trob  en  [ejscrit  tôt  breu, 

Ca  fembra  ha  ymage  de  Deu        1664 

De  que  [ella]  nul  temps  fo  creada, 

Car  de  costeyla  fo  formada 

En  [lo]  paradis  terrenal, 

On  ellens  percassa  tôt  mal,  1668 

Si  nou  avets  mes  en  oblit. 

[La]  fembra  vil  a  hom  no  ama 

Si  no  con  al  lit  [lo]  aflama 

De  foc  lucxurios,  malvats,  1672 

Per  que  es  Deus  [be]  oblidat. 

Senyor,  ausit  podets  aver 

Quais  bontatsan  en  si  per  ver. 


Para  e  mara  fan  oblidar,  1676 

Fan  hom  despendre  e  folejar  ; 

Con  mes  en  elleus  fiarets, 

Lavors  pus  enganat  irets, 

Car  eu  la  say  de  tants  talents       1680 

Con  se  poden  girar  los  vents, 

Mas  la  fe  que  promet  ne  jura 

Ve)am  e  quant  de  temps  li  dura. 

Que  a  una  hora  es  girada  1684 

E  de  son  lit  descambiada, 

Tôt  son  [e]studi  es  d'engan, 

No  va  en  als  cogitan, 

Car  cert  no  es  als  mas[que]  fems,  1 688 

Causa  frevols,  causa  calents, 

Parlara  e  sens  piatat, 

Enganabla  las  de  pecat, 

Destruccio  de  castedat,  1692 

E  sen[e]s  tota  leyaltat, 

Rayl  de  mala  malaltia, 

Porta  de  partiment  e  via, 

Fembra  vil,  senes  tôt  mentir.        1696 

Ximera  li  pot  hom  be  dir 

E  tôt  per  aquesta  rao 

Com  [ha]  lo  cap  con  a  leo 

E  de  cabra  [ha]  tôt  lo  cors,         1700 

Axi  la  pinten  los  pintors 

E  fan  li  coha  de  serpent. 

Veus  e  quai  comparament 

A  tota  fembra  vil  es  dat,  1704 

Verayament  li  es  posât. 

Per  lo  cap  de  leo  es  entes 

Lo  erguyll  qu'en  les  fembres  es, 

E  per  lo  cors  de  cabra  que  ha      1708 

Es  entesa  lucxuria, 

E  per  la  coha  de  serpent 

Es  entes  l'enverinament, 

E  lo  foc  que  en  elles  met  1712 

Malvat,  per  la  fe  queus  dech, 

De  malea  e  de  falsedat, 

Es  son  coratge  carregat. 

Nos  fiu  en  fembra  nul  hom  nat,   1716 


1640  Segnor,  ou  segner,  seguer.  Sens?  Cf.  v.    1498:  Lo  carbo  fuyks  levara. 
1657-58  et  1663-64  Sens.?  —  1687  ah.  VI  est  barré;  lire  al  re. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE  22  1 

Si  vol  creure  aquest  dictât,  Qui  son  de  castcdat  mal  sanes, 

Mes  de  malea  an  percent  Elles  torben  vostres  marits           -.-j^z 

Que  nous  dire  al  descobert.  D'on  vostres  hostals  son  derrenclits, 

De  .M.  a  pênes  ne  veurets  1720       E  molta  dona  colpejada 

Una  (ben)  casta  ne(n)  atrobarels  :              E  iarida  e  ben  cast[ig]ada, 

Perque  les  bones  ses  duptar  Car  prous  dona  nos  pot  [ejstar,    1756 

Deuria  hom  quaix  adorar,  Cant  veu  son  alberch  destorbar, 

E  deuria  fer  niereveylles  1724      Que  no  reprena  son  marit 

E  virtuts  deu  senyor  per  elles.  Qui  axis  pert  per  ta!  délit. 

De  les  bon[e]s  no  pus  maldir,  Perque  assi  sia  acabat                  1740 

Car  Deu  les  feu  per  son  servir.  Del  gran  doctor  lo  seu  dictât, 

Donques  [yo]  prech  vos,  sius  plats,  De  Fassel  lo  bell  dictador 

Que  aço  en  mais  nou  prenais  1729       Quins  (ha)  adoctr;na(ts)  en  feyt  d'amor. 

Que  ay  dit  defembres  vilanes 

Glossaire. 

Abaltir  1 148  .? 

Abrivat  22,  1300,  adv.  «  rapidement  ». 
Abte  209,  adj.  «  habile  ■■  ;  566,  subst.  «  habitude  ». 
Agvalat  {egiuldt]  45,  «  uni,  plat  »,  de  là  «  simple,  sot  ». 
Altar  197,  ALTARSE  1  ^oj  «  se  Complaire  »  ;  cf.  Mussafia,  Sete  sans,  gloss. 
Altiment  505  (dérivé  de  altar),  «  grâce,  charme  >;. 

Anagar  648.  Labernia,  à  côté  du  sens  de  «  noyer,  inonder  ;  »  donne  celui 
d'  «  animer,  exciter  »,  qui  convient  au  passage. 

ApanSIR   1178,  APENSIR    I161   ? 

Aparvent  827.  Donar  aparvcnt  «  manifester  ».  Cf.  Mussafia,  St7e  jjvi5,  v.  629. 

Apte  1636,  voy.   abte. 

Arrenar  1016,  Il  expliquer  (un  songe)  ».  Cf.  Sett  savis ,   glossaire. 

AsiNA  127^,  pour  ayna,  eyna,  prov.  aisina? 

Assenât  222,  «  sensé,  sage  ». 

Aucar  597,  0  pousser  des  cris,  effrayer  ». 

Axequar  381,  1639,  «  élever  ». 

Axorar  741,  «  évaporer  ».  Cf.  prov.  aurai. 

Axorbat  1573,  «  aveugle  ». 

AzAUT  974,  pris  substantivement,  «  ce  qui  charme  ». 

Blana  farina  (fer)  568,  «  porlarse  be  en  alguna  cosa  ».  Labernia.  En  cas- 
tillan, haccr  mala  hanna  c'est  faire  de  vilaines  choses  (voy.  par  ex.  la  Scgunda 
Celcslina  de  Feliciano  de  Silva,  éd.  de  Madrid,  1874,  p.  71. 

Blancluexer  733,  «  être  blanc  ». 

BUFALAGUA    1^46.? 

Caml'S  i2?8,  babot  camus  1278,  «  niais,  sot  ». 


1725  dm  ou  dun .  Sens?  —    1728  Dontjius,   ms.   Doncs.  —  1753  Lire  D'où 
vostre  hoital  es  d. 


222  A.    MOREL-FATIO 

CaRvenir   1208  pour  carvendre. 

Castat  1735.  Faute  pour  castigat  ? 

Casteyl  (Tirar  al)  391  ? 

Causar  105  (pour  calsar),  «  chausser  ».  Cf.  moût  1 567,  pour  molt;  autre  p.  altre 
1403. 

C1CILIANA  <^66  {pour  siciliana)^  «  cochevis  ». 

Coena  1422,  «  peau  ».  Le  ms.  a  peut-être  cotna. 

CoLRA  1480,  <£  bile  ». 

CoRASSo  1026.  C'est  le  cast.  coraçon. 

CoRONA  152,  «  tonsure  ». 

CoRRENT  (de)  1024,  «  rapidement  ». 

CoRTERiA  ir,  173,  pour  corîcsia. 

CuYDiA  739,  pour  cuyd'u,  «   grâce  ». 

Debetejar  1474.? 

Declinar  569,  1182,  «  descendre,  céder  ». 

Denejat   164  (  pour  nedejat),   «  nettoyé  ».  Cf.    Crômca  de  Père  iv  (éd.  Bo- 
farull,  p.  272):  «  purgant  tdenejanl  les  cisternes  ». 

Derrenclir  691,  1  164  (pour  derehnquir),  «  abandonner  ». 

Destral  478,  493,  570,  1102,  1218,  «  hache»,  nom  donné  à  l'entremetteuse. 

EiNDENYos  27,  «  dédaigneux  », 

Enfalagat  1459,  «  ébloui,  enjôlé  ». 

Ensunya  1409,  «  graisse  ».  Arag.  ensundia,  cast.  tnjundia. 

Ektirat  602,  i  affecté,  prétentieux  .>  ;  cf.  cast.  entirado^  estirado. 

Entricat  221,  «  retors  ». 

EscREix  1300,  1322,  «  augment  de  dot  »,   la   dot  que  le   mari  apporte  à  sa 
femme. 

Esters  (per)  406,  «  pour  l'extérieur,  pour  l'apparence  ». 

ExARNiT  855,  pour  cscarnit. 

Fadejar  1572,  «  divaguer,  perdre  la  tête  ». 

Faduch  1293,  «  fou  «. 

Fasia  200,  pour  fesiciâ^  «  médecin  ». 

Fer  be  q.ue  928,  «  se  conduire  comme...  » 

Fit  en  fit  (de)  396,  .  face  à  face  ». 

Fortal  I  i03,  adj.  dérivé  de  fort . 

Fumeral  1470,  «  conduit  de  cheminée  ». 

GiR  (METRE  EN)  1571,  «  faire  tourner  » . 

Gla?sar  1658,  «  geler  ». 

Groch  14^3,  1493,  i  jaune  »,  groguea  1448,  «  couleur  jaune  ». 

HoMEY  808,  «  homicide  ». 

HuYR  1 163,  pour  ûhuir  {augurium). 

Jangla  1177,  «  plaisanterie,  farce  », 

Largues  305,  plur.  masc.  de  larch. 

Malast  157,  (I  méchanceté,  tromperie». 

Massar  1432,  «  pousser,  frapper  ». 

Mazela  1 556,  de  mazcl.,  «  lépreux  ». 

Mereveyla  1450,  nom  d'une  fleur. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE  22  ? 

Mestayll  699,  "  mescla  de  blat  i>.  Labernia. 

MocA  1512,  «  ventre  », 

MoDORRO  I  ^70,  «  endormi,  abruti  •).  C'est  un  mot  castillan. 

MoLEjAR  660,  littéralement  «  devenir  mou  ».  Ici  «  céder  ». 

MoLfRA  61  $,  pour  mollura,  «  humidité  ». 

MoNSONGER  23,  pour  mensonger. 

Nedeu  163  (nit'uius). 

Nici  14^,  263,  «  sot  ». 

NoDRiR  118,  noyrirS,  a  s'clever,  s'éduquer  n.  Cf.  Setesavis^  glossaire. 

Oksa(en)  449,  terme  naval,  «  à  la  bouline  o,  c'est-à-dire  «  de  côté,  de  tra- 
vers 1. 

OssoRS  1421,  pluriel  de  os  pour  osscs,  ossos. 

Paltuner  1228,  V.  ir.  pautonnier. 

Palos  122,  pour pelos,  «  poilu,  nubile  ». 

Panell  i60,  «  girouette  ». 

Parler,  344,  629,  1690,  «  parleur,  bavard  ». 

Pereros  231,  pour  pciesos. 

Pexer  1047,  «  nourrir  »  (pasccre). 

Piment  565,  773,  962? 

P0Q.UEA  202,  POQUESA  233,  «  enfance  ». 

Raula  1 5  3  7  ? 

Regeu  606  (rigidus). 

Reguitnar  1240,  «  ruer  ». 

Reptir  1323,  pour  reptar. 

Resubixar  1236,  «  renverser  sur  le  dos  ». 

Reuxador  810,  pour  rahonador,  «  défenseur  ». 

Rioleg  1429,  «  rieur  ». 

Sartroresa  459,  a  tailleuse  ». 

Sassaros  99,  s.\SARROS  296.  Pour  Si\faros  a  dégoiitant,  répugnant  ».  Cf.  port. 
safaro. 

Seleta  1096,  pour  solda  ou  cdda,  «  lieu  caché,  secret  ». 

SoFR.\NYiiR  94,  a  manquer  ». 

SoviKENT  64,  «  soudain  ». 

Strempauc  1228.? 

SuAEXER  612,  pour  suavcxcr^  «  s'amollir  ». 

SUNYA   1470;  VOy.   EMSUNYA. 

Tart  94,  1^89,  «  ditficile  ». 

ToRP  529,  subst.  verbal  de  torbar,  «  désordre,  confusion  ». 
ToTAMENT  965,  subsl.  «  tout,  ensemble  ». 
Tragitador  84^  .? 

Trava  1 180,  1 181 .  Même  mot  que  traba  «  entrave  ». 

Trempât  310,  trempadament  49,  pour  temprat,  tempradament,  «  modéré, 
modéiément  ». 

Trespuar  1604,  *  s'infiltrer  ». 

Trobats  1 50,  pour  torbats. 

Valea  302,  pour  vellea^  vdlcsa  «  vieillesse  ». 


224  ^-  morel-fatio 

Ventola  127? 

Verayamext  so,  733,  763,  1522,  1705,  pour  vcramcnt. 
VESA  1268  (vesanus). 
Vey  176,  pour  Vt//,  veyl. 

XiVALER  13,  pour  cava/Z^r.  Directement  du  franc,    chevalier.    Cf.   xantant   439, 
blanxa  723. 


FACETUS 

Le  texte  de  ce  petit  poème  a  été  établi  d'après  les  mss.  Bibl.  Nat.  de 
Paris,  lat.  831 5,  fol.  41  à  50  (xv*  siècle),  lat.  8426,  f.  72  à  86 
(xV^ siècle),  Munich,  lat.  4146,  fol.  ici  à  109  (anno  1436I,  lat.  4409, 
fol.  167  à  174  (xiv«  siècle),  lat.  7678,  fol.  219  à  232  (xv*  siècle).  On 
s'est  attaché  ici,  non  pas  à  établir  un  texte  dit  critique  qui  eût  nécessité 
l'examen  de  tous  les  mss.  connus,  mais  simplement  à  donner  de  ce 
Facetus  un  texte  suffisamment  correct.  Quand  il  a  fallu  choisir  entre 
diverses  leçons,  on  a  pris  celle  qui  se  rapprochait  le  plus  du  catalan. 

Moribus  et  vita  quisquis    vult  esse  facetus  [i] 

Me  légat  et  discat  quod  mea  musa  notât. 
Clericus  et  laicus,  senior,  puer  atque.juventus 

Istic  instruitur,  miles  et  ipse  pedes. 
5  Expedit  inprimis  cupientes  esse  facetos 

Mente,  fide,verbo,  nobilitate  frui. 
Mente  quidem  varius   verboso  pectore  mendax 

Non  placet,  ut  fallax  qui  manet  absque  fide. 
Esto  verecundus  faisum  quandoque  loquaris,  [33] 

10  Nam  semper  verum  dicere  crede  nephas. 

Criminamultociens  laus  est  ceiare  faceto, 

Maxima  rusticitas  turpia  verba  loqui. 
Alterius  laudes  moderate  dicere  laudo, 

Sed  proprias  nemo,  si  sapit,  ipse  refert. 
15  Pauca  loqui  débet  qui  vult  urbanus  haberi,  [57] 

Nec  prorsus  taceat,  sed  meditata  ferat. 
Ut  placeat  cunctis  nullum  decet  esse  superbum  ;  [69] 

Qui  SIC  inflatur  deserit  omne  bonum. 
Sit  placidus  facie,  sit  mitis  et  ingeniosus, 
20  Ne  contemptibilis  forte  sit  ipse  cito. 

Officie  proprio  sapienter  sit  studiosus 

Ut  fiat  doctus  qualibet  arte  sua. 
Ocia  nullus  amet  nisi  sint  conjuncta  labori, 

Nam  nimia  requie  mortificatur  homo. 
25  Expendat  large  sine  murmure,  quando  decebit,  [91] 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE  22^ 

Juxta  posse  suum,  ne  sua  dampna  fleat. 
Exornet  corpus  ne  contempnatur  nb  ullo,  [97] 

Non  tamen  officium  deserat  ipsesuum. 
Sit  bene  vestitus  cui  non  est  parva  supellex 
}0  Et  caute  vivat  potibus  atque  cibis. 

Vertatur  calamus  specialiter  omnia  narrans,  Uoçf] 

Ut  per  doctrinam  vivere  discat  homo. 
Si  puer  in  clero  propria  sit  sponte  locatus, 
Sub  disciplina  mollia  colla  domet. 
35  Ut  non  stultizet,  senioribus  associetur. 

Et  discat  teneros  raro  movere  pedes. 
Si  bene  consuescit,  post  tempora  multa  placebit,  ['3°] 

Ut  semper  placeant  que  placuere  semel. 
Cum  fuerit  juvenis  qui  novit  virginitatem, 
40  Semper  sit  castus,  semper  honesta  petat. 

Discere  ne  cesset  que  sit  doctrina  salubris 

Ut  recte  doceat,  cum  manet  ipse  pater. 
Pervigil,  attentus  sit,  in  officiis  studiosus 
Ut  digne  dicat  verba  sacra  ta  Deo. 
45  Dedecus  est  illi  si  propria  jura  relinquit  :  ['48] 

Ordine  turbato,  non  valet  esse  bonus. 
Tonsura  capitis,  circumcingente  corona, 

Pulchrior  apparet  qui  sua  jura  tenet. 
Vestibus  ex  longis  sua  contegat  intima  membra, 
50  Nam  pudor  esset  ei,  si  caro  nuda  foret. 

Sepius'  insinuet  vestes  ut,  tegmine  mundus, 

Purgatus  viciis  significetur  ut  est. 
Sit  sapiens,  cautus,  numquam  spectacuia  querat, 
Et  gravis  incessu,  ne  sit  eundo  vagus. 
55  Si  quis  habet  censum,  nuili  sit  parcus  in  iilo, 
Hic  si  sufficiat  pluribus  atque  sibi. 
Quando  senex  fuerit  venerabilis  in  gravitate,  ['76] 

Ammoneat  populum  semper  honesta  sequi. 
Exemplum  cunctis  tribuat  moderamine  vite 
60  Ne  secum  populus  crimina  cuncta  ferat. 

Musa  docet  laycum  placidam  componere  vitam  ['841 

Et  breviter  narrât  quod  docet  atque  placet. 
Cum  puer  est  laycus,  quibus  artibussit  sociandus 
Provideat  tutor,  si  caret  ipse  pâtre  ; 
65  Littera  si  placeat  ut  clericu.s  efficialur,  [198] 

Vel  forsan  laycus  doctior  esse  velit, 
Judex  vel  medicus,  doctor  vel  scriba,  poeta, 

In  teneris  annis  discat  amare  iibros. 
Sed  si  milicie  puero  sit  vita  petenda, 
70  Cruribus  et  manibus  flectere  discat  equos; 

Scutifer  imprimis  sit,  militibus  famulando, 

Romania.  XV.  it 


226  A.    MOREL-FATIO 

Duricia  solitus,  si  cupit  esse  bonus. 
Qui  mercatoris  doctrinam  gliscat  habere  [21  5] 

Noscere  denarios  expetat  ipse  prius. 
75  Providus  exploret  terras  mercantibus  aptas, 

Que  varium  pretium  semper  habere  soient. 
Cambial  attente  ne  sit  deceptus  ab  uilo, 

Qualessint  merces  et  numerare  sciât. 
Fabriles  alias  si  quis  cupial  puer  artes,  [228] 

80  Suppositus  férule  desinat  esse  piger. 

Qui  sic  instruitur,  dum  transit  mollioretas,  [232] 

Arte  sua  melius  forte  peritus  erit. 
Qui  fuerit  juvenis,  si  non  didicit  quod  oportet, 

Non  verecundetur  discere  promptus  adhuc. 
85  Est  pecus  ut  brutum  quisquis  prorsus  caret  arte  ;  [243] 

Ars  hominem  format  nec  sinit  esse  malum. 
Sed  tamen  hoc  faciat  quisquis  vult  esse  peritus 

Ut  quod  scire  velit  protinus  illud  amet. 
Scire  quidem  frustra  contendit  quisque  quod  horret, 
90  Quod  natura  negat  discere  nemo  potest. 

Officiis  multis  hominem  natura  beavit  [255] 

Et  varie  variis  plurima  dona  dédit. 
Sic  habet  omnis  homo  quo  se  possit  fabricare; 

Qui  non  est  cunctis,  pluribus  aptus  erit. 
95  Quilibet  officie  proprio  poterit  bonus  esse,  I262] 

Cui  sine  segnicie  complacet  ordo  suus. 
Non  jubeo  quemquam  sic  perdere  gaudia  vite 

Quod  nimio  studio  debeat  ipse  mori. 
Tempore  festivo  vel  quando  decet  recreari 
100  Vivere  quod  possit  gaudeat  omnis  homo: 

Mente  quidem  leta  decoratur  florida  vita, 

Sed  per  tristiciam  fit  cito  quisque  miser. 
Tune  saliat  currens,  cantet  saltans  adolescens  [280] 

Et  placidis  juvenis  cantibus  illud  agat, 
105  Pectora  pascat  amor  sine  quo  sunt  gaudia  nulla, 

Sed  tamen  haec  fiant  tempore  quoque  suo. 
Provideat  juvenis  non  nigros  esse  capillos,  [290] 

Nam  potius  senibus  convenit  iste  color. 
Libéra  irons  pateat,  detonsis  arte  capillis, 
1 10  Auris  in  extremo  terminus  arcet  eos. 

Cesarie  longa  fit  turpis  forma  virilis  ;  [304] 

Femineus  cultus  sepius  esse  solet. 
Vestes  non  longas  juvenilis  diligat  etas 

Ut  motus  facilis  nesciat  esse  gravis. 
1 1 5  Non  natet  in  caligis  vel  crus  vel  pes  juvenilis, 

Sed  sotulariis  formet  utrumque  pedem  ; 
Et  tamen,  ut  patrie  mos  postulat,  omnia  fiant, 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE  227 

Nefaciat  solus  quod  fugit  omnis  homo. 
Inter  gaudentes  juvenem  decet  esse  jocosum,  [320] 

120  Tristibus  adjunctus  compaciatur  eis. 

Doctior  efficitur  senioribus  associatus 

Cumque  bonis  vadat  qui  timet  esse  malus. 
Exhibeat  cunctis  placidus  sapienter  honorem 

Et  nullum  spernat,  sit  licetille  miser.  [332] 

125  Majori  cedat,  caput  inclinet  seniori, 

Exhilara  facie  semper  honoret  eos. 
Inter  majores  caveat  ne  multa  loquatur,  [340] 

Mente  diu  teneat  quod  putet  ipse  loqui. 
Ad  loca  prudentum  tendat  vestigia  sepe 
ijo  Et  notet  attente  que  recitantur  ibi. 

Si  quem  forte  juvat  subdi  sapienter  amori,  [352] 

Sic  amet  incipiens  ut  mea  musa  docet. 
Turpe  scelus  vitans,  nullam  temptet  monialem, 
Que  se  contempnens  est  sociata  Deo  ; 
135.  Assimilatur  ei  jam  femina  nupta  marito, 

Quam  maculare  quidem  creditur  esse  nephas; 
Preterea  ganeis  venali  corpore  fedis,  [398] 

Munera  ni  tribuat,  nemoplacere  potest  ; 
Cui  se  supponit  meretrix  non  prestat  amorem, 
140  Non  amat  id  quod  agit  sed  quod  habere  cupit. 

Sunt  alie  multe  mulieres  lusibus  apte;  [37^] 

Virginis  et  vidue  laudo  vacantis  opus. 

Virginis  amplexus  durissima  pectora  mulcet, 

Mestitiam  pellit,  cor  super  astra  levât. 

145  Dulcis  amor  vidue  mollit  quoque  corda  superba, 

Que  melius  cunctis  et  sapienter  amat. 

Pulchra  puella  vacans  dulcissima  gaudia  prestat, 

Mollibus  apta  iocis,  libéra  colla  gerens. 
Has  juvénile  decus  sapienter  discat  amare,  [392] 

1 50  Arte  quidem  nostra  noscat  amoris  iter. 

Providus  imprimis  oculis  sibi  querat  amandam, 

Eligat  emultis  que  placet  una  sibi. 
Hanc  firmis  oculis  ridentibus  intueatur, 
Ut  quia  diligitur  dulcis  arnica  sciat  ■. 
155.  Sed  virtutis  opus,  generatio,  forma  décora 
Ante  repenseturne  nimis  alta  petat: 
Diligat  equalem  sibi  vel  paulo  meliorem, 

Nam  cito  sepe  ruit  qui  super  astra  volât. 
Inde  locum  discat  quo  semper  amanda  moratur,  [43  ij 

160  Quove  puella  manet,  recia  tendat  ibi. 

Hue  veniat  ludens,  cantet  suspiria  miscens, 

I  .  Sur  la  prosodie  arnica  sciat J'acta  sciant  voy.  L.  Havet,  Romania,  VI,  280. 


228  A.    MOREL-FATIO 

Quod  si  non  noscat,  militet  arte  sua. 
Hic  temptet  vires,  hic  dulcia  verba  loquatur, 
Quod  piaceat  facial,  res  veiut  ipsa  dabit. 
léj  Hue  tamen  ut  vadat  prodest  occasio  ficta, 
Qua  prius  inventa^  cautius  urit  amor. 
Diligit  hune  mulier  qui  caute  novit  amare, 
Ne  consanguinei  singula  facta  sciant  '. 
Nuncia  queratur  in  qua  confidit  uterque,  [470J 

170  Que  narret  caute  quicquid  utrique  placet. 

Muneret  hanc  juvenis  ut  sit  super  hoc  studiosa 

Et  plus  quam  tribuat  polliceatur  ei. 
Hec  adiensiliam  dulcissima  narrât  amoris, 
Incipiens  caute  talia  verba  loqui  : 
175   «  0  speciosa  nimis,  vultufecunda  sereno,  [496] 

«  Te  juvénile  decus  laudat  et  optât  amans, 
«  i^ui  cunctos  alios  superat  spectamine  morum, 
«  Colloquium  tecum  vellet  habere  rogans. 
«   Utile  quod  nimis  est,  vestro  tractabit  honori 
180  «  Et  plus  quam  famulus,  subditus  esse  cupit, 

«  Omnia  postponit,  nisi  te  nichil  amplius  optât; 

«  Me  tibi  direxit,  sum  quia  fida  tibi.  » 
Forsitan  inprimis  dabit  aspera  verba  puella,  [S^^] 

Sed  cito  que  prius  est  aspera  mollis  erit. 
185   Dulcia  verba  quidem  tune  nuncia  proférât  illi, 

Quodque  petit  juvenis  conprobat  esse  bonum. 
Hune  modo  commendet,  modo  laudes  conférât  illi, 

Sic  alternatim  laudet  utrumque  simul. 
Quod  si  displiceat  modo  consentire  puelle,  [58e] 

190  Ad  juvenem  rediens  singula  facta  ferat. 

Hic  non  diffidat,  studiosius  immo  laboret, 

Nutibus  et  signis  sepe  loquatur  ei. 
Ah!  quotiens  teneram,  que  nunquam  novit  amorem, 
Talibus  ingeniis  languidus  urit  amor  ! 
195  Hanc  blandimentis  adtemptet  nuncia  sepe, 
Nec  cito  désistât,  quando  puella  vetat. 
Femina  quod  prohibet  cupit  et  vult  sepe  rogari,  [608] 

Improbitas  vincit,  pectora  frangit  amor, 
Ferrea  congeries  disrumpitur  improbitate, 
200  Et  durum  lapidem  gutta  cadendo  cavat. 

Sic  multis  precibus  vel  longo  temporis  usu 
Colloquium  fieri  languida  sponte  volet. 
Porro  secretus  locus  est  prius  inveniendus  [624] 

Ut  quod  utrique  placet  nuncia  sola  sciât. 
205  Si  tamen,  ut  plerumque  solet,  sit  curia  plena 

1 .  Voyez  la  note  précédente. 


MELANGES  DE  LITTERATURE  CATALANE  229 

Et  locus  est  domine  cui  velit  ipse  loqui, 
Tune  illam  juvenis  blando  sermone  salutet 

Et  promptus  maneat  clamque  loquatur  ei  : 
«  Stella  serena  micans,  facie  rutilante  décora,  [666] 

210  «  Ecce  tuum  famulum  nunc  patiare  loqui. 

«  Si  tua  nobilitas,  probitas  vel  forma  décora 

«  Laudatur  velut  est,  par  tibi  nulla  manet  ; 
«  Tu  superas  cunctas  forma  praestante  puellas  [696J 

«  Et  vincis  Venerem,  ni  foret  illa  dea. 
215   «  Aurea  cesaries  tibi,  frons  est,  ut  decet,  alta,  [712] 

«   Ridentes  oculi,  pulchra  supercilia. 
«  Q_uando  moves  oculos,  vario  certamine  pungor  : 

<<  Gaudia  corda  movent,  sed  tamen  urit  amor. 
«  Candiduset  rutilans  simul  est  color  ipse  genarum, 
220  «  Exornat  faciem  nasus  et  inde  placet. 

«  Labra  tument  modicum  rubeo  perfusa  colore, 

a  Que  michi,  si  possem,  jungere  velle  foret, 
a  Ordine  format!  candent  albedine  dentés, 

«  Omnibus  est  gratus  risus  in  ore  tuo. 
225   «  Cuique  placet  mentum,  gula  proxima  plus  nive  candet, 

«  Quam  quociens  video  cor  sine  fine  calet. 
«  Hec  mihi  significant  quantum  sint  candida  membra,         [750] 

«  Que  tegis  interius  vestibus  ipsa  tuis. 
«  Utraque  conformât  tua  pectora  pulchra  mamilla, 
230  •  Quas,  velud  ipse  puto,  clauderet  una  manus. 

«  Hic  status  est  reclus,  gracilis,  complexibus  aptus, 

«   Brachia  cum  manibus  laude  probanda  vigent, 
«  Cetera  menbra  quidem  proprio  funguntur  honore, 

«  Et  plus  quam  possim  dicere  pulchra  man.es. 
235   «  Cum  te  non  video,  pereo  cupioque  videre,  [784] 

«  Insipiens  morior,  nam  nimis  urit  amor. 
«  Jam  tibi  sum  famulus  ;  tibi,  si  placet,  exibeo  me 

«  Ut  semperfaciam  quod  michi  sola  jubés. 
«  Si  me  conspicias  vel  me  dignaris  amare, 
240  «  Gaudebo  plus  quam  si  mihi  régna  darent. 

ff  Deprecor  hoc  tantum  :  famulum  fatearis  amandum 

«  Ut  per  te  vivat,  vita  salusque  mea  n. 
Forsitan  illa  sagax  sic  verbasuperba  loquetur,  [822J 

Ut  quod  mente  cupit  per  sua  verba  tegat  : 
24^   «  Stulta  petis,  juvenis,  frustra  laudas  mea  membra; 

«  Si  sum  pulcra  satis,  cur  tibi  cura  fuit  ? 
«  Vade,  recède  cite,  ganeam  me  forte  putasti, 

«  Et  nunquam  facias  tu  michi  verba  magis.  » 
Tune  dicat  juvenis:  «  Cur  me,  dulcissima  rerum,  [861] 

250  «  Morte  perire  facis?  hoc  tibi  crimen  erit. 

«  Munera  magna  peto,  tamen  hec  sunt  digna  favore  ; 


2^0  A.    MOREL-FATIO 

•  Si  me  forsan  amas,  nil  tibi  quippe  nocet.  » 
Inquiet  illa  quidem:  «  Fateor  non  horreo  quemquam  [893] 

»  Teque  libenter  amo,  nil  michi  plura  petas  ». 
25s  Tune  caput  inclinet,  grates  multas  referendo,  [903] 

Et  semper  famulus  spondeat  esse  suus, 
Sed  tamen  ut  ir.erito  semper  possit  famuiari, 

Laudes  condignas  prestet  ubiquesibi. 
Postulet  in  signum  sic  incipientis  amoris  [907] 

260  Munera,  que  firment  prorsus  utrimque  fidem. 

Oscula  pro  dono  tune  exigat,  adtamen  ejus 

Ponat  in  arbitrio  que  dare  dona  velit. 
Munere  suseepto,  quia  tutus  in  ejus  amore, 

Letus  discedat,  gratificando  sibi. 
265  Posthoe  sollieitus  discat  quo  tempore  solam  ['094] 

Inveniat  dominam,  forte  vacante  loco, 
Vel  si  non  poterit,  sapienter  nuneia  euret 

Artibus  ut  trahat  hanc  ad  loca  tuta  jocis. 
Hue  veniat  juvenis,  facie  gaudente  salutans, 
270  Adjunctis  precibus  laudibus  usque  vacans. 

Si  quoque,  dum  loquitur,  jam  femina  laude  movetur,         ['  '  $'3 

Leviter  hanc  tangat  vestibus  ipse  super. 
Non  adeo  mentem  rigidam  tenet  ulla  puelia 

Ut,  si  tangatur,  risusin  ore  vacet. 
275  Si  fugiat  tactum,  subridens  forcius  angat, 

Vel  digitis  coxas  comprimât  atque  latus; 
Sed  tamen  in  cunctis  placidus  modus  est  adhibendus, 

Nam  sine  mensura  nil  valet  esse  bonum. 
Curet  ut  insolitam  faciat  gaudere  puellam,  ['  '7S] 

280  Dulcius  exorans,  oscula  grata  petat, 

Spondeat  et  juret  quod  nil  petet  amplius  ipse, 

Nam  bene  sufficiunt  talia  dona  peti. 
Si  neget  illa  quidem  dare  talia,  forte  minando, 

Hec  eadem  precibus  non  minus  ipse  petat. 
285  Sed  quia  sic  multis  verecundia  sepius  obstat 

Ut  quoque  conjugibus  basia  justa  negent, 
Jungere  non  timeat  violenter  brachia  collo, 

Et  prompte  eapiat  quod  negat  illa  dare. 
Tune  non  simplieiter  jungantur  grata  labella,  [1219] 

290  Sed  teneant  longas  basia  pressa  moras. 

Mobilis  interea  stringat  manus  una  mam.illas, 

Et  fémur  et  venter  sentiat  inde  vicem. 
Sie  postquam  ludens  fuerit  calefaetus  uterque, 

Vestibus  ejectis,  crura  levare  decet. 
29^  Vim  faciat  juvenis,  quamvis  nimis  illa  repugnet,  ['239J 

Nam  si  désistât,  mente  puelia  dolet. 
Expectat  potius  luctando  femina  vinci 


MELANGES    DE    LITTERATURE    CATALANE  2^1 

C^uam  velit,  ut  meretrix,  crimina  sponte  pati. 
A  ganeis  tantum  coitus  solet  esse  petitus, 
500  Quesepro  precio  vendere  cuique  volunt. 

Qui  querit  coitum,  si  vim  post  oscula  differt, 

Rusticus  est,  nunquam  dignus  amore  magis.  [1268] 

Arte  mea  quisquis  sibi  consociabit  amicam, 

Vatis  opem  querat  qua  foveatur  amor. 
305  Admoveat  dominam  juvenis  par  dulcia  verba, 

CoUoquium  fieri  sepius  ipse  rogans, 
Sape  superciliis  et  nutu  longius  instet, 

Si  prope non  audet,  voce  sonante,  loqui. 
Tempore  quo  stomachus  sit  prosperitate  repletus, 
310  Spiritibus  letis,  potibus  atque  cibis, 

Aptius  hancadeat,  Veneris  solacia  querens  : 

Tune  etenim  melius  diligit  omnis  homo. 
Tedia  non  faciat,  plus  quam  sit  posse  laborans, 

Fastidita  frequens  esca  jacere  soiet. 
3:5  Diligat  occulte  cui  non  sit  vilis  arnica,  ['34S] 

Sic  fit  furtivus  dulcior  omnis  amor  ; 
Gaudia  que  sumpsit  curet  celare  modeste, 

Nec  nomen  domine  provocet  ille  palam. 
Qui,  propria  culpa,  placidam  sibi  perdit  amicam, 
320  Perpetuo  doleat  rusticitate  sua. 

Qui  fuerit  cupiens  ab  amica  solvere  colla,  ['377] 

Plenius  a  nostro  carminé  doctus  erit. 
Nosse  decet  primum  quantum  sit  femina  turpis  ['393] 

Et  quantum  noceat  fetidus  ejus  amor. 
325  Si  fuerit  pinguis,  gravis  est  ut  plumbea  massa,  ['4°'] 

Mollicie  lutea  turgida  membra  manent. 
Que,  cute  sudante,  velud  est  axungia  porci, 

Lubrica  sepe  facit  tedia  tacta  semel. 
Macra  placere  tiequit,  quia  pungunt  hispida  membra  ['4'7] 

330  Exteriusque  patent  ossa,  rigente  cute. 

Arida  ligna  quidem  cito  consumuntur  ab  igné, 

Urit  etabsumptus  sic  périt  ejus  amor. 
Longa  placet  nulli  nec  habet  sub  pectore  sensum,  ['427] 

Est  fatue  mentis,  nescia  quid  sit  amor: 
335  Jumento  similis,  nunquam  saciatur  ab  ullo, 

Cum  sesupponit,  vix  sua  membra  plicat. 
Si  brevisest,  forsan  per  singula  verba  superbit,  ['43SJ 

Uritur  interius,  corde  superbafurit; 
Nil  valet  ejus  amor,  que  tanquam  vipera  ledit, 
340  Nec  bene  sufficiunt  parvula  membra  joco. 

Candida  si  fuerit,  pallor  suus  inficit  illam,  ('447] 

Frigida  corda  gerens,  nescit  amore  frui  ; 
Despicit  hec  omnes  juvenes,  sua  corpora  cernens. 


2Î2 


A,    MOREL-FATIO 

Marmorea  statua  pulcrior  esse  putat. 
34 j  Sed  nigra  cur  placeat,  que,  tacto  corpore,  tingit?  [1463] 

Gaudia  tinctus  amor  nulla  movere  potest: 
Inferno  similis,  tenet  hec  fuliginis  instar, 

Nocte  quidam  nulli  crura  levare  vetat. 
Rubra  venenosa  colera  vel  sanguine  fervet,  ['479] 

350  Igné  coquit  pectus,  corpus  adurit  amans, 

Ledit  uti  serpens,  jaciens  per  membra  venena 

Et  nulli  prorsus  corde  fidelis  erit. 
Femina,  que  facie  pallenti  sit  quasi  fusca,  ['4931 

Demonibus  similis,  fallere  docta  fuit. 
555  Hec  melancolico  quia  sanguine  tardius  ardet, 
Ex  multis  viciis  callida  pejus  amat. 
Qui  de  jam  dictis  aliquam  sibi  junxit  amicam,  ['499J 

Talia  pensando,  linquere  débet  eam. 
Sed  medie  forme  mulier  per  talia  nunquam  [i  507] 

360  Displicet,  immo,  velut  sit  dea,  sola  placet. 

Hec  fovet  interius  gaudenti  corde  medullas 

Cumque  dolore  gravi  solvitur  ejus  amor. 
Estimet  inprimis  quantum  ledatur  amando 
El  que  pretereadampna  sequantur  eum. 
365  Efficitur  fatuus  qui  sic  amat  ut  modus  absit,  ['$29] 

Negligit  officium  quilibet  inde  suum. 
Sepe  novum  veteri  mulier  preponit  amicum, 

Sepius  et  castas  unus  et  alter  amat. 
Decipitur  juvenis  :  non  est  ita  pulchra  puella, 
570  Cujus  amore  gravi  lesus  ad  yma  ruit, 

Ut  putat  :  ejus  enim  faciès  est  picta  colore, 

Vestibus  ornantur  vilia  membra  satis.  [  1 565] 

Nil  bene  cernit  amor,  videt  omnia  lumine  ceco, 
Fallitur  in  multis  anxietate  sua. 
375  Vadat  ad  hanc  juvenis  jejunus  mane  repente,  ['S8o] 

Dum  jacet  in  sompnis  nuda  soluta  caput, 
Gaudia  tune  sumat,  donec  fastidia  sentit, 

Quod  vult  plus  faciat  quam  sibi  velle  fuit. 
Post  hec  inspiciat  quantum  sint  turpia  membra, 
380  Que  nulli  placeant,  si  medicina  vacet. 

Hac  ita  demissa,  jam  diligat  ipse  laborem 

Et  maceret  corpus  fortius  arte  sua. 
Sit  cibus  et  potus  modicus,  jejunia  prosunt, 

Nec  petat  hanc  rursus  nec  petat  inde  magis. 

38J  Musa,  placere  potes  si  caros  jungis  amicos, 
Expedit  hoc  multis,  protinus  ergo  doce. 
Utilius.homini  nichil  est  quam  fidus  amicus 
Ut  veluti  secum  cuncta  loquatur  ei. 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE  233 

Rébus  in  adversis  dabit  hic  solacia  fati, 
390  Prosperitate  quidem  gaudet  uterque  magis. 

Faisus  adulator  non  est  reputandus  amicus, 
Proficit  in  nullo  tempore  fictus  amor. 
Qui  fuerit  felix,  multis  veneratur  amicis, 
Si  miser  effectus,  solus  ad  yma  ruit. 
395  Fidus  in  adversis  ostenditur  omnis  amicus, 
Si  tune  désistât,  falsificatur  amor. 
Quilibet  inspiciat  cui  conjungatur  amico, 
Qui  sit  propitius  nocte  dieque  sibi. 
Providus  ejusdem  doctrine  querat  amicum, 
400  Artis  et  officii  commoditate  parem. 

Est  etenim  melius  similem  sibi  consociari 

Quam  per  dissimilem  linquere  jura  sua; 
Sed  tamen  alterius  juvat  artis  habere  sodalem, 
Cum  forsan  propria  nullus  in  arte  placet. 
405   Pauper  divitibus  vel  doctior  insipienti 

Numquam  jungatur,  namque  nocivus  erit. 
Non  amat  hune  dives  nisi  forsan  confamulatur 

Et  licet  hic  egeat,  munera  nulla  dabit. 
Arridet  parcus,  spondet  se  dona  daturum, 
410  Dum  poterit,  tollet,  nec  dabit  ipse  vicem. 

Nititur  ut  secum  proprium  consumât  egenus, 

Quo  jam  consumpto,  spernit  et  odit  eum. 
Pascua  divitibus  bona  pauperis  esse  putantur, 
Cu.n  Salomon  docuit  ne  societur  eis. 
415  Despicitur  sapiens  fatuo  sociatus  inepte, 

Cum  quo  conversans  destruit  omne  decus. 
Assiduo  gressu  nunquam  comitetur  euntem, 
Sed  tamen  ut  moveat  sepe  loquatur  ei, 
Incesto  castus  sociatus,  justus  iniquo 
420  Non  beneconveniunt,  ni  sit  uterque  malus. 

Nemo  placet  stulto  nisi  dicat  quod  libet  ilii 

Et  malus  efficitur  qui  sociatur  ei. 
Queritur  eventu  socius,  tamen  arte  tenetur, 
Querere  res  brevis  est,  sed  retinere  labor. 
425  Sermo  quidem  dulcis  veteres  conservât  amicos, 
Sepius  ad  rixam  verba  superba  movent. 
Diligit  et  spernit  socius  bonus  omne  quod  alter, 

Unum  velle  duos  jungit  et  unus  amor. 
Cum  socius  peccat,  sapienter  corrigat  alter 
430  Ft,  cum  delinquit,  quod  moneatur  amet. 


413  «  Venatioieonis  onager  in  eremo  :  sic  et  pascua  divitum  sunt  pauperes. 
EccLi.  xin.  23. 


234  ^-    MOREL-FATIO 

Deserat  in  nullo  socium  discrimine  vite, 

Prebeat  auxilium  semper  ubique  sibi; 
Sed  tamen  in  mundo  non  est  modo  fidus  amicus, 

Fraudibus  est  etenim  callidus  omnis  liomo; 
43  5  Sed  qui  non  poterit  socium  sibi  querere  fidum, 

Diiigat  hic  aiios  sicut  amatus  erit, 
Fallere  fallentes  quia  nulla  lege  vetatur 

Et  decet  ut  fallax  corruat  arte  sua. 

Musa,  stilum  moveas  et  nunc  de  judice  tracta  : 
440  Quod  deceat  monstra,  nam  nimis  inde  places. 

Hic  tenet  eterni  metuendi  judicis  instar 

Fitque  Deo  similis,  cum  sua  jura  tenet. 
Huic  caput  inclinant  reges,  comités  proceresque, 
Quilibet  ex  populo  corde  timente  favet. 
44$  Provideat  casum  judex,  cui  sitgradus  altus, 
Non  maie  condempnet  ne  maledictus  eat; 
Judicium  teneat  quo  dampnabuntur  iniqui, 

Qyo  licet  appellet,  non  revocabit  homo. 
Absoivat  justum  sed  raro  parcat  iniquo; 
450  Omnia  jura  sciât,  mente  frequentet  ea. 

Justiciam  querat,  fugiat  turpissima  lucra, 

Nam  miser  efficitur  talia  quando  petit. 
Qualis  erit  judex,  taies  suntquippe  ministri. 

Si  malus  est  dominus  fit  populusque  malus. 

455  Qu'id  deceat  medicum  referas,  mea,  posco,  camena, 
Ex  hac  materia  carmina  grata  move. 
Arte  sua  medicus  pollet  cunctis  venerandus. 
Qui  mortem  differt  atque  futura  cavet. 
Rerum  naturas  subtiliter  intueatur 
460  Ut  quidquid  faciat  non  ratione  vacet. 

Sollicite  caveat  qui  per  contraria  curet, 

Sed  tamen  in  cunctis  sit  medicina  modus. 
Inspiciat  caute  quid  poscat  tempus  et  etas, 
Quid  cupiat  regio,  quid  velit  usus  agi. 
465  Antidotum  nunquam  det  falsum,  vivat  honeste  ; 
Qui  bonus  est  medicus  semper  honesta  facit. 

Calliope,  proprio  cetu  comitata  sororum, 

Militis  acta  proba,  que  tibi  grata  placent. 

Milicie  vita  non  est  felicior  ulla, 
470  Quam  quasi  precipuam  quisque  virilis  amat. 

Rusticus  est  laicus  qui  non  vult  vivere  miles, 
Hoc  si  permittant  sufficienter  opes; 

Non  sine  militibus  reges  sua  régna  tuentur 


MÉLANGES    DE    LITTÉRATURE    CATALANE  235 

Nec  bene,  si  desunt,  patna  tuta  manet; 
475  Milicie  decus  est  propno  si  jure  fruatur, 

Arma  decet  fern,  quando  fréquentât  equos; 
Strenuus  existât  quotiens  ad  bella  paratur 

Nec  facili  causa  det  sua  terga  fuge. 
Nil  valet  in  bello  qui  vivit  deliciose, 
480  Nec  sine  duricia  bellica  palma  datur. 

Quisquis  erit  laycus,  si  miles  non  valet  esse, 

Ut  non  displiceat,  sit  bonus  ipse  pedes  : 
Quemque  decet  patriam  defendere  tempore  belli. 

Quiiibetergo  sciât  quis  modus  arma  gerat. 
485   Ingenio  pugnet  qui  vult  bellando  placere 

Et  non  sit  timidus  cum  ferit  hostis  eum. 
Nil  valet  ingenium  nisi  cui  conjungitur  usus,- 

Sepius  insolitis  pugna  nocere  solet. 

Quando  senecta  venit  gravitas  facit  esse  verendos, 
490  Canities  ornât,  sensus  acutus  adest. 

Admoneat  juvenes,  respublica  gaudeat  illo, 

Omnibus  et  semper  mite  levamen  erit. 
Sed  tamen  ad  senium  caveat  dum  venerit  iste, 

Cui  mors  est  requies,  vivere  quippe  mori. 
495   Preterea  nullus  sibi  jungat  nomen  avari, 

Gaudeat  in  modico  quod  Deus  ante  dédit. 
In  propriis  rébus  cui  nunquam  sutficit  usus 

Dona  Dei  spernit,  peccat  et  ipse  satis  ; 
Quilibet  horret  eum  qui  perdit  commoda  vite 
500  Deque  bonis  secum  nil  moriendo  feret. 

Cui  sua  non  prosunt,  aliis  conservât  habenda, 

Hères  post  mortem  perdet  amore  suo. 
Non  cupiat  quisquam  quod  nunquam  possit  habere  : 

Quod  fortuna  dédit  sit  satis  illud  ei. 
^05  Quos  vult  sors  ditat,  quos  vult  quoque  compede  tricat 

Incertaque  via  volvitur  ipsa  rota. 
Disposuit  natura  quidem  quicquid  sit  in  orbe, 

Sic  igitur  nullus  querere  plura  potest. 
Qui,  velut  est  dictum,  propnam  vult  ducere  vitam, 

Aurigena  doctus  vate,  facetus  erit. 


LES  MANUSCRITS  FRANÇAIS 

DE    CAMBRIDGE' 


II.  —  BIBLIOTHÈQUE   DE  L'UNIVERSITÉ 

La  Bibliothèque  de  l'Université  de  Cambridge,  bien  que  notablement 
moins  riche  à  tous  égards  que  celle  de  l'Université  d'Oxford,  ne  laisse 
pas  de  contenir  un  nombre  considérable  de  manuscrits  précieux  pour 
l'histoire  de  la  littérature  française  du  moyen  âge .  A  la  vérité  la  plupart 
de  ces  manuscrits  ont  été  exécutés  par  des  scribes  anglais  et  les  ouvrages 
qu'ils  renferment  ont,  en  général,  été  composés  en  Angleterre.  Cambridge 
n'a  pas  eu,  comme  Oxford,  l'heureuse  fortune  de  s'enrichir  de  collections 
formées  en  partie  ou  même  en  totalité  sur  le  continent,  comme  celles  de 
Bodley,  de  Hatton,  de  Douce,  de  l'abbé  Canonici.  Nous  rencontrerons 
cependant,  au  cours  de  notre  exploration ,  quelques  volumes  d'origine  pure- 
ment française,  et  d'ailleurs  la  littérature  anglo-normande,  qu'il  serait 
peut-être  plus  juste  d'appeler  franco-anglaise,  est  en  elle-même  pleine 
d'intérêt,  et  par  ses  origines  nous  touche  d'assez  près  pour  mériter 
toute  notre  attention. 

L'histoire  de  la  Bibliothèque  de  l'Université  de  Cambridge  ne  pourra 
jamais  être  faite  d'une  façon  aussi  complète  que  celle  de  la  Bodléienne. 
Celle-ci,  en  effet,  a  reçu,  par  suite  de  legs  ou  d'acquisitions,  des  accrois- 
sements considérables  jusqu'en  ce  siècle,  et  les  documents  sont  naturel- 
lement d'autant  plus  abondants  que  les  faits  sont  plus  récents.  A  Cam- 
bridge la  section  des  manuscrits  ne  s'est  pas  sensiblement  augmentée 
depuis  1715,  et  pour  l'époque  antérieure  les  documents  présentent  bien 
des  lacunes.  Ordinairement  l'examen  individuel  des  livres  fournit  des 
notions  précises  sur  l'origine  de  chacun  d'eux,  mais  à  Cambridge  cette 
ressource  fait  souvent  défaut,  du  moins  pour  la  partie  la  plus  ancienne 
de  la  collection,  qui  a  été  reliée  à  nouveau  dans  la  première  moitié  du 


Pour  le  premier  article,  voy.  Romania,  VIII,  505. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE  237 

xvii*  siècle  et  a  perdu  dans  cette  opération  les  marques  de  provenance 
qu'on  trouve  généralement  sur  les  feuillets  de  garde  ou  en  quelque 
endroit  des  anciennes  reliures. 

Le  travail  le  plus  satisfaisant  qui  existe  sur  l'histoire  de  la  Bibliothèque 
de  l'Université  est  dû  à  la  plume  de  feu  Henry  Bradshaw,  qui  depuis 
i8$6  jusqu'à  sa  mort  (lo  février  1886)  a  consacré  la  meilleure  part 
de  son  activité  au  service  de  la  Bibliothèque,  d'abord  comme  conser- 
vateur des  manuscrits,  puis  (8  mars  1867)  comme  bibliothécaire  en 
chef.  C'est  un  court  mémoire^  publié  d'abord  en  forme  de  lettres,  dans 
le  Cambridge  University  Gazette  de  février  et  de  mars  1869,  puis  réimprimé 
sans  modifications  en  1881  ' .  Les  grandes  lignes  du  sujet  y  sont  tracées 
avec  netteté  et  tous  les  faits  généraux  y  sont  mentionnés  et  classés. 
Mais  on  n'y  trouve  rien  sur  l'histoire  des  livres  antérieurement  à  leur 
entrée.  Or  Bradshaw  possédait  des  notions  exactes  et  variées  sur  les 
collections  anglaises  du  moyen  âge  et  de  la  Renaissance;  il  connaissait 
l'écriture  des  anciens  possesseurs  de  ces  collections,  et  il  est  peu  de 
manuscrits  importants  de  la  Bibliothèque  de  l'Université  sur  l'origine 
desquels  il  n'eût  été  en  état  de  fournir  quelques  renseignements.  Mal- 
heureusement, il  n'a  rien  communiqué  au  public  de  toutes  ces  petites 
trouvailles  dont  l'ensemble  eût  formé  un  mémoire  important,  et  qui  ne 
seront  peut-être  jamais  faites  de  nouveau. 

Les  plus  anciens  documents  que  nous  possédions  sur  la  Bibliothèque 
de  rUniversité  remontent  au  xV  siècle.  Ce  sont  deux  catalogues,  tous 
deux  publiés  en  1853  par  Bradshaw  2,  l'un  sans  date,  mais  rédigé  vers 
14505  et  contenant  des  additions  jusque  vers  1440,  l'autre  daté  de  1473. 
Dans  le  premier  les  livres  sont  classés  par  matière.  Chaque  article  est 
accompagné  de  l'indication  des  premiers  mots  du  second  feuillet,  et  du 
nom  du  donateur.  Le  second  catalogue  est  un  inventaire  qui  suit  l'ordre 
des  rayons.  On  y  trouve  aussi  l'incipit  du  second  feuillet.  Il  énumère 
350  ouvrages  entre  lesquels  je  n'ai  pas  remarqué  un  seul  titre  français. 
Nous  sommes  assez  mal  renseignés  sur  l'histoire  de  la  Bibliothèque  pen- 
dant l'époque  qui  s'écoula  entre  1473  et  le  milieu  environ  du  xvi''  siècle. 


1 .  The  University  Library.  Papers  contributed  to  the  Cambridge  University 
Gazette^  1869,  by  H.  Bradshaw.  Cambridge,  Macmillan,  1881.  In-8, 31  pages. 
Cette  brochure  forme  le  n°  5  des  Memoranda,  du  même  auteur. 

2.  Publications  of  thc  Cambridge  antiijuarian  Society ,  série  m-8^  communications 
t.  II,  n'-»  4,  pp.  239  et  suiv. 

3.  Bradshaw  le  croyait  d'abord  antérieur  à  1424,  puis,  ayant  changé  d'avis, 
il  le  considéra  comme  postérieur.  J'adopte  la  date  «  about  1430  »  indiquée  par 
M.  Luard,  A  chronologual  list  of  ihe  grâces,  documents  and  other  papers  in  the 
University  Registry  which  concern  the  University  Library,  Cambridge,  1870,  in-8°. 


238  p.    MEYER 

Bradshaw  rappelle,  dans  l'opuscule  cité  plus  haut,  les  bienfaits  de  l'évêque 
Rotherham  (f  archevêque  d'York  en  1  $00)  qui  exerça  à  diverses  re- 
prises les  fonctions  de  chancelier  de  l'Université  entre  1469  et  1485  et 
de  l'évêque  Tunstall,  vers  1^30;  mais  de  tous  les  accroissements  dont 
s'enrichit  la  Bibliothèque  pendant  cette  période,  il  ne  subsiste  mainte- 
nant que  peu  de  chose . 

En  effet,  l'Université  de  Cambridge  n'échappa  point  aux  effets  désas- 
treux de  la  fureur  antipapiste  qui  sévit  en  Angleterre  au  commencement 
du  règne  d'Edouard  VI,  vers  1547,  et  qui  amena  la  destruction  ou  la 
dispersion  de  la  plupart  des  anciennes  collections  monastiques  ou  uni- 
versitaires. Seules,  les  librairies  des  cathédrales  paraissent  avoir  été 
épargnées,  à  peu  d'exceptions  près.  Tout  ce  qui  fut  pris  ne  fut  pas 
détruit  et  les  bibliophiles  du  temps  surent  profiter  de  la  sottise  de  leurs 
contemporains.  A  Cambridge  le  désastre  fut  peut-être  un  peu  moins 
grand  qu'à  Oxford,  où  toute  l'ancienne  bibliothèque  universitaire  dis- 
parut. Des  30  livres  du  catalogue  de  1473,  il  en  reste  19  sur  les  rayons 
de  la  Bibliothèque  actuelle  '.  C'est  assez,  remarque  Bradshav^,  pour 
maintenir  la  continuité  de  la  Bibliothèque  depuis  son  origine. 

En  1 574  la  Bibliothèque  ne  contenait  en  tout  que  180  volumes  ^  Mais 
dès  lors  elle  s'accroît  rapidement.  L'archevêque  de  Cantorbéry  Mathieu 
Parker  lui  fit  à  cette  date  un  don  important  de  livres,  entre  lesquels 
vingt-cinq  manuscrits.  D'autres  suivirent  son  exemple,  et  le  fait  qu'en 
1 577  nous  trouvons  pour  la  première  fois  la  mention  d'un  bibliothécaire 
attitré  5  est  la  preuve  du  progrès  constant  de  la  collection.  En  1600  parut 
l'Ecloga  Oxonio-Cantabrigensis  de  Thomas  James,  le  premier  en  date  des 
bibliothécaires  delaBodléienne,oùsetrouve  un  inventaire  des  manuscrits 
que  possédait  alors  l'Université  de  Cambridge^.  Cet  inventaire  est  divisé 
en  deux  séries:  dans  la  première,  contenant  222  numéros,  sont  enregistrés 
les  livres  possédés  par  la  Bibliothèque  antérieurement  à  la  donation  de 
Mathieu  Parker;  la  seconde,  n"^  223  à  259,  est  précédée  de  cette  sus- 
cription  :  Libri  omnes  subséquentes  ex  dono  beatissim£  memon<z  Reveren- 
dissimi  in  Chrisîo  Patris  Maîhis  Parkerl  archiepiscopi,  in  cistaquadam  intra 
Bibliothecam  inclusi,  diligentissime  custodiuntur.  Toutefois  il  ne  faudrait 
pas  croire  que  les  trente-sept  articles  compris  entre  les  n°^  223  et  259 

1.  C'est  du  moins  le  chiffre  que  donne  Bradshaw,  Cambr.  antiq.  Soc,  vol. 
cité,  p.  240. 

2.  Bradshaw,  The  University  Library^  p.  14. 

3.  Ibid.,  p.  15. 

4.  Pages  53-69.  Pour  le  contenu  du  reste  du  volume,  voy.  Romania^  VIII, 
305.  L'inventaire  donné  par  James  est  réimprimé  dans  les  Catalogi  de  1697,  I, 
2«  partie,  pp.  164-173.  A  la  suite  (173-4)  est  imprimée  la  liste  des  mss. 
orientaux  acquis  de  Th.  Erpenius. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE  2^9 

viennent  tous  de  Parker:  on  y  voit  mentionné  sous  le  n"  257  le  célèbre 
Nouveau  Testament  trouvé  en  1561  à  Saint-Irénée,  près  de  Lyon,  et 
donné  à  l'Université  de  Cambridge  en  1 561  par  Théodore  de  Bèze  ',  et 
il  esta  croire  que  d'autres  livres  étrangers  à  la  donation  de  Parker  ont 
été  placés  sous  la  rubrique  rapportée  ci-dessus. 

Pour  l'histoire  delà  Bibliothèque  de  l'Université  pendant  le  xviii*  siècle, 
je  dois  renvoyer  le  lecteur  à  l'opuscule  de  Bradshaw^^  d'autant  plus  que 
durant  cette  période  les  acquisitions  de  manuscrits  furent  peu  nom- 
breuses, du  moins  de  manuscrits  occidentaux,  car  en  1632  et  en  1648 
deux  collections  importantes,  l'une  de  mss.  orientaux,  l'autre  de  mss. 
hébreux,  furent  achetées  pour  l'Université.  Il  faut  cependant  mentionner 
ici  l'entrée  des  livres  vaudois  recueillis  par  Samuel  Morland,  envoyé  de 
Cromvvell  auprès  du  duc  de  Savoie  (1658).  Cette  collection,  peut-être 
la  plus  précieuse  en  son  genre  qui  existe  5,  est  surtout  connue  par  un 
mémoire  de  Bradshaw4. 

C'est  en  1715  que  la  Bibliothèque  de  l'Université  reçut  son  plus  no- 
table accroissement.  A  cette  date  en  effet,  grâce  à  la  libéralité  du  roi 
Georges  I,  elle  entra  en  possession  de  l'une  des  plus  belles  collections  de 
l'époque,  celle  de  l'évêque  d'Ely  John  Moore  [f  17141.  La  Bibliothèque 
universitaire  fut,  par  cette  acquisition,  plus  que  doublée  et  de  nouvelles 
constructions  durent  être  faites  pour  la  recevoir  5.  Nous  pouvons  nous 
former  une  idée  de  ce  qu'était  la  collection  de  manuscrits  de  Moore  vers 
la  fin  du  xYii*"  siècle,  grâce  à  l'inventaire  qu'en  a  publié  Bernard  dans 
ses  Caîalogi  11697),  II,  361-78  et  393-9.  Elle  contenait  alors,  pour  les 
seuls  mss.,  827  numéros,  entre  lesquels  figurent  les  plus  précieux  des 
mss.  français  qui  seront  étudiés  plus  loin.  A  la  fin  de  Tannée  même  où 
furent  publiés  les  Catalogl  elle  s'accrut  encore  d'une  cinquantaine  de  vo- 
lumes provenant  de  la  collection  de  l'antiquaire  J.-B.  Hautin,  mort  en 
1640,  et  par  conséquent  presque  tous  d'origine  française  6.  La  plupart 


1.  Voir  sur  l'histoire  de  ce  précieux  ms.  la  préface  de  Scrivener,  Btza  codex 
Cantabngicnsis^C^mhùûgç,  1864,  in-4''. 

2 .  On  peut  aussi  consulter  avec  truit  la  liste  des  bienfaiteurs  de  la  bibliothèque 
universitaire  qui  a  été  dressée  par  Ch.  H.  Cooper,  Mcmorialsoj  Cambridge^  a  new 
édition,  III  (1866),  67-77.  Cette  liste,  qui  commence  avec  Thomas  Langley, 
évêque  de  Durham  (f  1437),  ne  spécifie  point  les  livres  donnés. 

3.  On  sait  qu'il  existe  deux  autres  collections  importantes  de  mss.  vaudois, 
l'une  à  Trinity  Collège  Dublin,  l'autre  à  Genève. 

4.  Publié  d'abord  dans  les  Communications  de  la  Cambridge  antiquarian 
Society,  II,  puis  réimprimé  par  le  D''  Todd  à  la  fin  de  son  ouvrage  intitulé  The 
Booksofthc  Vaudois  (London,  1865,  in-12). 

y  Bradshaw,  The  Univ.  Library,  p.  25. 

6.  Voy.  PaUographical  Society.,  notice  de  la  pi.  139.  Cette  notice  est  due  à 
Bradshaw. 


240  p.    MEYER 

des  livres  provenant  de  Moore  portent  encore  maintenant,  sur  le  plat 
intérieur  de  la  reliure,  une  gravure  qui  rappelle  leur  origine. 

Malheureusement,  le  défaut  de  surveillance  fut  tel,  pendant  les  trente- 
cinq  années  qui  s'écoulèrent  entre  cette  acquisition  et  l'ouverture  de  la 
nouvelle  bibliothèque,  que  beaucoup  de  livres,  manuscrits  ou  imprimés, 
furent  enlevés'.  Il  n'est  pas  possible  d'apprécier  l'étendue  des  pertes, 
parce  qu'il  ne  fut  pas  fait  de  récolement  des  livres  de  Moore  à  leur 
arrivée  :  nous  sommes  réduits  à  l'inventaire  des  mss.  publié  par  Bernard, 
dix-sept  ans  avant  la  mort  du  possesseur,  et  il  ne  paraît  pas  que 
personne,  jusqu'ici,  ait  eu  l'idée  de  dresser  une  concordance  de  ces  inven- 
taires avec  l'état  actuel  de  la  collection.  J'établirai  cette  concordance 
pour  les  mss.  dont  j'aurai  à  m'occuper  dans  le  présent  travail. 

En  1794,  J.  Nasmith,  déjà  connu  par  son  catalogue  des  mss.  de 
Corpus,  fut  chargé  de  rédiger  le  catalogue  des  mss.  de  la  Bibliothèque 
universitaire*.  Son  travail,  exécuté  de  1794  à  1796,  comprend  tous  les 
mss.  que  possédait  alors  la  Bibliothèque,  les  orientaux  exceptés.  Les 
notices  sont  fort  détaillées,  et  les  erreurs  et  les  omissions  qu'on  y  peut 
relever  sont  de  celles  qu'il  était  difficile  d'éviter  à  la  fin  du  siècle  dernier. 
L'œuvre  de  Nasmith  n'a  pas  été  imprimée,  mais  elle  a  fourni  le  texte  du 
petit  livre  publié  par  M.  J,-0.  Halliwell  (maintenant  Halliwell-Phillipps), 
sous  le  titre  de  The  manuscripî  rarities  oj  the  University  of  Cambridge, 
(London,  1841,  in-S",  175  pages).  Bien  que  le  nom  de  Nasmith  ne  soit 
pas  prononcé  dans  le  court  avant-propos  qui  précède  l'ouvrage,  l'auteur 
ne  peut  ignorer  qu'il  n'a  fait  que  copier,  en  l'abrégeant,  le  volumineux 
travail  de  son  devancier.  M.  Halliwell  a  arrêté,  sans  dire  pourquoi,  sa 
copie  à  la  série  FF,  tandis  que  Nasmith  poursuit  jusqu'à  NN. 

Un  nouveau  catalogue,  conçu  selon  le  plan  étendu  qu'avait  suivi 
Nasmith,  mais  plus  riche  en  renseignements  bibliographiques,  a  été 
publié  par  l'Université  en  sept  volumes  in-8  de  1856  à  18675.  Si  soigné 
que  soit  ce  travail,  qui  a  été  exécuté  par  une  commission  formée  de 
membres  de  l'Université,  on  comprend  que  les  ouvrages  français  du 
moyen  âge  n'y  sont  pas  décrits  et  identifiés  avec  la  même  sûreté  que  les 
ouvrages  grecs  ou  latins.  Je  me  bornerai  toutefois,  pour  les  manuscrits 


1.  Toutefois  certains  livres  ont  pu  s'égarer  du  vivant  de  leur  propriétaire. 
C'est  ce  qui  est  arrivé  pour  le  n»  784  du  catalogue  publié  par  Bernard 
(II,  398).  Ce  ms.,  qui  contient  d'intéressants  morceaux  de  littérature  anglo- 
normande  et  anglaise,  fut  prêté  par  Moore  à  l'évêque  Tanner,  et  finit  par 
entrer  dans  la  Bibliothèque  Harley  (n°  913);  voy.  Crotton  Croker,  Pop.  Songs 
of  Ireland,  1839,  p.  277  et  suiv. 

2.  Voy.  Chronologicd  List^  etc.  n"  255.  Nasmith  reçut  pour  son  travail 
350  livres  [ibid.  n»  265). 

3 .  A  Catalogue  oj  the  manuscrits  prescrved  in  the  library  of  the  University  of 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE  24I 

de  peu  d'importance,  à  jrenvoyer  à  ce  catalogue,  mon  intention  étant 
d'étudier  seulement  ceux  des  mss.  français  qui  présentent,  à  quelque 
titre  que  ce  soit,  un  réel  intérêt. 


DD.    10.  51.  —  Poème  allégorique.  —  Chansons.  —  La  petite 

PHILOSOPHIE. 

Parchemin;  hauteur:  o  '"  2$o;  largeur:  o  '"  180.  Il  n'y  a  pas  de 
pagination  moderne',  mais  les  cahiers,  formés  de  quatre  feuillets  doubles, 
sont  pourvus  de  signatures  (Aj,  Aij,  etc.)  qui  comprennent  tout  l'al- 
phabet et  de  plus  deux  signes  (&  et  :.).  La  plus  grande  partie  du  vo- 
lume est  occupée  par  des  ouvrages  latins:  1°  Un  Geoffroi  de  Monmouth 
incomplet  du  début;,  avec  continuation  jusqu'à  1265  ;  une  chronique  des 
empereurs  et  des  papes  jusqu'à  1 2  2 1 ,  et  VExcidium  Troja  de  Dares.  Avec  le 
cahier  z  commencent  des  poésies  françaises,  certainement  composées  en 
Angleterre,  qui  occupent  les  vingt-quatre  derniers  feuillets.  Le  ms.  est 
incomplet  de  la  fin  comme  du  commencement.  La  partie  française  ne  me 
paraît  pas  être  de  la  même  main  que  la  partie  latine.  Toutefois  les  deux 
écritures  semblent  ^être  du  même  temps,  soit  de  la  fin  du  xiii'^  siècle  2. 

Ce  ms.  porte  l'estampe  qui  distingue  les  livres  donnés  par  le  roi 
Georges  I,  en  171 5.  Il  y  a  lieu  de  l'identifier  avec  le  n"  824  de  l'inven- 
taire de  la  collection  Moore  publié  dans  les  Catalogi  de  Bernard,  t.  II, 
p.  399. 

1.  — ^ Court  poème  allégorique  en  tercets  de  vers  de  sept  syllabes. 
Toutefois  les  dix  premiers  vers  riment  deux  par  deux,  et  de  ces  dix  vers 
les  cinq  premiers,  qui  forment  comme  l'introduction  du  poème,  sont  oclo- 
syllabiques .  D'après  cette  sorte  d'introduction,  il  semblerait  que  le  poème 
va  conter  la  plainte  amoureuse  d'un  rossignol,  mais  il  n'en  est  rien:  le 
personnage  mis  en  scène  est  un  amoureux  quelconque  qui  expose  ses 
peines  à  sa  bien-aimée,  en  donnant  à  son  récit  une  forme  allégorique.  Au 
printemps  il  voit  la  tour  où  son  cœur  est  emprisonné.  Il  s'y  rend  par  un 
sentier  agréable  ;  mais  à  peine  était-il  arrivé,  qu'un  pont-levis  se  lève 
devant  lui  en  le  frappant  au  visage.  Puis  un  manteau,  venu  on  ne  sait 


Cambridge.  Edited  tor  the  Syndics  of  the  University  Press.  Cambridge,  at  the 
University  Press.  —  Depuis  1876  ont  paru  divers  catalogues  relatifs  aux 
manuscrits  orientaux. 

1.  Sauf  pour  la  partie  française  dont  les  feuillets  sont  numérotés  1  et  suiv. 

2.  Le  catalogue  assigne  tout  le  ms.  au  xiv«  siècle. 

Romania,XV  16 


2^.2  P.    MEYER 

d'où,  l'enveloppe  subitement.  Désespérant  de  pénétrer  dans  la  tour,  il 
nous  fait  connaître  ceux  qui  y  tiennent  garnison,  et  d'abord  les  douze  (?) 
pairs  qui  ont  la  garde  de  la  tour  et  lui  ont  fait  hommage.  Voici  leurs 
noms  avec  la  fonction  de  chacun:  Beauté,  connétable;  Honneur, 
sénéchal;  Franchise,  maréchal;  Douceur,  chambellan;  Courtoisie  et 
Largesse,  trésoriers;  Pureté,  garde-corps;  Bonté,  Sens,  Loyauté, 
capitaines.  Notre  auteur  fait  encore  mention  de  Fierté  et  de  Debonnai- 
RETÉ,  mais  on  ne  voit  pas  bien  s'il  les  met  au  nombre  des  habitants  de 
la  tour.  Or  cette  tour  n'est  point  autre  chose  que  le  corps  de  sa  dame 
(vv.  145  et  suiv.)  ;  le  sentier  qui  mène  à  la  tour  est  son  regard,  le  pont- 
levis  est  son  «  semblant  »  ;  le  manteau  est  l'amour  qu'il  a  pour  elle. 
L'allégorie  ne  paraît  pas  être  poursuivie  plus  loin-  et  l'auteur  termine  par 
des  plaintes  amoureuses.  C'est  en  somme,  sous  une  forme  recherchée, 
une  complainte  d'amour,  qui  commence,  dans  la  forme  ordinaire,  au  v.  7. 


I   Le  russinole  voleit  amer  (f.  1) 
E  mist  quer  e  cors  e  poer 
A  leal  amur  meintenir 
4  E  en  avant  voleit  mûrir 
Co[m]  vus  purrez  après  oïr  ; 
Si  comence  issi  : 
En  chantant  vus  faz  ma  pleinte, 
8  Dame  k'avez  lealté  meinte  ; 

En  pleygnant  vus  taz  mun  chant 
10  E  a  pouurus  semblant, 
E  vus  di  tute  ma  querele. 
Au  duz  tens  quant  renovele 
1 3  Choisi  la  tur  hait  e  bêle 
Ke  tant  me  tient  en  prisun. 
Joealai  par  grant  reisun; 
16  Si  vus  dirrai  l'encheisun 
Ke  me  fist  cel  eire  enprendre  : 
Un  senter  i  vy  estendre, 
19  A  la  tur  tant  bealté  rendre 
Ke  n'oy  soyng  de  sojur; 
A  joie  ving  e  a  duzur. 


22  Tant  [i]  musai  par  folur 
Ke  me  sourt,  a  foerdelere, 
Pounl  tretiz  de  grant  manere 

25  Ke  tu  m'ad  baty  la  chère; 
Si  m'ad  fet  meint  grant  revel. 
Un  tur  y  fis  de  novel  ; 

28  Lors  m'enclost  un  grant  mantel 
Haut  e  fort  a  démesure, 
Si  m'ad  fet  tel  enserure, 

3 1  Dunt  j'ai  perdu  enveysure, 
Tant  suy  murnes  e  pensifs. 
Cist  manteals  m'ad  tant  malmis 

34  E  en  tel  destreit  assis 
Ke  jo  ne  puis  a  chef  trere 
Pur  ren  ke  jo  puisse  fere,        (b) 

37  Ne  la  tur  ne  puis  cumquere 
Ne  a  force  ne  par  engin, 
K'ele  set  sur  un  marbrin, 

40  E  tient  a  sei  tut  enclin 
Garnature  bêle  e  gente 
Dunt  chescun  d'eus  le  présente 


I.  Au  V.  190  «  Gentillesse  »  semble  bien  être  l'interprétation  d'un  des  types 
allégoriques  présentés  plus  haut,  mais  le  v.  189,  qui  devrait  indiquer  ce  type, 
fait  défaut. 

20  On  peut  compléter  ce  vers  en  corrigeant  K'onques.  —  21  Ms.  v.  e  la  d.  — 
23  C'est  l'expression  française  a  larron. —  25  Corr.  m'abaty. —  40-41  Manque- 
t-il  un  tercet  entre  ces  deux  vers,  qui  ne  paraissent  pas  donner  un  sens  suivie 


MANUSCRITS    FAANÇAIS    D 

43  Tute sa  plenere entente 

A  meintenir  sun  noblei. 

Tant  li  portent  bone  fei 
46  Chescun  de  nus  endreit  de  sei 

Ke  trestut  le  sanc  me  mue. 

Cum  plus  i  vey  bêle  veue 
49  Plus  en  tremble  etressue; 

Si  m'en  est  li  mais  plus  gref. 

Cornent  ke  seie  a  meschef, 
52  Chanter  m'estuit  de  rechief. 

De  la  halte  tur  garnie 

E  de  la  noble  meinye 
55  K'ele  tient  en  sa  ba^llie 

Vus  dirrai  tut  au  premer. 

Il  i  sunt  li  duple  per 
58  Kela  tur  unt  a  garder. 

Fiance  l'unt  iet  e  homage, 

Mut  sunt  de  gentilz  parage; 
61   Ne  le  tiengez  a  outrage 

Si  lur  nuns  poez  aver, 

Solun  mun  sen  e  saver 
64  Vus  dirrai  trestut  le  veir, 

Ne  quidez  (pas)  ke  ço  seit  fable. 

Bealté  y  est  conestable; 
67  Tut  adès  se  tient  estable 

E  denz  tut  se  fet  eslit. 

De  ço  fet  trop  ke  parfit. 
70  Orgoil  tient  en  [grant]  despit; 

N'ad  cure  de  s'acoyntance  ;     (c) 

Tut  sanz  lui  sun  sen  avance 
73  En  ben  e  en  avenance, 

Si  a  i  peynes  e  travals. 

HoxuR  i  est  seneschals 
76  Sur  tute  vertu  reals, 

Huntage  par  tut  despise; 

Mareschal  i  est  Fr-WCHIse  : 
79  Ne  fereit  une  mesprise 

Pur  ren,  en  ço  ke  jo  enteng. 


E    CAMBRIDGE    !DD.  10.  3 


245 


82 


85 


94 


97 


103 


106 


109 


DuzuR  i  est  chamberleng; 
Amur  est  kanke  j'enpreng; 
Dunt  remeyng  en  tel  destresce. 

CURTEYSIE  e  LARGESCE 

I  sunt  adès  sanz  peresce 
Ki  enpleynt  les  trésors; 
Nettez  i  est  gardefcjors, 
Tant  k'au  funz  de  quer  marmors 
E  me  ront  tote[s]  les  veines. 
Pusi  sunt  treis  chevetenes 
Ki  trop  m'enoytent  les  peynes, 
Dunt  suy  tant  mal  démené  : 
BuNTÉ,  Sen  e  Lealté 
Sunt  li  troys  entrejuré 
Ke  tute  vertu  retenent; 
Lur  estât  tant  ben  retenent, 
Ben  sai  ke  de  els  me  venent 
Les  anguisses  ke  j'en  treys; 
Trop  suy  chargé  de  gref  fès  ; 
Si  m'en  doil  jo  n'en  puys  mes, 
Tant  me  venent  a  grant  masse. 
Une  i  est  ke  tut  me  quasse, 
Mut  [a^  enviz  la  nomasse, 
Mes  mun  quer  en  fin  le  voet, 
Le  meuz  fet  ke  fere  poet 
Ke  de  gré  fet  ço  k'estoet,        (d) 
Mes  ceo  ert  en  vostre  menoye  : 
C'est  Ferté  ke  me  gerroye 
E  me  tout  tute  ma  joie; 
Si  m'esta  ne  sai  coment, 
Mes  trop  me  fet  le  quer  dolent, 
Main  e  seir,  e  ceo  sovent, 
Kant  mes  mais  ne  me  lest  dire, 
Si  m'ad  le  quer  enflé  de  ire 
E  me  tient  en  tel  ma[r]lire, 
Tart  e  tempre,  sanz  repos, 
Ke  me  dolent  tuz  les  os, 
Si  k'a  poy  me  ront  le  dos. 


46  Corr.  ch.  d'eus,  pour  le  sens  et   pour  la  mesure.  —  57  Corr.  "duze  p.  ?. 

—  62  poez,  eorr.  volez.—  68  Corr.  d'euz  tuz?  —  81  Duzur,  ms.  Dunt  tour.— 
88  Corr.  m'a  mors.''  qui  rimerait  correclement  avec  cors.  —  95  retenent,  corr. 
mantement.?  —  106  Ke  pour  ki.  C'est  à  peu  pris  le  proverbe:  «  Ki  fait  ce  qu'il 
puet,  on  nelu-jdoit  plus  demander.  »  (Le  Roux  de  Lincy,  Liv.  des  prov.  II,  392), 

—  118  k'a,  ms.  ke. 


244  P-  m?:yer 

Tant  me  fet  dure  trayne  ! 

Mes  deboner[e]té  fine 
12  1   Ke  tuz  les  bens  me  destine 

M'en  ad  respité  la  mort 

E  me  fet  meint  beau  déport, 
124  K'en  ly  est  tutmun  confort 

E  quanke  mun  quer  espeire. 

I  27  Nuyt  e  jur  e  fet  sun  aire, 

Kar  autre  retur  n'y  voy . 

Con''ort  en  ay,  mes  ceo  pcy; 
ijo  Si  m:  teyng  cnsi  tutcoy, 

S'en  languiss  en  tel  meseyse. 

Estrangement  se  richeise 
133  La  tur  dcsus  la  faloyse 

En  dedut  e  en  solaz; 

E  jo,  chaitif,  ne  sai  ke  faz  1 7  $ 

136  Mes  ke  pris  suy  en  sun  iaz. 

Si  ne  puis  merci  ateindre, 

Ma  pleinte  ne  puis  mes  feyndre,       '7° 

139  Kar  cy  mais  me  vient  destreindre. 

Pur  ceo,  dame,  si  vusplet 

181 
Vus  dirray  tut  quank'  en  est 

142  E  coment  ceo  mal  me  crest  (/.  2) 

Ke  m'ad  tenu  si  grant  pose.  „ 

Eymy  !  trop  est  halte  chose. 
145  La  tour  ou  [si]  se  repose 

Chescune  bêle  vertu, 

C'est  voz  cors  dunt  suy  enu, 
148  Si  sotivent  m'adreceu. 

Ben  est  dreit  ke  jo  me  plenge, 

Kar  le  cuertrestut  m'engreynge; 
151  Trop  i  ai  verray[e]  ensoynge, 

Le  cors  en  est  malbailli, 

Du  parler  suy  esbaï, 
1 54  Le  quer  m'en  est  près  failli  ; 

Poi  s'en  faut  ke  ne  me  pasme. 

Mes  si  en  rendisse  l'aime, 
1 57  Lequel  ke  j'oye,  gré  ou  blâme, 
Astenir  mes  ne  me  puys 


Ke  ne  die  mes  enuys 
160  E  le  confort  ke  jo  trouys  {sic] 

En  fet,  en  dit,  (e)  en  pensée. 

Trop  me  fet  dure  hastée 
163   Cyst  senter  ke  tant  m'agrée 

Kant  m'a  mys  ente!  purpens, 

C'est  voz  regarder  tut  tens, 
166  Me  neynlit  trestut  mun  sens, 

Si  fetement  s'cnprent  Tovre  ; 

Le  pont  tretiz  trop  se  covre; 
169  Ja  pur  ren  ne  se  descovre 

N'a  certes  n'efn]  jeu  n'en  gas: 

C'est  voz  semblant,  eymy  las  ! 
72  Tant  m'ad  mis  de  hait  en  bas 

Ke  du  dire  ay  grant  vergoygne. 


Li  manteals  ver[s]  moy  s'aseygne, 
Si  me  retent  en  sun  bail 
Lors  me  fronte  d'un   grant  mail, 
Assez  en  avreit  un  chamail,     (b) 
Ke  assez  est  plus  fort  k'un  home  : 
C'est  votre(^/c)hamur,  c'est  lasum- 
Fol  ne  sage  cy  k'a  Rome      [me]; 
N'en  sout  unkes  mes  nul  mot. 
De  vus  m'estuit  venir  lot  (sic), 
Quel  en  serray,  sage  ou  sot, 
K'en  vus  remaint  tute  l'ovraigne. 
Trop  est  halte  la  montaigne 
Dunt  li  rampir  me  mahaygne, 
Mes  de  l'espleiter  n'y  ad  point  ; 


187 


190  C'est  gentillesce  ke  poynt 
Mun  quer  ke  tant  se  travaille 
Sanz  merci  ke  ren  ne  vaille, 

193  Kar  jeo  seng  si  gref  bataille 
Ke  !a  vie  près  me  faut. 
Mes  cy  senter  ke  tant  vaut 

196  Me  fist  a  primes  si  baut 

Ke  d'autre  ren  ne  pris  garde. 
Pus  me  mist  en  une  engarde 

199  Ke  tut  le  quer  me  couarde 


126  Vers  omis. —  135  Suppr.  E .?  —  147  La  fin  du  vers  paraît  corrompue. 
—  148  Corr.  Si  suefment  m'ad  deceû .?  —  i<^j  Corr.  k'aye.? —  192  merci,  ms. 
merit.    —    195  cy,  corr.  cist,  de  même  v.  260,  294. 


/v 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE 

Despuys  ke  passay  le  pount, 

Ke  d'espleiter  me  somunt, 
202  E  pus  m'a  mun  eyre  rount  ; 

En  tut  poinz  mun  sens  afole. 

Trop  me  tient  en  dur'  escole 
205  Kant  ne  poy  aver  parole. 

Cyst  manteals  dunt  jo  me  pleing, 

Certes,  trop  m'ad  en  dedeygn 
208  De  si  cum  ren  ne  me  feyng 

De  lui  servir  sanz  deceyte. 

M'enprise  est  trop  male[e]ite, 
21 1   Kar  de  mal  en  pys  me  hete. 

Tant  est  cist  manteals  hauteyn 

De  l'escondit  suy  certeyn, 
214  Si  ay  le  quer  (e)  mat  e  veyn,    (c) 

La  mort  ne  pus  mes  esturdre. 

Ke  vaut  mun  quer  ensi  turdre? 
217  Si  jo  moer  de  si  t'et  mordre, 

Gueres  ne  serra  conseil 

Kar  de  ceo  sunt 
220  Si  cels  ki  sunt  my  pareil 

N'enfacent  mut  tré[s]  grant  noyse. 

E  sachez  ke  trop  me  peyse  : 
223  Meulz  volsisse  pleine  toyse 

Aver  perdu  de  ma  char, 

K'il  dirrunt  ke  pareschar 
226  M'avrez  murdri  sanz  esgar, 

E  ceo  vus  serreit  grant  hunte. 

Cest  pleder  a  mey  k'amunte? 
229  Ceo  serra  la  fin  du  cunte, 

Ke  trop  est  de  mal  acoyl 

Amur  kant  ensi,  sun  voil, 
232  Murdrit  la  gent  par  orgoil. 

N'est  pas  l'amur  delituse, 

Einz  est  peyne  doluruse, 
235  Dure  prisun  e  hyduse 

Ke  l'amant  ensi  deceit, 

Kar  a  primes  mut  la  creit 
238  E  en  quide  fere  espleit, 

Kant  li  surt  a  la  secunde 

Tristece  tut  a  la  runde 


CAMBRIDGE    (DD.IO.Jl)  245 

241   Ke  nuyt  e  jur  le  surunde 

E  le  sert  tut  a  reburs. 

Lors  li  cressent  li  mais  jurs, 
244  Languir  l'estut  en  dolurs. 


L'amurs  de  vus  tant  m'alume 
247  Ke  le  quertrestut  m'en  fume, 

Ne  pur  freit  ne  chaud  n'esteint, 

Mes  en  suspirant  se  pleint 
250  Ke  vostre  ferté  l'enpeint  (d) 

E  ses  dolurs  trop  l'agrège. 

Deboner[e]té  l'alegge 
253  E  mult  de  ses  mais  abregge, 

.S'en  est  entre  ben  e  mal, 

Un'hure  amunt,  Jun'jautre  aval  ; 
2  56  L'un  est  (a)l  autre  cuntrestal. 

La  fevre  trop  ben  resemble 

Tûtes  ses  veynes  ensemble, 
259  Une  hure  art,  un'  autre  tremble. 

Si  le  demeynentcy  deus  : 

L'un  est  duz,  li  autre  feus; 
262  Servir  les  covient  amdeus  ; 

Meuz  li  plerreit  l'une  suie, 

Kar  il  est  cum  mer  ke  foie  ; 
265  E  quant  plus  ne  poet  se  coule, 

Lors  enpeyre  sun  esta(s)t, 

K'a  sey  meimes  se  combast 
268  Tant  k'après  en  est  tut  mat. 

Nuyt  ne  jur  ja  ne  s'areste  ; 

Puys  est  vent  que  tempeste, 

Esi  fetmeint  grant  moleste; 

Pus  est  poy  e  pus  est  nent. 

Ne  sai  dunt  force  li  vent 
274  Ke  si  grant  estour  soustient, 

Mes  le  vis  en  ad  tut  pale; 

Lors  est  soiayl  ke  se  haie 
277  En  muntant,  et  pus  avale; 

Tant  s'en  turt  ke  n'en  poet  plus. 

Kant  tut  s'est  mis  a  desus, 
280  Trébucher  l'estut  tut  jus; 

S'en  devient  plus  neir  ke  moure. 


27 


205  Ms.  ne  poy  ne  poi.  —  2 19  Sic,  siippl. 
—   231   kant,  ms.  kont.  —  2 <^']-^  corrompu? 


?  —  220  pareil. 


peryl. 


246                                                            p.  MEYER 

Si  fetement  me  savoure  La  mort  kant  cy  mau   me  grève, 

283  L'amur  de  vus  ke  devoure  295  Tantke  le  quer  près  me  crevé. 

Trestut  le  sanc  de  mun  quer,  Mes  ja  pur  ceo  ne  lerray         (b) 

Ke  jo  ne  puys  a  nul  fuer      (/•  3)  N'en  soye  loyaus  ou  vay 

286  Longes  durer,  einyz  me  muer,  301   E  de  quer  jolifs  e  gay 

Si  d'onur  ne  vus  sovienge  Pur  itant  cum  j'ay  a  vivre. 

Si  vus  pry  ke  ben  avienge;  Kar  jo  moer  tut  a  délivre 

289  Lequel  ke  mal  ou  ben  en  vienge,  304  Mut  ducement,  tant  m'enyvre 

L'un  des  deux  voyllez  guerpir  ;  La  beauté  ke  voy  en  vus. 

E  si  jo  n'en  puys  garir,  Tut  vus  ay  dit  a  estrus  : 

292  Tantost  me  facez  morir,  307  Dolent  me  fet  e  anguissus 

K'ore  me  serreit  trop  sueve,  L'amur  ke  ja  n'ert  esteynte. 


2  à  7.  —  Suite  de  chansons.  La  première  est  une  chanson  d'amour 
composée  de  cinq  couplets  de  douze  vers  de  sept  syllabes,  dont  les  rimes, 
qui  changent  à  chaque  couplet,  présentent  la  série  abab  baab  baab. 
C'est  précisément  la  forme  qu'offre  une  pastourelle  plusieurs  fois  publiée". 
La  chanson  du  ms.  de  Cambridge  a  certainement  été  composée  en  Angle- 
terre, comme  le  montre  au  premier  couplet  la  rime  de  péché  (français 
pecliie)  avec  divers  mots  en  é  pur,  et  au  cinquième  couplet,  le  mélange 
des  rimes  ener  et  en  ier.  On  remarquera  au  couplet  IV  la  comparaison  de 
l'amant  avec  l'unicorne  qui  s'endort  la  tête  sur  les  genoux  d'une  vierge 
et  se  laisse  tuer  sans  se  défendre.  Le  roi  de  Navarre  en  avait  fait 
usage  dans  sa  pièce  Ausi  corn  l'unicorne  sui-.  La  première  chanson 
est  écrite  à  longues  lignes  occupant  toute  la  largeur  de  la  page,  de  façon 
que  chaque  ligne  comprend  à  peu  près  régulièrement  deux  vers.  Au 
contraire  les  pièces  suivantes,  jusqu'à  la  sixième  inclusivement,  sont 
écrites  à  deux  colonnes,  chaque  vers  occupant  une  ligne,  les  couplets 
étant  distingués  par  un  signe  marginal. 

3.  —  C'est  une  longue  chanson  d'amour  en  trois  couplets  de 
vingt-quatre  vers.  Chacun  de  ces  couplets  se  subdivise  en  six  quatrains, 
les  rimes  se  suivant  dans  cet  ordre;  aaab  aaab  bbba  aaab  bbba  aaab. 
On  pourrait  considérer  chacun  de  ces  couplets  comme  une  chanson  in- 
dépendante. Ce  qui  m'a  amené  à  grouper  les  trois  strophes  en  une  seule 
pièce,  c'est  que  l'idée  se  poursuit  de  l'une  à  l'autre.  Je  ne  connais  du  reste 
aucune  autre  poésie  offrant  cette  disposition,   sinon  la  pièce  rf    5,  du 


1.  Bartsch,  Romanzen  u.  Pastourdkn^  p.  106. 

2.  Publiée  en  dernier  lieu,  sous  le  nom  de  Pierre  de  Gand,  par  M.  Scheler, 
Tr ouverts  belges,  I,  144. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (DD.IO.JI^  247 

même  ms.  Le  sens  est  parfois  obscur,  parce  que  le  texte  est  corrompu 
en  plusieurs  endroits.  On  voit  toutefois  que  l'auteur,  parvenu  au  but  de 
ses  désirs,  nous  fait  part  de  son  allégresse,  et  blâme  ceux  qui,  préférant 
la  richesse  à  la  beauté,  adressent  leurs  hommages  à  de  grandes  dames. 

4.—  Cette  pièce  offre  avec  la  précédente  un  rapport  de  formeévident. 
Elle  se  compose  de  cinq  couplets  de  i8  vers  rimant  ainsi:  premier,  qua- 
trième et  cinquième  couplets:  aab  aab  bha  aab  bba  aab;  deuxième 
couplet:  aab  aab  aab  bba  bba  aab;  troisième  couplet:  aab  bba  aab 
aab  bba  aab.  Il  est  certainement  possible  de  faire  de  chaque  couplet 
une  petite  chanson,  mais,  malgré  les  légères  différences  qu'on  remarque 
dans  la  disposition  des  couplets  ii  et  m,  j'aime  mieux  réunir  les  cinq 
strophes  en  une  seule  pièce. 

5. —  La  pièce  $  est,  comme  forme,  identique  au  n°  3.  Pour  le  sujet, 
c'est  un  art  d'amour  en  abrégé.  L'auteur,  qui  depuis  longtemps  s'était 
abstenu  de  chanter,  s'est  remis  à  l'œuvre  pour  instruire  les  jeunes  gens 
qu^il  voyait  se  livrer  à  la  vie  amoureuse  avec  l'ardeur  de  leur  âge,  mais 
souvent  «  fourvoyer  «.  Ayant  pitié  d'eux,  il  s'est  décidé  à  faire  une  chan- 
son —  c'est  ainsi  qu'il  dénomme  sa  composition  —  pour  les  remettre  dans 
la  droite  voie.  L'amour  qu'il  recommande  est  un  sentiment  pur  et  élevé 
qui  développe  chez  celui  qui  le  cultive  toutes  sortes  de  bonnes  qualités, 
et  particulièrement  celle  de  bon  chrétien  v.  401.  Les  préceptes  de  notre 
auteur  sont  du  reste  assez  insignifiants,  et  il  en  diminue  encore  la  portée 
en  avouant  qu'il  n'a  jamais  su  se  faire  ouïr  d'Amour,  et  qu'après  avoir 
langui  toute  sa  vie  il  mourra  d'avoir  aimé.  Le  copiste  paraît  avoir  con- 
sidéré les  pièces  5,  4,  <i,  comme  formant  un  seul  poème,  car  il  les 
a  transcrites  sans  les  distinguer,  tandis  qu'il  a  commencé  la  pièce  6  par 
une  capitale  peinte. 

6.  —  Complainte  amoureuse  en  tercets  commençant  et  finissant  par 
un  couplet  de  deux  vers.  L'auteur  déclare  qu'il  a  longtemps  servi  Amour 
sans  obtenir  aucune  récompense,  aveu  auquel  nous  avait  déjà  préparé 
le  dernier  couplet  de  la  pièce  précédente.  Sa  dame  lui  a  ordonné  de 
cesser  sa  poursuite.  Il  n'a  plus  qu'à  mourir,  et  il  fait  son  testament  éli- 
sant pour  exécuteurs  testamentaires  ceux  qui  ont  le  cœur  gai  et  amoureux , 
laissant  à  Ennui  ses  pleurs,  au  félon  médisant  ses  peines,  au  malotru 
désagréable  ses  douleurs,  au  vilain  jaloux  grognon  ses  angoisses  et  la 
hart,  etc.  C'est  un  testament  dans  lequel  les  personnages  allégoriques 
sont  mêlés  à  des  personnages  plus  ou  moins  réels. 

7.  —  La  septième  pièce,  qui  est  une  chanson  d'amour,  présente  la 
même  forme  que  la  seconde,  et  est,  comme  celle-ci,  écrite  à  deux  vers 
par  ligne.  Elle  est  d'une  longueur  exceptionnelle,  puisqu'elle  n'a  pas 
moins  de  neuf  couplets.  Si  on  fait  abstraction  de  fautes  de  copies,  en 


248  P-    MEYER 

général  faciles  à  reconnaître,  on  se  trouve  en  présence  d'un  texte  plus 
correct  que  la  plupart  des  poèmes  français  composés  en  Angleterre  vers 
le  même  temps.  Il  y  a  cependant  quelques  mauvaises  rimes  qui  décèlent 
la  patrie  de  l'auteur  :  ra'i  (il  faudrait  la  forme  du  sing.  rég.,  d>],  fève 
(faba)  94  en  rime  avec  brève,  crevé,  etc.,  entendre, fendre,  prendre,  rendre 
(dernier  couplet),  rimant  avec  mendre  imïnor),  esîeyndre. 

Ces  diverses  pièces,  qui  sont  sûrement  du  même  auteur,  n'ont  pas 
un  grand  mérite  littéraire,  mais  elles  ont  une  grande  valeur  pour  la  con- 
naissance de  la  poésie  lyrique  en  Angleterre  qui,  jusqu'à  présent,  est 
très  pauvre  en  monuments  de  ce  genre. 


I  Lungtensay  de  queramé,(/3  a) 
Celél'ay  d'estrange  gyse. 

S'en  ai  grant  tort  e  péché 
4  Ke  ma  dame  n'ay  tramise 

L'amiir  k'en  lui  ay  assise 

De  fin  quer  sanz  fauseté, 

Dunt  la  serf  en  lealté 
8  E  serveray  sanz  feintyse. 

Du  celer  faz  grant  mesprise; 

Si  m'en  confès  a  sungré: 

En  chantant,  ma  vérité 
1 2  Faz  saver  a  sa  franchise. 

II  Dame,  quant  primes  vus  vi. 
Tant  fûtes  de  bealté  fine 
De  tut  mun  quer  vus  seysi, 

16  Vus  en  avez  la  racine; 
Mes  vus  k'estes  entérine 
De  cors  e  de  quoer  ausy, 
N'en  seustes  mot  ne  demi  ; 

20  S'en  ay  trop  dure  trayne. 
Meuz  vousissè  mort  sovine 
Ke  vivre  longes  ensy  ; 
Ben  le  sachez  tut  defy, 

24  Ja  sanz  vus  n'avray  mescine. 

III  Tut  ensi  va  de  mun  cors 


Cum  d'une  torche  eslumé[e]  : 
La  char  se  destruit  dehors, 

28  Si  n'esteynt  point  ma  pensé[e]. 
Jo  vus  [aim],  dame  honuré[e] 
En  ki  remeint  mes  trésors, 
Mes  jo  nen  ai  nul  confort;       {b) 

32  Celé  est  ma  destinée 

Cornent  en  ay  grant  hastée 
Mein  e  seir,  sanz  nul  déport. 
De  vos  beals  euz  m'avez  mors  ; 

36  Si  vus  plet,  treben  me  greye. 

IV  L'unicorn,  quant  veit  dormir. 
Se  baundone  a  la  puceie; 
Ne  prent  garde  de  morir 

40  Quant  uns  armé  l'anbouele. 
Ensi  m'est,  m'amie  bêle: 
Voz  bunté  voil  obeyr, 
Voz  ferté  me  voet  ferir 

44  Du  ma!  dunt  la  mort  m'apele. 
Si  n'os  dire  ma  querele 
Ne  mun  penser  descovrir. 
Cum  poet  vos  buntez  suifrir 

48  Ke  voz  ferté  tant  révèle? 

V  Pus  ke  n'os  od  vus  parler, 
La  mort  m'est  trop  ben  venue, 


19  Ms.  Jensuystes.  —  32  Corr.  Itele.'' 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (DD.IO.JI) 


249 


Mes  si  vus  pleseit  abréger 
<)2  La  peyne  k'issi  me  tue, 
Mut  vus  serreit  grant  value 
Si  me  pussez  alléger 
D'un  su!  beau  respuns,  dunt 


58  M'avrez  la  vie  rendue. 
Soviengez  vus  ent,  ma  drue, 
Ke  sanz  vus  ne  pus  durer; 
Si  vus  puys  ben  aficher, 

60  Kar  d'autre  ne  quer  ayue. 


3. 


I  Tant  suy  a  beau  sojur        (/  3  a) 
Frai  chançonele  d'amur 

E  de  sa  tregant  valur 

4  Pur  refreindre  mun  deheyt. 
De  tuz  bens  est  la  plur, 
Joie,  solaz  e  duçur  ; 
Sanz,  curtesie  e  valur, 
8  Nul  ne  set  le  grant  espleyt. 
Mes  cil  k'amur  creynt  e  creyt 
Sovent  en  ad  chaud  e  freit  ; 
Enz  ke  tuz  ses  bens  en  eyt 

1 2  Li  crest  meint  novel  errur. 

Pur  la  peine  e  la  dulur  (c) 

K'il  en  tret  e  nuyt  e  jur, 
Sovent  en  prent  grant  folur, 

16  Tant  le  meyne  amur  estreit. 
Kar  hom(e)  ne  poet  par  nul  dreit 
Sanz  les  bens  k'aver  deit 
Li  fin  amant  quant  receyt 

20  Sun  loer  a  chef  de  tur, 
Einz  k'un  eyt  sentu  l'estur 
D'amer  e  la  grant  tristur 
Ke  fet  as  amanz  pour 

24  E  sovent  tient  en  destreit. 

II  Custume  est  de  mut  de  gent 
D'amer  si  trehautement, 
Les  grant  dames  nomement 

28  K'en  peyne  ne  poet  nul  chevir. 


Merveil  est,  quant  hum  enprent 
D'amer,  cum  garde  ne  prent 
De  bealté  n'acemement, 

52  Ke  meuz  i  deit  avenir 
K'aveyr  k'un  poet  tenir; 
Mes  pur  l'avoyr  a  teylir, 
Pert  hun  ben  le  sovenir 

36  De  si  fet  avisement, 

Kar  hum  veit  assez  sovent 
Honur  guerpir  ledement 
Pur  un  petit  richement 

40  Ke  tantost  poet  descheïr. 
Cil  k'eyme  par  tel  désir 
N'estut  ja  d'amur  languir 
Ne  le  gref  dulur  sentir 

44  Ke  li  fin  amant  en  sent; 
Mes  pur  l'amur  solement 
Devient  murnes  e  dolent, 
E  dit  ke  celé  au  cors  gent 

48  Li  fet  tut  le  cors  frémir. 


m 


S2 


Joe  n  ai  pas  tou  apris  : 
Aylurs  ai  mun  quer  assis 
E  plus  beau,  cest  m'est  avis, 
K'en  avoyr  alur  semblant, 
Kar  a  tel  me  suy  [joe]  pris 
Ke  mut  [a]  tretis  le  vis, 
La  char  blanche  plus  que  lys, 
56  Le  cor  (sic)  gent  e  avenant. 


(d) 


51  Corr.  pleseit  en  plest  ?  —  52  me,  ms.  ma  {:=  m'a  tué).—  54  dunt, 
corr.  duner?  —  60  ayue,m5.  ayne. 

3._  ^  Sic,  corr.  flur.—  18  Corr.  Saver?  —  28  Ccrr.  K'a  p.  en  p.  nul.  — 
53  Corr.  k'um  puisse  t.?  —  54  Corr.  acoylir?  —  49  Corr.  tant  haut  empris? 
—  51  cest,  corr.  ceo.  —  54  Mi.  cretiz. 


250  1 

C'est  tresur  a  fyn  amant, 
Kar  de  tuz  bens  i  ad  tant. 
Ke  vus  irroye  plus  disant? 

60  D'avoyr  sanz  mut  léger  prys; 
Ke  avoir  fet  la  gent  failliz, 
Recreanz,  mautaientiz; 
Avoyr  va  de  mal  en  pis, 

64  Trop  est  avoyr  mescheant. 


72 


Beauté  va  tut  tens  cressant, 
Les  amanz  rebaudisant, 
Li  plusur  en  sont  vaillant, 
Pruz  de  cors,  de  quer  jolis. 
Mes  joe  suy  adès  pensifs 
E  de  pour  entrepris  ; 
Si  ai  perdu  e  jeu  e  ris 
E  vois  merci  attendant. 


Tant  cum  plus  ai  mis  ma  cure 

D'amur  servir  en  dreiture, 
3  E  plus  y  sui  mescheant, 

Cors  e  avoyr,  tant  cum  dure, 

Si  ai  mis  en  aventure 
6  De  fin  quer  rebaudisant. 

S'en  ai  peyne  languisant, 

E  meyntgrant  fès  e  pesant 
9  Sustieng  en  sus  la  ceynture, 

Ire,  languor  e  enplure 

Me  funt  l'assaut  de  hure  en  hure 
1 2  A  funt  de  tin  quer  amant  ;     {f  ^) 

Mes  li  mal  m'est  si  pleisant 

Ke  ja  n'en  f[e]rai  semblant; 

I  s  Tut  le  preng  par  enveysure, 

K'amur  est  de  grant  mesure  : 
S'en  rent  par  dreite  nature 
18  Plus  haut  guerdun  ad  entant. 

II  Dunt  me  vendra  d'amur  plere? 
Sen  ne  saver  ne  vaut  guère 

21   Kar  les  meus  failli  sunt; 
Si  m'estut  d'amur  retrere, 
Pus  ke  ne  puys  a  chef  trere, 

24  Si  enverray  le  quer  runt. 
Las  !  cheytifs,  ke  porray  fere.? 
Tant  m'untquis  en  mère,  entere, 

27  Ne  garray  ne  val  ne  munt. 
Les  grefs  mais  al  quer  me  vunt, 
(E)  meynt  mortel  asaut  me  funt; 


30  Ne  puys  mes  suffrir  la  guère. 

Si  feray,  quant  prys  m'averunt; 

Ses  solaz  me  guar[r]unt, 
33  Ne  me  fra  mes  en  contrere, 

Kar  a  primes  voet  enquere 

De  l'amant  tut  sun  afere, 
36  Pus  l'en  sert  k'a  fet  adunt. 

III  Cent  foiz  le  quer  me  suspire 
Quant  ne  puys  trover  raatire 

39  D'amur  servir  a  talant, 
Ke  de  faillir  n'est  pas  lent, 
Einz  me  va  poygnant  sovent. 

42  Léger  fuisse  a  desconfire. 
De  mun  sen  ne  suy  mes  sire 
Pus  k'amur  par  mal  me  tyre 

45  A  funz  de  quer  le  mau  sanc. 
Si  ne  fut  un  gentil  mire 
Ke  de  cel  mal  set  eslire  (b) 

48  Le  plus  suef  alegement  : 
C'est  confort  ke  tut  teu  gent 
Guerdune  si  très  franchement 

5 1   Kanke  lur  quer  en  désire, 
Car  si  hom  sent  gref  martire, 
Pur  le  mendre  doil  ou  ire 

54  Doune  solaz  plus  de  cent. 

IV  Point  suy  d'amur,  trop  m'est  fere. 
Amur  me  fet  murne  chère, 

57  Allegance  Deu  me  doint. 


60  Corr.  A.  s.  plus.'' 

4.  —  10  Faut-il  supposer  un  subst. 
21  Corr.  f.  i  unt?  -  24  Corr.  Si  en 
rompre.  —  26  Ms.  en  tere  en  mère.  - 
Ne  m'estra? —  36  Sic. 


emploure /orme  sur  le  v.  emplourer.''  — 
aray-f" —  runt  est  un  part,  mal  formé  de 
-  27  Corr.  n'en  v.  n'en  m. .?  —  33  Corr. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (DD.  10.^1  I 


2$I 


Ne  puys,  tant  ke  mort  me  fera, 
Amur  guerpir,  tant  m'est   chère, 

60  Kar  dedenz  mun  quer  l'ai  joynt. 
Tant  m'ad  de  doçur  enoynt, 
E  de  ben  amer  enjoynt, 

63  Mes  tant  sovent  m'est  amere 
Ke  meuz  volsisse  estre  en  bere 
Ketant  vivre  en  tel  manere, 

66  Ke  espérance  n'y  ai  point 
Fors  que  solement  un  poynt: 
C'est  confort,  ke  tut  a  point 

69  Me  promet  amur  entere; 
K'amur  est  del  tut  plenere, 
N'est  pas  foie  noveler[e], 

72  Le  fin  amant  en  tut  point. 

V  Meint  turment  al  quer  m'escleire, 


Tant  ay  trové  dure  seire 

75  Les  en  ay  pale  e  teynt. 
Mun  estât  adès  espeire, 
Ne  le  pris  pas  une  peyre; 

78  S'en  suy  près  du  tut  esteynt. 
Alas  !  trop  hai  le  quer  feint  : 
Si  amur  m'ad  d'un  dartenpeynt, 

81  N'ay  pas  ou  coup  de  coveyre. 
Amur  est  tant  deboneire,         (c) 
Poy  veit  hom  ke  ben  espeire 

84  Ke  par  duçur  nul  estreint, 
Si  un  poy  suy  d'amur  destreint 
Dehez  eyt  ke  mes  se  pleynt  ! 

87  Fous  es  ki  se  des[es]peire, 
Kar  a  fin  amant  repeire 
Joie  d'amur  d'eyre  en  eyre, 

90  Si  assouuage  dolur  meynt. 


I  Grant  pesç'a  ke  ne  chantai, 
Ne  k'a  ceo  ne  me  donay  ; 
Oresuy  mis  a  l'asay 

4  Pur  ces  juvenceals  treter 
Ke  tant  sunt  jolifs  e  gay, 
Novelers  e  nunneray, 
Nunchalers  e  auke  lay, 
8  Kant  il  comencent  d'amer. 
Sovent  les  voy  forveyer, 
D'amur  flecchir  e  fauser 
Kant  il  n'unt  tut  al  premer 

12  Lur  désirer  sanz  delay. 
Pur  la  pitc  kejo  ay, 
Kant  les  vey  si  en  estray. 
Une  chançon  lur  feray 

16  Dunt  se  porrunt  aviser, 
E  pur  tels  genz  redrescer, 
Rebaudir  e  assenser 
E  d'amur  reconforter. 


20  Les  granz  bcns  lur  en  dirray, 
Kar  de  veir  le  quid  e  say 
Ke  de  tels  i  troveray 
K'al  dreit  chemin  remerray 

24  D'amur  servir  sanz  tricher. 

II  Trop  sunt  d'amur  haut  li  nun 
E  plus  en  sunt  grant  li  dun. 
Tant  en  y  a  grant  foysun 

28  Huymès  nés  avrai  nomee. 
Mult  avra  riche  guerdun 
K'amur  sert  sanz  traïsun 
E  sanz  penser  s'a  ly  nun 

32  A  ki  est  primes  donee, 
K'un  en  devent  avisée, 
Corteys  e  ben  entechee, 
Coyntes  e  meuz  acemee 

36  E  plus  sages  de  reysun, 
Jolits  en  tule  seson, 


id) 


72  Ms.  fint.   —  75  Corr.  Le  vis?  —  76   Corr.  enpeyre?  — 
N'est  pas  un  coup  de  toneyre.  —  84  nul,  pour  ne  1'. 
5.  —  6  Ms.  nûnerpy.—  1  1  n'unt,  ms.  munt. 


81   Sic,  corr. 


2^2  P. 

Franc  de  quer,  net  cum  faucon, 
Pruz  e  fer  plus  ke  lyon 

40  E  bon  crestien  en  Dé. 
A  la  fin,  en  lealtee, 
En  honur  e  en  buntee, 
Ceo  k'um  ad  tant  désirée 

44  Tient  hum  ben  en  sa  bandun. 
Amur  est  de  grant  renun, 
De  tuz  bens  est  encheisun 
E  de  tuz  mais  garysun, 

48  Ben  la  deit  hum  fere  a  grée. 

III  Mut  ert  d'amur  averti 

Ke  lunges  l'avra  servy 

E  en  quide  aver  failli 
52  Ke  dune  se  teint  an  recey, 

Sanz  parler  ent  a  nuly. 

N'a  procen  parent  n'amy, 


Mes  k'il  atende  mercy 

56  De  fin  quer  en  dreite  fey  ; 
Si  vus  dirray  lepurquey  : 
S'il  s'en  pleynt  ne  grant  ne  poy 
Tost  li  dit  s'amie:  t  Avoy! 

60  «  Quidez  me  vus  gayner  ensi }  » 
S'il  se  tient  clos  e  serri 
En  fet  e  en  dit  ausi, 
Quant  le  savera  tut  de  fi 

64  De  s'amur  li  fet  envoy.        (/.  5) 
Ceo  ne  di  jeo  pas  de  moy, 
K'unke  tant  de  ben  n'en  oy 
Ne  tant  servir  ne  la  soy, 

68  K'une  foyz  en  fuysse  oy, 
Einz  me  covir  en  reri  [sic)  ; 
Du  cors  en  suy  malbailli, 
Tut  mun  tens  en  ai  langui  ; 

72  S'en  morray,  très  ben  le  voi. 


Longement  me  sui  pené 

De  servir  en  lealté 

Amur  de  trestut  me  sens, 

Mes  unkes  ne  vi  le  tens 
5  Ke  [me]  venist  nul  asens 

Dunt  me  puisse  conforter; 

Si  l'ai  servi  sanz  fauser 
8  E  sanz  ren  aillur  penser, 

Mes  unkes  n'en  oi  merit, 

Nun  pas  tant  cum  du  beau  dit, 
1 1  Fors  que  tonir  l'escondit. 

M'en  sui  enz  miz  a  desuz  ; 

Mes  li  mais  m'en  est  si  duz, 
14  Ke  mes  granz  ennuys  trestuz 

En  li  servir  vanthe  saufs, 

Kar  joe  serf  de  quer  leals  ; 
17  Ne  pur  peines  ne  pur  travaus 


Unke  de  ren  ne  me  feins, 

Mes  tujur  a  joynte  meins 
20  La  pri  cum  amy  certeins 

K'ele  pense  de  sun  prisun. 

Ore  m'a  dit  a  baundun 
23  Ke  jo  lesse  ma  tençon, 

Sanz  parler  mot  ne  demy  ; 

Cel  m'ad  tut  esbaï  ; 
26  E  quant  de  moi  n'ad  merci, 

De  la  mort  me  fet  présent  : 

Jo  la  recef  bonement, 
29  Si  en  frai  mun  testament. 

Dunrai  [a]  ennuy  mes  plurs. 

Al  nun  du  douz  Deu  d'amurs 
3  2  Ferai  mes  essecuturs 

Ke  parf[e]runt  mun  devis. 

Premer  i  serrunt  assis 


(b) 


50  Ms.  les  a.  —  52  il/5,  au  re  retey. 

6.  —  3  me,  corr.  mun.  —  10-11  Ces  deux  vers  sont  intervertis  dans  le  ms. 
L'ordre  a  été  rétabli  par  des  lettres  de  renvoi.  —  1 1  Sic,  corr.  F.  ke  d'ouïr.-'  — 
25  Corr.  Cel[e]   ou  Cel  [mot]?  —34  Ms.  serrQ. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS 

j  5  Ceus  ke  sunt  de  quer  jolifs. 

Enveisez  e  revelus  ; 

S'en  serrunt  les  amerus, 
j8  E  pus  les  chavalerus 

K'a  ceo  serrunt  atendant. 

Tut  a  primes  i  cornant 
41   Au  trefelun  médisant 

Les  peines  dunt  sui  enbu  ; 

AI  ennuyos  malestru 
44  Mes  dolurs  granz  e  menu, 

Kar  trop  est  de  maie  part  ; 

Al  vilein  jelos  groinart 
47  Mes  angoisses  e  la  hart, 

Kar  il  en  ad  fet  le  luer; 

A  celé  pur  ki  me  moer 
50  Cors  e  aime  e  tut  mun  quer 

Comand  tut  a  sun  pleisir. 

Des  bens  n'ay  [mais]  ke  partir, 
53  Ke  unke  n'oi  nul  désir, 

Mes  du  duz  penser  adès 

Relement  voer  poi  e  près 
56  E  par  le  de  povre  des  (sic) 

Unke  plus  délit  n'en  oy, 

E  ceo  me  semble  assez  poy 
59  Ke  jo  reteng  enver  moy 

K'a  ceo  serra  sun(t)  resort  ; 
62  La  moie  aime  après  ma  mort 
S'en  avra  plus  beau  repos. 


DE   CAMBRIDGE    (DD.  lO.Jl)  2^ 

Amur  me  turne  le  dos 
65  E  mer  moi  ne  fet  si  gros  (c) 

K'en  fin  morir  me  covient  ; 

De  l'escaper  n'i  ad  nient, 
68  Kar  la  mort  al  quer  me  vient 

E  me  fet  meint  dur  asaut. 

Deu  !  jo  moer,  e  moi  ke  chaut  ? 
71   Fere  me  covient  le  saut; 

Quant  merci  d'amur  n'avrai 

Si  comand  a  Deu  le  verrai 
74  Ceus  ke  d'amur  funt  i'assai 

Sanz  coveiteise  d'avoir. 

Deu  lur  doint  sen  e  savoir 
77  Ke  ben  en  puissent  valer, 

E  puis  venir  a  bon  chief  (b) 

80  As  gelus  Deu  doint  meschief. 
Feu  d'enfer  par  tut  le  cors, 
Povre  e  riche  de  trésors  ! 

83  Nul  de  eus  n'i  met  dehors, 
Kai  trop  sunt  diverse  genz  ; 
Passion  les  fere  as  denz, 

86  Par  defors  e  par  dedenz, 
K'as  amanz  sunt  mal  veisin  ! 
Trop  sunt  de  felun  e[n]gin  ; 

89  D'assez  sunt  pire  ke  mastin, 
Si  les  comand  a  malfee, 
Tuz  jur[z]  eient  il  mal  dehee  ! 
Amen. 


Quant  le  tens  se  renovele      {f.v°} 
E  reverdoie  cy  bois, 
Cist  oysials  sa  père  apele 
Celé  cum  a  pris  a  choys; 
Lur  voil  chanter  sur  mun  peis 
D'une  dame  gent  e  bêle, 
Sur  trestutes  tourturele. 
Ben  fuysl  al  plus  grant  reis 
Ke  unkes  seit  en  see  n'en  deis. 
Tant  est  noble  juvencele; 


Mes  ver  moi  tut  tens  révèle, 
12  Si  me  respunt  en  gabeis. 

II  Tant  ad  noble  contenance 
Celé  pur  ki  faz  cest  chant, 
Sage  diz  e  poi  parlance, 

16  Duz  regard  e  bel  semblant. 
Mut  est  simple  e  poi  riant, 
Ben  se  contient  cum  d'enfance. 
Tant  vus  di,  tut  sanz  vantance, 


41  Ms.  Autre  f,  ;  il  faut  entendre  Au  très  felun.  —  65   Corr.  Enver  moi  se  f. 
—  74  funt,  ms.  sunt. 


I 


254  P- 

20  Loinz  ne  près  n'ad  per  vivant; 

Sire  serreit  sun  amant 

Si  ele  l'amast  par  fiance. 

Mes  jo  n'ai  nul'  espérance 

24  Cument  la  puis  amer  tant. 

III  Deu  !  tant  est  de  bonté  pleine 

Ma  dame  al  cors  lunge  e  gent, 

E  de  parole  certeine 
28  Beaus  respunt  [a]  tute  gent. 

Bon  mestre  a  l<i  ben  aprent, 

Kar  curtesie  la  meine, 

Franchise  al  cuer  dreit  l'aseine, 
32  Largescesun  cors  i  prent; 

Meint  hom  pur  lui  joie  enprent, 

Tant  la  trove  sage  e  seyne; 

Mes  jo  'n  ai  trop  mal  estreine 
36  Sanz  l'angoisse  a  gref  turment. 

IV  Sa  beauté  ne  puis  descrire, 
Tant  ay  ver  lui  bon'  amur. 
Deu  de  gloir[e]  reis  e  sire 

40  Kant  la  fist  si  bêle  honur 
Ke  de  bealté  tient  la  flur, 
Nuls  ne  poet  contredire. 
Pur  li  meynent  doel  e  ire; 

44  Mut  de  gent  par  grant  folur, 
Purreprender  lur  vigur, 
Chescun  d'els  en  li  se  myre, 
Mes  j'ensofre  gref  martire, 

48  Tant  me  destraint  ma  dolur. 

V  Tut  le  plus  de  s'estature 
Ore  a  ki  le  voet  savoir: 
Mut  ad  beau  chef  sanz  triffure, 

52  Large  frunt  e  surciz  noir; 

Ja  n'esparnerai  le  voir  :       {f.  6) 
Tant  ad  bêle  chevelure, 
Menue  la  recercelure, 

56  Tut  en  resplent  un  manoir. 
Ki  porreit  sun  gré  avoir 
Mal  n'avroit  fors  k'enveisure. 


Mes  jo,  cheitif  sanz  mesure, 
60  Ai  perdu  sen  e  savoir. 

VI  Plus  i  a  en  tel  visage, 
Ja  l'orrez  si  nul  me  creit, 
Le[s]  euz  veirs,  nun  pas  volage, 

64  Remuanz  a  bel  espleit , 
Beau  neys  avenant  e  dreit, 
Meine  bûche  sanz  utrage, 
Mentun  petit  cum  d'ymage^ 

68  Lung  le  col,  le  quirestreit. 
Ne  puis  savoir  ke  me  deit 
Quant  ne  chevis  mun  message. 
Mes  jo  en  ai  la  vive  rage, 

72  Tant  sui  mis  en  fort  destreit. 

VII  Si  les  flurs  d[el]  albespine 
Fuissent  a  roses  assis, 
N'en  ferunt  colar  plus  fine 

76  Ke  n'ad  ma  dame  au  cler  vis  ; 
Les  espaules  ben  assis, 
Poy  le  ney  e  la  peitrine, 
La  char  blanche  plus  ke  cyne, 

80  Par  tut  en  porte  le  pris  ; 
Dunt  suy  si  forment  suspris, 
Ne  sa[i]  k'amur  me  destine, 
Mes  ceo  feis  me   runt  l'eschine, 

84  Si  m'esta  de  mal  en  pis. 

VIII  Cornent  ke  ço  feis  me  grève, 
Quant  le  savra  ne  me  chaut, 
Tant  m'en  est  la  mort  plus  sentue 

88  Kar  amur  en  mey  ne  faut, 
De  tut  Tel  coment  k'il  aut. 
Ore  dirai  parole  brève  : 
Ki  trop  enprent  mal  escheve  ; 

92  Fol  apris[e]  ren  ne  vaut. 
Si  ne  me  preisse  a!  plus  hait 
Ne  me  preisasse  une  fève, 
Mes  cis  mais  le  quer  me  crevé; 

96  Ben  sai  ke  frai  un  fous  saut. 


40  Ccrr.  li  f..?  —  50  Corr.  Orra.  —  55  Ms.  retercelure.  —  62  creit,  ms. 
treit.  —  63  nun,  ms .  nunt.  —  78  Corr.  Piz  levé?  —  87  sentue,  corr.  sueve? 


MANUSCRITS    FRANÇAIS  DE    CAMBRIDGE    (DD.IO.JI)                  255 

IX  Orc  deit  ben  chescun  entendre  Puis  k'ele  ne  voet  pité  prendre, 

Cum  amur  est  cher  trésor:  104  Ben  crei  ke  men  seit  le  tort, 

Ki  la  pertsa  joie  est  mendre,  Valer  ne  me  poet  nul  jur, 

100  Kar  meuz  li  vausit  estre  mort.  Puis  ke  mort  me  voet  esteyndre, 

Jo  sui  si  mortelement  mors  Mes  a  Deu  voil  l'aime  rendre 
Ke  le  quer  m'estuit  [tut]  fendre.       108  E  a  ma  dame  mun  cors. 


8.  La  Petite  Philosophie. —  Ce  poèmC;,  qui  est  un  abrégé  de  cosmo- 
graphie et  de  géographie,  a  été  rencontré  jusqu'ici  dans  quatre  mss., 
sans  compter  celui  que  je  décris  actuellement  : 

Cambridge^  Univ.  lib.  Gg.  6.28. 

—         S,  John's  I.ii  ;  voy.  Romania,  VIII,  ?^6. 

Oxford,       Douce   210;   fragment;   voy.  Bulletin  de    la   Soc.   des 
anciens  textes,  -880,  p.  52, 

Rome,  Vatican,  Chr.  1659,   voy,  Chardry's  Josaphaz,  ligg.  \on 

J.  Koch  (1879),  p.  IX. 

J'ai  déjà  fait  connaître  par  des  extraits  les  mss.  du  collège  Saint-Jean' 
et  d'Oxford  ^,  je  transcrirai  actuellement  quelques  passages  des  deux  mss. 
de  l'Université  de  Cambridge.  Mais  tout  d'abord,  aux  renseignements 
que  j'ai  eu  précédemment  l'occasion  de  fournir  sur  |cet  ouvrage,  j'ajou- 
terai l'indication  du  texte  latin  d'après  lequel  il  a  été  rédigé. 

Le  titre  du  poème,  la  Petite  Philosophie'i, ïali  tout  d'abord  penser  au  traité 
de  Guillaume  de  Conches  intitulé  parfois  Phiiosophia  minor,  qui  a  été  mis 
sous  le  nom  de  Bède  et  d'Honorius  d'Autun4.  Toutefois  les  différences 
entre  les  deux  ouvrages  sont  beaucoup  trop  grandes  pour  qu'on  puisse 
les  rattacher  l'un  à  l'autre.  L'original  de  notre  poème  est,  selon  toute 
probabilité,  V Imago  miindi  d'Honorius  d'Autun.  L'accord  des  deux  textes 
est  frappant,  comme  on  en  pourra  juger  en  comparant  les  morceaux  latins 
et  français  rapportés  ci-après.  On  remarquera  cependant  qu'il  n'y  a  rien 
dans  le  latin  qui  corresponde  aux  1 1 9  premiers  vers  du  ms.  DD .  10.51. 
Ces  vers  forment  un  prologue  que  l'auteur  du  poème  a  dû  tirer  de  son 
propre  fonds,  à  moins  qu'il  ait  eu  de  Vlniago  mundi  une  rédaction  autre 
que  celle  qui  est  éditée.  Il  paraît  dureste  avoir  traité  avec  une  assez  grande 


i.  Romania,  VIII,  356. 

2.  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes,  1880,  p.  52. 

3 .  C'est  le  titre  que  donne  le  ms.  de  Saint  John  ;  cf.  ci-après,  v.  115. 

4.  Parmi  les  5;3iin'a  de  Bede,  Migne,  Patrol.lat.,  XC,  1127;  parmi  les 
œuvres  d'Honorius  d'Autun,  ibid..  CLXXII,  39.  Pour  l'attribution  à  Guillaume 
de  Conches,  voir  l'article  de  M.  Hauréau  sur  cet  auteur  dans  la  Nouvelle  bio- 
graphie générale. 


256  p.    MEYER 

liberté  son  original,  introduisant  parfois  des  développements  dont  le  latin 
fournit  à  peine  le  point  de  départ. 

Voici  le  début  de  Vlmago  mundi  et  celui  du  poème  : 

Mundus  dicitur  quasi  undique  motus  ;  est  enim  in  perpetuo  motu.  Hujus 
figura  est  in  modum  pilae  rotunda,  sed,  instar  ovi,  elementis  distincta.  Ovum 
quippe  exterius  testa  undique  ambitur,  testas  albumen,  albumini  vitelium,  vitello 
gutta  pinguedinis  includitur.  Sic  mundus  undique  cœlo,  ut  testa,  circumdatur, 
cœlo  vero  purus  asther  ut  album,  aetheri  turbidus  aer  ut  vitelium,  aeri  terra  ut 
pinguedinis  gutta,  includitur  (Cf.  DD.10.3 1,  vv.  120-136). 

Creatio  mundi  quinque  modis  scribitur:  une  que  ante  tempera  saecularia 
immensitas  mundi  in  mente  divina  concipitnr,  quae  conceptio  archetypus 
mundus  dicitur,  ut  scribitur  :  Qaod  est  factum  in  ipso  vita  erat  ' .  Secundo  cum  ad 
exempiar  archetypi  hic  sensibilis  mundus  in  materia  creatur,  sicut  legitur: 
Qui  inanet  in  aternum  creavit  omnia  insimul^.  Tertio,  cum  per  species  et  formas 
sex  diebus  hic  mundus  formatur,  sicut  scribitur  :  Sex  diebus  fecit  Dominas  opéra 
sua  bona  valde  5.  Quarto,  cum  unum  ab  alio,  utpote  homo  ab  homine,  pecus  a 
pecude,  arbor  ab  arbore,  unumquodque  de  semine  sui  generis  nascitur,  sicut 
émlnv:  Paicr  meus  usqucmodo  operatur  A.  Qmnio.,  cum  adhuc  mundus  innova- 
bitur,  sicut  scribitur:  Ecct  nova  facio  omnia  ^  {DD,  vv.  138-157). 

Elementa  dicuntur,  quasi  hyle,  ligamenta:  GXr,  autem  est  materia  ex  quibus 
constant  omnia,  scilicet  ignis,  aer,  aqua,  terra,  qua;  in  modum  circuli  in  se 
revolvuntur,  dum  ignis  in  aerem,  aer  in  aquam,  aqua  in  terram  convertitur, 
rursus  terra  in  aquam,  aqua  in  aerem,  aer  in  ignem  commutatur  {DD,  vv.  158 
et  suiv.). 


Ky  voutsaverdel  mapemund,(/'.6c) 
La  forme  de  trestut  le  mund. 
De  terres  e  de  regiuns 

4  E  de  citez  les  propre  nuns, 
Ki  les  fist  e  edefia 
E  primes  nuns  lur  dona, 
E  des  ewes  ke  portent  navie, 

6  Jeo  en  dirraie  grant  partie 


Si  cum  jeo  ai  en  escrit  truvé, 
Dunt  jeo  ai  asez  auctorité. 
Seint  Luck  li  evangeliste  dit 
En  le  ewangeile  k'il  escrit 
Ke  Augustus  César  l'empereer 
En  ki  tens  fud  né  li  Sauver 
Conmanda  par  sun  conmandement 
A  tuz  le  mund  conmunement 


I.  Jo.  I,  j-4,  citation  formée  de  deux  membres  de  phrase  réunis  à  tort. 

2  .    ECCLI.  XVIII,   1 . 

?.  Cf.  Gen.  I,  31. 

4.  Jo.  V,  17. 

5.  ApOC.   XXI,  5. 

Les  vers  1-36  ne  se  trouvent  qu'ici.—  3-4  Ces  deux  vers  sont  à  peu  près  littérale- 
ment reproduits  un  peu  plus  bas  (i  5-6). 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE 

Ke  tuit  lui  feïssent  asaver 
E  les  escriz  a  lui  enveer 
De  teres  e  de  regiuns 

\6  E  des  hiles  les  propre  nuns, 
E  la  manere  de  la  gent 
E  des  bestes  ensement, 
E  ke  ren  ne  lui  duissent  celer 

20  Ke  digne  fut  a  remembrer, 
E  quel  servise  chescun  deveit 
A  Rome  ke  lur  chef  esteit. 
Ceo  fit  il  par  le  conseil 

24  De  un  sage  ke  fud  feel, 
Ke  Cyrinus  aveit  a  nun, 
Esveske  deSyre,  sages  hom, 
Romefud  chef  detut  le  munde  (d) 

28  Si  cum  le  livre  nus  respund, 
En  tûtes  teres,  est  ben  seù, 
A  Rome  rendirent  treù. 
Quant  cest  ban  fud  criez 

32  E  par  escriz  par  tut  enveez, 
Tut  issi  e  en  teu  manere 
Cum  out  conmandé  l'emperere 
Par  teres  e  par  regiuns 

j6  A  Rome  aùrent  lur  respuns. 
Li  sages  ke  jadis  est[ei]ent 
De  grantsaverseentremett[eijent 
E  mult  estreitemeut  enquistrent 

40  Les  choses  ke  puis  en  escriz  mis- 
[trent 


CAMBRIDGE    ^DD.IO.^I 


2s: 


Chescun  mustra  sa  sente[n]ce 

Solum  la  sue  sapience; 

En  plusurs  lius  devisèrent 
44  Lur  escriz  e  tuz  asemblerent, 

E  lur  sentence  ordinerent 

E  les  dotances  tut  offerent 

E  la  vérité  confermerent, 
48  Kar  en  tuz  point  la  esproverent 

E  cum  chose  prové  Tacerterent, 

E  ces  escriz  puis  longement  co- 
[nurent 

Dunt  plusurs  puis  garni  furent 
J2  Debone  et  de  maie  aventure, 

Ke  tut  diseit  lur  escripture. 

Par  tut  le  mund  apris  aveint 

Les  aventures  k'il  les  saveint  ;  [20] 
56  Kar  Deu  meimes  en  acune  gise 

Mustre  al  mund    ceo  k'il  divise 

[(f-  7) 
Par  avanture  e  par  feiture 
K'il  fet  e  tret  en  sa  mesure; 

60  E  il  en  urent  garde  prise, 
Pur  ço  sav[ei]ent  la  devise. 
Le  mund  trestut  mesurèrent, 
Tere,  ewe  e  fu  numbrerent; 

64  Les  qualités  de  tuz  sarcherent 
Dunt  la  force  de  tuz  troverent, 
E  la  esprové[e]  troveùre 
Mistrent  en  sage  escripture 


28  Corr.  despund.  —  43-4  //  manque,  ici  comme  dans  S.  John's,  un  vers  qu'on 
trouvera  ci-dessous  dans  Gg.  6.  28.  —  46  Corr.  estèrent,  voy.  ci- dessous.  — 
55  Les  chiffres  à  droite  se  réfèrent  au  ms.  de  S.  John's  (Romania,  vm,  337).  — 
66  Ms.  e  la  prespone  le  premier  r  étant  pointé. 

Ms.  Gg.  G.  28.  —  Li  sage  jens  jadis  esteynt.  De  grant  saver  s'entremeteyent. 
E  mu'it  estreitement  enquisterent.  (40)  Les  choses  dount  il  plus  escritrent.  E 
chescun  mustra  sa  sentence.  Solum  la  sue  sapience.  En  plusurs  maneres  divi- 
sèrent. De  si  ke  li  sages  ke  pruz  erent.  (44)  Lur  escrire  touz  ensemblerent.  E 
lur  sentences  ordinerent.  Les  dutances  tûtes  ostersnt.  E  la  verrur  con!ermerent. 
(48)  Car  en  touz  poynz  les  proverent.  Pur  chose  prové  la  cercherent.  Ces  escrire 
puis  lunges  corurent.  Dunt  plus  avant  garni  furent.  (52)  De  bone  e  de  maie 
aventure.  Kar  tut  dyseit  lur  escripture.  Par  tut  le  mund  apris  aveint.  Les  aven- 
tures ke  il  saveient.  (56)  Kar  Deu  mêmes  en  acune  guise.  Mustr;  au  mund  ceo 
que  il  devise.  Par  avenir  de  faiture.  Que  taut  e  crest  en  sa  mesure.  {60)  11  en 
unt  grant  garde  prise.  Pur  ceo  en  surent  la  devise.  Le  mund  trestut  mesurèrent. 
Tere  ewe  feu  aer  anumbrerent.  (64)  Les  qualités  de  touz  cercherent.  Dunt  la 
orce  de  touz   troverent.  E   la  esprovee  troveiire.    Mistrent  en  sage  lettrure. 

Romania,  XV  17 


72 


76 


8o 


92 


96 


Pur  ceus  garrir  ke  pus  vendreint 
E  le  sen  esprendre  voleint. 
Mes  nul   ne  set  ke  seit  en   ceo 
[contemple 
A  lur  sen  gueres  ne  se  entempre; 
Nul  ne  purveit  mal  aventure 
Pur  ren  ke  Deus  avant  figure, 
Dune  ceo  est  mult  grant  folie, 
E  la  gent  trestut  dévie 
Par  pleidurs  e  par  legistres  1 4 1 J 
Ke  sunt  Antecrist  ministres, 
Si  purvertent  tute  dreiture, 
Pur  terriene  pouture; 
Nul  ne  dute  la  Deu  manace, 
Mes  la  gent  sunt  cum  fu  sur  glace; 
Ne  ne  gardent  la  créature, 
Pur  tant  del  Creatur  n'unt  cure. 
Pur  ceo  faz  [en]  ceste  escripture 
De  tut  le  mund  la  purtreiture, 
Cument  la  tere  seit  entere 
E  des  ewes  tute  la  manere,      (b) 
Del  eyr  e  del  ether  ensement 
E  la  force  del  firmentent, 
D'enfer,  de  ciel  et  des  planètes, 
De  la  lune,  del  solail  e  conmetes, 
Des  doze  signes  e  de  lur  curs. 
Pur  kei  sunt  longe  curz  les  jurs, 
Dunt  le  vent  veint  e  dunt  toneire, 
Dunt  foudre,  dunt  fu,   dunt  es- 
[cleire, 
Dunt  grésil  e  nuile  e  brisile, 
Dunt  pluie  e  aubegele,  [62] 

Dunt  le  fu  vient  ke  homchaïr  veit, 
Ke  hom  quide  ke  esteile  seit, 
E  dunt  veint  la  blanche  veie 


Parmi  le  ciel  ke  se  despl[e]ie. 
Ki  ces  choses  veut  entendre 
Mult  purra  grant  ben  aprendre 

104  E  saver  en  tûtes  maneres, 
Ki  mult  est  sages  li  Créeras 
E  k'il  est  puissant  par  nature, 
E  ke  sa  volunté  partut  dure, 

108  E  ke  tut  ke  lui  seit  a  volenté, 
Tut  vendra  par  sa  poesté; 
E  ki  défaut  de  sun  servise 
Mult  deit  duter  sa  justise. 

1 1  2  Nun  donc  al  livre  ki  l'endite 
Philosofu  la  petite. 
Ki  veut  plus  oïr  par  requeste 
Le  frut  li  dirai  de  la  geste.    [80] 

1 16  Ki  veut  del  mund  oyr  le  ymage 
E  la  feiture  en  sun  estage,       (c) 
Escut  a  mai  0  bon  curage, 
E  jeole  frai  certein  e  sage. 

120  Le  mund  est  ront  cum  polete, 
Nent  estable,  mes  est  an  moete  ; 
Unkes  ne  fudne  jan'ert  estable, 
Mes  tut  dit  novele  e  remuable; 

124  Par  le  elemenz  est  destinctez 
Cum  par  un  uf  veer  purrez  : 
^L'aubun  dehors  enclôt  l'eschale, 
E  l'aubun  li  moauz  cum  en  maie. 

128  Li  moauz  enclôt  une  gute 
Ke  de  gresse  enfurme  tute. 
Tut  ausi  est  le  ciel  cum  lescale, 
Le  ether  cum  aubun  en  maie, 

132  Le  ether  cum  aubun  sur  muel. 
Le  espès  eyr  envirun  mult  bel. 
Li  moauz  enclôt  la  grase  gote, 
E  l'eir  partient  la  terre  tute. 


89  t'orr.  firmament.  —  9J  M^.  fendre  —  105  Ki,  corr.  Ke.  Cette  faute  et 
l'inverse  sont  fréquentes  en  anglo-normand  —  127  Ms.  moanz.  —  129  Corr.  est 
formée. 

(fol.  16)  Pur  cels  garnir  que  puis  vendreient..  E  lur  sen  aprendre  vodroient. 
Mes  nul  que  seit  en  ceste  tempre.  A  lur  sen  guers  s'atempre.  (72)  Nul  ne 
purveit  mal  aventure.  Pur  ren  que  Deu  avant  figure.  Dunt  terre  est  mut  afeblie. 
E  la  gent  tantost  dévie.  (76)  Par  les  pledours  par  les  legistres.  Qjii  touz  sunt 
Antecrist  ministres.  Cil  pervertent  tute  dreyture.  Pur  terriene  pureture.  (80) 
Nul  ne  dute  la  Deu  manaie.  Dunt  la  gent  sunt  cum  feu  sur  gelaie.  Ne  nul 
agardela  créature.  Par  taunt  del  Creatur  n'unt  cure.  (84)  Pur  ceo  faz  en  cete 
escripture.  De  tout  le  mund  la  purtreture.  Cornent  la  mer  set  en  tere.  De  ewes 
totes  la  manere.  (88)  De  l'ayer  del  ethre  ensement... 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (DD.IO.JI) 

;6  Si  aver  poiet  ke  sen  ad  parfund 


259 


Ke  lecielenclottut  lemund;  [100] 
De  ceo  mund  le  creaciun 
Fet  en  .v.  maneres  le  trovum  : 

140  L'un  (est}fu  einz  ke  nule  renfut, 
Ke  Deus  en  sun  penser  conceust 
Devenl  tut  le  secle  purtrere, 
Cornent  il  vout  tut  le  mund  fere; 

144  Cist  est  architipus  dit, 

De  Deu  le  prince  ke  tut  purvist; 
Prince  est  dit  arcos  en  gregeis, 
Tipus  est  figure  en  franceis  ;    (d) 

148  Dunt  ceo  nun  de  ceo  noma 
Ke  Deu  mêmes  le  figura. 
L'autre  est  quant  Deus  par  cest 
[esample 
Ceo  mund  furma  veable  e  ample, 

1 52  E  trest  en  forme  e  en  matire 
Quanke  purvist  son  sage  enpire. 
Dunt  l'escrit  dist  :  «  Cil  kl  fin  n'a 
Ensemble  tute  ren  créa  », 

156  Ensemble  par  voil  debonere 
E  par  aparisante  mateire.  [120] 
Le  terz  fud  quant  Deu  tut  forma 
E  par  sis  jurs  tut  ordina, 

160  Dunt  l'escrit  dit:  tt  En  sis  jurnées 
Fist  Deu  tute  bones  crieres.  » 
La  quarte  manere  Deu  mustra 
Quant  une  chose  de  autre  créa, 

164  Ausi  cum  encore  fet 

Quant  il  home  de  autre  tret. 


Beste  de  beste  fest  venir, 
Arbres  e  herbe  reverdir; 

168  N'est  chose  solum  sa  semence 
Ke  Deu  le  mund  ne  recomence, 
Dunt   l'escrit    dit  :    «    Mi    père 
leovre.  » 
Encore  ses  bontés  pas  ne  covre. 

172  La  quinte  manere  est  dit  en  veire, 
Quant  Deu  vout  le  mund  refeire, 
E  tut  oster  de  pulenterie 
E  revestir  de  novelerie;  [138] 

176  Dunt  le  prophète  dist  verrai  : 
«  Tûtes  choses  renovelerai.  »  (/".S) 

Ore  escutez  (e)  des  elemenz, 
Ceo  est  des  yles  les  leemenz. 

180  Tant  dit  y!e  cum  matere 
Dunt  tute  ren  pernenl  afere. 
Yle  est  matere  divine 

184  Dunt  tute  rcns  pernent  orine. 
Ces  elemenz  quatre  sunt 
Pur  kei  tut  rens  esîunt: 
Ceo  est  feu,  eyr,  ewe  e  tere, 

188  Dunt  jescun  de  altre  a  [ajfere, 
Par  icele  concordance 
Ke  nul  n'esta  l'autre  grevance; 
Kar,  si  cum  cercle  returné, 

192  Ensement  turnent  e  sanz  mellé  : 
Le  fu  en  l'eyr  si  se  turne, 
Li  eyr  en  l'ewebiensojorne,[i  56] 
L'ewe  en  la  terre  cuille  e  plie... 


Le  ms.  DD.  10^  31  est  incomplet  de  la  fin,  les  derniers  feuillets  ayant 
étéenlevés.  Il  manque  environ  570  vers  au  poème  de  la  Petite  Philo- 
sophie. Voici  les  vers  qui  terminent  ce  ms.  Je  les  fais  précéder  du  texte 
latin  correspondant,,  qui  forme  la  fm  du  livre  I  de  l'ouvrage  (Migne, 
col.  146): 

Lactea  zona  ideo  candida  est  quia  omnes  stelL-e  fundunt  in  eam  sua  lumina 
{DD.  vv.  23-30). 

Cometa;  suntsteilae  flammis  crinitas,  in  lactea  zona  versus  Aquilonem  appa- 


136  Corr.  Saver.  —  142  Corr.  Devant.  —  148  Corr.  c.  munt.  —  161  Corr. 
criées.  —   179   Corr.  de  yle. 


260  P-    MEYER 

rentes,  regni  mutationem  aut  pestilentiam  aut  bella  vel  ventos,  aestus  vel  sicci- 
tatem  portendentes.  Cernuntur  autem  septem  diebus,  si  diutius  octoginta  {DD. 
vv.  31-39). 

Sidéra  fabulosis  involuta,  imo  polluta  perlustravimus.  Altius  scandantes  astra 
matutina,  soiemque  solis  inspiciamus. 

Super  firmamentum  sunt  aqus  instar  nebulas  suspensas,  qusecœlum  in  circuitu 
ambiredicuntur,  unde  et  aqueum  cœlum  dicitur  [DD.  vv.  41-46). 

Super  quod  est  spirituale  cœlum,  hominibus  incognitum,  ubi  est  habitatio 
angelorum  pernovem  ordines  dispositorum.  In  hoc  est  paradisus  paradisorum, 
in  quo  recipiuntur  animae  sanctorum,  hoc  est  in  cœlum  quod  in  principio  legitur 
cum  terra  creatum  {DD.  vv.  47-54)- 

Huic  longe  supereminere  dicitur  cœlum  cœlorum  in  quo  habitat  rex  angelo- 
rum {DD.  vv.  55  et  suiv.). 

Je  donne  en  note  les  principales  variantes  du  ms.  Gg.  6.  28, 


Autre  esteiles  sunt  plusurs 
Dunt  home   ne  set   lur    nun    ne 
[lur  curs, 
Ne  lur  nuns  ne  lur  poetez  ; 
4  Mes  jeo  meretrès  tut  de  gré, 
Kar  cel  començail  est  fol  e  gref 

Ne  n'est  merwaylle  si  en  a  nun 
[turt     (/.  24) 
8  Chose  dunt  sen  [ne]  pru  ne  curt  : 
E  quel  pru  est  de  dire  la  ren 
Ou  home  ne  put  aprendre  ben? 
Ki  ben  eist  sanz  ben  aprendre, 

12  0  le  ane  deit  harpe  aprendre. 
Ben  dire  sanz  ben  mustrer 
Fetle  musard  plus  musarder; 
Dunt  li  sage  sun  fiz  chastie  ; 

16  «  Gardez  ke  ne  méprenez  mie 
«  De  pincer (i/f)  les  Deus  secrez, 
«  Kei  ke  seit  le  ciel  esteilez.  » 
Sovent  cil  ki  tut  vut  saver 


20  Tut  pert  quant  veit  Sun  nun  poer. 

Lessum  a  Deu  ses  privitez  ; 

Quant  li  plet  il  nus  mustre  assez. 

Fallaz  est  une  zone 
24  Ke  tant  est  clere  blanche  e  bone, 

E  très  parmi  le  cel  s'en  vad. 

Icel  nun  cum  duz  let  ad; 

Blanc  e  gai  est  duz  let 
28  Dunt  cel[e]  zonj^e]  sun  nun  tret. 

Les  esteiles  la  clarté  funt 

Ke  ele  a  chescune  respunt. 

En  ceste  zone  par  fiez 
32  Ver  le  north  parent  comètes  leez, 

Unes  esteiles  mut  cremues 

E  0  mult  flambestes  kernues  : 

Change  de  prince  signefient 
36  Ou  pestilence  e  guère  dient, 

Ou  grant  vent  ou   grant  flote  de 
[mer,     {b) 

Kar  n'i  est  ki  en  set  penser. 

Set  jor  parent  ou  vint  e  .v.  plus; 


6  Voici,  d'après  Gg.  6.  28,  ce  vers  qui  manque  dans  DD  :  Ke  hom  ne  poet  trere 
a  bon  chef.  Dans  le  même  ms.  les  vers  -]  h  li  manquent.   —    11    Les  deux  pre- 
mières lettres  de  apendre  paraissent  grattées  à  dessein.,  pour  laisser  rendre. 
I  j  Cf.  Denis  Caton  : 

Mitte  arcana  Dei  .cœlumque  inquirere  quid  sit, 
Cum  sis  mort3lis,  quas  sunt  mortalia  cura. 
23  Corr.  Gallax;  Gg  Gallaris.   —    27-30  Manquent  dans   Gg.  —   34  Gg  E 
flaunchisanment  kernues. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (DD.  10.^1 


261 


40  De  nus  garnir  est  Deu  gelus. 
Amunt  en  cel  grant  firmement, 
Le  livre  dist  ke  ren  ne  ment, 
Sus  les  nues  suntewes  suspendues 

44  Ausi  cum  mule  en  ses  nwies, 
Ke  suz  le  cel  turnent  envirun  : 
Icel  cel  ewin  ad  nun. 
Sutr  (sic)  celi  est  le  cel  esperital 

48  Ke  n'est  conu  de  home  mortal; 
Les  angels  sunt  en  lui  menant, 
Ke  tut  dis  unt  joie  grant. 
La  sunt  les  aimes  des  senz 

52  Ke  en  Deu  servise  ne  furent  feinz. 
Icel  cel  fu  primes  créé 
E  0  la  terre  purtreté, 
Icel  cel  ben  de  la 

56  En  un  grant  cel  ki  fin  nen  a. 
Il  est  nomé  li  cel  de  cels, 
La  meint  li  reis  des  angels  Deus; 
La  meint  le  rei  tut  puissant, 

éo  Lui  nel  teint,  si  est  tut  tenant; 
Tut  fet,  tut  veit,  tut  governe, 
E  li  ne  rent  e  li  ne  terne. 
Il  est  partut  puissanment, 

64  En  nuli  nel   tent  nel   comprent. 
Par  tut  est  en  mi  lia  nel  tent, 
E  de  lui  tut  bens  nus  vent  ; 
Dunt  l'Escripture  nus  dist 

68  Ke  parole  par  seint  Esperit 

Ke  il  est  plus  haut  kel  cel  lamunt 
E  ke  n'est  abime  plus  parfund. 
Plus  est  long  ke  la  mer  ne  estent 

72  E  plus  est  lé  ke  la  terre  ne  tent, 
Ke  tut  veit  et  tut  put  e  tut  eut 
E  tut  le  munde  en  sa  main  clôt. 


Tut  est  al  mund,  tut  est  dehors, 
76  Mes  neli  comprent  ne  ii  ne  cors- 

Il  est  desus  trestut  puissant, 

Il  est  desuz  trestut  susienant, 

Il  est  dedenz  pur  tut  sustenir, 
80  II  est  dehors  pur  tut  garnir; 

Il  n'est  pas  confus  dehors 

Ne  compain  en  mundaine  cors; 

Il  n'est  grevé  pur  sustenir 
84  Ne  equis  par  sun  emplir  ; 

Il  n'est  ahaucé  pur  sun  munter 

Ne  abessé  par  sun  avaler  ; 

Ja  n'ert  plus  hait  ne  plus  bas, 
88  Mes  tut  dis  ert  en  novel  cas. 

Sanz  labur  est  governor 

E  sanz  travail  est  overor. 

Tut  fet,  tut  veit,  tut  adorne 
92  E  en  pès  est  quant  tut  aturne  ; 

Quan  ke  fu  est  e  serra 

Tud  ad  fet  e  tut  defra  ; 

Quank'est  el  mund  n'est  vers  lui 

[pussant, 

96  Plus    ke  une  gote  en   un    reim 

[pendant,  (d) 

Kei  quident  dune  li  faucener.? 

K'en  ert  quant  il  se  vout  venger.? 

Cum  ert  l'aime  dune  [en]  anguisse, 
100  Quant  tute  créature  le  cuse, 

Ke  tut  ren  l'en  cusera 

Ke  a  péchez  einz  lui  eyda.? 

L'escrit  dist  ke  tut  le  mund  tendra 
104  0  Deu  e  combatera, 

Cuntre  les  pécheurs  e  les  faus 

Ke    Deu    guerirerent    pur     lur 
[maus. 


46  ewyn  djns  Gg^  cf.  le  latin  cité  ci-dessus.  —  55  Gg  Outre  celi  bien  de 
la;  corr.  Outre  celui  cel  b.  —  62  Cg  E  lui  ne  tient  ne  liu  ne  terme.  —  6^-6 
Gg  Par  tut  est  tut  e  liu  nel  tient.  Riens  en  luy  tien  et  il  tut  tient.  —  76  Gg 
M.  ne  c.  ne  lui  ne.  Le  menu  ms.  ajoute  :  Tut  el  el  (sic)  mound  tout  est 
desous.  Tut  a  delez  tout  a  dejous.  —  79  Gg  t.  tenir.  —  80  Gg  garir.  — 
Le  même  ms.  ajoute:  Par  ces  costez  trestut  contyent.  E  par  enviroun  tut  mey- 
tient.  —  82  Gg  Ne  conpris.  —  84  G^Ne  enquis  p.  soen  haut  empir.  —  88 
Gg  en  ouel,  naturellement.  —  89  Gg  S.  travailer.  —  99  Gg  E  s.  grevance.  — 
97  Cg  li  sorcener.  —  100  Gg  le  encuse.  —  101  Gg  le  aunira.  —  106  Gg  Que 
ly  gerpirent. 


202  P.    MEYER 

La  terre  ferement  l'cncusera  E  la  nut  ke  sun  mal  cela, 

108  K.e  la  vitaille  li  trova,  Trestuz  mustrent  sa  vie  foie, 

E  les  richesses  ensement  120  Kar  tute  ren  ad  Deu  parole. 

K'il  despendi  folement;  Le  cheytif  pécheur  ke  fra 

La  mer  e  les  ewes  ensement  Quant  tut  le  mund  l'encusera  ? 

112  Les  e[n]cuserent  ferement,  Quant  11  mund  li  mut  bataille 

K'il  but  e  sa  seif  estancha  124  Ke  fra  dunke  une  ventaille  ? 

E  des  ordures  se  lava,  '    Certes,  nent  est  home  pur  vérité, 

E  l'eyr  par  unt  il  espira  Kar  il  anentist    par  sun  péché. 
116  El  fu  dunt  il  se  eschaufa 

E  le  solail  ke  le  aluma,  Nent  est  ' 


DD.  12.23.   —  LA    MANIERE    DE    LANGAGE. 

Parchemin,  87  fF.,  hauteur  o-"  162,  largeur  o'"  122;  commencement 
du  xv^  siècle.  Le  ms.,  incomplet  du  début,  commence  par  un  traité  des 
conjugaisons  françaises  qui  se  retrouve  ailleurs,  par  ex.  dans  le  ms. 
GG.6.44  de  la  même  bibliothèque,  &.  19-28.  Ce  traité  ne  peut  fournir 
aucune  information  de  quelque  valeur  sur  l'histoire  de  la  conjugaison 
française  :  il  peut  seulement  servir  à  montrer  combien  grande  était  la 
corruption  du  français  usuel  en  Angleterre  au  xiv*"  siècle.  Ce  n'est  plus  du 
français,  c'est  du  law  french.  M.  Stùrtzinger  a  indiqué  sommairement  le 
contenu  de  ce  petit  traité  dans  sa  récente  publication  intitulée  Orthographia 
gallica  (Heiibronn,  1884)*,  p.  vij.  Viennent  ensuite  différents  opuscules 
concernant  presque  tous  la  procédure,  pour  lesquels  je  me  borne  à  ren- 
voyer au  catalogue  imprimé  et  à  M.  Stùrzinger,  p.  xiv,  et  enfin  la 
manière  de  langage.  Ce  manuel  de  la  conversation  française,  le  plus  an- 
cien sans  doute  qui  existe,  est  certainement  le  plus  curieux  entre  les 
ouvrages  passablement  nombreux  qui  ont  été  composés  en  Angleterre 
pour  faciliter  l'^/ppme  du  français.  Il  est  édité,  depuis  1873,  dans  les 
numéros  de  la  Revue  critique  qui  furent  publiés  pour  compléter  le  second 
semestre  de  l'année  1870,  laissé  interrompu  au  moment  de  la  guerre?. 
Pour  cette  édition  je  me  servis  uniquement  du  ms.  3988  du  fonds  Har- 
léien  du  Musée  britannique.  Je  connaissais  dès  lors  une  autre  copie  du 
même  ouvrage,  celle  que  renferme  le  ms.    182  d'Ail  Soûls  à  Oxford, 


I  n-4  Gg  Dont  pécheur  vuys  si  s'en  leva.  E  pur  plus  pécher  se  acena.  — 
1 19  Tretuz  dirunl  la  fu  foie.  —  124  Gg  une  toile.  —  126  Corr.  anentist; 
Cg  Quant  avient  nient  p. 

1.  C'est  la  réclame  qui  termine  le  cahier. 

2.  Voy.  Romama,Wy ^  60. 

3.  Tiré  à  part  sous  ce  titre  La  manière  de  langage  qui  enseigne  à  parler  et  à 
écrire  le  français.  Paris,  libr.  Franck,  in-8<».  —  Voy.  Romania^  II,  368. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (DD.I2.y'!3)  26^ 

(ff.  305  et  suiv.),  depuis  longtemps  décrit  par  Coxe  dans  son  catalogue 
des  mss.  des  Collèges  d'Oxford,  et  que  j'avais  moi-même  étudiée  dès 
1870.  Par  une  singulière  inadvertance,  tout  en  citant  ce  ms.  pour  d'autres 
textes  qu'il  renferme,  j'oubliai  de  dire  qu'il  contenait  aussi  la  manière  de 
langage.  Il  est  du  reste  postérieur  au  ms.  Harléien,  et,  appartenant  à 
la  même  famille,  n'offre  guère  de  variantes  utiles. 

A  ces  deux  mss.  il  faut  ajouter  le  ms.  DD.  12.23  de  l'Université  de 
Cambiidge,  déjà  signalé  par  M.  Stùrtzinger,  Orîlwgr.  gallica ,  p.  xij, 
un  fragment  (le  commencement!  conservé  dans  le  ms.  du  Musée  Bri- 
tannique Add.  177 16,  également  indiqué  Orthogr.  gallica  (p.  xiij),  et 
enfin  une  cinquième  copie  jusqu'à  présent  non  citée,  à  ma  connaissance 
du  moins,  que  renferme  le  ms.  8188  de  la  bibliothèque  Phillipps  '.  Ces 
trois  derniers  textes  me  paraissent  appartenir  à  une  même  famille,  nette- 
ment distincte  de  celle  où  prennent  place  leHarl.  3  988  et  le  ms.  d'Ail  Soûls. 

[Fol.  67  V').  Ici  a  nostre  commencement  de  cesti  tretis  nous  dirrons  ainsi- 
En  non  de  Fier  e  Filz  e  sent  Espirit,  amen.  En  non  de  la  glorius  Trinité 
trois  persuns  e  un  soûl  Dieu  omnipotent  creour  demound  qu'est  e  a  esté  e  sanz 
fin  régnera,  de  qui  vient  toute  grâce,  sapience  et  virtu,  faiceons  priera  a  luy 
dévotement  que  luy  plese,  de  sa  graunde  mercy  e  grâce,  toutz  qui  cest  livre 
regarderont  ou  en  rememorunt,  ensy  abuverer  2  e  enluminer  de  le  rosée  de  sa 
haute  sapience  qu'ils  purrontavoire  souveraigne  grâce  e  sen  naturel  d'apprendre 
e  parlere,  bien  sonere  e  parfitement  escriere  douce  francès,  qu'est  la  plus  beale  e 
la  plus  gracious  langage  e  la  plus  noble  parlere,  après  latyn  de  scole,  que  soit 
en  monde,  et  de  toutz  genz  melx  preysé  e  amee  que  nulle  autre;  quare  Dieux 
le  fist  si  douce  e  amyable  princypalement  en  l'onore  e  loenge  de  lui  mesmez. 
Et  pur  ce  que  homme  est  le  plus  noble  e  le  plus  digne  créature  que  soit  en 
ciele  e  que  Dieux  a  ordigné  d'estre  soveraigne  e  maister  dez  toutz  autrez  crea- 
turs  e  choses  que  sont  desoubz  luy,  je  commencerai  a  déclarer  e  pleinement  de- 
terminere  de  lui  e  de  lez  membres  de  son  corps. 

Fin  [fol.  87  —  cf.  édit.  p.  403). 

Guilliam  tesez  vous  e  do 3;  mèz    primerement  nous  dirrons  de  profundis 

en  l'onour  de  Dieu  et  de  [nostre]  Dame,  e  pur  les  anmes  des  trespassez  qui  la 
mercy  de  Dieu  atendent  en  paynes  de  purgatorie,  qu'ils  purrontle  plus  tost  estre 
relevez  de  lour  payns  a  cause  nos  priers,  e  venir  a  la  joye  pardurable,  laquele 
joie  Dieux  qui  maint  en  haut  paradys  e  nous  rachata  de  son  precious  sanc,  pur 
sa  grant  mercy  e  piteous  4  ottroit  en  le  fine  s'il  lui  pleest.  Amen. 

Ici  le  fine  le  commune  parlance  meliour  en  tout  le  Ffrance. 


1.  Ms.  renfermantle  traité  de  GautierdeBiblesworth;  voy.Romania^XUl,  $01. 

2.  On  lirait  plutôt  abunerer;  il  y  a  en  interligne  to  bcfulfillid. 

3.  Déchirure  dans  le  ms.  ;  lire  ^o[r/ncz]? 

4.  Corr.  pité  nous. 


26^1 


EE.  2.17.  —  GILLES  DE  ROME,  traduit  par  HENRI   DE 
GAUCHI.  —  VEGECE,  traduit  par  JEAN  DE  VIGNAI. 

Ce  manuscrit,  relié  avec  les  no^  EE.  2.1  $  et  EE.  2. 16,  est  un  frag- 
ment, dont  les  feuillets  mesurent  0  ■"  280  sur  o  ""  210.  Il  est  en  papier, 
sauf  la  feuille  extérieure  et  la  feuille  centrale  de  chaque  cahier,  qui  sont 
en  parchemin.  Les  cahiers  sont  de  six  feuilles.  Au  bas  des  feuillets  $  à 
7  de  la  numérotaîicn  actuelle,  on  lit  les  cotes  g  iiij,  gv,g  vj,  ce  qui  permet 
d'évaluer  exactement  le  nombre  des  feuillets  manquant,  à  supposer  que 
tous  les  cahiers  aient  été  de  six  feuilles,  soit  36  feuillets.  Au  bas  du 
fol.  2  on  lit,  en  capitales  du  xvi'=  siècle,  Strangways,  et  au  bas  du  fol .  3 
«Guillaume  Le  Neve,  York,  1632».  Au  xv«  siècle  le  même  ms.  avait  fait 
partie  de  la  célèbre  librairie  du  duc  Humfrey  de  Gloucester  ',  car  à  la 
dernière  page  on  lit  cet  ex-libris  autographe  :  «  Cest  livre  est  a  moy 
«  Homfrey  ducde  Gloucestre,du  don  mess.  Robert  Roos,  chevalier,  mon 
«  cousine  ))  Leduc  de  Gloucester  étant  mort  comme  onsait  en  1447,  le 
ms.  sur  lequel  se  trouve  son  autographe  ne  peut  être  de  la  seconde 
moitié  du  xv°  siècle  comme  le  suppose  le  catalogue  imprimé.  Il  est  de 
la  première  moitié  de  ce  siècle. 

1.  —  Gilles  de  Rome,  du  gouvernement  des  rois  et  des  princes 
traduit  par  Henri  de  Gauchi.  —  On  possède  d'assez  nombreux  mss. 
de  cette  version  du  traité  que  Gilles  de  Rome  dédia  à  Philippe  le  Bel 


1.  Il   ne  figure  pas  dans  la  liste   des   livres  donnés  à  l'Universié  d'Oxford 
'par  le  duc  de  Gloucester.  Cette  liste,  qui  est  publiée  dans  les  Munimmta  acade- 

mica  d'Oxford,  pp.  758  et  suiv.  (Collection  du  Maître  des  Rôles),  ne  renferme 
que  des  livres  latins. 

2.  Telle  est  la  formule  que  le  duc  de  Gloucester  inscrivait  habituellement  sur 
ses  livres,  ayant  soin  d'indiquer  leur  provenance.  On  a  déjà  signalé  en  diverses 
bibliothèques  un  assez  bon  nombre  de  mss.  portant  cet  ex  libris  autographe  ; 
voy.  pour  les  collections  conservées  en  Angleterre,  H.  Ellis,  LctUrs  oj  cmincnt 
literary  mm  (Camden  Society),  pp.  5^7-9;  UiCTây.Annals  ofthe  Bodldan  library, 
pp.  8-9;  Fr.  Madden,  édition  de  V Historia  minor  de  Mathieu  de  Paris,  I,  xxxix; 
enfin,  pour  la  France,  \ç  Cabinet  des  mss.,  I,  52,  note  8,  où  M.  Delisle  a 
signalé  pour  la  première  fois  six  volumes  ayant  appartenu  au  duc.  Voici  une 
liste  provisoire  des  livres  jusqu'ici  reconnus: 

Cambridge,  Bibl.  de  l'Univ.  EE.  2.  17 

—  Saint  John's  H.  5  (?) 
Londres,    Musée  brit.,  Cott.  Nero  E.  V. 

—  -  Roy.  s-  F.  II. 
_                _  _     ,4.  c.  VII. 

—  _  -     16.  G.  VI. 

—  —  Harl.  988. 

—  —  —     1705  (=:  Bernard,  II,  212,  n"  6858). 

—  —  Sloane248. 

—  —  Egerton  617-8. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (EE.2.I7)  265 

avant  son  avènement  au  trône  ' .  L'exemplaire  de  Cambridge  n'a  plus 
que  ses  deux  derniers  feuillets:  il  commence  dans  lecoursdu  chap.  xxi, 
La  rubrique  du  chapitre  xxii  est  ainsi  conçue  : 

Ce  .xxij«.  cap.  enscgne  quant  l'en  doit  fere  les  nefs  et  les  galiez  de  mer,  et 
comment  l'en  se  doibt  combatrc  en  eaue  ou  en  mer,  et  ensengne  ce  capitre  as  quelles 
choses  toulz  Us  bataillez  doibvcnt  tstre  ordonnes. 

L'ouvrage  se  termine  au  recto  du  feuillet  suivant  :  Cy  fine  le  livre  du 
«  gouvernement  desroys  et  dez  princes  que  frère  Gilles  de  Romme,  de 
«  l'ordre  saint  Augustin,  a  fait.  » 

2.  —  VÉGÈCE,  traduit  par  Jean  de  Vignai.  —  Cette  version  n'était 
pas  inconnue  :  elle  se  trouve  dans  le  ms.  1229  du  fonds  français  de  la 
Bibliothèque  nationale,  mais  elle  y  est  anonyme,  et  nulle  part  je  ne  vois 
mentionné  Jean  de  Vignai,  qui  a  tant  traduit,  comme  traducteur  de 
Végèce.  Le  ms.  de  Cambridge  a  donc,  pour  notre  histoire  littéraire, 
une  valeur  particulière. 

(Fol.  })  C'est  le  livre  de  Vegece,  de  Chevalerie,  translaté  de  latin  en  franchois. 

Ci  commence  le  livre  de  Vegece  de  chevalerie,  translaté  de  latin  en  franchois 
par  maistre  Jehan  de  Vignay,  de  l'ordre  de  Haultpas,  lequel  livre  contient 
.iiij.  livres  complès.  Le  premier  livre  monstre  et  ensengne  de  l'ancien  temps,  qui 
dit  ainsi  que  a  nul  n'afiert  mielx  a  sçavoir  pluseurs  choses  que  aulx  princes... 

Le  prologue  du  translateur. 

Tout  aussi  comme  dit  Segons  le  philosophe... 


EE.  3.  52.  —  Premier  volume  de  la  bible  française 

DU    XIII®   SIÈCLE. 

Ce  mi.,  qui  appartient  au  xiv*  siècle,  a  été  fort  bien   décrit  par 
M.  Samuel  Berger  dans  son  livre  La  Bible  française   au   moyen  âge, 


Oxford,    Bodleienne,  auct.  F  infra  i.  1. 

—  —  —    F.  ii.  2î 

—  —  —    F.  V.  27. 

—  Oriel  32. 
Paris,        Bibl.  nat.  lat.  780J. 

-8537. 

—  —  fr.  2. 

—  —  —  12421. 

—  -  -  .2583. 

—  Sainte  Geneviève  fr.  L  1 . 

I.  Bibl.  nat.  fr.  213,  573,  581,  1201,  1202,  1205,  etc.  ;  Troyes  898; 
Lambeth  n*  266  (fort  bel  exemplaire  avec  miniature  de  présentation,  auquel  il 
manque  à  la  fin  un  ou  deux  feuillets);  Ashburnhamplace,  Barrois  22;  Libri 
125  (maintenant  à  la  Laurentienne),  etc. 


266  p.    MEYER 

pp.  407-8.  Si  je  le  fais  figurer  ici,  c'est  pour  avoir  l'occasion  d'en  citer 
quelques  lignes,  ce  que  n'a  pas  fait  M.  Berger,  et  ce  qui  n'est  pas  su- 
perflu, puisqu'il  s'agit,  comme  on  va  le  voir;  d'un  texte  assez  rare. 
M .  Berger  suppose  avec  vraisemblance  que  ce  volume  a  été  exécuté 
en  Angleterre,  «  quoiqu'on  ne  trouve  dans  le  texte  »,  ajoute-t-il,  «  au- 
cune forme  anglaise  « .  Cette  dernière  assertion  n'est  peut-être  pas  tout 
à  fait  exacte.  La  langue  est  bien  le  français  de  l'Ile-de-France,  mais 
cependant  des  formes  telles  que  eiivangelie,  pur  (pour) ,  fuiz  (=  fiuz,  fi  1  i  u  s) 
se  trouveraient  difficilement  au  xiv*^  siècle  sous  la  plume  d'un  copiste  fran- 
çais. Disons  que  c'est  la  copie  très  soignée  faite  par  un  Anglais  d'un  texte 
français  du  continent.  L'exactitude  n'est  cependant  pas  complète;  notre 
copiste  ne  comprenait  pas  toujours  ce  qu'il  copiait,  d'où  un  assez  bon 
nombre  de  fautes  de  lecture  :  je  citerai  notamment  à  la  fin  du  livre  de 
Job  (voir  ci-après)  coutiuanz,  qui  n'a  aucun  sens,  au  lieu  de  tourmanz. 

Ce  volume  fut  légué  aux  chanoinesses  de  Flixton  (Suffolk)  en  1442, 
comme  l'atteste  une  note  contemporaine  écrite  sur  un  feuillet  de  garde 
et  publiée  d'abord  dans  le  catalogue  (I,  89)  puis  par  M.  Berger  (p.  408). 
Dans  cette  note  l'ouvrage  est  décrit  comme  étant  un  «  Vêtus  Testamentum 
in  duobus  voluminibus  gallici  ydyomatis  ».  Il  est  à  croire  cependant 
que  ces  deux  volumes  contenaient  aussi  le  Nouveau  Testament,  car  en 
1697  l'inventaire  des  mss.  de  J.  Moore  (Bernard,  Catalogi,  II,  ^63, 
n"  9235-49)  indique  deux  volumes  dont  le  second  est  ainsi  décrit: 
«  Eorumdem  [Bibliorum]  pars  posterior  usque  ad  Apocalypsin  inclusive.  » 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  premier  volume  seul  subsiste  actuellement,  ou  du 
moins  le  second,  s'il  existe  encore,  n'a  pas  été  identifié. 

La  version  que  nous  offre  le  ms.  de  Cambridge  est  celle  que  M.  Berger 
pense  avoir  été  faite  à  Paris  sous  saint  Louis.  Elle  occupait  ordinaire- 
ment deux  volum.es  dont  le  second,  commençant  au  Psautier,  a  été 
introduit  à  peu  près  textuellement  dans  la  Bible  Historiale  de  Guyart 
Desmoulins'.  Du  tome  I,  qui  n'a  pas  eu  la  même  fortune,  et  qui  fut 
bientôt  remplacé,  dans  l'usage  ordinaire,  par  d'autres  versions,  il  ne  reste 
que  peu  d'exemplaires.  M.  Berger  cite  les  mss.  6  et  899  du  fonds 
français  à  la  Bibliothèque  nationale,  le  ms.  5056  de  l'Arsenal  et  un  ms., 
brûlé  en  1870,  de  Strasbourg.  U  faut  ajouter  à  cette  liste  un  magnifique 
exemplaire,  complet  en  un  volume,  qui  faisait  naguère  partie  de  la  Biblio- 
thèque Didot^.  Le  plus  ancien  de  tous  ces  mss.  est  le  n"  899  qui  est  mal- 
heureusement mutilé,  les  feuillets  qui  contenaient  des  miniatures  ayant 
été  arrachés  ou  coupés. 


1.  Voy.  pp.  187  et  suiv.  de  l'ouvrage  de  M.  Berger. 

2.  Vente  1879,  n»  5.  C'est  un  ms.  du   xv«  siècle  orné  de   belles  peintures 
dont  deux  sont  gravées  dans  Tédition  de  luxe  du  catalogue. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (EE.^.ja)  267 

Le  ms.  de  Cambridge  renferme  le  Pentateuque,  Josué  (fol.  162),  les 
Juges  (fol.  196),  Ruth  (fol.  22 il,  les  Rois  (fol.  224I,  les  Paralipomènes 
(fol.  ^07),  Esdras(fol.  348),  Nehémie(fol.  363I,  Tobie  ifol.  372),  Judith 
(fol.  377'«,  Esther  (fol.  386),  Job  (fol.  375). 

Je  transcris  le  début  de  la  Genèse,  des  Rois  et  de  Job.  On  pourra 
comparer,  pour  le  premier  et  le  dernier  de  ces  livres,  le  texte  ci-après 
avec  les  passages  correspondants  rapportés  par  M,  Berger,  pp.  121 
(Genèse,  d'après  Arsenal)  et  128  (Job,  d'après  Biblioth.  nat.  fr.  899). 

[Genèse.] 

Cist  livres  est  apelez  Genesis,  pur  ce  qu'il  est  de  la  generacion  du  ciel  et  de 
la  terre  ou  comencement,  ja  soit  ce  qu'il  parole  après  de  plusurs  autres  choses, 
aussi  corne  le  euvengelie  seint  Matheu  est  apelé  livres  de  la  generacion  Jhesu 
Crist  ;  et  ausi  corne  Moyses  dist  en  ce  livre  cornent  li  premiers  home  lu  criés 
de  la  terre  qui  iert  virge,  qui  puet  engendrer  les  terriens  homs  en  ceste  vie 
trespassable,  autressi  le  euvangelie  saint  Malheu  mostre  ou  comencement, 
coment  li  secons  homs,  ce  est  Jhesu  Crist,  fu  nez  de  la  virge  Marie  qui  les 
celestiau.\  homes  puet  engendrer  en  vie  pardurable. .. 

[Rois.] 

(Fol.  224/))  Uns  homs  fu  de  la  cité  de  Ramatha  qui  est  ou  mont  Effraym, 
qui  ot  non  Helchana,  li  luiz  Jeroboram  le  fuiz  Cham,  le  fuiz  Subh  de  Be- 
thleam.  Cist  homs  ot  .ij.  femes  :  l'une  avoit  non  Anne  et  l'autre  avoit  non 
Phenanne.  Phenanne  avoit  enfanz,  mes  Anne  n'en  avoit  nul.  Cist  homs  si  aloit 
de  la  cité  aus  jours  qui  estoient  establiz  pur  orer  e  pur  sacrifier  a  Dampnedeu 
en  Sylo... 

[Job]. 

(Fol.  595  ^)  Uns  homs  estoit  en  la  terre  de  Hus  quiavoitnon  Job,  et  cilhoms 
si  estoit  simples  et  droituriers  et  départant  soi  de  mal.  Lors  li  nasquirent  .vij. 
tuiz  et  .iij.  filles  qui  li  estoient  nez,  ce  esta  dire  que  il  avoit  engendrez,  et  il  ot 
en  possession  .vij.  milliers  et  iij.  c.  des  chamieus,  .v.  c.  jous  de  bues  et  .v.  c. 
asnesses  et  molt  grant  mesniée... 

Fin: 

Job  vesqui  après  ses  coutiuanz  '  .c.  et  .xl.  anz,  et  vit  ses  fuiz  de  ci  en  la 
quarte  generacion,  et  morut  viellartet  plains  des  jourz. 

Explicit. 

EE.  3.  59.  — Vie  de  saint  Edouard. 

Ce  ms.,  qui  vient  delà  collection  Moore  [Catalogiàe  Bernard,  II,  362, 
n"  9222.36)  n'est  mentionné  ici   que   pour  mémoire.    L'ouvrage  qu'il 


2.  Bibl.  nat.  fr.  6  :  cesl  torment  ;  fr.  899  ct'z  lormenz. 


268  p.    MEYER 

renferme,  en  vers octosyllabiques,  a  été  publié  par  M.  Luard',qui  a 
joint  à  son  édition  un  fac-similé  du  fol.  29  r",  grâce  auquel  on  peut  se 
faire  une  idée  parfaitement  exacte  de  la  richesse  de  ce  ms.,  où  la  partie 
supérieure  de  chaque  feuillet  est  occupée  par  une  fort  belle  miniature 
qui  souvent  est  divisée  en  deux  compartiments.  Des  rubriques  en  vers, 
tout  à  fait  distinctes  du  texte,  accompagnent  ces  peintures.  C'est  exacte- 
ment la  disposition  que  présentent  les  feuillets  conservés  de  la  vie  en 
vers  octosyllabiques  de  saint  Thomas  Becket  qui  s'imprime  actuellement 
pour  la  Société  des  anciens  textes  français. 


EÉ.  4,  2(i.  —  Le  roman  d'Yder. 

C'est  également  pour  mémoire  que  ce  ms.  est  ici  mentionné.  Il  con- 
tient un  roman  de  la  Table  ronde,  malheureusement  incomplet  du  com- 
mencement, mais  néanmoins  d'une  grande  valeur,  car  c'est  une  œuvre 
française,  se  rattachant  à  l'école  de  Chrestien  de  Troyes,  et  dont  on  ne 
possède  pas  d'autre  copie.  Le  ms.  a  été  exécuté  en  Angleterre,  à 
la  fm  du  xiiie  siècle.  C'est  dire  qu'il  est  assez  fautif.  L'œuvre  et  le 
ms.  sont  restés  ignorés  de  tous  ceux  qui  ont  écrit  sur  notre  histoire  lit- 
téraire ou  qui  ont  visité  les  bibliothèques  anglaises,  jusqu'au  moment  où 
il  y  a  une  dizaine  d'années,  j'en  fis  exécuter  une  copie  qui  sera  prochai- 
nement publiée  par  la  Société  des  anciens  textes  français. 


EE.  6.  II. —  Vie  de  sainte  Marguerite.  —  Purgatoire  de 
SAINT  Patrice.  —  MARIE  DE  FRANCE,  Fables. 

Ce  ms.  se  compose  de  deux  morceaux  distincts  reliés  ensemble. 

1°  Cahiers  1  et  2  (feuillets  i  à  1 5).  Vie  de  sainte  Marguerite  et  Pur- 
gatoire. —  Le  premier  cahier  (fF.  i  à  8)  est  complet  en  huit  feuillets,  le 
second  n'en  a  que  sept,  le  huitième,  qui  était  probablement  blanc,  ayant 
été  coupé.  L'écriture  paraît  être  de  la  seconde  moitié  du  xiii*^  siècle  ;  les 
dimensions  du  parchemin  sont  176  "'"  sur  120""". 

2°  Cahiers  3  à  5  (22  feuillets).  Fables  de  Marie  de  France;  l'écriture 
est  plus  ancienne  que  celle  des  deux  cahiers  précédents  ;  je  l'attribuerais 
à  la  première  moitié  du  xiii«  siècle.  Hauteur  des  feuillets  176  '"'", 
largeur  1 32  '"™. 


1.  Lïvti  oj  Edward  the  Confessor  1858  (Collection  du  Maître  des  Rôles). 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (EE.6.1I)  269 

Le  ms.  EE.  6.  ii .  est  depuis  une  époque  fort  ancienne  dans  la 
Bibliothèque  de  l'Université,  et  depuis  qu'il  y  est  entré  il  paraît  avoir 
perdu  un  assez  grand  nombre  de  feuillets.  En  effet,  il  est  ainsi  décrit 
dans  VEcloga  de  James  (1600),  p.  64,  n°  181  ' 

1.  Gallica  metra,  de  Ecclesiaet  aliis  rébus. 

2.  iEsopi  fabulx  nietris  gallicis. 

3.  Sermo  cujusdam  de  dandis  eleemosynis  et  contemptu  niundi. 

4.  Cato  cum  commentario,  sermone  anglico  vel  danico  potius  (ut  observât 

quidam  nescio  quis). 

5.  Vita  S.  Gregorii  metris  gallicanis  scripta. 

Il  ne  semble  pas  qu'il  y  ait  un  rapport  bien  intime  entre  cette  descrip- 
tion et  le  ms.  actuellement  coté  EE.  6.  1  1  ;  c'est  cependant  à  ce  ms. 
qu'elle  se  réfère  indubitablement,  caria  notice  du  catalogue  imprimé  par 
James  se  lit  encore,  avec  d'insignifiantes  variantes,  sur  le  plat  intérieur 
du  volume.  Les  art.  4  et  5  ont  été  barrés  comme  étant  en  déficit:  il 
il  eût  fallu  barrer  aussi  l'article  3  qui  ne  peut  se  rapporter  à  aucun  des 
trois  ouvrages  que  contient  le  ms.  dans  son  état  présent.  L'article  2  est 
le  recueil  de  Marie  de  France,  l'article  1  paraît  répondre  à  la  fois  à  la 
vie  de  sainte  Marguerite  et  au  Purgatoire. 

Le  texte  des  fables  ayant  été  collationné  par  M.  Ed.  Mail  pour  l'édi- 
tion qu'il  prépare  de  cet  ouvrage,  je  ne  m'en  occuperai  pas.  Quant  au 
Purgatoire  de  saint  Patrice,  c'est  une  version  qui  ne  paraît  pas  se  ren- 
contrer ailleurs  et  qui  était  restée  inconnue  jusqu'au  moment  où  la 
Romania  (Vl,  1 54I  en  a  donné  le  commencement  et  la  fin.  Je  n'en  dirai 
pas  plus  sur  ce  sujet  pour  le  présent,  et  je  me  bornerai  à  transcrire  les 
premiers  et  les  derniers  vers  de  la  vie  de  sainte  Marguerite,  dont  je  ne 
connais  pas  d'autre  exemplaire,  et  qui  est  un  poème  important.  Elle  se 
compose  de  69  couplets  ayant  chacun  de  quatre  à  neuf  vers. 

I  Puis  ke  Deus  nostre  sire  de  mort  resucita,  (.  1) 
[E\  veant  ses  angeles  a  son  père  monta^ 

Granz  companies  de  seinz  et  de  sentes  y  lessat, 
E  puis  pur  luy  morrurent  e  yl  les  corrunat, 
Del  son  celestre  règne  large  pars  iur  dunat. 

II  A  icel  tens  diable  aveient  granz  poetez  ; 

Pur  seinte  Yglise  prendre  esteient  si  pensenz  {sic), 
Quant  il  trove[i]nt  nul  honi  qui  seyt  cristienez 
Si  esteit  [il]  pendu  ou  ars  ou  lapideez, 


Notice  reproduite  dans  les  Catalogi  de  Bernard,  I,  2c  partie,  170. 


Ou  destret  de  chivaus  ou  haut  el  vent  croulez  ; 
Mes  cil  ke  n'en  chaleit  tant  en  ert  honurez 
Que  en  permanable  glore  [ore]  en  est  corunez. 

III  Seinurs,  des  toz  les  autres  vus  lerrai  a  conter, 
Fors  de  une  suie  virge  [dunt]  me  covent  parler  : 
[Le]  son  seinur  celestre  tant  pout  toz  jurs  amer, 
Onkes  pur  nul  turment  que  l'em  le  sout  duner 
Ne  pur  nule  promesse  ne  wout  de  luy  torner. 

Trayez  [vus]  ça  vers  moy;  pri  vus  de  l'escoter, 
Car  vers  son  chier  senniur  vus  pout  ben  aïder. 

IV  Geste  pucele  fu  mult  de  haut  parentee  : 
Si  père  fu  païens  de  grant  nobilitee  ; 
Theodorus  outnun,  onkes  ne  cremout  Dé; 
Tuz  ceus  qui  creeint  en  Deu  out  il  en  vilté, 
Nule  rien  ne  h[a]ait  envers  cristienté. 

Fin  (fol.  8)  : 

LXVII  Tut  cil  qui  sunt  pris  de  divers  enfermetez, 
Mult  sunt  awogles,  desirus  de  sauntez, 
De  lui  quant  parler  oient  ilec  sunt  alez; 
Dec'il  tochent  le  cor  sempres  sunt  [tut]  mundez, 
Ne  sentent  puis  nul  mal  ne  nul  enfermentez  (sic). 

LXVIII  Es  kalendes  de  aùst  del  siècle  treepassat. 

Quant  l'un  en  cest  siccle  de  lui  memorie  frat. 
Deu  I  cum  gloriusement  sum  martire  final! 
Dreiz  est  que  od  Deu  seit,  car  ben  de  servir'  l'ad  ; 
Si  est  ele  sanz  dotance,  jammès  ne  partirai. 

LXIX  Ele  deprie  Deu  qui  est  sanz  mentir 

Ke  il  nus  gard  de  tuz  maus  e  nus  doint  deservir, 

Quant  les  âmes  de  nus  deivent  del  cors  partir, 

Quant  2  a  sa  companie  puissuns  parvenir 

Qui  vivit  et  régnât  Dcus  per  omnia  sccula  seculorum.  Amen. 


EE.  6.  i6.  —  Livre  d'heures. 

On  trouvera  dans  le  catalogue  des  mss.  de  l'Université  une  descrip- 
tion suffisante  de  ce  livre  d'heures,   du  xiv''  siècle,  qui  doit  avoir  été 


I  Sic,  corr.  deservi.  —  2  Corr.  Que. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (EE.6.l6)  27  1 

exécuté  pour  un  des  établissements  religieux  d'Angleterre  qui  étaient 
dans  la  dépendance  de  l'abbaye  de  Fontevraud, 

Les  ff.  8  et  9  contiennent  un  hymne  à  sainte  Anne  en  latin  ■  et  en 
français  : 

Anna  sancta  Jhesu  Christi  Ave  duz  comencerr.ent, 

Matris  mater  pertulisti...  Seinte  Anne  gloriouse 

De  la  joie  saunz  finement... 

Au  fol.  16  est  copiée  une  prière  à  saint  François.  Je  la  trancris  tout 
entière.  Quand  on  fera  l'histoire  du  culte  de  saint  François  dans  notre 
pays,  il  y  aura  lieu  de  tenir  compte  des  nombreuses  poésies  françaises 
qui  ont  été  composées  en  l'nonneur  de  celui  qui  fut  pour  le  xiii'-  siècle 
et  le  xiv  le  saint  par  excellence  ^.  La  prière  du  ms.  de  Cambridge  est 
en  quatrains  alexandrins,  forme  fréquemment  employée  pour  ce  genre 
de  poésie  ;  voir  par  ex.  les  prières  en  quatrains  que  renferme  le  ms.  570 
de  l'Arsenal. 

Douz  sire  seint  Franceis  que  Jhesu  tant  amastes, 
E  desa  seinte  passiun  noit  et  jour  pensastes, 
Delà  peine  des  plaies  tant  sovent  remembrastes, 
Ke  en  vostre  seintisme  corps  l'enpreinte  portastes; 

L'amour  Jhesu  Crist  tant  vous  eschaufa 
Et  vostre  cuer  de  pité  gracious  eslu[m]ina 
Ke  en  meinse  pies  e  costé  dehors  se  moustra, 
Et  lui  amant  en  semblance  de  ami  conforma, 

Mult  fu  la  bunté  grande  de  si  grant  seignour 
Que  a  un  povres  home  moustra  si  grant  amour, 
Epar  especial  privilège  li  fist  si  grant  honour 
K.e  de  la  seinte  passion  li  fist  son  baneour. 

Douz  sire  seint  Franceis  ki  Deu  ad  si  chier, 
En  la  court  celestiene  estes  de  grant  poer, 
Et  a  vos  amis  especiaus  poés  mult  aider, 
Car  vous  portez  le  grant  sel  :  si  estez  chanceler. 

Por  celé  grâce  especiale  que  Jhesu  fist  a  tei 
Ke  entre  les  autres  seintz,  outre  comune  lei, 


1 .  Une  leçon  un  peu  différente  est  publiée  dans  Mone,  Lateinische  Hymnen, 
III,  .96. 

2.  Je  citerai  la  curieuse  chanson  en  laisses  assonantes  que  j'ai  publiée  dans 
le  Bulletin  de  la  Sociêtc  des  anciens  textes,  1884,  p.  77,  et  une  chanson  de  saint 
François  à  refrain  dans  le  ms.  43  de  la  Faculté  de  Médecine  de  Montpellier. 


272 


En  signe  de  sa  passion  te  conforma  a  sei 

Priez  le  douz  Jhesu  que  il  eit  merci  de  mei.  Amen. 


A  la  fin  du  livre  se  trouve  une  version  du  Veni  creator  qui  se  rencontre 
ailleurs  encore;  par  ex.  dans  le  ms.  Digby  86  (notice  de  M.  Stengel, 
p.  lo)  : 

Saint  Esperiz,  a  nus  venez 
E  nos  penseiez  visiter... 

EE.  6.  30.  —  Fragment  d'un  miracle  en  vers  de  la  Vierge. 

Ce  fragment  sert,  ou  a  servi,  de  feuillet  de  garde  au  ms.  à  la  fin  du- 
quel il  est  relié.  C'est  un  feuillet  de  parchemin  à  quatre  colonnes,  fort 
rogné  du  haut,  et  engagé  dans  la  reliure  de  façon  que  le  commencement 
des  vers  pour  la  colonne  a,  et  la  fin  pour  la  colonne  d,  ne  sont  plus  vi- 
sibles. Je  n'en  ai  pas  transcrit  tout  ce  qu'on  en  peut  lire,  mais  les  extraits 
que  je  vais  en  donner  suffisent  pleinement  à  montrer  qu'il  contient  une 
rédaction  jusqu'ici  inconnue  de  l'histoire  du  clerc  qui  souffrait  d'un 
cancer  à  la  bouche  et  que  la  Vierge  Marie  guérit  de  son  lait.  Je  présen- 
terai sur  ce  sujet  diverses  observations  à  propos  d'une  rédaction 
différente  du  même  miracle  que  nous  trouverons  plus  loin  dans  le  ms. 
Gg.  1.  I,  article  26.  Pour  le  présent  je  me  borne  à  remarquer 
que  le  morceau  qui  suit  est  certainement  l'œuvre  d'un  auteur  né  en 
Angleterre.  Les  rimes  grevus-plus  (3-41,  en}'[e]é-mené  (6-7),  honurer-poer 
($9-60),  ne  laissent  pas  de  doute  à  cet  égard.  Notons  aussi  quatre 
rimes  consécutives  (11-4),  ce  qui  est  surtout  fréquent  en  Angleterre. 

Proceine  est  la  sue  aïe  (b)              En  un  chanp  de  grand  beauté. 

A  chescun  ke  en  lui  se  afie,  Tut  li  chaunp  fluriz  estoit, 

E  u  li  maus  est  plus  grevus,  16  Ela  duçur  ki  venoit 

4  Ilokes  piert  sa  aïe  plus  ;  E  duce  herbes  e  des  flurs 

Ço  piert  el  clerc,  kar  visité  Surmunteint  tûtes  savurs. 

Le  ad  mut  tost  par  sa  pité:  Un  herber  lui  ad  mustré 

Un  aungle  lui  ad  env[e]é  20  Sun  guiur  de  graunt  beauté 

8  Ke  ad  le  esperit  de!  cors  menée,  Qe  sur  les  autres  tuz  lui  plut: 

U  le  cors  od  tut  le  espirit,  Vint  e  treis  herbes  i  out  ; 

Ne  sai  de  fi  ;  mes,  si  co[m]  quid,  Les  vint  etdeuserent  assises 

En  plusurs  lus  l'ad  amené  24  Envirun  le  herber  par  divises, 

12  E  meinte  ren  li  ad  mustré;  E  la  vintime  tierz  estoit 

Mes  al  derein  se  sun[t]  entré  Enmi  le  herber,  e  celé  avoit 


17  Corr.  Des  d. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (EE.6.30J 


273 


Set  mut  très  bêles  flurs, 
28  Tûtes  de  diverse  colurs, 

Ke  plus  oleient  ducement 

Ke  espèce  u  unnement. 

Les  autres  vint  e  deus  maneres 
3  2  Des  ces  autres  herbes  chères 

ic) 

«  Ke  il  vus  plaise  a  mustrer  moi 

«  Quel  lui  ço  est  ke  ici  voi  ; 

«   De  ces  herbes  e  de  ces  flurs 
36  «  Ki  sunttaunt  cluers  {sic)  colurs 

«   E  taunt  fleirent  ducement, 

a  S'il  vus  plest,  apernez  m'ent. 

1  Jo  sui,  certes,  mut  desirus 
40  •   De  cest  lui  taunt  glorius; 

«  Volentiers  si  jo  poeie 

"   A  tut  tens  i  remeinderoie. 

Dune  respunt  senz  nul  respit 
44  Ducement  li  aungle  e  dist  : 

«  Cist  beau  chaunp  taunt  aùrné 

«  Parais  est  apelé. 

«  Tu  vendras  en  haste  ici, 
48  1  Kar  cest  beau  lui  as  deservi 

«  Purçoqueas  vesqui  seintement 


«  E  as  gardé  nettement 

(c  Tun  cors  tut  tens  de  lecherie, 
52   <i  E  la  mère  Deu  Marie 

«  As  servi  devoutement, 

1  E  l'as  amé  parfiiement. 

«  Des  herbes  que  tu  veis  ici 
56  fl   Entur  cest  herber  e  en  mi, 

«  E  des  flurs  tut  tei  dirai, 

a  Ja  mot  ne  tei  cèlerai. 

<i  Quant  tu  soleies  honurer 
60  «  Nostre  Dame  a  tun  poer, 

i  Tu  solei[eJs  chescun  jor 

«  Deus    saumes    dire   en    sun 
[honur  : 

«  Li  uns  est  de  In  nominc^ 
64  «  Fai  me  saut  par  ta  pité 

{d) 

Pur  ço  sunt  ci... 

Les  herbes  que  sunt  ici  plaunt... 

Dunt  vint  e  deus  en  ad  d... 
68  E  tûtes  freches  e  nuveles 

Chescun  chapille  en  port... 

Chescun  herbe  ou  flurs  d... 

Vint  flurs  vit  vers  sig... 


FF.  1 .  î5.  —  Le  Secret  des  Secrets.  —  La  lettre  d'Hippocrate 
A  César.—  JACQUES  LEGRAND,  le  livre  des  bonnes  mœurs. 
—  JACQUES  DE  CESSOLES,  le  livre  des  échecs,  traduit  par 
JEAN  DE  VIGNAL 

Livre  en  parchemin,  mesurant  o™  240  sur  0  ™  170,  daté  à  la  fin  de 
Bourges  1420.  Provient  du  don  de  171 5  :  c'est  le  n^  1 54  de  l'inventaire 
des  mss.  de  l'évêque  Moore,  dans  les  Catalogi  de  Bernard  (II,  365). 
Antérieurement  à  son  entrée  dans  la  bibliothèque  de  Moore,  je  ne  sais 
rien  sur  l'histoire  de  ce  ms. 

1.  —  Le  Secret  des  Secrets:  version  très  répandue  sur  laquelle 
voyez  le  présent  volume  de  la  Romania,  p.  189. 


33    C'est  le  clerc  qui  parle.  —  34,  40,  48  lui  tt  non  liu  ;    c'.sl   une  forme  fré- 
quente dans  les  textes  anglo-normands. —  36  cluers,  corr.  de  cleres. — 63  f^-.  lui. 


Remania,  XV. 


274  P-    MEYER 

(P.  i)  C'est  le  livre  du  gouvernement  des  roys  et  des  princes  appelle  le  Secret  des 
secrès,  lequel fist  Aristote  au  roy  Alixandre. 

Suit  la  table,  après  laquelle  l'ouvrage  commence  ainsi  : 

Le  prologue  du  docteur  en  recommandent  Aristote  .j. 
Dieu  tout  puisant  vueille  garder  nostre  roy... 

2.  —  Du  gouvernement  de  santé,  livre  envoyé  par  Hippocrate  a 
César.  —  Apocryphe  qui  a  été  très  répandu  au  moyen  âge,  et  dont  on 
a  plusieurs  versions  françaises  qu'il  ne  peut  être  question  d'étudier  ici. 
Je  signalerai  une  première  version  qui  se  trouve  dans  les  mss.  Bibl.  nat. 
lat.  14689  (incomplet!,  fr.  573,  Libri  (Florence)  125',  et  d'autres 
dans  les  mss.  fr.  2001,  2045,  2047,  Digby  86  (fol.  8-21),  etc.  Je  n'ai 
pas  rencontré  de  texte  tout  à  fait  identique  à  celui  de  Cambridge. 

Ci  commaince  le  livre  du  gouvernement  de  santé  que  Ypocras  fist,  eti'envoya  a 
l'emperiere  Sesar  pour  la  santé  garder  et  pour  avoir  vie  plus  longues.  Il  fist 
demander  a  Galien  le  bon  mire  pour  quoy  il  mangoit  si  petit,  lequel  lui  res- 
pondit:  «  Mon  entencion  est  de  vivre  longuement,  et  pour  ce  je  ma[n]gùe  ainsi 
petit,  ne  je  ne  mangue  pas  pour  les  delicesdes  viandes,  mais  pour  le  corps  sous- 
tenir  en  vie...    » 

Cet  opuscule  est  suivi  de  quelques  morceaux  qui  ne  sont  pas  nettement 
séparés  les  uns  des  autres. 

1°  Une  sorte  de  calendrier  hygiénique: 

Avicenedit  que  ou  mois  de  janvier,  a  garder  parfaittement  santés  on  doit  au 
matin,  a  jeung,  boire  de  très  bon  vin,  auxi  comme  un  petit  voirre  ;  ne  nulz  ou 
mois  de  janvier  ne  se  devroit  (on)  faire  seigner... 

Les  préceptes  relatifs  à  décembre  se  terminent  par  cette  remarque, 
qui  du  reste  pouvait  s'être  déjà  présentée  à  l'esprit  du  lecteur  : 

Item,  vous  devés  savoir  que  ce  livre  n'est  pas  fait  pour  gens  qui  travaillent 
et  traient  peine,  comme  ces  laboureux,  mais  est  fait  pour  ceulz  qui  vivent  sens 
labour  et  sans  prendre  travail. 

Suivent  deux  pages  contenant  des  préceptes  relatifs  au  diagnostic 
à  tirer  de  l'inspection  des  urines  et  quelques  recettes  dont  les  dernières 
sont  en  latin. 

3.  —  Jacques  Legrand,  Le  livre  de  bonnes  mœurs. —  Cet  ouvrage 


1.  Ce  ms.  est  l'original  d'après  lequel  a  été  copié  le  ms.fr.  573. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (FF.I.Jj)  275 

fut  présenté  en  1410  a  Jean  duc  de  Berry  '.  Les  mss.  en  sont  très  nom- 
breux; voy  Bibl.  nat.  fr.  4$  ^,  953,  954,  102^,  1024,  102$,  1050, 
1144,  1145,  1798,  etc.,  et  il  a  été  imprimé  plusieurs  fois;  voy.  Brunet, 
Manuel  du  libraire,  sous  Magnus. 

(P.  71)  Cy  commence  la  table  des  rebriches  du  livre  des  bonnes  meurs  inlilulé, 
lequel  est  composé  de  cinq  parties. 

L'ouvrage  commence  ainsi,  après  la  table  : 

Tous  orguilleux  veulent  a  Dieu  comparer  en  tant  qu'ilz  se  glorifient  en  eulz 
mesmes  et  es  biens  qu'ilz  ont,  desquelles  choses  la  gloire  est  deue  principalement 
a  Dieu. 

4.  —  Jacques  de  Cessoles,  Le  livre  des  échecs,  traduit  par  Jean  de 
Vignai.  Traduction  faite  pour  le  roi  Jean,  encore  duc  de  Normandie, 
voy.  P.  Paris,  Manuscrits  français,  V,  16. 

(P.  209)  C'est  k  livre  des  eschez  translaté  par  frère  Jehan  de  Vignay. 

A  très  noble  et  très  excellent  prince  Jehan  de  France,  duc  de  Normandie  et 
ainsné  fils  de  Phelipe  par  la  grâce  de  Dieu  roy  de  France,  Irere  Jehan  de 
Vignay... 

L'explicit  est  ainsi  conçu  : 

Cy  fine  le  livre  des  eschez  translaté  par  trere  Jehan  de  Vignay  hospitalier. 
Et  fut  copié  et  escrit  a  Bourges  en  Berry  ou  moys  de  mai  l'an  de  grâce  mil 
quatre  cens  et  ving. 

Repanteur. 

Ce  dernier  mot,  qui  est  vraisemblablement  le  nom  du  copiste,  est 
d'une  lecture  très  incertaine. 


FF.  3.  31.  —  Le  Roman  de  Ponthus. 

Le  roman  de  Ponthus  et  de  la  belle  Sidoine  est,  comme  on  sait,  une 
imitation  en  prose  de  la  chanson  de  geste  anglo-normande  de  Horn  et 
Rimel.  La  trame  du  récit  est  celle  de  l'ancien  poème;  les  noms  des  per- 
sonnages et  des  lieux  sont  changés^.  Il  faut  rappeler  ici,  parce  que  ceux 
qui  s'en  sont  occupés  dans  ces  dernières  années  paraissent  l'avoir  ignoré, 


1.  Delisle,  Cr.binct  des  mss.  I,  60  et  III,  182  (n"  134),  31 1-2.  —  Il  y  a  sur 
ce  personnage  une  assez  bonne  notice  dans  le  Catalogue  des  mss.  de  M.  de 
Cam bis  (Awgnon,  1770),  p.  446. 

2.  Voy.  H.  L.  D.  Ward,  Catalogue  oj  Romances,  p.  469. 


276  p.    MEYER 

que,  selon  une  remarque  intéressante  de  M.  de  Montaiglon,  les  noms 
substitués  dans  Ponîhus  à  ceux  de  Horn  sont  empruntés  à  la  Bretagne 
et  à  l'Anjou,  que  le  nom  même  de  Ponthus  est  celui  d'un  membre  de  la 
famille  de  La  Tour  Landry,  qui  vivait  dans  la  première  moitié  du 
xv^  siècle,  et  pour  qui,  selon  toute  apparence,  fut  rédigé  le  roman  ' . 

Ce  faible  ouvrage  a  été  très  lu.  Il  en  existe  des  copies  dans  presque 
toutes  les  grandes  collections  de  manuscrits,  et  la  Bibliothèque  même 
de  l'Université  de  Cambridge  en  possède  un  second  exemplaire  sous  la 
cote  HH.  3 ,  162.  Enfin  l'ouvrage  a  été  plusieurs  fois  imprimé  de  1478 
environ  à  1550J.  Aussi  n'aurais-je  pas  mentionné  ici  le  ms.  FF.  ^  31, 
s'il  ne  se  recommandait  par  deux  particularités  intéressantes.  D'abord 
il  est  précédé  d'un  prologue  en  vers  à  rimes  plates,  et  très  plats  eux- 
mêmes,  qui  donnent  un  résumé  somm.aire  du  roman.  C'est  l'œuvre  d'un 
Anglais  qui  savait  assez  bien  le  français.  En  outre,  le  ms.,  qui  a  été 
exécuté  en  Angleterre,  quoique  la  langue  en  soit  assez  correcte,  est  orné, 
au  commencement  de  chacun  de  ses  chapitres,  de  grandes  lettres  ini- 
tiales noires  dont  les  formes  variées  rappellent  celles  qu'on  trouve  dans 
les  anciens  mss.  exécutés  à  Lindisfarne.  Chacune  de  ces  lettres  contient 
une  devise,  ou  une  sentence  se  rapportant  au  sujet  traité  dans  le  cha- 
pitre. Ainsi  dans  l'initiale  du  premier  chapitre  on  lit  ces  deux  vers  : 

Vroy  amoureux,  que  que  nul  die, 
Doit  estre  loial  a  s'amie. 

Le  ms.  est  sur  papier.  Il  fait  partie  de  la  collection  Moore,  bien  que 
je  ne  le  retrouve  pas  sur  l'inventaire  publié  par  Bernard . 

Si  d'aucuns  veulent  ycy  lire  Ni  a  nul'autre  créature, 

En  cest  livre  pour  eulx  déduire,  Ne  souffrir  sur  lui  nulle  ordure. 

Hz  pourront  bien  veoir  et  entendre  Secretteté  et  beau  langaige 

4  Que  fin  amant  n'a  sur  lui  membre  12  Doit  avoir  en  lui  et  couraige. 

Qui  ne  soit  livré  a  martire  Ponthus  le  vaillant  chevalier, 

.    Quant  son  cuer  n'a  se  qu'il  désire.  Dont  après  ci  orrez  parler, 

Vroy  amoreux  si  ne  doit  estre  Fut  moult  secret,  vaillant  et  saige 

8  Orgueilleux  n'a  clerc  ny  a  prestre  lé  Et  amoureux,  haulten  couraige; 


1.  Le  livre  du  Chevalier  de  La  Tour  Landry,  publié  par  A.  de  Montaiglon, 
p.  xxiij. 

2.  C'est  un  volume  en  parchemin,  orné  au  premier  feuillet  d'une  assez  jolie 
miniature.  Dans  la  vignette  qui  encadre  ce  feuillet  on  lit  ces  lettres  plusieurs 
fois  répétées  ;ê;,  dont  le  sens  m'échappe.  La  rubrique  initiale  est  ainsi  conçue: 
Ci  commence  le  livre  de  Pontus  filz  du  roy  Tlnbor  de  Galice,  et  comment  en  armes 
et  amours  il  souffrit  moult  de  pestilences,  de  mauls  et  de  douleurs.  C'est  le  ms.  45 1 
de  l'inventaire  des  mss.  de  Moore  (Bernard,  II,  373). 

3.  Dates  approximatives;  voy.  Brunet,  sous  Ponthus. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE   CAMBRIDGE    (FF.J.^l] 


277 


Aussi  ledevoitil  bien  estre, 
Car  sailli  estoit  de  grant  estre: 
Filz  au  roy  de  Galice  estoit  ; 

20  Mais  Fortune  qui  tout  deçoipt 
Et  qui  est  a  chascun  maistresse, 
A  bien  et  a  mal  tout  reversse, 
Le  fist  partir  et  absenter 

24  De  son  païs  et  toust  en  aler. 
Tant  fut  conduit  et  droit  ala 
Que  en  basse  Bretaigne  ariva, 
Ou  roy  estoit  pour  lors  nommé 

28  Duquel  fut  grandement  amé. 
Celluy  roy  une  fille  avoit, 
La  plus  belle  que  homs  veoir  pou- 
Sydoine  estoit  appellée,  [ait; 

32  La  plus  belle  et  d'onneur  clamée 
Que  on  peust  sur  terre  trouver 
Ne  de  nul  vivant  oïr  parler. 
Saige,  honnourable  et  sans'despit 

36  Estoit,  com  le  livre  le  dit. 
Elle  fut  trestant  amoureuse 
En  tout  honneur  et  curieuse 


Du  dit  Ponthus,  bon  chevalier, 

40  Que  elle  ne  savoit  quel  part  tour- 
Etsi  de  lui  envie  avoit,         [ner  ; 
Plus  grant  luy  d'elle  il  avoit. 
Leurs  amours  si  lurent  selées, 

44  A  nulz  ne  furent  escandées, 
Combien  que  le  dit  amoureux 
Fust  jour  et  nuit  moult  curieux 
De  accomplir  tout  le  désir 

48  De  sa  dame  et  tout  le  plaisir. 
En  fait  d'armes  et  autrement 
Abandonnoit  son  scentement, 
Et  trestoute  sa  vaillantie 

f  2  A  accomplir  le  gré  s'amie. 
Dont  en  la  fin  furent  joyeux 
L'un  de  l'autre  et  vraiz  amoureux. 
A  ytant  je  me  vueil  cesser 

56  De  ceste  rime  convoier, 

Car  tout  en  prouse  on  trouvera 
Cy  après  qui  bien  vous  dira 
De  Sydoine  et  de  Ponthus, 

60  Pour  ce  ycy  ne  vous  en  dy  plus. 


Sy  commence  le  livre  du  vaillant  chevalier  Ponthus,   lequel  devise  de  plusieurs 
heaulx  faiz  que  icellui  fist  a  sa  vie,  et  par  especial  ou  temps  de  sa  jeunesse. 

Et  premièrement,   compter   vous  en  vueil   une  moult  belle   histoire  ou  l'en 
pourra  aprendre  moult  de  bien  et  de  exemplaire... 

FF.  6.  13.  —  Traités  de  fauconnerie. 


Parchemin,  81  fF.  ;  hauteur  :  igç""'",  largeur  :  128"™  ;  fm  du 
XIII*  siècle.  Ancienne  marque  de  provenance  :  dono  Roberti  Hare,  1594. 
—  Ce  ms.  renferme  divers  opuscules  latins  dont  je  n'ai  pas  à  m'occuper 
et  qui  sont  correctement  indiqués  dans  le  catalogue.  J'ai  seulement  à 
faire  connaître  trois  traités  de  fauconnerie,  l'un  latin,  les  deux  autres 
français,  qui  occupent  les  derniers  feuillets  du  volume .  La  description 
donnée  dans  le  catalogue  est  ici  fautive,  confondant  les  deux  traités  fran- 
çais en  un  seul. 

Peu  versé  dans  la  littérature  de  la  chasse,  je  ne  saurais  dire  si  l'un  ou 
l'autre  de  ces  opuscules  a  déjà  été  signalé,  ni  s'il  en  existe  d'autres  copies. 
Les  bibliographies  d'ouvrages  sur  la  chasse  ne  manquent  pas,  mais  il  ne 
faut  point  y  chercher  de  renseignements  sur  les  textes  inédits,  et  même 
pour  les  traités  du  moyen  âge  qui  sont  publiés,  elles  sont  en  général 


278  p.    MEYER 

peu  exactes,  et  n'indiquent  point  les  rapports  que  ces  traités  peuvent 
avoir  entre  eux. 

On  sait  que  plusieurs  des  anciens  livres  français  de  fauconnerie  dé- 
rivent des  traités  bien  connus  de  Frédéric  II  et  d'Albert  le  Grand.  Il  ne 
me  paraît  pas  que  tel  soit  le  cas  des  opuscules  contenus  dans  le  ms.  de 
Cambridge.  D'autres  écrits  français  sur  le  même  sujet,  soit  en  vers,  soit 
en  prose,  se  rattachent  à  des  traités,  probablement  latins,  composés  en 
Angleterre.  Daude  de  Prades  se  réfère  dans  ses  Auzels  cassadors  ledit. 
Sachs,  v.  1905)  à 

un  libre  de!  rei  Enric 

d'Anglaterra,  lo  pros  el  rie, 

sur  lequel  M .  Sachs,  qui  cite  en  sa  préface  maint  ouvrage  sans  rapport 
possible  avec  les  Auzels  cassadors,  ne  donne  aucun  renseignement. 
D'autre  part,  un  court  poëme  anglo-normand  sur  la  fauconnerie  que 
renferme  le  ms.  Harleien  978  (xiv^  siècle)  cite  «  le  livre  al  bon  rei 
Ewdard  »,  qui  ne  paraît  pas  identique  au  Booke  of  hawkyng  after  prince 
Edwarde,  Kyng  of  Englande,  publié  dans  les  Reliquia  antiqu£  de  Wright 
et  Halliwell,  I,  293-308.  Il  est  notable  du  reste,  que  l'auteur  de  ce 
poème,  bien  qu'écrivant,  selon  toute  apparence,  sous  Edouard  I,  ou 
sous  Edouard  II,  parle  du  roi  Edouard  comme  d'un  personnage  du 
temps  passé.  La  question  est  d'autant  plus  compliquée  qu'on  a  attribué 
à  Alfred  le  Grand  aussi  un  traité  de  fauconnerie.  Voilà  donc  trois  rois 
d'Angleterre  qui  auraient  écrit  ou  fait  écrire  sur  cette  matière.  Comme 
le  poème  du  ms.  Harleien  offre  quelques  rapports  avec  le  traité  latin 
du  ms.  FF.  6.  1 3,  j'en  citerai  ici  le  début  : 

Bel  oncle  cher,  jo  le  sai  pur  veir  1  12  Dites  le  moi,  vostre  merci. 

[(fol.  1 16  r)  —  Mult  volenters  )ol  vus  dirrai, 

Ke  en  bon  oisel  ad  riche  avoir  ;  Ke  en  escrit  trové  en  ai 

Mes  mult  i   covient  mettre  grant  Si  cum  jo  lis  e  jo  l'esgard, 

4  E  bien  conuistre  lur  nature,  [cure  16  El  livere  al  bon  rei  Edward; 
Kar  nulne[s]puet,  si  il  neseit  mestre,         Kar  jadis  esteient  Engleis 
Bien  afFeiter,  porter  ne  pestre.  Mult  enseignez  e  mult  curteis, 

Pur  ceo  vodroie  jo  volenters  E  savoient  affeitement 

8  Aprendre  de  ces  ostrizers,  20  Plus  ke  ne  savoient  nule  gent, 
De  ceus  la  manere  e  les  murs  E  nomeement  des  oiseaus 

Ke  deivent  garder  les  osturs;  Ki  ourent  sovent  de  bons  e  beaus. 

E  si  ren  en  avez  oï,  Ore  vus  dirrai  volenters 


_i .  Ce  poème  est  écrit  à  lignes  pleines,  comme  de  la  prose.  Ce  n'est  peut-être 
qu'un  morceau  détaché,  à  en  juger  par  ce  début. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (FF.6.13)  279 

24  Queus  deivent  estre  ostrizers  :  Iço  vus  pus  jo  ben  retrere, 

Sobres  e  chastes,  sueve  gent,  Délivre  scient  de  autre  affere, 

Deivent  estre,  cum  |0  l'entent,  —  Ore  me  mustres  dune  purquei? 

E  si  eient  mult  duce  aleine;  52  —  Dirrai  le  vus  en  la  mei  fei, 

28  Délivre  seient  de  autre  peine.  Jo  vus  en  frai  ben  la  provance 

Il  y  a  entre  ces  derniers  vers  et  le  texte  latin  qu'on  va  lire  un  rapport 
évident.  Les  conditions  requises  pour  un  bon  fauconnier  sont  les  mêmes 
de  part  et  d'autre,  et  il  faut  que  le  français  soit  imité  du  latin  ou  que 
tous  deux  aient  une  source  commune  ' . 

1.— (Fol.  69  i'>)înciplt  liber  di  passionibus  falconum^  accipitrum^  austurorum, 
spcrvûriorum,  et  tjualiter  eos  curare  poteris,  et  qualiter  eos  nutrire  et  mudare  debeas  2. 

Oportet  eos  qui  falcones,  accipitres,  austuros  vel  spervarios  nutriunt  sobrios 
esse,  ne  per  ebrietatem  aut  crapulam  sue  cure  obliviscantur  ;  castos  ne  tactu 
meretricum  penne  scabie  vel  tineis  corrumpantur  ;  non  iracundos,  ne  irati  illos 
ledant;  non  fétide  anelitu,  ne  illorum  odio  ceteros  homines  fugiant,  et  illo  fetenti 
odore  reumatizati  fiant;  providos,  ne  ferre  5  illos  tempore  pluviôse  vel  ventoso, 
et  ne  in  firma  quam  mudam  vocant,  vel  diutius  morentur,  vel  citius  justo  extra- 
hantur,  et  ne  vincula  que  jacti  vocantur  ex  dure  et  inflexibili  corio  fiant,  ne 
macri  vel  pingues  fiant  plus  justo,  unde  amittant  voluntatem  volandi.  Septimo 
autem  die  ab  ortu  eos  denido  capies,  quo  die  jam  sensus  eorum  sunt  perfecti  et 
membra  eorum  in  malléole  paciuntur  plicari... 

2.  —  Médecine  des  faucons^,  autours  et  éperviers.  Ce  traité,  dont  je 
ne  connais  pas  d'autre  exemplaire,  offre  quelques  points  de  contact 
avec  le  précédent. 

(Fol.  73)  Médianes  verraies  de  garir  falcons  e  osturs  e  esperviers,  e  la  manière 
cornent  les  conustrez  e  cornent  les  afeilerez. 

Si  vostre  oisel  a  le  dos  rus  e  il  eit  grosse  maille  e  il  seit  mult  petit,  dune  est 
il  de  jeofne  eir,  e  s'il  est  gros  e  il  eit  le  des  bien  gris  ou  fauf,  donc  est  il  de  viel 
eir.  Si  vostre  oisel  ad  les  piez  blancs  e  les  oilz,  donc  est  il  nyès.  Ostur  ramage 
les  soit  aver  plus  blancs  ke  espervir  {sic),  mes  oysel  ramage  les  soit  aver  meins 
blancs;  girfalc  les  soit  aver  bien  jaunes,  e  tel  i  ad  vermeils.  Si  vostre  oysel  ad 
la  maille  russet,  dune  est  il  esclos  en  pumer  ou  en  aine  ou  en  espine.  Si  il  ad 
la  maille  blanche,  dune  est  il  esclos  en  bul  ou  en  trembler  ou  en  codre.   S'il  est 


1.  Les  mêmes  prescriptions  se  retrouvent  ailleurs  encore;  ainsi  dans  un 
traité  sur  les»  oiseaux  gentils  »  et  leurs  maladies  dont  on  a  plusieurs  copies  : 
«  cil  qui  garde  l'oisel  gentil  doit  estre  sobre,  qu'il  ne  s'enyvre  point,  car  yvresse 
«  est  mère  d'oubliance...  après  il  doibt  estre  débonnaire  et  souffrant,  car  ire 
«  engendre  blessure...  »  (Bibl.  nat.  fr.  24272,  fol.  135). 

2.  A  lignes  pleines;  à  partir  du  fol.  71  à  deux  colonnes. 

3.  Corr.  ferant  ou  suppl.  présumant.? 


28o  p.    MEYER 

canevaz,  c'est  ne  bien  russet  ne  bien  blanc,  donc  est  il  esclos  sur  cheinne. 
Sachiez  ke  oisel  nyès  ne  seit  nient  si  bien  prendre  l'un  oisel  cum  seit  le  ramage, 
mes  le  niés  soit  estre  plus  hardi,  e  ceo  avient  de  ceo  ke  l'en  les  get  de  surse. 

Si  vus  volez  en  deus  meins  vostre  oysel  muer,  pernez  un  serpent  ou  une 
coluvere  ou  ambedeus,  si  quisez  les  en  pot  plein  de  furment,  e  ovek  un  poc  de 
awe  corne  anguille.  Kant  il  erent  bien  quit  e  le  furment  ert  enbeveré  del  venim, 
donc  prendrez  deus  gelines,  si  les  pestrez  de  cel  forment,  e  si  ne  mangerunt  de 
nule  altre  chose.  Pur  ceo  les  lessez  en  une  cornière  par  elz  meimes  :  quant  eles 
averunt  la  meitié  mangée,  donc  eiez  aparillée  une  chaude  mue  ;  si  getez  vostre 
oysel  dedenz.  Donc  tuez  une  geline  des  deus,  si  pessez  vostre  oysel;  l'autre 
geline  pessez  del  remanant  del  furment,  tant  ke  vostre  geline  seit  mangée.  Après 
ceo  tuez  vostre  altre  geline,  si  en  pessez  vostre  oisel  ;  puis  si  le  pessez  de  bûche' 
e  de  menus  oiseals  e  de  maulle  chat.  Idunc  muera,  ke  devant  quinze  jurs  près 
sera  tut  nu.  E  si  vus  ne  poez  trover  serpent  necolevere,  pessez  lesoventde  luz: 
c'est  pesson  de  ewe  duce  ' . 

Fin  (fol.  jSb): 

Plumée  a  espervier  ou  a  muschet  ou  a  esmerillon  ou  a  hobel  de  la  teste  del 
oisel  devez  fere,  ou  de  la  pel  de  suriz  :  si  la  aturnez  en  meimes  la  manière;  mes 
n'i  avéra  ke  une  pelote. 

Je  ne  sais  si  le  traité  est  fini:  le  reste  de  la  colonne  est  blanc. 

3.  —  Traité  sur  l'art  de  dresser  les  oiseaux  chasseurs,  avec  un  pro- 
logue et  un  épilogue  en  vers  qui,  dans  le  ms.  sont  écrits  à  lignes  pleines, 
comme  de  la  prose. 

Dreit  e  reison  e  volenté    (/.  78  c)  8  Cum  l'en  le  devera  afeitier, 

Ferme  de  mon  einz  degré  2  Dès  que  il  seit  bien  entré 

Me  ad  le  cueor  suspris  E  de  oisel  prendre  bien  aleuré, 

4  A  dire  ceo  ke  jeo  ai  apris  E  puis  del  niés  vus  dirrai 

De  oisels  daunter  la  nature  12  E  del  rebuté  ceo  ke  jeo  en  sai, 

E  fere  entendanz  a  nureture.  Si  ke  chescun,  solum  sun  dreit. 

De  falcon  ramage  dirrai  premier  De  dreite  aprise  prenge  espleit. 


1.  Cf.  le  passage  ci-après  du  traité  latin  précédemment  indiqué:  (Fol.  69  v°) 
«  Ad  mutandum  volucrem.  Si  avis  in  muda  posituspennas  non  deposuerit,  accipe 
«  colubrem  varium  vel  serpentem,  vel  utrumque,  et  cum  frumento  in  aqua 
«  cocto  decoque  ;  quo  bene  cocto  et  jure  projecto,  tritico  illo  ac  jure  pullos  gal- 
«  line  vel  columbarum  assidue  refice.  Quorum  carnibus  si  avis  usus  fuerit,  et 
"  pennas  suificienter  deponet,  et  si  quis  morbus  interius  fuerit,  omnino  discedet  ». 
Cette  manière  de  muer  les  oiseaux  est  indiquée  ailleurs  encore,  voir  par  ex.  The 
Booke  0}  hawk)ng  ajtcr  prince  Edward  kyng  of  Englande^  dans  Wright  et  Halli- 
well,  ReUquut  anùquiV^  I,  307,  et  Daude  dePrades,  v.  ^ô^etsuiv. 

2.  a  De  mon  propre  gré  »,  plus  loin  ein  degré;  voir  pour  d'autres  ex., 
tous  anglp-normands.  Godefroy,  sous  ayrtdegré  et  eindtgré.  C'est  une  locution 
hybride  dont  le  premier  terme  est  l'anc.  angl.  dzen,  dwen,  angl.  mod.  own. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS   DE    CAMBRIDGE   (FF.6.I3)  28 1 

Après  vus  dirrai,  si  Deus  l'otrie.  Dunt  vus  dirrai  de  alleggaunce 

16  Des  griefs  e  de  iur  maladie  E  de  médecine  pure 

Kesoventescheientparmescheance,       20  De  tuz  curer  solum  nature. 

Primes  covendra  debonerement  le  falcon  manier  e  ciller',  e  puis  mettre  les 
gez  e  recoper  li  les  ungles  e  le  bek  un  petit,  ke  il  en  serra  le  meillur  a  manier, 
e  puis  mettre  li  le  chaperon  pur  user  ke  il  le  veolle,  e  puis  le  devez  debonere- 
ment manière  daunter  dedenz  meison,  desque  il  seit  asigé  saunz  départir  del 
poin,  e  ke  perche  ne  conuisse  desque  il  seit  luré.  Petit  e  petit  li  donez  a 
a  manger  jeske  a  mie  gorge  al  plus,  issi  ke  quant  il  eyme  mielz  a  manger  li 
tolez,  kar  comencera  d'enamer  sun  mestre. . . 

Fin  (fol.  81  al: 

Pur  oster  la  pelote  de  la  mule,  abatez  le  oisel  e  le  turnez  envers  e  le  lavez  de 
ewe  chaude  endreit  la  mule.  Puis  fendez  la  pel,  ke  vus  pussez  buter  vos  deus 
deis  e  la  mule  autresi,  e  vus  troverez  quatre  pels  ;  e  sakez  hors  ceo  ke  vus  tro- 
verezen  la  mule,  pnis  lavez  la  mule  (b)  un  poi  de  ewe  chaude.  Puis  récusez 
la  mule  e  chescune  pel  par  sei  de  un  fil  de  seie  délié. 

Sauve  la  sentence  e  la  fei  Ke  cest  enprenge  par  folie, 

De  celi  ke  plus  en  seit  de  mei,  Dunt  jeo  me  avante  de  saver. 

Dit  vous  ai  mon  avis  16  Pur  loaunge  ou  pris  aver, 
4  Si  cum  le  conuis  e  ai  apris.  Ou  ke  de  mei  face  clamer  mestrie, 

Par  orguil  e  sorquiderie, 
Al  finement  de  mon  dite  De  greinnur  sen  ke  il  n'i  ad  : 

Ke  fet  ai  de  mon  ein  degré,  20  Ki  cest  prêche,  si  peccherad. 
Saluz  a  tuz  mes  amis  Mes,  si  plus  averoiede  bien  retenu 

8  Pur  ki  m'en  sui  entremis  Ke  autre  de  mei  k'en  eust  meins 

De  cest  treitiz  en  escrit  fermer,  [veu, 

Les  uns  pur  aprendre,  les  autres  De  franc  queor  dirroie  mon  avis 

[pur  remembrer;  24  Cum  de  mon  mestre  l'averoie  apris, 
Kar  cels  ke  en  seivent  si   remem-  Kar  la  seinte  Escripture  dit, 

[brunt  Ke  parolt  par  le  seint  Esperit  : 

12  E  les  autres  aprendre  porrunt.  «  Cil  n'est  pas  en  Dieu  bien  are 

Mar  nul  en  pense  ke  nul  en  die  28  «  Ki  ne  seime  k'il  ad  seié  2  ». 

FF.  6.  1  s.  —  Miracle  opéré  par  la  vertu  d'un  trentel. 
Ce  ms.  contient  un  grand  nombre  de  morceaux  latins  dont  on  trouvera 


1.  Il  s'agit  d'une  opération  appelée  en  latin  du  moyen  âge  aliatio,  qui  con- 
sistait à  priver  temporairement  l'oiseau  de  la  vue  en  lui  cousant  les  paupières. 
Elle  est  minutieusement  décrite  dans  le  traité  de  Frédéric  II,  de  arlevcnandi  cum 
avibus,  1.  Il,  ch.  xxxvii. 

2.  Il  faut  sans  doute  corriger  A.';  ne  seic  k'il  ad  semé;  Cf.  Matth.  XXV,  26 
«  quia  meto  ubi  non  semino  d  ,  et  Luc .  xix,  2  2 . 


282  p.    MEYER 

le  détail  dans  le  catalogue.  A  la  fin  est  transcrite  la  pièce  dont  le  texte 
suit.  L'écriture  est  de  la  seconde  moitié  duxiV  siècle.  C'est  le  récit  d'un 
miracle  destiné  à  montrer  combien  grande  est  l'efficacité  du  genre  de 
service  religieux  qu'on  appelait  trentel  au  moyen  âge  '  et  dont  la  définition 
est  donnée  dans  le  récit  même.  Il  s'agit  d'une  femme  qui  à  l'insu  de  tous 
avait  tué  successivement  deux  enfants  illégitimes  auxquels  elle  avait  donné 
le  jour.  C'était  la  mère  d'un  pape  qui  n'est  pas  nommé.  Après  sa  mort, 
elle  apparut  sous  un  aspect  hideux  à  son  fils,  et  lui  avoua  la  cause  des 
souffrances  qu'elle  endurait,  lui  faisant  savoir  en  même  temps  que  s'il 
disait  pour  elle  un  îrentel  elle  serait  délivrée.  Le  pape  y  consentit,  et  en 
effet,  un  an  après  sa  mère  lui  apparut  de  nouveau  rayonnante  de  beauté 
à  ce  point  qu'il  la  prit  pour  la  reine  des  cieux.  Elle  lui  apprend  que  Dieu 
l'a  délivrée  par  la  vertu  du  trentel,  et  qu'ainsi  fera-t-il  de  tous  ceux  pour 
l'âme  de  qui  on  fera  le  même  service. 

Il  est  bien  vraisemblable  que  cette  légende  intéressée  se  retrouve  ail- 
leurs, sous  la  même  forme  ou  sous  une  autre.  Je  rappelle  qu'il  y  a  parmi 
les  fables  d'Eude  de  Cheriton  un  autre  conte  destiné  à  faire  connaître 
les  vertus  du  trentel^. 

(Fol.  249  v°)  Une  apostol  fu  ja  qi  eut  une  mère  qe  mult  fu  tenu  prode 
femme  de  tote  gens.  Avint  si  qe  par  mésaventure  la  dame  enceinta  privement, 
qe  nul  homme  ne  sout,  e  enfanta  a  son  terme  ;  e  par  doute  de  son  fllz  e  de  pople, 
quida  celer  son  enfant  e  son  meffet,  e  murdri  son  enfant  ;  aiters  fiez  avint  aultresi. 
Li  apostel  e  tuz  ceous  qi  la  conisseint  la  tindrent  chère  pur  les  granz  biens  que 
quidoint  en  luy.  Avint  issi  qe  la  dame  enmaladit  e  morut,  e  son  fiiz  e  tuz  les 
aultrez  furent  en  bone  espeire  de  luy.  Après  iceo,  si  cum  li  apostol  garda  derer 
soi,  si  vit  la  plus  trelede  3  créature  que  hum  puist  regarder,  e  dit  :  «  Créature, 
«  jeo  te  conjure  de  par  Diex  qe  vous  me  diez  qe  vous  estez.  »  La  chaitif  dolent 
respundi  e  (fol.  250)  dit:  «  Cher  duz  filz,  jeo  su  vostre  mère  ».  Li  apostol  si 
merveilla  e  dit  :  t  Ja  quidoms  nous  que  vous  fuissez  mult  prude  femme,  e  que 
«  vous  fussez  en  grant  joie  »,  E  celé  luy  conta  quele  vie  el  out  démené,  e  pur 
ceo  suffri  si  grant  paine  cum  aime  put  suflfrer,  e  fu  en  si  grant  ardure  que  la 
flamme  luy  issi  a  touz  senz  d'enz.  E  son  filz  en  out  mult  grant  pité  e  luy  de- 
mande si  l'em  luy  puist  aider.  E  ele  dit  qe  si  l'em  feït  dire  pur  lui  un  trentel, 
que  serrait  deliveré  de  peine.  Ceo  est  le  trentel:  treis  messez  de  l'Anunciacione 
Nostre  Dame,  .iij.  de  la  Nativité  Nostre  Seignur;  .iij.  de  l'Aparicione  de  luy, 
.iij.  delà  Purificacion  Nostre  Dame,  .iij.  de  la  Résurrection;  .iij.  de  l'Ascen- 
sion, .iij.  de  la  Pentecoste,  .iij.  de  la  Trinité,  .iij.  de  l'Assumpcion  Nostre 
Dame,  .iij.  de  la  Nativité  Nostre  Dame.  Touz  ceoz  messes  serront  dites  dedenz 


1.  Voy.  du  Cange,  trentale. 

2.  Romania,  XIV.  395-6. 
5  izz  très  lede. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    IFF.6.I5I  28? 

les  uteves  des  avant  ditez  festez  en  même  la   manière  que  eles  sunt  dites  les 

lourez Li  apostol  dit  qe  voluntres  le  freit,  elacomanda  qe  ele  se  mustrat  a 

luy  a  ceo  joure  en  un  an^  e  ceo  jour...  '  e  fu  si  qe  ii  apostol  chanta  messe. 
Estez  vous  une  si  grant  clareté  vint,  cum  si  tut  le  munde  fut  alumé.  Li  apostol 
fut  a  bai  5,  si  regarda  e  vit  deuz  angeles  descendre  e  amener  entre  euz  la  plus 
bêle  créature  de  dame  que  unkes  fut  veu.  Des  orez  li  apostol  {v°)  quida  que  ceo 
fu  la  damede  cel,  e  la  chaï  a  pez  e  dit:  «  Duz  dame,  raine  de  cel  e  de  terre, 
«  jeo  vus  cri  merci  pur  l'amur  vostre  duz  filz.  »  E  ele  respondi  :  «  Bieu  duz 
"  filz,  ceo  su  jco  vostre  mère.  Beueite  soit  le  hore  qe  vous  nasquistes  !  qe  de  tele 
«  cum  vous  me  veïstez  aultre  fiz  me  a  Diex,  par  vous  massez,  deliveré  de  ma 
«  paine.  E  si  fra  tous  ceous  pur  qi  l'em  les  chantera  en  la  manere  que  vous  les 
«  avez  fêtes,  e  serront  deliverez  de  périls  e  de  péchez.  »  E  tant  tôt  envanit  des 
veu  od  les  angeles  qi  la  menèrent. 

GG    I .   I .  —  Recueil  varié. 

Ce  livre  esta  lui  seul  toute  une  bibliothèque,  et  il  serait  impossible  de 
lui  trouver  un  titre  quelque  peu  précis.  C'est,  eu  égard  à  son  format,  l'un 
des  plus  gros  manuscrits  que  j'aie  vus.  Il  n'a  pas  plus  de  2 1 7"""  de  hau- 
teur sur  142  de  largeur,  mais  il  compte  encore  dans  son  état  actuel 
633  feuillets,  bien  qu'incomplet.  Selon  une  collation  dont  Bradshaw  a  in- 
diqué le  détail  sur  un  des  plats  de  la  reliure,  il  a  perdu  neuf  feuillets. 
Cà  et  là  (fF.  113,  12$,  164,  204,244,  324,  345,  584,  392,  etc.)  on 
trouve  des  traces  d'une  pagination  du  xvi*  siècle  qui  semble  avoir  été  exé- 
cutée avec  négligence  et  d'où  on  ne  peut  rien  conclure  quant  à  l'état 
ancien  du  ms.  Les  pages,  le  plus  souvent  à  deux  colonnes,  ont  de  37  à 
40  lignes  par  colonne  5 .  L'écriture  est  des  premières  années  du  xi V^  siècle, 
postérieure  toutefois  à  1307,  puisqu'il  y  a  une  pièce  sur  la  mort  d'E- 
douard L  Le  copiste  était  peu  instruit.  Il  a  fait  beaucoup  de  fautes  dont 
plusieurs  montrent  qu'il  lisait  mal  son  original. 

Nous  n'avons  aucun  moyen  de  .savoir  pour  qui  fut  exécuté  ce  pré- 
cieux livre,  où  plusieurs  écrits  d'origine  française  sont  joints  à  des  com- 
positions anglo-normandes.  Tout  ce  que  je  puis  dire,  c'est  qu'il  a  fait 
partie  de  la  collection  de  l'évêque  J.  Moore,et  que  le  contenu  en  est  som- 
mairement indiqué  sous  le  n°  272  de  l'inventaire  publié  dans  les  Cata- 
logi  àe  Bernard.  Sur  le  premier  feuillet  de  garde,  on  lit  ces  mots  écrits 
au  xvii=  siècle  «  Bought  of  Mr.  Washington.  »  Les  feuillets  1  à  5, 
peut-être  déplacés,  contiennent  la  table  de  la  Lumière  as  lais,  ci-après 
article  3.  Le  feuillet  6  r"  est  occupé  par  une  table  sommaire  et  assez  peu 


1.  Ici  un  mot  que  je  n'ai  pu  lire. 

2.  Ou  aba'i  (  _r  esbjï)  '' 

3.  Sauf  à  l'art.   15  jGautier  de  Biblesworth)  où  les  lignes  sont  espacées  pour 
recevoir  les  gloses  anglaises. 


284  P-    MEYER 

exacte  de  tout  le  manuscrit,  sous  cette  rubrique  :  En  iceste   livre  con- 
tienent  tauntz  de  romaunces  cum  ci  après  sant  notez  et  escritz. 

Une  particularité  notable  de  ce  livre  est  que  le  copiste,  s'étant  attaché 
à  commencer  en  belle  page,  ou  au  moins  au  haut  d'une  colonne,  la  plu- 
part des  ouvrages  de  quelque  importance,  n'a  pas  voulu  laisser  de  blancs 
à  la  suite  des  ouvrages  qui  ne  finissaient  pas  au  bas  d'une  colonne.  Il  a 
rempli  les  espaces  vides  en  y  copiant  de  courts  morceaux  latins  ou  fran- 
çais qui  ne  recevront  pas  de  numéros  dans  la  description  qui  suit. 

1.—  Urbain  le  Courtois.—  Il  existe  à  ma  connaissance  cinq  copies 
de  ce  traité  de  civilité '.  Elles  présentent  des  différences  très  considé- 
rables. Celle-ci  a  784  vers.  Je  me  bornerai  à  transcrire  les  premiers  et  les 
derniers,  réservant  pour  une  autre  occasion  la  publication  du  texte  com- 
plet, qui,  accompagné  des  observations  que  le  sujet  comporte,  occupe- 
rait ici  trop  d'espace. 

Ici  comence  Urbanc   curteise  (Fol.  6  b) 

Une  sage  home  de  graunt  valeur 

Ki  jadis  vesquist  en  honur, 

Urbane  estait  il  apeié, 
4  Ki  en  sun  tens  fust  amé, 

De  sun  fiz  ceo  purpensa 

E  de  son  bon  senji  demustra, 

E  dist:  «  Chier  fiz,  ore  escotez, 
8  Si  jeo  di  bien  le  entendez. .. 

Fin  (fol.  7  c): 

Tant  cum  la  bours  peut  durer, 
Amurde  femme  poez  aver; 
E  quant  la  bourse  si  est  close, 
De  femme  avérez  une  glose. 
De  ceo  soiez  bien  garni, 
Chier  fiz,  jeo  vous  prie. 
Plus  ore  a  vous  ne  dirrai. 
Mes  a  Dieu  vous  commanderai. 
Explicit. 

2.—  Petit  recueil  de  sentences  rimées  diposées  en  forme  de  quatrains 
ou  de  distiques,  La  première  a  cinq  vers, mais  on  la  trouve  ailleurs 
réduite  à  quatre.  Je  ne  sais  que  penser  de  «  la  dame  de  Halop  »  à  qui 
est  attribué  un  proverbe,  d'ailleurs  bien  connu.  Est-ce  Salop  (Shropshire)  -' 

'^ZïïL± 

I.  Voy.  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes  français^  1880,  p.  75. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE  (GG .  I  .  I  )  285 

1  Ki  de  fellouniet  Sun  porter  [j.'jc)  4  Celle  vie  est  mauveis 

E  de  eschars  soun  despenser  La  ou  home  dit  en  la  fin:  Alas  ! 

E  de  traitour  soun  conseiller  Foie  est  qui  sist  en  i'estate 

E  de  folle  femme  sa  mullier(/.  7  d)  Ou  il  ne  ose  morrir  pas. 
Il  ne  morra  ja  sanz  encumbrer  ' . 

5  Quant  large  doune  largement 

2  Ki  maie  custume  lèvera  Vileins  est  qi  trop  en  prent, 

Il  ne  l'abatera  2  quant  il  vodra.  Car  largesse  fet  a  touz  entendre 

Qe  surfet  est  de  trop  prendre. 
2  Foie  5  est  qui  foie  boute, 

E  plus  est  foie  qi  fol  ne  doute  ;  6  Ceo  dit  la  dame  de  Halop  : 

Fol  est  qi  foie  tarie,  Mult  miez  vaut  assez  qe  trop  $. 

E  plus  est  foie  qi  foie  marie. 

7  Qi  mestres  est  de  soun  délit 

j  Sage  hom  deit  félon  4  cremir,  Bien  est  reison  qe  s'en  joyt. 

E  sot  félon  deit  hom  haïr; 

Sot  deboner  déporter,  8  Launge  qe  ja  ne  retreit 

E  sage  deboner  bien  amer.  Del  Dieu  bouche  seit  maleit. 

3. —  Raùf  de  Lenham,  Comput. —  J'ai  donné  jadis,  dans  mon  rapport 
sur  les  mss.  de  Glasgow,  une  notice  de  ce  poème,  avec  extraits  ' .  Je 
n'en  connaissais  point  alors  d'autre  ms.  que  celui-même  que  j'avais  trouvé 
au  Musée  Hunterien,  Depuis,  j'ai  rencontré  le  même  traité  non-seule- 
ment dans  le  ms  de  Cambridge  que  je  décris,  mais  encore  dans  le  ms. 
399  de  la  Bodléienne^,  qui  paraît  du  temps  d'Edouard  I  environ.  Je 
donne  les  variantes  de  ce  ms.  au  bas  de  la  leçon  du  ms.  de  Cambridge. 
—  Une  quatrième  copie  se  trouvait  dans  le  ms.  Cotton  Vitellius  D  III, 
qui  fut  presque  entièrement  détruit  dans  l'incendie  de  1731.  Les  débris 
qui  en  subsistent  ont  été  consolidés  autant  que  possible  et  mis  en  ordre 
par  l'administration  du  Musée  Britannique,  et  j'aurai  prochainement 
l'occasion  de  dire  ce  qu'on  y  peut  encore  trouver,  mais  les  feuilets  où 
était  écrit  le  comput  sont  détruits  et  on  ignorerait  qu'ils  ont  existé,  sans 
la  mention  du  catalogue  de  Th.  Smith  (1696),  p.  90. 


I .  La  même  série,  moins  le  second  vers,  est  rapportée  d'après  un  recueil  ms.  du 
xiii"  5.  par  Le  Roux  de  L:ncy,  Livre  des  Proverbes,  II.  388.—  2.  A/5,  la  bâtera. 
Ces  coupes  vicieuses  sont  tr'cs  fréquentes  dans  ce  ms.  Désormais  je  m'abstiendrai 
de  les  noter.  —  3  Pour  fol,  comme  plus  loin.  —  4  Corr.  Sage  félon  deit  hom. 
Ces  quatre  vers  forment  le  seizième  des  quatrains  moraux  publiés  en  appendice  à 
L'Hôtel  de  Cluny  au  moyen  âge,  de  Madame  de  Saint-Surin,  p.  109  {Paris, 
Techener,  1835,  in-S). 5  Prov.  connu,  voy.  Le  Roux  de  Lmcy,  II,  346. 

1.  Archives  des  Missions,  2'^  série,  IV,  154^^  '60- _i  (tiré  à  part,  pp.  121  et 
127-31). 

2.  Ancien  D  10;  dans  les  Catalogi  de  Bernard,  n"  d'ordre  2230. 


286  P-    MEYER 

Les  morceaux  que  je  vais  rapporter  sont  au  nombre  de  ceux  que  j'ai 
publiés  d'après  le  ms.  de  Glasgow.  Delà  sorte  il  sera  facile  de  se  rendre 
compte  du  rapport  des  trois  copies.  On  constatera  sans  peine  que  les 
mss.  de  Glasgow  et  d'Oxford  sont  apparentés  de  très  près. 


De  geste  ne  voil  pas  chaunter,  (/.  8) 
Ne  veilles  estories  cunter 
Ne  la  vailance  as  chevalers 
4  Ke  jadis  estoient  si  fiers. 

Mun  sen,  ce  crem,  pas  nel  save- 
Lur  vaiur  escrivre  a  droit,    [roit 
Dedirepoi  crendrai  mult. 
8  D'autre  part  ausi  redut 
Ke  taunt  preisasse  lur  vaiur 
Ke  tenu  fuisse  a  mentur  ; 
Ke  mut  i  a  cuntes  e  fables 

12  Ke  ne  sunt  pas  véritables. 
Pur  ceo  tels  chose  vous  dirai 
Dunt  verit[é]  vous  musterai, 
E  proverai  de  mun  dite 

i6  Par  resun  la  vérité. 
De  estudier  en  ceo  labur 
Bien  su  tenu,  kar  mun  seignur, 
Par  ki  amur  cest  ouvre  pris, 

20  Comandé  me  avoit  e  requis 
De  aprendre  lui  e  enseigner 
En  romance  l'art  de  kalender. 
C'est  l'acheson,  autre  n'en  ai, 

24  Ke  cost  (sic)  dite  comensai, 
Mes  nepurgant  (su)  le  lai  gent 
Asenser  purrai  bien  sovent. 
Ki  ke  les  resons  savera 

28  Entendre,  kar  meint  tel  i  a 
Ke  lunkes  muser  i  porreit 
E  ja  plus  sages  ne  serreit. 
Jeo  di  tel  de  la  lai  gent 


32  Ke  sunt  de  feble  entendement. 
Pur  ceo  di  :  Ça  entendez 
Vous  ke  saver  le  voilez 
Les  resons  de  cest  art 

36  Ou  poi  en  ert  la  vostre  part,  (b) 
Kar  une  petite  reson 
En  sun  livret  nous  dit  Catun: 
«  Li  mestres  en  vein  la  lesson  lit 

40  «   Dunt  cesdisciples'unt  en  despit, 
«  E  le  cunte  est  pur  rien  cunté 
e   Kant  de  nul  est  escuté.  » 
Pur  ceo  pensez  del  escoter 
Kar   mut  araine    (sic)    en   vain 


44 


[counte[r] 

A  Roume,  al  tens  auncienur, 
Esteient  clers  de  graunt  vaiur 


Jeo  ki  ceste  petit  treté    (/.  14  a) 
48  De  latin  vous  ai  translaté 

Rauf  de  Linham  ai  a  nun  ; 

Ne  voil  que  nul  hom  si  mei  non 

De  ceste  ovre  nul  blame  eit, 
52  Si  rien  par  aventure  i  seit, 

Mesdit,  mesfait  u  mesasis. 

Pur  ceo  vus  ai  mun  nun  apris  ; 

Ore  escutez  dune  avaunt 
56  Kar  ne  larrai  pas  ataunt 

Ke  mun  purpos  ne  pardie, 

Sen  l'en  teng  ou  folie. 


Variantes  du  ms.  Bodiey  399  {fol.  96-104).  Rubr.  Art  de  Kalender  par  Raùf 
de...  {mot  gratté)  romanncé  {sic)  e  ceo  pur  simpli  {sic)  gent  lettré. —  5  la  omis. 
—  5  p.  ne  s.  —  7  descrivere.  —  7  crendreie.  —  8  Ed'a.  —  1 1  Kar  m.  — 
1 3  c.  de  tele  ch.  d.  —  17  cest  1.  —  18  kant  m.  —  19  Pur  ki...  enpris.  — 
22  romanz.  —  23  Ceo  est  l'a.  altre  n'ai.  —  53  P.  c.  vus  di.  —  34  saver 
desirez.  —  37  Les  brèves  r,  —41  pur  nent.  —  42  Ki  de  nul  n'est.  —  44  m. 
harraie.  —  47  Ore  qui  cest.  —  49  Raù.  —  50  nus,  —  58  Sen  le  teingnez. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS 


Seignurs    une   rien    vous  di(e)  : 
[(/.  16  ^) 

60  Si  ceste  dite  ke  avez  oï'e) 
A  clers  nesuffist  pas  assez, 
De  ceo  ne  vous  enmerveilliez, 
Kar  pur  eus  nel  fis  jeo  mie 

64  Ki  entendent  graunt  clergie, 
Mes  ceo  romanz  a  lai  gent 
Assez  suifist  plenerement, 
E  lur  aprent  del  kaiender 

68  Quancques  as  lais  serra  niester; 
Kar  cil  ne  poent  tantost 
Augrime  saver  ne  compost, 
E  pur  mun  seigneur  enveer 

72  Ke  tant  me  deigna  a  preer 
Ke  cest  art  saver  voleit; 
Kar  par  latin  ne  entendreit, 
Kar  il  ne  esteit  for  poi  lectré  ; 

76  E  pur  ceo  en  romauns  l'ai  traité. 
E  taunt  des  auns  i  aveit  tenu 


DE    CAMBRIDGE    (CG.  1  .  l)  287 

De  l'incarnation  Jhesu 

Mil  e  deuz  cenz  e  cinkaunte  sis, 

80  Ke  jeo  Rauf  ceste  traité  fis. 
E,  seignurs,  si  vous  desp[l]eit 
De  ceo  k'en  ceo  dite  est  fait, 
Pur  Deu  pensez  del  amender, 

84  Si  mieuz  le  savez  adrescer. 
Pur  ceo,  si  cum  dient  la  gent, 
Un  sage  aukune  fiez  mcsprent; 
Dunt  n'est  ce  pas  merveille  grant. 

88  Si  sil  mesfestk'est  meins  sachant. 
Si  riens  i  troverez  de  profit, 
Dunt  solas  vous  vieiige  ou  délit, 
Taunt  me  facez  de  guerdon 

92  Jhesu  priez  pur  sun  noun,        (c) 
Pur  la  vertu  de  sun  poer 
Graunter  me  voile  ceste  loer 
Ke  a  tuz  bons  serra  commun  ; 
Amen,  amen  die  checun! 

Explicil  de  compotu  secundum 
Radulphum  de  Lynham. 


Le  reste  du  feuillet  i6  v"  est  occupé  par  trois  courts  morceaux  latins  ; 
De  bapîismaîe.  De  utiliîaîe  visionis  corporis  Christi.  Utiliîates  missa. 

4.  —  Pierre  de  Peckham,  La  Lumière  as  Lais.—  Dans  ma  notice  sur 
les  mss.  de  Saint  John's  Collège  j'ai  présenté  sur  ce  long  poème  quelques 
observations  et  j'ai  dressé  la  liste  des  exemplaires  qu'on  en  possède  '. 


61  As  c.    —   69  ne   pount  pas.  —  70  Angrim   s.   e.  c,    (algorisme).   — 
71  s.  aueer. —  73  Kar  c.  —  74  E  pas  le  I.  ne  entendeit. —  76  I'  omis. —  77  de 


Î2  De  c.  ke  est  en  cest 
pur  g.  — 92  Ke  pars. 


anz.  —  80  Raû  cest.  —  81  si  ren  vus  desplet. — 
dite  fet.  —  86  meinte  feiz.  —  88  Si  cil  fest  ki  est.  —  91 
—  Explicit  :  Finy  est  le  art  de  Kaiender.  Suivent  ces  vers  : 

Pus  ke  Deu  créa  cest  mond 

Cinc  mil  anz  aie  s'en  sunt, 

E  dous  cenz.  un  seul  adiré, 

Deske  nasquit  nostre  Sire; 

Ajustez  les  anz  Ihesu 

Duncert  li  numbres  tut  seù. 

Pus  ke  Deu  devint  homme, 

Mil  .ccc.  anz  est  la  summe. 
I.  Romania,  VIII,  525.  J'ai  signalé,  p.  326,  dans  le  catalogue  de  la  vente  De 
Coussemaker  (18771  un  ms.  de  la  Lumière  as  lais  dont  le  sort  m'était  inconnu.  Je 
sais  maintenant  que  ce  livre  a  étéacquis  par  la  Bibliothèque  royale  de  Belgique, 
où  il  est  coté  B  282  . 


288  p.    MEYER 

J'ajouterai  présentement  que  la  Lumière  as  lais  n'est  probablement  pas  le 
seul  ouvrage  de  Pierre  de  Peckham.  On  connaît  depuis  longtemps  une 
ancienne  imitation  en  vers  du  Secret  des  secrets  Aristote  dont  l'auteur  se 
nomme  Pierre  d'Abernun'.  Or  ce  Pierre  déclare,  à  la  fin  de  son  poème, 
qu'il  a  composé  un  autre  ouvrage  qui  est  précisément  intitulé  la  Lumière 
as  lais.  Voici  le  passage,  qui  a  déjà  été  cité  par  l'abbé  de  La  Rue  [Essais 
sur  les  bardes,  etc.,  H,  365): 

En  un  livre  que  fez  ai  jad 

De  caste  matière  traité  ad. 

E  mult  choses,  sachiez,  sanz  fables, 

K'a  aime  d'hom  sunt  profitables; 

Le  livre,  en  vérité  sachiez, 

La  lumière  as  lais  est  nomez, 

Pur  ceo  n'en  voil  plus  traiter. 

(Bibl.  nat.  fr.  25407  fol.  196). 
Il  me  paraît  infiniment  probable  que  «  Pierre  d'Abernun  «  ou  «  estrait 
de  ces  d'Abernun  »  et  notre  Pierre  de  Peckham  sont  un  seul  et  même 
personnage,  qui  vivait  probablement  au  milieu  du  xiii''  siècle. 

Le  texte  du  ms.  Gg  est  meilleur  que  celui  S.  John's;  il  renferme  ce- 


pendant des  fautes  dont  on  trouvera 
extraits  que  j'ai  publiés  de  ce  dernier. 
Ceo  est  le  oreisoun  mestre  Pères  de  Pec- 
chamt  auctour  de  ceste  livre,  (f.  17). 
Oracio 
Verrai  Dieu  omnipotent 
Ki  estes  fin  e  commencement 
De  toutes  les  choses   k'en  siècle 
[sunt, 
4  E  k'avaunt  furent  e  après  serrunt, 
Ke  criastes  al  commencement 
Ciel  e  tere  e  angels  de  nient 
Avaunt  ke  tens  fust  u  movement 
8  Del  solail  u  de  firmament, 
K'al  primer  jour  lumer  feistes 
E  la  nuit  del  jour  departistes  ; 
Le    firmament    feïstes    le    jour 
[secunde 
12  Entre  les  ev/es  que  sunt  el  munde; 
Le  tierz  jour  l'ewe  departistes 
De  la  terre  ke  descouveristes 


souvent  la   correction   dans  les 

Del  ewe  que  avaunt  fu  tote  co- 
[verte, 

16  Issi  ke  ele  apareit  tute  aperte; 
La  terre  commaundastes  a  germir, 
Arbres  porter  fruit  e  flurir; 
Les  ewes  en  un  liu  comaundastez 

20  Assembler,  e  mers  lesappellastez; 
Le  ciel  aornastez  le  quarte  jour, 
Si  com  aferment  li  seint  plusur, 
De  solail  et  de  lune  ensement 

24  E  des  esteiles  au  firmament  ; 
Le  quinte  jour  les  ewes  e  l'eir 
Ahurnastes,  ceo  crei  de  veir, 
L'eir  [d']oyseaus,  e  de  pessuns 

28  Les  ewes,  cum  en  escrit  truvums; 

Le  sime  jour  la  terre  ahurnastes 

D'aumaile  e  de  bestes  ke  com- 

[mandastes 

De  tute  manière  que  fust  repienie, 


Mais  ore  priez,  pur  Deu  amur, 
En  ceste  tin  pur  le  translatur 


De  cest  livre,  ke  Piere  ad  nun, 
K'e  treit  est  de  ces  de  Abernun. 
(Bibl.  nat.  fr.  25  407,  fol.  196.) 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE 


32  K.e  home  après  en  eust  aïe 

Après  SUR  pecché,  kar,  n'est  pas 

[gas;  {b) 

Bien  saviez,  sire,  de  sun  trespas, 

Ke   vostre    commandement    en- 

[freindreit 

36  E  ke  purceo  parais  perdreit; 
Dunt  après  aveit  grant  mester 
D'aumaile,  de  meuz  sei  guverner; 
Mes  totes  bestes  ne  furent  pas  : 

40  En  sa  poesté  pur  sun  trespas: 
Ceo  poùm  nous  bien  aparcever 
Ke  pas  ne  sunt  a  nostre  poer; 
Meime  cel  jour,  a  tun  pleisir, 

44  Pur  vostre  overaigne  acomplir, 
Feistes  humme  après  ta  figure 
Corne  sire  de  tote  créature; 
Après  ta  ymage  e  ta  semblance, 

48  Les  feistes,  sire,  n'est  pas  dutance  ; 
En  dreit  del  aime  que  nient  cri- 
[astes, 
Le  cors  de  la  terre  formastes 
En  le  champe  Damacene  numé, 

52  Si  cum  est  en  Escripture  truvé; 
Puis  en  parais  terrestre 
Les  meistes  pur  garder  cel  estre 
Ke  de  délices  fu  repleniz, 

56  Si  cum  nous  truvum  en  escriz. 
Sire,  entre  les  arbres  ke  i  plantas- 
Deus  en  un  liu  i  ordenastes  :  [tes 
L'un  arbre  fu  appelé 

60  Le  fust  de  vie,  kar  ki  mangié 
En  eust  del  frut  ke  portereit 
A  tuz  jours  sanz  murrir  vivereit; 
L'autre  fust,  de  mal  e  bien 

64  Saver,  et  sur  tote  rien 

Fin  ifoL  111  a]  : 

Mes  ore  vous  prie  a  chief  de  tur 

Qe  vous,  pur  amur  Nostre  Seignur, 

Qe  ceste  romance  oï  avez, 

Pur  Pères  qu'en  ad  travaillez 

Prient,  qe  Dieu  pust  bien  servir 

Issi  qea  sa  joie  pust  venir. 

E    quancqe   orunt   volunters    cest 

[romanz. 

Romama,  XV. 


CAMBRIDGE    (GG.  I  .  l)  289 

Vertu,  dunt  bien  s'aparçut 
Adam  quant  manga  del  frut. 
Ne  mie  purceo  bien  savoit  avant 
68  Ke  bien  e  mal  fu,  nepurquant 
N'aveit  nule  maie  esp[r]uvé 
Geske  tant  k'od  del  frut   mangé. 
Sire,  donc  après,  quant  aviez  mis 
72  Adam  pur  garder  cel  purpris,   \{c) 
Si  !i  commandastes  que  ne  man- 
[gast  rien 
Del  fust  de  saver  mal  e  bien  ; 
Si  li  déistes:    «   Quel   hure   que 
[mangiez, 
76  «    De    mort    sachez    que     vous 
[morrez.  » 
Puis  veistez  bien  quesolas  li  fust 
K'aucune  compainie  en  eust: 
Dormir  le  feistes  par  ta  poesté 
80  E  une  femme  de  sun  costé, 
De  une  des  costes  numement, 
Od  l'os  e  la  char  ensement  ; 
E  puis  quant  Adam  l'avisa 
84  Sei  joist  e  prophetiza  : 

1  Iceste  char  est  de  ma  char, 
1  E  os  de  l'os,  n'est  pas  eschar. 
«  Pur  ceo  père  e  mère  lerra 
88  «   Humme,  e  a  sa  femme  erdra.  » 
En  iteu  maner  fu,  sanzfaile, 
En  parais  trové  esposaiie  ; 
Si  signefia  l'incarnation, 
92  Si  cum  nous  en  escrit  trovum  ; 
E  si  signefia  en  sun 
La  seintime  conjunctiun 
De  seint  Eglise  e  Jhesu  Crist 
96  Vostre  fiz,  cum  truvum  escrit. 


Vieuz  e  joevenes,  femmes  e  enfanz, 

Amen  die  devoutement 

A  ceo  checun,  e  ceo  que  apent, 

C'est  Pater  noster  e  Ave  Marie 

A  la  dame  qe  pur  nous  prie, 

Si  issi  seit  sun  fiz  Jhesu  Crist.  .      {b) 

Amen,  amen,  issi  finist. 


290 


p.    MEYER 


5.  —  Les  quinze  signes  de  la  fin  du  monde.  —  Voir,  au  sujet  de  ce 
poème,  fait  en  France,  et  des  copies  qu'on  en  possède,  Romania,  VI,  22 
et  VIIl'  ?  1 3.  La  leçon  de  notre  ms.  est  l'une  des  plus  complètes.  Je  pro- 
pose en  note  ou  dans  le  texte  les  corrections  indiquées  par  les  autres  mss. 


Ci  commet  de  les  .xv.  signes  devaunt  le 
jour  de  jugement  (f .  m  h). 

Oiez  tuz  communalment 
Dount  nostre  Sire  nous  reprent  : 
De  ceo  qe  tute  créature, 
4  Checun  sulum  sa  nature, 
Recunust  meuz  sun  creatur(e) 
Qu'i  ne  facehomme,  si  est  dolur(e); 
Mes  home  de  li  servir  se  feint, 
8  De  quei  nostre  Seignur  se  pleint. 
Il  nous  aime  tut  bonement  ; 
De  quanque  desuz  le  firmament 
Nous  a  doné  le  seignurie, 
12  E  chescun  de  nous  le  guerpie. 
Muus  bestes,  urs  e  lions, 
Oyseauz,  serpens.mer  e  peissuns 
Funt  qei   dievent  sans  tristur(e), 
16  E  gracent  lur  creatur(e). 
Ciel  e  tere,  solail  e  lune, 
Neis  des  esteiles  n'i  ad  une 
Q_e  ne  face  quanqe  ele  deit; 
20  E  home  faut  que  tut  ceo  veit. 
Tant  est  pleines  de  cuveitise 
Qe  ne  eime  Dieu  en  nul  guise. 
Plus  volenters  orreit  chaunter 
24  Cum  redel  juster 
Culyer  sun  companun 
Qu'il  ne  freit  un  bon  sermun 
Ne  de  la  seinte  passioun 
Que  suffri  Dieu  par  grant  vyan 
28  Pur  le  péché  qe  fist  Adam. 
Pur  quei  sûmes  nous  orguilus  ? 


Acheitifnes,  ja  murrum  nous  ! 
U  est  l'ami  qe  bien  nous  Ira 
32  Quant  l'aime del  cors  partira?  (c) 
Nos  amis  pur  nous  plurunt: 
C'est  le  bien  que  pur  nous  frunt. 
A  scient  nous  occium 
36  Quant  Dieu  del  ciel  guereum. 
Nous  sûmes  tretuz  qe  dolenz  ; 
Mult  en  averum  grevez  jugemenz 
Quant  ceo  siècles  finira 
40  E  Dieus  as  bons  joie  durra. 
Oncore  dis  il  assés  plus  : 
Cum  feintement  Zodiacus 
Curt  cuntre  le  firmament, 
44  Que  planète  ne  vunt  pas  lent, 
La  nature  des  elemenz 
E  la  nature  des  venz; 
Li  uns  est  en  Oriente, 
48  Li  autres  est  en  l'Occidente, 
Akun  vient  en  nnunt. 
Seignur,  pur  Dié  ne  vous  enoit  ! 
Si  vous  ne  cremise  enuier 
52  E  desturber  d'acun  mester, 
De  quinze  signes  vous  deïsse, 
Einz  qe  partir  me  voïsse, 
Tute  la  pure  vérité. 
56  A  akun  de  vous  vendra  a  gré 
A  oïr  la  fine  de  ceste  munde 
Quant  totes  choses  finirunt  ? 
N'i  ad  home  suz  ciel  tant  felun, 
60  Si  ver  Dieu  ad  ententioun, 
Si  m'escute  vous  a  parler, 
Qe  ne  vousist  de  ceo  penser. 


6  Corr.  Que  ne  f.  hom.  —  10.  Suppl.  [a]  après  quanque.  —  13  Muus,  corr. 
Mues. —  15  Corr.  F.  quanqu'il  deivent.  —  16  Corr.  gracient  —  24-5  Corr. 
Cume  Rolans  alad  juster  |  A  Uliver.  —  26  Ms.  sernum.  H  -j  a  ici  trois  vers  sur 
la  même  rime.  Aussi  faut-il  en  fondre  deux  en  un,  et  lire  :  Qu'il  ne  fereit  la  passion. 

—  27  vyan,  corr.  ahan.  —  30  Corr.  Hé  las  chaitif.    —  41  C'est  ici  que  com- 
mence, bien  qu'un  peu  différemment,  la  leçon  du  ms.  de  l'Arsenal  citée  ici,  VI,  23. 

—  49  5(c  ;  Ars.  Eli  autres  versmienuit. —  ^1  Ms.  enuoier,/4  ce  vers  commencent 
plusieurs  des  copies  de  ce  pocme. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE 

Car  quant  ceo  munde  finira 
64  Nostre  Seignur  signes  fera. 

Ceo  nous  cunte  Jeremie, 

Zorobabel  e  Helye, 

De  Babiloine  Daniel, 
68  Ben{e)  1'  aferme  Ezechiel, 

David,  Amon  e  Moysès 

E  li  tûtes  prophètes  après,      {d) 

Un  poi  devant  le  jugement 
72  Ou  li  felun  serrunt  dolent 

Mustr[er]a  Dieu  sa  poesté 

En  terre  de  sa  majesté. 

Qui  voil  oïr  le  merveille 
76  Enver  qi  rien  ne  s'aparaille 

Adresse  ses  oez  ;  si  me  regard: 

Jeo  li  dirrafi]  devers  quel  part 

Vendra  la  grant  mésaventure 
80  Que  passera  tute  mesure. 

Ore  escutez  de  la  jurnée 

Fin  (fol.  \i^  b): 

Le   quinzime  signe    vous  dirrai, 
224  Car  de  la  dolur  aukes  sai 

Qeli  sires  de!  ciel  f[e]ra 

Quant  ces  signes  mustr[erja  : 

Le  noun  q'il  avéra  le  vous  dir- 
[rum  : 
228  Ceo  sera  consummacioun  ; 

E  terre  e  ciel  partut  ardra 

E  a  nient  repeirera  ; 

La  mer  qe  tut  rien  enclost(e) 
232  E  les  ewes  e  tut  li  flot 

Reperierunt  tut  a  nient, 

Corne  fu  al  commencement. 

Idunc  serrunt  les  voiz  oïre]z 
236  En  semblant  de  symphoni[e], 

E  dirrunt:    «Oie!   vous  pecche- 
[our,  (c) 

«  Fuez  trestuz,  veez  le  jur 


CAMBRIDGE    (CG.  I  .  il 


291 


Qe  tant  par  deit  estre  duté. 

De  ciel  cheira  pluvie  senglaunt; 
84  Ne    quide[z]   pas  que  jeo   fvos] 
[mente, 

Tute  tere  [en]  iert  culurée  : 

Mult  i  avéra  aspre  rosée. 

Li  enfant  qi  né  nient  serrunt 
88  Dedenz  les  ventres  crierunt 

A  cler[e]  voiz,  mult  hautement  : 

.(  IVIerciezvous,Dieusomnipotent! 

«  Sire,  nous  querumja  mèsnestre, 
92  «  Mes  nous  vaudreit  nient  a  estre 

«  Que  nasquisum  a  ceste  jur 

«  Quant  tute  rien  suffre  dolur.  » 

Li  enfanz  plurunt  isci 
96  E  dirrunt:  «  DuzJhesu,  merci!  » 

Le  primer  [jur]  tut  iert  iteles, 

Mes  li  secunde  iert  plus  maies. 


«  Tut  plein  de  mésaventure  !  » 

240  Dieu  ne  fist  ceste  créature, 
Si  se  purpense  de  ses  feez, 
Qe  jamès  en  sun  cuer  eit  pès, 
Idunc  sunerunt  les  busines, 

244  Dunt  leverunt  li  mort  a  primes, 
E  resurdrunt  [tresjtut  li  mort  : 
Chescun  avéra  escrit  sun  sort. 
E  nostre  seignur  ref[e]rad 

248  Ciel  e  tere  qi  défera  ; 

Puis  descendra  mult  cruelment 
Od  les  seinz  al  jugement. 
Devant  li  assemblera 

252  Tut  le  people  q'il  rechata 

De  sun  precious(e)  sanc  el  munde, 
E  bon  e  mal  tut  i  serrunt. 
Aïdez  nous,  seinte  Marie. 

2)6  Amen,  amen  chescun  en  die! 


66  Hélie,  corr.  Isaïes.  —  70  Corr.  Tuit  li  autre  p.  —  77  D'autres  mss.  ont 
Dresse  son  chief  ou  son  cuer.  —  80  Ms.  pallera,  —  82  deit,  ms.  dreit.  — 
90  Corr.  Merci  roi  D.  —  92  Corr.  Meuz. 

223  Les  numéros  des  vers  sont  ceux  du  texte  de  Saint  John  s  Coll.  (ci-dessus 
VIII,  314).  —236  Corr.  semblance.  —  2^9  Les  autres  mss.  portent  Trestot  p. 
ou  T.  pi.  de  grant  m.  —  248  Corr.  qe  defet  a. 


292  p.    MEYER 

Le  reste  de  la  colonne  est  rempli  par  un  extrait  dont  les  premiers  mots 
sont:  «  Arisloteles  faciî  questionem  in  Naturis:  Quo  cibo  nutriatur  in  cor- 
«  pore  conceptus  ?  s.  profecto  sanguine  menstruo...  » 

6.  —  La  plainte  d'Amour.  —  Voir  sur  ce  remarquable  poème,  et  sur 
les  mss.  qu'on  en  possède,  Romania,  XIII,  507.  C'est  un  dialogue  entre 
Amour  et  un  prudhomme,  comme  l'explique  un  couplet  d'introduction 
qui  n'a  été  conservé  que  dans  le  ms.  de  Trinity  Collège.  Je  donne  quel- 
ques variantes  destinées  à  faciliter  l'intelligence  du  texte. 


I  Amour,  Amour,  ou  estes  vous? 
[if.  u^d) 

—  Certes  en  mult  poi  de  iuys, 

Kar  jeo  ne  os. 

—  E  pur  quel  n'osez  estre  veu, 
Vous  qi  estes  si  bien  coneu 

6  De  bon  les  ? 

11  Jeo  parlas  a  vous  a  leisir, 
Si  vous  vensist  a  plesir, 

Privement, 
Pur  saver  moun  la  vérité, 
Pur  quel  estes  reboté 

12  De  la  gent. 

III  —  Aias,  alas  !  ceo  dit  Amour, 
Vous  acrescez  ma  dolur 

Par  vostre  dit. 
Si  jeo  face  a  vous  ma  pleint 
Jeo  serrai  las  e  tost  ateint 
18  Avant  qe  ei  dit. 

IV  —  Douce  Amour,  ne  lessez  pas 

Ke  vous  ne  me  diez  vostre  cas 

E  vostre  ennuy. 
Dites,  dites,  jeo  vous  prie, 
Pur  quel  estes  revilie 
24  En  chescune  iuy. 

V  —  Ore  vous  dirrai,  ceo  dit  Amour, 

Qe  dire  ne  puisse  ma  dolour 
Ne  ma  enchesoun  : 


36 


42 


Par  mes  enemis  suis  enchacé 
Hors  de  vile  e  de  cité 
E  hors  de  mesoun. 

—  Chère  Amour,  qui  sount  ceux 
Qi  sunt  si  hardi  e  si  fous 

A  celé  chace  fere? 
En  nos  livres  avom  trovee 
Qi  par  vous  fist  la  Trinité 

E  celé  e  tere. 

Vous  feites  Dieu  a  nous  descendre, 
Vous  li  priastes  de  char  prendre, 

E  il  vous  graunta.   (/.   1 14) 
Par  vostre  prier  voleit  soffrir 
Peine  e  dolur  e  puis  morir, 

E  tous  nous  sauva. 


VIII  Ja  ne  est  home  qe  seit  sauvé 
Si  par  vous  ne  seit  amené 

A  sauvacioun, 
Duntme  merveille  durement 
Qe  trovée  estes  si  relement 
46  En  chescune  mesoun. 

IX  Jeo  su  aie  sovent  querant 
La  ou  dusse  estre  menant 

Par  bone  resoun, 
Entre  amis  de  bone  linage 
E  entre  clers  e  barnage, 

^4  En  chescune  seisoun. 


26-7  Trin.  ne  p.  sanz  dolur  |  Ma  e.  —  48  Trin.  dussez. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS 

X  Cum  plus  sovent  vous  vois  quere, 
Tant  vous  vei  jeo  plus  retrere 

Hors  du  pais. 
Douce  Amour,  qi  sunt  si  fous 
Que  vous  enchacent?  qesunt  ceus 
60  Vos  enemis? 

XI  —  Pur  ceo    qe   vous    me   avez 
Beau  frere,  mes  enemis     [requis^ 

Vous  voile  desclore, 
Mes  jeo  ne  purrai  tote  la  soume 
De  ma  dolur  a  nul  home 

66  Parcunter  ore. 


DE   CAMBRIDGE    (GG.I.i)  2Ç}] 

Ne  me  grevez  par  prière 
90  De  plus  dire. 

XVI  —  Si     frai,   ceo  sachez,    douce 
[Amour. 
Vous  me  dirrez  en  ceste  estour 

Une  autre  chose  : 
S'il  est  veirs  qe  est  escrit 
Qe  par  la  lectre  nous  est  dit 
96  E  par  la  glose, 


XVII  Vous  aviez  jadis  teu  pouer 
Qe  nul  vous  pot  cuntre  ester 
En  ceste  vie  ; 

XII  Une  prince  est  venu  si  fiere  Pur  quel  ne  priez  vos  amis 
E  sa  baner  ad  fet  lever                             Qe  il  vous  venge  des  enemis 

Encuntre  moy.  102  Par  curteisie  ? 

XVIII  —  Beau  douce  frere,  bien  avez 

72  [dit, 

E  bien  est  veirs  q'est  escrit 

XIII  Soun  noun  est  nomé  Coveitise;  De  ma  mestrie  : 

Par  li  ai  perdu  ma  franchise  Jeo  solaiaver  en  ceste  munde 

E  sui  enchac[i]e  ;  De  haut  e  bas  e  en  roùnde 

Ire  e  Orguille,  ces  deus  barouns,       108  Que  ore  est  faillie. 

Vers  moi  sunt  trop  feluns 
78  E  mei  unt  plaie. 


XIV  Soun  chivaler  moût  renomé, 
Sire  Envie,  ad  bien  juré^  (b) 

Si  jeo  returne, 
Ke  il  me  fra  par  graunt  ire 
Primes  batre  e  puis  occire, 
84  Dunt  jeo  sui  mourne. 

XV  Pur  ceo  vois  jeo  tapissaunt, 
De  liu  en  liu  mendivaunt, 

E  ne  sai  qe  dire. 
Dunt  jeo  vous  prie,  douce  frere, 


XIX  Ceux  qe  volent  qe  feussse  mestre 
La  sus  en  ciel  [unt]  pris  leur  estre 

En  bon  seisoun  ; 
Ore  sunt  venuz  atres  après 
Qe  ne  me  soefïrent  vivre  en  pès 
116  En  nul  mesoun. 

XX  E  solai  aver  bêle  grâce 

En  queors  des  gens  e   tant   d'es- 
Qe  a  moun  pleisir        fpace 
Jeo  porrai  demorer  e  sejorner  (c) 
E  moun  sojourn  bien  garder, 
120  Sanz  départir. 


70-2.  Les  trois  derniers  vers  de  la  strophe  manquent.  Les  voici  d'après  Harl.  273 
{ils  sont  moins  corrects  dans  Trinity)  : 

Si  m'ad  engeté  hors  de  terre 
Et  hors  me  tent  par  forte  guerre  ; 
Hore  créez  moy. 
79  Trin.  Un  ch. 


294  P-    MEYER 

Or,  dites-moi,  dit  le  prudhomme,  oii  est  votre  séjour.  —  Vous  me  trouverez 
dans  les  celiers  ou  dans  les  greniers,  sous  le  blé.  Si  vous  ne  m'y  trouvez  pas, 
il  faut  me  chercher  dans  la  bourse.  Là  sûrement  vous  me  trouverez  solidement 
lié.  D'autre  fois  encore  je  fais  mon  lit  dans  l'étable  ou  dans  la  porcherie.  — 
Hélas  !  cher  Amour,  c'est  pour  vous  un  bien  vil  séjour,  vous  qui  jadis  aviez 
coutume  de  siéger  dans  la  salle.  Amour  énumère  tristement  les  honneurs  qui 
lui  étaient  rendus  autrefois,  lorsqu'il  portait  la  croix  et  la  mitre  en  sainte  Eglise. 
Il  y  a  là  des  strophes  véritablement  éloquentes  : 


XXX  Od  moi  ala  la  pape  a  pié,  (f.  1 1 
Od  moi  sit  le  rei  en  see, 

E  vout  jeuer ; 
Par  mei  entra  devant  justice 
Li  povere  home  a  sa  devise 
180  Sanz  rien  doner. 

XXXI  Jeo  defendi  ses  taillages, 
Jeo  fiz  rendre  ses  damages 

A  povre  gens  ; 


4^)  Jeo  fis  crier  les  grans  festes, 

Jeo  fiz  chaunter  les  gestes 
186  En  moun  temps. 

XXXII  Jeo  fiz  marier  gentil  femmes, 
Sanz  doner  or  ou  riche  gemmes, 

Mult  noblement; 
Mes  ore  ad  fet  mon  enemi 
Qe  la  chose  n'est  pas  issi, 
192  Mes  autrement. 


Mais  Convoitise  a  enlevé  à  Amour  sa  franchise.  Jadis  Amour  fondait  des 
monastères  et  les  dotait  richement:  maintenant,  poussés  par  Convoitise,  les 
barons  reprennent  les  biens  donnés  par  leurs  ancêtres;  ils  abusent  du  droit  de 
gîte,  ils  enlèvent  aux  clercs  leurs  dîmes,  ils  donnent  les  églises  à  des  séculiers 
et  se  moquent  de  nos  sermons.  Amour  est  allé  se  plaindre  à  Rome,  mais,  là, 
belle  parole  ni  bonne  renommée  ne  servent  de  rien,  et  il  fut  mis  à  la  porte.  Les 
rois  sont  bons,  mais  leurs  conseillers  sont  mauvais.  Amour  a  été  emprisonné 
<c  En  wapentak  '  et  en  conté  |  Par  les  baillifs  ».  Ses  filles.  Pitié,  Vérité,  «  Na- 
turesce  »,  Chasteté,  sa  sœur  Humilité,  ont  disparu.  L'ouvrage  se  termine  ainsi  : 


CLix  Ore  vous  ai  jeo  fet  ma  pleinte 
Dunt  jeo  su  las  e  ateinte, 

Jeo  pri(e)  repos(e),  (/ 
Ja  ne  querez  moun  sojour 
En  ceo  qe  par  reddure 

954  Me  ount  forclos. 

CLX  Si  me  volez  embracer 

Ne  vous  estut  trop  travailler 
Pur  mei  querre  : 


Vous  me  troverez  od  Jhesu  Crist  ; 
La  est  ma  chambre  e  .moun  lit 
120)      960  Tut  hors  de  guerre. 

CLxi  Jeo  fu  od  lui  sanzcomencement 
E  serra[i]  od  li  durablement 

A  touz  jours. 
Unkes  créature  ne  fit 
Q_e  par  consailenel  fist, 

966  Par  ces  douces  eoveres. 


I.  Division  territoriale  dont  le  sens  varie  selon  les  textes;  ici  il  s'agit  pro- 
bablement du  hundred,  subdivision  du  comté. 

953  Corr.  Entre  cels.  —  965  Corr.  p.  [mon]  c.  n.  feïst.  —  966  Corr.  P.  sa 
douçour. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (CG  .  I  .  I  )  295 

CLXii  En  ciel  ne  enterre  ne  en  mer(e)  À  la  court  lur  ert  rendu 

De  mei  ne  pount  celer(e)  Mult  hautement  ; 

Nul  rien.  En  la  court  le  rei  celestre 

Od  lui  vendrai  au  drein  jour  Jeo  lur  frai  sires  e  mestre 

Pur  fere  a  ceuz  grant  honur  984          Durablement. 
972          Qe  me  unt  fet  bien. 

cLxv  — ■  Très  chier  Amour,  jeo  vous 

CLxiii  Tuz  ceux  qe  me  unt  revilié  [requier 

E  me  veilleunt  crier  merci  Qe  od  mei  voiliez  herbeger, 

L'en  comperount  ;  Sans  déparier . 

Ire  e  Orgille  mes  enemys  Jeo  prie  Jhesu  le  fiz  Marie 

E  Coveitise  lur  chiers  amis  Qe  vous  me  doygne  en  compai- 

978           Me  vengerount.  990          A  mon  departer.      [gnie  (b) 

cL.xiv  Tuz  les  autres  qe  me  unt  receu  Amen,  Amen,  Amen. 

7.  —  Les  prophéties  de  Merlin,  en  prose,  concernant  Henri  III  et  ses 
successeurs. —  Cette  prophétie,  probablement  imaginée  sous  Edouard  I,se 
rencontre  fréquemment  dans  les  mss.;  voy.  Ward,  Catal.  of  romances, 
I,  300,  308,  309,  et  Duffus  Hardy,  Descript.  Catal. ,  III, no  330. 

(Fol.  120  l>)  Ici  comcncc  alciins  de  les  prophéties  e  des  merveilles  qe  Merlin  dit 
en  soun  temps  de  Engleterre,  e  des  reis  qe  unt  esté  puis  le  temps  le  rei  Henri  le  derein 
qe  nasquist  a  Wincestre  e  de  euz  qe  serrant  pur  tuz  jours  m'es  en  Engleterre,  de  lur 
aventures  queuz  il  serrunt,  bons  ou  maiiveis,  moles  ou  dures. 

Un  aignel  vendra  hors  qe  avéra  blaunche  laung  e  leveres  véritables^  e  avéra 
escrit  en  sun  queor  seinteté.  Cel  aignel  fra  une  mesoun  deu  Westm.  qe  serra 
de  bêle  veue,  mes  ele  ne  serra  parfest  en  soun  temps.  En  la  fin  de  soun  règne 
vendra  une  lowe  de  estraunge  terre... 

Fin  (fol.   121  b]  : 

E  si  serra  test  après  ceo  terre  de  conqueste,  e  si  fuierunt  les  heires  de  Engle- 
terre hors  de  lur  héritage.  Alas  !  Alas!  Alas  ! 

Le  reste  de  la  page  est  occupé  :  1°  par  un  morceau  sur  le  parjure  : 
«  De  perjurio,  Qui  jurât  super  librum  tria  facit  :  primo  ponit  manum 
super  librum...  »  2°  par  des  sentences  :  «  Proverhia.  Meliora  sunt  vul- 
nera  corrigentis  quam  oscula  blandientis...  » 

8.  —  Poème  anglais  sur  la  Passion  dont  on  a  d'autres  copies. 

Herkinith  aile,  ihc  '  voile  you  telle  {{.  122  a) 
Of  muche  pitié  in  mi  spelle... 


968  Corr.  Unkes  de  moi  ne  vout  [ms.  de  Trinity) .  —  980  Corr.  A  la  cunte 
(Trin.)  —  987  Corr.  S.  returner  {Tiin.). 
1 .  The  (/)  dans  le  catalogue  imprimé. 


296  p.    MEYER 

9.  —  Le  «  Miroir  »  ou  «  les  évangiles  des  domeés  »,  par  Robert  de 
Gretham.  —  Poème  de  plus  de  20,000  vers  dont  l'objet  est  de  mettre 
à  la  portée  du  public  laïque  les  évangiles  de  chaque  semaine  avec  leur 
exposition.  Ce  long  ouvrage  ne  peut  prétendre  à  beaucoup  d'originalité. 
Il  est,  selon  toute  apparence,  entièrement  traduit  du  latin.  Toutefois  ce 
n'est  pas  la  traduction  d'un  seul  et  unique  livre  écrit  en  latin.  C'est  une 
compilation  dont  les  éléments  ont  été  recueillis  en  des  livres  divers.  Les 
indications  que  l'auteur  donne  (vv.  69  et  suiv.)  permettent  de  lui  faire 
crédit  d'une  certaine  originalité,  au  moins  en  ce  qui  concerne  le  choix 
des  matériaux.  Autant  qu'il  m'a  paru,  le  plus  grand  nombre  des  exemples 
cités  à  l'appui  des  explications  des  évangiles  sont  empruntés  à  saint 
Grégoire,  mais  d'autres  sont  tirés  de  sources  plus  proprement  anglaises. 
Je  citerai  notamment  la  curieuse  rédaction  de  la  vision  de  saint  Furseus 
qui  sera  imprimée  plus  loin. 

L'auteur  nous  a  fait  connaître  son  nom  et  son  surnom  à  la  fin  de  son 
œuvre:  il  s'appelait  Robert  de  Gretham,  et  s'il  s'est  nommé,  ce  n'est 
certes  pas  par  un  vain  désir  de  gloire  littéraire,  car  il  parle  de  son  œuvre 
avec  la  plus  grande  modestie',  c'est  simplement,  comme  Pierre  de 
Peckham  et  comme  plusieurs  autres,  pour  avoir  part  aux  prières  de  ses 
lecteurs.  Il  y  a  Greetham  en  Lincolnshire  et  Rutland,  Greatham  en 
Durham,  Hampshire  et  Sussex.  Je  n'ai  pas  le  moyen  de  faire  un  choix 
entre  ces  divers  lieux. 

Robert  dédie  son  œuvre  à  une  certaine  dame  Aline  sur  laquelle  je  ne 
possède  aucun  renseignement.  Il  existe,  dans  la  littérature  anglo-nor- 
mande, un  poème  qui  n'est  pas  sans  quelque  analogie  avec  notre  Miroir, 
c'est  le  Corset,  œuvre  de  théologie  à  l'usage  des  laïques  dont  le  seul 
exemplaire  connu  se  trouve  dans  le  ms.  Douce  210  de  la  Bodléienne  ^ 
C'est  un  exemplaire  incomplet,  le  ms.  offrant  diverses  lacunes.  Nous 
savons  toutefois,  par  le  début  qui  nous  a  été  conservé,  que  le  Corset  a 
été  dédié  à  un  certain  Alain  par  son  chapelain  Robert.  Il  m'a  semblé, 
lorsque  j'ai  rédigé  la  notice  du  ms.  Douce  210,  et  il  me  semble  encore, 
que  Robert  auteur  du  Corset  et  Robert  de  Gretham  auteur  du  Miroir 
pourraient  bien  être  un  seul  et  même  personnage.  Les  deux  poèmes  sont 
sensiblement  de  la  même  époque,  du  milieu  du  xiii<^  siècle  environ  ;  la 
langue  et  la  versification,  autant  que  j'en  puis  juger  par  une  étude  som- 
maire, ne  diffèrent  guère,  et  à  la  coïncidence  du  nom,  Robert,  se  joint 


1.  Voy.  vv.  97  et  suiv. 

2.  Voy.  Bulletin  de  la  Soc.  des  anciens  textes  français,  1880,  p.  62, 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (CG  .  I  .  1  )  297 

cette  autre  coïncidence  que  les  deux  poèmes  débutent  à  peu  près  de 
même  : 

MIROIR  :  CORSET  : 

A  sa  très  chiere  dame  Aline  A  son  très  chier  seignor  Alain 

Saluz  en  b  vertu  divine.  De  part  Robert  son  chapelain 

Salutzel  fitz  sainte  Marie. 

Il  ne  me  paraît  pas  improbable  qu'Aline  ait  été  la  femme  d'Alain. 
L'usage  de  donner  à  la  femme  le  nom  de  son  mari,  avec  une  terminaison 
féminine,  est  attesté  au  xiii<=  siècle  et  en  Angleterre  (en  France  aussi  du 
reste«  par  de  nombreux  exemples.  La  fille  de  Guillaume  le  Maréchal, 
Mathilde,  mariée  à  Huges  Bigot,  est  appelée  la  Bigote  dans  le  poème 
consacré  à  la  mémoire  de  son  père. 

Nous  savons  par  le  début  du  Corset,  que  le  seigneur  Alain  aimait  à 
entendre  «  la  leçon  divine  ».  Malheureusement,  il  ne  savait  pas  le  latin, 
et  c'est  pour  le  mettre  à  même  de  se  faire  lire  de  la  théologie  en  français 
que  son  chapelain  dut  lui  composer  le  traité  qu'il  a  nommé  Corset.  Dame 
Aline  ne  savait  pas  le  latin  non  plus,  mais,  à  la  différence  d"Alain  (que 
celui-ci  ait  été  ou  non  son  époux),  elle  se  plaisait  surtout  à  lire  ou  à 
entendre  des  «  chansons  de  geste  et  d'histoire  ».  Tout  cela,  dit  le  sage 
Robert  de  Gretham,  n'est  que  vanité  et  mensonge.  Pour  une  bonne 
parole  il  y  en  a  beaucoup  de  mauvaises^  et  la  vérité,  quand  elle  apparaît, 
ne  sert  qu'à  faire  passer  la  fausseté.  Il  ne  faut  pas  croire  tout  ce  qu'on 
dit  ni  tout  ce  qu'on  écrit.  Et  comme  exemples  de  récits  visiblement 
controuvés  l'auteur  cite  la  chanson  de  Mainet  et  quelques  autres  qu'il 
n'est  pas  facile  d'identifier,  le  texte  étant  assez  corrompu.  On  remar- 
quera la  mention  de  la  chanson  de  l'orphelin  Sansonet  (v.  30I  qui  ne 
nous  est  pas  parvenue,  mais  dont  une  chronique  française  nous  a  con- 
servé le  résumé  ' . 

Comme  d'autres  poètes  français  d'Angleterre,  Robert  de  Gretham  se 
permet  de  temps  à  autre  de  donner  la  même  rime  à  quatre  vers  consé- 
cutifs, mais  ce  qui  est  plus  singulier,  c'est  qu'au  début  de  son  ouvrage, 
après  le  prologue  il  a  écrit  trente-cinq  vers  sur  la  rime  e,  ne  distinguant 
pas^  cela  va  sans  dire,  ié  àeé. 

L'ouvrage  est  complet,  dans  notre  ms.,  sauf  une  lacune  produite  par 
l'enlèvement  d'un  feuillet  entre  lesff.  252  et  255.  Un  second  exemplaire, 
apparemment  un  peu  plus  ancien,  mais  auquel  manquent  les  premiers  et 
les  derniers  feuillets,  est  conservé  au  Musée  britannique,  add.  26775. 


I.  Bibi.  nat.  fr.  5003,  fol.  ici  v»;  voy.  G.  Paris,  Hist.  pocticjac  de  Chark- 
magne,  p.  405.  J'ai  trouvé  de  cette  même  chronique  un  autre  ms.  à  la  Lau- 
rentienne. 


298  p.    MEYER 

Acquis  par  le  Musée  en  1865,  ce  ms.  avait  figuré  sucessivement  dans 
un  catalogue  Techener,  à  prix  marqués,  en  1862,  où  il  était  bien  indû- 
ment attribué  au  xii"  siècle  (il  est  de  la  fin  du  xiii'^)  et  dans  une  des 
ventes  faites  par  Libri,  celle  de  1864.  Il  a  été  l'objet,  dans  le  t.  I  de  la 
Zeiîschriftf.  romanische  Philologie,  d'une  notice  fort  imparfaite,  qui  a  été 
appréciée  ici  même  [Romania,  YU,  345). 

Il  y  a  quarante  ans,  la  bibliothèque  de  Trinity  Collège,  Cambridge, 
possédait  du  même  ouvrage  un  troisième  exemplaire.  En  effet  Th.  Wright, 
traitant  de  la  vision  de  saint  Furseus,  dans  son  livre  sur  le  Purgatoire 
de  saint  Patrick  publié  en  1844  [Saint  Patrick' s  Purgatory,  p.  11)  dit 
l'avoir  rencontrée  «  among  some  french  metrical  saints'  legends,  in  a 
«  Ms.  in  the  library  of  Trin.  Coll.  Camb.,  marked  B.  14.  39,  of  the 
«  end  of  the  twelfth  orbeginning  of  the  thirteenth  century  ».  Et  il  en 
cite  vingt  et  un  vers  qui  tous  se  retrouvent  dans  le  récit  relatif  à  saint 
Furseus  tel  qu'on  le  lira  plus  loin  d'après  les  deux  autres  mss.  Ce  ms., 
qui  est  celui  même  d'après  lequel  Hickes  a  publié  dans  son  Thésaurus 
(1705)  une  ancienne  vie  anglaise  de  sainte  Marguerite  et  cité  quelques 
vers  de  la  vie  de  saint  Nicolas  de  Wace  et  du  traité  de  Gautier  de 
Biblesworth,  a  disparu  peu  après  1844.  J'en  parlerai  avec  plus  de  détail 
lorsque  je  décrirai  les  manuscrits  français  de  Trinity  Collège,  et  peut- 
être  d'ici  là  aura-t-il  reparu,  car  celui  qui  l'a  emprunté  irrégulièrement 
il  y  a  quelque  quarante  ans  ne  l'a  pas  vendu  et  ne  peut  espérer  en  jouir 
encore  pendant  de  longues  années. 

l!  existe  sous  ce  titre  «  Les  évangiles  des  domées  et  des  saints  de  tout 
l'an  «,  un  ouvrage  en  prose,  apparemment  composé  au  milieu  du 
XIV*  siècle,  et  dont  l'objet  est  le  même  que  celui  du  poème  de  Robert 
de  Gretham  ',  mais  qui  en  est  tout  à  fait  indépendant. 

A  sa  trechiere  dame  Aline  (/.  1 5  5)  E  folie  de  vaine  cure. 

Saluz  en  la  vertu  divine.  Si  l'em  i  trove  un  bone  respit, 

Ma  dame,  bien  l'ai  oï  dire  12  Tut  l'autre  waudra  mut  petit. 

4  Que  mult  amez  oïr  et  lire  Ceo  est  en  veir  le  tripot 

Chaunsçun  de  geste  e  d'estorie,  De  chescun  qe  mentir  veut  : 

E  mult  mettez  la  memorie  ;  Pur  plus  s'entremet  mentir 

Mes  bien  veille  qe  vous  le  sachez,  16  Aucune  rien  dit  a  pleisir, 

8  Qe  ceo  est  plus  que  vanitez,  E  dite  aucune  vérité 

Qe  ceo  n'est  rien  for  contrevure  Pur  fer  oïr  sa  fauseté. 


^  908  et  1765  ;  voy.  sur  le   premier  de  ces  mss.,  P.   Paris, 
s,  VII,  225,  et  sur  le  second,  S.    Berger,  La  Bible  française 


I  Bibl.  nat.  n"^ 
Manuscrits  françois 
au  moyen  tige,  pp.  223,  J47. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS   DE   CAMBRIDGE    (GG .  I  .  1 1 


299 


Ceo  n'est  pas  chose  creable 

20  Q_e  tut  seit  veir  quanque  dit  fable, 
Nun  est  ceo  veir  quanqe  est  escrit 
Deestorie  qe  home  chant  e  lit  ; 
Qe  cil  qe  chaunçun   contreverent 

24  Sulum  lur  quiders  les  furmerent; 
E  l'em  dit  en  prover  pur  veir 
Qe  quider  n'est  pas  saveir  ' . 
Veez  si  ceo  peut  estre  veir 

28  Qe  nuls  enfes  out  tel  pouer 

Cum  dit  la  chaunsçun  de  Mais- 
U  cel  orphanin  Samsmeth?  [neth 
U  de  la  geste  de  Emeristane, 

32  U  de  bon  message  Balaane? 
Veez  les  autres  aisément  : 
N'i  ad  celé  qe  trop  ne  ment. 
Ore  sel  jeo  qe  tut  seit  vérité, 

36  Si  est,  pur  aucune  vanité, 
Deliz  escriz  oïr  e  entendre 
U  l'aime  put  nul  bien  aprendre. 
De  quanqe  a  l'aime  ne   seit  bien 

40  De  vaunt  de  fet  nul  rien.         [(b) 
Cil  trop  laidement  se  sert 
Ke  Dieu  pur  nul  rien  pert; 
EDieu  mult[plesl?]de  sun servant 

44  K'il  «eit  a  lui  tut  atendaunt. 
Tut  veut  que  seit  a  lui  turné 
Quanqe  il  ad  a  checune  doné. 
Il  nous  ad  doné  cors  e  aime, 

48  Veer,  parler,  sens  e  oïe, 
Entente,  menbres  e  corage. 
Tut  pur  nous  garder  de  damage. 
Nus  eimes  tuz  ses  despensers 

52  Pur  lui  servir  de  ses  mesters. 
Si  nous  a  gré  bien  le  servum 
Cent  double  en  ert  legueredoun; 
Eqi  mesfait  a  escient 

56  Mult  en  ert  dur;e)  le  vengement. 
E  pur  ceo  qe  nus  eime  encé  (i/c), 
Tolir  nous  veut  de  vanité, 


Que  nus  lui  puissums  rendre  en 
[bien 
60  Quanqe  il  demande  a  cristien. 

Pur  ceo  ai  fet  cest  escrit, 

Sur  le  purrez  lire  a  grant  délit. 

Ou  nul  rien  ne  troverez 
64  Dunt  Jhesu  ne  seit  paiez, 

Dunt  l'aime  ne  seit  conforter 

E  la  char  de  maus  desturner. 

Quant  vous  prendra  celé  cure, 
68  Treez  avant  ceste  escriplure  : 

Les  evangeliz  i  verrez 

Mult  proprement  enromauncez, 

E  puis  les  esposiciouns  . 
72  Brevement  sulum  les  sens  espuns, 

Qe,  sachez,  n'i  ad  mot  dit 

Qe  lesseinz  n'eient  escrit. 

Jeo  l'ai  excepé  e  estrait 
76  Des  escriz  qe  sainz  unt  fait,     [{e) 

Point  de  latine  mettre  ne  voille 

Qe  ceo  resemblereit  (a)  orgoille  ; 

Orgoile  resemble  verreiment 
80  Ceo  dire  a  autre  qui  n'entent, 

E  si  est  ceo  grant  folie 

A  lai  parler  latinerie. 

Cil  s'entremet(te)  de  fol(e)  mestier 
84  Qi  vers  la[i]  vout  latin  parler  ; 

Chescun  deit  estre  a  resoun  mis 

Par  la  langage  dunt  (il)  est  apris. 

Ore  vous  prie,  chiere  dame  Aline, 
88  Pur  Dieu  a  qi  le  munde  encline, 
Qe  vous  preez  devoutement 
Qe  Deus  me  doint  entendement, 
De  si  traire  e  de  si  escriv(e)re 
92  Q'il  me  pardoint  pecché  e  ire, 
Ke  leaument  sachez  de  fie 
Qe  en  vos  preers  mult  [m']  afie  ; 
Qe  bien  le  sai  qe  ob  bon   entent 
96  Deu  s'abandoune  en  présent. 


26  «  Cuidiers  fu  un  sos  «.  Le  Rvux  de  Lincy,  Livre  des  Prov.  II,  489.  — 
30  Corr.  U  del  0.  Sansoneth.  — 32  Bj/an,  dans  Aspremont.  —  35  Corr.  Or  seit 
ceo.?  —  38  Corr.  U  l'em  ne  p..?  —  40  Corrompu?  —  47-8  Les  rimes  indiquent  une 
lacunecntre  CCS  deux  vers.  — ^2  Sur,  corr.  Vus.?— 65-6  Corr.  confortée,  desturnée. 


}00 


p.    MEYER 
.36 


Si  rien  i  ad  a  amender, 

U  del  fraunceis  u  del  rimer, 

Nel  tenés  pas  a  mesprisoun, 
100  Mes  bien  gardez  la  raisoun. 

Deus  n'entent  pas  al  beau  dit  140 

Cum  il  fet  al  bon  espirit. 

Meus  vaut  veir  dire  par  rustie 
104  Qe  mesprendre  par  curteisie; 

Quanqe  s'acorde  a  vérité 

Tut  est  bien  dit  devant  Dé.  144 

Dame,  ne  vous  en  merveille?, 
108  Qe  les  cutis  (?)  ai  abreggez: 

Jeo  face  pur  vous  ennui  tolir, 

E  de  lire  doner  désir;  148 

Kar  trop  purra  tost  ennuier. 
1 12  L'em  s'ennuie  de  bon  chaunter, 

E  par  ennui  poet  l'em  lasser 

La  rien  qe  plus  tost  peut  aider. 

Par  ennui  pert  l'em  sovent       {d)       152 
1 16  La  ren  qe  plus  serreit  a  talent. 

Nepurquant,   si  tuz   nous  pusse 
[vivre 

E  sanz  nule  entrelès  escrivre,  1 56 

E  eusse  la  bûche  fermé[e] 
120  E  la  lange  assermé[el, 

E  eusse  trestut  le  saver 

Quanqe  nul  home  peut  aver  160 

Ne  purra  la  moite  dire 
124  De  ceo  qe  apent  a  ma  matire. 

Mais  meutz  voil  dire  aucune  chose 

De  Dieu  qe  tenir  bouche  close,  164 

Qe  sovent  par  bon  petit  dite 
128  Tresaut  le  cors  en  graunt  délite. 

Mun  noun  ne  voil  uncore  nomer 

Pur  les  envius  rehercer,  168 

Q'il  ne  toillent  a  nous  le  bien 
132  Dunt  il  ne  voilent  oïr  rien, 

Qe  custume  est  as  envius 

Qe  grussus  sunt  e  enuius; 

Trestuz  despisent  autri  dis  172 


E  purventent  les  bons  escriz. 
E  ceo  cuntent  a  grant  délit 
Qu'il  unt  en  resprence  (sic),   en 
Qe  lessent  d'autres  blâmer  [escrit, 
Quen  ses  cum  pur  sei  amender  (.-') 
Li  fel  se  quide  anienter(?} 
Par  le  prudume  déprimer. 

Geste  livre  Mirour  ad  noun  ; 
Ore  oiez  par  quel  raisoun  : 
Par  le  mirour  seit  l'em  defors, 
E  par  cest  escrit  aime  e  cors. 
Le  mirour  moust[r]e  le[s]  mespri- 
E  les  choses  mesassises,  [ses 

E  cist  mustre  en  vérité 
Quanqe  home  ad  mespris  envers 
[Dé. 
Li  mirour  moustre  adressement 
De  vis,  de  cors,  de  vestiment, 
E  cistadresce,  ceo  sachez,  (/.  1 36) 
Pensers  e  diz  e  voluntez  ; 
E  mirurs  est  pur  enseigner 
Coment  li  home  se  deit  atiffer, 
E  cist  enseingne  verreiment 
De  vertuz  tut  l'entiffement. 
Li  mirurs  quant  al  siècle  en  veir 
Fet  les  femmes  bêles  aparer, 
Qe  plus  seient  coveitez 
Quant  bêlement  sunt  acemées, 
E  cist  demustre  la  beauté 
Qe  Jhesus  aime  en  lieauté, 
E  fait  les  aimes  adrescer 
Qe  Dieus  les  voille  amender. 
Li  mirurs  sul  le  cors  aturne, 
Mes  cist  cors  e  aime  ahurne; 
Pur  ceo  est  li  mirurs  a  dreit 
Qe  tuz  maus  oste  e  tut  biens  feit. 

Ore  prie  chescun^'e)  qe  out  e  veit 
Qu'il  prie  pur  celi  qi  i'ad  feit 


1 1 1  Ms.  Par,.,  enuiner.  CJ.  la  même  idée  dans  le  Corset,  Bulletin  des  anc.  textes, 
180,  p.  66.  —  1 12  Ms.  sen  urne.  C'est  un  proverbe  bien  connu:  Beau  chanter 
enuie,  Le  Roux  de  Lincy,  Livre  des  Prov.  II,  247. —  117  Cor/',  tuzjurs? —  123 
Corr.  purroie.  —  130  envius  ms.  emmns.  —  156  Corr.  purvertent  ?  —  145 
seit,  corr.  veit  ? 


MANUSCRITS    FRANÇAIS  DE   CAMBRIDGE    (CG .  I  .  1 1                    ^01 

E  mette  en  perdurable  vie,  A  les  nun  lettrés   bien   aprendre. 

E  Dieu  li  pardoint  sa  folie.  E  chascun  ke  seit  lettrure 

Li  prologes  fet  ici  sujur.  212  E  de  fraunceis  la  parlure 

176  Ore  regardés  al  mirur:  Lire  i  poet  pur  sei  amender 

Tut  i  verrez  vostre  figure,  E  pur  autris  endoctriner. 

Vostre  netesce  e  vostre  ordure.  Bien  saiqetantest  grantlamaterie 

Si  bien  regardez,  tut  verrez  216  Ke  ne  pus  a  tut  suffire, 

180  Cum  vous  en  Dieu  vous  attiffez.  Mais  meuz  vaut  parti  tucher 

Deus  vous  doint  issi  esgarder,  Pur  mei  e  autres  amender 

Eissi  nos  aimes  attiffer  Qe  trésor  Deu  enfuir 

Ce  Dieus  les  voille  coveiter,  220  En  tere,  par  del  tut  tasir. 

184  E  od  lui  puissumssanz  fin  régner.  E  jeo  l'ai  fet  tut  autres! 

Cum  cil  ke  passe  pré  florie: 

De  tûtes  les  flurs  ad  talent, 

224  Mes  tûtes  coillir  ne  poet  nent: 

Dunt  jeo,  pur  tuz  amonester  Tûtes  aune  et  tûtes  espie 

Ke  en  Deu  se  volent  chastier,  E  puis  aprent  une  partie  ; 

Enpris  ai  pur  Dieu   cest  escrist  Ausi  coil  jeo  en  ceste  escrit 

188  U  chescun  purra  aver  délit  228  Ce  qe  hom  poet  lire  a  délit, 

Lire  e  oïr  overtement  E  qi  mustre  suffisanment 

Iceo  qu'en  Dieu  a  lui  apent  :  A  chescun  ceo  qe  a  lui  apent. 

Cument  li  clers  deit  sermuner  Nel  fas  pas  par  losangerie,  (/.  1 38) 

192  E  sei  meimesen  Dieu  garder,  232  Par  orguil  ne  par  surquidrie, 

Cornent  li  lais  deit  bien  oïr  Ne  pur  l'onur  de  ceste  vie, 

E  sun  doctur  en  Dieu  chérir,  Ne  pur  mustrer  ma  clergie: 

E  comenttuz  uniement  Autre  loer  ne  quer  prendre 

196  Frunt  le  Dieu  comandement,  236  Ke  sul  Deu  ke  puet  tut  rendre, 

E  quel  mérite  cil  averunt  [(f.  137^/)  E  preers  e  oreisuns 

Ke  Deu  de  bon  quer  servirunt.  De  ces  qe  orrunt  les  lessçuns; 

Les  evangelies  de  donmées  Car  jeo  le  face  pur  moi  aquiter 

200  Ai  en  fraunceis  translaté[ejs  240  E  corse  aime  d'encumbrer 

E  des  festes  as  seinz  partie  De  la  folie  qe  ai  parlé 

Pur  mustrer  a  chescun  sa  vie  E  del  bien  qe  ai  entrelassé. 

Cornent  deit  ensample  prendre,  Qe  cest  escrit  seit  parfaisaunt 

204  De  seinz   pur   sa    aime    a    Dieu  244  Quanqe  ai  mesfet  en  mon  vivant, 

[rendre,  Si  li  autre  finist  sa  vie, 

Kar  après  chescun[e]  lessçun  Bone  escrit  ne  poet  finir  mie  ; 

Ki  ad  del  évangile  noun  Quant  il  mort  e  porriz  serra, 

Ai  mis  del  exposicioun  248  Mes  l'escrit  pur  lui  parlera, 

208  Un  poi  pur  mustrer  la  reisun,  E  pur  celui  nomement 

Kel'em  leevangilepuisseentendre  Ki  en  cest  diz  sul  Deu  entent, 


175  Ms.  sunir?  —  199  donmées,  ms.  remuées.  —  210  A,  corr.  E.  —  226 
Corr.  en  prent.  —  240  Corr.  descumbrer.  —  245  Corr.  Si  li  home?  on  est-ce 
le  cas  sujet  (f'auctor? 


^02  P. 

Escrit  pur  tuz  enseigner 
252  De  fer  bien  e  mai  lessier. 
Seint  Pol  le  dist  pur  vérité  : 
Jammès  ne  charra  charité, 
Nu  fra  ovre  verrement 
256  Dunt  charité  est  fundament; 
E  li  escriz  qi  serra  faiz 
Pur  tuz  tolir  mortels  laiz, 
Quant  [est]  purement  fet  en  Dé, 
260  Dunt  ceo  est  dreit  charité. 


Ke  le  orrunt  e  lirrunt  ausi 

Qe  il  mettent  amendeisum 

292  Si  rien  i  ad  de  mesprisun. 

Ore  prie  jeo  de  quer  parfunt 
Tuz  iceus  qe  cest  escrit  averunt 
Qe  il  le  prestent  a  délivre 
296  A  tuzceusqi  le  vodruntescrivre. 


Ore  prie  trestuz  ceux  que  orrunt 
Icest  escrit  u  que  le  lirrunt 
Q_ei!  prient  Deu  omnipotent  (/".1 39) 

264  Qe  il  de  tuz  maus  me  defent, 
E  doint  ceste  ovre  issi  parfera 
Ke  en  droit  fei  le  puisse  trere, 
E  puz  le  curs  de  ceste  vie 

268  Od  seinz  estre  ensa  baillie. 
Car  ceste  ovre  face  verement 
Pur  mei  et  pur  tute  gent. 
Tuz  nen  ont  pas  tute  escripture 

272  Ne  tuz  n'entendent  pas   lettrure; 
Teus  les  evangeles  out  e  lit 
Ke  il  n'entendent   pas  quanqe  il 
[dit, 
E  pur  tuz  faire  e  tuz  entendre 

276  En  Deu,  osai  cest  ovre  enprendre, 
Ke  tuz  oient  overtement 
Ceo  qe  le  evangeile  lur  aprent; 
E  tuz  veient  en  ceste  escrit 

280  Ceo  qe  le  latin  espant  e  dit. 
Pur  nient  aillur  travaillerunt  : 
Suffisanment  ici  l'orrunt. 
Jeo  nel  di  pas  as  clers  lettrez 

284  Ke  sunt  en  seinz  escriz  fundez, 
Mes  as  autres  meinz  entendans 
Cum  jeo  sui  meimes  e  asquans, 
Ke  ne  poùm  tut  ensercher. 

288  Mes  a  pein[e]  le  frut  parer. 
Dunt  jeo  communément  tuz  pri 


DOMINICA   PRIMA   ADVENTUS   DOMINI. 
EVANGELIUM  SECUNDUM  MaTHEUM 

Cum  appropïnqiiasset  Jhesiis  Jerosolimis 
et  venissct  Bdhjagc  1 ,  etc. 

Jhesus  vint  près  d'une  cité 
Qui  Jérusalem  est  apelé. 
E  quant  il  vint  a  Bethfagé 

300  Qi  est  al  Munt  de  Olive, 

Dunt  ad  des  sens  deus  apelé  : 

«  Alez  »  fet  il  «  en  la  cité 

«  Al  chastel  cuntre  vous  levé  : 

304  «   Une  asnesse  i  ad  lié, 
«  E  sun  asnun  li  est  al  pé. 
«  Quant  les  avérés  deslié, 
«  Tantost  me  seient  amené. 

308  «  Si  nuls  vous  ad  demaundé, 
«  Dites  q'il  e.st  li  surs  a  gré, 
«  Mester  en  ad  sa  volunté  ;     [d] 
«  Cil  vous  avérât  tantost  lessé.  » 

3 12  Icest  feit  ad  aveiré 

Ceo  que  fut  einz  prophétisé  : 
«  La  fille  Syon  seit  nuncié 
«  Tis  reis  vient  en  peisibilté, 

3 16  «  Sur  un  asnead  fet  sun  se, 
«   E  sur  le  fiz  al  suzjugé  ». 
Li  disciple  s'en  sunt  aie; 
Fetunt  cum  lur  est  comaundé, 

320  La  asnesse  e  le  asnun  unt  mené 


2 $4  I  CoRR.  xm,  8.- 
se.  —  309  li  surs,  corr. 

MaTTH.  XXI,  5. 

: .  Matth.  XXI,  I. 


-  280  Corr.,  espaut  ou  espont;  cf.  337.  — 295  le,  ms. 
le  sire.?  —  317  «  et  super  pullum  filium  subjugalis.  » 


MANUSCRITS   FRANÇAIS   DE   CAMBRIDGE     GG  .  I  ,  I  ) 


P3 


E  sur  eus  unt  lur  dras  gellé, 
Puis  unt  Jhesum  en  sun  munté 
E  si  sunt  en  la  cité  entré. 

324  Li  serjaunt  a  la  gent  Ebré 
Encuntre  lui  s'en  sunt  aie  ; 
Lur  dras  al  chemin  unt  getté, 
Plusurs  unt  arbres  deramé, 

528  Si  unt  le  chemin  estrainé; 
De  tut  pars  unt  crié, 
Cil  devant  e  cil  detré  : 
«  Osanna  soit  al  fiz,  de  gré, 

332  «  Beneit  qui  vient  el   munde  ! 


Ore  avez  01  la  lessçun, 
Ore  oiez  la  interpretacioun, 
Qui  Dieu  nusdoint  sa  beneicun 

336  E  de  nos  péchez  facepardoun! 
Cist  nun  Jhesus  espont  «  saveur» 
Qui  nus  sauva  par  sa  dusçur, 
E  Jérusalem  iceste  noun 

340  Espant  de  peiz  la  visioun  : 

«  Meisun  de  bûche  »  est  Bethfagé, 
«  Miséricorde  »  est  Olive. 


La  vision  de  saint  Furseus,  dont  j'ai  dit  un  mot  plus  haut,  prend  place 
au  deuxième  dimanche  après  Pâques.  On  sait  que  ce  récit  a  été  incor- 
poré par  Bède  dans  son  Historia  ecclesiastica  (III,  xix).  On  consultera 
utilement  sur  l'histoire  de  cette  légende  les  notes  de  l'édition  que 
M.  le  professeur  J.-B.  Mayor  a  donné  des  livres  III  et  IV  de  Bède  (Cam- 
bridge 1878),  comme  aussi  Th.  Wright,  Saint  Patrick's  Purgaîory  (Lon- 
don  1844),  p.  7-1 1,  et  A.  d'Ancona,  I  precursori  di  Dante  (Firenze, 
1874I,  p.  40-1.  Voici  le  texte  de  notre  ms.  accompagné  des  variantes 
du  ms.  de  Londres  et,  pour  les  vers  cités  par  Wright,  du  ms.  de  Trinity 
Collège  aujourd'hui  en  déficit. 


Dunt  il  avint  jadis  a  un  prestre 
Quien  Knanisburch  esteit  mestre, 
Q^uant  lunges  i  eut  conversé 

4  Si  se  est  encuntre  lit  cuché  ; 
E  quant  il  quida  dévier 
Devant  lui  vint  un  bacheler. 
La  main  li  tendi,  si  li  dist  : 

8  «  Vien  t'en  od  mai  »,  e  il  si  fist. 
U  ne  Yoisist  u  ne  deingnasî, 
Convint  lui  qe  ovek  lui  alast. 
En  plusurs  lius  si  le  mena 

2  E  mut  des  choses  si  lui  mustra  ; 


D'enfern  li  mustra  le  parfund 
E  les  peines  qe  illeoques  sunt, 
E  puis  le  mena  vers  le  ciel 

16  U  il  vist  e  truva  tut  el; 
Mes  quant  al  ciel  aprocerent 
En  l'eir  un  feu  mult  grant   i  tro- 
Ly  feus  ert  merveille  grant  [verent. 

20  E  mult  orrible  e  mut  ardaunt. 
Li  guiurs  i  est  lors  entrés   (/.  191) 
E  li  prestres  se  est  arcstés. 
Ens  al  feu  li  guiurs  ala, 

24  Mes  unqes  le  teu  nel  tucha. 


328  On  pourrait  corriger  estramé,  niais  il  y  a  des  ex.  ^/'estrayner,  voy. 
ledict.  de  M.  Go.tefroy.  —  235  Corr.  Que.  —  340  Corr.  espaut  ou  espont. 

Variantes  du  ms.  de  Londres  {L.),fol.  53-4,  et  pour  les  vers  1-6  et  46-60,  du 
ms.de  Tr.  Coll.  d'après  Wright.  —  2  L.  de  Gnaresbure;  Tr.  Ke  de  Can- 
terbury  ert  m .  Celte  dernière  leçon  ne  vaut  rien.  Il  y  a  dans  Bede  (III,  xix)  Cnobher- 
esburg,  cjui  est  actuellement  Bnrgh  Castle,  en  Suffolk. —  11  L.  E  en  p.  I.  l'amena, 
—  I  2  L.  E  multes  ch.  I.  m.  —  18  L.  un  g.  feu  mult  t.  —  21  /..  g.  e.  lores 
e.  —  23  L.  el  f.  li  g.  entra.  —  24  L.  unks...  ne  le. 


304  P. 

Atant  regarda  il  le  prestre, 
Si  li  dist:  «  Vien  avant,  mestre; 
«  Ja  de  cest  fue  ne  te  ert  le  pis, 
28  «   Fors  sulement  de  tant   cum   tu 
[as  mespris  : 
t  Tant  arderas  en  iceste  feue 
a  Cum  tu  as' prise  nient  rendue.  » 
Muit  envis  e  mut  pensis 
32  Li  prestres  eins  al  feu  s'est  mis  ; 
Li  feu  de  tute  pars  esteit, 
Mes  unqes  point  ne  l'adeseit  ; 
Tuit  cel  feu  vist  il  repleni 
36  D'almes  ardant  od  grant  cri  ; 
E  li  diables  les  turmentoient 
E  l'un  sur  l'autre  od  crocs  moient; 
Od  crocs  ardans,  mes  fermes  erent, 
40  Les  aimes  tutsanz  merci  getoient: 
Nul  n'estoet  pas  par  sei    several, 
Mes  chescun  ert  a  autri  mal; 
Checun  ert  a  autri  peine; 
44  Si  crioient  a  dure  alaine. 

Del  crie,   del  plur,  de!  guayement 
Ert  li  prestres  en  grant  turment  ; 
Quant  il  vint  el  feu  ben  avant, 
48  Es  vus  un  diable  a  fort  curant, 
Les  oiles  ardans  mut  roelant 
E  de  la  bûche  eschivout  ; 
Un  aime  ardant  en  son  croc  tint 
52  E  vers  le   prestre   ad  grant  curs 
E  criout  fort  en  sun  estais:   [vint, 
«  Di  va  !  prestre  fel  maveis, 
«   Pren  celui  qe  tu  as  tué  !  » 
56  Si  ad  l'aime  sur  lui  rué.  (b) 


L'aime  descendi  sur  le  prestre, 
E  si  lui  art  li  espaule  destre. 
L'arsun  tant  mal  lui  feseit, 

60  Ce  lui  ert  vis  qe  morir  deveit, 
Qe  de  arsun,  qe  des  espuntailles. 
La  quida  remeindre  sanz  faille. 
Al  chief  del  tur  mut  haut  s'escrie 

64  E  de  sun  guiur  demande  aïe; 
E  il  lui  dist:  «  Ne  vous  damez; 
«  Tant  arderez  cum  pris  avez, 
«  Pos  a  vous  deis  que  en  cest  feu 

68  «  Ardreit  ceo  qe  n'est  rendu. 
(I  Ore  veez  si  vous  cunoissez 
«  Cestui  par  qui  vous  ardez.  » 
E  li  prestres  respundi  atant  : 

72   «  Jeo  le  cunusse  a  ma  peine  grant 
»   De  lui  oi  a  sun  moriant 
«   Une  chape,  mes  par  sunt  grant; 
«   Mais  puis  ne  lui  n'ai  rendu  tant 

76  "  Cum  jeo  lui  lui  en  covenant. 
0   E  sachez  qe  par  ubliance 
t   L'ai  fet,  e  nient  de  voillance.  » 
Dune  ad  l'angle  l'aime  pris, 

80  En  le  feu  l'ad  arere  mis  ; 
L'espaule  al  prestre  lors  tucha, 
E  la  dolur  del  feu  en  osta. 
Par  mi  le  feu  l'ad  amené 

84  E  del  ciel  lui  ad  mut  mustré. 
La  glorie  lui  mustra  en  veir 
Tant  cum  dust  a  home  saveir 
E  puis  l'ad  conduit  a  sun  cors. 

88  E  li  prestres  vesqui  lors 
Ke  trestuz  qe  al  cors  erent 


26  L.  Venz  a.  dan  m. —  28  L.  F.  sul.  —  3 1  L.  e  m.  est  p.  —  33  L.  tûtes 
parz.  —  35  ^-  omet  il.  —  36  L.  ardantes.  —  38  L.  cros  ruouent.  —  39  L. 
m.  de  fer  erent.  —  41  L.  omet  pas.  —  43  L.  Ch.  esteit.  —  44  L.  crièrent  a 
dur.  —  48  Trin.  Coll.  vint  f.  c.  —  49  corr.  roelout,  leçon  de  L.;  Tr.  Coll.  a 
roilant  £/  au  v.  suivant  eschivant.  —  49  L.  eschumout.  —  $1-2  L.   tient-vent. 

—  52  Tr.  omet  ad.  —  1,4  L.  traître,  Tr.  treiturs.  —  57  Tr.  descent.  —  58  L. 
li  arst  le  e.  ;  Tr.  li  ardla  paume;  Bide:  humerum  maxillamque  ejus  incenderunt. 

—  59  L.  L'a.  ad  fet  mal  li  f.  ;  Tr.  Li  a.  ke  ad  feit  mal  li  f.  —  60  L.  Ceo  li  e. 
V.  m.  d.  ;  Tr.  Ceo  li  fu  v.  m.  d.  —  61  L.  Ke  d'espuntaille.  —  64  L.  A  sun 
seignur  d.  —  65  L.  v.  tamez.  —  68  L.  Ardera.  —  71  L.  respunt  a.  —  72 
L.  Jol  cuneis.  —  -j^  L.  [Jjamès  p.  ne  I.  ai.  —  77  L.  c'est  u.  —  80  L.  E  el  fu 
ad.—  82  L.  omet  en.  —  83  L.  l'ad  puis.  —  85  L.  La  g.  del  ciel  li.  —  86  L. 
c.  il  sist  a.  —  89  L.  Kar  t.  cil  ki. 


92 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (CG 

Par  treis  jours  a  mort  le  quiderent; 
E  puis  vesquist  il  lungement 
E  se  cuntint  mult  seintement,    (c) 
Mes  l'arsun  qu'il  el  feu  resust 
A  tut  dis  al  cors  lui  aparust; 


i.i) 

Mien  scient  Deu  vout  ceo  fere 
96  Qe  l'em  ne  deust  pas  niescrere. 
E  Sun  vivant  le  amenda  issi 
Qe  ore  est  apelee  seint  Furci. 


30$ 


L'ouvrage  se  termine  ainsi  [fol,  261 

Pur  ceo,  seignurs,  pur  amur  Dé, 
Si  ben  volum  estre  sauvé 
De  tluxiun  de  nostre  charnage, 
Turnum  a  Deu  nostre  curage, 
Turnum  a  lui  nostre  espirit 
En  penser,  en  fet  e  en  dit  ; 
Si  nostre  penser  sulement 
Ceo  coveit[e]  qe  a  Deu  apent, 
Certes,  la  char  tost  revendra 
A  Jhesum  ke  se  ameisera. 
La  char  ne  ad  force  ne  valur 
Fors  par  l'espirit  le  sur  [sic). 
Ki  l'espirit  tent  ben  en  Dé 
Mar  duterat  la  charnalté. 


ib) 


Deu  nous  doint  issi  en  lui  tenir 

En  lui  vivre  en  lui  garir 

Ke  sanz  espiritel  damage 

Lui  puissum  servir  en  charnage, 

Si  veir  eu  m  ceste  sana 

E  a  la  fille  al  prince  vie  dona. 

Ici  finent  les  domenées 

Brevement  cspus  [e]  endité[e]s. 

Ore  prie  tuz  ke  les  oient  e  dient 

Keil  pur  Robert  de  Gretham  prient 

Ki  Deu  meintenge  si  sa  vie, 

Ki  par  li  seit  en  sa  baillie. 

Amen,  amen  chescun  en  die  ! 


10.—  Les  psaumes  de  la  pénitence  traduits  en  vers .  —Version  qui  a  été 
très  répandue,  non  seulement  en  France,  où  elle  a  été  composée,  mais 
en  Angleterre'.  Du  Miserere  on  possède  une  autre  traduction,  également 
en  vers,  dont  un  extrait  a  été  publié  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des 
anciens  Textes,  1881,  p.  $1 . 

Hic  incipiunt  vij.  psalmi  penitencic  (f.  261  b). 
«  Domine  ne  in  fur  ore  tuo,  etc.  »  [Ps.  vi] 
Deu,  en  tes  vengemens  ne  me  pernez,  sire! 
En  cesi  siècle  présent  si  me  chastiez  sanz  ire; 
Eez  merci  de  mei,  si  me  donez  sauncté, 
E  par  ta  seinte  lei  me  menz  asaveté. 

La  mei  aime  est  trublé  e  poy  de  senz  i  ay. 


Gloria  Patri.  Beau  quorum  [xxxi] 
Benurez  set  ciel  {sic)  a  ki  ad  Deu  perdonez 


92  L.  Si  se  c.  m.  sagement.  —  9j  L.  al  f.  —  95  L.  Men  exient  Deus  le  v. 
f.  —  97  L.  En  s.  V.  se  a. 

1.  Voy.  Romania,  VI,  19  et  XIII,  238,  note  3. 

Romania,  XV.  20 


306  P.    MEYER 

Le  péchez  qe  il  ad  fet  e  les  desleutez. 


Domine  ne  in  furore  [xxxvii].  (vo) 

Deu,  en  tes  vengemenz  ne  me  repernez,  sire! 
En  ceo  siècle  présent  si  me  chastiez  sanz  ire 
De  tes  digne  setes  as  mun  quor  féru 
E  pur  ceo  par  ta  main  ben  avéra  salu. 

Miserere  mei  Deus  [h].  (f.  262). 

Deuj  eez  merci  de  mei  a  ki  tut  ben  se  acorde, 
Eez  merci  de  mei  par  ta  miséricorde. 

Domine  exaudi  [ci].  (v") 

Deu,  oiez  ma  oreisun  e  entendez  ma  clamur, 
Entendez  ma  reisun  e  me  donez  ta  amur. 

De  profundis  [cxxix].  (f.  263  y). 

De  grant  profunde  crie  a  la  hautesce  : 
Receive  ma  voiz  en  gré,  si  me  aïe  e  dresse. 

Domine  exaudi  [cxlii]. 
Deu,  oiez  ma  oreisun  e  la  recevez  en  gré 
E  me  otriez  pardoun  sulum  ta  vérité. 

11.  —  Ave  Maria  paraphrasé.  — Un  couplet  pour  chacun  des  mots 
de  la  salutation  angélique:  Ave  Maria gratia  plena.  Dominas  îecum.  Bene- 
dicta  ta  in  mulieribus,  et  benedicîus  fruclus  venîris  îui.  Amen.  Les  pièces 
de  ce  genre  sont  nombreuses  ;  voy.  le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens 
Textes,  i88i,p.  49,  et  Suchier,  Denkmder  provenzalischer  Literaîur, 
I,  284. 

Ave  très  duce  Marie,      ave  gloriouse,  (/.  264) 

Ave  ros  espani[e],      ave  preciouse, 

Ave  freche  flour  flori[e],      ave  graciouse, 

Ave  fonteingne  de  aïe,      ave  plentivouse. 

Maria,  esteile  de  mère     estes  appelle  ; 

La  lune,  le  soleil  cler      de  vous  est  alumé. 

Requérez  tun  trecher  fiz  2,      mère  benuré, 

Que  m'aime  doint  si  guverner      qe  en  ciel  eit  le  entré. 


1.  On  pourrait  corriger,  en  vue  de  la  rime  intérieure,  tun  fiz  trecher. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS   DE   CAMBRIDGE    (GG.  1  .  I  ) 


307 


12.  —  Les  cinq  joies  de  Notre  Dame.  —  Ce  sujet  a  été  traité  au  moins 
cinq  fois  en  vers  français,  notamment  par  Gautier  de  Coinci  ' .  Ici  comme 
dans  un  texte  en  prose  conservé  dans  le  ms.  Digby  86  (Bodleiennei^, 
la  prière  des  cinq  joies  est  attribuée  à  l'évêque  de  Paris,  Maurice  de 
Sully  (f  1 196).  La  pièce  qui  suit  a  certainement  un  Anglais  pour  auteur. 
Je  n'en  connais  pas  d'autre  copie. 


Dt  les  c'inc  joies  Nostre  Dame  {l  265  a). 

Vous  ke  Nostre  Dame  amez, 

A  ceste  oreisun  bien  entendez. 

Nostre  Dame  lui  mult  ama, 
4  A  seintie)  Maurice  les  envea 

Ke  fu  eveslce  de  Paris, 

Qe  de  lui  servir  se  eut  entremis. 

Par  sun  message  lui  charga 
8  E  lui  dist  e  lui  comanda 

Ke  au  people  le  deïst 

E  enseignast  e  en  apreïst  ; 

[Ki]  chescun  jour  les  direit 
12  E  devoutement  le  chantereit, 

En  l'onurance  de  les  cink  joies 

Qe  ele  eut  bien  verroiz, 

Sun  cherfiz  qe  ele  ama 
16  De  s'amur  lui  guerdonera  ; 

Ja  en  ceste  siècle  ne  serra  enledi 

Ne  enginné  de  l'enemi, 

Ne  en  péché  criminal 
20  Ne  perdera  sun  jornal, 

Ne  en  curt  ert  faus  jugé, 

Ne  autrement  par  mal  ert  liveré; 

Femme  d'enfaunt  ne  périra 
24  (Qe)  qi  devoutement  ceste  oreisun 

Ne sanz  con'essioun  ne  murra,  [dira, 

Ne  sa  aime  en  peine  ne  serra. 

Li  seint  angle  Gabriel 
28  Vint  a  Marie  treis  fiez  de  ciel, 
E  lui  dist  la  joie  premereine  : 
«  Deu  vous  sauve,  Marie  de  grâce 
[pleine! 


«  Le  seint  Espirit  sur  vous  vendra 
32  E  de  sa  vertu  vous  ennumbrera; 
Le  fiz  Deu  conceiverés, 
En  vostre  ventre  lui  porterés.  » 

La  secunde  joie  ke  ele  eut, 
56  Geo  fu  quant  ele  enfauntout 
Li  fiz  née  sanz  dolur,  (b) 

S[a]uve  de  virgineté  la  flour. 

La  tierce  joie  lui  mustra 
40  Sun  chier  fiz  quant  il  releva 
De  mort  en  vie  vereiment, 
A  lui  aparust  certeinement. 

La  quarte  joie,  quant  il  munta 
44  E  les  apostles  ensembla. 
I!  iur  mustra  cum  il  alout 
A  sun  père,  qe  mult  li  plout. 

La  quinte  joie,  quant  ele  transit, 
48  De  ceste  siècle  sanz  péril  issist 
E  les  aposteles  ensembla. 
Le  fiz  sa  mère  mult  honura 

Marie  virgine  gloriouse, 
52  La  mère  Deu  e  sa  espouse 
Ki  par  lui  li  conseùtes 
E  après  lui  virgine  fustes, 
Sanz  dolur  lui  portastes 
56  E  del  leit  virgine  li  letastes, 
Duce  dame,  si  cum  jeo  crei 
Ke  vous  gloriouse  portastes  le  rei. 
Vous  estes  fille,  vous  estes  mère, 


Voy.  Zeitschrift  f.  romanisclie  Philologie, 
Voy.  la  notice  de  M.  Stengel,  p.  6. 


308  p.    MEYER 

66  Envostreventreportastes  ton  père,  Qe  de  moy  clamez  merci. 

Chier[e]  mère,  pur  moy  priez,  Priez  vostre  fiz,  père  vostre; 

Quant  de  moy  serra  finez,  68  Pur  ceo  dirrai  ma  pater  nostre. 

Ke  m'aime  seit  en  parais  Qe    ceste  oreisun   ciiescuns  jour 

64  Entre  les  angeles  ou  serrant  assis.  [dirra 

Cliere  mère,  jeo  vous  prie  vint  jours  de  pardoun  en  avéra. 

13.  —  L'Assomption  de  Notre  Dame,  par  Herman  de  Valenciennes. 
—  Cet  ouvrage  bien  connu  se  trouve  le  plus  ordinairement  réuni  à  h  Bible 
du  même  auteur.  11  se  rencontre  ici  isolément  comme  en  d'autres  mss. 
parmi  lesquels  on  peut  citer  le  ms.  Bibl.  nat.  fr.  1822  ,  le  ms,  Libri  1 1 2 
(volé  à  Toursl,  maintenant  chez  M.  le  comte  d'Ashburnham  '  ,  le  ms. 
de  la  Bodleienne  E  Museo  62,  et  le  ms.  Digby  86.  Dans  la  présente 
copie,  d'ailleurs  fort  incorrecte,  manquent  les  deux  dernières  tirades, 
dont  l'une,  l'avant-dernière,  contient  le  nom  de  l'auteur. 

{ci  comcnce  dcl  assumpcioun  Nostre  Dame  stinte  Marie. 

Seignurs,  ore  escutez!  ke  Deu  vous  beneïe 
Pur  sa  mort  doleruse  ki  nous  dona  la  vie. 
Bien  l'avez  oï,  ben  est  ke  jeo  vous  die: 
Kant  Deu  fu  mis  en  la  croiz  de  cele  gent  haïe 
Comanda  Jhesus  seignurs,  a  sun  ami  s'amie, 
A  l'apostle  sa  dame,  a  seint  Johan  Marie. 
Mut  par  fu  doleruse  icele  départie 
Si  2  bons  euvangelistes  la  prist  en  sa  baillie. 

Sachez  qe  nostre  Sire  mult  seint  Johan  ama, 
De  sa  croiz  u  il  pendi  quant  a  sei  le  apela. 
Sa  mère  vint  od  lui,  illoec  la  comanda. 
Volenters  la  reçust  e  tendrement  plora. 
Prist  sa  dame  en  sa  main,  plorant  s'en  turna; 
Al  temple  sunt  venuz,  iloec  la  comanda 
Oveec  les  seintes  dames  qe  il  ileoc  trova. 
Ele  remist  al  temple  u  sun  cors  travailla, 
Veillaunt  chescune  nuit  e  chescun  jour  juna. 

La  reine  del  ciel  mult  ert  gloriuse. 

Fin  (fol.  291  yo). 

En  kalendes  de  Aiist  fut  la  dame  enterée; 


1.  Fol.  i-i  I.  J'ai  pris  copie  de  ce  texte  en  1865  à  Ashburnamplace. 

2.  Corr.  Li. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS    DE   CAMBRIDGE    (GG .  I  .  I  )  509 

Ceo  sachez  qe  ce!  jour  fust  mainte  aime  sauvée. 
El  val  de  Josaphat  fu  la  dame  posée. 
De  amis  e  de  parent  meinte  lerme  plurée. 
Iceo  sachez,  seignurs,  n'i  fu  pas  ubiiée, 
Ainz  fu  de  sun  fiz  bonement  visitée. 
Ne  remist  pas  enterre:  en  cel(e)  est  porté[e], 
La  set  od  ses  angeles,  reine  est  apelée, 
Mult  est  bien  servie  e  mult  est  honurée, 
Issi  comme  vous  ai  dit,  la  raison  est  otrie  ' . 

Ore  priez  le  seigneur  ke  ele  vous  doint  sa  glorie, 

E  le  diable  veintre  e  venir  a  victorie  ; 

Envers  Deu,  sun  bel  fiz,  nous  face  adjutorie, 

Ke  le  diable  ne  nous  puisse  faire  contrarie, 

E  si  nous  doint  deservîf  la  celestiene  glorie 

Ke  nous  ne  seum  vencu  si  nous  tenge  en  memorie. 

Iceo  nous  prist  (51c)  icel  sire  ki  vit  e  règne  en  glorie. 

Amen. 

14.  —  La  plainte  Notre  Dame.  —  Version  en  vers  d'un  opuscule 
latin  du  moyen  âge  dont  on  ignore  l'auteur  et  qui  a  été  attribué  à  saint 
Augustin,  à  saint  Bernard  et  à  saint  Anselme.  J'en  ai  signalé  jadis  *  trois 
traductions  françaises  en  prose,  et  j'en  connais  actuellement  une  qua- 
trième (Arsenal_,  937).  De  la  version  poétique  que  nous  oflfre  le  ms.  de 
Cambridge  il  existe,  dans  le  ms.  Grave  51  de  la  Bodleienne5,  une  autre 
copie  un  peu  moins  ancienne,  du  milieu  du  xiv"  siècle  environ.  La  particu- 
larité de  ce  poèmeestd'avoir  été  composé  en  vers  de  seize  syllabes.  Sans 
doute  les  vers  ne  sont  pas  tous  réguliers.  Même  en  faisant  largement  la 
part  des  erreurs  de  copie,  il  restera  fort  probablement  certains  vers  incor- 
rects dont  la  responsabilité  devra  être  laissée  à  l'auteur.  Il  ne  faut  point 
s'en  étonner,  puisque  le  poète  écrivait  en  Angleterre  et  dans  le  cours 
du  XIII*  siècle.  Mais  j'affirme  qu'en  général  on  réussit,  par  une  judi- 
cieuse combinaison  des  deux  copies,  à  établir  un  texte  oii  les  vers  sont 
composés  de  deux  hémistiches  ayant  chacun  huit  syllabes.  Voici,  par 
exemple,  comment  je  restituerais  les  premiers  vers  : 

Pur  ceus  et  celés  ki  n'entendent      quant  oient  lire  le  latin 


I  Corr.  outrée. 

2.  Bulletin  de  la  Société  des  anciens   textes  français,    1875,   p.   61  et  suiv. 
cf.  1886,  p.  48. 

3.  N"  382 j  des  Catalogi  de  Bernard. 


310  p.    MEYER 

Jeo  ai  comencé  icest  livre,       e  Deus  i  mette  bone  fin  ! 

Jeo  vei  qe  la  letrée  gent      unt  lur  joie  de  seint  escrit, 

E  quant  entendent  ceo  qu'il  oient      mult  en  ad  l'aime  grant  délit  ; 

Les  lais  ne  sevent  qu'est  a  dire,       dunt  sovent  en  ai  grant  pité, 

Car  ausi  bien  les  dei  amer       cume  les  clercs  en  charité, 

Honmes,  fenmes  e  tute  gens      de  siècle  e  de  religion. 

Je  ne  connais  pas  d'autre  exemple  bien  caractérisé  de  cette  forme  dans 
la  poésie  lettrée;  quelques  vers  isolés  qu'on  peut  rencontrer  çà et  là  dans 
la  littérature  anglo-normande  ne  sont  pas  à  prendre  en  considé- 
ration. Toutefois  le  vers  de  seize  syllabes  coupé  au  milieu  n'a  rien  qui 
répugne  aux  principes  de  la  versification  française.  Il  est  au  vers  de  huit 
syllabes  ce  que  l'alexandrin  est  au  vers  de  six  syllabes.  Il  y  a  toutefois 
cette  différence  que  le  vers  de  huit  syllabes  était  originairement  divisible 
en  deux  hémistiches,  ce  qui  n'était  pas  le  cas  du  vers  de  six  syllabes.  Par 
suite  le  vers  de  seize  syllabes  a  du  être  très  rare  à  l'époque  ancienne. 
Mais  dans  la  poésie  populaire  il  est  très  fréquent,  avec  cette  nuance  que 
le  premier  hémistiche  a  ordinairement  une  terminaison  féminine.  On  en 
fait  ordinairement  deux  vers,  mais  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  ne  pas 
mettre  les  deux  hémistiches  sur  la  même  ligne^  puisque  la  rime  est  un 
élément  essentiel  du  vers  roman».  Ainsi  j'écrirais  volontiers  ainsi  le 
premier  couplet  de  la  chanson  de  Philippe  de  Savoie  3  -. 

Voilés  oyr  chanson  piteuse      qui  fut  faite  de  cueur  marri? 
Elle  fut  faite  en  une  chambre,      Phelippe  de  Savoye  la  fist. 

Voici  le  début  et  la  fm  de  notre  lamentation  ou  plainte  de  Notre 
Dame,  d'après  les  deux  mss.  : 

Ici  cummence  H  livre  de  les  lamentaciuns  Nostre  Dame  seinte  Mariei  (f.  272). 

Pur  ceus  e  pur  ceis  ki  n'entendunt      quant  oient  lire  latin 
Ai  comencé  iceste  livre;        Deus  i  met  bon  fin  ! 
Jeo  vei  qe  la  gente  lettré        unt  lur  joie  de  seint  escrist, 
4  Car  quant  entendunt  ceo  qu'il  oient      l'aime  en  ad  mult  grant  délit. 


1 .  On  sait  que  Milà  y   Fontanals  considérait  comme  deux  hémistiches  ce 
qu'on  imprime  ordinairement  comme  deux  vers. 

2.  Romania,  IX,  473 . 

3.  Ms.  Grave  51,  fol.  69  : 

Ici  comcnce  la  passiun  Nostre  Dame. 
Por  ceous  qe  entendent  ren       quant  oient  lire  le  latin 
Jeo  ai  comencé  cet  livre  ;       Deus  i  mette  bone  fin  ! 
Jeo  vey  qe  les  gens  lettrés      unt  lur  joie  en  seinte  escrist, 
4  E  quant  entendent  ceo  qe  il  oient      must  ad  l'aime  grant  délit. 


MANUSCRITS    TRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (GG.l.I  ^11 

Les  lais  ne  sevent  qe  ceo  est  a  dire,      dunt  sovent  ai  grant  pité. 

Car  ausi  bien  les  dei  amer      cum  les  clercs  en  charité, 

Madies,  femmes,  tute  gent      del  siècle  e  de  religion, 
8  A  tuz  sûmes  nous  docturs      en  tant  cum  fere  le  poùm. 

Par  tant,  del  petit  ke  jeo  sai       vous  ai  iceste  roir.aunce  escrit. 

Ore  licez  {sic),  ne  puet  estre      qi  ne  ad  acune  délit; 

Si  rien  oiez  qe  vous  semble      qe  en  evangeile  ne  seit  escrit 
2  Sachez  bien  qe  en  sun  livre      seint  Johan  apert  le  dit  : 

Car  si  tut  fu  mis  en  livre      kancke  Jhesu  fist  et  dist, 

Tut  le  munde  n'en  entendreit,       tant  fu[st]  grant  icel  escrit. 

Pur  ceo  vous  pri  comunement      qe  cest  romance  lir  orretz  : 
6  Si  ren  oiez  qe  vous  despleise,      jeo  prie  nel  descreez. 

Rien  n'  i  ad  pur  vérité,       si  vous  die  hardiement; 

Le  perteus(?)  ne  provereie      si  fuisse  meïsmes  en  présent. 

Seint  Bernard  fist  iceste  livre,      mes  poi  i  ai  mis  del  men  ; 

Ore  prium  duz  Jhesu      ke  chevir  le  puisse  bien. 


20 


Ki  me  durra  tant  de  lermes      ke  plurer  puisse  nuit  e  jour 

Jeske  atant  qe  sun  serjant      conforte  le  duz  Seignur? 

Peisif  {sic)  sui  e  mult  dolent,      si  ne  puisse  confort  aver, 
24  Si  li  seignur  debonere       ne  me  voille  conforter. 

Filiez  de  Jérusalem,      kar  entendez  mei  devoutement  ; 

Deu  espusez,  Deu  amiez,      priés  le  entendement. 

Plorom  sur  lui,  en  plurant      priom  nostre  duce  espusc 
28  Ke  il  sa  doçur  e  sa  leauté      deigne  mustrer  a  nous  tuz 


Les  lays  ne  scevent  quant,  ceo  est  a  dire,      dont  sovent  en  ay  pité, 

Qe  autres!  ben  les  dei  amer      cum  les  clers  en  charité, 

Honmes  e  femmes  e  totes  gens      de  secle  e  de  religion, 
8  A  touz  sûmes  nous  doc'.ours      tant  cum  fere  le  poûm. 

Par  unt  de  petit  qe  jeo  say      vous  ay  cete  romaunce  escrist. 
12  Sachez  qe  seint  Jon  en  son  livre      tut  apertement  le  dit: 

Que  si  tut  fusl  mis  en  livre      quant  qe  Jésus  fist  e  dit, 

Tut  le  munde  ne  le  entendereit,      tant  sereit  grand  ce!  escrist. 

Pur  ceo  vous  pri  comunement      qo  vus  cete  liverette  orrez, 
16  Si  rens  oiez  qe  vous  despleyse       vous  pri  pur  ceo  ne  descreez. 

N'i  ad  rens  mes  que  vérité,       ce  vus  afi  hardiement; 

Apertement  le  proveray       par  tut  ou  jeo  fuse  présent. 

Seint  Bernard  fit  cet  livere      e  poy  jeo  ay  mis  del  men  ; 
20  Ore  piiums  ly  douz  Jesu      qe  eschever  le  pussum  ben. 

Ke  meyTdorra  tant  de  lermes       qe  plorer  pusse  nuyt  e  jour 
Deskes  tant  qe  li  sergant      recomforte  sun  seigneur? 
Pensif  seu  e  mut  merveyié,       si  ne  puys  confort  aver, 
24  Si  le  seignur  debonere      ne  mey  voylle  reconforter. 
Filles  de  Jérusalem,       car  eidez  mey  devoutement 
Deu  espousese  amies,      priez  le  ententivement. 


j,2  P.    MEYER 

Fin  (fol.  279  V)  : 

Atant  se  levé  seint  Johan      e  li  autres  li  vfujnt  entur, 
Si  le  menez  en  la  cité      plus  par  force  qe  par  amur. 
Seint  Johan  l'a  gardé  al  meuz      ke  il  puet;  beneitseit  il  de  luer, 
E  tuz  ceus  ke  la  dame  honurent      ben  a  lur  poer  1 
Beneit  seit  li  duz  Jhesu      e  tut  [jurs]  mes  seit  honuré 
Ke  cesser  ne  veut  jeskes      a  tant  ke  veit  sa  gent  délivré  1 
E  beneit  seit  la  duce  mère      kenous  porta  le  rei  de  gloire, 
E  beneit  seittresluz  iceus      ke  sa  peine  unt  en  memorie! 
Amen. 

15.  — Gautier  de  BiBLESwoRTH,'Traité  pour  apprendre  le  français 
(fol.  279  c  à  294  b).  —  Ici  Gautier  de  Biblesworth  est  appelé  «  Gauter 
de  Bitheswey  ».  Pour  la  bibliographie  de  ce  poème  essentiellement 
didactique,  je  renvoie  à  un  article  précédent  de  la  Romania,  XIII,  500  ' 
et  quant  au  texte  même  de  notre  ms.,  on  en  trouvera  les  86  premiers  vers 
dans  mon  Recueil  cV anciens  textes  français,  partie  française,  n"  37. 

18.  —  William  de  Wadington,  Manuel  de  péchés.  —  J'ai  donné, 
de  cet  ouvrage,  dans  mon  mémoire  sur  les  mss.  français  de  Saint  John's 
Coll.,  une  notice  bibliographique  qui  doit  ^être  corrigée  et  augmentée. 
Le  ms.  que  j'ai  indiqué ^  comme  appartenant  à  la  Société  royale  de 
Londres  est  passé,  avec  beaucoup  d'autres,  au  Musée  Britannique  ',  où 
il  est  coté  Arundel  288.  Un  autre  livre  du  même  fonds,  Arundel  372, 
contient  deux  feuillets  de  garde  arrachés  à  un  ms.  du  Manuel  de  péchés. 
Enfin  j'avais  négligé  de  mentionner  le  ms.  Grave  51,  de  la  Bodleienne, 
dont  il  a  été  question  plus  haut,  p.  309.  Le  texte  qu'offre  notre  ms. 
ne  contient  guère  que  5700  vers,  soit  la  moitié  du  poème  environ.  Voici 
les  premiers  et  les  derniers  vers  : 

Ici  comence  la  Manuel  de  péchez  Nous  seit  aidaunt  en  ceste  escrit 

[(/.  294  c)      A  vous  deus  choses  mustrer 
Dunt  hom  se  deit  confesser, 
La  vertu  de!  seint  Espirit  E  ausi  en  la  queu  manere, 


1.  J'ajoute  que  le  ms.  de  Trinity  Coll.  Cambridge,  signalé  ci-dessus,  p.  198, 
comme  disparu  depuis  une  quarantaine  d'années,  contenait  une  copie,  accom- 
pagnée d'une  traduction  anglaise  (qui  ne  paraît  pas  se  trouver  ailleurs),  du  même 
traité.  De  plus  les  deux  premiers  vers  ont  été  écrits  sur  une  page  restée  vide 
du  ms.  Harl.  377$  (fol.  74  v"). 

2.  Romania,  VIII,  333. 

3.  En  183!  et  1832;  voir  la  préface  du  catalogue  du  fonds  Arundel 
(Londres,  1834,  in-fol.),  et  Edw.  Edwards,  Lives  of  the  Founders  of  the  Bntish 
Muséum,  p.  201. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS    DE   CAMBRIDGE    (GG.I.i)  ^I? 

Ke  ne  fet  mie  bon  a  tere,  Ki  cestescrit  vot  regarder. 

Car  ceo  est  la  vertu  del  sacrement,  Primes  dirroum  la  droite  voie 

Dire  le  péché  e  coment.  Ke  fundement  est  de  nostre  iaye, 

Tuz  pecchez  ne  poiim  recunter,  En  quele  ad  doze  point  prové, 

Mes  par  taunt  se  pot  remembrer  Ke  sunt  articles  apelé, 
E  ses  pecchez  bien  amender 

Fin  (fol.  328  c): 

Ha!  duce  Dieu  de  majesté,  E  ciel  e  tere  e  mère  fist  il   ensement, 

Qe  pot  comprendre  ta  bounté  !  Li  cors  de  servir  a  l'aime  si  verai  de- 

Ki  de  sa  grant  bien  pensât  la  sume  [finement 

Ke  avez  fet  a  cheitif  home.            [(d)  Ke  l'aime  ne  seit  dampné  a  jur  de  ju- 

Pur  ceo  priums  Jhesu  Crist  qui  fist  la  [gement  '. 
[firmament 

17.— Pierre  de  Langtoft,  Vie  d'Edouard  I.— Ce  poème  estune  des 
parties  de  la  chronique  en  laisses  monorimes  de  Pierre  de  Langtoft, 
chanoine  de  Bridlington  (Yorkshire),  que  Th.  Wright  a  publiée  en  deux 
volumes  dans  la  collection  du  Maître  des  rôles.  On  en  possède  plusieurs 
mss.  plus  ou  moins  complets,  qui  n'ont  pas  été  tous  indiqués  par  Wright 
dans  sa  préface.  J'ai  signalé  en  diverses  occasions  les  mss.  qui  ont 
échappé  à  ses  recherches  î.  Le  ms.  GG.  1.  i.  est  mentionné  dans  la 
préface  du  tome  second  de  l'édition.  Th.  Wright  s'en  est  servi  pour 
l'extrait  de  la  chronique  de  Pierre  de  Langtoft  qu'il  a  publié  dans  ses 
PoUtical  Songs  of  England  [London,  1839.  Camden  Society),  p.  237  et 
suiv.  Le  titre  de  Brut  donné  dans  notre  ms.  à  la  partie  de  la  chro- 
nique de  P.  de  Langtoft  qui  se  rapporte  à  Edouard  I,  est  exceptionnel, 
et  n'a  probablement  pas  d'autre  raison  d'être  que  le  nom  de  Bruîus 
inséré  dans  le  second  des  vers  qu'on  va  lire,  mais  ce  qui  n'est  nullement 
exceptionnel,  c'est  l'usage  de  copier  comme  un  ouvrage  complet  en  soi 
la  partie  de  la  chronique  qui  concerne  Edouard  I.  Trois  autres  mss. 
offrent  la  même  particularité,  à  savoir:  Collège  of  arms  14  (Londres)^, 
Fairfax  24  (Oxford)  4,  et  Douce  120  (Oxford)  5. 


1 .  La  mesure  montre  assez  que  les  quatre  derniers  vers  ne  sont  pas  de  l'auteur 
du  poème. 

2.  Revue  critique,  1867,  II,  198,  note  2  ;  Bulletin  de  la  Société  des  anciens 
textes,  1878,  p.  105,  note  i,  et  p    140. 

5.  Voy.  le  Catalogue  de  Sir  Ch.  Young  (1829),  p.  22;  Fr.  Michel,  dans  le 
volume  de  Rapports  au  Ministre  publiés  dans  les  Documents  inédits^  p.  76;  Le 
Roux  de  Lincy,  Roman  de  Jirut,  description  des  mss.   p.  ixxvij. 

4.  Le  n"  5904  dans  les  Catalogi  de  Bernard. 

^.  Bulletin  de  la  Soc.  des  anciens  textes  1878,  p.  140;  Duffus  Hardy,  Des- 
cript.  Catal.  III,  n°  433. 


314  p.    MEYER 

Ici  commence  le  Brut,  cornent  H  bon  rei  Edward  gaigna  Escotz  e  Galis  (f.  328  c.) 

Ky  volt  oyr  des  reys  cornent  chescune  vesquit 
E(n)  le  ille  de  Brutus  Bretainne  appeller  feist, 
E  puis  celé  houre  en  sça  ki  gaignast  ki  perdist 
Comment  li  rei  de  Lyns  Itaille  tut  venquist 


Fin  (fol.  345  v")  : 

For  Sectes  at  Dunbar 
Haved  et  thayre  gau  char 

Schame  of  thar  note, 
Wer  never  dogges  there 
Hurled  out  cl  herre^ 

Fro  coylthe  ne  cotte 

Suivent  quelques  lignes  latines  pour  compléter  la  page:  «  Quid  est 
celum  ?  Celum  habet  octo  gaudia  celestia . . . 

18.  —  L'Image  du  monde.  —  On  connaît  environ  soixante  inss.  de  ce 
poème,  sans  compter  les  exemplaires  de  la  rédaction  en  prose.  Us  ont  été 
énumérésetsoumisàun  classement  provisoire  par  M.  D.  Grand,  dans  une 
thèse  présentée  récemment  à  l'Ecole  des  Chartes  5.  Cesmss.  se  divisent  en 
deux  catégories  assez  nettement  tranchées,  selon  qu'ils  renferment  ou  ne 
renferment  pas  certaines  additions  dont  la  plus  considérable  est  con- 
stituée par  une  vie  de  saint  Brandan.  La  leçon  de  notre  ms.  appartient 
à  la  catégorie  des  mss.  «  non  interpolés  ».  Victor  Le  Clerc,  qui  a  lon- 
guement insisté  sur  cette  distinction  entre  les  deux  classes  de  mss.,  est 
d'avis  que  les  exemplaires  où  les  additions  manquent  représentent  seuls 
l'œuvre  pure  de  l'auteur,  et  il  suppose  que  la  rédaction  «  interpolée  » 
est  l'œuvre  d'un  copiste  messin  «  qui  avait  du  loisir  et  surtout  un  grand 
amour  des  contes  »  4.  Depuis  Le  Clerc  cette  opinion  est  devenue  cou- 
rante. Je  crois  au  contraire  qu'un  examen  attentif  de  la  rédaction  inter- 
polée suffit  à  montrer  que  l'interpolateur  n'est  autre  que  l'auteur  lui- 
même,  qui  aurait  ainsi  fait  deux  rédactions  de  son  ouvrage.  C'est  ce  que 
j'essaierai  de  démontrer  dans  un  prochain  mémoire,  mettant  à  profit, 
outre  les  éléments  connus  jusqu'à  présent,  un  ms.  déjà  signalé,  mais  non 


1.  Cf.  l'édition  de  Wright,  II,  162. 

2.  Ces  vers  sont  publiés  par   Wright  dans  la   préface  du  second  volume, 
X.  ils  ne  se  trouvent,  selon  lui,  que'dans  ce  ms. 

3.  Voy.  les  Positions  des  tlûses  soutenues  par  Us  élevés  de  la  promotion  de  1885, 
80  et  celles  de  i88é,  p.  85. 

4.  Histoire  littéraire,  XXIII,  323. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (GG  .  I  .  I  )  ^15 

étudié,  dans  lequel  j'ai  récemment  découvert  des  données  toutes  nou- 
velles qui  résolvent  la  question . 

Il  est  notable  que  parmi  les  nombreux  mss.  de  l'Image  du  monde, 
plusieurs,  appartenant,  si  je  ne  me  trompe,  à  la  rédaction  la  plus  courte, 
ont  été  copiés  en  Angleterre.  C'est  la  preuve  que  la  Petite  Philosophie, 
pourtant  bien  répandue,  ne  suffisait  pas  à  satisfaire  la  curiosité  de  ceux 
qui  voulaient  acquérir,  sans  recourir  aux  livres  latins,  quelques  éléments 
de  cosmographie  et  de  géographie.     • 

(Fol.  346)  Ccst  livre  de  clcrgu  en  romaunce  qi  est  appeliez  Ymage  dumounde 
contint  par  tut  Av.  chapitres  e  .xx.  e  .viij.  figures,  saunz  qi  le  livre  ne  purreit  pas 
estre  légèrement  entenduz^'qi  est  devisez  par  treis parties  (suit  la  table  des  rubriques). 


Ki  veot  entendre  a  cest  livre   (f.  347) 

E  savoir  cornent  il  deit  vivre 

E  aprendre  tiel  clergie 

Dunt  meuz  vivera  tout  sa  vie, 

Si  lise  tut  primerement 

E  après  ordeniement, 

Si  qu'il  ne  lise  rien  avaunt 

S'il  ne  athent  ceo  q'est  devaunt. 

Einsi  purra  le  livre  entendre 

Qe  autrement  ne  pot  nuls  emprendre. 

Fin  (fol.  289  c]  : 

E  la  joie  de  paradis 
Q_ue  Dieu  nous  otroit  a  tut  dis 
En  qi  toute  pité  habounde. 
Issi  finist  l'Ymage  del  mounde  ; 
A  Dieu  comence  e  a  Dieu  prent  fyn, 
Que  ses  biens   nous  doint  a  la  fyn. 
[Amen. 
Vous  qe  aviez  oï  l'escrit 
Del  fiz  Dampnedeu  Jhesu  Crist, 
E  puis  del  mounde  que  Dieu  forma 


De  Dieu  parloms  au  commencement. 

Ky  veot  entendre  a  cest  romaunce 
Si  poet  entendre  a  cest  comaunz. 
Graunt  partie  de  la  laiture 
De!  mounde,  cornent  par  nature 
Fu  fet  de  Dieu  e  acompliz... 


E  de  toutes  les  vertuz  q'il  ordina, 

Qe  par  cestui  poez  aprendre 

Qi  del  siècle  volez  entendre, 

Queu  cbose  soit  e  coment  ceo  est,  (d) 

En  ceste  figure  compris  est  ; 

Par  ceste  dereine  figure 

En  poez  bien  veer  la  faiture, 

Qe  ici  devant  vous  escrit  est 

Coment  li  firmament  fet  est  ' 


19.  —La  bonté  des  femmes.  —  Plaidoyer  habilement  tourné  et  vive- 
ment mené  en  faveur  des  femmes.  L'objet  de  l'auteur  a  été  principale- 
ment de  réfuter  les  pièces  dirigées  contre  le  sexe  faible  qui  abondent 
dans  notre  ancienne  littérature  ^  Sa  discussion  juridique  pour  prouver 


1.  La  figure  annoncée  par  ces  derniers  vers  occupe  le  r»  du  fol.  390. 

2.  Voy.  la  liste  que  j'ai  dressée  des  pièces  contre  les  femmes,  Remania,  VI, 
499-500. 


?l6  p.    MEYER 

qu'Adam  fut  plus  coupable  qu'Eve  est  véritablement  curieuse.  On  remar- 
quera le  passage  (vv.  126-143)  où  il  s'inscrit  résolument  en  faux  contre 
les  récits  selon  lesquels  Salomon,  Sanson  le  fort  et  Absalon  auraient  été 
trompés  par  les  femmes.  Il  est  permis  de  croire  que  ses  dénégations  ne 
visaient  pas  la  source  première  et  respectée  de  ces  récits,  mais  qu'il 
pensait  à  ce  passage  du  Blâme  des  femmes  : 

Neïs  H  sages  Salemon, 

Qui  de  bien  et  si  grant  foison 

Que  plus  sages  de  lui  ne  fu, 

Fu  par  safamedeceiiz; 

Ausi  refu  Sanson  Fortin  ' 

ou  quelque  autre  du  même  genre,  car  ces  exemples  de  la  tromperie  des 
femmes  étaient  passés  à  l'état  de  lieu  commun^. 

L'auteur  était  anglais:  sa  langue  le  prouve  comme  aussi  la  mention 
(v.  24)  de  Westminster  et  delà  Tour  de  Londres. 

Il  existe  parmi  les  mss.  du  collège  Saint-Jean,  à  Cambridge,  une  copie 
fautive  et  abrégée  de  notre  poème  :  j'en  ai  publié,  ici-même,  VIII,  334, 
environ  80  vers  dont  je  rapporterai  en  note  les  variantes  utiles.  Là  où  ce 
secours  m'a  manqué,  le  texte  reste  souvent  inintelligible. 

Ci  comence  du  bounté  des  femmes  (/.  590  c). 

Cil  fableùrs  trop  me  grèvent  Dount  iur  loaunge  creistra. 

De  rimer,  qe  ne  sevent  b  Bien  eit  qe  moy  escutera  ! 
Rimer,  counter  for  de  fable. 
4  Escutez  un  dist  creable:  fsunt 

De  dames  e  de  damoiseles  Quant  que  sunt   nez  e  a  nestre 

Vous  sache  dire  tiei  noveles  Saluz  trestuz  de  quor  parfount; 


^i.  Je  cite  d'après  Bibl.  nat.  fr.  1593  fol.    153   c   Pour  d'autres  copies  du 
même  opuscule,  voir  Romanïa,  VI,  499  et  IX,  436. 

2.  Cf.  ci-dessus  p.  219  le  Facetus  catalan,  v.    1627-8.  Dans  un  ms.  du 
xv  siècle  je  lis  ces  vers  qui  peuvent  remonter  auxiv«: 
Par  femme  fut  Adam  deceu. 
Et  Virgiles  moquez  en  fut; 
Ypocras  en  fut  enherbez, 
Senson  le  fort  deshonnorez; 
David  fit  faulx  jugement 
Et  Salemon  faulx  testament; 
Femme  chevaucha  Aristote  : 
Il  n'est  rien  que  femme  n'assote. 
(B.  N.  lat.  4641  E,  fol.  142;  ces  vers  se  retrouvent  ailleurs:   voy.  Bulletin 
des  anciens  textes,  1876,  p.  129. 

Pour  d'autres  textes  plus  ou   moins  analogues,  voir  l'article  de  M.  Tobler 
sur  l'empereur  Constantin,  Jahrb.  f.  roman,  u.  cngl.  Literalur,  XIII,  104  et  suiv. 
Pour  la  fable  de  la  temme  de  Salomon,  voy.  Romania,  IX,  536  et  X,  626. 
6  S.-J.  V.  en  dirray.  —  9-18  Pour  ces  dix  vers  il  y  en  a  trois  seulement  dans 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE 

Trestuz  saluz  les  maund 
1 2  Corne  leaus  e  fin  amaunt, 
E  come  profès  en  le  ordre. 
E  me  veille,  sachez,  amordre 
De  combatre  pur  fin  aniur, 
i6  QMl  n'  i  ad  for  douce  odur 
E  doucement,  sachez,  en  fleire. 
Bone  amur,  qe  est  deboneire, 
Me  ad  prié  devoutement 
20  Pur  estre  gardein  de  covent; 
E  pur  défendre  la  meisoun 
Su  devenu  lur  champioun 
E  lur  countur  e  lur  provostur 
24  A  Wesmouster  ou  a  la  Tour, 
Tort  e  force  maintenaunt 
Encuntre  chescune  mesdisaunt 
Pur  les  chivale[r]s  al  issir 
28  E  pur  les  dames  al  revenir. 
Mes  ja  de  l'eil  en  parlerom; 
Ne  isterai  de  la  meisoun 
De  cunsail  prendre  avaunkant(?). 
j2  Meintenant  veez  ci  mon  gaunt: 
Pur  l'amur  nostre  Sauveur 
Qe  fistafemme  taunt  de  honur 
Qe  une  pucele  salua 
56  Par  sun  angle  k'il  enveia. 

Le  noun  Eve  fu  tost  turné,       (d) 
Qe  de  Eve  fist  l'angle  ave. 
«  Dieu  vous  sauve,  Marie 
40     i  De  grâce  replenie; 
«  Li  sires  est  en  vous. 
«   De  touz  femmes  qe  sunt 
«  Par  my  ceste  mounde 
44     «  Beneïte  seez  vous, 
«  E  beneit  seit  le  fruit 
(I  Q^en  vostre  ventre  crut, 
47     «  Jhesu  le  très  douce  b.  Amen. 


CAMBRIDGE    (GG.  I  .  l)  ^7 

E  ceofu,  sachiez,  le  douce  salue 
Dount  nous  avint  tut  le  prue. 
Beneit  seit  le  hure  q'el  nasqi! 

51   Desprisonés  sûmes  nous  par  H; 
Qe  femme  porta  le  raunçoun 
Qe  nous  reint  de  enfernal  prisoun. 
Par  femme  est  la  dei'té 

55  Joint  a  nostre  humilité. 
Qe  vout  les  estories  cercher 
Apertement  porra  trover 
Qe  Dieu  ad  fet  plus  grant  honur 

59  E  mustré  greignur  amur 
A  femme  par  sa  curtaisie 
Qe  a  home  que  soit  en  vie. 
Nostre  Seignur,  bien  dire  le  hos, 

63  Si  fist  Adam  e  Eve  de  un  os; 
Os  saunz  char  en  sei  est  pure, 
Seec  e  nette,  redde  e  dure; 
Os  est  blaunche  come   flour  de 

67  E  Adam  qe  fu  fet  de  tay,    [may. 
De  vile  tere,  ceo  dist  lescrit; 
Conment  purroit  estre  parfit 
Chose  fet  de  purreture? 

71  Ceo  serroit  encuntre  nature; 
Dount  jeo  vous  [di]  pur  jugement 
Qe  femme  est  natureument 
Braunche,  necte  e  fin  épure. 

7S  E  de  ceo  très  bien   moi  assure 

[(/.  390 
Qe  home  qe  fu  fet  de  bowe  ; 
A  la  barbe  e  a  la  jowe 
Poez  bien  veer  la  matire, 

79  Chescune  quinze  jour  a  reire. 
De  barber  e  de  hoster  le  ordure. 
Femmes  deivent  par  droiture 
Eestre  (sic)  fines  e  creables 

8j  E  de  lur  cors  plus  estables 


22-3  S.-J.  son,  au  lieu  de  lur.  —  2/^11  y  a  entre  2^  et  2^  deux  vers  de  plus 
dans  S.-J.  —  25  S.-J.  T.  et  fort.  —  29  S.-J  d'eles  ne.  —  31  S.-J.  a  nul  vi- 
vant. —  39-47  ^'î  li^çon  de  S.-J.  est  tout  autre.  On  a  introduit  ici  la  salutation 
angêliijue  telle  quelle  se  trouve  un  peu  plus  loin  {ci-aprls  art.  22,  p.  322)  dans  le 
même  ms.  —  51  Ms.  ici  et  ailleurs  sum9,  qui  serait,  selon  le  sens  ordinaire  de 
l'abréviation,  sumus,  mais  on  trouve  aussi  sûmes.  —  53  II  y  a  réellement  remt  et 
non  reint.  —  6;  S.-J.  Fist  A.  de  tay  e  E.  —  6^  S.-J.  Et  forte  en  sei,  pure  et 
d.  —  74  S.-J.  Blaunche.  —  76  Le  second  qe  est  omis  dans  S.-J..,  sans  doute 
avec  raison.  —  81  Ms.  devient. 


3i8  p.  M 

Qe  nul  homme  qe  l'em  trove  ; 
Meintenaunt  veez  ci  la  prove. 

Sachez  li  femmis  nous  donassent 

87  E  de  aturs  nous  priassent, 
E  nous  donassent  beaus  douns, 
Si  corne  nous  a  eus  fesoms, 
N'i  avereit  frere  ne  cordeler, 

91  Jacobin  ne  hospiteler, 
Heremite  ne  grey  moigne 
Ne  chivaler,  saunz  essoigne, 
Si  une  dame  cointe  e  sage 

95  Ly  dounast  de  bon  courage, 
E  poit  a  luy  venir  sovent 
E  lui  acoler  doucement, 
E  a  la  fiez  en  un  bea  lit, 

99  E  la  dame  ust  bon  délit 
De  li  beiser  e  acoler, 
Iço  vous  di  bien,  un  chivaler 
Freit  adunk  plus  tost  un  saut 

103  Ke  une  dame,  si  Dieu  me  saut. 
Par  ma  vie  e  par  ma  mort, 
Femmes  ount  dreit,  nous  le  tort. 
Remembrés  vous  feire  justise 

107  Deceste  prove  en  toute  guise 
Qe  jeo  ai  devaunt  vous  cy  prové, 
Qe  vous  ne  seez  reprové. 
Si  jeo  poi  mil  aunz  vivre 

1 1 1   Assez  en  averoie  a  matire 
Pur  p[ar]ler  de  lur  boneireté, 
E  de  lur  bounté  e  de  humilité,  {b) 
Si  ne  deit  pas  estre  celé 

1 1 5  Entir  lur  biens  lur  grant  beauté; 

Que  teus  i  sount  qe  plus  pleise- 

[runt 

Lur  beauté  qe  lur  biens  ne  fount. 

Mes  quant  ces  deus  sontensemble, 


1 19  Dunkeest  tuit  bone,  si  me  semble. 
Femme  e  angle  unt  un  façoun  ; 
Moût  i  ad  bon  comparisoun: 
Façoun  de  femme  est  de  grant  pris, 

123  Vermaille  corne  rose,  blaunkecom 
Lur  bouche  savure  a  beiser  [lyz, 
Plus  ke  gilofre  a  manger. 
Ceo  qe  l'em  dit  qe  Salomon 

127  Samson  le  fort  e  Absolon 

Furent  par  lur  femmes  deceùs, 
De  ceo  ne  seez  pas  ennuy[u]z, 
Tuit  seit  ceo  en  livre  escrit, 

1 3 1   De  fableie  se  entremist 

Qe  primis  fist  celé  escrivere; 
L'em  trove  meinte  chose  en  livre 
Ou  i  n'  i  ad  for  divinaile. 

135  Ceo  fu  fable  tuit  sanz  faille. 
Honny  seit  ore  li  escrivein 
Quant  a  sun  gré  mist  la  mayn 
Tiele  mensoigne  mectre  en   livre: 

1 39  11  fu  hors  de  sen  ou  yvre 
U  très  mauveis  rescriveyn(e), 
De  ceo  sui  bien  certein(e) 
Qe  ascun(e)  mauveis(e)  li  fist  fere 

143  Qe  a  femmes  fu  contrere. 
Morir  pust  il  desconfès 
Qe  trop  vers  femmes  seit  engrès  ! 
Qe  vilein  dist  en  reprover  : 

147  Celé  oysel  eit  mal  encumbrer 
Qe  foule  soun  demeinenye. 
Ore  orrez  pur  quel  le  vous  die, 
Qe  ceo  ne  put  dedir  nuls, 

i\i  Qe  de  femmes  ne  fumes  issus:    (c 
Dune  est  femme  ny  a  home; 
Si  come  de  le  fut  crest  la  poume, 
Si  crest  l'enfaunt  naturelment 

155  De  la  mère,  ore  di  coment  : 


Susceptum  semen  sex  primis,  crede,  diebus 
Est  quasi  lac,  reliquisque  .ix.  fit  sanguis  ;  at  illud 
Consolidât  duodenadles,  duo  nona  dices  (?)  ; 
Effigiat,  tempusque  sequens  producit  ad  ortum. 


86  li,  corr.  se.  —  99  Corr.  0?  —  124-5  Cf.  dans  une  autre  pièce  sur  lemcme 
sujet  {Wright,  Reliquias  antiquaj,  II,  219):  De  femme  plus  savoure  un  beiser  j 
Que  plein  poyn  de  lorer.—   147-8  Prov.  cite  dans  Us  mêmes  circonstances  par 
Robert  de  Blois  dans  le  morceau  publié  Remania,   VI,  501  (v.  25-6).  Pour  l'au- 
teur de  ce  morceau  voy.  VI,  637.  Le  même  prov.  existe  en  anglais. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (CG .  I  .  T 


V9 


Herbergezsumesdedeinz  lurflaunc, 
De  els ewom  char  e  saune. 
Ausi  nurrist  femme  home 

I  ^9  Come  arbre  fet  peire  ou  poume. 
Ni  est  dune  encuntre  nature 
Si  le  fruit  deit  l'arbre  destrure? 
Fruit  ne  poet  sanz  l'arbre  cres- 
[tre. 

163  Sanz  femme  ne  put  nul  neestre, 
Mes  sanz  home,  come  dit  l'escrit, 
De  femme  un  home  nasquist  ; 
Dune  puis  dire  par  de  sa 

167  Ke  dunkes  home  ne  l'adessa. 
Si  Jhesu  Crist  l'ust  destené, 
Le  siècle  pout  estre  estoré 
Sanz  home  e  de  femme  crestre, 

171  Mes  de  home  ne  put  nul  nestre. 
De  femme  feseit  Dieu  sa  mère, 
Ne  fist  pas  de  home  sun  père; 
E  dune  devom  plus  obeier 

1 7  5   Femme  par  droit  e  bien  server 
Qe'^nul  home  qe  soit  vivant, 
Ja  ne  seitil  si  puissaunt. 
Femme  deit  averseignurie 

179  Sur  toute  rien  qe  seit  envie; 
Ciel  e  tere,  quaneke  li  apent, 
Deit  estre  a  sun  comandement 
Volez  ore  saver  pur  quoy  ? 

183  Sun  fiz  est  si  puissaunt  roy 

Qe  tuz  rois  sunt  a  li  entendaunt. 
Ne  ad  dunk  femme  poer  grant 
Qe  tiel  roy  put  sun  fiz  clamer, 

187  Qe  tut  le  mounde  ad  en  poer? 
E  par  nature  dreiturere 
Qe  fiz  obéisse  a  sa  mère , 
Dunk  pertiI,mèsjeone[l].  dimye, 

191  Ke  femme  ad  Dieu  en  sa  baillie. 
Ne  ad  il  donke  a  quoer  la  rage 
Qe  fet  a  femme  nul  outrage, 
U  que  li  trespas  en  fet  ou  en  dite 

19  j  Pur  la  vengaunce  de  sun  fiz  ? 


Garde  sei  petit  e  grant 

Qe  de  femme  ne  soit  mesdisaunt 

La  vengaunce  fet  a  douter 

199  Del  fiz  qe  ad  si  grant  poer 
Honurez  les  sur  toute  rien, 
Ja  ne  troverez  mes  ki  bien, 
Ke  eles  bones  e  douces  sount; 

203  Ceo  est  tuit  la  joie deeeo mounde. 

De  lur  bounté  ai  aukes  dit, 
Mes  ma  lange  pas  ne  sufï(r)ist, 
Si  jeo  fuisse  eserivein  bon(e) 

207  Ausi  sage  corn  Salomon(e), 
E  vivereit  tuz  jours  saunz  fin, 
Ja  en  romaunce  ne  en  latin 
Ne  serroit  counté  ne  dit 

21 1  Bounté  de  femme  ne  descrit. 
Ceo  qe  home  dist  que  héritage 
Perdimes  tut  par  utrage 
Eve,  ceo  est  trestut  faus, 

2 1 5  Qe  nienz  devum  recter  ceo  maus  : 
Si  di(e)  qe  Adam  plus  trespassa 
Quand  il  de  la  poume  manga. 
Ne  fetis  ja  pur  eonsaillur 

219  Rien  qe  tourne  a  deshonur, 
Jeo  su  certein(e)   pur  le  trespas 

[(/•  392) 
Eve  Adam  ne  perdi  pas. 
Pur  le  furfet  [de]  la  mulier 
223  Deit  home  nul  disheriter? 

Ne  ley  escrit,  ne  vout  pas      [pas. 
Qe  homecomperge  autrui  t[rjes- 

Quant  Eve  hust  le  fruit  mangé, 
227  Si  Adam  se  fust  bien  purpensé 

E  sei  ust  détenu  eom(e)  sage 

Tenu  eùst  sun  héritage; 

Dune  di  jeo  qe  tut[e]  sa  peine 
231  Li  vint  par  sun  trespas  demeine, 

Dune  ne  put,  sachez,  remeidir; 

Que  de  Adam  devum  tuz  pleidir. 


204  On  trouvera  dans  la  Romania,  VIII,  535  les  vers  204-11  et  294-5  tjui 
forment,  avec  deux  vers  que  n'a  pas  le  ms.  GG,  la  fin  du  polme  dans  le  ms.  de  Saint 
Jean.  —  201   Corr.  n'i  ...  ke.  —  208  Corr.  vivereie;  S.-J.  E  vivere  puisse. 


320  p.    MEYER 

Recter  devom,  si  a  li  noun , 
2J5  De  nostredeserteisoun,  271 

Qe  femme  deit  estre  escondite 

Par  ma  reisoun  avant  dite. 

Si  Adam  ust  fet  come  sage  home 
239  A  Eve  dut  détendu  la  poume,  275 

Si  come  ele  fust  a  li  suget, 

E  ele  n'ust,  sachez,  pur  nul  abet 

Del  serpent  la  poume  mangé 
243  Ne  si  hardi  de  aver  atuché  ;  279 

Ne  cru  le  maufé  tant  ne  quant, 

Mes  Adam  qe  fu  si  sachaunt 

Etrestut  plein  de  science 
247  Qe  encuntre  sa  conscience  283 

E  encuntre  le  tut  puissaunt, 

Come  ust  esté  un  enfaunt, 

Crust  le  malfé,  e  tost  receust, 
251   Par  consaille  le  serpent  le  fruit.  287 

Ore  seit  qe  Eve  le  consenti  : 

Pur  bien  le  fist,  e  entendi 

De  fere  bien  saunz  malice  ; 
255  Si  come  le  serpent  le  entice,  291 

Ele  entisça  Adam,  dist  leescrit, 

Sanz  plus  dire  fors  un(e)  petit. 

Ceo  est  la  lorce  qe  li  a':  {b) 

259  Eve  enticyt,  Adam  le  manga;  295 

E  pur  ceo  puse  bien  prover 

Qe  Eve  ietmeins  a  blâmer. 

Endreit  de  ceo  primer  péché, 
263  Si  Eve  fust  mal  entecché,  299 

Par  defaute  de  nurture 

De  Adam  qe  l'aveit  en  cure 

De  chastier  e  aprendre, 
267  Par  la  reisoun  voil  défendre  303 

Eve,  eque  Adam  out  le  tort. 

Si  vous  ussez  un  homme  mort 


E  fuissez  ore  accoupé 
Devant  justise  e  amené, 
Dirroit  le  justise  :  «  Amys, 
«  Avezvous  cest(e)  home  occis.?» 
Vous  qe  ne  poez  dédire,      [sire. 
Li    respoundreit:    «   OyI,  beau 
«  Mes  jeo  vous  di  certeinement 
0  Qe  ceo  fu  par  enticement  : 
«  Robert,  Willeam  ou  Wauter 
«  Moi  conseillerunt  e  Roger 
«  A  tieu  jour  celé  home  occire.  » 
Quel  dite  vous,  beau  douce  sire.  ? 
Serra  celui  pur  ceo  sauvé 
U  celé  gent  par  li  dampné, 
Tut  par  sun  simple  dist?  Nanil  ! 
Au  conseil(e)  du  roy  venent  mil  ; 
Chescun  dirra  sun  avis, 
E  quant  li  rois  avéra  tuit  enquis 
Qei  cil  ad  dit  e  cil  e  cil, 
Si  prent  le  bone  e  lesce  le  vil;: 
Ja  n'ert  celui  pur  ceo  dampné 
Ne  de  conseil  le  roy  osté. 
Si  la  reisun  peut  suffire, 
Unke  n'ad  mester  de  plus  dire. 
S'il  i  ad  nule  qe  sei  délit 
Bounté  de  lemme  aver  escrit, 
Ore  a[i]  jeo  aukes  recunté       (c) 
De  lur  beauté  e  de  lur  bounté, 
Se  vous  di(e)  to(s)t  outre[e]ment 
K[eJ  il  mentunt  tut  hautement. 
Ke  de  femme  rien  niesdie, 
Dieu  lur  doint  malencolie, 
E  Dieu  lur  doint  grant  meschief. 
Mal  en  bouche,  mal  enchiet, 
E  [la  grant  anguisse  de  deinz, 
E  mal  dehors  e  ma[l]  deinz  ! 


Suit  immédiatement  : 

Diabolus  quosdam  mordet  per  suggestionem,  quosdam  fedat  per  delectationem, 
quosdam  vulnerat  per  consensum,  quosdam  dévorât  per  operacionem,  absortum 
revocat  per  miseracionem. 


239  dut,  corr.  eust.  —  258  sic,  lis.  q'el  i  a.  —  275  Corr.  respoundreiz. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIGE    (GG.1.1)  ^21 

La  pièce  suivante  paraît  être  un  résumé  des  arguments  théologiques 
en  faveur  des  femmes. 

Mulier  prefcrlur  viro,  s[cilicet]  : 

Materia.  Quia  Adam  factus  de  limo  terre,  Eva  de  Costa  Ade.    {Cf.  vv.  62-80). 

Loco.  Quia  Adam  factus  extra  paradisum,  Eva  in  Paradiso. 

In  conccptionc.  Qnh  mulier  concepit  Deum,  quod  homo  non  potuit.  (Cf.  vv. 

165-6). 
Apparicione.  Quia  Christus  primo  apparuit  mulieri  post  resurrcctionem,  scilicet 

Magdelene. 
Exaltalionc.  Quia  mulier  exaltata  est  super  choros  angelorum,  scilicet   beata 

Maria. 

Quoique  ces  lignes  latines  aient  déjà  été  imprimées  ici-même  ^Vl,  501), 
j'ai  cru  utile  de  les  reproduire  afm  de  pouvoir  indiquer  par  des  renvois  les 
rapports  qu'elles  offrent  avec  notre  poème.  Ajoutons  que  plusieurs  des 
arguments  ici  résumés  sous  une  forme  scolastique  se  trouvent  ailleurs  en 
core:  dans  Robert  de  Blois  (/.  /.),  dans  le  commentaire  de  Francesco  da 
Barberino,  oij  se  lit  cette  sentence,  attribuée  à  la  comtesse  de  Die,  que  la 
femme  est  plus  noble  que  l'homme  «  quoniam  vir  de  humo  et  terra  lutosa 
«  creatus  seu  formatus  extiterit,  femina  vero  de  nobilissima  costa  humana 
<(  jam  mundificata  Dei  presidio,  quod  ex  utriusque  manus  lavatione  pro- 
«  babat'  »  ;  dans  le  poème  de  Serveri  de  Girone',  etc. 

20.  —  Le  Credo  paraphrasé  en  vers.  —  Cette  pièce  et  les  deux  qui 
viennent  après  font  immédiatement  suite  sur  la  même  page  (fol.  392  v°) 
au  morceau  latin  qui  précède.  La  paraphrase  du  Credo  en  douze  vers 
ne  se  rencontre  point  ailleurs,  que  je  sache.  Je  crois  que  l'auteur,  évi- 
demment anglais,  a  eu  l'intention  de  faire  des  vers  de  seize  syllabes, 
cf.  plus  haut,  p,  309,  art.  14. 

Credo  in  Deum. 

Jeo  crei  en  Dieu  tait  puissaunt  père  qe  cria  ciel  e  tere, 
E  qe  Jhesu  nostre  sire  est  un  soûl  fiz  au  puissaunt  père, 
Qe  conseu  fust  del  seint  Espirit  e  de  la  virgine  Marie  né. 

4  Peine  e  passioun  suffri  pur  nous  e  en  la  croiz  fu  attaché, 
Mort  estoit  e  enseveli  e  en  le  sepulchre  reposa, 
En  enferns  descendit,  le  tierce  jour  releva; 
Le  ciel  mounta  ou  siet  a  destre  Dieu  sun  père  tut  puissaunt  ; 

8  De  illuc  vendra  pur  juger  mortz  e  vifs^  petitz  e  granz. 


1.  A.  Thomas,  Francesco  da  Baiterino,  p.  173.  —  M.  Thomas  propose 
de  corriger  comparatione^  mais  le  passage,  bien  qu'obscur,  ne  semble  pas  appeler 
de  correction. 

2.  Suchier,  Denkmaler^  1,  261. 

Romanla.  XV.  21 


322  P.    MEYER 

Jeo  crei  ausi  en  le  seint  Espirit  e  tut  la  seinte  cristieneté, 
Le  sacrementz  de  seint  Eglise  e  pardoun  aver  de  pecché, 
Qe  tuz  releverunt  a  drein  jour  e  serrunt  lors  jugés, 
12  E  la  vie  pardurable  qe  Dieu  nous  graunt  par  sa  pité.  Amen. 

21.  —  Le  Pater  paraphrasé  en  vers. —  Il  est  visible  que  cette  para- 
phrase a  été  faite  en  Angleterre.  Les  fautes  contre  la  mesure  sont  nom- 
breuses et  résistent  à  la  correction  ;  certaines  rimes  sont  purement 
anglo-normandes.  Une  autre  version,  ayant  la  même  origine,  sera  publiée 
plus  loin  d'après  le  ms.  GG.  4.  32.  On  connaît  en  français  d'Angleterre 
et  du  continent  d'autres  traductions  ou  paraphrases  en  vers  du  pater,  voy. 
La  Bible  française  de  M.  S.  Berger,  p.  25-6  et  ma  notice  du  ms. 
Phillipps83  36,  n°  47,  [Romania,  XIII,  $54). 

Dominica  oracio.  Hui  nous  donez  pain  jurnel; 
Reieissez  trespas  a  peccheurs, 

Père  qe  as  en  ciel  sojourn,  Si  corne  nous  fesums  a  nos  nuisors. 

Seintefié  seit  toun  noun  ;  Ne  suffrez  pas  que  seum  encumbrez 

Tun  règne  nous  seit  prest(e),  Par  temtatioun,  einz  délivrez 

E  ta  volunté  seit  fet  Nous  de  tuz  maus  par  ta  mein. 

Ci  en  tere  corne  e[n]  ciel.  Geo  nous  grantés,  sire,  Amen. 

22.  —  L'Ave  Maria  en  couplets  coués.  —  Cette  courte  pièce  débute 
comme  un  autre  Ave  Maria,  également  en  couplets  coués,  qui  se  trouve 
dans  le  ms.  Phillips83  36;  voy.  Romania,  XIII,  526.  Les  deux  premiers 
vers  seulement  sont  identiques  de  part  et  d'autre.  Je  ne  connais  du 
texte  qui  suit  qu'une  autre  copie,  celle  qui  a  été  introduite  dans  la  Bonté 
des  femmes  (ci-dessus,  nMç,  p.  317,  col.  i). 


Li  Sires  est  en  vous. 


Ave  Maria 

Dieu  vous  sauve  Marie 
De  grâce  replenie, 

De  tut  femmes  que  sunt  )  „      .,  , 

n  .  j        i  Beneit  seez  vus  ! 

Parmy  ceste  mounde 


E  beneit  seit  le  frut 
K'en  vostre  ventre  crust, 


Jhesu  li  très  duz!  Amen. 


23.  —  Pronostics.  —  Les  pronostics  exprimés  dans  le  poème  qui  suit 
se  rapportent  aux  événements  généraux  de  l'année,  et  particulièrement 
aux  saisons,  aux  récoltes.  J'ai  disserté  en  une  autre  occasion'  sur  ce 


1.  Bulletin  de  la  Soc.  des  anciens  textes,  1883,  p.  84  et  suiv. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS   DE   CAMBRIDGE    (CG .  1  .  I  )  32^ 

genre  de  prévisions,  et  j'ai  montré  qu'elles  se  divisent  en  deux  séries, 
qui  se  distinguent  par  leur  point  de  départ,  la  conception  générale  restant 
identique.  Dans  toutes  ces  prédictions  l'idée  commune  est  que  les  événe- 
ments de  l'année  qui  va  s'ouvrir  sont  déterminés  par  la  co'incidence 
d'une  date  fixe  avec  tel  ou  tel  jour  de  la  semaine;  dans  les  prédictions 
de  la  première  série  cette  date  est  le  premier  janvier,  dans  la  seconde  série 
c'est  le  jour  de  Nocl.  Les  unes  et  les  autres  sont  souvent  placées  dans 
les  mss.  sous  le  nom  d'Ezechiel,  ou  sous  celui  d'Esdras.  Ici  la  coïncidence 
est  établie  avec  le  jour  de  Noël.  J'ai  publié,  dans  la  dissertation  précitée  ', 
un  texte  latin  qui  appartient  à  la  même  série  et  offre  avec  notre  poème 
des  rapports  étroits,  sans  que  je  puisse  affirmer  qu'il  n'existe  pas  du 
même  texte  latin  quelque  variante  encore  plus  voisine  de  notre  petit 
poème.  J'ai  aussi  indiqué  trois  rédactions  françaises  en  prose  de  ces  pro- 
nostics dans  des  mss.  de  la  Bibliothèque  nationale;  j'en  pourrais  signaler 
bien  d'autres.  Citons  seulement  celles  qu'offrent  le  ms.  EE.  i.  i.  de 
l'Université  de  Cambridge  (fol.  i)  et  Phillipps  4156  (fol.  183). 

La  rédaction  en  vers  que  nous  offre  notre  ms.  est  indubitablement 
d'origine  anglaise.  La  versification  en  est  extrêmement  faible.  L'auteur, 
tout  en  se  proposant  de  faire  des  vers  rimant  par  paires,  n'a  pas  résisté 
à  la  tentation  d'aligner  de  longues  séries  de  vers  en  unt.  Il  faut  dire  que 
le  sujets'}' prêtait  singulièrement.  L'opuscule  est  précédé  d'une  rubrique 
envers,  circonstance  dont  j'ai  déjà  cité  d'assez  nombreux  exemples  dans 
la  poésie  anglo-normande,  voy.  Romania,  XIII,  521.  Une  autre  copie  du 
même  texte  nous  a  été  conservée  par  le  ms.  59  de  Corpus  Chr.  Coll., 
Oxford  ;fol.  1 16).  J'en  donne  les  variantes.  Elle  contient  la  même  rubrique 
que  le  ms.  de  Cambridge. 

Ci  comence  la  rcison  Veals,  pecunie,  forment  crèstrunt; 

Del  tais  de  l'iln{é)  e  de  la  seisoun  Mult  par  ert,  cel  an,  bon  blé; 

E  des  koures  queus  i  senunt  8  De  mol  avérez  a  graunt  planté; 

E  des  au[n]tures2  qe  avendrunt.  Curtiis  e  gandins  fructiferunt; 

Pees  et  concorde  cel  an  serrunt. 

Quant  pardimaine  avez  la  Nati-  Cel  an  ert  fet  nieinte  larcin(e); 

[vite,  12  Veuz  homes  murrunt  sanz  fin(e). 

Idunc  avérez  bon  an  esecche esté,  Le(s)  plus  de  femmes  que  cel  an 

Ver  e  iver  bon  e  moût  ventouse;  [murrunt 

4  Vignes  erent  moût  plentivuse;  Par  jur  de  dimaine  finirunt, 

Uailes  cel  an  multiplierunt;  Ki  cel  an  rien  comencer  vodra 


1.  P.  88,  note. 

2.  C'est  l'ancienne  forme  anglaise  à'avenUire  ;  voy.  James  A.H.    Murray, 
Dict.  hist.  de  l'anglai.s,  sous  adventure. 

j  c  omet  e  et  moût.  —  s  C  Owayles.  —  7  M.  p.  serunt  bon  li  blé.  —  8  a. 
mut  g.  p.  —  9  C.  g.  multeplierunt.  —  10  an  fet  s.  —  12  m.  sel  an  sen  fin. 


324 

i6  Saunz  failler  finir  le  purra. 
Les  enfantz  qe  cel  an  nestruni 
Grantz  e  fors  e  beaus  serrunt. 

Quant  par  lundi  avérez  la  Nativité, 
20  Cel  jour  avérez  commun  horré. 

Le  tensde  ver  avérez  ventous^e), 

Secche  estée  tempestus(e); 

En  aiist  avérez  maen  horré, 
24  Ne  bien  secche  ne  bien  moillé. 

En  plusurs  lius  orrez  medlé 

De(s)  chivalers  grant  plenté. 

Mult  mères  cel  an  plurunt 
28  Pur  lur  enfanz  qe  els  perdrunt, 

Cel(e)  an  avérez  graunt  gelé, 

E  plusurs  princes  finerunt  lur  es. 

Vignes  avérez  menement. 
32  E  grant  mortalité  de  gent. 

Les  plusurs  de  gentz  qe  murrunt 

Jeuvenes  e  petiz  enfantz  serrunt. 

Ki  cel  an  neistrunt  hardiz  e  fortz 

[serrunt 

36  Mèsees  e  pecunie  perirunt.      (t) 

Ki  nul  bien  volt  commencer 

Finir  le  poet  saunz  desturber. 

Ki  par  Lundi  enmaladira 
40  De  celé  maladi  bien  tost  garra; 

U  ki  par  Lundi  avéra  riem  emblé 

En  icel  an  ert  retrové. 

Quant  la  Nativité  ert  par  Mardi, 


p.    MEYER 


44  Sachez,  pur  veir  le  vous  die, 
Iver  avérez  graunt  e  tenebruse, 
Od  neif  e  od  diluvie  tempestuse. 
Ver  e  esté  moist  serrunt;     [runt 

48  Aiist  ert  secche,  mes  feins  peri- 
E  pecune  cel  an  descrestrunt; 
Nefs  en  mer  mult  perirunt, 
Grantz  pestilences  icel  an  serrunt, 

^2  Fruiz  e  curtils  apparirunt, 
Reis  e  princes  perirunt. 
Cil  qui  les  vignes  edifierunt. 
Cel  an  femmes  murrirunt 

^6  De  lur  travaille  mult  perdrunt; 
Enfanz  qi  cel  an  neistrunt. 
Fors  ecoveituse  serrunt. 
Ains  jusques  parvendrunt 

60  A  grant  âge  qi  dune  nestrunt. 

Quant  la  Nativité  ert  Megerdi , 
Sachez  qe  vers  le  vous  di, 
Iver  dur,  ver  ventouse 

64  Avérez  moist,  moût  nuouse; 
Mult  avérez  edunc  bon  esté, 
E  aust  avérez  bien  atempré; 
Cens  de  vignes  mult  travaillerunt 

68  E  ees  meinement  mel  averunt. 

Quant  par  Judi  ert  la  Nativité; 
Mult  avérez  bon  an  e  bon  esté, 
Ver  avérez  bon  e  ventouse, 
72  Profitable  nent  e  ennuieuse; 
Vin  e  mel  habunderunt;  (c) 


16  San  fayle.  —  20  Sel  ivern  a. —  21  Le  t.  de  ivern. —  23  Esté  sec  et  tempes- 
tious.  —  23  meint  orée.  —  26  De  ch.  g.  asemlé.  —  27  Mutes  m.  —  30  E 
omis. —  33  Le  plus  detens,  —  35  hardiz  e  omis.  —  36  eus  en  pecunne  p. 
—  37  Ki  n.  b.  sel  an  vodra.  —  38  le  porra. 

40  de  cel  mal.  —  41  ki,  riem  omis.  —  42  returné.  —  44  Sertes  verement 
vus  di.  —  46  e  omis.  —  47  moyte  s.  —  48  sec  fint  p.  —  49  E  p.  desterunt, 
avec  n  au-dissus  de  ie.  —  50  E  nef.  —  5 1  Dans  C:  l'ordre  des  vers  est  50,  53, 
^5,  54,  56,  51,  ^2,  57.  —  56  travail  femme  p.  —  57  Seus  ke.  — 59  Ainz 
unkes  avendruni  ;  corr.  Avisunques  (cf.  S.  Alexis,  115  e,et  la  note  de  G.  Paris). 
61  ert  par  mecredi.  —  62  Sertes  je  le  vus  di  de  fi.  —  64  m.  et  annuius.  — 
65  edunc  omis.  —  66  E,  bien,  omis. 

67  Gens  de  vines  mut  travailent 
Gardins  en  plusurs  liu[s]  failent 
Uwailes,  peunies  défunt  (?) 
Etes  et  mel  memement  (sic)  averunt. 
69  avérez  la.  ■ —  72  P.  et  nente. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (GG  .  1  .  I  )  325 

Des  plus  grantz  crétines  serrunt.  E  boefs  e  vaches  issi  frunt. 

Cil  qi  en  cel  an  nesterunt    [runt. 

Quant  la  Nativité  ert  par  V'en-  92  Fors  e  luxurieuse  pur  veirs  ser* 
[dcrdi, 

76  Sachez,  verraiinent  le  vous  di,  Quant  la  Nativité  ert  par  Samedi 

Iver  avérez  merveilleuse,  Iver  avérés  trubles,  le  vous  di, 

Mult  pesaunt  e  ennuiuse,  Esté  bon,  ver  ventouse, 

Ver  bon  e  secch  esté,  96  Aùst  moist  e  travailleuse. 

80  E  de  furment  graunt  marché.  Veuz  home  cel  an  murrunt, 

Dolur  des  oez  mult  serra  E  blees  par  lius  chiers  serrunt. 

Entre  la  gent  qe  moul  demurra;  Mult  femmes  habunderunt. 

Aust  ert  secche  e  assez  de  blé,  100  En  cel  an  mult  nesterunt; 

84  E  de  vin,  sachez,  a  grant  plenté;  Neifs  e  craitines  multiplierunt. 

Petiz  enfanz  mult  murrunt,  [runt,  Roseez  e  pluvies  grans  serrunt, 

Batailles  de  chivalers  mult   er-  E  ees  forment  descrestrunt, 

Estranges  noveles  parorrez  104  Car  poi  de  bien  coillerunt; 

88  Entre  princes  e  coronez.  E  cil  q'en  cel  an  ncstrunt 

Ouwailles  cel  an  perirunt,  Ains  unkes  bons  serrunt. 

Le  reste  du  fol.  593  et  les  fï.  394  à  399  a  sont  occupés  par  divers 
morceaux  latins  dont  je  me  contenterai  de  donner  ici  une  brève  indica- 
tion :  1°  «  Qiiando  puer  nascitar.  Si  natus  fuerit  homo  die  dominica...  » 
Pronostics  tirés  du  jour  de  la  naissance.  —  2"  «  De  etate  hominis.  Prima 
«  etas  infancia. ..  »  Division  de  la  vie  de  l'homme  en  six  âges. —  5''\<  De 
a  sanguinis  minucione.  Quarta  luna  bona...  ».  Jours  de  la  lune  oij  il  est 
avantageux  ou  périlleux  de  se  saigner  ou  de  prendre  médecine,  — 
«  4°  «  Denceptionemedlcinarum.  MenseJanuariosanguinemnonminuas...» 
Il  est  question  des  endroits  où  il  faut  pratiquer  la  saignée,  selon  les  jours 
de  la  semaine.  —  5°  «  De  tonitmo  experimentum.  Mense  Januarii  si  lonitrus 
«  sonuerit...  »  Pronostics  tirés  du  tonnerre.  —  6°  «  Sententie 
«  Danielis  hec  sunt:  Arma  in  sompno  portare...  »  Signification  des 
songes.  — 70  «  De sacramentis  ecclesie.  Quotsunt  sacramentaEcclesie...  « 
On  voit  que  la  plupart  de  ces  morceaux  ont  trait  à  des  superstitions 
qui  ont  été  très  répandues  jusqu'à  une  époque  voisine  de  la  nôtre.  Il  n'y 
a  pas  d'utilité  à  publier  ici  ces  petits  textes  isolément.  Ce  sont  des 
«  matériaux  »,  dira-t-on.  Mais  des  matériaux  trop  dispersés  courent  bien 


74  De  plues  g.  —  80  g.  plenté.  —  82  m.  muera  (.?)  —  83  sec  aset  ert  b. 

—  84  v.mut  g.  p. —  87  par  tere  verret.  —  88  e  omis.  —   91   pur  veirs  omis. 

—  94  trublus  de  fi.  —  95  Ivern  esté  et  veir  e  tayus  (?)  —  99  femmes   mut. 

—  100  mutes  n.  —  101-2  Fustens  (?)  et  plues  mut  serrunt  |  Neifs  e  tertines 
abunderunt.  Au  v.  102  traitine  ou  tertine  doit  itre  corrige  crétines.  —  104 
quiller  porrunt.  —  io$  Icil  ke  sel  an.  —  102  Enviz  unkes  bon  s.;  corr. 
Avisunkes,  cf.  v.  59, 


}26  p.    MEYER 

risque  de  ne  pas  trouver  qui  les  emploie.  Je  forme  depuis  longtemps  un 
dossier  des  pièces  de  ce  genre  que  je  rencontre  dans  mes  recherches. 
Le  nombre  en  est  déjà  considérable,  et  j'en  ferai  quelque  jour  un  volume. 

24.  —  La  légende  du  bois  de  la  croix  —  Récit  qui  se  rencontre  sous 
une  infinité  de  formes.  J'en  ai  signalé  quelques-unes,  il  y  a  bien  des 
années,  dans  un  compte  rendu  critique  du  Mystère  de  Jésus  édhé  eltradmt 
par  M.  de  la  Villemarqué  '.  Depuis  le  sujet  a  été  repris  et  étudié  avec 
autant  d'érudition  que  desagacité  par  M.  Mussafia2,par  M.  W.  MeyerJ, 
enfin  par  M.  H.  Suchier^.  Toutefois  il  reste  encore  beaucoup  à  dire 
sur  certains  points,  notamment  sur  l'histoire  de  la  légende  dans  la 
littérature  française.  Il  y  aura  lieu  de  distinguer  les  rédactions  en  prose 
et  en  vers,  et  d'examiner  ce  qu'on  trouve  sur  ce  sujet  dans  les  compi- 
lations, notamment  àansVlmage  du  monde.  Pour  ce  moment  je  me  borne 
à  dire  que  la  version  conservée  dans  le  ms.  GG.i.i.,  caractérisée  surtout 
par  son  prologue,  n'est  pas  celle  qu'on  rencontre  le  plus  fréquemment 
dans  les  mss.  J'en  signalerai  une  autre  copie  dans  le  ms.  0.  i.  17. 
ff.  275  v°  à  279,  de  Trinity  Coll.  Cambridge.  Voir  aussi  Fr,  Michel, 
Tristan,  I,  lvii. 

Ici  comcncc  la  romance  dd  scinte  croyz  e  de  Adam  nostre  prcmcre  picn  (f.  399  ^). 

Qui  vodra  saver  e  oyer  de  la  verrai  croiz,  dunt  ele  vint  e  de  quel  fut  ele 
crust,  e  come  longement  le  abre  fu  vert,  e  qi  le  porta  à  Jerl'm,  met  enver  moy 
amiable  entente,  e  jeo  lui  cuntera[i]  la  vérité,  solum  ceo  quel'em  trove  en  escrit 
en  ebru  une  partie  e  grant  partie  en  latine. 

Adam  nostre  prumere  piere,  quant  fu  getté  hors  de  paradis  terrestre  pur  sun 
pecché,  cria  en  haut  voiz  la  miséricorde  de  Dieu,  e  Dieu  par  sa  pité  e  par 
benigneté  li  $  perizomata,  ceo  est  une  manere  de  peliz,  e  promist  a  lui  ke  lui 
envei[e]roit  le  oyle  de  miséricorde  en  le  plenté  de  temps.  Puis  vint  Adam  e  sa 
femme  en  le  val  de  Ebron,  e  la  suffrist  meinte  travaille  en  mal  aan  e  en  sun(t) 
cors  e  en  dolur  de  sun  quoer,  e  la  engendra  de  sa  femme  deuz  fiz,  Caym  e 
Abel. 

Fin  (fol.  402  c)  : 

E  quant  li  félons  Jeues  le  urent  dampnez  e  jugés  a  la  mort,  si  dist  un  de 


1.  Rivue  criti^ue^  1886,  I,  221, 

2.  Sulla  Icggtnda  dd  legno  ddla  croce,  comptes  rendus  de  l'Acad.  de  Vienne, 
classe  de  philosophie  et  d'histoire,  LXllI,  165-216  (1869). 

j.  Dans  les  mémoires  de  l'Acad.  de  Munich,  classe  de  philosophie  et  de 
philologie,  XIV,  m  (1882),  101  et  suiv. 

4.  DcnkmceUr  fTOvcnzalischcr  LiUralur  u.  Sprjche,  I,  16J-200  et  525-8.  Je 
constate  en  passant  que  la  version  provençale  publiée  par  M.  Suchier  comme 
texte  A  est  traduite  d'un  texte  français  fort  répandu  et  non  du  latin. 

j.  Sic,  manque  un  verbe;  p.  e.  dona?  latin:  indutus  perizomate. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS   DE   COMBRIDGE   (gG.I.I)  327 

eus  par  prophecie:  «  Pernez  cele  fut  qe  gist  dehors  la  vile,  outre  cele  russel; 
si  en  fêtes  une  croiz  de  .vij.  eûtes  de  lungure,  e  de  quatre  coûtes  en  travers.  » 
Si  firent  comme  iur  fu  comandé  e  crucifièrent  (d)  nostre  Seignur  Jhesu  Crist 
desus,  qe  nous  sauva  par  sa  dusur  e  par  sa  bunté,  si  nous  deservir  volums. 
En  ceste  manere  corne  jeo  vous  ai  cunté  Dieu  voleit  qe  nostre  redempcioun 
veneit  de  meime  le  lu  e  de  meime  le  arbre,  dount  nostre  perdicioun  surdi  pri- 
merement;  e  de  meime  le  fruit,  e  de  meisme  la  bouche  crust  nostre  salvacioun. 
E  issi  corne  nous  sûmes  par  femme  0  Dieu  descordez,  issi  sûmes  par  femme  a  ly 
reconciliez  », 

La  dernière  colonne  du  feuillet  402  est  occupée  par  un  morceau 
attribué,  ici  et  en  maint  autre  texte,  à  saint  Jérôme.  On  le  trouve  dans 
VHistorlcL  scoîastica  de  Pierre  Le  Mangeur  [Hist.  emng.,  ch.  141).  Inc.: 
«  Invenit  Jeronimus  in  annalibus  Judeorum  de  .xv.  diebus  ante  diem  judicii. 
Primo,  eriget  se  mare  in  altum  .xl.  cubitis  super  altitudinem  monlium. . .  »  ' . 

25.  —  Abrégé  de  la  Bible  en  vers  rhythmiques. 

Compcndium  historiaram  (fol.  403). 
Vos  qui  concupiscitis      statum  vestrum  scire, 
Hec  signa  tractabitis      que  dant  invenire 
Omnia  que  possitis      de  nobis  audire; 
Quid  estis  vel  eritis      hic  est  reperire. 

26.  —  Miracle  de  la  Vierge.  —  Ce  miracle  a  quelque  rapport  avec 
celui  du  clerc  malade  d'un  cancer  à  la  bouche  que  la  Vierge  Marie  visita 
en  songe  et  guérit  en  lui  donnant  le  sein.  Réduit  essentiellement  à  ces 
termes,  le  récit  se  rencontre  sous  des  formes  nombreuses  2.  Mais  ici  il  y  a 
quelque  chose  de  plus.  Le  clerc  est  transporté  en  songe  dans  un  jardin 
magnifique  où  on  distingue  particulièrement  vingt-trois  fleurs  dont  l'une 
l'emporte  sur  toutes  les  autres  en  beauté.  Comme  dans  toutes  les  visions 
relatives  à  la  vie  future,  il  est  accompagné  d'un  guide,  un  ange  dans  le 


1.  Voici  le  début  d'une  autre  rédaction  (Ms.  d'Evreux  n'  9,  fol.  138; 
XII<=  siècle)  : 

Signa  que  even'unt  .xv.  diebus  ante  diem  judicii,  sumpta  ex  annalibus  Hcbrcorum. 
«  Maria  omnia  in  altitudine  .xv.  cubitorum  exaltabuntur  super  montes  excelsos, 
orbem  terrarum  non  affligentia,  sed  sicut  mûri  equora  slabunt.  Omnia  equora 
prosternentur  in  ununi...» —  C'est  la  version  citée  d'après  saint  Thomas  d'Aquin 
par  M""  Michaëlis,  Anhiv.  de  Herrig,  XLVI,  58- 

2.  Texte  latin  :  Vincent  de  Beauvais,  Spcc'.  Hist.  VII,  Lxxxiv  (éd.  de  1624, 
p.  251-2);  version  provençale.  Romjnia,  VIII,  18-9;  version  française  en  vers 
de  Gautier  de  Coincy,  éd.  Poquet,  342-6.  Ces  trois  textes  représentent  une 
même  forme,  oii  le  moine  se  dévore  lui-même  la  langue  et  les  lèvres.  Une  autre 
forme,  où,  comme  dans  les  textes  qui  nous  occupent,  le  moine  souffre  d'une 
maladie  de  peau,  est  traitée  par  G.  de  Coincy,  345-54.  Cf.  encore  la  rédaction 
du  ms.  fr.  818,  fol.  62.  Quant  aux  versions  en  prose  française,  il  serait  trop 
long  de  les  énumérer. 


J28  p.    MEYER 

cas  présent,  qui  lui  fait  savoir  que  ce  jardin  est  le  Paradis,  ou  quelque 
chose  d'approchant,  et  lui  explique  la  signification  allégorique  des  vingt- 
trois  fleurs.  La  Vierge  opère,  par  le  procédé  susindiqué,  la  guérison  du 
clerc,  qui,  néanmoins,  meurt  plein  d'espérance  après  avoir  conté  sa  vision 
à  son  évêque. 

Sous  cette  forme,  à  laquelle  on  pourrait  donner  le  nom  de  «  vision  du 
champ  fleuri  »  le  miracle  se  rencontre  en  trois  rédactions,  toutes  en  vers 
et  d'origine  anglaise,  à  savoir  dans  le  recueil  de  Miracles  de  la  Vierge 
d'Adgar  '  ;  2"  dans  le  fragment  que  j'ai  en  partie  publié,  ci-dessus,  pp. 
272-5  ;  3"  dans  le  texte  ci-après.  Je  ne  prétends  nullement  indiquer  ici 
l'ordre  chronologique  de  ces  trois  rédactions  ;  je  suis  toutefois  porté  à 
croire  que  celle  d'Adgar.  est  la  plus  ancienne.  La  troisième,  dont  on  trou- 
vera ci-après  l'analyse  accompagnée  de  quelques  extraits,  ne  nous  a  pas 
été  conservée  seulement  dans  le  ms.  de  Cambridge  :  elle  se  trouve  en- 
core à  la  fin  d'un  recueil  de  miracles  de  la  Vierge,  paraissant  former  un 
ouvrage  complet  en  soi,  dont  l'unique  ms.  (sauf  erreur)  appartient  au 
Musée  britannique  (Old  Roy.  20.  B.  XIV).  M.  Neuhaus  en  a  édité  les 
vingt-quatre  premiers  vers*  pour  compléter  la  rédaction  d'Adgar  qui  a 
cet  endroit  offre  une  lacune.  Il  y  a,  entre  les  diverses  rédactions,  quel- 
ques différences  dans  le  détail  de  l'allégorie.  Je  crois  néanmoins  qu'elles 
dériventtoutes  trois  d'un  même  récit  latin,  qui  n'a  pas  encore  été  retrouvé. 

Miracalum  sancte  Marie  Virginis  Come  plus  finement  Tenama 

(fol.  404  d).  De  plus  en  plus  se  délita. 

Si  cum  encountent'  ses  amis  chiers 

Entre  les  overaines  de  charité  Celé  clerk  estoit  un  des  primers 

Ke  ad  fet  la  Reyne  par  sa  pité,  Ke  les  2  heures  primes  coniplia; 

Une  douce  fet  vous  cunterai  Pur  ceo  unke  après  ne  fina 

E  puis  après  me  reposerai.  De  dire  les  doucement; 

Vers  Europe,  en  celé  partie,  A  lui  servir  meut  bien  s'entent, 

Estoit  un  clerk  de  bêle  vie.  Ove  lermes  moût  très  pitousement 

Moût  fu  devout  en  seinte  église  Les  oures  diseit  mult  sovent  î. 
E  la  dame  ama  sanz  feintise.    (/.  405) 

Atteint  d'un  cancer  à  la  bouche,  le  clerc  se  voit  abandonné  de  tout  le  monde 
saut  de  son  évêque  qui  l'avait  pris  en  affection  et  ne  cessait  de  le  conforter  par 


1.  Adgar's  Marienkgendcn...  hgg.  von  C.  Neuhaus  (Heilbronn,    1886),   pp. 

2.  Ouvrage  cite,  pp.  28-29. 
j.  B  recuntent. 

4.  B  Ki  ces. 

5.  Ces  quatre  vers  sur  un:  même  rime  sont  réduits  à  deux  dans  B:  De  dire  les 
devoutement  |  Les  cures  disert  mult  sovent. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS   DE   CAMBRIDGE    (GG.I.I)  P9 

de  bonnes  paroles.  Un  jour  qu'il  s'était  endormi,  le  malade  eut  une  vision.  Un 
ange  l'emmena  en  une  délicieuse  prairie.  11  y  vit  vingt-deux  fleurs  qui  surpas- 
saient toutes  les  autres  en  beauté  et  en  parfum.  Une  vingt-troisième,  plus  belle 
encore,  avait  sept  pétales.  L'ange  lui  explique  ces  merveilles  :  le  champ  lui  est 
donné  en  récompense  de  l'amour  qu'il  a  porté  à  la  ^Vierge.  Les  vingt-deux 
fleurs  sont  les  psaumes  qu'il  a  chantés  en  son  honneur.  La  fleur  qui  l'emportait 
sur  toutes. 


Ceo  est  la  premere  saume  de  prime 

[(/.405  c/) 
Ke  en  i  ajustâtes  vous  meïsme, 
Dcus  in  riominc  tuo  vous  l'apelez. 
La  signifiaunce  tost  en  saverez: 
N'est  pas  la  greindre,  mes  la  meinur; 


Seet  foilletes  ad  en  sa  flour, 
En  la  saume  sunt  ,vij.  vers,  ceo  quide'  : 
Ces  sunt  les   .vij.  grâces  del    Seint 
[Esperit  ;  (/.  406) 
Ceo  est  la  signifiaunce  des  flurs 
E  des  graindres  et  des  menurs. 


Bientôt  le  clerc  entre  en  un  temple  en  or  bruni,  tout  enrichi  de  pierres  pré- 
cieuses. Il  y  voit  la  Vierge  Marie  qui  l'appelle  à  lui  et  le  presse  dans  ses  bras, 


Si  corne  fere  soleit  sun  fiz 
Quant  il  estoit  jeovenes  e  peti(ti)z, 
Taunt  q'ele  mette  sa  blaunche  mayn, 
Sa  seinte  mamel  trest  hors  de  sun  seyn 
[(/".  406  b) 
E  al  clerc  la  mist  en  bouche. 
E  il  le  très  douce  let  en  souche 
De  la  bouche  qe  fu  si  orde. 
Si  le  dist  la  mère  de  miséricorde: 


Suchez,  beau  fiz,  suchez  a  trete; 
Sachez  qe  grant  bien  vous  fête. 
Cest[e]  mamele  qe  habounde 
Nurrist   le    créature    de    universe 
[munde, 
Qe  fist  tuit,  [e]  ciel  e  tere  : 
Par  ceste  porezta  saunté  conquere. 
N'est  pas  dreit  qe  taunt  seez  grevée, 
La  bouche  qe  m'ad  souvent  louée.  » 


Le  clerc  se  reveille  guéri.  La  puanteur  qu'exhalait  sa  bouche  se  change  en 
une  odeur  délicieuse.  La  nouvelle  de  cette  cure  merveilleuse  se  répand,  l'évêque 
est  averti.  Le  clerc  lui  demande  la  communion,  et  meurt  après  l'avoir  reçue. 


E  vous  seignurs,  ne  doutez  mie      (/. 

Ke  la  dame  ne  l'ad  seisie         [406  d) 

Ke  tiele  secour  li  out  mustré 

La  mist  en  joie  que  n'ert  fine. 

E  le  vesque  cel(e)  seint(e)  cors  prent 

Si|^l]  mist  en  sarcu  mult  noblement. 

Issi  rent  a  chescun  sun  servise 


La  douce  dame  en  meinte  guise, 
E  qi  bonement  e  bien  la  sert, 
Sachez,  sun  servise  pas  n'i  pert. 
Benoit  soit  la  mère  nostre  Seignur 
Par  qeest  achevé  (celé  i)cest(e)  labur^, 
Amen. 


27. —  Apocalypse  en  français. —  Version  dont  il  existe  un  très  grand 


1.  Le  psaume  LUI  (Deus  in  nomine  tuo)  a  en  effet  sept  versets. 

2.  Ms.  lobonr. 


JJO  p.    MEYER 

nombre  de  copies,  surtout  en  Angleterre.  Elles  sont  souvent  ornées  de 
miniatures  ;  parfois  les  peintures  occupent  la  plus  grande  partie  de  cha- 
que page  et  ne  laissent  au  texte  que  quelques  lignes.  Ici  Pillustration 
est  assez  copieuse,  mais  la  qualité  en  est  fort  ordinaire.  Sur  cette  version 
voir  Romania,  VIII,  326,  note  3,  et  surtout  S,  Berger,  La  Bible  française, 
pp.  78  et  suiv.  Le  texte  commence  ainsi  (fol.  407)  : 

Seint  Pol  li  apostle  dit  qe  tuz  iceuz  qi  veilent  piement  vivre  en  Ihesu  Crist, 
qe  il  suffrunt  persecucion.  Mes  nostre  très  duz  seignur  Jhesu  Crist  ne  voetpas 
qe  ces  esliz  défaillent  en  tribuiacioun  ;  pur  ceo  les  cunfort  il  de  sei  meismes  e 
donne  ve[r]tu  de  sa  grâce,  e  dit:  «  Ne  eiez  pour,  jeo  su  od  vous  tuz  les  iours 
«  deskes  a  la  fin  de  ceste  siècle. ...» 

Fin  (fol.  439  J'"): 

Ceo  qe  il  dist  :  «  La  grâce  nostre  sire  Jhesu  Crist  seit  od  vous  touz  »  signe- 
[fie]  la  vie  de  grâce  qe  Nostre  Sire  ad  donné  a  seinte  église  par  la  mort 
Jhesu  Crist  e  par  sa  resurreccion,  desqe  ele  viegne  a  la  vie  de  glorie.  Jhesu 
Crist  le  fiz  seinte  Marie,  qi  est  un  Dieu  tut  puissaunt  od  le  père  e  Seint  Esperit, 
nous  alume  les  quors  de  verray  creaunce  e  esleve  par  ferme  esperaunce  e  es- 
prenge  par  verrai  charité,  e  nous  doint  issi  en  li  vivre  e  morir  qe  nous  puissum 
ove  li  en  sa  glorie  en  cors  e  en  aime  saunz  fin  régner.  Amen. 
kl  finisf  la  pocalipse  en  romance. 

28.  —  Le  Roman  des  Sept  Sages,  en  prose.  —  C'est  la  version  la 
plus  répandue,  celle  qu'a  publiée  Le  Roux  de  Lincy,  à  la  suite  de  VEssai 
sur  les  fables  indiennes  de  Loiseleur  Deslongchamps  (1838).  Les  nombreux 
mss.  qu'on  en  possède  se  répartissent  en  divers  groupes  que  G.  Paris  a 
déterminés  dans  sa  préface  aux  Sept  Sages  de  RomeK  La  copie  que  ren- 
ferme le  ms.  GG.  1 .  i  appartient  au  groupe  A  de  ce  classement. 

Ici  commence  le  livre  qc  est  appclcc  le  set  sages  en  romauncc  (f.  440). 
A  Rome  out  une  empereur  qi  out  a  noun  Dioclicien.  Il  out  femme  Eve;  de 
celé  femme  li  fu  remès  une  heire  malez.  Li  emperere  fu  veuz,  e  li  enfes  out  ja 
.vij.  anz.  Un  jour  appelle  li  empereres  ses  .vij.  sages  chascun  parsoun  noun... 

29.  —  Physionomie.  —  Da  Secreîum  secretorum  attribué  à  Aristote 
s'est  détaché  de  bonne  heure  un  chapitre,  le  dernier,  qui  a  souvent  été 
copié  et  traduit  comme  un  opuscule  à  part,  qu'on  n'hésitait  pas  à  attribuer 
à  Aristote.  Les  versions  françaises  de  cet  opuscule  sont  nombreuses,  et 
l'une  d'elles  a  été  imprimée  à  la  fm  du  xv^  siècle  2.  Pour  les  distinguer 
et  les  classer,  il  ne  faudrait  rien  de  moins  qu'un  véritable  mémoire,  qui 


1.  Société  des   anciens  textes  français,  1876;  voy.  pp.  x-xxvj. 

2.  Voy.  sur  les  éditions  de  cet  opuscule  le  catalogue  de  la  Bibliothèque 
J.  de  Rothschild,  I,  104-7  '""'  '9')  '92)- 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE   CAMBRIDGE    (GG.I.l)  ^]l 

ne  saurait  prendre  place  dans  cette  notice.  Je  me  borne  donc  à  donner 
ici  le  début  et  la  fin  du  texte  du  ms.  de  Cambridge: 

De  phisaumie  (f.  464  c). 

Que  ceste  phisenemie  voudra  juger,  ne  mette  ja  sa  entente  en  un  seul  significa- 
cioun,  mes  joignez  ceals  qe  il  purra  plus  apertement  veer  e  saver.  Equant  con- 
trarie avigne  des  significacions,  si  amesure  dunk  les  vertuz  e  les  tcsmoignes,  e 
solum  ceaus  qe  plus  acorde  juggez  hardiement.  E  si  devez  savoir  que  les  signi- 
ficacions de  la  face  e  des  oeils  sunt  plus  fermes  e  plus  estables  qe  les  altres. 

De  la  complexion  de  la  teste  et  de  la  cervele. 

La  frome  (sk)  de  la  cervel  estent  [sic)  e  petite  est  figure  del  cerveiler... 

Fin  (fol .  466  b  c)  : 

Nature  de  femme. 

Femmes  de  toute  maneres  de  bestes  sont  plus  diverses  de  corage  e  meins 
purrunt  suffrir,  e  plus  tost  (c)  sunt  turnez  e  tost  corucez  e  tost  appaissez,  e 
plus  cointes  de  mal  engyn,  e  abatauntz  sanz  vergoine;  e  unt  petite  teste  e  sub- 
tive  face,  subtive  col,  piz  e  espaules  estreites,  subtive  flanc,  quises  grossez  de 
aumbe  pars,  e  les  nages  charniz  e  sunt  moles  ;  les  uns  hardives  e  les  uns  plein 
de  cowardies. 

Ex  pliât. 

30.  —  Pronostics  selon  le  mois  de  la  naissance;  à  l'explicit:  «  cons- 
tellation. »  —  Nous  avons  rencontré  plus  haut  (p.  325)  un  court  morceau 
latin  indiquant  les  pronostics  à  tirer  du  jour  de  la  naissance.  Ici,  comme 
en  certains  almanachs,  le  pronostic  dépend  du  mois.  Le  texte  est  en 
prose  rimée,  forme  qui  a  été  souvent  employée  pour  des  pièces  popu- 
laires de  cette  nature.  En  tête  se  trouve  un  prologue  dont  l'auteur 
s'efforce  de  répondre  par  avance  aux  objections  que  pourraient  soulever 
les  prévisions  qui  suivent. 

La  nature  de  home  par  sa  naissance,  prose  >  (f.  466  c) 

Pur  ceo  qe  solum  les  diversetés  du  temps  se  chaungerent  les  establementz 
des  homes,  auxi  solum  les  diversetés  de  ordre  de  nature  se  chaunge,  ne  pas  de 
tut,  e  ceo  n'est  pas  par  défaut  de  art,  mes  par  la  complexioun  de  l'home  que 
est  chaungé.  E  pur  ceo,  vous  qe  lirrez  les  choses  ensuiant,  ne  vous  enmerveillez 
mie  corne  eles  firent^  inpossibles,  car  si  il  n'est  pas  cum  l'art  enseigne,  ceo  n'est 
pas  pur  défaut  d'art,  mes  par  la  diverseté  de  complexion  de  home.  E  quant  il  parle 


1 .  Ou  prose?  Ce  mot  est  surprenant;  la  table  placée  au  commencement  du  volume 
porte:  De  nature  des  homes  e  de  femes  solum  le  tens  de  lur  naissance. 

2.  Corr.  furent. 


3J2  p.    MEYER 

qe  home  deit  aver  aventure  bonepur  feanime  espuser,  signefie  bénéfice  de  seinte 
église,  corne  espousaille,  etc. 

De  home  nci  en  Jcnenrc. 

Enfaunt  madle  né  enGenever,  amable,  coveituse,  voluntrifs  serra  e  irrous... 

Fin  (f.  469  a)  : 

Femme  née  en  Décembre  douteuse  e  hontuse  serra,  e  ses  enemis  venquera  ; 
de  treis  seignurs  enfauntz  avéra  ;  de  sun  baroun  joie  serra  ;  de  haut  en  ewe 
chaiera;  par  ses  parents  joie  avéra;  après  sun  trenl  an  a  digneté  vendra;  denz 
le  .XX .  ans  ne  se  enmariera  ;  en  sun  quinte  an  enmaladiera  ;  de  chien  morse  serra  ; 
en  l'an  .xxvij.  dolur  des  oils  avéra;  .c.  anz  vivera;  se  garde  qe  ele  serve  Deu 
leaument  e  toutes  choses  venquira. 

Explicit  constcUadoiin . 

31.  —  Les  dix-sept  points  de  la  confession. — Court  traité  d'un  carac- 
tère assez  populaire,  qui  commence  ainsi,  à  la  suite  du  précédent,  au 
fol,  469  a: 

kl  conunce  .xvij.  poinîz  qe  deivent  estre  en  confession  soliin  qe  sunt  recapMcz. 

Aprise  de  vous  confesser,  ceo  est  asaver: 

Adeprimes  confession  deit  estre  fet  purement,  kar  primes  devez  coiller  en 
vostre  quoer  les  pecchez  de  tuz  vos  âges... 

Ce  petit  traité  finit  au  fol.  470  h.  Il  est  suivi  de  quelques  paragraphes 
en  latin  pour  aider  à  faire  son  examen  de  conscience,  en  suivant  l'ordre 
des  péchés  capitaux.  Suit  un  traité,  également  en  latin,  sur  l'Oraison 
dominicale. 

32.—  (Fol.  470  d)  Incipit  exposiclo  oraclonls  dominice,  salicet  Pater  koster. 
Hec  autem  obsecratio  oracio  dominica  vocatur  quia  eam  Dominus  docuit. . . 

33.  —  Légende  de  Pilate,  né  d'une  mère  nommée  PZ/îî  et  dont  le  père 
se  nommait  Atus.  Cette  composition,  qui  obtint  au  moyen  âge  un  succès 
considérable,  a  pris  place  dans  la  légende  dorée  de  Jacques  de  Varragio, 
au  chaphve  Liv y  De  rcsurrectione  Domini,  édit.  Grsesse,  p.  231  1.  21  à 
p.  234  1.  18. 

(Fol.  472  c)  De  origine  et  pcna  Pilait. 

Rex  fuit  quidam  qui  puellam  nomine  Pilam  filiam  cujusdam  molendinarii 
nomlne  Atus  carnaliter  cognovit  et  de  ea  filium  generavit.  Pila  autem  ex  nomine 
SUD  et  nomine  patris  sui,  qui  dicebatur  atus,  unum  nomen  composuit.. . 

34.  —  Débat  en  vers  sur  la  question  si  souvent  agitée  au  moyen  âge 
de  savoir  qui  vaut  mieux  en  amour  des  clercs  ou  des  chevaliers.  Le  plus 
ancien  des  écrits  que  nous  possédons  sur  ce  sujet  délicat  est  probablement 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (CG.!.!)  ^^^ 

un  poème  latin  des  premières  années  du  xu*^  siècle  au  plus  tard,  où  la 
scène  du  débat  est  placée  à  Remiremont  ' .  Un  peu  postérieure  est  VAl- 
îercatio  Phillidis  et  Florx,  si  souvent  copiée  et  plusieurs  fois  publiée  ^ 
C'est  en  latin  encore,  mais  en  prose,  que  la  même  question  est  débattue 
dans  le  traité  d'André  le  Chapelain.  En  français,  on  connaît  jusqu'ici 
trois  débats  de  ce  genre;  deux  composés  en  France:  Florence  et  Blan- 
cheflor'i,  Hueline  et  Eglantine^,  et  un  troisième  composé  en  Angleterre  et 
qui  porte  dans  le  ms.  unique  qui  l'a  conservé,  le  titre  de  «  Geste  de 
Blancheflour  et  Florence  s  ».  Le  petit  poème,  jusqu'ici  tout  à  fait  inconnu, 
dont  je  vais  citer  les  premiers  et  les  derniers  vers  a  été  également  com- 
posé en  Angleterre.  La  scène  se  passe  à  Lincoln.  Les  dames  qui  sou- 
tiennent les  deux  thèses  opposées  s'appellent  l'une  Melior,  l'autre  Idoine. 
Comme  dans  Florence  et  Blancheflor  le  débat  aboutit  à  un  duel  judiciaire 
où  deux  oiseaux  jci  le  rossignol  et  le  mauvis)  figurent  comme  champions, 
tandis  que  dans  le  poème  latin  de  Fhillis  et  Flora  et  dans  Hueline  et 
Eglantine  le  jugement  est  prononcé  par  le  dieu  d'amour. 

Le  débat  du  ms.  de  Cambridge  a  404  vers.  Il  contient  des  détails 
intéressants  qui  appellent  un  commentaire.  Je  me  propose  de  le  publier 
en  une  autre  occasion,  en  le  rapprochant  des  écrits  du  même  genre  dont 
je  n'ai  pu  donner  ci-dessus  que  l'indication  sommaire. 

Ici  trovcrcz  quel  vaut  micuz  a  amer^  gentil  clcr  ou  chivakr  (fol.  474). 

Ky  aventures  veut  oïr  e  ver,  En  ma  juvente  m'en  aloy 

Il  ne  puet  touz  jours  demorer  En  plusurs  tares  a  oïr 

A  ese  ne  a  sojourn  trere,  12  Aventures  pur  retenir. 

4  Mes  aler  deit  estrange  tere  Eu  tens  de  may,  ceux  longe  jours, 

Fur  aprendre  affetement  Chauntent  oyseaus  e  creissent 

Les  maneres  d'estrange  gent.  Par  un  matin  m'en  levoi,  [flours^ 

Ki  plus  loinz  va  plus  verra,  16  Si  mountoy  mon  palefroi, 

8  E  plus  des  aventures  savra.  E  aloi  vers  une  cité 

Jeo  le  sai  bien,  car  prové  l'ai  :  Qe  Nincol  est  appelée. . . 


1.  Publié  par  \W ailz,  Zcitschrift  f.  dcutschcs  Alterthum,  VII,  160,  d'après 
un  ms.  de  Trêves,  qui  serait  du  commencement  du  xii'  siècle  ou  même  du  xi^ 
cf.  VArchiv  de  Pertz,  VIII,  S9S.  Des  corrections  ont  été  apportées  par 
M.  Waitz  à  cette  première  édition,  Zcitschrift,  nouvelle  série,  IX,  6j. 

2.  Voy.  Hauréau,  Notices  et  extraUs  des  mss.,  XXIX,  2°  partie,  305. 

3.  Barbazan-Méon,  IV,  354. 

4.  Méon,  Nouv.  Rcc.,  I,  353. 

5.  Ms.  de  la  vente  Savile,  n"  44,  actuellement  dans  la  bibliothèque  Phillipps; 
j'en  ai  cité  quelques  vers  dans  la  Bibholhcque  de  l'Ecole  des  Charles,  s^  série, 
II  (1861),  p.  279. 


JJ4  P-    MEYER 

Fin  (fol.  476  c)  : 

Idoigne  veit  sun  chaumpioun  Jeo  ne  sai  qe  vint  après  ; 

Mort  gisir  en  sabloun  ;  Jeo  me  tourny  tout  de  lès; 

En  haute  voiz  comence  e  crie:  Si  mountoi  moun  palefroi, 

392  <f  Allas!  allas!  jeo  suis  trahi!  »  400  E  a  l'hostel  tuitdreit  aloi. 

Dune  cheïst,  si  s'en  pauma  (c)  ;  Si  jeo  euse  dormy  a  tel  houre, 

E  la  dame  s'escria.  Ne  use  pas  veut  tele  aventure. 

Les  puceals  s'assemblèrent  Mieuz  est  li  clers  a  amer 

J96  E  en  la  sale  la  portèrent.  404  Qe  li  orgoillouse  chivaler. 

Ici  finist  quel  vaut  mieuz  a  amer  gentille  clerc  ou  chivaler. 

35.  —  Les  proverbes  de  Hending  en  anglais.  —  Hending  est  un 
personnage  populaire,  et  sans  doute  imaginaire,  à  qui  sont  attribués  en 
Angleterre  les  proverbes  qu'en  France  on  mettait  dans  la  bouche  du  vi- 
lain. Les  quatre  premiers  couplets  du  texte  de  notre  ms.  ont  été  publiés 
par  M.  Halliwell  Phillipps,  Reliquis  antique,  I,  195-4.  La  pièce  entière 
a  été  éditée  d'après  un  autre  ms.  dans  le  même  recueil,  I,  109-16,  et 
dans  Msetzner,  AlîengUsche  Sprachproben,  I,  304-11.  Début: 

Ici  commence  le  livre  de  Hending  (foL  476  b). 

Jhesu  Crist,  al  folkis  rede 
That  for  us  ail  tholed  dede 

Upon  the  rode  tre 
Lern  us  aile  to  be  wise 
And  to  hendi  in  Godis  servise; 

Amen  par  charité  ! 
«  Wel  is  himthas  wel  ende  mai  », 

Quod  Hending. 

36.  —  Extrait  de  l'Evangile  de  l'enfance.  —  Ce  n'est  qu'un  extrait 
ayant  à  peu  près  600  vers.  Le  début  et  la  fin  manquent.  L'ouvrage 
complet  a  environ  1 100  vers  dans  un  ms.  de  la  Bodleienne,  Selden  supra 
38,  qui  correspond  au  n»  d'ordre  3426  des  Catdogi  de  Bernard. 
M.  Bonnard  a  mentionné,  de  seconde  main,  ces  deux  mss.  dans  son 
mémoire  sur  les  traductions  de  la  Bible  en  vers  français  au  moyen  âge 
(pp.  237-8),  mais  il  n'a  pas  reconnu  qu'ils  renfermaient  le  même  ou- 
vrage, et  n'a  pas  remarqué  davantage  la  curieuse  particularité  de  versi- 
fication qui  s'observe  dans  l'un  comme  dans  l'autre  :  c'est  que  les  vers 
riment  quatre  par  quatre,  sans  pourtant  former  de  véritables  quatrains, 


398  Pour  d'eslès. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS    DE   CAMBRIDGE    (CG .  I  .  I  )  355 

puisqu'il  n'y  a  pas  d'arrêt  constant  après  le  quatrième  vers.  L'exemplaire 
complet  d'Oxford  contient  dans  les  derniers  vers  le  nom  de  l'auteur,  ou, 
plus  probablement,  du  copiste,  qui  parait  avoir  été  en  même  temps  l'en- 
lumineur du  ms. 


Johan  ad  nun'; 

Deu  ii  gard  de  honisoun. 

Et  l'explicit,  d'une  écriture  postérieure  à  celle  du  manuscrit,  est 
ainsi  conçu  :  o  Ci  est  fine  du  enfauncie  de  nostre  Seignour.  Jehan 
«  Raynzford  me  doit.  »  Je  lis  Raynzford  et  non  Baynzford,  comme  on  a 
lu  jusqu'à  présent.  Il  n'est  pas  sûr  que  ce  personnage  ne  fasse  qu'un 
avec  le  «  Johan  »  mentionné  plus  haut. 

Il  existe  du  même  poème  un  troisième  ms.  qui  appartenait  naguère  à 
A.-F.  Didot;  le  n"  26  de  la  vente  de  1881.  C'est  un  ms.  du  xW  siècle, 
et  le  poème  des  Enfances  y  est  attribué  par  la  rubrique  à  Charles  VI  : 
«  Cy  commancent  les  enfances  nostre  Sire  et  partye  des  miracles  qu'il 
«  fist  en  son  enfance;  et  si  commancent  en  la  manière  qui  ensuyt  par 
«  vers  rimes,  translatez  de  latin  en  françoys  par  le  roi  Charles  VI®  ». 

Je  ne  sais  comment  expliquer  cette  attribution,  qui  est  évidemment 
erronée,  puisque  le  poème  est  antérieur  d'un  siècle  peut-être  à  l'avène- 
ment de  Charles  VI.  Mais  la  comparaison  du  texte  d'Oxford  et  de  Cam- 
bridge avec  celui  du  ms.  Didot  soulève  un  curieux  problème.  Le  second 
de  ces  textes  nous  offre  des  vers  disposés  non  plus  par  quatrains,  mais 
par  paires.  Par  suite,  sur  quatre  vers,  deux  sont  considérablement  rema- 
niés. On  jugera  de  la  différence  des  deux  leçons  par  le  passage  suivant, 
qui  fait  suite  au  prologue,  et  offre  proprement  le  début  du  récit  : 


Selden  supha  38. 

Kaunt  Jhesucrist  11  bonurez    (/.  i 
De  sa  mère  esteit  nez, 
Cum  le  angle  l'eut  anunciez, 
Marie  en  out  dune  joie  asez. 
Tost  après  dune  mis  estoit 
En  une  crèche  veir  tut  dreit 
U  bos  e  asne  dune  mangoit; 
E  l'un  e  l'autre  ben  savoit 
K'il  fu  Deu  ki  la  fu  mis, 
E  k'il  en  terre  fu  tramis 
Pur  sauver  touz  ces  amis. 
E  ci  esteit  il  circumcis, 
E  puis  ai  temple  présenté, 


Ms.  Didot. 

Quant  Jesucrist  nostre  doulx  père  (/.  2) 
Fust  né  de  la  Vierge  sa  mère. 
Corn  par  l'angel  fut  devisez, 
Marie  eust  de  la  joye  assés. 
Si  coni  Jhesucrist  nés  estoit 
En  une  crèche  fut  mis  droit 
Ou  ung  asne  et  ung  beuf  mangoyent  ; 
Et  l'ung  et  l'autre  bien  savoyent 
Que  c'estoit  Dieu  qui  la  fust  mis 
Et  qui  en  terre  fut  tramis 
Pour  son  peuple  d'enfer  geter. 
Cuer  d'omme  ne  pourroit  panser 
Corn  en  avoit  grant  voulenté, 


3î6 

E  moût  estoit  desirree 

De  Simeon  li  bonuré 

Ke  taunt  out  de  li  chaunté. 


Puiz  fut  au  temple  présenté 
Ou  il  moult  desirez  estoit 
De  Symeon  qui  fain  avoit 
Que  entre  ses  bras  le  tenist 
Ainz  que  de  ce  siècle  fenist  ^  ; 
Avant  que  Jhesus  fust  naissans 
On  en  avoit  chanté  cent  ans. 


Mais  quelle  est  la  rédaction  originale?  Celle,  semble-t-il,  dont  le  ms. 
Didot  nous  a  conservé  une  copie  tardive.  C'est,  je  le  crois  du  moins,  ce 
que  démontrerait  une  comparaison  suivie  qui  ne  saurait  prendre  place  ici. 

La  source  du  poème  est  une  rédaction  du  Pseiido-Matth£i  evange- 
Uum,  ou  liber  de  infantia  Sahaîom,  plus  étendue  que  les  textes  publiés 
par  M.  Schade  et  parTischendorf.  Les  rubriques  du  texte  de  Cambridge 
sont  rédigées  en  vue  de  miniatures  qui  se  trouvaient  sans  doute  dans  le 
ms.  d'après  lequel  cet  extrait  a  été  fait.  Du  reste  le  ms.  d'Oxford  est 
orné  de  nombreuses  peintures. 

Voici  le  début  de  l'extrait  inséré  dans  le  ms.  GG.  i .  i  : 


Ces  sunt  les  enjanUsus  nostie  Si 

Ore  vous  dirrai  de  une  enfaunt 
Quant  en  tere  fut  conversaunt. 
Marie  ov  sun  fiz  ala 
E  Joseph  qui  il  mut  ama  ; 
Mut  de  draguns  encuntra, 
E  chescune  li  enclina. 
Marie  prist  dune  sun  enfant, 
Si  li  tint  en  sundevaunt; 
Poiire  out  de  bestes  graunt, 
Car  ele  vist  venir  itaunt. 
Des  liouns  vindrent  assez 


igniir  quant  il  estât  en  tcre  od  sa  mère  (f.  479  c). 

E  autres  bestes  de  quatre  pez; 
Berbis  e  lowes  i  sunt  alez 
Qui  nul  n'ont  autre  damagez. 
Puis  bien  chescun  entendeit, 
Ki  trestut  bien  veir  esteit 
E  qui  issi  2  nous  diseit] 
{d)      Quant  prophecie  demustreit.   (/.  480) 
Il  mustra  bien  par  ses  dis 
Qui  quant  Marie  out  un  fiz 
Lowe  mangèrent  uel  ov  berbis 
Sanz  mal  fera  e  sanz  estris. 


Ici  Marie  descendi  de  la  mule^  e  Joseph  la  sit  3  pur  chaut  suz  un  arbre  portaunt  fruit. 


Le  tierce  joure  en  vérité 

K'il  esteint  fors  aie 

De  la  tere  al  maluré, 

II  fesoit  chaud  mut  grant 

Qui  le  solail  fut  mut  resplendissant, 

E  Marie  de  meintenant 

Joseph  apele,  si  li  dist  atant: 

«  Sire  Joseph,  de  veir  sachez, 


«  Qu'iceste  chaut  me  nut  assez. 
«  Pur  ceo,  sire,  me  reposez 
a  Desuz  celé  arbre  qe  vous  veez. 
Bien  lui  pleist,  si  lui  diseit. 
Joseph  la  meine  a  l'arbre  dreit, 
E  de  la  mule  sur  quel  ele  seit 
Joseph  Marie  si  avalait. 


1 .  Corr.  s'en  ist.  —  2.  Corr.  Ceo  q'Ysaïe  :  Ms.  Didot  :  Que   toute  vérité 
estoit  I  Quanque  demonstroit  Ysaye.  —  j  Corr.  l'asist. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (CG.I.lJ 


n7 


Ici  abcha  une  '  portant  fruit  a  la  voiz  de  Jhesu,  e  Marie  en  manga  de  celé  fruit. 
Marie  dune  veir  reposa 


L'extrait  se  termine  par  le  miracle  du  teinturier,  qui  fait  défaut  dans 
les  textes  latins  édités  par  Tischendorf  et  par  M.  Schade^. 


Ms,  DE  Cambridge  (/.  484  b) 

8  Bon  est  »  fist  il  «t  qi  jeo  mette 

i  Ma  main  en  ceste  chauderette.  » 

Un  drap  trove  de  e?carlet, 

Riche  e  bon  e  bel  e  net, 

Et  quant  il  out  les  treis  trové, 

Si  corne  il  furent  devisé, 

II  ad  sovent  Dieu  loé  [d] 

Qui  si  bien  l'ad  recoré  5 

Des  dras  qui  il  bailla  a  Jhesu, 

Qui  bien  quidoit  aver  perdu 

Quant  il  a  l'ostel  fust  venu, 

Mes  ore  n'est  il  pas  deceû. 


Ms.  DiDOT  {fol.  32) 

«  Bon  est  n  fet  il  «  que  encor  mette 
't  Ma  main  en  ceste  chauderete.   » 
Sa  main  y  bouta  maintenant. 
Une  escarlate  y  trouve  errant 
Belle  et  bonne  par  bon  samblant. 
Quant  il  ot  lez  .iij.  draps  trouvez 
Ainsi  qu'il  lez  a  devisez 
A  Jhesus  le  petit  enfant, 
En  son  cuer  en  ot  joye  grant. 
i!  en  a  Dieu  souvent  loué 
Qui  trestout  ly  a\oit  preste. 
Pesé  ly  a  fort,  sans  doubtance, 
De  sa  très  mauvaise  créance. 


37.  —  Le  Brut  d'Angleterre  abrégé.  —  Chronique  qui  s'étend  depuis 
la  venue  du  fabuleux  Brutus  en  Angleterre  jusqu'à  la  mort  d'Edouard  I. 
J'en  ai  transcrit  quelques  extraits  dans  mon  mémoire  sur  quelques  chro- 
niques anglo-normandes  qui  ont  porté  le  nom  de  Brut  [Bulletin  de  la.  Société 
des  anciens  Textes.,  1878,  pp.  104-145]  auquel  je  me  borne  à  renvoyer 
le  lecteur.  Je  ne  connais  pas  d'autre  exemplaire  de  la  rédaction  qu'offre 
le  ms.  GG.  i.  1 . 

38.  —  Complainte  sur  la  mort  d'Edouard  I.—  Cette  pièce  historique 
n'a  été  reconnue  jusqu'à  présent  que  dans  notre  ms.,  d'après  lequel  elle  a 
été  publiée  par  Th.  Wright,  Political  songs  of  England  (Camden  Society, 


1.  Un  mot  a  itè  omis:  ce  peut  être  arbre,  rain  ou  paume.  Il  y  a  dans  le  texte 
ch.  XX  (t'ci.  Schadc^p.  39)  :  «  Flecte  arbor  ramos  tuos...  Et  confestim  ad 
hanc  vocem  inclinavit  palma  cacumen  suuni  ». 

2.  Il  se  trouve  dans  le  texte  arabe  et  dans  l'évangile  grec  de  Thomas,  voy. 
A.  Kressner,  Die  proverzalischc  Bearbcitung  der  Kinddheit  Jesu,  dans  VArchiv  de 
Herrig,  LVIII  (i^??),  298-9.^ 

3.  Corr.  recovre,  oii  restoré. 


Romania,  XV 


3^8  p.    MEYER 

1839I,  p.  241-2',  ce  qui  n'empêche  pas  qu'elle  a  été  complètement 
passée  sous  silence  dans  ie  catalogue  imprimé  des  mss.  de  l'Université 
(voy.  III,  7I,  comme  aussi  dans  le  Descriptive  Catalogue  de  Sir  Th.  Duffus 
Hardy.  Elle  offre  la  forme  a èaè  bcbc^  employée  au  xiiio  siècle,  mais 
surtout  usitée  au  xiv^  siècle  et  au  xv^  Elle  fait  suite  immédiatement  au 
Brut,  qui  s'arrête  à  la  mort  du  roi  Edouard  I.  Elle  occupe  la  fin  de  la 
colonne/^  du  fol,  489  et  les  colonnes  c  et  d  du  suivant.  Le  premier 
couplet  est  ainsi  conçu  : 

Seignurs,  oiez  pur  Dieu  le  grant, 
Chançonete  de  dure  pité 
De  la  mort  au  rei  vaillaunt; 
Homme  fu  de  grant  bounté, 
E  qe  par  sa  leauté 
Mut  grant  encuntre  ad  sustenue. 
Geste  chose  est  bien  provée  : 
De  sa  terre  n'ad  rien  perdue. 

Prions  Dieu  en  devocioun 

Qe  de  ses  pecchez  le  face  pardoun. 

Le  reste  de  la  colonne  [d  du  fol.  489)  est  occupé  par  divers  morceaux 
très  courts: 

Ke  de  enfaunt  fet  rey  e  prélat  de  viîeyn,  e  de  clerc  fet  cunte,  dunke  vet  la 
tere  a  hunte. 

Wos  maket  of  a  clerc  hurle 
And  prélat  of  a  cheurle, 
And  of  a  child  maked  king, 
Than  ne  is  the  londe  undirling. 

Le  catalogue  de  la  bibliothèque  de  l'Université  dit  (III,  7)  que  ces 
vers  paraissent  se  rapporter  à  la  mauvaise  administration  d'Edouard  II. 
Cela  est  possible.  Ils  ont  pu,  du  reste,  trouver  plus  d'une  fois  leur  appli- 
cation dans  l'histoire  d'Angleterre.  Mais  l'idée  qu'ils  expriment  est  d'ori- 
gine biblique  et  est  bientôt  devenue  proverbiale  :  Vx  tibi,  terra,  cujus 
rexpuer  est  !  (Eccle.  X,  16)  h 


1.  Cf.  Hlst.  fut.,  XXVII,  44-5. 

2.  Le  premier  couplet  a  deu.x  vers  de  plus,  mais  c'est  un  refrain  qui  sans 
doute  devait  être  répété  après  chaque  couplet. 

3.  Un  ms.  du  commencement  du  xni«  siècle  ('BodI.  Digby  53)  nous  a  con- 
servé deux  vers  latins  (avec  leur  équivalent  anglais)  qui  peuvent  être  cités  ici 
{y o\t  m&s  Rapports,  \>.  175): 

Ve  populo  cujus  puer  est  rex,  censor  agrestis, 
Exterus  autistes  !  hii  mala  multa  movent. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE   CAMBRIDGE   (CG.I.l)  ^39 

Le  reste  de  la  colonne  est  complété  par  diverses  notes  statistiques  en 
latin  sur  l'Angleterre  et  l'Irlande.  —  Fol.  490  a  :  «  Qaaliter  capiit hominis 
«  situdîur.  De  ista  materia  tractât  Thomas  in  prima  parte  Summe...  » 

39.  —  (Fol.  491)  Hic  incipiunt  auctoritaîes.  —  Recueil  de  sentences 
latines,  tirées  de  la  Bible,  des  Pères  de  l'Eglise,  de  Sénèque,  etc. 

40.  —  Le  Livre  de  Sidrac.  —  Je  me  borne  à  citer  les  premières  lignes 
de  cet  ouvrage  qui  a  été,  comme  on  sait,  extrêmement  répandu,  mais  sur 
l'origine  duquel  nous  ne  sommes  encore  qu'imparfaitement  renseignés: 

(Fol.  495)  Cestc  livre  de  Sydrac  le  philosophe  q'est  a  pelé  le  livre  de  la  fontaine 
de  toutes  sciences. 
La  purveaunce  de  Dieu  le  piere  tut  puissaunt  ad  esté  du  commencement  du 
mounde  e  est  e  serra  sanz  fin  de   gouverner  e  de  sauver  toutes  les  créatures 
esperitueles  e  asquels  il  avait  otrié  paradis  si  en  eus  ne  demorast... 

41.  —  Le  Blâme  des  femmes.  —  Pièce  dont  on  a  plusieurs  copies  qui 
parfois  diffèrent  assez  en  elles  pour  constituer  des  rédactions  distinctes. 
J'en  ai  indiqué  cinq  en  1877  dans  la  Romania,  VI,  499  et  depuis  une 
sixième  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  Textes,  1883,  99.  Cette 
dernière,  que  nous  a  conservée  un  ms.  de  Rouen,  ressemble  beaucoup 
à  celle  du  ms.  fr.  1595.  Ajoutons  que  les  26  derniers  vers  de  ce  poème 
sont  transcrits,  entre  le  fabliau  des  quatre  souhaits  de  saint  Martin  et  un 
fragment  du  Chastie-Musarl,  dans  le  ms,  Digby  86  ;  voy.  la  notice  de 
M.  StengeU  p.  38.  Au  nombre  de  ces  copies  n'est  pas  comprise  la  rédac- 
tion très  corrompue  dont  je  vais  rapporter  les  premiers  vers  et  qui  se 
rapproche  notablement  du  texte  du  ms.  Harleien  publié  dans  les  Reliquis 
antiqu£,  II,  221 . 

Ici  commencent  les  propretés  des  femmes  .en  romaunz  (fol.  627  a). 

Oez,  seignurs,  e  escutez  Ki  femme [....?]  ou  femme  creit 

E  a  ma  parole  entendez.  Sa  mort  brace  e  sa  mort  beit, 

K.i  en  femme  trop  met  sa  cure  Senz  pris  e  sanz  luer  se  vent, 

Sovent  serra  saunz  honure;  Il  fet  la  hard  dunt  il  se  pent. 

Ki  femme  aime  ou  femme  prise  Qui  ces  vers  avéra  en  remenbrance 

Sovent  en  vient  a  gref  juïse;  Doutera  femme  plus  que  nul  lance.. , 

Suivent  (fol.  28  a)  ces  hexamètres  qui  ont  de  nombreux  analogues 
dans  la  poésie  latine  du  moyen  âge  : 

Q_ui  capit  uxorem  capit  absque  quiète  laborem, 
Longum  languorem,  lacrimas,  cum  lite  dolorem, 
Pondus  valde  grave,  verbosum  vas  sine  clave, 
Quod  nulli  claudit  sed  detegit  omne  quod  audit. 
Uxorem  duxi  quod  semper  postea  luxi. 


340  p.    MEYER 

42.  —  Formule  de  confession. 

Confessio  (fol.  628  a). 

Jeo  me  rend  coupable  a  nostre  Seignur  Jhesu  Crist  e  al  Seint  Espirit,  treis 
persons  e  un  Dieu  en  Trinité,  e  a  Nostre  Dame  seinte  Marie  pucele  e  mère  Jhesu 
Crist  e  a  tuz  seinz  e  a  seinte  Eglise. . . 

Le  pénitent,  qui  s'accuse,  entre  autres  méfaits,  d'avoir  «  souvent  doné 
a  menestreus  donz  »,  termine  ainsi  (fol.  629  a)  : 

De  tuz  pecchez  avaunt  nomez,  e  des  autres  pecchez  qe  me  sovent  nient,  a 
Dieu  omnipotent  e  a  nostre  Dame  seinte  Marie  a  tuz  seinz  e  a  vous  mon  père 
espiritel  me  rend  coupable,  e  de  ceo  demande  venie  ou  pardoun. 

Suivent  la  formule  latine  de  l'absolution  et  une  prière,  latine  également, 
à  la  Vierge , 


43.  —  Les  trente-deux  folies.  —  Commencement  '(fol.  629  b]  Ke  nul 
bien  ne  set  e  nul  ne  veut  aprendre.  Ce  petit  poème,  où  chaque  vers  définit 
un  genre  de  folie  ou  plutôt  de  sottise,  a  été  publié,  d'après  notre  ms. , 
par  M.  Halliwell-Phillipps  dans  les  Reliqu'u  antique,  II,  2^6'.  Deux 
autres  textes  de  la  même  pièce  ont  été  publiés  par  M.  Jubinal  (d'après 
un  ms.  du  Musée  britannique)  et  par  M.  P.  Heyse  d'après  un  ms.  de 
Florence.  Ces  trois  textes  se  rattachent  à  une  même  rédaction.  Une 
quatrième  copie,  beaucoup  plus  étendue  (elle  a  plus  de  soixante  vers)  a 
été  publiée  jadis  par  moi  dans  le  Jdhrbuch  fiir  Romanische  und  Englische 
Literatur^Wl  {iS66),  5$,  d'après  le  ms.  Arundel  507.  J'en  ai  trouvé 
depuis  une  cinquième  copie,  qui  se  rattache  à  la  rédaction  la  plus  courte, 
dans  le  ms.  de  la  Bodleienne  Selden  supra  74,  fol.  59  d. 

44.—  Recueil  de  miracles  de  la  Vierge,  en  latin.—  Dans  l'état  actuel 
du  ms.,  les  miracles  sont  au  nombre  de  vingt-trois,  mais  le  dernier 
feuillet  du  cahier  a  été  enlevé.  Inc.  (fol.  629  c]  :  «  Hic  incipiunt  miracula 
«  béate  Marie.  In  Alemania,  inquadamabbathiamonialium,  miles  seduxit 
«  domicellam. . .  »  Le  dernier  est  le  miracle  bien  connu  du  clerc  qui 
se  noya  étant  ivre,  et  à  qui,  pour  ce  fait,  la  sépulture  ecclésiastique 
devait  être  refusée,  lorsqu'on  vit  qu'il  avait  dans  la  bouche  un  morceau 
de  parchemin  sur  lequel  était  écrit  :  Ave  Maria  gratia  plena. 


I.  La  copie  est  exacte,  sauf  qu'au  v.  2  il  faut  lire  acreit  et  non  acceit. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (00.4.32)  Î4I 


GG.4.52.  Les  principales  oraisons  en  vers. 

Parchemin,  1 58  feuillets,  de  242"""  sur  167.  Ecrit  de  diverses  mains 
dans  la  seconde  moitié  du  xiV  siècle.  C'est  un  recueil  de  morceau.x  théo- 
logiques et  de  prières  qui  a  probablement  été  composé  par  un  ecclésias- 
tique pour  son  usage  personnel.  Certaines  pièces,  qui  occupent  les  trente 
derniers  feuillets,  et  qui  se  rapportent  à  l'administration  du  diocèse  de 
Londres,  portent  à  croire  que  le  compilateur  du  ms.,  ou  du  moins  celui 
qui  y  a  mis  la  dernière  main,  appartenait  au  clergé  de  ce  diocèse.  La  des- 
cription donnée  par  le  catalogue  étant  suffisante,  je  me  bornerai  à  ex- 
traire de  ce  recueil  des  versions  en  vers  français  du  symbole  des  apôtres, 
du  Pater,  de  l'Ave  Maru^  du  symbole  de  saint  Athanase,  versions  tout  à 
fait  différentes  de  celles  quiont  été  publiées  ou  signalées  jusqu'à  présent'. 

On  remarquera  que  chacun  des  articles  du  premier  Credo  est  accom- 
pagné, en  marge,  du  nom  de  l'apôtre  à  qui  la  tradition  l'attribuait. 

Entre  les  lignes  du  Pater  sont  écrites  quelques  gloses  latines  qui  pou- 
vaient fournir  les  éléments  d'une  exposition  de  cette  oraison. 

La  paraphrase  du  Symbole  de  saint  Athanase  est  un  peu  longue:  elle  a 
178  vers.  J'ai  cru  suffisant  d'en  publier  vingt. 

Le  même  ms.  contient  quelques  prières  anglaises  qui  ont  été  publiées 
dans  les  Rellquis  antiqu£,  I,  1  $9-61 . 

(F.  12  Y")  Hic  incipit  Credo  in  gallicana  lingua. 

Jeo  croi  en  Dieu  père  puissaunt 
Petras  Ki  ciel  e  terre  fist  plaisaunt, 

Andréas  E  en  son  fiz  seintifié^ 

Qui  Jhesu  est  apelé, 

Nostre  Sire  tut  souiement, 

Qui  est  as  siens  garnissement; 
Johannes  Qui  en  gloire  est  conceùz 

Du  Seinl  Esperit  par  vertu, 


I .  Pour  le  Pater  en  vers  français,  voy.  ci-dessus  p.  3  22,  art.  2 1  ;  pour  VAve  Maria, 
voir  Romania,  XIII,  ^27,  art.  3^  et  ci-dessus  p.  322,  art.  22.  Pour  le  symbole 
des  apôtres,  voir  Bonnard,  Les  traductions  de  la  Bible  en  vers,  pp.  142-4,  et 
ci-dessus,  p.  321,  art.  20.  Les  paraphrases  en  vers  du  symbolede  saint  Athanase 
sont  plus  rares;  j'en  puis  citer  une  du  xni"  siècle  dans  le  ms.  43  delà  Faculté 
de  médecine  de  Montpellier,  toi.  6^  c.  Une  autre,  du  xv«  siècle,  a  clé  imprimée 
à  la  fin  des  Grandes  Heures  de  Vérard;  voy.  le  Catalogue  Rothschild,  I,  19 
^n"  22,  art.  82). 


J42  P-    MEYER 

E  nez  est  auxi  saunz  blemure 
De  Marie  la  Vierge  pure  ; 
Jacobus  major      Souz  Ponce  Pilate  turmenté, 
Mort,  enseveli,  crucefié  ; 
Thomas  En  enfer  descendant  a!a, 

Le  tierz  jour  de  mort  releva; 
Jacobus  minor      E  puis  au  ciel  sa  voie  prist, 

Au  destre  Deu  tut  droit  s'assist; 
Philippus         D'iloek  après  vendra  juger 

Les  vifs  e  mors  au  jour  si  fer. 
Bartkolomcus       Je  croi  en  le  seint  Esperit , 
Matthms         En  seint  Eglise  tut  parfit , 
Simon  Canamus     Des  seintz  cors  communion, 
Relès  de  pecché  e  pardon, 
Judas  Thaâcus      E  de  la  char  relievement , 
Mathias  E  vie  pardurablement 

Avoir  en  règne  celestre. 

Dieu  le  me  doinst,  si  puisse  il  estre  !  Amen . 

Pater  noster  in  eaiem  lingua. 

Feticio  contra  superbiam. 
Nostre  père  qui  es  en  ciel, 

Spiriîas  timoris  Domini. 
Beneit  seit  ton  nom  duz  corn  mel. 

Contra  invidiam,  spiriîus  pietatis.  Contra  iram, 
Ton  règne  aviegne  e  ton  voler, 

Spiritus  sckncie. 
Ou  ciel  e  terre  soit  plener. 

Contra  trlsticiam,  spiritus  fortitudinis . 
Nostre  pain  de  chescun  jour 
Nous  donne  hui  par  ta  douçour. 

Contra  avariciam,  spiriîus  consilii. 
E  nos  dettes  lessez  a  nous 
Si  com  a  nos  dettours  lessons. 

Contra  gulam,  spiritus  intelligencie. 
En  temptacion  ne  nous  menez, 

Contra  luxuriant ,  spiritus  sapiencie. 
Mais  de  nos  maus  nous  délivrez.  Amen. 

Ave  Maria  in  eadem  lingua. 


Deu  vous  saut,  Virge  Marie, 
De  grant  grâce  replenie. 
Od  vous  demoert  le  rei  Messie 
Qui  outre  touz  ad  seignorie. 
Benoîte  soiez  e  loée 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (GG.4.32)  ^45 

Plus  qe  nule  femme  née 

E  le  douz  fruit  soit  honoré 

De  vostre  douz  ventre  alosé.  Amen. 

Ici  commet  Quicumque  vult  en  jrancth  (f.  ij  b). 

Kiconkes'  voet  s'aime  sauver,  Un  souI  Deu  en  Trinité 

Si  li  bosoigne  bien  garder  12  E  touz  les  treis  en  unité 

La  haute  fey  de  seinte  Eglise,  Devom  loer  parfitement 

4  Ke  Jhesu  Crist  eyme  e  prise.  Et  honorer  de  bon  talent, 

Qui  ne  la  garde  enterement  Ne  les  persones  entermellaunt 

Saunz  feintise  e  duement,  i6  Ne  la  substance  desevraunt. 

Sachez  q'il  pert  son  avenaunt  Si  est  autre  la  persone 

8  Saunz  recovrir  a  remenaunt.  Du  Piere  qi  siet  en  trône, 

Si  est  tele  la  seinte  fey  Autre  du  Fiz,  corn  est  escrit, 

Com  ci  après  vous  monsterray  :  20  E  autre  du  Seint  Esperit. . . . 

Fin  (fol  14  t)  : 

Cest  créance  de  termine  A  bien  entendre  moût  devin, 

Vaut  a  ceus  qui  sont  lettré,  E  cil  qi  n'ad  entendement 

Mais  laye  gent  n'ont  pas  engin  La  plus  courte  crede  aprent. 


GG.  6.  28.  —  I.  Nicole  Bozon,  Le  Char  d'Orgueil.  —  2.  L'Ordre 
DE  Chevalerie.  —  3.  La  petite  philosophie.  —  4.  Les  pèleri- 
nages DE  Terre  sainte.  —  5.  Rapport  du  patriarche  de  Jéru- 
salem a  Innocent  III.  —  6.  Description  de  la  Terre-Sainte. 

Parchemin;  200"""  sur  n^  ;  écriture  proprement  anglaise  des  envi- 
rons de  l'an  1 300  ;  il  y  a  ordinairement  trente  lignes  ou  vers  par  page. 
Un  feuillet  manque  au  commencement  et  le  bas  du  premier  feuillet  sub- 
sistant est  mutilé.  Ce  livre  vient  de  l'évêque  Moore==. 

1.  —  Nicole  Bozon,  Le  Char  d'Orgueil.  —  J'ai  fait  connaître  cet  ou- 
vrage en  décrivant  le  ms.  Phillipps  83.56;  voy.  Romania,  XIII,  514-8. 
Je  dois  ajouter  qu'une  poésie  dont  j'ai  cité  les  premiers  vers  dans  la  même 
notice,  p.  532  (art.  43I  se  rattache  évidemment  au  Char  d'Orgueil,  Dans 


1.  J'écris  A(contc'5  en  un  mot  parce  que  l'auteur  a  probablement  cru  repro- 
duire exactement  le  cjalcamcim  du  latin,  mais  en  réalité  les  deux  mots  sont  très 
distincts  (ce  dont  les  élymologistes,  y  compris  Littré,  ne  se  sont  pas  aperçus)  et 
en  tout  autre  cas  j'écrirais  ki  c'  onkcs. 

2.  C'est  peut-être  le  n^  118  de  Bernard  (II,  364):  t  Poemata  aliaque  ora- 
tione  soluta,  gallice.  8°. 


344  P-    MEYER 

cette  poésie,  que  je  publierai  dans  la  préface  des  contes  de  Bozon, 
l'auteur,  le  frère  mineur,  Bozon  fait  en  quelque  sorte  amende  hono- 
rable d'une  violente  attaque  contre  les  femmes  qu'il  avait  introduite 
dans  le  Char  d'Orgueil.  Je  vais  transcrire  présentement  les  premiers  et 
les  derniers  vers  du  texte  du  ms.  de  Cambridge,  et  aussi  quelques  cou- 
plets du  morceau  sur  les  femmes. 

Quant  pur  nule  perte  de  tempérance  (?)  (fol.  i.) 
Maudit  sa  vie,  le  tens  qe  il  fu  née. 

Geta  (?)  de  sa  cowe  ly  ad  tost  oustee 

La  grâce  du  seint  Espirit  dount  fu  arusee, 

Si  est  de  la  bowe  par  tant  enbouwee, 

Il  avereyt  bien  le  mester  de  estre  bien  waee  '. 

Or  parloun  des  limouns  qe  ces  singnefient  : 
Crualté  des  baillifs  qe  les  povres  lyent, 
Qe  nule  part  pount  guenchir,  mes  a  terre  se  plient, 
Donont  leur  deners  e  mercy  si  crient. 

On  pourra  comparer  ce  qui  suit  au  texte  du  ms.  Phillipps  et  à  celui 
du  ms.  de  Londres  publié  par  Th.  Wright  (voy.  Romania,  XII,  $i6). 
Les  variantes  sont  peu  considérables. 

Kedirom  de  dames  quant  viegnent  a  festes?  {fol.  3  v°) 

Les  unes  des  autres  avysont  les  testes, 

Portent  les  boces  corn  cornues  bestes  ; 

Sy  nule  sait  descornue,  de  ly  font  les  gestes. 

Des  braz  font  la  joie  quant  entrent  la  chambre, 
Mostrent  les  covrechef  de  seye  e  de  kaunbre; 
Attachent  les  boutouns  de  coral  e  de  launbre 
Ne  sessent  de  jangler,  taunt  corn  sont  en  chaunbre. 

La  maundent  les  brouès2,  seaseent  au  dyner, 
Jettent  les  barbes,  la  bouche  pur  overer. 
Sy  entrasl  alors  un  nise  esquier, 
De  un  privé  escharn  ne  purreyt  mye  fayler  ?. 

Deus4  vistes  valiez  unt  assez  a  fere, 
Servir  les  totes  checon  a  plere  : 


1.  Part,  de  wacr^  le  même  que  gaer,  laver  dans  un  gué. 

2.  L.  bruoys. 

j.  Il  y  a  ici  dans  le  ms.  Phillipps  un  couplet  de  plus. 

4.  Il  faut  probablement  lire  ainsi  dans  le  ms.  Phill.  où  j'ai  lu  0  eus. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS   DE   CAMBRIDGE    (gG.6.28)  345 

Le  hun  a  le  quisyne  le  vyaunde  a  quere, 
Le  autre  en  la  botelerye  bon  vyn  a  trere. 

Quant  elcs  unt  dyne  tut  a  granf  ieysyr, 
Se  erdent  ensemble  de  privement  parler; 
Le  une  de  l'autre  encerche  sovent  le  quer, 
Si  ascune  priveté  puisse  alocher. 

Pur  ceo,  damoysele,  en  tele  assemblée, 

Tenez  la  bûche  de  mesure  enselée, 

Kar  sy  hors  de  quer  rien  eyez  contée 

Vus  serez  pur  foie  entre  eles  jugée  ' .  ^ 


Fin  (fol.  8) 


Pur  ceo,  seynours,  haston  nos,  haston  a  confession, 
Taunt  cum  cens  nous  est  graunté  de  trover  remission, 
Kar  si  nous  seyouns  tyeus,  ke  taunt  atendoun 
Ke  les  chivals  seyent  ferrez  de  fers  de  obstinacionn  ; 

E  les  fers  seyent  tachez  des  clous  de  desperacion, 
Ja  ne  esteyt  penser  de  trover  donk  pardoun, 
Kar  ja  en  maie  vies  trop  loung  tens  avom  : 
Ceo  est  la  fin  de  tous  péchez  e  clef  de  perdycioun  3. 

Qui  vodra  cest  escrit  savent  regarder 

Il  en  avéra  matire  de  sei  confesser, 

Kar  tote  manere  de  péché  poez  issy  trover, 

Fors  qe  soûle  priveté  qe  ne  fet  pas  a  counter  3. 

Mes,  hé  las  !  trop  i  ad  icy  de  nous  enem.ys 
Dount  nous  sumus  en  mound  de  totes  pars  assis. 
Icy  sont  assemblé  unze  vinz  e  dys, 
De  forclore  la  veye  qe  meyne  a  parays. 

Mes  jo  vus  dirray  mon  conseyl  pur  ben  eschaper  : 
Pernons  congé  de  la  dame,  si  la  lessom  passer, 
E  tenom  nous  au  destre  par  un  estreyt  senter, 
Ceo  est  de  amer  Deu  e  sur  tote  rien  doter. 


1.  Ce  couplet  manque  dans  L. 

2.  Pour  ces  deux  couplets  le  texte  est  visiblement  meilleur  que  celui  du  ms, 
Phillipps. 

3.  J'ai  dit  par  erreur  (Rom.  XIII.  517,  note  i),  que  ce  couplet  manquait 
dans  le  ms.  de  Cambridge.  Ce  qui  a  causé  mon  erreur,  c'est  que  l'ordre  des 
couplets  est  différent  dans  le  ms.  Phillipps.  L'ordre  suivi  ici  me  paraît  meilleur. 


546  P-    MEYER 

Priom  hore  douz  Jhesu  qe  tote  rien  poet  fere 
Qe  il  nos  deyne  sa  grâce  taunt  com  sumus  en  terre, 
Celé  veye  a  tenir  e  celé  part  a  trere 
Qe  venir  pussom  au  pays  ou  jammès  ne  avéra  guère. 
Amen. 

2.  —  L'Ordre  de  chevalerie.  —  Poème  composé  en  France  qui 
parait  avoir  été  goûté  en  Angleterre,  car  nous  en  avons  déjà  rencontré 
deux  copies  dans  des  mss.  exécutés  en  Angleterre  '.  Celle-ci  est  la  troi- 
sième. 

Ici  comence  le  ordre  de  chivalcrs  (fol.  8  v°) 

Jadis  estaynt  en  paynye  Par  lour  orgoyl,  par  lur  outrage; 

Un  roy  de  moût  graunt  seygnurye,  Et  taunt  ke  une  fez  avynt 

Et  fu  moût  loeal  sarazyn  :  Ke  a  la  batayle  un  prynce  vynt, 

Il  eut  a  noun  Salaadyn.  Houge  out  noun  de  Tabarye, 

En  il  cel  (sic)  tens  de  coel  bon  roy  Et  out  ove  ly  grant  compaynye 

Firent  a  gens  de  nostre  loy  De  chyvalers  de  Galilée, 

Les  Sarazins  moût  graunt  damage  Kar  sires  ert  de  la  countrée... 

Fin  (fol.  15)  : 

Certes,  hom  deist  moût  hayr  Ke  nul  mauveys  ne  contredye 

Cil  qe  les  tient  en  viltee,  Le  sakerment  au  fyz  Marye. 

Kar  jeo  vous  dy  pur  veryté  Par  icel  digne  sakerment 

Ke  le  chivaler  ad  poer  Averom  nous  tretouz  sauvement, 

De  touz  ses  armes  aver  E  si  nul  hom  le  veut  dedyre 

E  en  seinte  église  a  porter  II  ad  poer  de  ly  occyre. 
Kaunt  il  deit  la  messe  escoter, 

3.  -  La  Petite  Philosophie.       Voy.  ci-dessus,  p.  257- 

4,—  Les  pèlerinages  delà  Terre  Sainte.  —  Inc.  :  «  Ki  dritement  veut 
«  aler  en  Jérusalem,  primerement  deit  aler  de  Acre  a  Caïphas,  en  quel 
c(  chemin,  a  mayn  senestre,.  est  la  montaigne  de  Seynte  Margarete  de 
«  Carme...  »  Opuscule  destiné  aux  pèlerins  qui  visitaient  la  Terre 
Sainte,  et  dont  on  a  plusieurs  rédactions  publiées  dans  les  Itinéraires  à 
Jérusalem  de  la  Société  de  l'Orient  latin  (1882)  sous  les  n"^  VI  et  X;  le 
texte  même  du  ms.  de  Cambridge  est  imprimé  dans  ce  volume, 
pp.  189-193  (n°  X,  texte  B);  voy.  la  préface  placée  en  tête  de  ce 
volume  par  M.  le  comte  Riant,  p.  xxvij.  M.  Riant  pense  que  si  la  copie 
a  été  faite  en  Angleterre,  le  texte  original  était  français.  Cette  hypo- 


.  Le  ms.  Phillipps  et  le  ms.  Johnson;  voy.  Romania,  XIII,  530. 


MANUSCRITS   FRANÇAIS    DE   CAMBRIDGE    (GG.6.28)  547 

thèse  admise,  il  n'y  aurait  rien  d'invraisemblable  à  ce  que  les  diffé- 
rentes rédactions  de  ce  guide  du  pèlerin  en  Terre  Sainte  eussent  pour 
origine  commune  un  texte  latin  jusqu'ici  non  retrouvé  ;  cf.  Riant,  ou- 
vrage cité,  p.  xix. 

5.  —  Rapport  du  patriarche  de  Jérusalem  ^Aimaro  Monaco  7  1202) 
à  Innocent  III,  sur  l'état  des  Sarrazins.  —  L'original  de  ce  rapport,  rédigé, 
cela  va  de  soi,  en  latin  a  été  publié  plusieurs  fois.  On  trouvera  l'indication 
détaillée  de  ces  éditions  dans  une  note  de  l'ouvrage  de  M.  le  comte  Riant, 
Haymari  Monachi  de  expugnata  Accone  liber  îetrastichus  {2^  éà'iùoT),  1866^, 
p.  63.  La  version  française  dont  le  ms.  de  Cambridge  contient  une 
copie  se  rencontre  en  un  grand  nombre  de  mss.  et  a  été  publiée  par 
Sinner  dans  son  catalogue  des  mss.  de  Berne  (III,  344  ss.)  et  par  Hopf , 
qui  la  croyait  inédite,  dans  ses  Chroniques  gréco-romanes^  pp.  29  et  suiv. 
Une  autre  version,  toute  différente,  et  qui  d'ailleurs  n'est  pas  com.plète, 
se  trouve  insérée  dans  la  chronique  dite  du  ms.  de  Rothelin,  Hisî.  occid. 
des  Croisades,  II,  520-2. 

(Fol.  57)  Li  apostle  de  Rome  Innocent  veut  saver  les  custumes  de  la  tere  des 
Sarazins,  eynz  ke  '  le  hoste  des  crestiens  ert  apresté  e  apareilé.  Si  manda  al 
patriarche  de  Jérusalem  ke  il  enqueïst  la  vérité  e  les  custumes  e  les  nums  des 
hauz  Saracins  ke  tenent  les  terres.., 

6.  —  Curieuse  description  de  la  Terre-Sainte,  traduite  du  latin,  qui 
doit  être  insérée  dans  un  des  prochains  volumes  de  la  Société  de  l'Orient 
latin,  et  dont  je  me  borne  par  conséquent  à  transcrire  quelques  lignes. 

(Fol.  61  v)  La  terre  de  Jérusalem  est  assise  en  milieu  le  mund;  ceo  esta 
saver  en  miliu  la  terre  ke  est  habitable.  E  ceo  put  hom  saver  par  ceo  ke  le 
philosophe  dist:  Nostre  Seigneur  Jhesu  Crist  overe  saluz  en  miliu  la  terre  kaunt 
il  suffri  passion  pur  humagne  lignage,  vcl  ligné  2.  Nepurkant  acuns  entendent 
ceo  de  la  Virgine  Marie,  de  la  quele  Nostre  Seignur  prist  char  pur  nostre 
sauvera  3.  E  celé  terre  est  en  greyndre  partie  pleyne  de  montaignes  ;  si  est  plen- 
tivus  de  herbes  e  de  tuz  bens... 

Fin  (fol.  69)  : 

E  si  eslurent  un  sire  Fulke  de  Aungo,  fort  hom  e  prochein  parent  le  rey. 
Explicit. 


1.  Il  y  a  dans  le  texte  latin  ad  qms  ou  contra  quos,    selon  les  copies;    il 
faudrait  donc  en  français  contre  qui  ou  encontre  lesquels,  comme  en  d'autres  mss. 

2.  Cf.  PsALM.  Lxxin,  t:. 
j.  Corr.  sauveté. 


340  P.    MEYER 

7.  —  Le  roman  des  Sept  Sages.  —  C'est  la  version  publiée  par  Le 
Roux  de  Lincy  dont  nous  avons  déjà  rencontré ,  dans  le  ms.  GG.  i.i, 
un  exemplaire  ;  ci-dessus,  p.  330.  Celui  que  nous  a  conservé  le  ms. 
GG.  6.  28  ne  parait  pas  avoir  été  signalé  jusqu'à  présent. 

{Fol.  69  v)  I!  avint  qu'il  ot  .j.  empereour  a  Rome  ki  ot  non  Deoclicyens. 
I!  ot  une  femme.  De  celé  femme  li  fu  remys  .j.  oir.  Li  empereres  fu  vieus  et 
li  enfes  ot  bien  .vij.  ans.  Li  empereres  apela  les  vij  sages  chacun  par  son 
non... 

Le  ms.,  incomplet  de  la  fin,  s'arrête  (fol.  117)  au  conte  de  la  marâtre 
(Le  Roux  de  Lincy,  p.  66)  : 

E  pus  remet  la  clef  a  la  coreie  a  l'enfant  loust  bêlement  qe  li  enfes  n'en  sot 
mot,  tant  que  ce  vint  a  l'endemain  au  mangier  on  demanda  la  coupe  on  le  quist 
et  on  ne  le  pot  mie  trover. . . 

{Le  reste  manque.) 


MM.  6.  4.  —  Manuel  de  péchés. 

Parchemin,  190  mm  sur  125,  première  moitié  du  xiv*  siècle,  261  feuil- 
lets dont  les  99  premiers  contiennent  l'un  des  meilleurs  textes  qu'on  ait 
de  l'ouvrage  de  William  de  Wadington,  ou,  comme  il  est  ici  nommé,  de 
«  Widendonne  ».  Les  vers  sont  écrits  à  deux  par  ligne.  Le  texte  est 
précédé  d'une  très  longue  rubrique. 

Cy  comcnce  le  romaunz  ky  est  apcllé  Manuel  de  péchez,  lequel  est  départi  en 
.ix.  liveres.  Et  si  sunt  fluris  de  bcus  amies.,  de  auctoritès  de  seins,  chescun  solun  sun 
ûfferant.  —  Le  premer  lyverc  est  dcstlnctè  sure  les  duze  articles  de  la  fay.  Le  secund 
parout  de  .x.  comaundtmens.  Le  tierz  tache  les  .vij.  péchez  morteus.  Le  quart  oevre 
les  racine  de  sacrilegie.  Le  quint  espunt  les  .vij.  sacremens  de  seint  eglize.  Le  sime 
strmune  cornent  e  pur  quey  l'en  deyt  hayr  péché.  Le  sctime  anseingne  queus  choses 
sunt  nusaunz  a  confessiun  e  qucus  choses  profitaunz.  Le  utime  quele  vertu  ad  seint 
oresun.  Le  nevirne  oresuns  certeyns  a  JesuCrist  e  a  duce  mère  Marie.  Le  queus  .ix. 
liveres  entendaument  parlas,  funt  savent  les  lisaunz  e  les  oyaunz  maus  lesser  e 
vertuz  enbracer.  Ore  comtnce  le  prologe  del  lyverc  ke  est  apelé  Manuel  de  péchez  : 

La  vertu  del  seint  Espirit  Tuz  péchez  ne  poûm  conter, 

Nus  seit  eydaunt  en  set  escrit  Mes  par  taunt  se  pot  remembrer 

A  vus  teus  choses  cy  mustrer  E  ses  péchés  mut  amender 

Dunt  homme  se  put  confesser,  Ky  cet  escrit  veut  regarder. 

E  ausi  en  queu  manere,  Primes  dirrum  la  dreyte  fey 

Ke  ne  fet  pas  bien  a  tere;  Dunt  estfundé  nostre  lay 

Kar  ce  est  la  vertu  del  sacrement  Laquelead  .xij.  poinz  provez 

Dire  le  péché  écornent.  Ke  sunt  articles  apellez... 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE   CAMBRIDGE    (MM.6.4)  ^49 

Fin: 

De  Deu  seit  beneit  chescun  humme  En  Deu  finisse  cesl  escrit, 

Ke  prie   pur  William  de  Widen-  En  père  e  fiz  e  seint  Espirit. 
Kar  ky  pur  autre  prie  et  hure  [done;  Amen. 

Pur  sey  mêmes,  dit  hum^  labure. 

Le  reste  du  ms.  est  occupé  par  divers  ouvrages  en  latin. 
Je  lis  au  fol.  179  v%  ces  quatre  vers  qui  ne  sont  pas  relevés  dans  le 
catalogue  : 

Canonici  cur  canonicum  quem  canonizastis 
Canonice,  non  canonice  decanonizastis. 
Est  reprobum  reprobare  probum  quem  [fos]  reprobastis; 
Sic  reprobos  reprobando  probes  vos  esse  probastis. 

Ces  vers  sont  connus  :  je  les  ai  publiés  une  première  fois,  d'après  le 
ms.  Digby  55,  dans  mes  Rapports  [p.  176).  On  les  retrouve,  écrits  au 
xv"  siècle  sur  un  feuillet  de  garde  du  ms.  d'Arras  799'.  Enfm  M.  De- 
lisle  en  a  publié  les  deux  premiers  d'après  un  ms.  de  Tours  où  ils  sont 
attribués  au  célèbre  et  cependant  mystérieux  Primate 

Le  catalogue  imprimé  indique  comme  se  trouvant  dans  ce  volume  un 
feuillet  arraché  à  un  poème  français  dans  lequel  on  peut  reconnaître,  à 
l'aide  des  six  vers  cités,  le  fragment  de  Tristan  publié  en  18^6  par 
M.  de  La  Villemarqué  dam  les  Archives  des  Missions,  V,  97-8,  A  cette 
époque  ce  feuillet  était  détaché  et  «  confondu  »,  nous  dit  l'éditeur, 
«  avec  une  foule  de  feuilles  de  vélin  dépareillées  ».  Signalé  par  M.  de 
La  Villemarqué,  il  fut  joint  au  ms.  MM.  6.  4,  mais  il  ne  s'y  trouve  plus. 
Bradshaw  l'en  a  retiré  pour  l'annexer  à  un  recueil  de  statuts  commen- 
çant par  la  Magna  carta,  auquel  il  avait  servi  jadis,  paraît-il,  de  feuillet 
de  garde,  le  n"  DD.  iç.  12  de  la  Bibliothèque  de  l'Université.  C'est 
un  morceau  précieux,  car  il  ne  fait  double  emploi  avec  aucun  des  poèmes 
ou  fragment  de  poèmes  de  Tristan  que  nous  possédons  K 


1.  Catalogue  général  des  mss.  des  bibiwthcques  des  départements^  IV,  317. 

2.  Bihl.  de  l'Ec.  des  Ch.,  6,  IV,  605.  Cf.  Hauréau,  Notices  et  extraits, 
XXIX,  II,  261. 

3.  J'ai  collationné  l'édition  de  M,  de  La  Villemarqué  sur  le  ms.  Voici  les 
principales  corrections  à  faire  :  Recto,  v.  3,  Sorvient  un  par  estrangéor  lis.  Sor- 
vint ./.  par  cstrange  ciir.  —  V.  6,  suppr.  i,  qui  du  reste  fausse  le  vers.  — 
V.  7,  nains,  lis.  nain. —  V.  1 1,  j'amènerai,  lis.  i  amerrai. — V.  13,  Aidonc  lesrai, 
lis.  Ardoir  les  frai.  —  V.  26,  pavez,  lis.  porez.  —  Verso,  v.  i,  conquerre,  lis. 
auerre.  —  V.  4,  hart,  lis.  hait.  —  V.  10,  baisier,  lis.  baisiès.  —  V.  \i,  A 
lis.  [D]e.  —  V.  13,  //,  lis.  si.  —  V.  16,  Vous,  lis.  probablement  (le  mot  est 
effacé)  Que.  —  V.  17,  deleuranche,  lis.  desevranche.  — V.  20.  nostre,  lis.  vostre. 


5  50  p.    MEYER 

Je  termine  ce  mémoire  en  groupant  quelques  notes  sur  un  certain 
nombre  de  mss.  auxquels  il  ne  m'a  pas  paru  nécessaire  de  consacrer 
des  notices  détaillées,  soit  parce  qu'ils  ont  déjà  été  décrits,  soit  à  cause  de 
leur  peu  d'importance. 

DD.  5.  5,  —  Bréviaire  franciscain,  partie  d'été.  — Si  je  donne  place 
ici  à  une  note  sur  ce  manuscrit,  qui  est  tout  en  latin  sauf  les  rubriques, 
qui  sont  en  français,  c'est  parce  qu'il  est  sûrement  d'origine  française,  c'est 
aussi  parce  que  je  dois  à  mon  regretté  ami  Bradshaw  le  peu  que  je 
puis  en  dire.  Il  est  aussi  mal  décrit  que  possible  dans  le  catalogue  im- 
primé, qui  l'attribue  au  xv"  siècle,  quand  il  est  incontestablement  anté- 
rieur à  1^77,  qui  en  fait  un  «  Breviarium  secundum  Sarum  « ',  qui 
surtout  ne  fait  aucune  mention  des  armoiries  qui  sont  peintes  en  divers 
endroits.  Dès  1871  Bradsha-.v  avait  attiré  mon  attention  sur  ce  bréviaire, 
m'engageant  à  en  publier  une  description  dont  il  m'eût  fourni  tous 
les  éléments.  J'obtins  de  lui  assez  facilement  la  promesse  qu'il  se  char- 
gerait de  la  rédiger,  mais  ceux  qui  ont  connu  l'obligeant  et  shy  biblio- 
thécaire de  l'Université  ne  seront  pas  surpris  d'apprendre  que  ce  projet, 
non  plus  que  bien  d'autres  plus  importants,  n'eut  aucune  suite.  Ce  qui 
m'avait  frappé  de  prime  abord,  et  ce  que  je  pus  apprendre  à  Bradshaw, 
c'est  que  l'écriture  de  ce  bréviaire  est  celle  de  certains  copistes  qui  ont 
travaillé  pour  Charles  V.  On  observe  même  en  plusieurs  endroits,  autour 
des  miniatures,  ces  encadrements  tricolores  à  forme  d'accolade  qu'on 
trouve  dans  beaucoup  de  beaux  manuscrits  exécutés  à  Paris,  principale- 
ment pour  des  bibliothèques  royales  ou  princières,  pendant  toute  la 
seconde  moitié  du  xiV  siècle 2.  Les  armoiries  qui  ornent  plusieurs  pages 
du  Bréviaire  sont  celles  de  Marie  de  Saint-Paul,  comtesse  de  Pembroke, 
qui  fonda  le  collège  de  Pembroke,  à  Cambridge  3 ,  C'est  là  le  renseigne- 
ment que  je  tiens  de  Bradshaw.  Le  reste  était  dès  lors  facile  à  trouver. 
Marie  de  Saint  Paul  était  fille  de  Gui  de  Châtillon,  comte  de  Saint- 
Paul  (f  1 3 17)  4,  et  de  Marie  fille  de  Jean  II  duc  de  Bretagne.  Sa  grand'- 
mère,  l'épouse  de  Jean  II,  était  une  fille  de  Henri  III  d'Angleterre.  Marie 


1 .  Cette  erreur  est  corrigée  de  la  main  de  Bradshaw  sur  l'exemplaire  en  ser- 
vice à  la  Bibliothèque  de  l'Université. 

2.  M.  Delisie  a  dressé  une  liste  de  cinquante-cinq  mss.  qui  présentent  cet 
ornement  caractéristique;  voy.  Cabinet  des  manuscrits^  III,  328-9  et  391. 
M.  S.  Berger  de  son  côté  a  fait  un  relevé  des  bibles  françaises  qui  offrent  la 
même  particularité,  La  Bible  française,  p.  286. 

3.  C'est  un  écu  parti  de  Pembroke  (burelé  d'argent  et  d'azur  à  neuf  merlettes 
de  gueules  en  crie  sur  l'argent)  et  de  Châtillon  Saint-Paul  (de  gueules  à  trois 
pals  de  vair  au  chef  d'or  chargé  d'un  lambel  d'azur  de  trois  pièces). 

4.  Voir  sur  ce  personnage  A.  du  Chesne,  Hist.  de  la  maison  de  Ciiastillon, 
275-80,  et  le  P.  Anselme,  VI  106. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (DD.5.<i)  ^^I 

de  Saint-Paul  épousa  en  1521  Aymer  de  Valence,  comte  de  Pembroke, 
qui  mourut  en  1^4'.  Elle  fonda,  outre  Pembroke  Hall,  l'abbaye  de 
Denney  (comté  de  Cambridge!  et  y  transporta  les  religieuses  que  Lady 
Denise  de  Munchensy  avait  établies  à  Waterbeach  près  de  Cambridge  >. 
Elle  mourut  le  16  mars  1 377  ?. 

DD.  11.  78.  —  Ms.  de  la  fin  du  xiii''  siècle,  qui  vient  de  John 
Moore,  et  qui  renferme  un  grand  nombre  de  poésies  latines,  en  général 
sur  des  sujets  religieux,  parmi  lesquels  huit  fables  en  vers  élégiaques, 
dont  l'une,  la  première  (De  ruslica  et  lupo),  est  imprimée  dans  les 
Reliquia  antiqute,  I,  204).  Elles  se  rattachent  plus  ou  moins  indirecte- 
mentaux  fables  1,  2,  j,  5,  15,  19,  34  et  37  d'Avianus.  La  forme 
métrique  et  les  sujets  sont  identiques,  quoique  la  rédaction  soit  très  dif- 
férente 4.  Il  s'y  trouve  aussi  (fol.  45I  un  texte  des  neuf  joies  de  Notre 
Dame:  Reine  de  plié  Marie,  |  En  ki  deïtcz  pure  e  clere...  pièce  souvent 
copiées  qui  a  été  attribuée  à  Rutebeuf.  Au  fol.  188  r'  on  lit  ce  singulier 
hexamètre  qui  ne  parait  se  rattacher  à  rien  de  ce  qui  précède  ou  de  ce 
qui  suit  : 

Carbones  chartuns^  nos  nus,  comburimus  arduns. 

EE.  1.  20. —  Ms.  du  xiv"  siècle^,  parchemin,  142  feuillets,  conte- 
nant (ff.  1-78,  le  Manuel  de  péchés  de  William  de  W'adington  et  la  chronique 
en  prose  connue  sous  le  nom  de  Brut  ou  Brut  d'Angleterre,  se  poursuivant, 
dans  cet  exemplaire,  jusqu'à  la  mort  d'Edouard  I  (1307).  J'ai  indiqué 
ce  ms.  dans  mon  mémoire  sur  les  chroniques  anglo-normandes  qui  ont 
porté  le  nom  de  Brut,  voy.  le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes 
français,  1878,  p.  124.  Il  appartient  à  la  seconde  rédaction.  Il  vient  de 
la  collection  de  Moore  et  figure  sous  le  n"  66  dans  l'inventaire  publié 
par  Bernard  (Catalogi,  II,  363  et  400). 

FF.  6.  17.  —  Ms.  du  romande  Horn,  décrit  et  publié  par  M.  Fr. 


1.  On  trouvera  les  armoiries  de  ce  personnage  et  un  sommaire  de  sa  vie  dans 
James  E.  Doyie,  The  officiai  baronage  of  Enrland,  {honàon,  1886,  8"),  III,  9. 

2.  Voy.  Monasùcon  Anglicanum,  new  éd.,  VI  (3*-'  partie),  1549.  Cf.  Roma- 
nia^  VIII,  501,  note. 

3.  Voir  en  général  Th.  Fuiler,  Tlu  History  oflhtUniversity  o.  Cambridgi{\6<^^), 
p.  41  et  Ch.  H.  Cooper,  Î^Iemorials  of  Cambridge,  I,  49-5 1. 

4.  Je  tiens  de  M.  L.  Hervieux,  dont  la  compétence  est  si  grande  pour  tout 
ce  qui  touche  à  l'histoire  de  la  fable  ésopique  au  moyen  âge,  qu'on  ne  connaît 
pas  d'autre  ms.  de  la  rédaction  qu'offre  le  ms.  de  Cambridge. 

5.  Voy.  Roniania,  XIII,  511,  où  sont  indiquées  sept  copies  de  cette  pièce,  y 
compris  celle  de  Cambridge.  Une  huitième  copie  se  trouve  dans  le  ms.  Bibl. 
nat.  fr.  12786,  fol.  90  d. 


352  p.    MEYER 

Michel  dans  son  édition  (Bannatyne  Club,  1845),  puis  par  M.  Rudolf 
Brede  dans  une  dissertation  de  doctorat  [Ueber  die  Handschriften  der 
chanson  deHorn,  Marburg,  1882,  p.  11). 

GG.  1.  15.  —  Première  rédaction  du  Brut  en  prose,  s'étendant 
jusqu'à  I  n  î .  Toutefois  le  ras.  est  incomplet  de  la  fin  et  s'arrête  â  1 526. 
Voy.  le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes,  1878,  p.  117. 

GG.  4.  6.  —  Roman  de  la  Rose  provenant  de  l'évêque  Moore.  C'est 
un  grand  volume  sur  parchemin  écrit  en  France  dans  la  seconde  moitié 
du  xiv^  siècle  et  orné  de  miniatures  assez  médiocres.  J'ai  noté  que  le 
second  feuillet  commençait  par  la  matinée  aîrempée,  mais  je  n'ai  retrouvé 
cet  incipit  dans  aucun  ancien  catalogue. 

II.  6.  17.  —  Petit  in-quarto,  papier  et  parchemin,  écrit  au  xvi^ 
siècle.  Contient,  entre  un  grand  nombre  de  traités  médicaux  et  autres 
dont  on  trouvera  l'indication  dans  le  catalogue,  deux  lettres  françaises 
dont  l'une  (fol.  99)  adressée  par  la  duchesse  de  Bourgogne,  Jacqueline 
de  Bavière,  à  l'évêque  de  Winchester  en  faveur  du  Sire  de  Bussy  fait 
prisonnier  par  Rodrigue  de  Villandrando  ',  et  une  suite  de  phrases 
usuelles  en  français  et  en  anglais  (fî.  100-106)  dont  quelques-unes  ont 
été  publiées  par  M.  Stuerzinger,  Orthographia  gallica,  p.  xv. 

II.  6.  24.  —  Ms.  de  la  seconde  moitié  du  xiii''  siècle,  exécuté  en 
Normandie,  qui  contient  des  annales  en  latin,  diverses  chroniques  fran- 
çaises de  Normandie,  une  ancienne  version  du  Pseudo-Turpin  et  une 
partie  du  Liicidaire  en  vers.  Il  en  paraîtra  une  notice  détaillée  dans  un 
prochain  volume  des  Notices  et  Extraits  des  Manuscrits. 

KK.  4.  20.  Ms.  en  parchemin,  écrit  de  diverses  mains  au  xiv"  siècle. 
Aux  feuillets  56-8  est  copié  un  sermon  sur  le  texte  Misericordia  et  veritas 
obviaverunî  sibi;  Justicia  et  pax  osculat£  sunî  (Ps.  lxxxiv,  11).  Il  com- 
mence ainsi  :  «  In  versiculo  isto  insinuât  propheta  hodierne  festivitatis 
a  misterium. ..  »  *.  Suit  un  poème  bien  connu  sur  le  même  sujet  : 
(Fol.  <^S  c)  De  eodcm  in  gaUi[c\o. 
De  quatre  sorurs  vus  voil  dire 


1.  Je  l'ai  communiquée  à  feu  Quicherat  qui  l'a  publiée  sous  le  n°  V  des 
pièces  justificatives  de  son  Rodrigue  de  Villandrando  (1879). 

2.  Sermon  qui  se  rencontre  assez  fréquemment  dans  les  mss.,  par  ex.  Bibl. 
nal.  lat.  12419,  fol.  s6  et  13583,  fol.  139. 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE    (KK.4.20)  ^] 

Ke  filies  sunt  Deu  nostre  Sire. 
Quatre  sors  i  sunt  numrez  ' 
E  par  diverse  nuns  numez; 
Merci  fu  la  priinere  né 
Ke  tute  fu  pleine  de  pité. 

De  ce  poème,  certainement  écrit  en  Angleterre,  je  connais  trois  copies, 
qui  ne  sont  probablement  pas  les  seules  :  Musée  brit,  Harl.  1801  fol. 
127;  Arundel  292  fol.  25,  et  Corpus  Chr.  Coll.  Cambridge  $0  fol.  102. 
Ce  dernier  ms.  diffère  très  notablement  des  autres.  Le  dit  des  quatre 
sœurs  a  été  publié  d'après  le  ms.  Arundel  par  M.  Fr.  Michel,  dans  son 
édition  du  Psautier  d'Oxford,  pp.  564-8. 

MM.  4.  44.  —  Chronique  universelle  en  français,  s'étendant  jus- 
qu'en 1508. — Parchemin,  1 22  ff.  à  30  lignes  par  page.  Hauteur  250'"", 
largeur  190.  Ecrit  en  France  au  commencement  du  xv"  siècle.  Le  premier 
feuillet  est  orné  d'une  lettre  peinte  et  d'une  vignette.  Ce  livre  vient  de 
l'évêque  Moore,  et  devait  être  en  Angleterre  dès  lafmduxvr  siècle,  car 
le  nom  d'un  ancien  possesseur  «  H.  Langley  »,  écrit  vers  ce  temps,  se  lit 
sur  le  dernier  feuillet  de  garde.  Les  premiers  m.ots  du  second  feuillet  sont 
deleure  comença.  Cette  chronique,  queje  n'ai  du  reste  examinée  que  super- 
ficiellement, ne  m'a  pas  paru  offrir  un  grand  intérêt.  Il  suffira  d'en  rap- 
porter ici  les  premières  et  les  dernières  lignes,  pour  permettre  de  recon- 
naître s'il  en  existe  d'autres  exemplaires,  ce  qui  est  probable. 

Au  commencement  du  monde,  puis  que  Dieux  et  fait  ciel  et  terre,  ténèbres 
et  lumere  et  les  quatre  elemens  divisiez  (sic)  l'un  de  l'autre,  si  fist  diverses 
créatures,  herbes  et  arbres,  poisons  (sic),  oysiaux  et  bestes  pour  le  monde 
aourner.  Et  veulent  plusieurs  dire  que  le  monde  fu  fais  ou  mois  de  mars,  qui  est 
le  premier  mois  de  l'an,  selon  les  Ebrieux 

Fin: 

En  cest  an  mesme  mourut  l'emperis  de  Constantinoble  femme  mons'  Charlon 
frère  du  roy  Philippon  de  France^.  En  cest  an  mesme,  le  jour  de  la  conversion 
saint  Pol,  furent  les  noches  faictes  en  l'cglisc  Nostre  Dame  en  Bouloingne  du 
roy  d'Angielere  5  et  de  Madame  Ysabel  fille  du  roy  de  France.  Et  y  furent 
présent  li  roys  de  France  e  li  rois  de  Navarre,  messires  Charles  et  messires 
Loys,  Philippes  et  Charles,  li  dus  de  Bretaigne,  li  dux  de  Brebant  et  li  dus  de 
Bourgoingne,  li  quens  Robers  de  Flandres  et  li  quens  de  Haynau. 


1.  C'est  la  leçon  du  ms.  Arundel,  qui  peut  aussi,  à  la  rigueur,  se  lire  ici. 
Le  ms.  Harleien  porte  mulicnz  ;  dans  le  ms.  de  Corpus  ce  vers  et  les  dix-sept 
suivants  lent  dé'aut. 

2.  Catherine  de  Courtenai,  femme  de  Charles  de  Valois,  mourut  le  2  janvier 
1308, 

5.  Edouard  II. 

Romania,  VX.  23 


^54  P-    MEYER 

MM.  6.  15.  —  Je  me  borne  à  signaler,  aux  ff.  105-8  de  ce  ma- 
nuscrit, une  nouvelle  copie  du  petit  poème  relatif  au  miracle  de  Sar- 
denai  que  M.  Raynaud  a  publié  ici  même  (XI,  531)  d'après  un  ms.  de 
Tours,  et  dont  il  a  depuis  (XIV,  81)  fait  connaître  deux  autres  mss., 
l'un  à  Londres,  l'autre  à  Oxford.  Le  catalogue  en  cite  dix  vers,  les  huit 
premiers  et  les  deux  derniers.  Il  ne  me  semble  pas  douteux  que  ce 
poème  a  été  composé  en  Angletere. 


TABLE  DES  MSS.  DÉCRITS. 


DD.5.S.... 
DD.IO.31  .. 
DD.11,78.. 

DD. 12.23.. 
EE.1.20... 
EE.2.17... 
EE.3.52... 
EE.3.S9... 
EE.4.26... 
EE.6.11... 
EE.6.16... 
EE.6.30  . . . 
FF. 1.33... 
FF.3.31... 
FF. 6. 13... 


Pages.  Pages. 

3^0  FF. 6. 15 281 

24'  FF. 6. 17 351 

351  GG.i.i 283 

262  GG.  1.15 352 

351  GG.4.6 352 

264  GG.4.32 342 

265  GG.6.28 344 

265  HH.3.16 276 

268  II. 6. 17 352 

268  II.6.24 352 

270  KK.4.20 352 

272  MM. 4. 44 353 

273  MM. 6. 4... 348 

275  MM, 6. 15 354 

277 


TABLE  DES  AUTEURS  ET  DES  OUVRAGES. 


Pages. 


Anne  (sainte),  hymne  latin  et 

français  à  —  (EE.6.1 5). 
Apocalypse       en      français 

(GG.i.i) 

Auctoritatcs^  sentences  latines 

(GG.i.i) 

Ave  Maria  traduit    en  deux 

quatrains(GG.4.32) 

—        traduit  en  couplets 

coués(GG.  I .  i) 317 

paraphrasé  en   qua- 


271 


329 


339 


343 


322 


trains  (GG.i.i) 

AviANus,  fables  latines  imi- 
tées d'  —  (DD.11.78).. 

Bible,  abrégé  de  la  —  en  vers 
latins    rhythmiques  (GG. 

1-0 

Bible  en  français  (EE.3.52) 
Bible  française  (EE.3.S2)  . 
BiBLESwoRTH,  voir    Gau- 
tier DE  — 
Blâme  {le)  des  femmes,  poème 


Pages. 
306 

35' 


327 
267 
265 


MANUSCRITS    FRANÇAIS    DE    CAMBRIDGE 


(GG.I.I) 

Bonté  {la)  desfemmcSy  poème 
(GG.I.I) 

BozoN  (Nicole),  Le  Char 
d'Orgueil,  poème  (GG.6. 
28) 

Bréviaire  de  Marie  de  Saint- 
Paul  (DD.  5. 5) 

Brut  (le)  d'Angleterre,  abrégé 
prose  (GG,  1.1) 

Brut  (le),  chronique  s'éten- 
dant  jusqu'à  la  mort  d'E- 
douard I  (EE.1.20) 

—  jusqu'à  133J  (GG.I.I  $) 

Calendrier  hygiénique  (FF. 

■•53) 

Chansons  d'amour  (DD.io. 

51) 

Char  d'orgueil^  voy.  BozoN. 
Chronique     universelle     en 

français  (MM. 4. 44) 

Cinq  {les)  joies  i\ostre  Dame 

(GG.  1 .  i),  en  vers 

Clerc    ou  chevalier,    lequel 

vaut   mieux    en    amour, 

poème  (GG.  i .  i) 

Complainte     sur    la     mort 

d'Edouard  I  (GG,  i .  1)'. . . 
Confession  ,      les     dix-sept 

points  de  la — ,en  prose 

(GG.I.I) 

— ,    formule  de  — ,  prose 

(GG.I.I) 

Credo   (le),   en  grands  vers 

(GG.I.I) 

Credo  {le),  en  vers  de  7  et  8 

syllabes  (GG.4.32) 

Croix,  roman  de  la  sainte  — , 

prose  (GG  .1.1) 

Domies,  Evangiles  des — ,  voy . 

Robert  de  Gretham. 
Edouard,  Vie  de  saint  — , 

poème  (EE.j.  59) 

Edouard    I,   voy.   Complainte 

et  Pierre  DE  Lamgtoft. 


Pages- 
539 


3'5 


543 


350 


357 


3S1 
3S2 


274 


246 


353 


507 


532 


357 


552 


346 


341 


326 


267 


Evangile  de  l'enjance,  poème 
(GG.I.I) 

—  (ms.  Didot) 

Fauconnerie,    traité     latin, 

voy.  Liber. 

—  traité  en  prose,  avec 
prologue  et  épilogue  en 
vers  (FF. 6. 13) 

—  traité  en  vers  (Harl. 
978) 

Folies,  voy. Trente-deux  (les) 

Gautier  de  Biblesworth, 
traité  pour  apprendre  le 
français  (GG.  i .  i) 

Gilles  de  Rome,  trad.  par 
Henri  de  Gauchi  (EE. 
2.17) 

Gloucester,  voy.  Humirey. 

Hending,  proverbes  de  — , 
en  anglais  (GG.i.  i) 

Henri  de  Gauchi,  voy. 
Gilles  de  Rome. 

Herman  de  Valenciennes, 
l'Assomption  Notre  Dame, 
poème  (GG.  i .  i) 

Hippocrate,  du  gouverne- 
ment de  santé,  traité  attri- 
bué à  —  et  adressé  à 
César  ^FF.1.33) 

Horn,  roman  de  — ,  en  vers 
(FF. 6. 17) 

Humfrey,  duc  de  Gloucester, 
liste  des  livres  qui  lui 
ont  appartenu 

Yder,  poème  de  la  Table 
ronde  (EE.4.26) 

Image  (/')  du  monde,  poème 
(GG.I.I) 

JACauES  DE  Cessoles,  traité 
des  échecs  moralises,  trad. 
par     Jean     de    Vicnai 

(FF-'-33) ••• 

JAcauES  Legrakd,  le  Livre 
des  bonnes  mœurs  (FF.  i . 
3?) 


555 

Pascs. 


554 
335 


278 

312 
264 

354 

308 

274 
35' 

264 
268 
3'4 

275 

274 


Î56 


Pages. 


Jean  de  Vignai,  voy.  Jac- 
auEs  DE  Cessoles  et  Vé- 

GÈCE. 

Joies  Notre  Dame;  voy.  Cinij 
(Us)  joies  et  Neuf  (les)  joies. 

Jugement  dernier,  les  signes 
précurseurs  du  —  ,en  latin 
(GG.i.i) 317 

Lamentation  Notre  Damc^  voy. 
Plainte 

Legrand,  voy.  Jacques  — 

Langtoft  ,  voy.  Pierre 

DE  — 
Liber  de  passionibus  falconum, 

etc.  (FF. 6. 13) 279 

Manilrc  (la)  de  langage  (DD. 

12.23) 262 

Manuel  de  pêMs,  voy.  Wil- 
liam de  Wadington. 
Marguerite,  Vie  de  sainte  — 

(EE.6.11) 269 

Marie  de   France,  fables 

(EE.6.13) 269 

Marie  de  Saint-Paul,  com- 
tesse de   Pembroke,  son 

bréviaire 350 

Médecines  de  garrir  falcons, 

etc.,  prose  (EE.6.11)...       279 
Merlin,  Prophéties  de  — , 

prose  (GG.  1.1) 295 

Miracle  opéré  par  la  vertu 
d'un     îrentcl.,    en    prose 

(FF. 6. 15) 281 

Miracle  de  Sardenai,en  vers 

(MM. 6.1^) 354 

Miracle  de  la  Vierge,  vision 
du  champ  fleuri,  en  vers 

(EE.6.30) 272 

—    autre  rédaction  (GG. 

i.i) 327 

Miracles  de  la  Vierge,  en  la- 
tin (GG.i.i) 340 

Miroir  (le),  voy.  Robert  de 

Gretham. 
Monaco  (AiMARO),  Rapport 


à  Innocent  ill  sur  l'état 
des  Sarrazins,  en  prose 
(GG.6.28) 

Neuf  (les)  joies  Notre  Dame, 
en  vers  (DD.  n  .78) 

Oraisons,  voy.  Ave  Maria, 
Credo,  Pater,  Quicumque 
vult. 

Ordre  (V)  de  Chevalerie, 
poème  (GG.6.28) 

Passion,  poème  anglais  sur 
la  —  (GG.i.i) 

Pater  (le)  exposition  en  la- 
tin du  —  (GG.i.i) 

—  traduit  en  vers  de  7  et 
8  syll.  (GG.4.32) 

—  paraphrasé  en  vers  (GG. 

'•0 

Patriarche  (le)  de  Jérusalem, 

voy.  Monaco. 
Patrice   (saint),  voy.   Pur- 
gatoire. 
Pèlerinages     de    la     Terre 

Sainte,  voy.  Terre  Sainte. 
Petite  {la)  philosophie,  poème, 

(DD.10.31) 

-        (GG.6.28) 

Physionomie,  prose  (GG.  i .  i  ) 
Pierre  de  Langtoft,  vie 

d'Edouard  I  (GG.i.i)  ,. 
Pierre  de    Peckham,    la 

Lumilre  as  lais  (GG.  i .  1). 
Pilate,  légende  latine  de  — 

(GG.i.i) 

Plainte  d'amour  (la),  poème 

(GG.i.i) 

Plainte  (la)  ou  Lamentation 

Notre  Dame  (CG.i.i)... 
Poème  allégorique  (DD.io 

îO 

Ponthus ,    roman   en    prose 

(PP-hP) 

—  (HH.3.16) 

Prière  en  vers  à  saint  Fran- 
çois (EE.6. 16) 


Pages. 

547 


347 
295 

332 
342 
322 


256 
346 
33' 

3'3 

287 

352 

292 

309 

241 

275 
276 

271 


MANUSCRITS    FRANÇAIS 
Pages. 


Primat,  vers  latins  (MM. 

6.4) 

Pronostics  tirés  du   jour  de 

la  naissance,  latin  (GG.  i .  i  ) 
Pronostics  tirés  du  mois  de 

la  naissance,  prose  (GG. 

'.') 

Pronostics  tirés  de  la  coïn- 
cidence des  divers  jours 
de  la  semaine  avec  la  Noël, 
en  vers  (GG.  i .  i) 

Pronostics  tirés  du  tonnerre, 
latin  (GG.  i .  i) 

Prophéties  (les),  voy.  Mer- 
lin. 

Psaumes  de  la  pénitence, 
traduits  envers  (GG.  i.i) 

Purgatoire  de  saint  Patrice, 
en  vers  (EE.6, 1 1) 

Quatre  sœurs,  le  dit  des  — , 
en  vers  (KK.4.20) 

Quïcumque  vult,  ou  symbole 
de  saint  Athanase,  en  vers 
dey  et  8  syll.  (GG.4.32) 

Quinze  [les]  signes  de  la  fin 
du  monie^  poème  (GG.  i .  i  ) 

Rauf  de  Lekham,  Comput 
(GG.i.i) 

Robert  de  Gretham,  le 
Miroir,  ou  Evangiles  des 
Damées  (GG.i.i) 

Romans,  voy.  Horn,  Ydcr, 
Ponthus,  Rose^  Sept  Sages. 
Tristan. 

Rose^  romande  la  —  (GG. 
à.6] 

Sacramentis  (de)  Ecclesie 
(GG.i.i) 

Saignée,  jours  où  elle  peut 


349 


325 


325 


305 


269 


3S2 


343 


290 


285 


296 


3S2 


425 


DE   CAMBRIDGE 

être  pratiquée  (GG.i  .1). 
Secret  (le)  des  secrets,   prose 

(^^•■•33) -, 

Sentences  en  quatrains  et  en 

distiques  (GG.  1 .  i) 

Sept  Sages,  roman  des  — en 

prose(GG.  i.i) 

—      (GG.6.28) 

Sidrac.  le  livre  de  —  (GG. 


>)• 


Six  (les).âges  de  l'homme,  en 

latin  (GG.i.i) 

Symbole  des  apôtres,  voy. 

Credo. 
Symbole  de  saint  Athanase 

voy.  Quicumque  vult. 
Terre  Sainte,  description  de 

la  —,  prose  (GG.6.28) 

—  Pèlerinages  de  la  — , 
prose  iGG.é.28) 

Trente-deux  (les)  folies,  vers 
(GG.i.i) 

Tristan,  fragment  d'un  poème 
de  —  (DD.15,12) 

Urbain  le  Courtois  (GG.  i .  i) 

Végèce,  de  chevalerie,  trad. 
par  Jean  de  Vignai  (EE. 

2.17) 

Veni  Creator,  trad.  en  vers 
(EE.6.  16) 

Vierge  (miracle  de  la). 

Vies  des  Saints,voy.  Edouard 
Marguerite. 

William  de  Wadington, 
Manuel  de  péchés-  poè- 
me (EE.1.20) 

—  —  (MM.6.4) 

—  copie     partielle     (GG. 


i.i). 


?57 

Pages. 
32s 


273 


330 
348 

339 

325 


347 
346 
340 

349 
284 

652 
272 


3$i 
348 

3'2 


Paul  Meyer. 


LE  MONOLOGUE  DRAMATIQUE 

DANS    l'ancien   THÉÂTRE   FRANÇAIS 


Le  nom  générique  de  monologue  dramatique  s'applique  à  deux  sortes 
de  compositions  fort  différentes  :  le  sermon  joyeux  et  le  monologue  pro- 
prement dit.  Le  premier  est  une  parodie,  généralement  fort  libre,  des 
sermons  en  vers  ou  en  prose  qui  précédaient  les  grands  mystères;  le 
second,  au  contraire,  est  une  scène  à  un  personnage,  dans  laquelle  l'ac- 
teur joue  un  véritable  rôle.  L'un  se  borne  à  un  récit;  c'est  une  suite  plus 
ou  moins  heureuse  de  traits  satiriques;  l'autre  au  contraire  est  une  action  : 
c'est  une  comédie  complète  placée  dans  un  cadre  restreint.  Nous  étu- 
dierons successivement  les  deux  genres. 

L'origine  religieuse  des  mystères,  la  part  que  le  clergé  prenait  à 
ces  pieuses  représentations,  le  lieu  où  ils  étaient  joués,  au  parvis  des 
églises,  ou  dans  l'intérieur  même  des  temples,  tout  explique  qu'ils  aient 
été  précédés  d'un  sermon  '.  Comme  le  remarquent  les  auteurs  de  l'His- 
toire littéraires^  «  on  accourait  au  sermon  pour  être  sûr  de  ne  point 
perdre  les  scènes  comiques,  les  bouffonneries  même,  destinées  à  l'amu- 
sement de  ceux  que  le  sermon  venait  d'instruire,  et  les  scènes  tragiques, 
d'attendrir  ou  d'effrayer.  » 

Les  joueurs  de  farces,  usant  des  libertés  que  le  moyen  âge  se  per- 
mettait, parodièrent  les  drames  religieux.  Ils  reprirent,  en  les  adaptant 
à  la  scène  profane,  les  dits  des  anciens  trouvères:  le  Martyre  de  saint 
Baccus,  quelque  peu  modifié  et  abrégé,  devint  le  Martyre  de  saint  Raisin. 
Une  fois  entrés  dans  cette  voie,  ils  célébrèrent   les    louanges  d'une 


1.  Il  nous  suffira  de  rappeler,  à  titre  d'exemples,  les  sermons  qui  précèdent 
!e  Misiêrc  de  la  Passion  et  le  Mistcrc  des  Actes  aes  Apostres.  On  peut  comparer 
le  prologue  récité  par  Vangelo  au  début  des  rappresentazioni  italiennes,  et  la 
loa  des  Espagnols. 

2.  XXIV,  367. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.  3  59 

foule  de  saints  facétieux,  saint  Hareng,  saint  Oignon,  sainte  Andouille, 
saint  Billouard,  etc.  Dès  lors  le  genre  exista;  mais,  comme  en  toute 
chose  il  faut  de  la  variété,  les  joueurs  de  farces  ne  se  bornèrent  pas  à 
raconter  la  vie  de  leurs  saints  imaginaires,  ils  prêchèrent  sur  les  femmes, 
sur  les  ivrognes  et  sur  divers  autres  sujets  plus  ou  moins  scabreux.  Par- 
fois même  un  événement  historique,  une  victoire  du  roi,  la  mort  d'un 
criminel,  etc.,  leur  servait  de  thème. 

Comme  les  véritables  sermons,  les  sermons  joyeux  débutent  d'ordi- 
naire par  une  citation  latine,  et  c'est  dans  ces  parodies,  qui  sont  comme 
une  réminiscence  de  la  fête  des  fous,  que  se  montre  le  plus  clairement 
la  tolérance  des  autorités  ecclésiastiques.  Les  textes  bibliques  sont  d'or- 
dinaire travestis  de  la  façon  la  plus  grotesque  ;  le  signe  de  la  croix  et 
VAve  Maria  subissent  eux-mêmes  des  tranformations  bouffonnes. 

Les  auteurs  des  mystères  eussent  été  mal  venus  à  se  plaindre  de  ces 
parodies  souvent  fort  peu  édifiantes  ;  ils  avaient  eux-mêmes  contribué  au 
scandale  en  mêlant  le  sacré  et  le  profane,  en  mettant  sur  la  scène  des 
sots  ou  des  fous  qui  annonçaient  le  spectacle  ou  qui  intervenaient  dans 
l'action  '.  Avant  eux  les  moines  avaient  ouvert  la  voie  en  composant  des 
discours  facétieux  tels  que  le  Sermo  de  Ncmine,  le  Sermo  de  sanctissimo 
fratre  Invicem,  etc.  ^. 

L'origine  même  du  sermon  joyeux  explique  qu'il  ait  dû  être  récité 
au  début  de  la  représentation  :  il  tenait  la  place  de  l'exhortation  pieuse 
dont  les  mystères  étaient  ordinairement  précédés.  Nous  avons  déjà  cité 
un  passage  du  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  qui  confirme  cette  observa- 
tion 5.  Nous  verrons  plus  loin  que  le  sermonneur  annonçait  parfois  qu'il 
allait  faire  la  quête  :  il  était  important  d'assurer  la  recette  avant  de 
jouer  la  pièce  de  résistance  4. 

La  simplicité  des  sermons  joyeux,  qui  n'exigaient  ni  théâtre  ni  mise 
en  scène,  permettait  d'ailleurs  de  les  produire  dans  une  foule  d'occa- 
sions. On  en  récitait  dans  les  assemblées  de  certaines  sociétés  badines  J, 


1.  Voy.  par  exemple  la  Vie  de  saindt  Barbe,  en  cinq  journées,  la  Vie  et 
Passion  de  monsieur  saincl  Didier^  par  Guillaume  Flamang  (1482),  le  Mistêre  de 
la  Passion  de  Troyes  (1490)  et  le  Mistêre  de  saint  Bernard  de  Mcnttion.  —  Dans 
les  C/î£5f«;P/j)'5,  le  sacrifice  d'Abraham  est  précédé  d'un  prologue  comique 
récité  par  Gobbet  on  the  Green. 

2.  Voy.  Montaiglon  et  Rothschild,  Recueil  de  Poésies  françaises,  XI,  513,  328. 

3.  Romania,  VII,  239. 

4.  Voy.  le  Sermon  joyeulx  d' uns,  fiance  (jui  emprunte  ung  pain  sur  la  fournée,  le 
Sermon  d'un  cartier  de  mouton,  le  Sermon  jojeux  des  Quatre  Vens  et  le  monologue 
de  Watetet. 

<,.  Nous  croyons  que  telle  fut  la  destination  des  pièces  de  Coquillart,  qui  ex- 
.cèdent  de  beaucoup  les  limites  ordinaires  du  sermon  joyeux  et  qu'aucun  acteur 
n'aurait  eu  la  force  de  réciter  sur  un  théâtre,  aucun  spectateur  la  patience 
d'entendre. 


360  É.    PICOT 

dans  les  réunions  des  clercs  du  palais  '  ;  on  en  égayait  les  repas  ^,  spé- 
cialement les  repas  de  noces  5. 

Il  arrivait  aussi  que,  les  jours  de  réjouissance  populaire^  un  acteur 
montait  bravement  sur  un  tonneau,  au  coin  d'une  rue,  et  récitait  à  la 
foule  un  sermon  joyeux.  C'est  ainsi  que,  en  15^7,  le  conseil  de  ville  de 
Cambrai  fit  payer  une  gratification  de  10  sols  à  un  nommé  Claude  Le 
Mausnier,  «  ayant  ce  jour  preschié  sur  un  tonneau  en  recréant  le  peuple  4  « . 

A  la  fin  du  xvi''  siècle,  le  sermon  joyeux,  banni  du  théâtre  par  les  au- 
teurs qui  veulent  revenir  aux  modèles  antiques,  conserve  sa  vogue  dans 
les  provinces.  A  Paris  même,  il  reprend  faveur  au  commencement  du 
xvii^  siècle  ;  mais  alors  il  se  transforme,  il  tombe  dans  le  domaine 
des  bateleurs  et  des  charlatans  du  Pont-Neuf.  Les  prologues  de  Brus- 
cambille  et  les  questions  de  Tabarin  continuent  la  tradition  des  anciens 
joueurs  de  farce,  bien  que  la  prose  y  remplace  les  vers.  Les  auteurs 
rachètent  cette  infériorité  en  exagérant  encore  la  grossièreté  et  le  cy- 
nisme de  leurs  devanciers. 

Le  monologue  dramatique  met  en  scène  la  personne  même  qui  le 
récite;  aussi  est-ce  un  genre  plus  difficile  à  cultiver  que  le  sermon.  Il 
exige  à  la  fois  des  qualités  plus  diverses  chez  le  poète  et  chez  l'acteur. 
Tout  auteur  sachant  tourner  spirituellement  les  vers  pourra  écrire  un 
sermon;  pour  réussir  dans  le  monologue  il  faudra  posséder  en  outre 
l'entente  du  théâtre.  Le  premier  venu  pourra  réciter  tant  bien  que  mal 
un  sermon,  un  comédien  exercé  pourra  seul  rendre  le  monologue  sup- 
portable. De  là  vient  que  les  pièces  appartenant  à  la  seconde  classe 
sont  moins  nombreuses  que  celles  de  la  première.  Les  auteurs  qui  les 
ont  composées  ont  eu  grand'  peine  à  varier  leurs  sujets,  ils  sont  tombés 
dans  les  redites,  et  se  sont  copiés  les  uns  les  autres,  au  point  qu'un 
même  monologue  a  pu  subir  trois  transformations  différentes'.  H  est 


1.  Les  pièces  poitevines  et  bourguignonnes  que  nous  citons  plus  loin  sont,  à 
coup  sûr,  l'œuvre  de  jeunes  bazochiens, 

2.  Voy.  ci-après  (n"  31)  le  Sermon  fort  joyeuh  pour  l'entrée  de  table. 

3.  Voy.  la  pièce  de  Roger  de  Collerye  intitulée:  Sermon  pour  une  nopce^  ci- 
après,  n»  19,  et  le  Nouveau  et  joyeux  Sermon  contenant  le  ménage  et  charge  de 
mariage,  pour  jouer  à  une  nopce,  n"  21.  —  L'auteur  du  Sermon  nouveau  et  fort 
joyeulx  auquel  est  contenu  tous  les  maulx  que  l'homme  a  ta  mariage  n'a  pas 
oublié  dans  son  énuniéralion  des  charges  imposées  au  malheureux  fiancé  l'ooti- 
gation  d'appeler  des  joueurs  de  farces: 

Quant  le  jour  des  nopces  est  près, 
Il  faut  semondre  a  pompe  grande 
Et  achepter  de  la  viande, 
Louer  meiiestriers  et  farseurs, 
Maistres  d'hostelz  et  rôtisseurs. 
(Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  franço'.scs,  II,  8). 

4.  Durieu,  Le  Théâtre  à  Cambrai  avant  et  depuis  1789  (Cambrai,  Renaut, 
1883,  in-8),  166. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.  361 

vrai  de  dire  que  des  morceaux  aussi  achevés  que   le  Franc  Archier  de 
Baignollct  ont  dû  décourager  d'avance  les  imitateurs. 

Pour  introduire  quelque  variété  dans  les  monologues,  les  joueurs  de 
farces  imaginèrent  des  monologues  à  deux  personnages,  dans  lesquels 
les  interruptions  d'un  second  acteur  formaient  les  éléments  du  comique, 
ou  des  dialogues  à  un  seul  personnage  dans  lesquels  le  même  acteur  se 
répondait  à  lui-même  en  changeant  sa  voix  ou  son  visage. 

Les  règles  du  monologue  et  celles  du  sermon  étaient  au  fond  les  mêmes  ; 
ils  avaient  la  même  étendue.  D'après  Gracien  Du  Pont,  deux  cents  vers 
suffisaient  ^  ;  mais  il  était  rare  que  ce  nombre  ne  fût  pas  dépassé.  Sermons 
et  monologues  sont  d'ordinaire  écrits  à  rimes  plates;  cependant  nous 
trouvons  dans  plusieurs  pièces  qui  appartiennent  au  milieu  du  xv^  siècle, 
mais  surtout  chez  Coquillart  et  chez  plusieurs  de  ses  imitateurs,  des  vers 
croisés  et  des  strophes  5. 

Comme  les  mystères,  les  moralités  et  surtout  les  farces,  les  sermons 
et  les  monologues  sont  émaillés  de  triolets.  M.  Éd.  Fournier  fait  remar- 
quer 4  que  le  Pèlerin  passant  de  Pierre  Tasserye,  qui  est  de  1 509,  com- 
mence par  un  triolet^  et  il  ajoute:  «  forme  de  poésie  qui  n'était  pas  alors 
fort  commune  ».  C'est  là  une  erreur.  Sans  parler  des  Miracles  de  Nostre 
Dame,  une  des  plus  anciennes  moralités  qui  nous  soient  parvenues,  ne 


1 .  VVatclit,  Maisîre  HambrcUn,  Le  Varlct  à  louer. 

2.  «  0.ui  aura  envye  de  sçavoir  le  nombre  des  lignes  appartinentz  en  mono- 
logues, dyalogues.  farces,  sottises  et  moralitez,  saiche  que,  quant  monologue 
passe  deux  cens  lignes,  c'est  trop;  larces  et  sottises,  cinq  cens;  moralitez, 
mille  ou  douze  cens  au  plus.  »  An  cl  Science  de  rhdoncquc  melrijfièe...  composé 
p.v  Griuicn  Du  Pont,  escuycr,  seigneur  di  Dnisac  {Tholozc,  par  Nycolas  Vieillard, 
1^9,  in-4>,  fol.  jj  a. 

3.  Pierre  Fabri  (Le  grant  et  vray  Art  de  rhétorique;  Rouen,  Symon  Cruel, 
in-4,  II,  19  a)  commence  ainsi  le  chapitre  qu'il  consacre  à  la  «  rithme  de 
plusieurs  basions  »  : 

«  Il  est  une  espèce  de  rithme  qui  s'appelle  deux  et  ar.  pour  ce  que  deux  ou 
trois  lignes  de  semblable  longueur,  sont  léonines,  et  celle  qui  croise  est  plus 
courte  ou  de  semblable  longueur  ainsi  que  est  le  Livre  du  gras  et  du  maigre  et 
des  Qiutrc  Dames  maistre  .^lain,  et  en  faict  l'en  par  basions  et  sans  basions. 

«  Nota  que  le  baston  par  plusieurs  est  entendu  pour  clause  (c'est-à-dire  pour 
strophe),  et  par  plusieurs  est  entendu  pour  ligne  de  clause,  u 
Après  avoir  cité  trois  exemples,  Faori  continue  en  ces  termes: 
«  Et  generallement  quasi  toutes  les  farces  que  l'en  faict  maintenant  et  espe- 
cialement  tous  les  monologues  Coquillart  sont  pratiquez  en  deux  et  ar.  » 

Parmi  les  trois  exemples  cités,  il  en  est  un  qui  paraît  tiré  d'un  monologue 
dramatique  : 

Se  tu  veois  dame  ou  damoiselle, 

Le  beau  vestement  d'entour  elle, 

Ses  colliers  et  ses  bons  joyaulx 

Te  monstreront  qu'el(le)  sera  belle 

A  veoir  de  loing,  mais  n'est  pas  telle 

Quant  plus  on  voit  de  près  ses  peaulx,  etc. 

4.  Le  Théâtre  français  avant  la  Renaissance,  272. 


362  É.    PICOT 

pièce  relative  au  Concile  de   Basle,  que  nous  croyons  pouvoir  dater  de 
l'année  1433,  est  pleine  de  triolets'. 

On  remarquera  dans  plusieurs  sermons  ou  monologues  des  passages  en 
prose  analogues  aux  couplets  «  parlés  »  de  nos  chansonnettes  comiques  2. 

Les  monologues  n'ont  jamais  complètement  cessé  d'exercer  la  verve 
des  auteurs  dramatiques.  De  même  que  Bruscarnbille  et  Tabarin  avaient 
prolongé  la  vogue  des  sermons  joyeux,  les  acteurs  de  la  foire  Saint-Ger- 
main conservèrent  les  farces  à  un  personnage. 

Quand  les  troupes  ambulantes  se  virent  poursuivies  à  la  requête  des 
comédiens  du  roi  et  des  directeurs  de  l'opéra,  que  les  uns  leur  firent 
défendre  de  parler  et  les  autres  de  chanter,  elles  se  rabattirent  sur  le 
monologue.  En  1707,  cette  forme  dramatique  leur  fut  permise;  mais 
divers  subterfuges  auxquels  ils  eurent  recours  pour  représenter  de  véri- 
tables pièces  à  laidede  prétendus  monologues  leur  valurent,  de  la  part 
de  la  police,  une  nouvelle  interdiction  5 . 

Nos  recherches  ne  portent  que  sur  le  xV  et  le  xvi"'  siècle  ;  par  excep- 
tion nous  faisons  figurer  dans  notre  bibliographie  deux  ou  trois  pièces  du 
xvii'^  siècle  qui  ont  avec  les  productions  antérieures  des  rapports  trop 
étroits  pour  pouvoir  en  être  séparées. 

Ainsi  que  nous  l'avons  fait  précédemment  pour  la  sottie,  nous  nous 
sommes  efforcés  de  classer  chronologiquement  les  sermons  et  les  mono- 
logues et  d'en  rechercher  les  auteurs. 

Nous  les  avons  de  plus  groupés  par  genre  et  les  avons  répartis  en  douze 
classes,  savoir  : 

1°  Sermons  sur  la  vie  de  divers  saints  ou  personnages  facétieux, 

2°  Sermons  sur  l'amour,  les  femmes  et  le  mariage, 

5"  Sermons  sur  les  buveurs  et  sur  les  cabarets, 

4"  Sermons  sur  divers  sujets, 

5"  Sermons  de  sots, 

6°  Monologues  d'amoureux, 

j"  Monologues  de  charlatans  et  de  valets, 

80  Monologues  de  soldats  fanfarons, 

9*^  Monologues  de  comédiens, 

10"  Monologues  de  villageois, 

11°  Monologues  historiques, 

12°  Monologues  moraux. 


1 .  Voy.  Œuvres  de  Georges  Chastdlain  publics  par  M.  Kervyn  de  LcUenhove 
VI,  1-48. 

2.  Voy.  ci-après  les  n»»  8,  9  et  56. 

5.  Despois,  Le   Théâtre  français   sous    Louis  XtV,    Paris,    Hachette,    1S74, 
in-12),  8g. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    I.  ^6^ 


1.  —  SERMONS  SUR  LA  VIE  DE  DIVERS  SAINTS 
OU  PERSONNAGES  FACÉTIEUX. 

I.  Sermon  fort  joyeux  de  saint  Raisin. 
[Vers  1450  ?| 

Saint  Bacchus,  ou  saint  Raisin,  est  probablement  le  premier  martyr 
sur  lequel  se  soit  exercé  la  verve  des  joueurs  de  farces.  En  remontant 
dans  le  moyen  âge,  nous  rencontrons  une  pièce  grecque  sur  la  condam- 
nation du  Raisin,  dont  il  a  existé  plusieurs  versions  différentes,  et  qui  a 
été  traduite  en  sloveno-serbe  et  imitée  même  en  turc  (voy.  Archiv  fiir 
slavische  Philologie,  1,  61 1  ;  II,  192), 

A  côté  de  la  pièce  grecque  nous  devons  ranger  un  dit  français,  très 
différent,  il  est  vrai,  composé  en  1513  par  Geofroy  de  Paris.  Le  Mar- 
tyre de  saint  Baccus  ressemble  beaucoup  à  un  sermon  joyeux,  pas 
assez  cependant  pour  que  nous  ayons  pu  lui  donner  une  place  parmi  les 
ouvrages  dramatiques.  Ce  dit,  composé  de  455  vers  dont  le  ^''  n'a  pas 
de  rime^  a  été  publié,  d'après  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale, 
par  M.  Jubinal  Nouveau  Recueil  de  Contes,  Dits,  Fabliaux,  etc.,  I,  250-265). 

Le  sermon  joyeux,  qui  nous  paraît  appartenir  au  milieu  du  xv*  siècle, 
commence  ainsi  : 

Hoc  bibt  quoi  possis, 
Si  vivere  sanus  tu  vis  : 
Hec  verba  scribuntur  in  Cathone,  ultiino  capitulo. 

En  considérant  le  courage 
Du  tresnoble  Cathon  le  sage. 
Duquel  j'ay  allégué  le  thesme,         5 
Affin  que  n'ayons  tous  la  rume, 
Prenons  exemple  a  Jesuchrist 
Du  premier  miracle  qu'il  fit, 
Ce  fut  qu'il  mua  l'eaue  en  vin 
Aux  nopces  de  l'architriclin. . .         10 

Nous  ne  relevons  dans  le  poème  aucun  détail  qui  permette  d'en  fixer 
approximativement  la  date;  nous  n'y  trouvons  non  plus  aucune  indication 
relative  à  la  province  où  il  a  été  composé.  On  remarquera  cependant 
quelques  mots  curieux:  dariolle  (v.  80),  vivande  (v.  c)o) ,,  tisetaine  (v.  99), 
boéte  panetrée  (v.  107). 

Le  sermon,  qui  est  très  court,  se  termine  ainsi  : 

Prions  doncques  Nostre  Seigneur 
145  Qui  ses  apostres  abreuva 


364  É.    PICOT 

Et  leur  dist  :  Se  me  voulez  croire. 
Faictes  ainsi  que  ma  mémoire, 


Qui  en  son  hault  trosne  de  gloire 
Nous  meine,  le  père  et  le  filz 
150  Et  le  benoistSainct  Esp[e]rit 
Qui  est  pour  nostre  rédemption, 
In  sccula  seculorum . 
Amen, 
Bibliographie  : 

a.  — Sensuit  le  sermon  fort  ioyeux  de  saint  Raisin.  S.  /.  n.  d. 
{vers  1 520],  pet,  in-8  goth.  de  4  ff.  de  25  lignes  à  la  page. 

Au  titre,  un  bois  qui  représente  un  moine  assis  dans  une  chaire  gothique, 
devant  un  pupitre. 

Au  v^  du  dernier  f.,  un  second  bois  qui  représente  une  femme  tendant  la  main 
à  un  pèlerin  agenouillé. 

Biblioth.  de  S.  A.  R.  Mgr.  le  duc  d'Aumale  {Catal.  Cigongnc,  n"  712). 

b.  —  S'ensuit  ]|  le  Sermon  ||  fort  ioyeux  ||  de  saint  Raisin.  \\  A  Rouen,  \\ 
Chez  Nicolas  Lescuyer,  près  le  ||  grand  portail,,  nostre  Dame.  —  Fin.  S.  d. 
[vers  1 595],  pet.  in-8  de  4  ff.  de  27  lignes  à  la  page,  sans  sign. 

Titre  encadré,  dont  le  vo  est  blanc.  On  y  voit  la  marque  de  Lescuyer  repré- 
sentant une  tête  de  Janus,  insérée  dans  un  cercle  formé  de  deux  serpents,  et 
accompagnée  de  la  devise  :  nâpovxa  xal  jj.rAXov:x. 

Dans  le  coin  inférieur  de  droite  on  remarque  le  chiffre  3,  qui  indique  la  place 
que  le  Sermon  occupait  dans  les  recueils  du  libraire  rouennais. 

Biblioth.  de  feu  M.  le  baron  James  de  Rothschild  (Cat.  I,  n"  590,  art.  3). 

c.  —  Reproduction  autographique  exécutée  vers  i8p  et  tirée  à  40 
exemplaires:  nous  croyons  qu'elle  a  été  faite  sur  l'édition  a. 

d.  —  Joyeusetez^  183 1,  dans  le  vol.  qui  contient  les  Songes  de  la  Pu- 
celle,  etc. 

e.  —  MonXai^lon,  Recueil  de  Poésies  françoiscs^U,  11  2-1 17. 


2.  Sermon  de  Billouart,  par  Jehan  Molinet. 
[Valenciennes,  vers  1460.] 

Cette  pièce  est  une  des  plus  ordurières  de  celles  que  nous  aurons  à 
citer  ;  aussi  n'est-ce  pas  sans  surprise  que  nous  l'avons  rencontrée  dans 
les  œuvres  de  Molinet.  Bien  que  les  lettres  échangées  entre  le  chanoine 
de  Valenciennes  et  son  ami,  Guillaume  Crétin,  prouvent  que  ces  graves 
personnages  ne  craignaient  pas  les  facéties  un  peu  épicées,  le  sermon  de 
Billouart,  ou  de  saint  Billouart  (car  c'est  bien  d'un  saint  qu'il  s'agit), 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    I.  ^65 

dépasse  en  hardiesse  tout  ce  qu'on  pouvait  attendre  de  Molinet.  Il  faut 
sans  doute  y  voir  une  œuvre  de  jeunesse. 

Voici  le  début  du  Sermon  dans  les  deux  textes  qui  nous  en  sont  par- 
venus: 


Introivit  in  tabernaculo; 
Lacrimanti  rcccssit  oculo. 

Peuple  dévot,  soubz  [ung]  hallot, 

Hiersoir,  environ  le  malin, 
5  Trouvay  escript  ce  fort  latin 

Que  j'ay    ichy   prins    pour  mon 
[theumc, 

Et,  pour  tant  que  c'est  ma  cous- 
[tume 

De  le  déclarer  en  franchois, 

Le  declareray  mais  anchois, 
10  Affm  que  plus  profondement, 

Vous  puissiés  toutz   mon  fonde- 
[ment 

Sentir,  machier  et  savourer, 

Tant  que  le  fruit  peult  demourer 

A  aulcuns  de  vous  en  la  bouche. 
1 5  Avant  que  plus  par;ond  je  touche 

A  ceste  prédication, 

Nous  ferons  salutation 

En  nous  mectans  sans  nulz  debatz 

Le  cul  en  hault.  le  chiet  en  bas, 
20  Honnestement,  sans  faictz  infa- 
[mes. 

Les  hommes  au  dessus  des  fem- 
[mes, 

Disantz  pour  tous  brimborions: 

Dcus  des  genitorions 

Introivit  et  cetera... 

La  pièce  se  termine  ainsi  : 


Billouart  mist  son  estudie 
A  le  touchier  de  son  boult  digne 
Ung  peu  plus  bas  que  le  boudiné, 
260  Et  la  sy  au  vif  l'attaindit 
Que  celle  challeur  estaindit, 
Et  fut  guerrie  nettement 


Jubé  me  bencdicere. 
Introivit  in  tabernaculo; 
Lachrynumte  recessit  oculo. 

Peuple  dévot,  sur  un  halo. 

Ce  fut  hersoir,au  plus  matin, 

Que  [|']assemblay  ce  fort  latin  5 

Que  l'ay  [i]cy  prins  pour  mon  thesme  ; 

Mais,  pourtant  que  c'est  la  coustume 

De  le  déclarer  en  françois, 

Je  (vous)  le  declareray;  ainçoys 

Que  plus  avant  nous  procedion        10 

A  ceste  prédication, 

Nous  ferons  salutation, 

En  nous  mettant  sans  nuls  débats 

Le  dos  en  haut,  le  ventre  au  bas, 

Honnestement,  sans  estre  infâmes,    1 5 

Les  hommes  par  dessus  les  femmes, 

Disant  pour  tout  brcborium: 

Deiis  in  genitorium 

Introivit,  et  cetera... 


B 
Billouart  mist  son  estudie 
De  toucher  ceste  femmelette. 
Tant  qu'il  la  guarit  toute  nette 
Par  vertu  de  ses  oigneniens. 
Sans  faire  plus  longs  preschemens, 
Femmelettes,  n'oubliez  mie 


45 


j66  É.    PICOT 

Par  le  vertu  de  l'ongnement  De  vous  mettre  en  la  confrarie        1 50 

Dontilleoindy  parplusieurs  foys,       De  monsieur  saint  Biilouart. 
26  s  Tellement  qu'au    bout  de    neuf  ^^^^ 

[moys, 
Par  Biilouart  et  ses  jumelles, 
Elleeultdu  laict  plein  ses  ma- 

[melles 
Et  en  ses  bras  ung  beau  poupart. 

Femmes,  priés  a  mon  départ 
270  Pour  moy,  et,  mays  qu'il  m'en 
[souviegne, 
Je  prieray  qu'ainsyvousadviegne. 

Bibliographie  : 

a.  —  Bibliothèque  de  feu  M.  le  baron  James  de  Rothschild,  ms.  in-fol. 
sur  papier  de  201  fF..  fol.  1-2.  Voy.  le  Catalogue,  I^  n''  471. 

b.  —  Le  II  Sermon  ||  Saint  Bil-  ||  louart  nou-  1|  uellement  Im-  |]  primé. 
=  A  Rouen,  \\  Chez  Nicolas  Lescuyer,  \\  près  le  grand  portail  \\  nostre  Dame. 
—  Fin.  S.  d,  [vers  1595],  pet.  in-8  de  4  ff.  de  27  lignes  à  la  page 
pleine,  sans  sign. 

Titre  encadré,  dont  le  v°  est  blanc.  On  y  voit  la  petite  marque  de  Lescuyer , 
réduction  de  celle  qui  orne  le  titre  du  Sermon  fort  joyeux  de  Saint  Ruisin. 

Dans  le  coin  inférieur  de  droite  se  trouve  le  chiffre  4  qui  indique  la  place 
qu'occupait  cette  pièce  dans  les  recueils  de  Lescuyer. 

Biblioth.  de  feu  M.  le  baron  James  de  Rothschild  (Cat.  I,  n»  590). 

Cette  édition  très  fautive  et  qui  ne  contient  que  1 5 1  vers,  a  dû  être  précédée 
de  plusieurs  autres  qui  ont  disparu  sans  laisser  de  traces. 


3.  Sermon  joyeulx  de  sainct  Faulcet. 
[7^1475.] 

L'histoire  de  sainct  Faulcet  doit  être  empruntée,  comme  celle  de  sainct 

Nemo,  à  quelque  discours  facétieux  composé,  au  moyen  âge,  par  un 
théologien  en  belle  humeur.  Sainct  Faulcet  est  le  patron  des  menteurs, 
mais  il  prétend  que  ses  mensonges  sont  si  bien  combinés  que  Dieu  n'a 
pas  le  courage  de  le  damner. 

Notre  sermon,  qui  ne  nous  est  connu  que  par  une  édition  des  plus  fau- 
tives, semble  avoir  subi  de  graves  mutilations:  on  n'y  trouve  que  quelques 
traits  de  la  vie  du  saint  ;  par  contre,  on  y  rencontre  quelques  allusions 
qui  permettent  d'en  fixer  approximativement  la  date. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    I.  07 

Le  prêcheur  entre  ainsi  en  matière  : 

Ubi  paly  co^uaris 

Maxilbrium  in  vants 

Familliarum  constringe  : 

Ce  que  Dieu  a  dit  et  juré, 

C'est  bien  raison  que  il  soit  faict.        5 

En  la  légende  sainct  Faulcet 

Ay  trouvé  ce  que  vous  ay  dit 

Et  le  jugement  que  Dieu  fist 

Le  jour  qu'il  trouva  saint  Faulcet 

Lassus  es  cieulx  en  ung  anglet,         10 

La  ou  il  avoit  prins  son  lieu 

Maulgré  les  sainctz  et  maulgré  Dieu... 

Après  avoir  conté  le  trait  le  plus  plaisant  de  saint  Faulcet,  le  poète 
ajoute  : 

Trestous  ceulx  qui  sont  en  péché      30 
Et  qui  sont  faulx  par.'aictement 
•   Seront  saulvez  au  jugement; 
Se  nous  racompte  sainct  Faulcet, 
(^ui  contre  Dieu  en  fist  procès, 
Ainsi  que  j'ay  dit  cy  devant  :  3  5 

Maris,  Divat(us),  Warin,  Tristant 
Furent  sainctz,  aussi  Argenton. 

Nous  ignorons  qui  peuvent  être  Maris  et  Divat  ou  Dinat  \  quant  à 
Warin,  c'est  peut-être  Richard  Wareyn  qui  conspira,  en  1470,  contre 
le  roi  Edouard  III  et  fut,  pour  ce  fait,  décapité  ■;  mais  c'est  plus  probable- 
ment Warwick,  le  faiseur  de  rois_,  tué  à  Barnet  en  1 471  .Tristant  doit  être 
Tristan  L'Hermite,  le  célèbre  grand-maitrede  l'artillerie,  qui  vivait  encore 
en  1475*;  enfin  Argenton  ne  peut  être  que  Philippe  de  Comines,  de- 
venu seigneur  d'Argenion  par  son  mariage  avec  Hélène  de  Chambes 
(27  janvier  1473  .On  voit  que  l'auteur  est  un  Bourguignon  qui  ne  ménage 
pas  les  partisans  du  roi  de  France. 

Plus  loin  iV.  79I,  MM.  de  Montaiglon  et  de  Rothschild  ont  cru  voir 
une  allusion  à  un  emprunt  fait  par  Louis  XI  aux  Cambrésiens.  Il  est  pos- 
sible enfin  qu'un  autre  passage  (v.  99-104I  contienne  une  allusion  au  roi, 
à  La  Ballue,  à  Olivier  Le  Daim;  mais  l'obscurité  du  texte  ne  permet 
pas  de  l'affirmer. 


1.  Chroniques  d'Angleterre^  par  Jean  de  Wavvrin,  éd.  de   la  Société  de  l'hist. 
de  France,  111,  17. 

2.  Anselme,  3«  éd.,  VIII,  132. 


368  É.  PICOT 

Voici  les  derniers  vers  du  sermon  : 

Et,  affin  que  mieulx  en  priez, 

Je  vous  donne  tous  mes  péchez. 

C'est  assez  dit  pour  une  foys  ;  125 

A  Dieu  vous  command,  je  m'en  vois. 

Biblioorapfiie  : 

a.  —  Le  Sermon  de  sainct  Faulcet  termine  un  petit  volume  in-8  goth. 
qui  se  trouve  à  la  Biblioth.  munie,  de  Versailles  (E.  308.  c.)  et  auquel 
manque  le  f.  de  titre.  Voici  l'indication  des  pièces  contenues  dans  ce 
volume,  dont  nous  ne  connaissons  pas  d'autre  exemplaire.  Peut-être 
quelque  bibliophile  sera-t-il  assez  heureux  pour  en  retrouver  le  titre: 

1.  Que  pensez  vous,  seigneurs,  barons,  (et)  vassaulx^ 
Que  ne  mettez  en  vos  meffaitz  souffrance? 

1 5  strophes  terminées  par  des  proverbes.  Ces  strophes  devraient  avoir  cha- 
cune sept  vers,  mais  plusieurs  sont  incomplètes.  La  14"  commence  ainsi  : 

Faict  et  dit  a  L\on  sur  le  Rosne^ 

Ou  je  fus  né  et  y  faictz  mon  séjour, 

En  attendant  quelque  bonne  nouvelle 

Qui  adviendra,  se  Dieu  plaist,  en  briet  jour. 

Il  est  évident  que  les  mots  «  a  Lyon  sur  le  Rosne  »  qui  ne  font  pas  le  vers 
ont  été  substitués  à  une  fin  de  vers  qui  rimait  avec  «  nouvelle  »;  Lyon  n'est 
donc  que  le  lieu  de  l'impression  et  non  celui  de  la  composition. 

Quant  au  poème,  on  y  trouve  le  nom  de  François  I"  (v.  16);  la  13«  strophe 
fait  allusion  à  «  sa  mère  la  royne  souveraine  »,  c'est-à-dire  Louise  de  Savoie: 
enfin  tous  les  rondeaux  qui  suivent  parlent  de  la  descente  des  Anglais  en  Bre- 
tagne, ce  qui  permet  de  fixer  la  date  de  la  composition  à  i  $22. 

2.  Rondeau  aux  Angloys: 

Vuidés,  Angloys;  ployez  voz  estandars... 

Cette  pièce  paraît  imitée  d'un  rondeau  qui  termine  La  Folyc  des  Angloys, 
petit  poème  composé  par  maître  L.-D.  c'est-à-dire  Laurent  Desmoulins,  en 
1513,  et  qui  présente  une  assez  grande  analogie  avec  les  strophes  sans  titre  dont 
nous  venons  déparier.  Voy.  Montaiglon,  Ruudl,  II,  268. 

3.  Aultre  Rondeau  (incomplet)  : 

Vuidez,  Flamans,  Espaignolz  et  Angloys... 

4.  Aultre  Rondeau: 

Se  ne  vuidez,  Angloys,  se  ne  vuidez... 

<).  Aultre  Rondeau  aux  Angloys: 

A  Dieu,  Angloys;  a  Dieu,  soyez  godons... 


LE  MONOLOGUE  DRAMATIQUE.  —  I  369 

6.  Rondeau  ausdictz  ennemys  (incomplet)  : 

Ne  vous  souvient  il  pas  de  vos  ancestres?.. . 

7.  Aultre  Rondeau: 

Quant  serez  mors,  plus  ne  porterez  (de)  lance... 

8.  Sermon  joyeulx  de  sainct  Faukct. 

Il  saute  au.v  yeu.x  que  le  Sermon  n'a  aucun  rapport  avec  ce  qui  précède. 
b.  —  Montaiglon  et  Rothschild,  Recueil  de  Poésies  françoiscs,  XIII,  289-304. 

4.  Sermon  de  sainct  Belin. 
[  Vers  I  $  00  .?] 

Cette  piècC;,  qui  ne  nous  est  parvenue  que  complètement  mutilée  et 
défigurée,  ne  contient  aucune  allusion  historique.  En  voici  le  début  : 

0  domina,  culpa  mea 
A  mortuis  {ex)ilUbata; 
Homo  capit  preparandum. 

Bonnes  gens,  oyez  mon  sermon, 

Que  i'ay  trouvé  tout  de  nouveau  5 

Escript  en  une  peau  de  veau, 

En  parchemin  notablement, 

Scellé  du  pied  d'une  jument: 

C'est  le  commencement  et  (la)  fin 

De  la  vie  de  sainct  Belin,  10 

C^i  fut  griefvement  martiré, 

Si  en  doit  estre  Dieu  loué... 

Le  sermonneur  raconte  la  vie  et  la  mort  du  «  belin  »,  c'est-à-dire  du 
mouton,  dont  les  morceaux  furent  accommodés  à  diverses  sauces, 

Et,  en  après,  une  trippiére  ^5 

En  eutlefoye  et  le  poulmon, 
Qui  fut  extraict  de  boucherie. 

A  partir  du  vers  que  nous  avons  imprimé  en  italiques,  l'auteur  a  pure- 
ment et  simplement  copié  une  ballade  de  Villon  qui  se  rapportait  au 
sujet  (voy.  éd.  Jannet,  104). 

Voici  les  derniers  vers  du  sermon  et  de  la  ballade  : 

Prince,  se  j'eusse  eu  la  pépie, 

Pieça  fusse  ou  est  Clotaire, 

Aux  champs  debout  comme  une  espie  : 

Estoit  il  lors  tant  [lis.  temps]  de  moy  tairei'        75 

FINIS. 
Remania,  XV.  2a 


^-JO  É,    PICOT 

Bibliographie  : 

fl  Sensuyt  le  ser  ||  mon  de  sainct  Belin.  ||  Auec  le  sermon  du  poul  |1 
f  de  la  pusse.  Nouuelle- H  ment  Imprime.  —  C  Finis.  S.  l.  n.  d. 
[Lyon,  Jacques  Moderne,  vers  i  $40],  pet.  in-8  goth.  de  8ff.  de  22  lignes 
à  la  page,  sign.  A-B.,  titre  encadré. 

Bibliûth.  de  feu  M.  le  baron  James  de  Rothschild  (Cat.,  1,  n"  08). 

$.  Sermon  joyeulx  de  monsieur  saint  Haren. 
[Rouent,  vers  i  $00.] 

Nous  n'avons  relevé  dans  cette  pièce  aucune  allusion  qui  permette 
d'en  fixer  la  date;  tout  ce  qu'on  peut  dire,  c'est  qu'elle  est  postérieure 
à  la  vie  de  saint  Raisin  (voy.  le  v.  5).  La  mention  de  Dieppe  et  les 
détails  que  le  poète  donne  sur  la  pêche  nous  font  croire  que  le  sermon  a 
été  composé  en  Normandie.  En  voici  le  début  : 

Graticulus  Harengio, 
Super  ignem  tribulatio^ 
Vinaigria ,  sinapium. 

Bonnes  gens,  oyez  mon  sermon. 

En  ceiuy  temps  que  sainct  Raisin  5 

Si  fait  trotter  maint  pellerin, 

Il  voult  de  ce  siécle^finer. 

Aussi,  au  milieu  de  la  mer, 

Entre  Boulongne  et  Angleterre, 

Ou  l'en  ne  treuve  point  de  terre,  1 0 

Fut  prins  le  corps  de  sainct  Harenc, 

Qui  souffrit  pis  que  sainct  Laurent... 

Le  sermon  se  termine  ainsi  : 

Pour  cardinaulx  et  pour  evesques, 

Pour  ribaulx  et  pour  archevesques, 

Ne  fault  il  ja  faire  prière. 

Car  tout  va  s'en  devant  derrière. 

Mettons  nous  trestous  a  genoulx  ;  125 

A  Dieu  ne  souviegne  de  vous  ; 

Ne  nous  chault  comme  tout  en  aille, 

Dessus,  (ou)  dessoubz,  vaille  que  vaille. 

Dictes  Amen  dévotement. 

(Cy)  Fine  le  Sermon  Sainct  Harenc.  130 

Bibliographie  : 

a.  —  Sermôioyeulxde  monsieur  Sainct  Haren.  Nouuellement  imprime. 
C —  Cy  fine  te  Sermon  ioyeuxde  mô sieur  Sainct  Haren.  Nouuellement  faict 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    I  ^yi 

et  imprime.  S.  l.  n.  d.  [vers  1 500  ?J,  pet.  in-8  golh.  de  4ff.  de  23  lignes 
à  la  page. 

Cat.  La  Vallièreen  5  vol.,  n°  3095.—  Le  volume,  acheté  par  la Biblioth.  du 
roi,  paraît  être  aujourd'hui  perdu. 

b.  —  La  vie  saint  j!  harenc  gloriei;x  martire  cô  ||  met  il  fut  pesche  en 
la  mer  et  11  porte  a  Dieppe.  S.  l.n.  d.  [Rouen?,  vers  1510.?],  pet.  in-8 
goth.  de  4  ff.  de  11  lignes  à  la  page. 

Le  titre,  dont  les  trois  dernières  lignes  sont  imprimées  en  lettre  de  forme,  est 
orné  d'un  bois  de  la  pêche  miraculeuse. 

Au  v»  du  dernier  f.,  un  grand  D,  très  orné. 

Le  V.  ^  I  est  ainsi  conçu  dans  cette  édition  : 

Dedans  Rouen,  en  plusieurs  lieux, 
ce  qui  fait  penser  qu'elle  a  été  imprimée  à  Rouen. 

M.  Brunet  dit  que  cette  édition  et  la  suivante  contiennent  13  vers  de  moins 
que  l'éJ'tion  A. 

Biblioih.  nat.,  Y-]-  6158  c  (3).  Rés. 

c.  —  La  vie  sait  harem.  |j  Et  comment  il  fut  ||  pesche  et  martire. — 
Explicit.  S.  l.  n.  d.  [Paris,  vers  nio],  pet.  in-8  goth.  de  4  fï.  de 
24  lignes  à  la  page. 

Au  titre,  un  bois  représentant  deux  femmes  près  d'une  tente  sur  le  rivage  de 
la  mer  ou  d'une  rivière. 

Ce  bois  se  retrouve  dans  divers  volumes  sortis  des  presses  de  Jehan  Trepperel 
ou  de  celles  de  sa  veuve,  notamment  dans  les  Facecics  de  Page,  imprimées  par  la 
veuve  Trepperel  vers  i$io  (voy.  Cat.  Rothschild,  II,  n"  1773).  Ce  qui  prouve 
d'ailleurs  que  cette  édition  sort  de  presses  parisiennes,  c'est  que  le  vers  ji  y 
est  ainsi  conçu  : 

Dedans  Paris,  en  plusieurs  lieux. 

Au  v"  du  dernier  f.,  une  femme  déchargeant  un  sac  d'où  sort  un  poisson; 
près  de  cette  femme,  deux  hommes,  l'un  en  chausses,  l'autre  en  chausses  et  en 
manteau. 

Biblioth.  nat.,  Y.  4570  (4),  Rés. 

d.  —  La  vie  sait  ||  Harenc  glorieulx  martyr.  Et  comment  il  fut  ||  pesche 
en  la  mer  f  porte  a  Diepe. —  CL  Explicit.  S .  l.  n.  d.  [vers  i  $20],  pet. 
in-8  goth.  de  4  ff.  de  22  lignes  à  la  page,  sign.  A. 

Le  titre,  dont  la  première  ligne  est  imprimée  en  très  grosses  lettres,  contient 
un  bois.  Cebois  représente  des  personnages  qui  regardent  des  maçons  travailler 
à  un  mur  sur  le  rivage  de  la  mer.  Auprès  de  ces  personnages,  on  aperçoit  un 
navire. 

Au  vo  du  dernier  f.,  un  chevalier,  couvert  d'une  armure,  derrière  lequel  se 
tient  le  Démon,  sous  la  figure  d'un  monstre  ailé,  à  queue  de  poisson. 

Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

L  —  Le  Débat  de  deux  Demoyselles,  l'une  nommée  la  NoyrC;,  l'autre  la 


^y2  É.     PICOT 

Tannée,  suivi  de  la  Vie  de  Saint  Harenc  et  d'autres  poésies  du  xv«  siècle, 
avec  notes  et  glossaire  [par  M.  de  Bock]  (Paris,  Didot,  1825,  in-8), 
61-67. 

f,  —  Réimpression  exécutée  à  Paris,  chez  Pinard,  vers  1850,  et  tirée 
à  40  exempl.  sur  papier  de  Chine  id'après  l'édit.  C) . 

^.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  hançoises,  II,  525-5 p. 

6.   Sermon  joyeulx  de  la  vie  saint  Ongnon. 
[Rouent,  vers  1 500.] 

Cette  pièce  a  un  grand  air  de  parenté  avec  le  Sermon  joyeulx  de 
monsieur  sainct  Haren,  et,  si  elle  n'est  pas  du  même  auteur,  elle  est  au 
moins  du  même  temps.  Le  prêcheur  débute  ainsi: 

Ad  deliberandtim  Patns 
Sit  sanctorum  Ongnonnarls 
[Et]  Films  Syboularis 
In  ortum  sua  viti  [. . .] 

Capitulum...  M'entendez  vous?  5 

On  me  puist  couper  les  genoux 
Se  je  ne  suis  tout  esbahy 
Ou  j'ay  pris  ce  latin  icy, 
Que  madame  sainte  Siboule 

Aprist  saint  Ongnon  a  l'escolle,  10 

A  Tûlette,  avec[que]  Saint  Herre... 

Voici  les  derniers  vers  : 

Je  prie  a  monsieur  saint  Ongnon 

Que  cil  qui  fist  le  mont  de  gloire, 

Vous  vueille  garder  de  peu  boire; 

Il  vous  convient  que  vous  priez 

Pour  tous  ceulx  qui  sont  en  santé,  120 

Et  si  priez  pour  les  malades, 

Que  Dieu  leur  doint  figues  et  dactes, 

Et,  si  n'ont  de  quoy  eulx  ayder, 

Jamais  ne  puissent  iiz  lever. 

Dictes  tous  Amen  drument  bon,  125 

Vous  recommandant  saint  Ongnon. 

Bibliographie  : 

a.  —  Sermon  ioyeulx  de  ||  la  vie  saint  ongnon.  ||  Cornent  nabuzarden 
le  maistre  cuisinier  le  |1  fist  martirer.  auec  les  miracles  ql  fait  chas-  ||  cun 
jour.  —  Explicit.  S.  l.  n.  d  [vers  1510],  pet.  in-8  goth.  de  4  fF.  de 
24  lignes  à  la  page . 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    1  J75 

Au  titre,  un  bois  qui  représente  deux  hommes,  tenant  des  cierges,  agenouillés 
devant  une  femme. 

Au  r"  du  dernier  f.,  une  femme  tenant  deux  oignons  avec  leur  tige  et  leur 
racine,  figure  qui  se  retrouve  dans  une  édition  de  la  Resolution  de  Ny  Trop  Tost 
Ny  Trop  Tard  Ma;ic.  —  Au  v"  du  même  f.,  un  homme  qui  sent  une  fleur,  à 
côté  d'une  table  sur  laquelle  sont  deux  poissons  et  un  pain. 

Biblioth.  nat.  Y.  4370  13),  Rés. 

b.  —  Réimpr.  par  Pinard,  à  Paris,  vers  1850,  et  tiré  à  40  exempl.  sur 
papier  de  Chine. 

c.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  françaises,  I,  204-209. 

7.    LE    DEVOT    ET    SAINCT    SeRMON    DE    MONSEIGNEUR    SAINCT   JaMBON 
ET    DE    MADAME    SAINCTE    AnDOULLE. 

[Rouen!',  vers  1 520.] 

Nous  ne  relevons  dans  ce  sermon  aucune  allusion  historique.  En  voie* 

le  début  : 

In  nomine,  de  la  main  gauche, 

Patris,  aussi  bien  que  de  l'autre, 

Et  fiUO),  ainsi  qu'est  escript, 

Le  croy,  au  chevet  de  mon  lit. 

Quoniam  {sanctus)  Johannes  bonus,  s 

Si  canliltur  alkluya, 

Fit  nobis  sancta  Andoulla, 

Quoniam  [sanctus)  Johannes  [bonus]. 

Ista  verba  si  son[tJ  des  nues 

Descendus  jusque  icy  en  terre.  10 

Seigneurs,  tant  les  grans  que  menuz, 
Entendez,  car  présent  veulx  faire 
Ung  sermon,  dont  vous  devez  croire 
Qu'il  vous  sera  sain,  beau  et  bon  ; 
Toutesfoys  il  me  convient  boire 
Et  puis  parler  de  sainct  Jambon... 
Hic  bibai. 

La  pièce  n'est  probablement  pas  parisienne.  Le  prêcheur,  après  s'être 
plaint  des  usuriers  et  des  mauvais  boulangers,  ajoute  : 

En  Paris,  pas  je  n'en  divine, 
J'en  ai  souiTert  selon  mon  taux, 

ce  qui  semble  bien  indiquer  qu'il  est  revenu  de  Paris. 
La  pièce  se  termine  ainsi  : 

Mettez  vous  en  la  confrarie 

De  saincte  Andoulle,  chère  amye; 


374  É.  PICOT 

Aussi  chascun  bon  compaignon 

Reclame  monsieur  sainct  Jambon,  240 

Car  nous  ayderons  près  et  loing 

Fin  [?]  d'eulx  a  nostre  besoing. 

Pour  tant  est  temps  que  de  ce  lieu 

Desparte  vous  disant  :  a  Dieu. 

Bibliographie  : 

a.  —  C  Ledeuotet  H  sainct  sermon  1|  De  monseigneur  sainct  iâljbô  et 
de  ma  dame  saïcte  an  ||  douile  Imprime  nouuelle\\meni  a  Paris. —  CL  ^"Z'^- 
S.  d.  [vers  i$2o],  pet.  in-8  goth.  de  8  ff.  de  26  lignes  à  la  page, 
sign  A-B. 

Au  titre,  dont  le  v»  est  blanc,  un  bois  représentant  un  bourgeois  et  un  reli- 
gieux se  parlant. 

Le  r<>  du  dernier  f.  est  blanc;  le  V  contient  la  marque  de  Jehan  Janot. 

Biblioth.  nat.,  Y.  61 16  (2).  Rés. 

/,.  —  jojeiLseîez,  i85i,dansle  volume  qui  contient  \ts  Songes  de  la 
Pucelle,  etc. 

8.  Sermon  de  Frappe  culz,  nouveau  et  fort  joyeulx 

[ou  Sermon  tresjoyeulx  de  monseigneur  sainct  Frappe  cul]. 

[Rouen?,  vers  i  $20.] 

On  devine  aisément  ce  que  peut  être  saint  Frappe-Cul,  dont  l'auteur 
prétend  avoir  trouvé  la  légende  dans  la  Bible.   Le  Sermon  commence 

ainsi  : 

De  quonaiibus  vitatis 

Bagan  bachcUtatls 

[Et]  prcndare  andouillibus. 

Boutate  in  coffinando, 

Vcl  mdatt  in  coffino 

Et  cetera...  Brou.iiare 

Defessarum  cultare 

Et  ruatis  de  pcdibus. 

Ces  motz  que  j'ay  dis  cy  dessus 

Sont  escriptz  (/«o^t;c(mo  10 

Quoqaardorum  capilulo. 

Bonnes  gens,  ces  parolles  la 

Escript  jadis  sur  une  enclume 

Le  bon  sainct  Eloy  d'une  plume 

Que  il  arracha  jadis  au  ciel,  15 

Dedans  l'esté  de  sainct  Michel... 

Après  avoir  montré  combien  le  culte  de  saint  Frappe-Cul  est  répandu, 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    I  575 

l'auteur  recommande  son  couvent  aux  spectateurs  ;  il  le  fait  dans  un 
couplet  en  prose  intercalé  au  milieu  de  la  pièce. 
Voici  les  derniers  vers  du  sermon  : 

Et  n'oubliez  point  ces  fumeiles 

Qui  se  lâchent  soubz  les  mamelles 

Pour  les approucher  du  menton  ;  125 

C'est  bien  vray  que  nous  dementon 

D'en  avoir  quelque  souvenance, 

Car  ilz  font  cela  par  plaisance. 

Et,  par  dessus  toutes  besongnes, 

Je  recommande  ces  yvrongnes  i  jo 

Qui  sont  si  grans  meurdriers  de  vie, 

Tant  qu'il  fault  [bien]  qu'on  les  chérie 

A  l'hostel,  il  est  tout  certain, 

Et  puis  sont  guéris  l'endemain. 
On  remarquera   les  formes  lâchent  (=  laceni\   au  v.    124  et  chérie 
(=  charrie)  au  v.  132.  Ces  formes  appartiennent  à  la  Picardie  ou  à  la 
Normandie. 

Bibliographie  : 

a.  —  Sensuyt  le  |I  sermô  de  frappe  culz  nouueau  f  fort  !  |  ioyeulx.  Auec 
la  response  de  la  dame  ||  sur  la  chason.  le  me  repens  de  vous  |i  auoir 
aymee,  —  Finis.  S.  l.  n.  d.  [vers  1 520],  pet.  in-8  goth.  de  4  ff . 

Au  titre,  un  bois  grossier  représentant  un  personnage,  assis  sur  un  banc,  quj 
lève  en  l'air  sa  main  gauche,  démesurément  grosse,  et  qui  étend  la  droite  sur 
un  bâton  noueux, 

Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

La  chanson  qui  termine  cette  édition  et  la  suivante  :  Ne  te  npcns  de  m'avoir 
trop  ajméc,  se  retrouve  dans  les  Seize  belles  Chansons  nouvelles,  réimprimées  pour 
le  libraire  BMIHeu  à  Paris  en  1874  (n^g),  et  dans  les  Dix  sept  belles  Chansons  nou- 
velles, réimprimées  pour  le  même  libraire  (n°  7).  La  pièce  à  laquelle  celle-ci 
répond  :  Je  nie  repens  de  vous  avoir  aimée  se  trouve,  avec  la  mélodie,  dans  les 
Chansons  du  xv«  siècle  publiées  par  G.  Paris  {n°  2j),  et,  sans  la  mélodie,  dans 
les  Seize  belles  Chansons  (n°  4)  et  dans  \ts  Dix  sept  belles  Chansons  {n°  6). 

h.  —  Sensuit  le  ser- 1]  mon  des  frappe  culz  nouueau  f  fort  ioyeulx.  || 
Auec  la  responce  de  la  dame  sus  le  me  repens  de  (1  vous  auoir  aymee. — 
<[  Finis.  S.  /.  n.  d.  [vers  1 520],  pet.  in-8  de  4  flf.  de  55  lignes  à  la 
page  pleine,  impr.  en  lettres  de  forme,  sans  sign. 

Le  titre  n'est  orné  d'aucun  bois;  le  v  en  est  blanc. 
Le  Vf  du  4«  f.  contient  9  lignes  et  le  mot  Finis. 

Cette  édition  est  incomplète  des  vers  49,  55,  83;  nous  n'avons  pas  été  à 
même  de  constater  si  ces  vers  se  trouvent  dans  l'édition  a. 


J76  É.    PICOT 

Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles,  dans  un  recueil  provenant  de  la 
vente  Pichon  (n"  485  du  Cat.). 

c.  — Les  Œuvres  de  maistre  Guillaume  Coquillart,  1597.  Voy.  ci- 
après  le  n"  17, 

Dans  ce  recueil  la  pièce  est  intitulée  :  Sermon  tresjoyeulx  de  monseigneur  saïnct 
Frappe  cul. 

d.  —  Réimpr.  à  Paris^  chez  Pinard,  1830  (avec  les  Estrénes  des  Filles 
de  Paris],  pet  in-8  goth.  de  16  flf.  en  tout,  tiré  à  60  exempl. 

9.  Sermon  joyeulx  de  monsieur  saïnct  Velu. 
[Rouen i'  vers  1 520.] 

Cette  pièce  licencieuse  ressemble  fort  aux  sermons  rouennais,  bien 
que  rien  ne  prouve  absolument  qu'elle  appartienne  au  théâtre  de  Rouen. 
Nous  n'y  relevons  non  plus  aucune  allusion  précise  qui  permette  d'en 
fixer  la  date  ;  pourtant,  elle  parait  avoir  été  composée  peu  de  temps 
après  les  guerres  d'Italie.  L'acteur,  montrant  «  une  brayette  »,  dit,  du 
moins  (v.  i$6)  qu'il  l'a  rapportée  d'Italie.  En  tout  cas,  le  Sermon  de 
monsieur  saincî  Velu  est  postérieur  au  Sermon  joyeulx  d'ung  Despuceleur 
de  Nourrices,  auquel  fait  allusion  le  v.  25. 

En  voici  le  début  : 

Confregiî  et  vhaverunt 

Vitavit,  et  confrcgerunt, 

Et  confractis  [...J  viYifi]^ 

Capitula  vicialis. 

Le  tesme  du  prestre  Andréas  5 

Qui  [...]  viciabat  eas. 

Mes  bonnes  gens,  parlez  plus  bas; 
Escoutez  un  peu  mon  sermon 
De  monsieur  saint  Veluton 
Qui  fut  fils  de  saint  Socias.  10 

Cestuy  prestre  Andréas, 
Dont  je  vous  a}"  fait  mention, 
Estoit  un  homme  de  renom, 
Lequel  a  fait  maint  ralias, 
Juxîa  thema  preassumptum;  1^ 

Mes  dames,  ne  l'oubliez  pas: 
Presbiter  Andréas  qui  viciabat  eas. 

Plus  loin  on  retrouve  presque  textuellement  la  citation  macaronique 
que  nous  avons  vue  au  début  du  Sermon  de  Frappeculz: 


LE  MONOLOGUE  DRAMATIQUE.  —  1  ?77 

Car  souvent  fait  enfler  la  pance 
A  mainte,  ut  dicit  Balduymis 
In  libro  de  Andouillibus  :  128 

Boutalc  in  cofmando 
Vel  melate  in  cojfino. 
A  la  fin  du  sermon,  le  prêcheur  lit  des  bulles  qui   devaient  être  en 
prose  comme  le  couplet  dont  il  est  parlé  à  l'article  précédent  : 
Et  vous  gaignerez  les  pardons 
Que  voicy  dans  ces  bulles  (i)cy, 
Lesquelles  je  (m'en)  vay  lire  au  long  : 
Escoutez  qui  me  veut  ouyr. 
Adonc,  il  lira  dedans  ces  bulles,  et  après  il  dira: 
Or  sus,  qu'en  dites  vous  m'amie? 
Les  privilèges  sont  ils  bons? 
Boutez  vous  de  la  confrarie, 
Et  vous  gaignerez  les  pardons.  185 

Afin  que  vous  ayez  mémoire, 
Mes  bonnes  gens,  de  mon  sermon, 
Depuis  les  pieds  jusqu'au  menton. 
L'absolution  que  donfne)roye 
A  un  pasté,  se  le  tenoye,  190 

Vous  donne  sans  remission. 
Priez  (saint  Velu)  en  mon  intention, 
Et  je  prieray  Dieu  pour  vous. 
Cette  fm  rappelle  celle  du  Sermon  d'un  Cartier  de  mouton  (voy.  n°  3 1). 

Bibliographie  : 

a.  —  Sermon  ioyeulx  de  monsieur  sainct  Velu.  S.'l.  n.  d.  [vers  1 J20], 
pet.  in-8  goth.  de  4  ff. 

Biblioth.  de  S.  A.  R.  Mgr.  le  duc  d'Aumale  {Catal.  Cigongne,  n"  71  :). 

b.  —  Sermon  ||  ioyeux  de  ||  Saint  Velu.  H  A  Rouen,  \\  Chez  Nicolas  Les- 
cuyer,  près  le  grand  \\  portail  noslre  Dame.  S.  d.  [vers  1600],  pet.  in-8 
de  4  ff.  de  28  lignes  à  la  page,  sans  sign. 

Le  titre  est  orné  d'un  encadrement  et  de  la  marque  deLescuyer^  avec  la  devise 
napovca  -/.ai  aîXÀovTa.  Le  coin  droit  inférieur' porte  le  chiffre  19. 
Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

10.   La  terrible  Vie,  Testament  et  Fin  de  l'Oyson, 

par  Jehan  Le  Happère. 

[Paris,  jours  gras  de  1527,  n.  s.]. 

Cette  pièce  diffère  sensiblement  de  celles  que  nous  avons  vues  jus- 


578  É,  PICOT 

qu'ici  ;  c'est  une  pièce  qui  a  dû  être  récitée  dans  un  collège  pour  divertir  les 
écoliers  le  mardi  gras.  Le  nom  de  J.  Le  Happère  ne  figure  qu'en  abrégé 
au-dessous  de  l'intitulé  du  sermon,  mais  il  est  cité  tout  au  long  dans 
deux  passages  du  poème  ^v.  125  et  147).  Ce  Jehan  Le  Happère  est 
resté  jusqu'ici  inconnu;  tout  ce  que  nous  savons  de  lui,  c'est  que,  pen- 
dant le  carême  de  l'année  suivante,  le  16  mars  1 528  (n.  s.),  il  publia 
chez  Guichard  Soquand,  à  Paris,  une  édition  corrigée  de  VArt  et  Science 
de  bien  parler  et  soy  tairCy  d'Albertano  de  Brescia,  édition  qu'il  fit  pré- 
céder d'une  ballade  de  sa  composition  (Cat.  Rothschild,  I,  n"  525). 
Le  Happère  nous  apprend  lui-même  qu'il  était  au  collège  comme  gouver- 
neur des  «  filz  EdeHne  » .  Quant  au  collège  en  question,  l'étude  du  texte  nous 
montre  que  c'était  un  collège  parisien  dont  les  élèves  appartenaient  à  la 
Normandie,  et  plus  particulièrement  à  la  partie  de  la  Normandie  qui 
forme  le  département  de  l'Eure  actuel;  c'était  donc  le  collège  d'Har- 
court. 

Le  sermon,  écrit  en  strophes  de  sept  vers,  n'est  précédé  d'aucun  texte 
latin;  il  commence  ainsi  : 

Une  ouaye  fut  en  ceste  année, 

L'an  mil  cinq  cens  et  XXVI  : 

Jamais  n'en  fut  telle  couvée 

Ainsi  que  crois  en  mon  advis. 

Cette  ouaye  cy  que  je  vous  dis  5 

Estoit  de  terrible  nature, 

Nourrie  sur  la  rivière  d(a)'  Eure. 

Tout  auprès  de  Nogent  le  Roy, 
Pour  sa  beaulté  fut  acouvée... 

Le  prêcheur,  qui  parle  à  des  écoliers,  a  évité  les  facéties  plus  ou  moins 
scabreuses  que  se  permettaient  d'ordinaire  les  auteurs  de  farces.  Il 
raconte  simplement  que  l'oison  gigantesque  arrive  à  Paris  traîné  par 
deux  chevaux,  puis  il  demande  à  qui  on  le  portait  : 

A  Jehan  Le  Happère  c'estoit, 

Qui  pour  lors  au  collège  estoit, 

Gouvernant  les  filz  Edeline  :  125 

C'estoit  pour  faire  sa  cuisine. 
Après  avoir  troublé  tout  le  collège  par  ses  cris  et  ses  coups  d'aile, 
l'oison  est  condamné  à  mort.  Il  n'a  que  le  temps  de  faire  son  testament, 
puis  il  est  immolé. 

Ainsi  mourut  l'horrible  oyson,  190 

Rosty,  bouilly  et  puis  mengè, 
Et  en  un  lit  mis  la  toison  : 
Ne  l'avoit  il  pas  bien  gaigné.'' 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    ~    1  579 

Messieurs  qui  avés  tout  migné, 

Prenez  en  gré  nostre  blason  19$ 

Du  testament  et  fin  d'oison. 

Bibliographie  : 

a. —  D  La  terrible  ]|  vie  testamët  et  |1  fin  de  Loyson  I|  lo  le  Hap.  — 
C  Finis.  S.  l.  n.  d.  [Paris ,  i  $27],  pet.  in-8  goth.  de  4  ff.  de  27  lignes 
à  la  page. 

L'édition  n'a  qu'un  simple  titre  de  départ,  immédiatement  suivi  du  nom  de 
l'auteur. 

Musée  britannique,  C.  22.  a.  48  (exemplaire  de  La  Vallière). 

b.  —  Montaiglon  et  Rothschild,  Recueil  de  Poésies  françaises,  X,  159- 
169. 

1 1   .  Les  grans  et  merveilleux  Faictz  du  seigneur  Nemo, 

[par  Jehan  d'Abundance]. 

[Lyon,  vers  1 540]. 

Un  théologien  du  moyen  âge  eut  l'idée  de  renouveler  la  célèbre  équi- 
voque d'Ulysse  [Odyssée,  IX,  v.  :5o6  sqq.)  et  de  composer  tout  un 
sermon  à  la  louange  d'un  saint  que  les  Ecritures  elles-mêmes  mettaient 
au-dessus  de  Dieu  :  Deiis  cujus  irae  resistere  Nemo  potest.  Il  mit  sur  le 
compte  de  ce  dévot  personnage  toutes  les  actions  dont,  au  dire  de  la 
Bible,  des  Évangiles  et  des  Saints  Pères,  «  Nemo  »  était  capable. 
Le  sermon,  qui  se  trouve  dans  un  ms.  du  xiii"  siècle  et  dans  plusieurs 
mss.  postérieurs,  a  les  allures  graves  et  posées  d'un  vrai  sermon.  Ulrich 
de  Hutten  en  fit  un  petit  poème  latin,  qu'il  fit  paraître  en  1 5 12  ou  1 5 1 5, 
et  qu'il  remit  au  jour  en  1 5 16,  avec  d'importantes  additions.  Un  auteur 
qui  travaillait  pour  le  théâtre  de  Lyon  (Du  Verdier  nous  apprend  que 
c'est  Jehan  d'Abundance)  comprit  tout  le  parti  que  l'on  pouvait  tirer  de 
cette  vieille  facétie  ;  il  lui  fut  facile  de  faire  figurer  saint  Nemo  à  côté 
des  autres  saints  qui  composaient  le  martyrologe  des  sermons  joyeux. 
Pourtant  un  détail  pouvait  l'arrêter  :  la  négation  qui,  en  français,  doit 
être  jointe  au  mot  «  personne  »  ;  le  poète  prit  le  parti  de  conserver  à 
Nemo  son  nom  latin  et  de  citer  également  en  latin  les  textes  sur  lesquels 
il  s'appuyait.  Ce  système  le  mettait  d'accord  avec  la  grammaire,  en 
même  temps  qu'il  lui  permettait  le  mélange  du  latin  et  de  la  langue  vul- 
gaire, mélange  que  les  joueurs  de  farces  ont  toujours  considéré  comme 
un  élément  comique. 

Jehan  d'Abundance  est  l'auteur  de  divers  autres  ouvrages  dramatiques 
imprimés  à  Lyon  au  xvi''  siècle.  Les  seules  de  ces  productions  qui  nous 


j80  É.    PICOT 

soient  parvenues  sont  deux  monologues  :  Les  grans  et  merveilleux  Faictz 
du  seigneur  Nctno,  àonlnousparlons,^  et  Les  quinze  Signes  descendus  en 
Angleterre  iBiblioth,  nat.,  Y  4437  A,  Rés.,  et  Y  3293  112!,  Rés.l,  dont 
il  a  été  fait  vers  1860  une  réimpression  qui  se  joint  à  la  collection  Sil- 
vestre;  deux  mystères:  Le  joyeux  Mistére  des  trois  roys,  a  dix  sept 
personnages,  dont  la  Bibliothèque  nationale  a  récemment  acquis  une  copie 
figurée  (mss.  franc.,  nouv.  acquis.,  n"  4222I,  et  la  Moralité,  Mistére  et 
Figure  de  la  passion  de  nostre  seigneur  Jésus  Christ,  qui  nous  est  connue 
par  une  édition  de  Lyon,  Benoist  Rigaud,  s.  d.,  in-8  (Biblioth.  nat.,  Y 
4352,  Rés.)  et  par  une  copie  manuscrite  (Biblioth.  nat.,  mss.  franc., 
n"  25466,  fol.  1-19);  enfin  deux  farces:  Le  Testament  de  Carmentrant 
(Biblioth.  nat.,  Y  n.  p.,  Rés.;  biblioth.  de  feu  M.  le  baron  James  de 
Rothschild,  n°  1086),  qui  a  été  réimprimé  en  1850,  à  42  exemplaires, 
par  les  soins  de  MM.  Giraud  et  Veinant,  et  la  Farce  de  la  Cornette,  datée 
de  1 543  et  réimprimée  par  MM.  Giraud  et  Veinant  en  1829,  ainsi  que 
par  M.  Edouard  Fournier  [Le  Théâtre  français  avant  la  Renaissance,  438- 
4451. 

Du  Verdier  (éd.  Rigoley  de  Juvigny,  II,  324I  nous  a  conservé  les 
titres  de  trois  moralités  de  Jehan  d'Abundance  qui  paraissent  aujourd'hui 
perdues,  bien  qu'elles  aient  été  imprimées  :  Plusieurs  qui  n'a  point  de  con- 
science, Le  Couvert  d'humanité  et  Le  Monde  qin  tourne  le  dos  a  chascun. 

Les  autres  ouvrages  de  Jehan  d'Abundance  sont  indiqués  par  Du 
Verdier  et  par  Brunet.  Les  seuls  qui  portent  une  date  sont  :  la  Proso- 
popeie  de  la  France  a  l'empereur  Charles  Qnint  sur  sa  nouvelle  entrée  faite 
a  Paris  (Tolose,  Nicolas  Vieillard,  in-4^,  pièce  qui  doit  être  du  commen- 
cement de  l'année  1 540,  et  VEpistre  sur  le  bruit  du  trespas  de  Clément 
Marot  [Lyon,  Jacques  Moderne,  1544,  in-8).  Si  nous  rappelons  que  la 
Farce  de  la  Cornette  est  de  1 543,  nous  ne  nous  tromperons  guère  en  sup- 
posant que  les  autres  productions  dramatiques  de  notre  poète  peuvent 
se  placer  entre  1 540  et  15  $0. 

Les  Faictz  du  seigneur  Nemo  commencent  ainsi  : 

Audite  verba  mea  et  vivet  anima  vestra.  Esaye  [LVJ,  4. 
Esaye  escript  en  son  livre  : 
«  Escoutez,  se  vous  voulez  vivre  ». 

Dévotes  gens,  qui  cy  ensemble 

Estes,  ainsi  comme  il  me  semble, 

Pour  honneste  cause  assemblez,  5 

Et  qui,  sans  mentir,  me  sembiez 

Estre  gens  de  haultes  sciences 

Et  de  tresbonnes  consciences, 

J'ay,  s'il  vous  plaist,  intention 

De  faire  une  collacion  18 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.   —    I  581 

Ici,  non  pas  pour  vous  apprendre, 
Mais  pour  délectation  prendre... 

Le  sermon  se  termine  ainsi  : 

Item  saint  Jehan  dit  que  nul  homme 

Ne  peult  aussi  bien  besongner 

De  nuyt,  qu'on  doit  prendre  son  somme, 

Que  Nemo,  s'il  y  veult  soigner  :  305 

Venit  nox  cum  Ncmo  operan  potcst.  Jo[h].  10. 

Messeigneurs,  pour  tant  je  conclus 

Par  ce  que  j'aydit  cy  dessus, 

Priant  le  fdz  de  la  Pucelle 

Qu'il  nous  doint  la  vie  éternelle 

Quant  son  rigoreux  examen  310 

Sera  tenu.  Dictes  :  «  Amen  t>  ! 

Bibliographie  : 

a.  —  Les  grans  et  merueilleux  Faictz  de  Nemo,  auec  les  primileges  quil 
a  et  la  puissance  quil  auoit  depuis  Je  commencement  du  monde  iusques 
a  la  fin.  A  Lyon,  par  Pierre  de  Saincte  Lucie.  S.  d.  [vers  1 540],  in- 16. 

Edition  citée  par  Du  Verdier  (éd.  de  1773,  II,  324). 

h.  —  Les  grans  f  Mer  ||  ueilleux  Faictz  de  Nemo  auec  |!  les  preuileges 
quil  a/  Et  la  Ij  puissance  quil  auoir  [sic]  depuis  \\  le  commencement  du 
monde  II  iusques  a  la  fin.  |1  jf-  —  Finis.  S.  t.  n.  d.  [Lyon,  Jacques 
Moderne,  vers  1 540],  pet.  in-8  de  8  ff.  nonchiffr.  de  25  lignes  à  la  page, 
sign.  A-B. 

Le  titre,  imprimé  en   caractères  gothiques,  porte  un  bois  qui  représente  un 
saint  en  prière. 
Biblioth.  de  feu  M.  le  baron  James  de  Rothschild  (Cat.,  I,  n-^  565). 

c.  —  Les  grans  et  I!  merueilleux  faictz  du  seigneur  ||  Nemo/auec  les 
priuilleges  II  quil  a/f  la  puissance  quil  peult  |1  auoir  depuis  le  cô- 
mëcement  II  du  monde  iusques  a  la  fin.  — <[.  Laus  deo.  S.  /.  n.  d. 
[vers  1 540],  in-4  goth.  de  8  ff.  de  50  lignes  à  la  page,  imprimé  à  deux 
col.  en  lettres  de  forme,  sans  chiffres,  réclames,  ni  signatures. 

Le  titre  est  placé  en  tète  de  la  première  colonne  de   la   première   page,  sans 
que  l'imprimeur  ait  ménagé  aucun  blanc. 
Cette  édition  contient  divers  renvois  qui  manquent  à  b  d  e. 
Biblioth.  nat.,  Y.  6133.  D  2  -|-  a. 

d  —  Les  grans  et  Ij  merueilleux  faitz  du  segnrjl  Nemo/auec  les  priuil- 
leges Il  quil  a;  et  la  puissiice  ql  peult  jj  auoir  depuis  le  commence-  |i 
ment  du  mode  iusques  a  la  ||  fin.  —  S.  /.  n.  d.  [vers  1 540J,  pet.  in-8 
goth.  de  8  ff.  de  29  lignes  à  la  page  pleine,  sans  sign. 


^82  É.    PICOT 

Le  titre,  imprimé  en  grosses  lettres  de  forme,  est  orné  du  bois  bien  connu 
qui  représente  un  page  ou  un  étudiant,  vêtu  d'un  pourpoint  à  longues  manches, 
et  parlant  à  un  clerc. 

Le  r»  du  dernier  f.  ne  contient  que  8  vers,  sans  aucune  souscription;  le  v» 
est  en  blanc. 

Mus.  britann.  — ^y~  (e-xempl.  d'Edward  V'ernon  Utterson). 

e  — Les  gras  <![■  mer  I|  ueilleux  faitzdu  segnr  Nemo  auec  les  preuil  |1 
leges  ql  a  Ij  et  la  puissance  quil  peut  auoir  De  ||  puis  le  cômencement  du 
monde  iusqs  a  la  fin.  —  Finis.  S.  l.  n.  d.  [vers  1525],  pet.  in-8  goth. 
de  8  ff.  de  2?  lignes  à  la  page,  sign.  A. 

Bibl.  municipale  de  Versailles,  E  472.  c,  dans  un  recueil  provenant  de  La 
Vallière  (voy.  le  Cat.  de  De  Bure,  II,  i\"  2975). —  Biblioth.  de  feu  M.  le  baron 
James  de  Rothschild  (Cat.,  I,  n"  $66). 

/.  —  Les  grans  et  merueilleux  Faictz  de  Nemo  imitez  en  partie  des 
vers  Latins  de  Hutten,  et  augmentez  par  P.  S.  A.  Lyon,  Macé Bonhomme. 
S.  d.  [vers  1 550^1,  in-8. 

Edition  citée  par  Du  Verdier  (éd.  de  1775,  III,  150). 

Comme  le  nom  d'Ulrich  de  Hutten  figure  ici  sur  le  titre,  il  se  pourrait  que 
le  texte  fût  différent. 

g. —  L'Ami  des  Livres,  novembre  1859,  35-43. 

•/z.— Montaiglon  et  Rothschild,  Recueil  de  Poésies françoises, XI,  3 1 3-342. 

Cette  dernière  réimpression  est  accompagnée  du  texte  complet  du  sermon 
latin,  copié  par  M.  Paul  Meyer  d'après  un  ms.  du  xm«  siècle  delà  Bibliothèque 
Bodléienne,  et  d'une  note  étendue  sur  diverses  facéties  dans  lesquelles  on  a  fait 
figurer  Ncnio. 

12.  LA  Vie  de  très-haute  et  tres-puissante  dame, 

MADAME    GuELINE. 

[Rouen,  vers  1 550.] 

«Gueline  »  est  le  nom  donné  à  la  poule  dans  le  patois  normand  ;  c'est 
donc  la  vie  d'une  poule  que  le  prêcheur  va  raconter;  mais,  avant  d'abor- 
der ce  grave  sujet,  il  s'occupe  d'une  question  prélimaire,  qu'il  pose  en 
ces  termes  dans  un  latin  «  de  cuisine  w,  qui  est  vraiment  de  circon- 
stance : 

Quantur  utrum  capones 

Vel  gaiina  meliores 

Sint  in  brocca  quam  in  poto, 

Cum  herbis  soupa  et  lardo  ; 

I^unc  videbitis  quomodo 

Nostri  doctores  friandi 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    I  ^8? 

Disputare  pro  soulardi 
Et  scmper  in  opinando 
De  galina  mixta  lardo. 

Seigneur[s],  les  paroles  prédites  lo 

Sont  en  quelque  cuisine  escrites, 

Dans  une  armoire  bien  avant 

Ou  fut  trouvé  Caresme-Entrant ', 

Ubi  supra  akgulis, 

A  sçavoir  si  chapons  rostis,  1 5 

Bien  lardez,  valent  mieux  a  part 

Qu'ils  ne  feroient  cuits  au  bon  lard, 

Avec(ques)  des  herbes  en  un  pot. 

Un  vieil  docteur,  frère  Phlippot 

En  a  fait  une  question...  20 

Après  avoir  discuté  la  question,  le  prêcheur  se  prononce  pour  la  poule 
au  pot,  puis  il  raconte  la  vie  de  «  dame  Gueline  »,  d'une  façon  qui  rap- 
pelle La  terrible  Vie,  Testament  et  Fin  de  l'Oyson  (voy.  ci-dessus,  n"  lo). 

Le  monologue  se  termine  ainsi  : 

Voila  comment  il  en  alla; 

Incontinent  l'ame  voila 

Au  royaume  de  Galinage 

Et  en  signe  de  grand  outrage. 

Car  on  a  veu  plusieurs  huchez,  2^0 

Qui  avoient  guelines  grupez, 

A  une  boise  d'un  chevestre, 

Comme  un  cheval  qu'on  meine  paistre; 

Enterrez  [sont]  comme  une  andouille  (?). 

Ils  sont  juchez  sus  une  boise  :  255 

Qu(i)  en  ont  mangé,  dont  trop  leur  (en)  poise. 

On  a  pu  remarquer,  au  v.  19,  le  nom  de  «  frère  Phlippot  ».  Nous 
croyons  qu'il  s'agit  ici  d'un  farceur  rouennais  dont  nous  parlerons  à 
propos  du  Sermon  joyeux  des  quatre  Vens  (n°  34^  on  trouve  plus  loin  une 
seconde  allusion  à  ce  personnage  : 

Ah  I  vous  estes  [bien]  trop  sevére  ; 

Las!  vous  devriez  faire  plustost 

Ce  que  Robin  fist  à  Phlipot 

Et  Perrine  au  bon  Bertran,  i6j 

Lesquelles  n'eurent  point  d'ahan 

(De)  les  prier  par  bonne  manière 


I .  Impr.  Prenant. 


j84  É.    PICOT 

Qu'ils  fringassent  leur  chambrière, 
A  celle  fin  d'avoir  lignée. 

Ces  deux  allusions  nous  autorisent  à  placer  la  composition  du  mono- 
logue vers  le  milieu  du  xvF  siècle,  époque  oij  Philippot  et  son  compa- 
gnon Gaultier  étaient  déjà  légendaires  ^cf.  les  Ténèbres  de  Mariage,  i  $46, 
ap.  Montaiglon,  Recueil,  I,  29;  ks  Complaintes  des  Monniers  Aux  Appren- 
tifs  des  Taverniers,  1546,  ibid.,  XI,  66). 

Nous  n'avons  rien  à  dire  du  menu  grotesque  joint  à  la  Vie  de  dame 
Gueline  dans  l'édition  rouennaise  décrite  ci-après;  c'est  une  facétie  plus 
moderne  et  qui  n'a  rien  de  dramatique. 

Bibliographie  : 

a.—  La  Vie  de  I|  Puissante  et  \\  Très-Haute  Dame  ||  Madame  Gueline . 
Il  Reueuë  &  augmentée  de  nouueau,  ||  par  Monsieur  Frippesauce.  ||  A 
Rouen,  \\  Chez  la  vejue  lean  Petit,  \\  dans  la  Cour  du  Palais.  ||  1O12.  Pet. 
in-8  de  16  pp.  à  32  lignes. 

Edition  peu  correcte,  qui  a  dû  être  faite  après  plusieurs  autres. 
Après  le  v.  27,  deux  vers  se  trouvent  réunis  en  un  seul,  et  le  premier  de  ces 
deux  vers:  //  opina  que  le  rosti,  n'a  pas  de  rime. 

Biblioth.  de  feu  M.  le  baron  James  de  Rothschild  (Cat.,  I,  n"  592).   | 

b.  —  La  Vie  de  puissante  et  très-haute  dame,  Madame  Gueline  par 
Monsieur  Frippesauce  ;  facétie  en  vers  français  entremêlée  de  latin  ma- 
caronique,  publiée  d'après  l'édition  de  Rouen,  1612,  et  précédée  de 
l'Estat  d'un  banquet  pour  un  amoureux,  petite  pièce  inédite  du  xvie  siècle, 
avec  Notices  par  Ed.  Tricotel.  Paris,  A.  Claudin,  éditeur,  5  et  5,  rue 
Guénégaud.  [Arras,  typ.  Schoutheer.]  M.  D.  CGC.  LXXV.  In-8de 
36  pp.  et  2  ff. 

Le  r'^  de  l'avant-dernier  f.  porte  la  marque  de  l'imprimeur  et  le  r"  du  dernier 
\  la  marque  du  libraire. 

il  existe  des  exemplaires  en  grand  et  en  petit  papier. 

15.   EsTRÉNES  DE  l'Asne,  par  Jacques  de  Fonteny. 
[Paris,  1 590.] 

Jacques  de  Fonteny,  poète  et  historien,  nous  a  laissé  diverses  com- 
positions dramatiques:  La  chaste  Bergère.,  pastorale  publiée  dans  Le 
Bocage  d'amour,  1578,  161$,  1624,  et  réimprimée  séparément  en  1^99, 
sous  le  nom  de  G.  de  La  Roque,  qui  y  avait  sans  doute  collaboré  [Bi- 
bliothèque du  Théâtre  français,  I,  220;  Cat.  Soleinne,  I,  n"  803  ;  Brunet, 
II,  1334);  La  Galatée  divinement  délivrée,  pastorale  imprimée  en  1587 


LE   MONOLOGUE   DRAMATIQUE.    —    I  385 

avec  Les  Ressentimens  de  J.  de  Fonteny  pour  sa  Céleste  [Bibliothèque  du 
Théâtre  français,  I,  220];  Lebon  Pasteur,  pastorale  qui  fait  partie  des 
Esbats  poétiques  de  l'auteur,  1 587,  et  qui  a  été  reproduite  en  161 5  et  en 
1624  dans  Lg  Bocage  d'amour  [ibid.];  Cleophon,  tragédie,  1600  (Cat. 
Soleinne,  I,  n"  885I;  Le  Capitan,  traduit  de  Francesco  Andreini,  1608, 
1638  (Cat.  Soleinne,  1,  n"  804).  Les  Estrénes  de  l'asne,  composées 
par  J.  de  Fonteny  pour  le  i"  janvier  1 590,  appartiennent  également  au 
théâtre.  Le  latin  n'était  plus  de  mode,  et  les  Ligueurs  n'auraient  pas 
permis  que  l'on  rangeât  l'âne  parmi  les  saints  ;  mais,  sauf  ces  légères 
différences,  le  discours  du  poète  parisien  appartient  à  la  même  série  que 
les  pièces  dont  nous  venons  de  parler.  En  voici  le  début  : 

Puis  que  l'an  nouveau  recommence, 

De  sa  fin  tirant  accroissance, 

Qui  se  régie  par  certain  cours, 

Je  veux  façonner  un  discours 

Qui  soit  nouveau,  afin  qu'on  voye  5 

Que  je  n'aynie    asuivre  une  voie 

Ou  un  sentier  qui  soit  tracé, 

De  ce  qu'on  y  auroit  passé... 

Le  sermonneur  a  donc  pris  pour  sujet  l'éloge  de  l'âne,  emblème  de 
la  patience  : 

Quelle  estreine  plus  convenable 

En  ceste  saison  desplorable.?  42 

Il  énumère  ensuite  tous  les  ânes  dignes  de  mémoire,  depuis  celui  qui 
se  trouvait  dans  l'étable  de  Bethléem  jusqu'à  l'âne  d'or  d'Apulée.  Il  ter- 
mine ainsi  : 

Je  pense  en  avoir  trop  conté, 

Il  est  temps  que  je  me  retire 

Et  que,  comme  mon  cœur  désire, 

Cest  asne  s'en  aille  chez  vous  : 

Il  n'y  a  plus  de  foing  chez  nous.  240 

Bibliographie  : 

a.  —  Estrénes  ||  de  ||  L'asne.  ||  Par  I.  de  Fonteny  ||  Parisien.  1|  A 
Paris,  Il  Par  Denis  Binet,  près  la  porte  sainct  ||  Marceau  à  l'image  saincte 
Barbe,  jl  M.  D.  XC  [1590].  In-8  de  7  ff .  et  i  f.  blanc. 

Au  titre,  un  bois  représentant  un  âne. 

Au  v  du  titre,  un  sonnet  de  Denis  Binet.  —  Au  v  du  y»  f.,  un  huitain  de 
J.  de  Fonteny,  accompagné  d'un  vers  latin. 

Biblioth.  Mazarine,  21657.  —  Biblioth.  de  M.  le  duc  de  La  Trémoille. 

b.  —  Réimpression  exécutée  par  Rousseau-Leroy,  à  Arras,  pour  le  li- 
braire René  Muffat,  à  Paris,  vers  1860  [Portefeuille  de  l'ami  des  livres). 

Romûnia,  XV  25 


386  É.  PICOT 

II.  —  SERMONS  SUR  L'AMOUR,  LES  FEMMES  ET  LE 
MARIAGE. 

14.  [Sermon  joyeulx  des  barbes  et  des  brayes.] 
[Vers  1425 .] 

Cette  pièce  ordurière  nous  paraît  appartenir  à  la  première  moitié  du 
xv^  siècle.  En  voici  le  début,  où  le  prêcheur  déclare  remplacer  le  texte 
latin  par  un  texte  français  : 

Barbes  et  brayes  par  raison 
Ou  vit  ne  sont  point  de  saison. 


Celuy  qui  oit  la  chiévre  poirre 

A  propos  du  latin,  de  voiere, 

Il  n'est  pas  sourt;  pourtant,  ce  dy 

Car  nu!  ne  doit  tant  de  latin 
Gaster  pour  bailler  ung  tatin 
Du  sens  qui  luy  vient  de  la  teste. 
Et  pour  tant  doncques  je  proteste, 
Tant  que  je  soye  mieulx  entendu, 
Que  mon  latin  soit  deffendu 
Affin  que  je  n'en  perde  point; 
Et  quant  vous  ares  en  ce  point 
Mon  présent  sermon  bien^^tasté, 
Ja  n'y  verres  latin  gasté, 
Et  se  raison  y  est  perdue, 
Au  moins  y  est  rime  entendue. 

Bibliographie: 

Biblioth.  cantonale  de  Berne,  ms.  n"  473,  fol.  120. 


1 5.  Le  Dit  du  joly  cul. 
[Vers  142$ .] 

Ce  sermon,  véritablement  joyeux,  est  resté  jusqu'ici  inconnu  comme 
le  précédent.  On  y  remarque  de  même  l'absence  de  latin,  et  cette  cir- 
constance, jointe  à  ce  que  les  deux  pièces  sont  placées  l'une  à  la  suite  de 
l'autre  dans  le  même  ms.,  permet  de  penser  qu'elles  sont  l'œuvre  d'un 
même  auteur,  ou  tout  au  moins  qu'elles  ont  dû  être  récitées  sur  la  même 
scène.  Aucune  allusion  ne  permet  de  déterminer  la  patrie  du  monologue, 
qui  commence  ainsi  : 


LE   MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II  387 

Aulcunes  gens  font  mencion 
De  moult  de  chouses  sans  raison 
Et  prisent  les  chouses  souvent 
Qui  ne  valent  mye  granment  : 
Une  personne  envis  se  blasme.  5 

S'on  voit  ung  homme  ou  une  famé 
Qui  ait  beau  chef  et  beau  viaire, 
Bel  corps  et  de  gentil  affaire, 
Beaulx  bras,  belles  jambes,  beaulx  pies, 
Il  sera  de  chascun  prisiés  ;  10 

Ly  ungsdira  en  taisant  feste: 
«  Cil  la  porte  moult  belle  teste  »  ; 
L'aultre  dira  en  sa  raison: 
«  Jambes  a  de  belle  façon  », 
Et  se  c'est  une  damoiselle,  1 5 

Qui  soit  mariée  ou  pucelle, 
On  dira:  «  Hé  dieux!  quel(le)  fillette! 
«  Qu'elle  a  tresdoulce  mamellette, 
•   Et  qu'elle  a  les  yeulx  vocatifs, 
«  Amoureulx,  rians  et  traitifs  !  20 

«  Ce  semble  lin  de  ses  cheveulx.  »... 

Voici  les  derniers  vers  : 

Entre  vous,  gens  qui  avez  culz, 
Ouvrés  en,  n'en  faites  reffus, 
Car,  se  vous  vivez  longuement, 
Du  cul  lairés  l'esbatement. 

Bibliographie  : 

Bibl.  cantonale  de  Berne,  msc.  n°  473,  fol.  126,  v°. 

Une  copie  complète  de  la  pièce  nous  a  été  obligeamment  communiquée  par 
M.  Cornu. 

16.  Discours  joyeux  en  façon  de  sermon,  faict  avec  notable  in- 
dustrie par  deffunt  maistre  Jean  Pinard,  lorsqu'il  vivoit  trottier  semi- 
prebendé  en  l'église  de  S.  Estienne  d'Aucerre,  sur  les  climats  et 
finages  des  vignes  dudict  lieu  , 

[Auxerre,  vers  1480  ?] 

Cette  curieuse  pièce  n'a  pas  été  restituée  jusqu'ici  à  sa  véritable 
date.  Elle  se  trouve  en  tête  d'un  opuscule  publié  au  commencement  du 
xvii"  siècle  et  dont  on  verra  plus  loin  le  titre  complet.  Jean  Pinard, 
tout  homme  d'église  qu'il  était,  fut  un  joueur  de  farces  célèbre  dans  le 
dernier  tiers  du  xv  siècle.  Il  a  composé  divers  poèmes  dont  deux  son 


388  E.    PICOT  I 

cités  par  Du  Verdier,  mais  ne  nous  sont  point  parvenus.   Nous  possé- 
dons son  Epitaphe,  dans  laquelle  on  lit  entre  autres  choses  : 

Pleurez,  pleurez  les  Enfans  sans  soucy, 

Quant  vous  voyez  icy  mort  et  transy 

Votre  père  qui  vous  a  gouvernez  ; 

Comblez  voz  yeulx  de  veoir  son  corps  ainsi 

Piteusement  mis  a  présent  icy; 

Vous  en  devez  estre  bien  estonnez  ; 

C'est  bien  raison  que  dueil  [vous]  en  menez 

En  prévoyant  la  dure  départie 

Et  comment  est  vostre  bende  espartie. 

M .  de  Montaiglon,  qui  a  reproduit  VEpiiapheen  question  [Rec.  de  Poés. 
franc.,  VIII,  5-15),  n'a  pas  connu  notre  sermon.  Il  importe  de  remar- 
quer d'ailleurs  que  VEpitaphe  ne  porte  pas  le  nom  de  Jehan  Pinard, 
mais  seulement  de  Jehan  «  trotier  »,  en  sorte  que  le  savant  éditeur  a  cru 
que  le  nom  du  père  des  Enfants  sans  souci  était  Trotier,  ce  qui  est  une 
erreur  manifeste.  Ce  personnage  mourut  le  11  janvier  1501  (n.  s.).  Il 
suffira  de  reproduire  les  premiers  vers  du  sermon  pour  se  convaincre 
qu'ils  datent  bien  de  la  fm  du  xV^  siècle,  quoiqu'ils  n'aient  été  imprimés 
ou  réimprimés  qu'un  siècle  plus  tard. 

Focmineis  abus  sociabitur,  ul  dominabus.  Alexandri,  I.  Cap  '. 
Messieurs,  j'ay  desja  recité 
Ce  que  maintenant  j'ay  cité 
Et  dy  par  le  thème  prédit, 
Qaod  omnld  malc  vadit, 

Et  poursuyvant  telle  matière,  5 

Qui  est  pesante  et  non  légère, 
Pour  consoler  pauvres  coquuz, 
Je  dy  :  Foemineis  abuz. 

Ce  mot  fut  prins  d'un  cordonnier 

Qui  se  sçavoit  bien  délier  10 

Des  femmes  et  bigotleries, 

Car  il  craignoit  les  mocqueries; 

Pourquoy  rescript  aux  jovenseaux, 

Qu'on  trompe  comme  jeunes  veaux, 

Fussent  ils  a  jeun  ou  embuz,  16 

Disant  :  Foemineis  abuz. 

Les  hommes,  selon  mes  raisons, 

Sont  plus  sots  que  jeunes  oysons, 


I.  Doctrinale  Alexandri  de  Villa  Dci,  ch.  I,  v.   14:  fol.    A  iij  de  l'édition  de 
Venise,  1519. 


LE  MONOLOGUE  DRAMATIQUE.  —  M  J89 

Car  pour  culler  fines  ou  sottes 
S'en  vont  aux  Saulcis,  aux  Caillettes, 
Puis  se  trouvent  en  Champolin, 
Plus  barbouillez  qu'un  gros  vilain... 

Le  sermon  est  plein  d'allusions  locales  qui  demanderaient  un  long  et 
difficile  commentaire.  Il  se  termine  ainsi  : 

Cependant  Dieu  vous  gard  de  mal. 
Des  pieds  et  des  dents  d'un  cheval, 
De  ry  d'asne,  et  femme  trop  aise, 
Qui  a  vous  desplaire  se  plaise; 
Il  n'y  a  point  plus  grand  abus,  216 

Suyvant  focmineis  abus 
De  nostre  thème.  Pax  vobis 
Et,  pour  ne  m'oblier,  nobis. 
Amen. 
Bibliographie  : 

a.  —  Discours  ||  ioyeux  en  |1  façon  de  sermon,  faict||auec  notable  in- 
dustrie par  II  defïunct  Maistre  lean  Pinard  lors  qu'il  viuoit  1 1  trottier  semi- 
prebendé  en  l'église  de  S.  Estien- I|  ne  d'Aucerre  sur  les  climats  et 
finages  des  Vi-ljgnes  dudict  lieu.  llPlus  y  est  adiousté  de  nouueau  le 
Monologue  du  bon  ||  Vigneron  sortant  de  sa  Vigne  et  retour- 11  nant  le 
soir  en  sa  maison.  ||  Reueu  ,  corrigé  &  augmenté.  lU /lucerr^,  Il  P^r 
Pierre  Vatard,  Imprimeur  et  Li-\\braire  demeurant  en  la  grand  rue  S.  Si- 
meon,  \\  à  l'enseigne  de  l'Imprimerie.  \\  1607 .  In-8  de  46  pp.  et  i  f.  blanc. 

Au  titre,  la  marque  de  Valard  représentant  un  homme  vêtu  à  la  romaine, 
debout  sur  la  boule  du  monde,  et  tenant  de  la  main  droite  un  glaive,  de  la  main 
gauche  un  livre.  Ce  personnage  est  accompagné  de  la  devise  suivante,  qui  con- 
tient sans  doute  un  jeu  de  mots  sur  le  nom  deVatarJ:  Assez  va  qui  \\  Fortune  passe. 

Librairie  Ch.  Porquet  (exempl.  de  M.  le  baron  Pichon  et  de  M.  le  comte 
0.  de  Béhague). 

b.  —  Discours  ioyeu.x  en  façon  de  sermon...  [Paris.,  imprimerie 
Crapelet,  185 1].  In-i6de47pp. 

Réimpression  à  62  exemplaires,  exécutée,  d'après  l'exemplaire  décrit  ci-dessus, 
par  les  soins  de  M.  A.  Veinant. 

c.  —  Les  Poésies  et  Chansons  auxerroises.  Avec  une  Préface  de 
l'Éditeur.  —  Le  Discours  joyeux.  Le  Monologue  du  bon  vigneron.  Les 
Chansons  vigneronnes.  Auxerre,  Imprimerie  de  Georges  Rouillé.  M  DCCC 
LXXXII.  In-!6  de  2  ff.,  91  pp.  et  2  ff. 

Recueil   tiré  à    12  j  exemplaires.   L'éditeur  est,  croyons-nous,   M.    Francis 
Molard. 
Le  Discours  occupe  les  pp.  19-27. 


390  É.    PICOT 

17.  Le  Blason  des  Armes  et  des  Dames,  par  Guillaume  Coquillart. 
[Reims,  29  mai  1484.] 

Le  roi  Charles  VIII,  âgé  de  quatorze  ans  seulement,  fit  son  entrée  à 
Reims,  pour  s'y  faire  sacrer,  le  29  mai  1484.  Guillaume  Coquillart, 
qui,  depuis  l'année  précédente,  avait  obtenu  une  prébende  de  chanoine 
(21  avril  1483],  fut  chargé  par  ses  concitoyens  d'écrire  les  vers  qui 
devaient  être  récités  à  cette  occasion.  Il  rima  pour  la  circonstance  un 
huitain  et  un  quatrain  '  qui  furent  dits  par  une  jeune  fille  personnifiant 
la  ville;  puis  il  composa,  en  Thonneur  du  jeune  roi,  un  prologue,  qu'il 
intitula  Le  Blason  des  armes  et  des  dames. 

Ce  prologue  est-il  un  véritable  sermon  ?  On  peut  en  douter^  et  nous  ne 
le  faisons  figurer  ici  que  sous  toutes  réserves.  Un  personnage  appelé 
«  l'honneste  fortuné  »  est  placé  entre  deux  échafauds  sur  lesquels  se 
voient  des  tableaux  vivants  : 

Là  sont  les  armes;  là^  les  dames. 

Après  être  entré  en  matière,  l'honneste  fortuné  donne  la  parole  au 
procureur  des  armes,  puis  à  celui  des  dames;  mais  on  peut  croire  qu'il 
récitait  lui-même  les  deux  plaidoyers.  On  aurait  ainsi  une  composition 
assez  semblable  au  Monologue  fort  joyeulx  auquel  sont  introduictz  deux 
advocatz  et  ung  juge  devant  lequel  est  plaidoyé  le  bien  et  le  mal  des  dames. 

Voici  le  début  du  Blason  : 

Or  est  le  temps  passé  passé, 

Le  bien  pourchassé  pou  chassé, 

Et  ce  qu'on  a  trouvé  venu. 

C'est  grant  chose  d'avoir  pensé, 

Mais  plus  d'avoir  contrepensé,  5 

Encor(es)  plus  d'avoir  retenu. 

J'ay  sceu,  veu,  leu,  aprins,  congneu, 

Noté,  entendu,  souvenu, 

Epilogue  mille  traphicques 

En  voici  les  derniers  vers  : 

Et  pour  tant  la  conclusion 

Est  telle,  de  tous  ces  argus, 

Que  ung  prince  de  noble  renom 

Doit  sçavoir  utrumqac  tempus,  505 


I .  Ce  quatrain  porte  dans  toutes  les  éditions  des  œuvres  de  Coquillart  le 
titre  de  Tradogon.  M.  d'Héricault  (I,  24)  a  vu  dans  ce  mot  le  nom  d'un  person- 
nage mystérieux  !  11  est  plus  probable  que  c'est  un  mot  grec  estropié  tel  que  xz-z-.i- 
ycovoç  qui  aurait  le  sens  dcTcTpâaTtyoç. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    H  59! 

L'ung  et  l'autre  temps,  sans  abbus, 
Avoir  le  costé  destre  armé; 
Le  senestre  et  tout  le  surplus 
Aux  dames  doit  estre  donné. 

Sire,  par  vous  soit  pardonné  510 

Au  rude  engin  et  simple  sens 

Du  povre  honneste  fortuné 

Qui  a  leu  '    es  deux  passe  temps. 


Bibliographie  : 


a.  — Sensuyuentllies  droitz  Nouue-!|aulx  Auec  le  De  ||  bat  des  dames 
et  des  armes/  Lêqueste  en- 1 1  tre  la  simple  et  la  rusée  auec  son  plaidoy  e 
H  Et  le  monologue  coqllart/  auec  plusieurs  1 1  autres  choses  fort  ioyeuses. 
Compose  par  II  maistre  Guillaume  coquillart  Officiai  deHreims  lez 
champaigne  xxij.  ||  |[  On  les  vend  a  Paris  j  en  la  rue  neuf  \\ue  nostre 
dame.  A  lescu  de  france  Et  an  \  \  Palays  en  la  gallerie  comme  on  ra  en  \  \  la 
chancellerie.  \\  Cum  Priuilegio  —  HCy  finissent  \ |  les  droitz  nouueaulx  Auec 
1 1  le  débat  des  dames,  et  des  \  |  armes  Imprie  nouuelle- 1  ]  ment  a  paris  Par  la 
vefueWfeu  iehà  trepperel  Demou\\rât  en  la  rue  neufue  nostre\\dame.  A 
lenseigne  de  lescuW  de  france.  S.  d.  [v.  1513],  in-4  goth.  de  88  fï.  non 
chiffr.  de  32  et  33  lignes  à  la  page,  sign.  aa,  bb,  A-V  par  4. 

Le  titrp,  imprimé  en  rouge  et  en  noir,  est  orné  d'un  grand  S  initial  sur 
fond  criblé  ;  il  est  orné  de  deux  écus:  i"  un  écu  à  une  croix  chargée  de  cinq 
étoiles;  2°  un  écu  à  un  chevron  cantonné  de  trois  roses.  D'après  des  recherches 
faites  à  Reims  par  M.  Loriquet,  le  second  écu,  qui  est  accompagné  d'une  crosse, 
est  celui  de  Jehan  Godart,  qui  fut  reçu  le  8  décembre  1512  grand-chantre  du 
chapitre  de  Notre-Dame  de  Reims  (voy.  l'édition  d'Héricault,  II,  343).  II  est 
probable  que  les  personnages  dont  les  blasons  figurent  sur  le  titre  contribuèrent 
aux  frais  de  l'édition  ;  en  tous  cas  les  armes  de  Jehan  Godart  et  la  crosse  quj 
prouve  qu'il  était  déjà  dignitaire  du  chapitre  ne  permettent  pas  de  placer  la 
publication  du  volume  avant  la  hn  de  l'année  15 12  ;  mais  cette  publication  ne 
doit  pas  être  de  beaucoup  postérieure,  puisqu'il  n'y  est  pas  encore  fait  mention 
de  la  société  formée  entre  la  veuve  Trepperel  et  Jehan  Janot. 

Le  v"  du  titre  contient  les  rubriques  du  livre  et  un  bois  des  armes  de  France. 

M.  d'Héricault  dit  à  tort  que  le  volume  compte  196  pp.  ;  c'est  176  pp.  que 
donnent  les  88  ff. 

Biblioth.  nat.,  Y  4404,  Rés.  —  Biblioth.  de  feu  M.  le  baron  James  de 
Rothschild  (Cat.,  I,  n»  460). 


1.   M.  G.   Paris  pense  qu'il  faut  lire   «    a   heu  ».  L'honneste  fortuné  est 
un  vieux  routier  qui  a  connu  les  femmes  et  les  armes,  et  qui  en  parle  par  expé- 


Î92  É.    PICOT 

b.  —  SEnsuyuent  les  1 1  droitz  Nouue  1 1  aulx  Auec  le  De  1 1  bat  des  dames/ 
et  des  armes.  Lëqueste  en  1 1  tre  la  simple  et  la  rusée  /  auec  son  plaidoye.  1 1 
La  complaincte  de  écho  a  narcissus/ Jf-  le  re||fus  q  luy  fist  /  auec  la 
mort  diceluy  narscis  9 1|  Et  le  monologue  coqllart  /  auec  plusieurs  1 1  autres 
choses  fort  ioyeuses.  compose  par  1|  maistre  Guillaume  coquillart  Offi- 
ciai de  II  reims  lez  Champagne,  ix.  ||  ^  On  les  vend  a  paris  en  la  rue  neufue 
nostre  Dame\\a  [enseigne  de  lescu  de  France.  \\  Cum  priuilegio.  —  C.Cy 
finissent  les  droictz\\nouueaulx.  Auec  le  débat  des  dames  et  des  ar-\\mes 
nouuellement  imprime  a  paris  par  la  vef\\ue  jeu  iehâ  trepperel  Demouràt 
en  la  rue  neuf\\ue  nostre  Dame  a  lenseigne  de  lescu  de  France.  S.  d. 
[v.  M  i$],  in-4  goth.  de  36  flf.  de  38  et  40  lignes  à  la  page  pleine, 
imprim.  à  2  col.,  sign.  A-I. 

Le  titre  est  imprimé  en  rouge  et  en  noir,  avec  un  grand  S  initial  placé  sur  un 
fond  criblé  et  entouré  de  rinceau.x.  La  page  est  encadrée,  de  deux  côtés,  d'une 
bordure  de  rinceaux  et,  des  deux  autres,  de  petits  ornements  typographiques. 
Au  milieu  se  voient  les  deuxécus  décrits  ci-dessus. 

Au  verso  du  titre,  un  bois  représentant  un  homme  et  une  femme  debout  dans 
un  jardin.  L'un  et  l'autre  sont  vêtus  d'une  longue  robe,  et  ils  se  donnent  la 
main.  Au-dessous  de  ce  bois,  se  trouve  la  table  des  rubriques  du  livre.  Une 
colonne  et  demie  de  la  page  suivante  est  occupée  par  la  table  détaillée. 

Au  verso  du  dernier  f.,  la  grande  marque  de  Jehan  Tre  p  penl  l^Bruntt,  11,265). 

Bibl.  de  Troyes,  X.  8.  989,  dans  un  recueil  où  les  Droictz  nouveaulx  sonl 
réunis  à  L'Eplstrc  de  Othea^  déesse  de  prudmce^^moralisle  (par  Christine  de  Pisan), 
imprimée  par  Trepperel. 

Cette  édition  nous  paraît  devoir  être  confondue  avec  celle  que  M.  d'Héri- 
cault  attribue  à  Jehan  II  Trepperel.  Les  renseignements  bibliographiques  donnés 
par  le  dernier  éditeur  de  Coquillart  sont  si  confus  que  nous  avouons  n'avoir  pu 
en  tirer  grand  profit. 

c. — SEnsuyuent  les  II  Droictz  Nouue  ||  aulx  Auec  le  de- 1|  bat  des  dames/ 
et  des  armes  Lëqueste  en-||tre  la  simple/  et  la  rusée/  auee  son  plai- 
doye/i|  La  côplaincte  de  Echo  a  Narcisus  /  f  le  ref||fus  qlluy  fist  auec 
la  mort  dicelluy  narcis9||Et  le  monologue  coqllart ||  Auec  plusieurs 
llaultres  choses  fort  ioyeuses.  Compose  par  H  maistre  Guillaume 
coquillart  /  Officiai  de  ||  Reims  Lez  champaigne.  ix.  c.  ||  C.  0/z  les  vend 
a  lenseigne  sainct  Iehà\\  baptiste  En  la  rue  neufue  nostre  Dame/  \\  Près  saincte 
Geneuiefue  des  ardans. —  fl  Cy  finissent  les  droitz  \\  nouueaulx  j  auec  le  débat 
des  dames  et  des  ar- \ \  mes  Imprime  nouuellement  a  Paris  en  la\\  rue  neufue 
nre  Dame  a  lêseigne  sainct  Iehâ  \  \  baptiste/  Près  saincte  Geneuiefue  des  ardas. 
S.  d.  [v.  I  $  16],  in-4  goth.  "^^  36  flf.  non  chiffr.,  de  41  lignes  à  la  page, 
impr.  à  2  col.  en  lettres  de  forme,  sign.  a-i. 

Le  titre,  imprimé  en  rouge  et  noir,  est  orné  de  la  grande  S  et  des  deux  écus 
décrits  ci-dessus. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II  Î9J 

Au  V"  du  titre  est  un  grand  bois  qui  représente  un  clerc  lisant  à  un  pupitre. 
Au-dessous  de  ce  bois  sont  huit  lignes  de  texte. 

Au  V»  du  dernier  f.  est  la  grande  marque  de  Jihan  Janot  (Brunet,  II,  264). 

Cette  édition  ne  doit  pas  être  de  beaucoup  postérieure  à  la  précédente. 
D'après  Lottin,  la  veuve  de  Jehan  Janot  succéda  à  son  mari  en  ip7;  mais  elle 
pouvait  toujours  employer  la  même  marque. 

Biblioth.  nat.,  Y  4403  B.  Rés. 

d. — SEnsuyuent  les  1 1  droitz  Nouue- 1 1  aulx  :  Auec  le  de  1 1  bat  des  dames/ 
et  des  armes  Laqueste  en||tre  la  simple/  et  la  rusée/  auec  son  plai- 
doye.  Il  La  côplaTcte  de  Echo  a  Narcisus  et  le  ref-H  fus  ql  luy  fist  auec 
la  mort  diceluy  narcisus  1 1  Et  le  monologue  coqllart  Auec  plusieurs  1 1  autres 
choses  fort  ioyeuses.  Compose  par|]maistre  Guillaume  coquillart  Officiai 
de  II  Reims  les  champaigne.  ix.  c.{\On  les  vend  a  Paris  en  la  rue  neufue 
nostre  Dame  a  \  \  (enseigne  de  lescu  de  France.  —  C  Cy  finissent  les  droictz 
\\  Nouueaulx,  Auec  le  débat  des  Dames  et  des  armes \\  Imprime  nouuellement 
a  Paris  par  Alain  LO'\\trian  Demeurant  en  la  rue  neufue  nostre  da-\\me 
a  Icnseigne  de  lescu  de  France.  S.  d.  [v.  152^],  in-4  goth.  de  36  ff.  non 
chiffr.  de  41  lignes  à  la  page,  impr.  à  2  col.,  sign.  a-i. 

Cette  édition  reproduit  page  pour  page  l'édition  de  Jehan  Janot.,  mais  elle  est 
imprimée  en  caractères  beaucoup  plus  petits.  Le  titre,  tiré  en  rouge  et  en  noir, 
porte  de  même  les  deux  écussons  décrits  ci-dessus. 

Au  v»  du  titre  est  un  petit  bois  qui  représente  un  clerc  assis  devant  une  table 
sur  laquelle  est  ouvert  un  livre;  il  y  a  en  outre  deux  fragments  de  bordure. 

Le  V"  du  dernier  f.  est  blanc. 

Biblioth.  nat.,  Y  4-4403.  Rés.  (exempl.  de  Gaston  d'Orléans). 

e. —  Sensuyuent  les  droictz  nouueaulx  ;  auec  le  débat  des  Dames  :  et 
des  armes  lanqueste  entre  la  simple:  et  la  Rusée:  auec  son  plaidoye:  la 
complaincte  de  Echo  a  Narcisus:  et  le  Reffus  quil  luy  fist  auec  la  mort 
dycelluy  Narcisus  ;  et  le  monologue  Coquillart  auec  plusieurs  aultres 
choses  fort  ioyeuses/ compose  par  maistre  Guillaume  Coquillart  officiai 
de  Reyms  lez  Champaigne.  Oaz  les  vend  a  Paris/ par  Philippe  le  Noir... — 
[A  la  fin  :]  Imprime  nouuellement  a  Paris  par  Philippe  le  Noirj  maistre  im- 
primeur et  lung  des  deux  relieurs  de  Hures  iures  en  luniuersite  de  Paris.  S.  d. 
[v.  1 530],  in-4  go^h. 

Cat.  Solar,  1860,  n»  1086. 

/.  —  Les  œuures  maistre  Guillau  ||  me  Coquillart  en  son  uiuant||  Officiai 
de  Reims  nouuel-|l  lement  reueues  &  Im-l|  primées  a  Paris,  [j  1 5  32.  ||  O/z 
les  vend  a  Paris  pour\\  Galiot  du  Pre,  en  la  \\grant  salle  du  ||  Palays.  — 
Fin  des  œuures  feu  maistre  Guillau- \]  me  Cocjuillart  officiai  de  Reims  nou-\\ 


394  É.  PICOT 

uellemenî  reueues,  corrigées  &  1 1  imprimées  a  Paris  pour  \  \  Galliot  du  Pre.  \  \ 
M.  D.  XXXII.  In-i6  de  i56ff.  inexactement  chiffr.,  impr.  en  jolies  lettres 
rondes,  sign.  a-t  par  8,  j^par  4. 

Le  le""  f.  du  cahier  G  est  coté  51  au  lieu  de  49  ;  cette  erreur  se  poursuit 
jusqu'au  dernier  f.  qui  est  chiffré  158. 

Voici  la  distribution  des  principales  pièces  dans  cette  édition: 

Le  Plaidoyer  de  Coqulllart,  f.  64  [62],  r». 

UEnqucste  d'entre  la  Simple  et  la  Rusèe^  f.  87  [8$],  v». 

Le  Monologue  de  la  Botte  de  foing^  t.  126  [124],  r". 

Le  Monologue  du  Puys,  f.  138  [136],  v». 

Le  Monologue  des  Perrucques,  f.  148  [146],  r°. 

Biblioth.  nat.,  Y  4399,  Rés.  (exempl  aux  armes  du  comte  d'Hoym).  — 
Biblioth.Méjanes,  à  Aix,  n°  16289  (exempl.  sans  titre).  —  Biblioth.  de  feu 
M.  le  baron  James  de  Rothschild  (Cat.,  I,  n"  461). —  Biblioth.  de  M.  le  baron 
de  Ruble  (Cat.  de  Lurde,  noyo). 

g.  —  Les  œuures  maistre  GuiilauHme  Coqulllart  en  son  viuantlj 
Officiai  de  Reims  nouuel- 1|  îement  reueues  &im-||  primées  a  Paris.  |! 
1532.  \\ Imprime  a  Paris  par  An\\îhoriine  [sic]  bonnemere.  —  Fin  des 
oeuures  feu  Maistre  Guillau-\\me  Co(]uillart  officiai  de  Reims  nou-\\uelIe- 
ment  reueues,  corrigées  et  imprimées  a  Paris  pour\\Anthoinne  Bonnemere  \\ 
M.  D.  XXXIl.  In-i6  de  1 56  ff.  mal  chiffr.,  sign.  a-t  par  8,  v  par  4. 

Au  v»  du  titre  se  trouve  Le  Contenu  an  [sic]  ce  présent  vollume  [sic]. 

Le  v  du  dernier  f.  est  blanc. 

Le  i"'  f.  du  cahier  G  est  coté  51,  au  lieu  de  49,  et  l'erreur  se  continue  jus- 
qu'à la  fin  du  volume,  qui  paraît  ainsi  se  composer  de  1 58  fï. 

Biblioth.  royale  de  Berlin,  Xt  4180  (Cet  exemplaire  porte  au  v°  du  dernier  f. 
la  date  de  1 536  avec  ces  mots  :  En  espoyr  vit  Weyssenburg.  Au-dessous  d'un 
monogramme  se  trouvent  ensuite  les  initiales  B.  V.  W.  Sur  le  f.  de  garde  qui 
suit,  ce  même  exemplaire  contient  cette  note  peu  chrétienne  :  f  espoyr  que  le 
tamps  viendra,  quy  n'est  point  encore  venu,  que  je  morderay  cheux  qui  me  ont  mor- 
du. W.) 

h. — ^%)Les  Œ-  Il  ures  Maistre  Guillaume  Coquil-||lart  en  son  viuant 
Oofficial  [sic]  II  de  Reims/Nouuelle- 1 1  ment  corrigées  &  im- 1 1  primées  a  Pa- 
II  ris  II  . 1 543 .  Il  f[On  les  rend  a  la  rue  neufue  no  \ \  stre  Dame  a  Icnseigne 
de  lescu  de  W  France.  — ^  Fin  des  oeuures  Feu  Maistre  Guil-\\laume 
Coquillart  Officiai  de  Reims  Nouuellementre  \\  ueues.,  corrigées  &  Im  \\  primées 
a  Paris  ||^  Pierre  leber\\demourant  ||  au  Coing  \\  Du  Paue  Wpres  la  place 
Maubert,  \\  M.  D.  XXXIIl  [1533].  In-i6de  ijôfî.  inexactement  chiffr., 
titre  rouge  et  noir. 

Le  v  du  dernier  t.  est  blanc. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II  ?95 

Le  numérotage  des  ff.  présente  les  mêmes  erreurs  que  celui  des  deux  éditions 
précédentes. 
Biblioth.  de  feu  M.  le  baron  James  de  Rothschild  (Cat.,  I,  n"  462). 

/.  —  Les  Œuures  ||  Maistre  Guil  ||  laume  Coquil  ||  lart,  en  son  viuant 
Officiai  II  de  Reims,  nou  1|  uellementre  ||  ueues  et  corri  ||  gees.  ||  M.  D, 
XXXIII  [1533].  Il  On  les  vend  a  Lyonjen  la  \\  maison  de  Francoys lusle.  || 
Demourant  deuant  nostre  \\  Dame  de  Confort.  —  Finis.  ||  Imprime  nouuel- 
lement  par  Francoys  \\  luste,  Demourant  deuât  no-  \\  sîre  Dame  de  Confort. 
\\a  Lyon  Le  .ij.  ||  Daoust.  \\  1533.  In-8  goth.  de  96  ff.  chiffr.,  sign. 
A-M,  format  allongé. 

Le  titre  est  orné  d'un  encadrement  qui  a  servi  ensuite  pour  les  Œuvres  de 
M^rof,  publiées  par  François  Juste,  dans  le  même  format,  sous  les  dates  de  i  S  34  et 
'53 S  (voy.  Cat.  Rothschild,  I,  n^^  597,  600,  602).  Au-dessus  de  cet  encadre- 
ment on  lit  en  caract.  goth.  :  Co^uillart.,  puis,  dans  la  frise,  les  mots  Jésus  Ma- 
ria, en  capitales  romaines. 

Le  titre  est  imprimé  en  capitales  romaines,  à  l'exception  de  l'adresse  du 
libraire,  qui  est  en  gothique. 

Au  bas  du  cadre  un  écusson  au  monogramme  de  Juste,  que  supportent  deux 
amours. 

Au  yo  du  titre,  se  trouve  la  Table. 

Biblioth.  grand-ducale  de  Darmstadt,  E.  2077  (le  5»  f.  de  cet  exemplaire 
est  endommagé). 

M.  Brunet  (II,  266)  dit  à  tort  que  ce  volume  porte  sur  le  titre  la  date  de 
1555,  tandis  qu'on  a  conservé  à  la  fin  la  date  de  1  y  j . 

j.  —  Coquillart*  ||  Les  œuures  Maistre  Guillaume  ||  Coquillart  en  son 
viuant  Offi-||cial  de  Reins,  Nouuellemêt  ||  corrigées  &  imprimées  ||  a 
Paris.  Ou  sont  cô  ||  tenues  plusieurs  ||  ioyeusetez  ||  côme  ||  vous  pourrez 
veoir  en  la  table  de  ce  ||  présent  liure,  1534.  ||  *  On  les  vêd  en  la  rue 
neufue  nostre  ||  dame  a  lèseigne  sainct  khan  Bapti  ||  stepres  saleté  Geneuiefue 
des  ardas.  —  Finis.  ||  Imprime  a  Paris  par  Denys  Lin-  \\  not.  pour  Pierre 
sergent  &  lehan  Longis  Libraire.  In- 16  de  144  fif,  mal  chiffr. 

Len°  16  est  double,  en  sorte  que  le  dernier  f.  est  coté  143. 
Cat,  Paradis,  1879.  n^  197.  —  Cat.  Jordan,  1881,  n"  16. 

k .  —  Coquillart .  j  ]  A-yaOy]  Tu/v]  1 1  Les  Œuures  1 1  Maistre  Guil  1 1  laume 
Coquillart,  ||  en  son  vi  ||  uant  officiai  ||  de  Reims.  Nou  ;!  uellement  ||  re  || 
ueues  et  corri  1 1  gees,  1 1  M .  D .  XXXV  [i<^]^].  \\  On  les  vend  a  Lyon /  en  la 
Il  maison  de  Fràcoys  luste,  \\  Demourant  deuant  nostre  \\  Dame  de  Confort. 
—Finis.  \\  Imprime  nouuellemcnt,  par  Francoys  \\  luste,  Demourant  deuant 


?96  É.    PICOT 

no-  Il  stre  Dame  de   Confort   \\  a  Lyon.  Le    .xxi.   de  jlanuier.  \\  1555 
[1536,  n.  s.].  In-8,  goth.  de  96 ff.  chiffr.,  format  allongé. 

Le  titre  est  imprimé  au  milieu  du  bois  employé  par  François  Juste  en  1533 
(voy.  !a  description  de  l'édition  i). 

Biblioth.  nat.,  Y  4400  Rés.  —  Cat.  Lévy,  877,  no  127. 

/.  —  Les  Œuures  ||  demaistre  Guillaume  Coquil  ||  lart,  en  son  viual 
officiai  11  de  Reims,  nouuelle  ||  met  reueuesf  corrigées.  ||  M.D.XL  [i  $40]. 
Il  On  les  vend  a  Lyon,  chez  Francoys  Juste  \\  deuant  nostre  Dame  de  Côfort. 
In-16  de  122  fî.  chiffr. 

Le  seul  exemplaire  connu  de  cette  édition  a  successivement  appartenu  à  Cop- 
pinger  et  à  Solar;  il  a  fait,  en  dernier  lieu,  partie  de  la  bibliothèque  de 
M.  A.-F.  Didot(Cat.  de  1878,  n»  166). 

m.  —  Les  Œuures  ||  de  maistre  Guilleaume  [sic]  ||  Coquillart  en  son 
Il  vivant  [sic]  officiai  ||  de  Reims.  ||  A  Paris  chez  khan  Longis  ||  libraire. —  j 

Finis.  Il  Imprime  a  Paris  par  Denys  lan-  \\  not  pour  Pierre  sergent  &  lehan  ' 

\\  Longis  Libraires.  S.  d.  [v.  1 540],  in-16  de  144  ff. 

Biblioth.  nat.,  Y  4398.  Rés. 

n.  —  Les  Oeuures  de  maistre  Guillaume  Coquillart,  en  son  viuant 
Officiai  de  Reims,  nouuellement  reueueset  corrigées.  Le  contenu  dicelles 
est  en  la  page  suiuante.  A  Paris.,  i  ^46.  De  l'imprimerie  de  leanne  de 
Marnefy  demeurant  en  la  rue  Neufue  nostre  Dame,  à  l'enseigne  saint  lean 
Bapiiste.  In-16  de  1 12  fï.  non  chiffr. 

Jeanne  de  Marnef  était  la  veuve  de  Dcn-js  Janot  dont  nous  avons  cité  ci-dessus 
deux  éditions.  Le  volume  publié  par  elle  en  1546  n'est  pas  une  simple  réim- 
pression de  ces  éditions;  les  petites  poésies  de  Coquillart  n'y  figurent  pas, 
tandis  que  l'on  y  a  fait  entrer  les  trois  blasons  de  Pierre  Danche.  Voy.  l'édi- 
tion d'Héricault,  II,  362. 

Cat.  Brunet,  1868,  n"  275. 

0. —  Les  Œuures  II  de  maistre  ||  Guillaume  Coquil- 1|  lart_,Enson  viuant 
Officiai  de  11  Reims.  Nouuellement  reueues  &  ||  corrigées  par  C.  G. 
Champ.  Il  Le  contenu  d'icelles  est  en  la  page  ||  suyuante.  ||  A  Paris.  \\ 
Par  Estienne  Groulleau,  demourant  en  la\\  rue  Neuue  nostre  Dame  à  l'en- 
seigne \\  saint  lean  Baptiste.  \\  ij$3.  In-i6  de  112  ff.  non  chiffr.  de  28 
lignes  à  la  page  pleine  (non  compris  le  titre  courant),  impr.  en  jolies 
petites  lettres  rondes,  sign.  A-0  par  8. 

Au  v"  du  titre  est  la  table  du  volume. 


LE   MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II  J97 

Au  fo  du  second  f.,  est  un  petit  bois  représentant  l'acteur.  Cette  édition  est 
restée  inconnue  à  tous  les  bibliographes.  Les  initiales  portées  sur  le  titre  sont 
celles  de  Claude  Colet,  Champenois. 

Biblioth.  royale  de  Munich,  P.  0.  g.ill.  8",  463. 

p.  —  Les  II  Œuures  de  ||  M.  Guillaume  ||  Coquillart,  en  ||  son  viuant 
officiai  II  de  Reims.  ||  */  \\  Nouuellement  reueues  &  corrigées.  ||  A  Lyon, 
Il  Par  Benoist  Rigaud,  \\  1 579.  In-i6  de  256  pp.  de  2^  lignes  inon  com- 
pris le  titre  courant; ,  sign.  A-Q. 

Au  titre,  un  petit  bois  représentant  divers  personnages  à  table. 

Au  verso  du  titre,  la  table  des  pièces  contenues  dans  le  volume. 

a  Le  Monologue  des  Penucques  ou  du  Gendarme  cassé  n'çstpa.s  compki;  il  s'ar- 
rête avec  ce  vers  : 

Saint  Anthoine  arde  le  tripot, 
suivi  du  mot  :  Fin. 

(I  Les  Petites  Œuvres  (pièces  politiques)  annoncées  dans  la  table  placée  au 
verso  du  feuillet  du  titre  ne  s'y  trouvent  point.  » 

Cat.  A.-F.  Didot,  1878,  n»  1C7. 

ej.  —  Les  Œuures  de  Maistre  Guillaume  Coquillart,  en  son  viuant 
Officiai  de  Reims,  reueues  et  corrigées  denouueau.  A  Paris,  Pour  lean 
Bonjons^  libraire,  demouranî  en  la  me  Neufue  Nosîre  Dame,  à  l'enseigne 
sainci  Nicolas.  S.  d.  [v.  1570],  in-i6. 

Cat.  Béhague,  1880,  n»  531. 

r.  —  Les  Œuures  de  Maistre  Guillaume  Coquillart.  A  Paris,  1597. 
In-8  de  283  ff.  inexactement  chiffr. 

Cette  édition,  qui  paraît  avoir  été  exécutée  au  xviiie  siècle,  ne  contient  pas 
seulement  les  oeuvres  de  Coquillart;  on  y  a  joint  un  certain  nombre  de  pièces 
plus  ou  moins  analogues,  qui  ont  d'autant  plus  d'intérêt  aujourd'hui  que  les  ori- 
ginaux de  plusieurs  d'entre  elles  sont  probablement  perdus;  on  en  trouvera  la 
liste  dans  l'édition  de  M.  d'Héricault  ^11,  368). 

Les  feuillets  sont  cotés  régulièrement  jusqu'à  161  ;  le  162^  feuillet  est  blanc, 
puis  les  numéros  recommencent  à  165  et  se  suivent  jusqu'à  285. 

A  la  fin  du  volume  est  la  date  de  1 599. 

Biblioth.  de  feu  M.  Eugène  Dutuit,  à  Rouen  (exemplaire  de  Châteaugiron  et 
deSoleinne.) 

s. —  Les  Poésies  de  Guillaume  Coquillart,  Officiai  de  l'Eglise  de  Reims. 
A  Paris,  De  l'Imprimerie  d'Antoine-Urbain  Coustelier,  Imprimeur-Libraire 
de  S.  A.  R.  Monseigneur  le  Duc  D'Orléans.  M.  DCC.  XXIII  [1723]. 
In-i2  de  3  ff.,  184  pp.  et  2  ff.  pour  la  Table e\  le  Privilège. 


398  É.  PICOT 

/.  —  Blasons,  Poésies  anciennes  recueillies  et  mises  en  ordre  par  D.  M. 
M***  [Méon]  (Paris,  Guillemot,  1807,  in-8),  242-259. 

u. —  Les  Œuvres  de  Guillaume  Coquillart  [publiées  par  Prosper  Tarbé]. 
1847.  Reims,  Chez  Brissart-Binet,  libraire,  rue  du  Cadran-Saint-Pierre; 
Paris,  Chez  Techener,  Libraire,  place  du  Louvre.  [Impr.  de  Gérard,  liîh., 
rue  Cérès,  8,  à  Reims.]  2  vol.  in-8. 

Tome  premier  :  xxxv  et  217  pp.,  1  f.  pour  la  Table  et  i  f.  blanc.  —  Tome 
second  :  249  pp.  et  i  f.  d'Errata. 

V.  —  Œuvres  de  Coquillart.  Nouvelle  édition,  revue  et  annotée  par 
M.  Charles  d'Héricault.  A  Paris,  Chez  P.  Jannet,  Libraire.  [Impr.  par 
Guiraudet  et  Jouausî.]  MDCCCLVII  [1857].  2  vol.  in-16. 

Tome  I  :  clj  et  200  pp.  —  Tome II :  599  pp. 
On  trouvera  le  Blason,  t.  II,  pp.  14 $-196. 


18.  Les  Drois  nouveaulx  establis  sur  les  femmes. 
[Paris,  vers  1490 .?] 

Les  nouveaulx  Droitz  de  Guillaume  Coquillart  tiennent  par  plusieurs 
côtés  du  sermon  joyeux;  ils  étaient  évidemment  destinés,  comme  Le 
Plaidoyé  d'entre  la  Simple  et  la  Rusée  et  comme  VEnqueste,  à  égayer 
une  société  de  clercs  ou  de  bazochiens  dont  les  réunions  avaient  lieu 
le  jeudi,  et  qui  comprenait  à  demi-mot  les  allusions  malignes,  les  ex- 
pressions si  obscures  pour  nous  du  poète  rémois.  Cependant  la  longueur 
du  poème  n'aurait  pas  permis  à  un  acteur  de  le  réciter  sans  s'épuiser. 
Les  nouveaulx  Droitz  devaient  être  lus,  et  l'auteur  le  dit  expressément  à 
la  fin  de  sa  première  partie  : 

Et  consequemment  sera  leue 

Aultre  rubriche,  De  Pactis, 

Et  d'aultres  tiltres  cinq  ou  six  ; 

Mais,  pour  ce  qu'il  est  tard,  je  dy, 

Veu  que  estes  tous  endormis,  1255 

Qu'il  vault  mieulx  attendre  a  jeudy. 

Les  nouveaulx  Droitz  de  Coquillart  n'appartiennent  donc  pas  au  théâtre  ; 
mais  un  poète  contemporain  a  composé  sous  le  même  titre  une  pièce 
qui  devait  être  récitée,  comme  l'indique  bien  le  début  : 


LE    MONOLOGUE   DRAMATIQUE.    —    Il  399 

Esveillez  vous,  esperlucatz, 

Portans  brodequins  et  pentouffles  ; 

Procureurs,  jeunes  advocatz, 

Esveillez  ainsi  comme  escouffles  ; 

Venez  céans  trestous  par  couples  j 

Et  escoutez  les  nouveaulx  droictz, 

Car,  ains  que  d'icy  me  descouples, 

Vous  diray  les  nouvelles  loix. 

L'acteur  fait  donc  appel  aux  spectateurs  et  annonce  qu'il  se  retirera 
quand  il  sera  au  bout  de  son  discours. 

Le  poète  est  sans  nul  doute  un  Parisien,  car  il  parle  des  Billettes  et 
de  Saincte-Croix  (v.  27),  des  Jacobins  [V.  ^i',  du  Champ-Gaillard 
(v.  420I.  Il  écrit  en  strophes  de  huit  vers,  ce  qui  ne  l'empêche  pas  de 
s'approprier  des  vers  entiers  de  Coquillart,  par  exemple  celui-ci  (v.  12): 

C'est  de  jure  naturaly. 

(Coquillart,  éd.  d'HéricauIt,  I,  38.) 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  singulier,  c'est  que  l'auteur  parisien  reproduit,  à 
la  fin  du  sermon,  le  rendez-vous  que  Coquillart  donne  à  ses  auditeurs 
pour  le  jeudi  suivant.  Peut-être  faut-il  voir  dans  cette  assignation  une 
simple  facétie  : 

Nous  mettons  fin  aux  droitz  nouveaulx 
Establis  sur  femmes  et  hommes. 
Jeunes  gallans  et  jouvenceaulx,  435 

Bigotz  et  dévotes  personnes. 


Encore  plus  que  je  ne  dy, 

Portans  que  ne  perdons  nos  sommes. 

Le  demourant  aurez  jeudy.  440 


Bibliographie  : 


a.  —  Les  Droisnouueaulx  establis  surles  femmes.  S.l.n.d.  [v.  i  joo.?], 
pet.  in-4  goth.  de  8  ff.  de  26  lignes  à  la  page. 

Au  titre,  une  figure  en  bois. 
Brunet,  II,  838. 

b.  —  Les  drois  nouue  ||  aulx  establis  sur  les  femmes. —  Finis.  S.  l.  n. 
d.  \v.  1520?],  pet.  in-8  goth.  de  8  fï.  de  28  lignes  à  la  page  pleine, 
sign.  A. 

Biblioth.  nat.,  Y.  n.  p.,  Rés. 


400 


É.    PICOT 


c.  —  Les  drois  nouueaulx  ||  establis  sur  les  femmes.  —  Explicit.  S.  l. 
n.  d.  [v.  1 5  20  ?],  in-4  golh.  de  8  ff.  de  34  lignes  à  la  page,  sign.  A-B. 

Les  derniers  mots  du  titre  :  sur  les  femmes  sont  imprimés  en  très  petits  ca- 
ractères. —  Au-dessous  de  l'intitulé,  un  bois  représentant  une  femme  debout, 
tenant  une  rose  à  la  main.  Derrière  cette  femme  on  aperçoit  une  église  monu- 
mentale; au-dessus  est  une  banderole  restée  vide. 

d.  —  Les  Droits  nouueaulx  establis  sur  les  femmes.  —  [A  la  fm  :] 
Imprime  a  Rouen  par  lelmn  Barges  le  ieune.  S.  d.  [v.  1520],  pet.  in-4 
goth.  de  4  ff.  de  33  lignes  à  la  page,  impr.  à  2  col. 

Cette  édition  est  incomplète  des  vers  421-428. 

Biblioth.  de  S.  A.  R.  Mgr  le  duc  d'Aumale  (Cat.  Cigongne,  n»  667.) 

e.  —  Joyeusetez,  1830  (dans  le  vol.  qui  contient  la  Complaincte  de 
Trop  Tosî  Marié,  etc.). 

/.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  françaises,  II,  123-1 39. 

g.  —  Recueil  de  pièces  rares  et  facétieuses,  anciennes  et  modernes  [publié 
par  Ch.  Brunet].  (Paris,  A.  Barraud,  1872-1875,  4  vol.  in-8),  III,  11, 
1-25. 


19.  La  grand  Loyaulté  des  Femmes. 
[Rouen,  vers  1500?] 

Cette  composition,  restée  jusqu'ici  inconnue,  est  une  diatribe  sati- 
rique qui  ne  s'éloigne  guère  d'une  foule  d'autres  pièces  du  même  genre. 
M.  Paul  Meyer  nous  fait  observer  que  le  début  reproduit,  avec  quelques 
légers  changements,  un  dit  du  xiii''  siècle,  Le  Blasme  des  famés,  dont 
on  possède  cinq  rédactions  plus  ou  moins  développées  '  : 

Qui  prent  a  femme  compaignie 

Ne  fait  pas  sens,  mais  grant  folie; 

Cil  qui  a  femme  met  sa  cure 

Son  grief  et  sa  perte  procure 

Et  se  met  en  grant  adventure.  5 


1.  Voy.  Remania,  VI,  499*500. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II  4OI 

Escouter  veuillez  leur  nature 

Et  aussi  leur  grant  loyaulté; 

Je  vous  en  diray  vérité  ; 

Et  qui  croire  ne  me  vouldra, 

Marié  soyt,  si  le  sçaura.  10 

Qui  met  en  femme  son  entente 

Il  acquier[t]  de  soucy  la  rente... 

Elles  sont  souvent  adirées 

Et  en  a  l'amy  ce  qu'il  veult, 

Dont  le  pouvre  mary  s'en  deult 

Et  ce  le  met  fort  en  malan, 

Car  il  est  appelle  Jouan. . .  60 

Voici  la  fin  du  sermon  : 

Et  qui  obeist  a  ses  ditz, 

Ce  luy  est  ung  droit  paradis, 

Et  la  doyt  chérir  et  aymer 

Du  bon  du  cueur,  sans  point  d'amer.         210 

Aussi  celluy  qui  l'a  mauvaise, 

Foy  que  je  doy  a  sainct  Nicaise, 

S'il  la  veoit  morte  ou  noyée, 

N'en  dev[e]royt  pleurer  journée, 

Nompas  se  au  marché  aux  Veaux  2 1  <, 

Estoit  bruslée  pour  tous  maulx, 

Affîn  que  autres  se  gardassent 

De  faire  maulx  et  s'avisassent. 

Prenez  y  garde,  je  vous  prie, 

Vous  tous  de  ceste  compaignie.  220 

Les  allusions  à  saint  Nicaise  et  au  marché  aux  Veaux  prouvent  que  le 
poème  a  dû  être  composé  à  Rouen.  C'est  sur  la  place  aux  Veaux  qu'a- 
vaient lieu  d'ordinaire  les  exécutions  capitales.  Voy.  Farin,  Histoire  de  la 
ville  de  Rouen,  1731,  I,  i,  181. 

Bibliographie  : 

J^  La  grâd  loyaul  H  te  des  Femmes.  —  C  Finis.  S.  l.  n.  d.  [vers 
1525],  petit  in-8  goth.  de  4  fF.  de  23  lignes  à  la  page  pleine,  sign.  A. 

La  pièce  n'a  qu'un  simple  titre  de  départ;  le  recto  du  premier  feuillet  con- 
tient 18  lignes  de  texte. 

Biblioth.  de  M.  Léon  Techener  à  Paris  (excmpl.  de  Yemeniz,  de  M.  le  mar- 
quis de  B.  de  M.  et  de  M.  Paradis). 

Le  Supplément  au  Manuel  du  Libraire  cite  cette  pièce  d'après  le  même  exem- 
plaire, mais  les  auteurs  Pont  confondue  avec  un  autre  poème,  entièrement  diffé- 
rent, qui  porte  le  même  titre. 

Romania,  XV.  :6 


402 


É.    PICOT 


20.  Sermon  nouveau  et  fort  joyeulx  auquel  est  contenu 

LES    MAULX   QUE    l'HOMME    A    EN    MARIAGE. 

\ Paris ^  vers  1 500.] 

Cette  pièce,  inspirée  par  Les  quinze  Joyes  de  mariage^  nous  paraît  ap- 
partenir à  la  fin  du  xv®  siècle  ;  elle  est  divisée  en  deux  parties  de  façon 
à  permettre  à  l'acteur  de  reprendre  haleine.  En  voici  le  début  : 

In  nomine  Bachi  Sileni. 
Matrimonia  matiimonia 
Mala  producunl  omnia. 

Le  thesme  qu'ay  cy  recité, 

Extraict  d'ung  livre  bien  dicté, 

Nommé  Les  Joyes  de  mariage,  5 

Vault  autant  en  commun  languaige 

Que  qui  diroit  par  mocquerie  : 

L'homme  est  bien  fol  qui  se  marie. 

La  fin  indique  clairement  que  la  composition  est  parisienne  : 

Or  prions  [a]  Dieu  qu'en  cest  estre 

[II]  doint  patience  aux  marys, 

Mesmement  a  ceulx  de  Paris  : 

Noz  voysins  nous  sont  de  plus  près. 

Et  puis  ilz  prirent  Dieu  après  300 

Pour  vous,  la  sus  en  paradis, 

Les  sainctz  martyrs.  A  Dieu  vous  dis. 

La  paix  des  chiens  soyt  avec  vous  ! 

Le  dernier  vers  rimait  peut-être  avec  le  premier  vers  d'une  moralité. 

Bibliographie  : 

a.  —  Sermon  nouueau  et  fort  ioyeulx,  auquel  est  contenu  tous  les 
maulxque  Ihoinme  a  en  mariage,  nouuellement  compose  a  Paris.  S.  l. 

n.  d.  [v.  I  ^00 .''],  pet.  in-8  goth.  de  8  fF.,  sign.  A-B. 

Au  titre,  un  bois  qui  représente  un  clerc  assis  dans  une  chaire  et  trônant  une 
tête  de  mort  devant  lui;  ce  personnage  prêche  à  une  assemblée  assise  à  gauche. 

Le  même  bois  est  répété  au  verso  du  titre. 

Au  verso  du  dernier  feuillet,  un  moine  assis  dans  une  chaire  et  prêchant  à 
une  assemblée  assise  à  droite. 

Biblioth.  de  S.  A.  R.  Mgr  le  duc  d'Aumale  (Gat.  Cigongne,  n°  71 1). 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    Il  40? 

/'.  —  Sermon  nouueau  et  fort  ioyeulx  auquel  est  contenu  tous  les 
maulx  que  Ihomme  a  en  mariage.  Nouuellement  imprime  a  Paris.  S.  d. 
rcrs  1  $00  .?],  pet.  in-8  goth,  de  8  ff. 

Cat.  La  Vallière,  par  De  Bure,  II,  n»  309$,  dans  un  recueil  acheté  pour  la 
Bibliothèque  du  Roi, mais  qui  ne  s'y  retrouve  pas  aujourd'hui.  Nous  empruntons 
notre  description  aux  notes  manuscrites  de  Van  Praet. 

c.  —  Poésies  des  xV  et  xvi^  siècles  publiées  d'après  des  éditions 
gothiques  et  des  manuscrits.  Paris,  chez  Silvestre.  llmprimerie  Crapelet.] 
i8î2.  Gr.  in-8  goth.  N°  5. 

d.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  françaises,  \\\,  $-17. 


21.     Nouveau    et   joyeux   Sermon    contenant  le    ménage   et   la 
charge  de  mariage,  pour  jouer  a  une  nopce,  a  un  personnage. 

[Vers  1 500.] 

Cette  pièce  reproduit  une  enumération  dont  la  littérature  du  moyen 
âge  offre  d'assez  nombreux  exemples.  Après  Le  Dit  de  ménage^  et  VOus- 
tillement  au  villain-,  on  peut  citer  Le  Ditté  des  choses  qui  f aillent  en  ménage 
et  en  mariage^,  Les  Ténèbres  de  mariage^,  et  surtout  La  Complaincte  du 
nouveau  marié,  lequel  marié  se  complainct  des  extencilles  qu'iluy  fault  avoir 
en  son  mesnaigei.  Notre  auteur  s'est  particulièrement  inspiré  de  la  Com- 
plaincte, dont  il  a  reproduit  presque  sans  aucun  changement  plusieurs 
vers. 

Le  sermon  commence  ainsi  : 

Libertas  est,  et  catera. 

Ces  parolles  on  trouvera 
Au  livre  des  tripes  d'un  veau 
Qui  jadis  fut  faict  de  nouveau, 


1.  Le  Dit  de  Ménage,  pièce  en  vers  du   xiil"   siècle,   publiée  par  M.  Ticbucïcn 
(Paris,  Silvestre,  183$,  in-8). 

2.  De  rOuslilkment  au  villain  {xnv-  siècle],  public  par  M.  Monmerqué  (Paris 
Silvestre,  183  ^,  in-8). 

3.  Jubmal,  kouveau  Recueil  de  Contes,  Ditz  et  Fabliaux,  II,  161 -i6q 

4.  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  françaises,  I,  17-32. 
5    Ibid.,  I,  218-228. 


404  É.    PICOT 

Capitula  plein  d'herbe  vende,  5 

Folio  illuminé  de  merde. 
Il  est  écrit  en  mondit  livre 
Que  qui  veut  joyeusement  vivre 
Se  doit  en  liberté  tenir... 

En  voici  les  derniers  vers  : 

Et  pour  ce,  nous  ferons  prière  165 

A  Dieu  qu'il  veuille  illuminer 

Tous  ceux  qui  sont  a  marier, 

Que  jamais  n'ayent  le  courage 

De  soy  ficher  en  mariage. 

Pour  éviter  tant  de  misères,  170 

Je  recommande  les  prières 

Qu'avez  accoustumé  de  faire. 

A  Dieu  vous  dis  ;  je  m'en  vois  boire. 

Bibliographie . 

a.  —  Cette  pièce  occupe  les  pp.  149-157  d'un  volume  intitulé  sim- 
plement :  Farce  nouuelle  très-bonne  et  fort  ioyeuse  du  Cuuier,  à  troys 
personnaiges.  A  Lyon,  16 19.  Pet.  in-8  de  173  pp. 

Biblioth.  royale  de  Copenhague. 

b.  —  Emile  Picot  et  Christophe  Nyrop,  Nouveau  Recueil  de  Farces 
françaises^  lxix-lxxi,  i  91-198. 


22.  Sermon  joyeux  de  la  Pagience  des  femmes  obstinées  contre 
leurs  marys. 

[Rouen,  vers  1 500.] 

Cette  composition  satirique  paraît  appartenir  à  la  fm  du  xv«  siècle  et  être 
restée  longtemps  populaire;  elle  est  citée  comme  telle  dans  Les  Cris  de 
Paris  d'Antoine  Truquet,  pièce  dont  la  plus  ancienne  édition  connue  est 
de  I  $45.  Un  texte  fort  altéré  de  ces  Cris,  le  seul  que  nous  ayons  entre 
les  mains,  porte  : 

Les  Babioles. 

Livres  nouveaux  !  [Livres  nouveaux  IJ 
Chansons,  ballades  et  rondeaux  ! 
Le  Passetemps  de  Michaud, 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —     Il  4O  5 

La  Farce  de  Maumarié, 

La  Pénitence  [sic]  des  femmes 

Obstinées  contre  leurs  maris  !  ' 

Le  sermon  commence  par  un  proverbe  que  l'on  retrouve,  à  peu  près 
dans  les  mêmes  termes,  au  début  de  la  Moralité  nouvelle  de  la  prinse  de 
Calais  [Recueil  de  Farces,  Moralités,  etc.,  publié  par  Leroux  de  Lincy  et 
Michel,  I,  no  6,  p.  4): 

Patience  passe  science  ; 

C'est  belle  chose  quant  je  pense 

Que  les  femmes  sont  si  [tres]sages 

De  faire  par  subtilz  usages 

Tout  le  vouloir  de  leurs  marys.  5 

Hz  le  feront,  par  sainct  Denys  1 

De  corne  soufflez  ;  (ce)  feront  mon. 

Hz  sont  couchez,  et  non  sont,  non... 

Le  prêcheur  rapporte  les  discours  de  plusieurs  femmes  qui  se  plaignent 
de  leurs  maris  et  termine  ainsi  : 

De  plorer  sont  assez  legiéres  135 

Et  de  boulier  grandes  ouvrières  ; 

Hz  ont  si  bel  entendement 

Qu'on  ne  les  cognoist  bonnement  ; 

Le  plus  sage  n'y  sçait  que  faire, 

Le  plus  fin  y  treuve  a  refTaire,  140 

Le  plus  rusé  n'y  entend  notte, 

Et  le  plus  simple  s'en  desporte: 

Le  plus  rouge  est  le  premier  prins. 

A  Dieu  vous  dis,  et  plus  n'en  dis. 

Bibliographie  : 

a.  —  CL  Sermon  ioy-  ||  eulx  de  la  patience  des  femmes  obstinées  || 
contre  leurs  maris.  Fort  ioyeulx  et  recréa  H  tif  a  toutes  gens.  —  C.  ^^nis- 
S.  l.  n.  d.  [Paris,  v.  1  $  10],  pet.  in- 8  goth  de  4  lï.  de  21  lignes  à  la 
page. 

Au  titre,  un  bois  qui  représente  un  homme  jouant  du  galoubet,  tandis  qu'une 
femme  et  un  page  l'écoutent.  A  droite,  un  roi  barbu,  sa  couronne  sur  la  tête 
et  son  sceptre  à  la  main,  se  tient  devant  un  arc  de  triomphe.  Ce  bois  se  retrouve 


1.  Voy.  Paris  ridicule  et  burles:}iie  au  dix-scptiane  siècle;  nouvelle  édition, 
revue  et  corrigée,  avec  des  notes  par  F.-L.  Jacob  (Paris,  Delahays,  1865,  in-16;, 
p.  320. 


406  É.    PICOT 

sur  le  titre  d'une  édition  des  Facccies  de  Pogc,  imprimée  par  la  veuve  de  Jehan 
Treppuei  à  Paris. 

Biblioth.  de  !eu  M.  ie  baron  J.  de  Rothschild  (Cat.,  I,  n«  589;  cf.  jll, 
n»  1771). 

b.  — Sermon  ioyeulx  de  la  ||  Patience  des  femmes  obstinées  con- 1|  tre 
leurs  maris.  Fort  ioyeux  f  recre- 1|  atif  a  toutes  gens.  S.  l.  n.  d. 
[v.  1 510],  pet.  in-8  goth.  de  4  ff.  de  21  lignes  à  la  page. 

Au  titre,  un  bois  représentant  une  femme  assise  sur  un  trône.  Cette  femme 
est  coiffée  d'un  capuchon  de  fou,  de  ce  qu'on  appelait  un  «  sac  à  coquillons  »  '■> 
elle  tient,  de  la  main  gauche,  un  paquet  de  verges  et,  de  la  main  droite,  un  livre 
que  lui  présente  un  clerc.  Derrière  le  clerc,  une  autre  femme  portant  également 
un  capuchon  de  fou.  Sur  le  premier  plan,  deux  canards. 

Mus.  britan.,  C.  22.  A.  5. 

c.  —  Sermô  ioyeux  de  la  Pacience  des  femmes  obstinées  contre  leurs 
marys  :  fort  ioyeulx  et  récréatif  a  toutes  gens.  S.  /.  n.  d.  [v.  1510], 
pet.  in-8  goth.  de  4  ff.  de  2  1  lignes  à  la  page. 

Au  titre,  un  bois  représentant  une  vieille  femme  qui  tient  une  quenouille. 
Près  de  cette  femme,  un  mendiant  appuyé  sur  une  béquille  et  suivi  d'un  cochon. 
Le  bois  est  encadré  de  deux  fragments  de  bordure  placés  en  hauteur. 

Édition  citée  par  M.  Brunet  et  reproduite  en  fac-similé  en  1830. 

^.  —  Sermon  ioyeulx  de  la  patience  des  femmes  obstinées  contre  leurs 
maris.  Fort  ioyeulx  et  récréatif  a  toutes  gens.  S.  /.  n.  d.  [v.  15 10], 
pet.  in-8  goth.  de  4  ff.  de  21  lignes  à  la  page,  impr.  en  lettres  de 
forme. 

Cat.  La  Vallière,  par  De  Bure,  II,  n»  3095,  dans  un  recueil  qui  ne  se  re- 
trouve plus  aujourd'hui.  Nous  donnons  notre  description  d'après  les  notes 
manuscrites  de  Van  Praet. 

e.  —  Sermon  ioy-  ||  eulx  de  la  paci  ||  ence  des  fémes  ||  contre  leurs 
maris.  —  C.  ^'"'^-  ■S-  ^  n-  à.  [Paris,  v.  1  $  1 5],  pet.  in-8  goth.  de  4  fï. 
de  26  lignes  à  la  page,  sign.  A. 

Le  titre  porte  le  même  bois  que  le  titre  de  l'édition  A  (on  en  trouvera  la 
reproduction  dans  le  Cat.  Rothschild,  I,  n»  589),  et  le  volume  a  probablement 
été  imprimé  à  Paris,  par  la  veuve  de  Jchati  Tnppird.  L'édition  est  cependant 
postérieure  à  A  en  raison  du  nombre  des  lignes  contenues  dans  chaque  page. 

Au  v"  du  titre,  un  bois  représentant  des  femmes  qui  sortent  d'une  tente,  près 
du  rivage  de  la  mer.  Ce  bois  se  retrouve  fréquemment  dans  les  vieilles  impres- 
sions populaires  ;  il  orne  notamment  une  édition  du  Débat  de  deux  Danwysellcs. 

Biblioth.  roy.  de  Dresde:  M.  jj.  q.  189  [Libn  rom.  et  ital.). 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II  4O7 

/.  —  Lagrâd  patience  des  |[  Femmes  otre  leurs  ||  maris.  Finis. — S.  l. 
n.  d.  [v.  151$],  pet.  in-8  goth.  de  4  ff.  de  23  lignes  à  la  page, 
sign.  A. 

Cette  édition  n'a  qu'un  simple  titre  de  départ;   le  r^  du    1"    f.   contient  16 
vers;  le  v^  du  dernier  f.  en  contient  18,  plus  le  mot  Fmis. 
Cat.  Didot,  1878,  n°  230. 

g.  —  Les  Œuures  de  Maistre  Guillaume  Coquillart,  1597  (voy.  ci- 
dessus,  n"  17). 

/;. —  Discours  ||  ioyeux  de  la  Patien-  ||  ce  des  Femmes  obsti-  ||  nés  [sic] 
contre  leurs  ||  maris.  ||  Fort  ioyeux  &  récréatif  a  ||  toutes  gens.  ||  A  Rouen, 
Il  Chez  Théodore  Rainsarî,pres  la  porte  du  ||  Palais,  à  F  Homme  armé.  S.  d. 
[v.  1600],  pet.  in-8  de  4  ff.  de  26  lignes  à  la  page,  sign.  A. 

Titre  encadré,  avec  un  fleuron  orné  de  deux  chimères. 
Biblioth.  municip.  de  Versailles,  E.  712,0.,  dans  un  recueil  contenant  plu- 
sieurs pièces  sorties  des  mêmes  presses. 

/.  —  Discours  II  ioyeux  de  la  pa  ||tience  des  fem- ||  mes  obstinées 
contre  ||  leurs  maris  ||  Fort  ioyeux  &  récréatif  ||  a  toutes  gens  ||  A  Rouen. 
Il  Chez  Loys  Costé,  libraire  rue  Es-  \\  cuyere  aux  trois  fff .  ||  Couronnées. 
S.  d.  [v.  1600],  pet.  in-8  de  4  ff.  de  26  lignes  à  la  page,  sans  sign. 

Titre  encadré,  dont  le  v^  est  blanc. 

Biblioth.  nat.,  Y -j- éi  18.  A(7).  Rés. ,  dans  un  recueil  qui  contient  douze 
pièces  publiées  par  Costc. 

j.  —  Sermon  ||  ioyeux  de  la  ||  Patience  des  ||  Femmes  obsti-  ||  nées 
contre  leurs  ||  maris  1|  Fort  ioyeux  &  récréatif  |1  a  toutes  gens  |1  A  Rouen, 
Il  Chez  Nicolas  Lescuyer,  près  le  grand  \\  portail,  nostre  Dame.  —  Fin.  S. 
d.  [v.  1600],  pet.  in-S  de  6  ff.  de  27  ligres  à  la  page,  sans  chiffr., 
réel.,  ni  sign. 

Le  titre,  dont  le  v»  est  blanc,  est  orné  d'un  encadrement  et  de  la  petite  marque 
de  Lescuyer avec  la  devise:  Ilâpovra  /a:  [AE^.Xovxa. 

Dans  le  coin  inférieur  de  droite,  on  remarque  le  chiffre  21. 
Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

k. —  Discours  ||  ioyeux  de  la  patien- 1|  ce  des  femmes  obsti- 1|  nés  [sic] 
contre  leurs  i|  maris.  1|  Fort  ioyeux  &  récréatif  à  ||  toutes  gens.  ||^ 
Rouen,  \\  Chez  Pierre  Mullot,  marchand  Libraire  \\  rué  Escuyere  au  nom  de 
lesus. — Fin.  S.  d.  [r.  1600],  pet.  in-8  de  8  ff.  de  26  lignes  à  la  page. 

Le  titre,  dont  le  v"  est  blanc,  est  orné  d'un  encadrement  et  d'un  fleuron. 


408  É.    PICOT 

Au  r°  du  j«  f.  commence  La   Complainte  du  temps  passé  par  le  commun  du 
temps  présent,  qui  occupe  les  4  derniers  fF. 
Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

.  —  Fac-similé  lithographique  de  l'édition  c  exécuté  en  1830  et  tiré 
à  40  exemplaires. 

m.  —  Joyeusetez,  1830. 

n.  —  Monl3\g\oT\^  Recueil  de  Poésies  frariçoises^  lU,  261-26-7. 


23.  Sermon  joyeulx  d'ung  Fiancé  qui  emprunte  ung  pain  sur 
la  fournée  a  rabattre  sur  le  temps  advenir. 

[Rouent,  vers  1 500.] 

Avant  de  raconter  l'histoire,  d'ailleurs  très  courte,  que  le  titre  indique, 
le  prêcheur  tonne  contre  le  monde  où  toutes  choses  vont  à  l'envers  ;  il 
entre  ainsi  en  matière  : 

Putruerunt  et  corrapte  sunt. 

Exposer  [vueil]  le  thème  au  long  ; 

[En]  dire  vueil  le  contenu. 

Mes  bons  amys,  j'ay  entendu 

Que  l'antechrist  est  desja  né  ;  5 

Le  dyable  l(uy)'  a  bien  amené; 

Il  vient  devant  qu'on  le  demande. 

Les  vers  4-7  sont  tirés  à  peu  près  textuellement  de  la  sottie  des 
Menus  Propos  (v.  457-460)  : 

Le  Second. 

Fuyons  nous  en  ;  j'ay  entendu 
Que  l'antechrist  si  est  ja  né. 

Le  Tiers 

Le  dyable  l'a  bien  amené, 

Car  il  vient  devant  que  on  le  mande. 

Quelques  lignes  plus  loin  nous  constatons  un  nouvel  emprunt  à  la 
même  pièce  : 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II  4^9 


Sirmon.  Menus  Propos 

LE   PREMIER 

Il  me  souvient  bien  que  ma  mère 
Il  me  souvient  bien  quant  ma  mère  j^j^^jj  ^^.^1,^  çj^qj^  p^eude  femme; 

Disoil  qu'elle  estoit  prude  femme  ;  ^^^-^  ^^^.j,  ^^  j^^^  p^^  Rostre  Dame, 

Mais  qu'il  en  soit,  par  Nostre  Dame,        j^  n'oseroie  de  riens  jurer.  420 

Je  n'oseroys  de  rien  jurer.  3  s 


Je  ne  suys  point  aise  a  crier  Je  ne  suis  point  aise  a  crier 

Se  ne  vous  dis  mon  cas  a  plain.  Si  je  n'ay  a  boire  a  la  main. 

Après  ces  facéties,  l'acteur  annonce  qu'il  va  faire  la  quête  : 

Or  ça,  chascun  tende  la  main  38 

A  la  bourse  ;  il  en  est  temps. 

Il  entre  ensuite  en  matière  et  raconte  l'histoire  du  fiancé,  histoire 
qu'il  termine  ainsi  : 

Voila  la  fin  de  mon  mignon  : 

Putruerunt  et  corruptc  sunt. 

Ung  chascun  [donc]  se  contregarde 

Et  a  son  fait  si  preigne  garde,  1 20 

Car  plusieurs  povres  trupelus 

En  ce  point  sont  souvent  deceuz, 

Chascun  le  congnoist  tout  a  plain. 

Allez  et  revenez  demain. 

Les  menus  Proposant  dû  être  joués  à  Rouen  au  mois  de  février  1461 
(voy.  notre  monographie  de  la  SomV,  p.  20;  Romania,  VIII,  251);  le 
sermon  est  nécessairement  postérieur  ;  il  est  probable  cependant  qu'il 
appartient  encore  au  xv^  siècle,  car  les  éditions  les  plus  anciennes  que 
nous  possédions,  éditions  qui  remontent  au  commencement  du  xvi^  siècle, 
sont  déjà  des  plus  fautives.  Quant  au  lieu  oij  la  pièce  aura  été  composée, 
rien  ne  l'indique;  mais  ce  sont  les  acteurs  rouennais  qui  devaient  le 
mieux  connaître  Les  menus  Propos. 

Bibliographie  : 

a.— Sermon  ||  ioyeux  dung fiance  q  ||  ëprunte  vng  pain  sur  ||  la  fournée 
a  rabatrejlsur  le  tëps  a  venir.  S.  l.  n.  d.  [v.  ijjoj.pet.  in-8  goth. 
de  4  ff . ,  fig.  sur  bois. 

Un  exemplaire  de   cette  édition,   acheté  par  Fernand  Colomb,  à  Turin,   le 


410  É.    PICOT 

14  janvier  ijji,  était  conservé  jusqu'à  ces  derniers  temps  dans  la  Bibliothèque 
Colonibine,  à  Séville.  Voy.  Harrisse,  Excerpta  Columbimana,  v  Sermon. 

b.—  Sermon  ioyeulx  dung  fiance  qui  emprunte  vng  pain  sur  la  fournée 
a  rabattre  sur  le  temps  aduenir.  S.  l.  n.  d.  [v .  1550],  pet.  in-8  goth. 
de  4  ff.  de  22  lignes  à  la  page. 

Cette  édition  n'a  qu'un  titre  de  départ,  mais  le  r"  du  i^''  f.  est  encadré  d'un 
double  filet. 

Au  v°  du  dernier  f. ,  deux  bois  disposés  côte  à  côte;  l'un,  placé  à  gauche, 
représente  trois  boules,  restes  d'un  cordon  qui  entourait  une  armoirie  ;  l'autre, 
à  droite,  représente  un  ermite  vu  à  mi-corps,  dans  un  cadre  rond.  Ces  bois 
sont  différents  de  ceux  qui  ornent  l'édition  a. 

Pour  remplir  l'espace  resté  vide  à  la  fin  de  la  plaquette,  l'imprimeur  a  ajouté 
au  sermon  une  tirade  de  25  lignes  en  vers  terminés  par  le  mot  point. 

Biblioth.  de  S.  A.  R.  Mgr.  le  duc  d'Aumale  {Cat.  Cïgongnt,  n°  710). 

c.J^  Sermon  ||  dung  fiance  qui  ||  emprunte  vng  pain  sur  la  fournée  a 
ra-  Il  batre  sur  le  temps  aduenir.  -  C".  Finis.  S.  l.  n.  d.  [v.  i  $  30]  pet. 
in-8  goth.  de  4  fï.  de  22  lignes  à  la  page. 

Au  titre,  une  marque  représentant  un  grand  P  entouré  de  rinceaux. 

Mus.  britann.,  C.  22.  a.  50,  dans  un  recueil  où  k  Sermon  est  réuni  au  Mono- 
logue des  nouveaulx  Sotz  de  la  joyeuse  tende,  lequel  ne  sort  pourtant  pas  des 
mêmes  presses. 

d.  —  Sermon  ioyeulx.  —  Explicit.  S.  l.  n.  d.  pet.  in-8  goth.  de  4  fî. 

Au  titre,  deux  petits  bois  placés  côte  à  côte  et  représentant,  l'un,  un  jeune 
clerc  à  longue  robe,  l'autre,  un  soldat  armé  d'un  sabre  grotesque.  Chacun  de  ces 
personnages  est  surmonté  d'une  banderole  restée  vide. 

Cette  édition,  qui  ne  contient  pas  les  25  vers  décasyllabiques  placés  à  la  fin 
des  précédentes,  a  été  reproduite  en  fac-similé  chez  Prudhomme  à  Grenoble.,  en 
1835,  et  tirée,  parles  soins  de  M.  le  vicomte  P.  C.  de  B.  [Colomb  de  Batines], 
à  42  exemplaires,  savoir:  32  sur  papier  vélin,  8  sur  papier  de  couleur  et  2  sur 
peau  vélin. 

e.~  Sermon  d'vn  I|  fiance  qui  em- 1|  pruntavn  pain  ||  sur  la  fournée,  à 
rabatre  1|  sur  le  temps  auenir.  ||  A  Rouen.  \\  Chez  Nicolas  Lescuyer,  près  le 
\\  grand  portail,  nostre  Dame.  —  Fin.  S.  d.  [v.  1600],  pet.  in-8  de 
4  ff.  non  chiffr.  de  27  lignes  à  la  page,  sans  sign. 

Titre  encadré,  dont  le  v°  est  blanc.  Ce  litre  porte  la  marque  de  Lescuyer 
représentant  une  tète  de  Janus,  enfermée  dans  un  cercle  formé  de  deux  serpents, 
et  accompagnée  de  la  devise  :  nâpovca  vi«l  fj.£XXovca. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    Il  41  I 

Dans  le  coin  inférieur  de  droite  se  trouve  le  chiffre  10,  qui  indique  la  place 
que  le  Sermon  devait  occuper  dans  les  recueils  de  Lcscujcr. 

Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles.—  Biblioth.  de  feu  M.  le  baron  James 
de  Rothschild  (Cat.  I,  n"  590,  art.  1). 

f.  —  Discours  ||  d'vn  Fiancé  qui  ||  emprunta  vn  pain  ||  sur  la  fournée,  à 
rabattre  ||  sur  le  temps  aduenir.  |(  Nouuellement  Imprimé  reueu  &  recor- 
rigé Il  de  nouueu  [sic].  \\  A  Rouen,  \\  Chez  Pierre  Mullot,  marchant  Libraire 

Il  rue  Escuyere  au  nom  de  lesus.  S.  d.  [vers  1600],  pet.  in-8  de  4  ff.  de 
27  lignes  à  la  page.  sign.  A. 

Le  titre,  entouré  d'un  encadrement,  est  orné  d'un  petit  bois  qui  représente 
une  femme  poursuivie  par  un  homme  près  d'une  porte. 

Le  y  du  titre  est  blanc. 

Les  4  ff.  qui  terminent  la  feuille  sont  occupés  par  le  Sermon  joyeux  des  Fri- 
ponn'urs  et  des  Friponnieres. 

Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

g.  —  Réimpression  exécutée  à  Paris,  par  Pinard,  en  i829jettirée  à 
60  exempl.  pour  MM.  Techener  [et  Aimé  Martin]. 

h.  —  Réimpression  exécutée  à  Grenoble,  \)^v  Prudhomme,  en  1855 

(voy.  d). 

i.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  françaises,  III,  5-10. 

y.  —  Recueil  de  Pièces  rares  et  facétieuses,  anciennes  et  modernes,  etc. 
[publié par  Ch.  Brunet]  (Paris^  A.  Barraud,  1872-1873,  4  vol.  in-8),  II, 
XXIII,   1-6. 


24.  Sermon  pour  une  nopce,  autrement  dit  ;  Discours  joyeux  pour 

ADVERTIR  LA  NOUVELLE  MARIÉE  DE  CE  QU'eLLE  DOIT  FAIRE  LA  PRE- 
MIERE NUiCT,  ou  Plaisant  Discours  et  Advertissement  aux  nou- 
velles MARIÉES  POUR  SE  BIEN  ET  PROPREMENT  COMPORTER  LA  PRE- 
MIERE nuict  DE  LEURS  NOPCES  ;  par  Rogcr  de  Collerye. 

[Auxerre,  vers  1 505.] 

Comme  Guillaume  Coquillart,  comme  Jehan  Pinard  et  comme  Jehan 
Molinet,  Roger  de  Collerye  appartenait  à  l'Église;  comme  eux  il  cultivait 
la  poésie,  et  il  ne  craignait  pas  de  traiter  des  sujets  plus  que  scabreux. 
Ce  sermon,  destiné  à  être  récité  à  la  fin  d'un  repas  de  noce,  est  un  eu- 


412  É.    PICOT 

rieux  monument  de  la  gaieté  de  nos  pères.  Le  titre  d'une  des  éditions 
que  nous  décrivons  ci-après  nous  apprend  que  les  vers  de  Roger  de 
Collerye  furent  intercalés  dans  un  ballet  lyonnais  du  commencement  du 
xviie  siècle.  Les  auteurs  de  ballets  aimaient  alors  en  effet  les  tirades  for- 
tement épicéas. 

Le  texte  du  sermon  est  emprunté  au  verset  i  i  du  psaume  xliv  et  pa- 
raîtra tout  à  fait  en  situation.  Les  mots  Audi,  filia  et  vide,  ont  été  plus 
d'une  fois  invoqués  par  les  prédicateurs,  entre  autres  par  frère  Robert 
Messier  dans  son  Adresse  de  salut  (Biblioth.  nat.,  ms.  fr.  1888),  et  l'on 
a  même  cru  au  xvii"  siècle  que  l'abbé  de  Choisy  les  avait  malicieuse- 
ment attribués  à  madame  de  Maintenon  (voy.  Brunet,  III,  424). 

La  pièce  commence  ainsi  : 


Le  Prescheur,  habillé  en  jemmc 
Theume  : 

Audi,  filia,  et  vide. 

Ce  theume  que  j'ay  dévidé 
Est  escript  d'une  grosse  plume, 
Aussi  pesante  qu'une  enclume, 
Et  d'un  vielz  psaultier  enfumé 
Je  l'ay  extraict  et  escumé, 
Affin  d'en  faire  un  bon  brouet. . . 


En  voici  les  derniers  vers 


Mais  si  quelqu'un  de  vous  s'abuse, 

Monstrez  que  vous  sçavez  la  ruze  , 

Comment  on  se  doibt  gouverner 

Affin  de  le  bien  yverner;  260 

Qu'il  me  soit  mené  et  guidé. 

Audi,  filia,  et  vide; 

Qui  sera  sans  dilation 

De  nostre  prédication 

L'achèvement,  et  bien  couché  265 

Ainsy  que  je  vous  ay  louché. 


Bibliographie 


a. —  Les  Œuures  de  maistre  ||  Roger  de  Collerye  home  tressauât  ||  natif 
de  Paris.  Secrétaire  feu  monsieur  Dauxerre  ||  lesquelles  il  composa  en  sa 
ieunesse.  Contenant  ||  diuerses  matières  plaines  de  grant  recreatiom  [sic] 
&  11  passetemps,  desquelles  la  déclaration  est  au  sec  ôd  ||  feullet.  1|  On  les 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    Il  4I3 

vend  a  Paris  en  la  rue  nenfue  \\  nostre  Dame  a  lenseigne  Faulcheur.  \\  Auec 
priuilege  pour  deux  ans.  ||  M. D. XXX. VI  [15^6].  —  Fin.  Pet.  in-8  de 
104  ff.  non  chiffr.  de  29  lignes  à  la  page,  impr.  en  lettres  rondes,  sign. 
A-N. 

Au  titre  la  marque  de  Pierre  Roffct  (Silvestre,  n»  1  ^0). 

Au  verso  du  titre  se  trouve  la  table. 

Le  volume  ne  contient  pas  d'extrait  du  privilège. 

Notre  pièce,  intitulée  :  Sermon  pour  une  nopce,  occupe  les  ff.  Fij-Fiiij. 

Biblioth.  nat.,  Y  4478.  Rés. —  Bibliotii.  de  feu  M.  le  baron  James  de  Roth- 
schild (Cat.,  I,  n"  517). —  Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. —  De  ces 
trois  exemplaires,  les  seuls  qui  soient  connus  aujourd'hui,  le  premier  est  incom- 
plet de  plusieurs  feuillets. 

b.  —  Les  Œuures  de  Maistre  Guillaume  Coquillart.  A  Paris,  1597. 
ln-8. 

Sur  ce  volume,  qui  paraît  avoir  été  imprimé  au  xviiP  siècle  et  dont  on  ne 
connaît  qu'un  seul  exemplaire,  voy.  ci-dessus  notre  n»  17.  La  pièce  de  Roger 
de  Collerye  y  est  reproduite  sous  le  titre  de  Sermon  pour  une  nopce,  c'est-à-dire 
qu'elle  est  directement  extraite  des  Œuvres  du  poète. 

c.  —  Œuvres  de  Roger  de  Collerye.  Nouvelle  édition,  avec  une  Pré- 
face et  des  Notes  par  M.  Charles  d'Héricault.  Paris,  Chez  P.  Janneî,  Li- 
braire. [Imprimerie  de  J.  Claye.]  MDCCCLV  [1855].  In-i6  de  xxxviiij  et 
287  pp. 

Le  Discours  occupe  les  pages  1 1 1-122. 

d.  —  Discours  1|  ioyeux  pour  ad-  |1  uertir  la  nouuel- 1|  le  mariée  de  ce 
quelle  doit  ||  faire  la  première  nuict.  ||  A  Rouen,  \\  Chez  Loys  Costé, libraire 
rué  Es  11  cuyere  aux  trois  -j-ff.  ||  Couronnées.  S.  d.  [v.  1600],  pet.  in-8 
de  4  fï.  de  27  lignes  à  la  page,  sign.  E. 

Les  vers  29-47,  68,  1 17-132,  18^-222,  253-262  manquent  dans  cette  édition. 
Biblioth.  nat.,  A  -|-  6118  A  (5).  Rés.,  dans  un  recueil  contenant  12  pièces 
imprimées  par  L.  Costé  et  dont  les  signatures  se  suivent  d'^l  à  M. 

e.  —  Sermon  |1  ioyeux  pour  ||  aduertir  la  ||  nouuelle  mariée,  de  ce  || 
qu'elle  doit  faire  la  H  première  nuict.  ||  A  Rouen,  \\  Chez  Nicolas  Lescuyer, 

Il  près  le  grand  portail  \\  nostre  Dame.  —  Fin.  S.  d.  [v.  1600],  pet.  in-8 
de  4  flF.  non  chiffr.  de  27  lignes  à  la  page,  sans  sign. 

Le  titre,  entouré  d'un  encadrement,  porte  une  petite  marque  de  Lescuyer^ 
réduction  de  celle  qu'a  donnée  Silvestre  (n"  986). 

Il  existe  de  cette  édition  deux  sortes  d'exemplaires.  L'exemplaire  de  M.  le 


414  É.    PICOT 

comte  de  Lignerolles  porte  sur  le  titre,  dans  le  coin  inférieur  de  droite,  le 
chiffre  10,  indiquant  la  place  que  le  Sermon  occupait  dans  les  recueils  mis  en 
vente  par  Lescuycr;  celui  qui  lait  partie  de  la  bibliothèque  de  feu  M.  le  baron 
James  de  Rothschild  (Cat. ,  I,  n°  590,  art.  8)  porte  à  la  même  place  le  chiffre  1 2. 
Le  texte  est  le  même  que  celui  de  Loys  Cosié. 

f.  —  Le  Plaisant  Discours  et  Aduertissement  aux  Nouuelles  Mariées 
pour  ce  [sic]  bien  et  proprement  comporter  la  première  nuict  de  leurs 
nopces,  recite  a  vn  Balet  par  vn  ieune  homme  Lyonnois  le  iour  du 
leudy  Gras  dernier.  A  Lyon.  1606.  Pet.  in-8  de  8  ff. 

Cette  édition  est  incomplète  des  v.  29-47,  '>7->32,  185-222. 
Cat.  de  Charles  Nodier,  n°  569. 

g.  —  Le  plaisant  Discours  et  Aduertissement  aux  nouuelles  Mariées. . . 
In-8  de  7  ff. 

Réimpression  à  25  exemplaires  exécutée  chez  Guiraudd]^  Paris,  en  1829, 
par  les  soins  de  M.  de  Montaran.  Le  texte  reproduit  par  l'éditeur  est  celui  de 
d,  bien  qu'il  ait  emprunté  le  titre  de  f. 

h. —  Le  Plaisant  Discours  et  Aduertissement  aux  Nouuelles  Mariées... 
A  Lyon.  In-8  goth.  de  xv  pp. 

Réimpression  à  60  exemplaires  exécutée  chez  J.  Pinard,  à  Paris,  en  iBjo, 
d'après  l'édition/.  L'avis  de  l'éditeur  est  signé  T.  (Trébutien.?). 

i.  —  Le  plaisant  Discours  et  Avertissement  aux  nouvelles  mariées.  A 
Lyon,  1606.  ln-8  goth.  de  xiv  pp.  et  i  f. 

Autre  réimpression  de  l'édition  f  exécutée  en  185 1  par  la  veuve  Berger-Le- 
vrault,  à  Strasbourg,  pour  le  libraire  Salomon  et  tirée  à  quelques  exemplaires. 


25.  Sermon  de  l'Endolmlle. 
[  Paris,  vers  1 5  20.  | 

L'histoire  des  commères  et  de  l'andouille  est  une  des  plus  ordurières 
qui  aient  pu  être  mises  sur  la  scène;  elle  témoigne  des  obscénités 
inouïes  que  pouvaient  se  permettre  les  acteurs.  En  voici  le  début  : 

Mon  thesme  c'est  :  Rejecti  sunt. 

Sotise  nous  a  huy  refaicts 

Pour  fonder  a  Sainct  Jehan  le  Rond 


LE   MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II  415 

La  confrérie  (de)  Sainct  Jehan  Lipais. 

On  ne  sçauroit  faire  trois  pets  5 

D'une  vesse  sans  alainer, 

Et  qui  voudroit  baiser  la  paix 

Auroit  de  quoy  boire  et  humer. 

Pendant  que  je  suis  de  loisir, 

Je  vous  veulx  racompter  et  dire  10 

Une  histoire  ou  prendrés  plaisir 

Et  qui  vous  fera,  je  croy,  rire. . . 

Le  jeu  de  mots  sur  Saint-Jean  le  Rond  ne  permet  pas  de  douter  que 
la  pièce  ne  soit  parisienne.  On  lit  du  reste  (v.  1 17-120)  : 

S'il  en  failoit  aultant  bailler 
A  celles  qui  n'en  ont  leur  soûl, 
Ce  seroit  assés  pour  aller 
De  Paris  jusques  en  Poitou. 

Le  monologue  finit  ainsi  : 

Sa  femme  et  sa  mère  alors  viennent 

Le  trousser,  qui  bien  se  souviennent 

Qu'il  fault  que  son  [oustil]  on  frote  ;  i  so 

Si  l'ont  froté  de  telle  sorte 

Avec  des  verges  par  tel  sy 

Qu'il  requit  pardon  et  mercy. 

La  servante  pareillement 

Fut  estrillée  proprement; 

Mais,  afin  que  ne  vous  ennuyé,  1 5  J 

A  Dieu  toute  la  compagny[e]. 

Bibliographie  : 

a.  —  Sermon  de  ||  landouille  nou- 1|  ueau  et  fort  ioy-eulx  ||  pour  rire. 
S.  l.  n.  d.,  pet.  in-8  goth.  de  4  fiF. 

Un  exemplaire  de  cette  édition,  qui  faisait  partie  d'un  des  précieux  recueils 
de  la  Bibliothèque  Colombine,  à  Séville,  et  qui  s'y  trouve  peut-être  encore, 
avait  été  acheté  par  Fernand  Colomb,  à  Lyon,  au  mois  d'août  1535.  Voy.  H. 
Harrisse,  Excerpla  Columbiniana^  w^  Sermon. 

b.—  Les  Œuures  de  Maistre  Guillaume  Coquillart,  1597  (voy.  ci- 
dessus  le  n"  17  . 

c.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  françaises,  IV,  87-93. 

Cette  réimpression  a  été  donnée  d'après  une  copie  qui  faisait  partie  d'un 


4l6  É.    PICOT 

recueil  de  sermons  joyeux,  copié  par  M.  Gratet-Duplessis,  et  qui  a  figuré  à  la 
vente  Baudelocque.  La  copie  paraît  avoir  été  exécutée  d'après  h. 

d.  —  Recueil  de  Pièces  rares  et  facétieuses^  anciennes  et  modernes,  etc. 
[publié par  Ch.  Brunet],  (Paris,  A.  Barraud,  1872-1873,  4  vol.  in-8), 
III,  VI,  1-8. 


26.  Sermon  joyeulx  pour  rire. 
[Rouen?  vers  1530.] 

Ce  sermon  commence  ainsi  : 

In  nomine  Patris  prima 

Et  Fin[i]  secunda, 

Barbara  pota  baston; 

J'ayme  Regina  Celorum. 

In  hoc  presenty  opère,  5 

Le  sens  d'un  Caiton  inspiré, 

Avec[que]  l'engin  d'une  bûche, 

Qui  soyt  desoublz  ma  capeluche  ! 

Omnya  subjesisti  su[b]  pedibus  ejus,  oves  et  bons.  Hec  vcrba  generaliter  desimo 
[sunt]  capitula. 

En  l'abaye  de  Sainct  Lo,  lo 

Les  carmes  [et]  le[s]  augustins, 
Cordeliers,  mesmes  jacobins, 
Toutes  gens  en  font  mention. . . 

Pour  montrer  que  tous  les  animaux  sont  soumis  à  l'iiomme,  le  prê- 
cheur cite  l'exemple  de  la  femme  : 

Sy  tost  que  nature  la  somme 
Souvent  se  renverse  soublz  l'homme. 

Telle  est  la  thèse  délicate  qui  est  développée  dans  la  plus  grande 
partie  du  sermon. 
Voici  les  derniers  vers  de  la  pièce  : 

Regardés  comme  il  en  print 

A  Paris  pour  l'amour  d'Eleine:  125 

Y  feist  destruction  villeinne 

Par  l'ardeur  d'amour  qui  le  print 

Que  luy  seul  en  combatant  vint. 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    11  417 

[Or],  le  pardon  que  Dieu  donna 

A  Romme  et  constitua  1  ?o 

A  son  bon  apostre  sainct  Pierre, 

Je  le  vous  donne,  et  l'aies  querre. 

La  mention  de  Saint-Lo  au  v.  11  semble  indiquer  que  le  monologue 
est  normand  ;  il  appartient  sans  doute  au  théâtre  de  Rouen. 

On  retrouvera  les  quatre  vers  en  latin  macaronique  par  lesquels  dé- 
bute le  prêcheur  en  tête  d'un  monologue  de  Jehan  d'Abundance,  Les 
quinze  grands  et  merveilleux  Signes  nourellcment  descendus  du  ciel  au  pays 
d'Angleterre  (voy.  ci-après  n''  ^9!  ;  ces  vers  faisaient  probablement  partie 
du  fonds  commun  des  auteurs  de  farces. 

Bibliographie  : 

a.  —  Biblioth.  nat.,  ms.  franc,  n"  24341  (La  Vallière,  63),  fol.  12, 
V-i  5,  r°. 

b.  —  Recueil  de  Farces,  Moralités  et  Sermons  joyeux,  publié  d'après 
le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Royale,  par  Leroux  de  Lincy  et  Fran- 
cisque Michel.  Paris,  Chez  Techener,  1837.  4  vol.  pet.  in-8. 

Le  Sermon  est  joint  à  la  farce  de  La  Rtjormercsse,  n"  17. 

27.  Discours  joyeux  des  Friponniers  et  Friponniéres. 
[Rouen,  vers  1 530.] 

Ce  sermon  de  friponnerie  est  des  moins  édifiants  ;  en  voici  le  début  : 

In  nomine  Patris,  silence, 

Seigneurs  et  dames,  je  vous  prie. 

Car  je  n'ai  pas  haute  loquence  ; 

In  nomine  Pûtris,  s\]ence\ 

Je  vous  feray  cy  en  présence  5 

Un  sermon  de  friponnerie  : 

In  nomme  Patris,  silence. 

Seigneurs  et  dames,  je  vous  prie. 

Je  ne  feray  qu'une  partie 

En  [la]  colation  présente  10 

Qui  sera  jointe  a  mon  attente 

En  bon  françois,  de  point  en  point 

Car  de  Intin  je  n'en  sçay  point. 


XV.  27 


41  8  É.    PICOT 

Le  prêcheur  parle  de  Paris,  de  Rouen,  de  Lyon,  d'Orléans  et  de 
Tours;  mais  la  pièce  est  certainement  rouennaise,  ainsi  que  le  prouve 
une  allusion  aux  Canards  : 

Vous  viendrez,  par  dévotion, 

Vous  toutes,  en  procession  :  i  jo 

Il  y  a  pardons  généraux, 

Dont  nous  portons  bulles  et  seaux, 

Donnez  de  souverains  prelatz, 

Autant  abbez  comme  canards. 

L'acteur  donne  lecture  de  ses  bulles,  qui  devaient  être  en  prose  comme 
celles  que  nous  avons  relevés  dans  le  Sermon  joyeulx  de  monsieur  sainct 
Velu  (n"  9),  et  termine  ainsi  : 

Jeunes  filles  qui,  en  bas  aage, 

Ont  esbranlé  leur  pucelage, 

Faisant  service  a  leurs  amis, 

Tous  ces  cas  cy  leur  sont  remis  170 

Et  pardonnez,  sans  faute  nulle, 

Ainsi  que  récite  la  bulle  ; 

Si  une  femme,  par  sa  prouesse. 

Est  de  son  mary  la  maistresse. 

Ou  qu'el  le  batte  a  chacune  heure  :  175 

Ouy,  pourveu  que  le  vilain  meure. 

Bibliographie  : 

a.  —  Les  Œuures  de  Maistre  Guillaume  Coquillart,  1597  (voy.  ci- 
dessus  le  n"  17). 

b.  —  Sermon  ||  ioyeux  des  ||  Friponniers  ||  et  Fripon-  ||  nieres.  ||  En- 
semble la  Confrarie  des  dits  Friponniers  ||  &  les  pardons  de  ladicte  Con- 
frarie.  1|  A  Rouen,  \\  Chez  Nicolas  Lescuyer,  près  le  grand  \\  portail,  nostre 
Dame.  —  Fin.  S.  d.  [y.  1600],  pet.  in-8  de  4  ff.  non  chiffr.de  2G  lignes 
à  la  page,  sans  sign. 

Le  titre  est  orné  d'un  encadrement  et  de  la  petite  marque  de  Lescuyer,  avec 
la  devise  :  Ilâoovia  xal  ;j.£X?.ovxa. 

Dans  le  coin  inférieur  de  droite,  on  remarque  le  chiffre  20. 
Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

c.  —  Discours  ioyeux  des  Friponniers  et  Friponnieres.  Ensemble  la 
Confrairie  desdits  Friponniers  et  les  Pardons  de  ladite  Confrairie.  A  Rouen, 
Chez  Richard  Aubert,  libraire,  rué  de  VOrloge,  deuant  le  Lyon  d'or.  S.  d. 
[v.  i6oo],  pet.  in-8  de  4  ff.  de  26  lignes  à  la  page,  titre  encadré. 

Un  des  coins  inférieurs  du  titre  porte  le  chiffre  13,  ce  qui  permet  de  croire 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    Il  4I9 

que  Richard  Aubert  a  publié  des  séries  de  pièces  facétieuses  dont   il   faisait  des 
recueils  comme  Lescuyer,  Coustuncr,  Costé,  Mullol^  Rainsard,  etc. 

Édition  réimprimée  en  1851. 

d.  —  Le  Sermon  ||  ioyeux  des  Fri- 1|  ponniers  et  Fri-  ||  ponnieres.  || 
Ensemble  la  Confrarie  desdits  Friponniers,  ||  &  les  pardons  de  ladite  |1 
Confrarie.  —  Fin.  Pet.  in-8  de  4  ff.  de  29  lignes  à  la  page. 

Ce  Sermon  est  imprimé  à  la  suite  du  Discours  d'un  fiancé  qui  emprunte  un  pain 
sur  la  fournie  {Rouen,  Mullot,  s.  d.,  mais  v.  1600),  et  occupe  les  quatre  der- 
niers feuillets  du  volume. 

Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

e.  —  Réimpression  exécutée  chez  Pinard,  à  Paris,  pour  le  libraire  Sil- 
vestre,  en  183 1,  et  tirée  à  42  exemplaires. 

/.  —  Moma\g\oTi,  Recueil  de  Poésies  françaises,  l,  147-153. 

g.  —  Recueil  de  Pièces  rares  et  facétieuses,  anciennes  et  modernes,  etc. 
[publiées  par  Ch.  Brunet]  (Paris,  A.  Barraud,  1872-1873,  4  vol.  in-8), 

III,  V,    I-    I. 

28.  Le  Caquet  des  bonnes  Chambrières. 
[Paris?  vers  1 530.] 

Cette  pièce  parait  avoir  subi  plusieurs  remaniements  successifs  qui  en 
ont  développé  et,  par  conséquent,  altéré  le  texte.  Un  certain  nombre 
de  vers  (208  et  suiv.)  se  retrouvent  à  peu  près  textuellement  dans  la 
Farce  des  Chamberiéres  qui  viennent  a  la  messe  de  cinq  heures  (Viollet  Le 
Duc,  Ancien  Théâtre  français,  II,  435,  439I.  Malgré  ces  remaniements, 
le  Caquet  a  conservé  la  forme  dramatique  ;  il  commence  par  le  triolet 
suivant  : 

Chamberiéres,  vueillez  moy  pardonner 

Si  je  pretendz  descouvrir  voz  finesses  ; 

Je  n'entends  point  les  bonnes  blazonner  : 

Chamberiéres,  vueillez  mo;y  pardonner 

Aux  maulvaises  je  vueil  le  tort  donner,  s 

Que  chascun  sçait  plus  communes  qu'asnesses  : 

Chamberiéres,  vueillez  moy  pardonner, 

Si  je  pretendz  descouvrir  voz  finesses. 

La  seconde  moitié  du  monologue,  prise  dans  diverses  farces,  est  en 
vers  de  huit  syllabes.  La  pièce  se  termine  ainsi  : 


420  .       E.    PICOI 

Une  aultrefoys  te  compteray 

De  ma  maistresse  bon  propos, 

Comment  elle  boit  a  plains  potz 

Quant  nostre  maistre  n'y  est  point, 

Comme  elle  chante  en  contrepoint 

Avec  son  aniy  par  amours  ; 

Mais,  pour  présent,  !e  temps  est  cours,  J40 

Heure  est  que  la  nappe  je  mette. 

A  Dieu  je  te  dis,  Guillemette. 

Nous  connaissons  de  cette  pièce  des  éditions  imprimées  à  Lyon  et  à 
Rouen,  mais  la  mention  de  Gentilly  au  v.  117  nous  montre  qu'elle  a  été, 
sinon  composée  à  Paris,  du  moins  arrangée  pour  un  théâtre  parisien. 

Bibliographie  : 

a,—  ^i;  Le  caquet  desbônescham- 1|  berieres/ déclarant  aucunes  finesses 
Il  dont  elles  vsent  vers  leurs  maistres  |j  et  maistresses.  Imprime  nou- 1| 
uellement  par  le  comman-  |j  demët  de  leur  secrétaire  1|  maistre  Pierre  || 
babillet.  —  CL  ^'«"-  S.  /.  n.  d.  \v .  1 530]  pet.  in-8goth.  de  8  fF.  de 
26  lignes  à  la  page,  sign,  A-B. 

Au  titre,  un  bois  d'un  docteur  assis  dans  une  chaire  et  tenant  un  livre  à  la 
main;  devant  ce  personnage,  un  clerc  agenouillé  étend  la  main  pour  prendre  le 
livre;  trois  autres  clercs  se  tiennent  debout  par  derrière.   Un    cartouche  placé 
dans  le  haut  de  la  composition  porte  ces  mots  :  MSxstn  Pier-  \  \  re  babillet. 
Au  v»  du  dernier  f.,  une  marque  portant  les  initiales  S.  M, 
Biblioth.  de  M.  le  baron  de  Ruble  (Cat.  de  Lurde,  n"  85). 

b.  —  Le  Caquet  des  bonnes  Chambrières  declairant  aulcunes  finesses 
dont  elles  vsent  vers  leurs  maistres  et  maistresses.  Imprime  par  le  cô- 
mâdemët  de  leur  Secrétaire  maistre  Pierre  Babillet.  fl  Auec  la  manière 
pour  côgnoistre  de  quel  boys  se  chauffe  Amour.  S.  l.  n.  d.  [v.  1530], 
pet.  in-8  goth.  de  8  fif.  de  26  lignes  à  la  page. 

L'addition  de  la  pièce  intitulée  De  quel  boys  se  chauffe  Amour  à  l'édition  b  et 
aux  suivantes  permet  de  considérer  l'édition  a  comme  plus  ancienne. 

Catal.  La  Vallière,  par  De  Bure,  n^  P95,  dans  un  recueil  acheté  par  la  Bi- 
bliothèque du  Roi.  —  Le  volume  ne  se  retrouvant  pas  aujourd'hui,  nous  don- 
nons notre  description  d'après  les  notes  manuscrites  de  Van  Praet.  M.  Brunet 
cite  la  même  édition  d'après  les  catalogues  Lang  et  Cailhava. 

c.  —  Le  Caquet  des  bonnes  Cnambrieres,  déclarât  aucunes  finesses 
dont  elles  vsent  vers  leurs  maistres  et  maistresses.  Imprime  par  le  com- 
mandement de  leur  secrétaire  maistre  Pierre  Babillet.  Auecq  la  manière 


LE    MONOLOGUE    DRAMATIQUE.    —    II.  421 

pour  cognoistre  dequel  boys  se  chauffe  Amours.  S.  l.  n.  d.  [y.   ijjo], 
pet.  in-8  goth.  de  8  ff.;  avec  fig.  en  bois  au  titre. 

Biblioth.  Méjanes  à  Aix,  n"  29SS0  (recueil). 

d.  —  ^L  Le  caquet  |!  des  bonnes  Chambrières 'déclarant  aucunes  fi-  I| 
nesses  dont  elles  vsent  |!  vers  leurs  maistres  <f  maistres  ]|  ses. Imprime  par 
le  com-  Il  mandement  de  leur  ||  Secrétaire  mais  '(^  tre  Pierre  ||  Babil-  ||  let. 
1 1  Item  vne  Pronostication  sur  les  |  [  Maries  ^  femmes  veufues,  1 1  CL  Auec  la 
manière  pour  con-  |!  gnoistre  de  quel  boys  se  |1  chaulfe  ||  Amour.  ||  C  0^^ 
les  vend  a  Lyon  en  la  mayson  ||  de  feu  Barnabe  ChaussardI  près  \\  nosîre 
dame  de  Confort  —  Finis.  S.  d.  [vers  1549],  pet.  in-8  goth.  de  12  ff. 
de  22  lignes  à  la  page  pleine,  sign.  A-C  par  4. 

La  Pronostication  sur  les  mariez  et  femmes  veiifves  est  accompagnée  de  cette 
mention  t  Pour  l'an  mil  cinq  cens  et  cinquante  »,  ce  qui  permet  de  croire  que 
l'édition  a  été  exécutée  en  1549. 

M.  Brunet  indique  à  tort  cette  édition  comme  ne  comptant  que  8  ff. 

Cat.  Didot,  1878,  n»  2!  5  (exemplaire  de  Nodier  et  de  Yemeniz). 

e. —  Le  Caquet  des  bonnes  Chamberieres,  declairant  aulcunes  finesses 
dont  elles  vsent  vers  leurs  maistres  et  maistresses.  Imprimé  par  le  com- 
mandement de  leur  secrétaire  maistre  Pierre  Babillet.  Auec  la  manière 
pour  congnoistre  de  quel  boys  se  chauffe  Amour.  A  Paris,  Pour  lean  de 
Lasîrc  demeurant  près  le  collège  de  Reims,  i  $77.  Pet.  in-8  de  8  ff.,  titre 
encadré. 

Edition  qui  présente  de  nombreuses  transpositions. 

Biblioth.  de  S.  A.  R.  Mgr.  le  duc  d'Aumale  iCat.  Cigongne,  n"  830). 

/.  —  Les  Œuures  de  Maistre  Guillaume  Coquillart,  1597  (voy.  ci- 
dessus  le  n"  17). 

g.  —  Le  !i  Caquet  ||  des  bonnes  Cham-  brieres  déclarant  [j  aucunes 
finesses,  dont  elles  vsent  vers  leurs  mai-  |j  stres  &  maistresses.  |]  Imprimé 
par  le  commandement  de  \]  leur  Secrétaire  maistre  jj  Pierre  Babillet.  || 
A  Rouen,  \  \  Chez  Loys  Costé,  Libraire  rue  \  \  Escuyere  à  l^ enseigne  des  trois  \  \ 
•|"p]-.  couronnées.  S.  d.  [v.  1600],  pet.  in-8  de  8  ff.  de  24  lignes  à  la 
page,  sign.  C. 

Titre  encadré  dont  le  v"  est  blanc. 

Biblioth.  nat.,  Y  61 18.  A  (3),  dans  un  recueil  où  se  trouvent  onze  autres 
pièces  imprimées  par  Costé,  et  dont  les  signatures  se  suivent  dM  à  M. 

11.  —  Le  Caquet  des  bonnes  chambrières  déclarant  aucunes  finesses 


422  É.    PICOT 

dont  elles  vsent  vers  leurs  maistres  et  maistresses.  Imprimé  par  le  com- 
mandement de  leur  Secrétaire,  maistre  Pierre  Babillet  A  Rouen,  Chez 
Nicolas  Lescuyer  près  le  grant  portail  nostre  dame  S.  d.  [v.  1600],  pet. 
in-8  de  8  ff. 

Edition  extrêmement  incorrecte,  oili  tous  les  vers  sont  transposés.  Le  titre 
porte  en  signature  le  chiffre  1 5,  lequel  indique  la  place  réservée  à  cette  pièce 
dans  les  recueils  de  Lescuyer. 

Biblioth.  de  S.  A.  R.  Mgr.  le  duc  d'Aumale  (Cat.  Cigongne,  n»  8j  i). 

i.  —  Le  II  Caquet  ||  des  bonnes  Cham-||briere[5/c],  déclarant  ||  aucunes 
finesses,  dont  elles  ||  vsent  vers  leurs  maistre  [sic]  \\  &  maistresses.  ||  Im- 
primé par  le  commandement  de  leur  Se- 1  j  cretaire  maistre  Pierre  Ba- 
billet, Il  A  Rouen,  \\  Chez  Pierre  Mulloî,  marchant  Libraire  rue\\Escuyere 
au  nom  lesus  [sic].  S.  d.  \v.  1600],  pet.  in-8  de8  flf.,  sign.  A. 

Le  titre,  dont  le  v°  est  blanc,  est  orné  d'un  encadrement  et  d'un  petit  bois 
qui  représente  un  homme  parlant  à  quatre  femmes.  Ce  bois  est  signé  des  ini- 
tiales A.  M.  R. 

Biblioth.  de  M.  le  comte  de  Lignerolles. 

j.  —  La  Méchanceté  des  Femmes,  auec  le  Caquet  des  Chambrières 
Ensemble  la  Lettre  d'vn  Gentilhomme  à  vne  Damoiselle  et  la  Response 
de  la  Damoiselle  au  Gentilhomme.  Plus  la  Lettre  d'escorniflerie.  A  Lyon, 
iouxte  la  copie  imprimée  A  Paris,  1650.  Pet.  in- 12  de  46  pp. 

Cat.  Béhague,  n°  1419. 

k.  —  Joyeuselez,  1830. 

/.  —  Poésies  desxv^  et  xvi^  siècles  publiées  d'après  des  éditions  go- 
thiques et  des  manuscrits.  Paris,  Chez  Silvestre.  [Imprimerie  Crapelet] 
1832.  Gr.  in-8  goth.  N»  2. 

m.  —  Montaiglon,  Recueil  de  Poésies  françoises,  V,  71-84. 

n.  —  Recueil  de  Pièces  rares  et  facétieuses,  anciennes  et  modernes,  etc. 
[publié par  Ch .  Brunet].  (Paris,  A.  Barraud  ,  1872-1873,  4  vol.  in-8), 
II,  V,  1-5. 

[A  suivre.) 

Emile  Picot, 


MÉLANGES 


SUL    METRO    DI    DUE   COMPONIMENTi    POETICI    DI    FILIPPO 
DE  BEAUMANOIR,  ED.    SUCHIER'. 

Il  Suchier  opina  che  il  verso  del  Lai  d'amours  (I,  cxlviii)  è  l'endeca- 
sillabo,  diviso  in  due  parti,  che  ci  permetteremo  di  chiamare  emistichii  ; 
di  7  -j-  4  sillabe,  quando  la  cesura  è  maschile.  Egli  considéra  quindi 
quai  normale  il  tipo 

I .   Nus  ne  puet  sans  bone  amor      grant  joie  avoir, 

ed  aggiunge  poi  che  il  poeta  si  permise  «  assez  souvent  »  di  dare  al 
primo  emistichio  otto  sillabe  in  luogo  di  sette;  p.  es. 

8.  E!  Dix,  dont  verroit  la  fierour      dont  el  me  hee. 

Esaminiamo  il  componimento.  Fra  152  versi,  di  cui  esso  consta,  ne 
troviamo  109  con  cesura  maschile.  Ora,  di  questi  solo  otto  (  1-6,  11,  17) 
sono  costruiti  secondo  il  primo  tipo;  loi  sono  dodecasillabi  (8  -|-  4). 
Una  taie  oscillazione  nel  métro  è  atta  a  destare  meraviglia.  Volendo  am- 
mettere  errori  di  copista,  gli  è  naturale  che  si  supporrebbero  piuttoslo 
nella  tenuissima  minoranza  che  in  una  maggioranza  cosi  imponente.  Ma 
poichè  gli  esempii  del  primo  tipo  ricorrono  tutti  cosî  vicini  l'uno  ail'  altro 
ed  anzi  nel  principio  formano  una  série  compatta  di  sei  versi,  è  difficile 
credere  che  per  un  caso  fortuito  il  copista  abbia  cosi  di  fréquente  sba- 
gliato  nei  primi  versi  e  scritti  correttamente  gli  altri  ;  non  si  puô  quindi 


I .  Œuvres  poélicjues  de  Philippe  de  Remi,  sire  de  Beaumanoir  [Société  des  an- 
ciens textes  français),  vol.  I,  1884;  vol.  II,  1885. 


424  MÉLANGES 

a  meno  di  pensare  ad  un  proposito  deliberato.  È  possibile  quindi  che  si 
sia  dapprima  tentato  l'endecasillabo  ;  ma  ben  tosto  il  primo  emistichio 
abbia  ceduto  ail'  influenza  potentissima  dell'  ottosillabo.  Dico  «  si  sia 
tentato  »,  perché  due  suppozioni  possono  farsi  :  o  il  poeta  stesso  co- 
minciô  coU'  usare  l'emistichio  di  setîe  sillabe  e  non  tardô  a  scivolare  in 
quello  di  otto;  0  egli  usô  costantemente  il  verso  dodecasillabo  ed  un  ri- 
maneggiatore,  dopo  essersi  provato  a  rifare  il  componimento  con  altro 
raetro,  rinunciô  ben  tosto  alla  difficile  impresa.  Corne  che  sia,  pare  a  me 
(e  credo  parrà  anche  ad  altri)  poco  opportuno  il  considerare  quai  nor- 
male un  tipo  rappresentato  da  soli  8  versi,  di  fronte  ai  quali  si  dovreb- 
bero  registrare  ici  eccezioni.  Ne  conchiudo  chei  versi  del  Lai  con  ces. 
masch.  ci  danno  quai  tipo  normale  il  dodecasillabo,  composto  di  8  -[-  4 
sillabe  ;  i  due  accenti  d'obligo  vanno  adunque  sulia  ottava  e  sulla  decima- 
seconda  sillaba. 

Che  cosa  c'insegnano  i  versi  con  cesura  femminile?  Qui,  a  dir  vero, 
la  varietà  è  maggiore  ;  ciô  non  di  meno  pressochè  tutti  i  versi  confermano 
il  risultato  fmora  ottenuto.  Per  brevità,  non  citerô  le  opinioni  del  Suchier, 
che  in  parte  concordano  colle  raie,  ma  che  mi  sembrano  oscurate  dal- 
Pidea  preconcetta  che  il  tipo  normale  sia  l'endecasillabo,  quindi  col  primo 
accento  d'obligo  sulla  settima. 

Il  caso  più  semplice  è  quello  in  cui  il  secondo  emistichio  comincia  con 
vocale.  In  questi  V-e  metatonico  alla  fine  del  primo  emistichio  si  elide 
in  virtù  délia  vocale  che  ricorre  in  principio  del  secondo  emistichio.  An- 
che qui  abbiamo  dodici  sillabe.  Cosî  p.  es. 

7.  Que  voelle  ja  estre  m'amie      a  nés  un  jor 

ed  altri  sette  versi  :  41,  5 1 ,  68,  93,  124,  1 50,  1 5 1. 

Nel  caso  in  cui  il  secondo  emistichio  comincia  con  consonante^,  il  primo 
emistichio  ha  del  pari  quasi  sempre  il  primo  accento  suU'  ottava  sillaba, 
ma  rispetto  alla  sillaba  che  contiene  V-e  metatonico,  due  procedimenti 
sono  leciti  : 

1°  -e  forma  la  prima  sillaba  del  secondo  emistichio.  P.  es. 

18.  Ele  l'a  lonc  et  si  blancoie      comme  argent. 

D'eguale  struttura  sono  altri  20  versi  :  29,  30,  39,  46,  49,  $7,  59,  60, 
63.  65,  70,  72,  74,  NO,  112,  121,  132,  137,  140,  141. 

2°  -e  non  viene  computata,  a  quel  modo  che  non  si  computa  nella  ce- 
sura epica.  Il  verso  ha  dodici  sillabe  ed  una  ridondante  alla  cesura. 

10.  La  biauté  dont  mes  cuers  se  claimme      voel  deviser 


SUL  METRO  Dl  DUE  COMPONIMENTI  POETICI  DI  F.  DE  BEAUMANOIR      425 

D'eguale  struttura  sono  altri  nove  versi  :  4^,  53,  81,  98,  103,  108, 
1 18,  1 19,  149. 

Abbiamo.  quindi  fra  si  '  versi  con  ces.  fem.,  non  meno  di  39C0I- 
l'accento  sulP  ottava  sillaba  del  primo  emistichio  ;  rimangono  soli  tre,  i 
quali  hanno  1'  accento  sulla  settima.  Rispetto  ail'  -e  anche  qui  i  due  pro- 
cedimenti  suindicati  : 

I"  -e  è  la  prima  sillaba  del  secondo  emistichio.  Due  versi  : 

1 5.  Dix  !  com  sont  de  belc  assise      ses  oreilles. 

16.  Je  me  merveil  a  merveilles      de  son  col. 

2»  -e  non  viene  computata,  o  semmai,  essa  forma  parte  del  primo  emis- 
tichio, che  è  allora  d'otto  sillabe  con  cesura  lirica.  Un  verso  : 

9.   Ele  m'a  la  mort  donee       s'ele  ne  m'aime?. 

Dunque  iripetoi  5  versi  di  fronte  3396,  aggiunti  gli  8  con  ces.  masch., 
1 1  versi  con  accento  sulla  settima,  che  è  quanto  dire  di  tipo  endecasil- 
labo,  di  fronte  3141  con  accento  suU'  ottava,  che  è  quanto  dire  di  tipo 
dodecasillabo,  e  (sibadi  bene)  tutti  gli  undici  per  entro  ai  primi  17  versi. 
Potremo  continuare  a  dire  che  il  verso  del  Lai  è  l'endecasillabo  modifi- 
cato  0,  come  dice  il  Suchier,  «  deteriorato  »  con  moite  licenze  ?  Non  mi 
pare. 

Quello  che  fmora  si  è  esposto  trova  spplicazione  ancor  più  valida  ri- 
spetto ad  altrapoesia  di  Filippo,  la  /""•  Fatrasie.  Il  verso  di  questocompo- 
nimento  si  divide  in  tre  piccole  sezioni,  che  indicheremo  con  A,  B,  C. 
A  B  possono  considerarsi  quai  primo  emistichio,  C  quai  secondo.  A  e  B 
del  primo  verso  rimano  fra  dl  loro  ;  C  dà  la  rima  âd  AB  del  verso  se- 
guente  e  cosî  via;  C  dell'  ultimo  verso  è  senza  rima.  Cosi  p.  es. 

1.  En  grant  esvel       sui  d'un  conseil       que  vous  demant 

2.  Au  parlement       eut  asses  gent       de  maint  pais. 


1.  Veramente  43;  ma  escludo  il  52,  di  cui  tratto  nella  nota  seguente. 

2.  Si  potrebbe  rendere  identico  a  1  ^,  16  leggendo  el;  ma  non  è  necessario. 
Ricordo  qui  il  v.  152  che  a  prima  vista  sembra  identico  a  9,  ma  che  a  me 
sembra  esigere  un'  emendazione.  Il  v.  151  finisce  in  -a,  e  in  -a  deve  essere  la 
rimalmezzo  di  1^2.  Ora  il  codice  ha  : 

J'atendrai  tant  merchi,  dame      qu'il  vous  plaira. 

Per  ristabilire  l'ordine  consueto  délie  rime  leggo  :  fat.  t.  quU  v.  p.  d.  m.,  ed 
abbiamo  il  solito  dodecasillabo  con  cesura  maschile. 


426  MÉLANGES. 

Seconde  il  Suchier,  anche  qui  il  verso  sarebbe  endecasillabo;  con 
questo  perô  che  il  poeta  si  permise  di  fréquente  d'aggiungere  al  primo 
emistichio  [A  B)  una  sillaba  di  più.  Ma  l'esame  del  componimento  ci  di- 
mostra  tutl'  altra  cosa.  Incominciamodai  versi  con  césure  0  rime  interne 
maschili.  Dei  75  versi  délia  Fatrasie  non  meno  di  61  spettano  a  questa 
categoria.  Ora,  neppur  uno  di  essi  ha  undici  sillabe,  ma  tutti  ne  hanno 
dodici  ;  e  fra  questi,  non  meno  [di  59  sono  costruiti  come  i  due  primi 
pur  ora  citati  ;  cioè  4+4  +  4  coll'  accento  d'obligo  sulla  quarta  sil- 
laba d'ogni  sezione  ;  quindi  sulla  4%  8%  1 2>,  di  ciascun  verso  ' .  Dunque, 
il  tipo  considerato  normale  non  ricorre  mai,  e  quello  che  viene  conside- 
rato  come  prodotto  di  una  licenza  del  poeta  è  costante. 

Passiamo  a  studiarei  14  versi  con  césure  ossia  rime  interne femminili. 

Secondo  che  B,  C  cominciano  con  consonante  0  con  vocale,  avremo 
tre  casi  possibili  : 

Primo  caso  :  B  e  C  cominciano  con  consonante.  I  soliti  due  procedi- 
menti  : 

1°  -e  è  prima  sillaba  di  B,  C.  Due  versi  : 

5.  Cil  se  renvoise      peu  il  poise      du  froit  tans 
10.  En  la  taverne      me  governe      volenliers. 

2°  -e  non  viene  computata.  Il  verso  è  dodecasillabo,  con  due  sil- 
labe ridondanti  aile  césure.  Tre  versi  : 

9.  Bons  est  froumages      et  compenages       quant  il  yverne 
37.  Baissiés  vostre  ire  !       Saciés,  biaus  sire,       peu  en  donroie 
75.  Pour  riens  que  voie       plus  ne  diroie      de  ces  oiseuses. 


I.  Due  soli  hanno  S  +  3  +  4  • 

2$.  Se  ne  vous  gardés       vous  perdrés      tout  vostre  argent 
30.  Je  sai  bien  le  cant       d'Agoulant      et  de  Hiaumont. 

Abbiamo  adunque  quella  mancanza  di  simmetria  che  è  inisvitabile  negli  endeca- 
siliahi  provenzaii  e  trancesi  citati  dal  Bartsch  nella  Zatschrift  f.  rom.  Phil.,  II, 
\Ç)^  ss.  (p.  e^.  En  abriu  stsclaroill  na  contrai  pûscor^  0  Pastord  Usunboschcl 
trovai  scanl  ;  quasi  sempre  5  -|-  4  -|-  4,  molto  di  rado  4-1-5+4^.  Se  perô 
ci  ricordiamoche  tante  gli  endecasillabi  del  Bartsch  quanto  i  nostri  dodecasiilabi 
propriamente  sono  composti  di  due  parti  principali  (emistichii),  e  che  il  suddivi- 
dersi  del  primo  emistichio  in  due  sezioni  è  alcunchè  di  secondario,  di  accessorio, 
non  tardiamo  ad  awederci  che  la  struttura  del  verso  da  questa  varietà,  ricorrente 
per  cntro  al  primo  emistichio,  non  è  punto  sturbata  nella  sua  vera  essenza.  Le 
sillabe  sono  sempre  dodici  ed  i  due  accenti  principali  del  dodecasillabo  sono  al 
loro  posto  :  sull'  8"  e  la  12*.  Che  se  i  versi  che  presentano  questa  varietà  sono 
di  numéro  tenuissimo,  questo  non  è  motivo  sutficiente  per  metterne  in  dubbio  la 
lezione;  giacchè  fra  i  versi  con  cesura  lemm.  ne  troveremo  parecchi  con  questa 
particolantà  (5  :  9). 


SUL  METRO  Dl  DUE  COMPONIMENTl  POETICI  Dl  F.   DEBEAUMANOIR        427 

Seconde  caso  :  una  délie  due  sezioni  comincia  con  vocale,  l'altra  con 
consonante.  La  -t  dinanzi  vocale  si  elide  ;  quella  dinanzi  a  consonante 
consente  i  due  noti  procedimenti  : 

x"  -eh  prima  sillaba  délia  sezione  seguente  : 

38.  Je  n'oseroie      aler  la  voie      par  delà 

43.  Grant  reparlance      est  de  l'enfance       Lancelot. 

2"  -t  non  viene  computata.  Il  verso  ha  tredici  sillabe,  è  cioè  dodeca- 
sillabo  con  una  sillaba  ridondante  alla  cesura  : 

27.  Vostre  chemise      fu  gehui  mise      envers  l'envers. 

Terzo  caso  :  B  e  C  cominciano  con  vocale.  Fortuitamente  non  ce  n'è 
esempio;  ma  quando  pure  ce  ne  fosse  taluno^  nulla  offrirebbe  di  spéciale; 
ambedue  le  -t  s'eliderebbero. 

In  tutti  gli  Otto  versi  adunque  dodici  sillabe  (talvolta  con  una  o  due  di 
più  aile  césure  ;  gli  accenti  sempre  sulla  4%  8'',  !2^ 

Dei  sei  che  ci  rimangono  cinque  hanno  ar.zi  tutto  questa  particolarità 
che  l'accento  di  A  che  è  quanto  dire  l'accento  secondario  del  primo 
emistichio  è  sulla  terza  sillaba  ;  ne  risulta  una  leggiera  assimetria  fra  A 
e  B,  che  perô  non  disturba  gran  fatto  la  struttura  del  verso.  Distinguiamo 
di  nuovo  : 

Primo  caso  :  B  C  cominciano  con  consonante.  La  -e  di  A,  perché  in 
sezione  con  accento  sulla  terza,  spetta  ad  una  cesura  lirica  e  deve  quindi 
di  nécessita  far  parte  di  A;  in  B, sezione  con  accento  sulla  quarta,  sono 
teoreticamente  possibili  i  due  procedimenti  : 
i"  -^  è  prima  sillaba  di  C  : 

1 5.  Simple  et  coie,       moût  m'i  guerroie       vostre  amour 
55.  Geste  poise       decha  plus  poise      que  delà. 

2"  -e  non  viene  computata. 

Fortuitamente  non  ce  n'è  esempio.  .Se  ce  ne  fosse,  il  verso sa- 
rebbe  dodecasillabo  con  una  sillaba  di  più  alla  fme  del  primo  emistichio. 
Secondo  caso  :  Una  sezione  comincia  con  vocale,  l'altra  con  conso- 
nante. La  -e  dinanzi  vocale  si  elide;  quella  dinanzi  a  consonante  con- 
sente i  due  procedimenti  : 

i"  -e  è  prima  sillaba  délia  sezione  seguente  : 

13.  Dame  Aubree,       ou  est  alee       Marion 

62.  Quatre  vaille.       Il  ne  me  caille      se  tu  pers- 

2°  -e  non  viene  computata  : 

68.  Sire  maistre,      estes  vous  prestre.?      Gouronne  avrés. 


428  MÉLANGES 

Soli  questi  tre  versi  avrebbero  undici  sillabe  ;6S  con  sillaba  ridondante 
alla  cesural ,  e  i  due  primi  vengono  infatti  recati  dal  Suchier  quali  rap- 
presentanti  del  tipo  normale.  Ma  c'è  la  possibilità  di  eliminare  pur  questi, 
riconducendoli  al  1°  caso  ;  giacchè  la  pausa  logica  (specialmente  in  62) 
puô  motivare  l'iato';  leggiamo  A ubrec,  vaille,  ed  abbiamo  versi  identici  a 
15,  $  5  ;  leggiamo  maistrë,  ed  abbiamo  quell'  esempio  che  cercavamosopra 
(primo  caso,  2").  Sarebbero  adunque  cinque  versi  dodecasillabi  coi  due 
accenti  principali  sull'  8*  e  la  1 2^  e  (come  s'è  dettoj  solo  divers!  dagli 
altri  Otto  in  questo  che  l'accento  secondario  del  primo  emistichio  è  sulla 
terza. 

Resta  il  solo  verso 

47.  Douce  amie,  je  vous  prie      pour  Dieu  merci, 

nel  quale  non  solo  A  ma  anche  B  ha  cesura  lirica,  cioè  accento  sulla 
terza  délia  sezione  e  quindi  sulla  settima  del  primo  emistichio.  Il  numéro 
délie  sillabe  è  bensî  di  dodici,  come  sempre  ;  ma  quest^  unico  verso  si 
diversifica  dai  152  del  Lai  e  dagli  altri  74  délia  Fatrasie  per  la  sede  del 
primo  accento  principale.  La  proporzione  di  i  :  226  è  atta  a  generare 
dubbiezza  sull'  autenticità  di  quest'  unico  verso.  Accettando  l'iato  ai  vv. 
13,  62,  68  e  correggendo  in  qualsiasi  modo  il  v.  47,  avremoqualrisul- 
tato  :  Nella  Fatrasie  e  nel  Lai  il  verso  consta  di  due  emistichii,  l'uno  di  8 
e  l'altro  di  4  sillabe  ;  quindi  con  due  accenti  principali  sull'  8"  e  sulla  1 2^; 
nella  Fatrasie  il  primo  emistichio  si  suddivide  alla  sua  volta  in  due  se- 
zioni;  la  prima  ha  un  accento  secondario,  che  di  solito  è  sulla  4^,  tal- 
volta  sulla  j^".  L'~e  di  cesura  0  funge  quai  prima  sillaba  dell'  emistichio 
(sezione)  seguente  0  non  si  computa  ;  nel  secondo  caso  il  numéro  délie 
sillabe  (a  volerle  contare  meccanicamente)  cresce  di  uno  0  (nella  Fa- 
trasie] di  due. 

Approfitto  dell'  occasione  per  fare  alcune  osservazioni  di  lieve  mo- 
mento  ail'  edizione  in  ogni  rispetto  commendevolissima  délie  opère  di 
Filippo  curata  dal  Suchier.  Esse  risguardano  unicamente  il  romanzo  di 
Jehan  et  Blonde. 

Si  badi  ail'  uso  di  tenser  d'un  penser  (v.    472)  ;  et  estantier  d'un  p. 


I.  Si  confronti  il  v.  4361  délia  Manekine  ainsi  pleure^  ainsi  soupire  che  i'edi- 
tore  prima  rimuto  ed  ora  vuole  lasciare  intatto,  perché  la  virgola  permette 
l'iato.  Anche  al  v.  4936  di  Jehan  et  Blonde  : 

Sire,  on  vous  dist  voir  par  m'ame 

egli  poteva  per  lo  stesso  motive   astenersi  dal  mutamento,  del  resto  leggeris- 
simo,  di  on  in  Yon. 


SUL  METRO  DI  DUE  COMPONIMKNTI  POETICI  Dl  F.  DEBEAUMANOIR        429 

(V.  706)  ;  due  voci  per  esprimere  la  stessa  idea.  Forse  cosi  voile  l'autore 
in  servigio  délia  rime  riche;  ma  è  lecito  chiedere  se  non  si  debba  intro- 
durre  in  ambedue  i  luoghi  la  stessa  parola. 

94^,  Ai  !  mi  oel,  vous  m'avés  trai.  Poichè  in  francese  anlico  l'interje- 
zione  ai  è  quasi  sempre  bisillaba,  si  potrebbe  cancellare  mi. 

1 520  ss.  De  tous  les  jus  d'amours  s'aaiscnt  Fors  d'un  que  loiatés  despit; 
Pour  chou  le  metent  en  despit  Dus/ces  a  tant  ke  etc.  Mètre  en  despit  verrebbe 
a  significare  «  mettere  in  non  cale,  non  si  curare  ».  S'ha  da  leggere 
respit.  E  al  v.  5795  Li  cambre  vuide  sans  despit  si  farù  la  stessa 
emendazione  .?  0  finalmente  s'attribuirà  a  despit  il  valore  di  «  indugio, 
dilazione  «  ?  In  tal  caso  sarebbe  stato  utile  registrarlo  nel  Vocab. 

1872.   Preferirei  restes  (r  -+-  estes]  a  restés. 

2350.  De  l'alonge  en  valoir  u  mist.  0  /'/  0  più  semplicemente /e; 
giacchè  pare  che  il  copista  abbia  sbagliato  alcune  volte  da  le  a  //.  Anche 
al  V,  2683  preferirei  le  a  /'/. 

2929.  Mérita  essere  notato  il  pronome  personale  atono  in  principio 
di  proposizione.  Se  non  v'ha  errore  0  ommissione  d'una  coppia  di 
versi,  sarà  uno  dei  più  antichi  esempii  di  questa  costruzione. 

3078.  Cil  s'en  vont  que  de  riens  n'en  poise.  Il  dativo  sembra  indispen- 
sabile  ;  leggi  oui. 

3556.  seur  le  jons;  1.  les  (forse  errore  di  stampal. 

3621-22.  Car  maintenant  est  plus  de  mal;  Petit  est  mains  d'amour  loial. 
Cosî  il  codice  ;  l'editore  corresse  prima  mais;  ora  vorrebbe  leggere  et  mains. 
Mi  pare  assai  più  sodisfacente  la  prima  lezione  :  «  omai  (ai  tempi  che 
corrono)  c'è  poco  amor  leale  ».  Il  mains  è  sbaglio  del  copista,  originato 
dal  plus  del  verso  antécédente. 

Alla  domanda  ove  passi  la  notte  il  conte  di  Glocester,  il  marinajo  ris- 
ponde  : 

3768.  En  la  vile  au  chief  de  decha 

Qui  de  ci  un  cri  jeteroit 
5770.  A  son  ostel  oïs  seroit, 

Et  s'est  bien  de  nuit  une  lieuwe. 

Avant  que  du  port  se  deslieue, 

Puis  laisse  a  cest  port  quatre  espies. 

L^editore  corregge  ail'  ultimo  verso  Puis  in  Si.  lo  confesso  di  non  com- 
prendere,  e  muto  l'interpunzione.  Dopo  7opunto  0  almeno  punto  e  vir- 
gola.  Dopo  71  virgola  0  (volendo)  nulla;  dopo  72  punto  e  virgola;  al 
v.  73  rimanga  Puis.  U  marinajo  vuol  dire  che  il  conte  tutto  il  giorno  se 
ne  sta  nel  porto;  si  reca  poi  a  pernoltare  in  città  in  unalbergo  vicinis- 
simo.  E  prima  di  abbandonare  il  porto  aspetta  che  sia  passata  una  parte 
délia  notte  {une  lieuwe  de  nuit;  indicazione  di  luogo  a  designare  il  tempo  ; 


430  MÉLANGES 

come  chi  dicesse  un  miglio  di  notie^  una  lega  di  notie] ,  pot,  quando  cioè 
finalmente  si  décide  ad  andarsene,  lascia  ecc. 

Robin  è  carico  d'armi  e  si  duole  del  gran  peso;  ora  al  v.  3919  si 
legge  che  è  cargié  de  toile  et  de  fer.  La  tela  non  doveva  gravarlo  poi 
tanto.  Che  fosse  tôle? 

Jehan  abbatte  a  terra  il  conte  gravemente  ferito  ;  41 81  //  cols  moût  fu 
navrés  forment.  «  Il  collo  »  pare  singolare  ;  leggerei  li  cuens. 

4404.  Cavalli  uccisi,  cavalieri  a  terra;  altri  morti,  altri  feriti;  mains 
poms,  mains  puins  i  fu  copés.  Il  Vocab.  cita  questo  passo  e  spiega 
pommeau.  Ma  sembra  poco  conveniente  il  ricordare  qui  i  pomi  délie 
spade.  Leggerei  pies.,  cosî  frequentemente  usato  in  casi  simili  in  unione 
a  poins. 

Ad.  Mussafia. 


II. 


LE  POSSESSIF  TONIQUE  DU  SINGULIER  EN   LYONNAIS 

M.  J.  Cornu  s'étonne  (Rom^^z/'a,  1886,  p.  154)  que  je  n'aie  point 
cru  devoir  donner,  dans  la  Phonétique  Lyonnaise  au  XIV"  siècle,  l'expli- 
cation de  ce  qu'il  appelle,  non  sans  quelque  inexactitude,  «  l'adjectif  pos- 
sessif féminin  en  lyonnais.  '  >'  J'avoue  que  de  la  part  d'un  romaniste 
aussi  distingué  que  M.  Cornu,  ce  reproche  m'a  quelque  peu  surpris. 
Est-ce  qu'il  n'est  pas  de  règle  en  effet,  lorsqu'on  étudie  les  caractères 
phonétiques  d'un  dialecte,  d'éviter,  autant  que  faire  se  peut,  de  s'ap- 
puyer sur  les  formes  flexionnelles  ?  Et,  pour  me  réclamer  d'une  autorité 
dont  personne  ne  contestera  la  valeur,  est-ce  que  Diez  n'a  pas  renvoyé 
au  chapitre  de  la  Flexion  l'analyse  des  formes  du  possessif  dans  les 
langues  romanes  ?^. 

Aussi  bien  n'avais-je  pas  attendu  l'article  de  M.  Cornu  pour  signaler 
des  dérivations  dont  il  s'exagère  peut-être  un  peu  la  singularité,  mais 
qui  cependant  ne  sont  point  sans  présenter  quelque  intérêt  ;  seulement 
l'explication  que  j'en  donnais  différait  de  la  sienne  3. 


1.  Cette  dénomination  me  paraît  à  la  fois  trop  et  trop  peu  compréhensive: 
d'une  part,  en  effet,  deux  des  exemples  cités,  sur  trois,  se  réfèrent  au  pronom 
possessif,  et  d'un  autre  côté,  l'adjectif  possessif  proclytique  reste  en  dehors  des 
observations  de  M.  J.  C. 

2.  Gramm.  des  lan-^.  rom.,  II,  97. 

3.  Cf.  dans  la  Revue  Lyonnaise,  n»  de  juin  1885  (pp.  418-430),  Les  Bénéfices 


LE   POSSESSIF    TONIQUE    DU    SINGULIER    EN    LYONNAIS  4?  I 

L'auteur  de  la  Phonologie  du  Bagnard  dérive  le  lyonnais  la  min  du  no- 
minatif mej,    devenu  en  roman  mia. 

«  Si  l'on  considère,  ajoute-t-il,  que  \\i  tombe  dans  bateri,  cortesi, 
maladi,  il  est  clair  que  la  mia  a  dû  donner  la  mi,  devenu  la  min  par  l'in- 
fluence de  la  nasale  initiale.  « 

Quelque  ingénieux  qu'il  soit,  ce  raisonnement  ne  me  satisfait  point, 
non  pas  certes  que  la  production  d'un  n  non  étymologique  soit  chose 
rare  en  lyonnais,  —  bien  au  contraire,  les  exemples  qu'on  apporte  à 
l'appui  se  pourraient  aisément  multiplier,  —  mais  parce  qu'il  n'est  pas 
exact  de  dire  que  dans  notre  dialecte  1'^  tombe  régulièrement  après  / 
accentué.  C'est  même  le  contraire  qui  est  la  vérité.  Dans  les  Œuvres  de 
la  prieure  de  Polletins,  par  exemple,  la  règle  est  le  maintien  de  1'^,  dans 
cette  situation:  vw  vitam  (pp.  ]6,  39,  51,  54,  92),  largia  (p.  69),  en- 
durmia  (p.  77),  sevelia,  sevelya  (pp.  91,  92).  Il  en  est  de  même  dans  les 
textes  administratifs  des  xiii'  et  xiV  siècles  et  notamment  dans  le 
Terrier  du  chapitre  de  Saint-Jean,  le  Tarif  de  l'Octroi  de  Lyon,  vers  1295  ', 
la  Taille  communale  de  1^41  ^  et  le  Règlement  fiscal  ^^  i^  5 1  ?,  qui  m'ont 
fourni  les  formes  partia,  sallia  et  saillia.  Assurément  il  y  a  des  exceptions 
à  cette  règle  :  dans  certains  mots  Va  posttonique  a  disparu,  après  s'être 
d'abord  aminci  en  /,  comme  dans  ces  formes  I;tïrm7,/7e//e/drn,  draperii,  eic. 
du  Règlement  fiscal  de  1351,  mais  si  l'on  va  au  fond  des  choses,  on  ne 
tarde  pas  à  se  convaincre  que  ces  exceptions  sont  dues,  pour  la  plus  large 
part,  à  des  causes  qui  n'ont  rien  d'organique:  ou  bien  il  fallait  éviter 
une  confusion  possible,  et  l'on  a  prononcé  vi  via  m,  au  lieu  de  via  qui 
se  serait  confondu  avec  le'^dérivé  de  vitam  4,  ou  bien  les  formes  dépour- 
vues d'à  appartiennent  à  cette  classe  de  mots  savants,  pourrait-on  dire, 
où  le  suffixe  ariam  a  rejeté  son  accent  sur  !'/  et  qui  ont  pu,   dans  une 


du  chapitre  de  Saint  Jean  {de  Lyon)  à  Saint-Gcrmain  au  Mont-d'Or  et  h  Poley- 
mieux,  d'après  un  terrier  en  dialecte  lyonnais  du  Xllh  siècle.  Ce  terrier  contient 
(§§  27  et  28)  les  passages  suivants:  •  Item  Jaquemos  Derochi,  per  la  sin  partia 
de  la  terra  de  la  Buisseri...  Item  Guillermet  Derochi,  per  la  sin  part  de  la 
Buisseri...  »  A  ces  exemples,  on  en  pourrait  ajouter  bien  d'autres  ;  c'est  ainsi 
que  le  lis  dans  un  fragment  de  registre  terrier  conservé  aux  archives  du 
Rhône,  (partie  non  classée)  :  «  Item  Alys  Pascala  deit  VII  den.  vien.  per  una 
sin  vigni.  »  Voyez  aussi  la  Taille  communale  de  1341,  §  I34  {Remania,   t.   XIII, 

1.  Ce  tarif  se  trouve  au  nombre  des  pièces  pubbliées  par  M.  C  Guigue,  à 
la  suite  du  Cartulaire  municipal  de  la  ville  de  Lyon,  p.  419. 

2.  Romania,  XIII,  570. 

3.  Lyon-Revue,  nov.  1883. 

4.  Dès  que  la  confusion  n'est  plus  à  craindre,  Va  reparaît:  vies  vias.  On 
sait  que  l'adoucissement  de  a  en  e  devant  s  de  flexion  est  de  règle  en  lyonnais,  il 
faudrait  donc  se  garder  de  l'attribuer  à  l'influence  de  l'i  accentué. 


432  MÉLANGES 

certaine  mesure,  subir  l'influence  des  féminins  en  ariam  accentués  régu- 
lièrement, tels  que  lumeri  luminâriam  (Marguerite  d'OiNGT,  p.  40), 
pereyri  petrâriam,  cudurery,  etc.  [Romania,  XIU,  582,  573),  ou  bien 
enfm  il  s'agit  de  formes  qui  bien  évidemment  n'étaient  pas  populaires, 
telles  que  corîesi.  A  part  ces  exceptions  qui,  on  le  reconnaîtra,  sont  loin 
d'être  décisives,  la  persistance  de  Va  originaire  sous  sa  forme  latine  est 
la  règle.  Les  patois  actuels  sont  là  d'ailleurs  pour  en  témoigner,  eux  qui 
non-seulement  ont  maintenu  cette  voyelle  intacte,  mais  qui  même  l'ont 
accentuée  partout  au  détriment  de  1'/  qui  n'a  plus  aujourd'hui  que  la  va- 
leur d'une  semi-voyelle  dansamyd,  vyd,  pariyd,  invyd,jôlyd,  epyd  spicam, 
avartyd  et  tous  les  participes  passés  féminins  des  verbes  appartenant  à 
la  quatrième  conjugaison  '. 

Ce  que  dit  M.  J.  Cornu  de  la  chute  normale  de  1'^  après  /,  ne  s'ap- 
plique en  réalité  qu'aux  diphtongues  posttoniques  ea,  ia,  2  et  c'est  dans 
ce  fait,  pour  le  dire  en  passant,  que  se  trouve  justement  l'explication  des 
formes  proclitiques  mi,  si,  employées  dans  un  certain  nombre  de  textes 
lyonnais?. 

Pour  ce  qui  est  du  possessif  tonique,  au  contraire,  je  ne  vois  pas  pour- 
quoi r^  serait  tombé  dans  mia,  sia,  alors  qu'il  a  persisté  dans  vw,  partia, 
sallia,  etc. 

Jusqu'à  présent  j'ai  supposé  avec  M.  J.  Cornu  que  la  dérivation  dont 
je  m'occupe  avait  gardé  l'accentuation  du  type  latin  ;  mais  il  n'en  a  cer- 
tainement pas  été  ainsi.  Il  est  en  effet  di-  règle  en  lyonnais  que  l'e  tonique 
rejette  son  accent  et  se  transforme  en  semi-consonne,  lorsqu'il  est  immé- 
diatement suivi  d'une  voyelle,  soit  en  latin,  soit  en  roman,  de  telle  sorte 
que  mea  a  dû  produire  mià  de  même  que  pedem  a  donné  pid  et  Deum 
Diâ  (Romania,  XIII,  545)4. 


1.  Le  même  phénomène  s'est  produit  dans  le  patois  bugeysien  et  dans  celui 
de  la  vallée  de  Bagnes.  (Cf.  J.  Cornu,  Phonologie  du  Bagnard,  dans  la  Romania, 
VI,  575  et  E.  Philipon,  Patois  de  la  commune  ih  Jujuricux,   Bas-Bugcy,  p.  14). 

2.  il  serait  même  plus  exact  de  dire  que  \')oJ  a  transformé  Va  en  e,  puis  en  /, 
et  que  ia  diphtongue  ainsi  obtenue  s'est  réduite  par  la  suite  à  1. 

3.  Item  Johanna  Yvernona,  filli  czay  en  areres  Bernert  Yvernon,  deit  per 
sey  et  per  Peronella  si  serour,  dime  copon  de  froment.  (Fragment  d'un  Terrier 
lyonnais,  relatif  à  Saint-Maurice  de  Beynost  (Ain)  ;  Archives  du  Rhône,  partie 
non  cla:sée).  —  Peros  Durant  de  Meunay  deit  à  midama  l'abessa  dimey  bichet 
de  froment.  (Terrier  de  Mionnay,  dressé  en  1317.  Ibidem).  Cf.  Fragments  d'un 
Terrier  lyonnais  §§  47  et  60  dans  la  Romania,  t.  XIII,  p.  584. 

4.  Mia  ne  se  rencontre  point  à  la  vérité  dans  les  nombreux  textes  lyonnais 
que  j'ai  eu  l'occasion  de  consulter,  mais  j'ai  relevé  dans  un  terrier  relatif  préci- 
sément à  cette  paroisse  de  Mionnay,  où  se  trouvait  le  couvent  dirigé  par  l'auteur 
des  Visions,  l'adjectif  possesif  soa  qui  permet  sans  trop  de  témérité  d'admettre 
l'e.xistence  d'une  forme  mui  à  ia  même  époque,  c'est-à-dire  vers  la  fin  du  xiil^ 
ou  le  commencement  du  xiv-'  siècle  :  «   Primeriment  Guill.    Burdins  deyt     iv 


LE    POSSESSIF    TONIQUE    DU    SINGULIER    EN    LYONNAIS  4^3 

A  ce  double  point  de  vue,  je  rejette  donc  comme  entièrement  inad- 
missible la  forme  hypothétique  mî,  créée  par  M.  J.  Cornu  pour  les 
besoins  de  son  argumentation. 

L'explication  que  j'ai  donnée  dans  la  Revue  Lyonnaise  (n"  de  juin  1885) 
des  formes  du  possessif  tonique  a  ce  mérite  qu'elle  ne  va  à  l'encontre 
d'aucune  des  règles  qui  ont  présidé  à  la  formation  du  dialecte  lyonnais. 
Suivant  moi /j  min  dérive  de  l'accusatif  meam:  Ve  rejetant  son  accent 
et  prenant  le  son  d'/  semi-voyelle,  meam  a  passé  à  miàm  ;  sous  l'influence 
de  l'yod  l'a  s'est  adouci  en  e  et  l'on  a  eu  mien.  La  diphtongue  ie  s'est 
de  bonne  heure  réduite  à  /  devant  n,  comme  le  prouve  la  forme  S.  Ca- 
furin  Symphorianum  qui  se  rencontre  dans  le  Terrier  de  la  comman- 
derie  de  Chazelles  sur  Lyon,  lequel  porte  la  date  de  1290  ',  si  bien  que 
mien  peut  très  bien  avoir  donné  min  à  une  époque  où  d'ordinaire  ie  to- 
nique se  maintenait  encore  en  lyonnais. 

Quant  au  choix  de  l'accusatif  comme  type  de  dérivation,  il  constitue^ 
je  le  reconnais,  une  véritable  singularité,  les  dialectes  français  ayant  tiré 
leur  possessif  tonique  féminin  du  nominatif  (me/'e,  //  moie],  mais  il  n'a  rien 
cependant  d'absolument  anormal,  surtout  si  l'on  songe  qu'ainsi  que  le 
français^  plus  volontiers  même,  le  lyonnais  dérivait  de  l'accusatif  le  cas 
oblique  de  la  première  déclinaison-.  A  tout  prendre  d'ailleurs,  on  ne  voit 
véritablement  pas  pourquoi,  alors  que  le  possessif  tonique  masculin  a  été 
tiré  de  m  eu  m,  c'est  du  moins  l'avis  d'un  grand  nombre  de  romanistes, 
le  féminin  ne  pourrait  pas  provenir  de  meam. 

Dans  quelques-uns  des  patois  lyonnais  la  min  a  persisté  jusqu'à  nos 
jours  sans  recevoir  de  désinence  féminine:  je  citerai  notamment  les 
patois  de  Craponne  et  de  Saint-Genis-les-Ollieres  (Rhône),  où  le  possessif 
absolu  féminin  est  resté  la  min,  la  tin,  la  sin^  plur.  le  min,  le  tin,  le  sin. 
A  Lyon,  au  contraire,  on  écrivait  au  commencement  du  xviii"  siècle  la 
tina  [La  Ville  de  Lyon  en  vers  burlesques.  Lyon  1728). 


copes  de  froment,  a  la  mesura  de  Meonay  et  la  tierci  partia  d'una  ga!!ina,per  la 
mayson  et  per  la  vercheri  soa.  »  {Archives  du  Rhône,  partie  non  classée).  Cf. 
Fragments  d'un  Terrier  lyonnais,  §  12  :  «  E  deit  la  sua  partia  de  ij  gelines...  » 
{Romania,  XIII,  585). 

1.  C'est  ce  qui  est  arrivé  d'une  façon  générale  pour  les  prénoms  féminins  et 
pour  un  certain  nombre  de  vocables  topographiques.  Suivant  la  première  décli- 
naison :  je  relève  notamment  dans  un  terrier  de  la  fin  du  xiv«  siècle,  conservé 
aux  Archives  de  la  Côu-d'Ur  (B.  5701,  la  forme  Soumin  (Saguaani,  et  dans  le 
terrier  bressan  que  je  cite  plus  bas,  la  forme  MaUisolun.  Notons  de  plus  que 
les  exemples  qui  nous  sont  parvenus  de  la  min,  ta  sin  sont  tous  au  cas  oblique. 

2.  Cf.  dans  le  Tarif  d'octroi  de  1 295  .•  Sanl  Saphorin  et  dans  le  Règlement  fiscal 
de  135 1  ;  Czabatin  (Sebastianum). 

Romania,  XV.  28 


434  MÉLANGES 

Pour  ce  qui  est  du  possessif  tonique  masculin,  il  est  identique  au  fémi- 
nin :  en  voici  des  exemples,  tirés  de  textes  du  xiv"  siècle  : 

Item  se  aucons  drapers  de  la  dicta  cita  vost  marchiandar  d'atro  nieiter  que 
de!  SIX,  faire  o  porra.  {Reglanent  fiscal  de  1351,  §  7). 

Item  deit  .viij.  d.  pcr  .].  petit  de  curtil  qu'il  aquist  de  Johan  Boilliet  assis  josta 
io  curtilJohan  Chat  et  josta  lo  sin  curtil.  [Terrier  du  Temple  de  Maillisola,  dressé 
vers  i34i)'- 

L'explication  de  cette  forme  n'offre  pas  de  difficulté  :  m  eu  m  est  devenu 
miùm,  puis,  suivant  une  tendance  qui  a  acquis  dans  les  patois  actuels 
son  plein  développement,  la  nasale  un  a  passé  à  in  :  d'où  la  forme  miin 
bientôt  réduite  à  min. 

E.  Philipon. 


III. 
L'ADJECTIF-PRONOM   POSSESSIF  EN   LYONNAIS. 

Dans  le  tome  XV  de  la  Romania,  p.  \  54,  M.  Cornu  cite  trois  cas  de 
nasalisation  de  e,  a,  qu'il  attribue  à  l'influence  d'une  nasale  précédente. 
Ces  exemples,  tirés  de  Marguerite  d'Oyngt,  sont:  1°  la  min^  p.  36,  la 
sin^ip.  49';  2°  menais,  p.  675;  3°  manques,  p.  40.  M.  C.  s'appuie 
sur  une  analogie  de  faits  dans  le  bagnard,  où  sa  compétence  est 
incontestable. 

Je  ne  crois  pas  ces  faits  concluants  pour  l'existence  de  la  tendance 
signalée  par  M.  Cornu.  Il  ne  reste  en  lyonnais  aucune  trace  de  la  nasa- 
lisation ni  dans  menais  (aujourd'hui  mi-jor]  ni  dans  manques  (aujourd'hui 
maque)  ni  dans  aucun  mot  de  cette  catégorie.  Cette  tendance  à  la  nasa- 
lisation aurait  dû  pourtant  plutôt  se  développer  que  s'éteindre. 

Dans  l'ouvrage  où  M.  C.  a  pris  ses  exemples,  maques,  maque,  est 
écrit  cinq  fois  sansn  (p.  47,  59,  61,  62,  68)  et  médis  deux  fois  (p.  67 
et  70).  Les  deux  cas  cités  par  M.  C.  semblent  trop  isolés  pour  en  tirer 
une  conclusion. 

Les  exemples  que  M .  C.  donne  pour  le  bagnard,  outre  que  la  plupart 
ont  des  /,  tandis  que  dans  Marguerite  il  s'agit  de  e  et  de  <î,  ne  sont  nasa- 


1.  Ce  terrier  est  conservé  au.x  Archives  du  Rhône,  partie  non  classée.  Le 
Temple  de  Maillisola  était  situé  sur  le  territoire  de  la  commune  actuelle  de 
Druillat,  canton  de  Pont-d'Ain. 

2.  Auxquels  il  faut  ajouter  la  sin  dans  les  Conventioncs  {Romania,  XIII, 
p.  5801. 

3.  Le  chiffre  36,  donné  par  M.  C.  pour  celui  de  la  page  des  exemples 
mendis  et  manques,  est  sans  doute  une  faute  d'impression. 


ANT,    EN    LANGUE    d'oC  455 

lises  ni  dans  l'ouvrage  cité  ni  dans  le  lyonnais  actuel.  Le  bagnard  a  nin, 
tcnin,  venin,  étiirnin,  femin,  drumin;  Marguerite  a  adurmit,  p,  77,  dormi, 
p.  85  ;  La  Lcide  de  l'Archevêché  [Romania,  XIII,  p.  568)  a  mirex,  et  non 
m/Vzrex;  le  lyonnais  moderne  a;2/(nidus\  teni,  veni,  torgni,jami,  drumi'. 
On  ne  saurait  donc  appliquer  au  lyonnais  les  règles  de  nasalisation  que 
M.  C.  a  constatées  pour  le  bagnard. 

Ce  n'est  pas  que  la  nasalisation  de  /  ne  s'opère  chez  nous,  mais  voici, 
je  crois,  la  règle  :  i  est  nasalisé  très  souvent,  à  la  protoniqae,  quand  il  est 
suivi  d'une  gutturale:  pïjô  pigeon)^  jlgà  «  donner  des  coups  de  pieds  », 
délïgé  (dis-ligare^)  «  diminuer,  s'affaiblir  »;  /^rgôidebiga  a  jambe» 
au  fig.  ?)  «  se  fatiguer  »,  kllkète  [cliquettes],  aplxi  (d'ad- spectare?) 
«  guetter  »,  rîgé  (de  rigare)  «  avoir  la  diarrhée  ».  Mais  à  la  tonique 
/  ne  se  nasalise  pas:  higa  «  perche  »  et  non  blga,  jiga  «  cuisse  »  et  non 

m- 

Il  y  a  quelques  exemples  de  a  nasalisé  dans  les  mêmes  conditions; 
âgriilo  (agrifolium)  «  houx  »,  bâxia  ^fr.  <'  bâche  »)  «  grangée  de  foin  » 
mais  d'autres  exemples  ne  s'expliquent  pas  de  même:  c/zcw/ (capsi- 
culum)  «  cercueil  y^,gàduze  (fr.  «  gadoue  »),  biiyâdiri  [bucataria), 
«  lavandière  »,  xîxia  (de  calcare),  «  secouée4  ». 

Il  ne  semble  donc  pas  légitime  de  tirer  min  de  rnea. 

PUITSPELU. 


IV. 

ANT,  EN  LANGUE  D'OC. 

Dans  le  tome  VII  de  la  Romar.ia,  p.  $94,  M.  P.  Meyer  propose  de 
traduire  antz  par  «  les  outils  en  bois,  peut-être  les  manches  en  bois  des 
pelles,  pics,  bêches,  etc.  »,  et  propose  pour  étymologie  âmes. 

Interprétation  et  étymologie  sont  pleinement  confirmées  par  le  patois 
lyonnais  où  antiron  signifie  le  bois  de  choix  que  l'on  rencontre  dans  les 
fagots.  Antiron  vient  à'amitem  et  d'un  suffixe,  qui  peut  être  e/,  auquel 
s'est  adjoint  un  deuxième  suffixe  on,  d'où  antcl,  antelon  et  anteron,  antiron, 
par  changement  de  /  en  r,  comme  dans  courterolle,  taupe-grillon,  pour 


1.  Il  en  est  de  même  pour  les  exemples  de  ^  cités  par  M.  Cornu  :^  le  bagnard 
a  magidemz=  min  et  macrem  ::i::  mingro;  nous  avons  maya  cimégro. 

2.  La  persistance  delà  gutturale  dure  indique  une  origine  provençale. 

3.  L'élymologie  pourrait  être  contestée,  si  elle  n'était  appuyée  du  pr.  espinchar 
(Raynouard  a  expuictar  et  cspingar),  en  prov.  mod.  espmcha  ;  cl.  pectinare, 
rz  pinchina. 

4.  Faut-il  voir  l'influfnce  de  la  gutturale  qui  précède  (au  lieu  de  suivre)  la 
voyelle  nasalisée? 


4}6  MÉLANGES 

courtilliole,  de  courtil.  —  Le  suffixe  a  pu  encore  être  simplement  on, 
relié  au  thème  par  r,  comme  dans  cope,  cope-r-on,  chape,  chape-r-on. 

PUITSPELU. 


V. 

ACALA,  EN  AUVERGNAT. 

Dans  le  tome  VIII  de  la  Romania,  p.  213,  MM.  Cohendy  et  Thomas 
signalent  comme  douteux  l'auvergnat  acala  dans  le  passage  suivant  des 
Strophes  au  Saint-Esprit  : 

D'aquest  fuec  vol  Deo  c'on  chala, 

Et  arda  voIu[n]tat  mala 

Que  al  cors  del  homme  s'acala. 

Je  crois  que  l'explication  est  fournie  par  le  lyonnais  se  cala  ^aujour- 
d'hui  se  calô),  «se  glisser  ».  Madama,  jemc  ca!a,esx  le  refrain  de  ce  «  vau- 
deville »  composé  à  Lyon  au  xviii®  siècle  à  l'occasion  d'un  petit  Savoyard 
à  qui  l'on  avait  persuadé  de  se  glisser  dans  le  lit  de  sa  maîtresse. 

Cala,  verbe  neutre,  a  la  signification  de  descendre,  glisser  en  des- 
cendant : 

O  la  bonna  echella  ! 
Et  se  faut  coity,  vey-vo. 
Creigny-vo  de  cala?  {Noël,  xvi^  s.). 

Cala  (de  calare),  «  glisser  »,  indique  clairement  l'étymologie  du  fr. 
cale,  morceau  de  bois  que  l'on  glisse  sous  quelque  chose,  et  pour  laquelle 
Diez  propose  l'esp.  cala,  sonde,  Littré  cala,  bûche,  et  Scheler  l'allem. 
keil,  coin. 

PUITSPELU. 


COMPTES-RENDUS 


Kiistoffer    xYRor.     Adjektivernes  Kœnsbœjning   i    de  romanske 

Sprog.  Med  en   Inledning   om  Lydlov  om  Analogi.  Copenhague,    Reitzel, 
1886,  8°,  192  p. 

M.  Nyrop  partage  son  activité  entre  l'étude  des  littératures  et  celle  des  langues 
romanes,  et  dans  les  deux  domaines  il  se  montre  bien  informé,  judicieux  et 
intelligent.  Le  petit  livre  qu'il  vient  de  nous  donner  est  intéressant  par  les 
questions  qu'il  soulève,  par  les  faits  qu'il  rassemble  et  par  les  résultats  qu'il 
obtient.  L'auteur  étudie  dans  toutes  les  langues  néo-latines  un  point  spécial, 
digne  de  toute  attention,  la  flexion  du  genre  dans  l'adjectif.  Après  un  court 
exposé  de  ce  qu'était  cette  flexion  en  latin  et  de  ce  qu'elle  était  devenue  en 
latin  vulgaire,  il  la  suit  dans  chacun  des  groupes  romans  (gallo-roman,  hispano- 
roman,  réto  roman,  italo-roman,  daco-roman)  et  jusque  dans  ce  qu'il  appelle 
les  idiomes  créolo-romans.  Il  résulte  de  ses  recherches:  1°  que  la  flexion  à 
genre  (-us,  -a)  est  presque  partout  la  seule  vivante,  et  a  absorbé  plus  ou  moins 
la  flexion  sansgenres(-(V, -/ictc.');  2"que  la  forme  sous  laquelle  se  manifeste  cette 
flexion  à  genres  est  aujourd'hui,  dans  plusieurs  des  langues  romanes,  tellement 
différente  de  la  forme  latine  que  sans  les  intermédiaires  historiques  on  aurait  peine 
à  en  reconnaître  l'identité;  3"  que  tous  les  changements  survenus  dans  le  système 
latin  sont  déterminés  par  la  phonétique  ou  dus  à  l'analogie.  Il  n'y  a  là  rien  de 
bien  nouveau,  mais  l'étude  de  M.  N.  précise  plusieurs  points  dont  on  n'avait  qu'une 
intuition  plus  ou  moins  exacte  et  appuie  par  un  exemple  frappant  l'application 
à  la  grammaire  romane  de  la  méthode  rigoureuse  qui  y  prévaut  aujourd'hui  et 
qui  se  résume  dans  la  stricte  observation  des  lois  phonétiques  et  dans  l'obliga- 
tion d'expliquer  tout  ce  qui  paraît  leur  échapper  ou  les  contredire.  Comme  c'est 
surtout  en  vue  de  cet  enseignement  que  l'auteur  a  fait  son  travail,  il  est  naturel 
qu'il  lui  ait  donné  pour  préface  un  court  exposé  de  l'état  actuel  de  la  science 
sur  la  question  des  lois  phonétiques  et  de  l'analogie  2.  H  dit  des  choses  fort  rai- 
sonnables sur  ces  sujets,  qui  sont  depuis  quelque  temps,  même  sur  le  domaine 
roman,  l'objet  de  vives  polémiques.  Il  est  clair  que  le  même  phonème,  dans 
des  conditions  identiques,  ne  peut  pas  donner  deux  résultats  différents;    tout 


1.  L'auteur  laisse  le  neutre  de  côté;  il  ne  s'agit  que  du  masculin  et  du  féminin. 

2.  Le  chapitre  sur  l'analogie  contient  des  exemples  intéressants  :  l'explication  de  mau- 
dissons etc.  par  l'influence  de  bénissons  etc.  paraît  juste. 


4^8  COMPTES-RENDUS 

ce  qu'on  fera  pour  ébranler  cette  vérité  ne  saurait  rien  prouver,  car  on  répondra 
tou|Ours  que,  du  moment  qu'un  même  phonème  donne  deux  résultats  différents, 
c'est  qu'il  s'est  trouvé  respectivement  dans  des  conditions  différentes,  que  ces 
conditions  soient  phonétiques  ou  d'un  autre  ordre.  En  somme,  une  loi  phoné- 
tique comme  tells  agit  d'une  manière  absolue  et  toujours  identique  et  ne  peut 
agir  autrement  ;  mais  l'action  en  est  souvent  entravée  par  d'autres  lois,  soit 
phonétiques,  ce  qui  est  tout  simple,  soit  d'un  autre  ordre,  ce  qui  complique 
la  question.  Le  linguiste,  après  avoir  posé  la  loi  du  développement  régulier  de 
chaque  phonème  dans  une  langue,  doit  donner  aux  exceptions  apparentes  des 
explications  auxquelles  jadis  il  ne  se  croyait  pas  rigoureusement  astreint.  On 
ne  peut  plus  dire  comme  faisait  encore  Diez  :  telle  voyelle  tonique  brève  devient 
dans  tel  dialecte  tantôt  ceci,  tantôt  cela,  quelquefois  autre  chose.  C'est  là  le 
progrès  réalisé  par  les  disciples  du  maître,  qui  n'ont  fait  d'ailleurs  que  continuer 
ce  qu'il  avait  inauguré,  qu'exécuter  dansson  esprit  ce  qu'il  croyait  déjà  faire.  Nous 
nous  imaginons  aujourd'hui  être  arrivés  à  une  rigueur  complète  ;  nos  successeurs 
nous  montreront  et  nous  montrent  tous  les  jours  que  nous  sommes  loin  d'appliquer 
toujours  dans  la  pratique  ce  que  nous  établissons  en  théorie.  C'est  là  la  marche 
naturelle  de  la  science;  la  philologie  romane  a,  dès  ses  premiers  pas,  suivi  avec 
une  grande  siireté  la  voie  où  elle  continue  de  s'avancer,  et  ce  n'est  pas  dans 
son  domaine  qu'on  aurait  prétendu  faire  une  révolution  en  proclamant  le  carac- 
tère général  des  lois  phonétiques  et  la  puissance  de  l'analogie.  Ces  deux  flambeaux 
l'éclairent  depuis  plus  d'un  demi-siècle,  et  c'est  à  leur  lumière  qu'elle  a  fait  tous 
ses  progrès.  Quand  on  range  une  chambre  où  tout  est  dans  un  complet  désordre, 
on  commence  par  ce  qui  est  le  plus  nécessaire  et  le  plus  facile  ;  on  sait  bien 
qu'il  faut  qu'il  y  ait  une  place  pour  chaque  chose  et  que  chaque  chose  soit  à  sa 
place,  mais  ce  n'est  que  peu  à  peu  qu'on  trouve  chaque  place  et  qu'on  place 
chaque  chose.  Celui  qui  met  où  il  faut  les  principaux  meubles  garnis  de  leurs 
plus  importants  accessoires  a  fait  l'essentiel;  ceux  qui  viendront  après  n'auront 
qu'à  suivre  et  à  corriger  çà  et  là  ses  indications.  Cela  étant,  M.  Nyrop, 
comme  il  le  reconnaît  lui-même  à  la  fin  de  son  livre,  pouvait  ne  considérer  son 
sujet  que  comme  «  de  la  phonétique  appliquée  »,  et  suivre  une  marche  plus 
logique  que  celle  qu'il  a  adoptée.  La  flexion  de  genre  des  adjectifs  dépendant 
du  sort  des  consonnes  et  voyelles  finales,  il  pouvait  exposer  les  lois  qui  règlent 
ce  sort  et  montrer  comment  la  forme  de  la  flexion  de  genre  des  adjectifs  s'en 
déduit;  considérant  ensuite  les  phénomènes  qui  ne  s'expliquent  pas  par  ces  lois, 
il  aurait  montré  qu'ils  proviennent  de  l'analogie.  Il  dit  avec  sincérité  que  ce  qui 
l'a  empêché  de  procéder  ainsi,  c'est  que  pour  les  dialectes  les  lois  des  finales 
ne  lui  étaient  pas  assez  bien  connues,  et  tout  le  monde  avouera  que  la  science 
sur  ce  point  est  loin  d'être  complète.  Il  est  arrivé,  en  prenant  les  choses  d'un 
autre  biais,  à  mettre  en  lumière  la  conclusion  qu'il  voulait  tirer  de  ses  recherches, 
et  cette  conclusion  ne  rencontrera  pas  de  contradicteurs. 

Dans  le  détail,  l'ouvrage  est  plein  de  faits  intéressants  et  d'observations 
justes;  il  n'est  pas  complet,  il  s'en  faut,  mais  il  n'est  que  rarement  inexact. 
L'auteur  a  beaucoup  lu,  aussi  bien  les  textes  que  la  littérature  qui  s'est  amon- 
celée autour  d'eux  de  manière  à  faire  reculer  plus  d'un  courage.  Il  est  au  cou- 
rant des  études  sur  le  ladin  et  le  roumain,  aussi  bien  que  sur  l'italien  ou  le 


NYROP,  Adjektivcrnes  Kœnsbœjning  i  de  romanske  Sprog  459 

français;  il  suit  les  progrès  de  la  grammaire  comparée  et  de  la  grammaire  latine, 
et  de  toute  son  érudition  il  sait  tirer  un  exposé  court,  parfaitement  clair  et  nul- 
lement surchargé.  J'ai  lu  avec  une  attention  particulière  ce  qui  concerne  le 
français,  et  c'est  sur  ce  point  que  je  présenterai  quelques  observations,  som- 
maires du  reste  et  incomplètes. 

Toute  l'exposition  de  M.  Nyrop  est  un  peu  gênée  par  le  fait  qu'il  restreint  à 
l'adjectif  une  étude  qui  en  plusieurs  points  concerne  le  nom  tout  entier  '.  Ainsi 
la  question  du  traitement  de  l'adjectif  féminin  uniforme  (grandis)  au  cas-sujet 
singulier  et  pluriel  ne  peut  se  séparer  de  celle  du  traitement  du  nom  féminin 
de  la  troisième  déclinaison  :  si  on  a  dit  grant  et  non  granz  au  cas-sujet  singulier, 
granz  au  cas-sujet  pluriel,  comme  je  le  crois,  c'est  parce  qu'on  disait/ie/et  non 
nés  au  cas-sujet  singulier,  ncs  au  cas-sujet  pluriel,  et  pour  adopter  sur  ce  point 
une  des  deux  opinions  qui  ont  été  proposées  il  faut  tenir  compte  des  substantifs 
aussi  bien  que  des  adjectifs  2.  Ce  qui  concerne  au  contraire  bien  spécialement 
l'adjectif,  c'est:  i"  le  passage  d'un  grand  nombre  d'adjectifs  de  la  déclinaison 
uniforme  à  la  déclinaison  biformeJ;  2"  l'influence  réciproque  du  masculin  sur 
le  féminin  et  du  féminin  sur  le  masculin  dans  la  déclinaison  biforme.  Sur  le 
premier  point  l'exposition  de  M.  N.  est  parfaite.  Il  note  d'abord  les  adjectifs 
qui  dès  l'origine  (quelques-uns  déjà  en  latin  vulgaire)  ont  changé  de  déclinaison: 
commun,  dolent  4,  dolz  5,  fol,  mol^  ■ds(>;  puis  il  suit,  des  textes  les  plus  anciens 


1 .  Aussi  les  observations  de  l'auteur  dépassent-elles  parfois  les  limites  de  son  sujet.  Il 
a  noté  avec  toute  raison  (p.  71)  qu'en  latin  vulgaire  toutes  les  prépositions  gouvernent 
l'accusatif,  et  c'est  ainsi  que  l'accusatif,  qui  faisait  fonction  à  la  fois  de  régime  direct  et 
de  régime  prépositionnel,  a  subsisté  seul  en  face  du  n:minatif faisant  fonction  de  sujet;  il 
est  même  arrivé  dans  certains  cas  (avec  les  noms  de  personne)  à  faire  fonction  de  génitif 
et  de  datif.  Le  génitif,  le  datif  et  l'ablatif  n'ont  pu  laisser  de  traces  que  dans  des  com- 
posés ou  des  locutions  toutes  faites.  On  pourrait  naturellement  augmenter  beaucoup  la 
liste  des  exemples  donnés  par  l'auteur  de  l'emploi  de  l'accusatif  avec  cum,  de.  etc.  (citons 
seulement  la  hcution  adverbiale  si  ancienne  de  lalus]  ;  mais  il  a  signalé  le  fait,  qi;i  est  de 
la  plus  grande  importance  pour  la  question  de  la  transformation  d'une  déclinaison  à  six 
cas  en  une  déclinaison  à  deux  cas. 

2.  Les  adjectifs  seuls  cependant  offrent  certaines  formes  qui  appuient  l'hypothèse 
d'après  laquelle  le  cas-sujet  des  féminins  de  la  troisième  déclin  ûson  ne  prenait  pas  à's. 
Je  r.e  pense  pas  qu'on  trouve  \d.md\s  fraisles ,  graisles .  utles,fleibles,  nobles,  colpables,  etc. 
au  cas-sujet  féminin.  Il  est  vrai  qu'en  provençal,  comme  le  remarque  fort  bien  M.  N. 
(p.  Ils),  tous  ces  mots  oi.t  le  féminin  en  -a,  et  on  peut  croire  qu'il  en  était  déjà  ainsi 
en  gallo-roman;  mais  ce  fait  même  semble  indiquer  que  le  cas-sujet  n'avait  originaire- 
ment pas  à's.  On  ne  trouve  guère  de  substantifs  ainsi  faits  :  arbre  est  si  souvent  masculin 
qu'il  y  a  de  l'incertitude  dans  sa  déclinaison;  strigilis  est  devenu  strigila  de  fort 
bonne  heure. 

j.  Je  préfère  ces  dénominations  à  celles  de  «  immobile  »  et  «  mobile  »,  qui  semble- 
raient exclure  de  la  première  c.  tégorie  toute  flexion. 

4.  Ce  mot  a  subi  l'influence  des  adj.  en  -lentum  ;  c'est  un  vrai  changement  de  suf- 
fixe. Notons  que  c'est  par  erreur  que  M.  N.  (p.  89)  range  sanglent  dans  les  adjectifs  uni- 
formes :  il  vient  desanguilentum  et  a  toujours  été  biforme.  De  même  en  prov. 
sagnenta  (p.  117)  répond  à  sanguinenia. 

5.  On  a  dit  que  le  gallo-roman  disait  dulcium  et  non  dulcem;  mais  le  prov.  doussa 
ne  favorise  pas  cette  opmion  ;  le  féminin  paraît  refait  sur  le  masculin.  En  tout  cas, 
douce  en  français  est  de  toute  antiquité,  et  je  ne  crois  pas  que  le  nom  de  lieu  Villedoux, 
cité  par  l'auteur 'p.  94»,  puisse  venir  de  Vil  la  m  dulcem. 

6.  M.  N  a  raison  de  ne  pas  voir  un  féminin  dans  une  livre  tournois  (p.  95)  ;  il  y  a  là 
une  ellipse  pour  une  livre  [de  deniers]  tournois;  c'est  ce  que  montre  l'expression  constante 
en  latin  :  libram  turonensium,  parisiensium,  etc. 


440  COMPTES-RENDUS 

à  l'époque  moderne,  le  progrès  de  l'emploi  des  autres  avec  une  forme  féminine 
(gr^«<fe,vfr/<,  etc.'),  et  signale  les  traces  de  l'ancienne  uniformité  qui  subsistent  dans 
la  langue  actuelle.  Sur  le  second  point,  qui  est  plus  intéressant  et  moins  connu, 
ce  que  dit  l'auteur  aurait  besoin  d'être  complété  et  parfois  rectifié.  L'influence 
du  féminin  sur  le  masculin  notamment  a  été  considérable  ;  il  l'a  fort  bien 
reconnue,  mais  on  pourrait  ajouter  plus  d'un  exemple  à  ceux  qu'il  cite:  ainsi 
pâle  éXall  ]did'\s  pal  au  masculin,  quoiqu'on  ait  déjà  paie  dans  Rollant  ;  moite 
paraît  s'expliquer  par  une  série  assez  curieuse  de  transformations:  d'abord  moist 
(cf.  anglais  moist)  moisde,pu\s  moi{s]t  moi{s)te,  enfin  moiti  moite:  on  trouve  sou- 
vent au  moyen  âge  blonde  au  masculin j  qui  provient  siîirement  du  féminin  ;  con- 
traire au  masc.  paraît  dû  au  fém.  contraire,  d'abord  substantif,  etc.  Honeste  au  ms. 
se  trouve  tort  bien  dans  des  textes  populaires  (Jrans  chevaliers  honestes)^  mais  n'en 
est  pas  moins  un  mot  savant.  Il  n'y  a  aucune  raison  de  rejeter  jaz  =:  justus 
dans  Beneeit;  on  en  a  d'autres  exemples.  Lasche  à  mon  avis  ne  vient  pas  de 
laxum;  c'est  un  adjectif  verbal  tiré  de  laschier  [Rom.  VIII,  448).  Je  puis  citer 
au  moins  un  exemple  de  lare  (ticnart,  éd.  Martin,  XXIII,  1766),  et  j'en  ai  ren- 
contré d'autres.  Il  n'est  pas  admissible  que  malade,  rade,  sade,  aient  jamais 
été  au  masc.  malat,  rat,  sat;  cf.  coude.  Trist  n'est  nullement  inconnu  au  français 
en  dehors  du  S.  Léger,  voy.  P.  Gatinel,  p.  149.  La  forme  veuve  3.\i  masc.  n'est  pas 
un  parisianisme  moderne  (p.  ni);  c'est  veuf  3iU  contraire  qui  est  tout  récent  : 
le  fait  d'avoir  perdu  sa  femme  ne  constituait  pas  pour  un  homme  une 
condition  sociale  particulière  comme  pour  une  femme  le  fait  d'avoir  perdu  son 
mari  ;  quand  on  a  voulu  exprimer  l'idée  de  veuvage  par  un  adjectif  mas- 
culin, on  a  dit  un  homme  veuve;  c'est  la  seule  forme  usitée  jusqu'au  xviv 
siècle,  et  je  ne  l'ai  pas  rencontrée  avant  le  xiv«  ;  plus  tard  on  a  fait  le  mas- 
culin veuf  sur  le  modèle  de  neuf  en  regard  de  neuve  2.  Les  remarques  sur  la  façon 
variée  dont  se  forme  aujourd'hui  réellement,  sous  l'apparente  uniformité  indiquée 
par  l'orthographe,  le  féminin  des  adjectifs  français,  sont  curieuses  et  seront 
nouvelles  pour  beaucoup  de  lecteurs.  Ce  qui  est  dit  sur  les  patois  n'a  pas  grande 
importance,  l'auteur  n'ayant  pas  de  cette  partie  de  son  sujet  une  connaissance 
assez  étendue  ;  on  y  remarque  surtout  la  tendance  à  assimiler  le  masculin  au 
féminin,  dans  la  déclinaison  biforme;  ainsi  en  lorrain  on  àlibasse,  slchel,  Jraiche, 
verte  {baihhe,  chosse,  frohhe,  vochc)  pour  bas,  sec,  frais,  vert.  La  cause  de  ce  phé- 
nomène, sur  laquelle  M.  N.  n'a  pas  émis  de  conjecture,  serait  curieuse  à 
rechercher;  la  même  tendance  existe  en  français  depuis  longtemps,  comme  on 
vient  de  le  voir:  nous  disons  au  masc.  roidc,  ferme,  juste.,  triste,  chauve.,  l^rge, 
louche,  pâle,  v{u)ide.,  moite,  comme  au  féminin,  au  lieu  de  roit,  fcrm,  just,  trist, 
chauj,  lare,  lois,  pal,  vit,  moit.  C'est  un  changement  directement  opposé, 
semble-t-il,  à  celui  qui  fait  dire  au  fém.  grande,  forte,  verte,  telle,  etc.,  au  lieu  de 


1.  Verte  ne  peut  venir  de  virida,  qui  aurait  donné  verde;  le  féminin  a  été  refait  de 
fort  bonne  heure  sur  le  masc.  vert.  La  forme  verde,  qu'on  trouve  aux  xV  et  xvi*  siècles, 
est  savante  (M.  N.  a  tort,  p.  105,  d'en  nier  l'existence). 

2.  Sur  le  rapport  du  lat.  viâuus  à  vidua,  au  sanscr.  vidhâva,'3i  l'ail,  wittwe,  il  y 
aurait  à  faire  des  recherches  que  je  ne  puis  aborder  ici. 

3.  Dans  le  langage  populaire  de  Paris  (p.  iii)  on  dit  également  skhe'çiom  sec. 


TOBLER,   Vermischte  Datrage  zar  franzœsischen  Grammatik      441 

grjnt,  fort,  vert,  tel  ;  comment  l'un  et  l'autre  se  sont-ils  produits  concurrem- 
ment, et  à  peu  près  en  même  temps,  dans  la  môme  langue?  Je  noterai  seulement 
que  le  premier  {grande  pour  grand)  est  un  fait  général,  l'assimilation  de  toute 
une  déclinaison  à  une  autre,  qui  avait  l'avantage  de  distinguer  les  genres  ;  le 
second  au  contraire  est  propre  à  certains  adjectifs:  on  dit  roide  mais  froid  \ 
chauve  mais  sauf^,  louche  mais  rais  '.  Il  y  a  donc  des  raisons  particulières  pour 
chaque  mot.  Il  existait  d'ailleurs  une  classe  d'adjectifs  qui  dès  l'origine  avaient  un 
i  féminin  aux  deux  genres,  ceux  qui,  provenant  d'adjectifs  latins  uniformes  ou 
biformes,  prenaient  cet  e  comme  consonne  d'appui  :  tiédc,  sade,  pauvre,  faible,  etc.  ; 
ce  sont  ceux-là  qui  ont  agi  sur  quelques  adjectifs  biformes,  placés  dans  des  con- 
ditions particulières,  pour  faire  attribuer  au  masculin  la  même  forme  qu'au 
féminin. 

Sur  les  autres  langues  romanes  je  laisse  à  d'autres  à  faire  les  observations 
qu'elles  appellent.  Je  me  borne  à  remarquer  que  le  «  suisse  »  n'a  aucune  exis- 
tence réelle,  et  que  l'auteur  aurait  dû  grouper  les  dialectes  (franco-provençaux) 
qui  présentent  l'intéressant  phénomène  de  (V  zr:  atum  influencé  par  une  pala- 
tale, j  =  ata  dans  les  mêmes  conditions.  Le  catalan  serait  mieux  rangé  avec 
le  provençal  qu'avec  les  dialectes  hispaniques.  Sur  soc:,  cf.  Rom.  VII,  104. 

En  somme,  on  le  voit,  le  nouveau  livre  du  jeune  savant  danois  est  une  excel- 
lente contribution  à  la  grammaire  romane,  et  tout  le  monde  accordera  à  l'au- 
teur, comme  il  le  demande  en  terminant,  que  ce  livre  n'est  pas  «  indigne  d'être 
offert  à  l'homme  (V.  Thomsen)  dont  //  a  inscrit  le  nom  sur  la  première  page 
en  témoignage  de  dévouement  et  d'admiration  ». 

G.  P. 


Vermischte  Beitraege  zur  f  ranzœsischen  Grammatik  ,  gesam- 
melt,  durchgesehen  und  vermehrt  von  Adolf  Tobler.  Leipzig,  Hirzel, 
1886,  8%  IV-239. 

Des  quarante  Bcitrage  qui  sont  réunis  dans  ce  volume,  trente-huit  ont  paru 
dans  la  Zeitschrifl  f  ir  romamsche  Philologie;  ils  ont  été  signalés  et  appréciés  ici 
au  fur  et  à  mesure  de  leur  première  publication.  «  J'y  ai  fait,  dit  l'auteur,  maints 
changements,  provoqués  parla  contradiction  ou  l'adhésion  qu'ils  ont  rencontrée, 
ou  plus  souvent  par  le  résultat  de  mes  observations  ou  de  mes  réflexions 
propres  ».  Ces  changements  n'ont  d'ailleurs  pas  atteint  l'essentiel;  l'auteur  n'a 
eu  qu'à  préciser,  à  élargir,  à  compléter  ce  qu'il  avait  établi  avec  une  solidité 
presque  toujours  inattaquable;  parfois  il  a  di!l  supprimer  un  exemple  ou  modifier 
une  explication.  Tel  qu'il  est,  ce  volume  est  un  véritable  trésor  d'observations 
fines  et  profondes,  nées  dans  un  esprit  à  la  fois  très  pénétrant  et  très  circons- 
pect,  qui  dispose  d'un  incomparable  matériel.    En   lisant   ces  pages  serrées. 


1.  Froide  au  masc.  se  trouve  en  anc.  fr.  (Nyrop,  p.  108). 

2.  Sauve  pour  sau/ s'est  dit  et  se  dit  encore  populairement  (p.  m). 

5.  Dans  beaucoup  de  patois,  comme  en  Icrrain,  frais  est  remplacé  par  fraîche. 


442  COMPTES-RENDUS 

remplies  de  citations  admirablement  choisies  qu'accompagnent  des  explications 
toujours  concises  et  disposées  dans  un  ordre  rigoureusement  logique,  on  est 
confondu  à  la  pensée  du  travail  qu'elles  représentent  et  de  la  masse  de  colkc- 
tanées  qu'elles  supposent;  mais  ces  collectanées  ne  sont  pas  de  celles  que  tout 
le  monde  peut  faire  sur  des  fiches  alphabétiquement  rangées  :  pour  prendre  les 
notes  à  l'aide  desquelles  l'auteur  a  pu  écrire  ces  articles,  il  fallait  déjà  avoir 
l'idée  du  caractère  des  phénomènes  observés  et  de  leur  interprétation,  et  cette 
première  condition  d'un  semblable  travail  est  donnée  à  peu  de  personnes.  Il  s'agit 
en  effet  presque  tout  le  temps  non  seulement  de  syntaxe,  c'est-à-dire  de  la  partie 
la  plus  délicate  et  la  plus  complexe  de  la  grammaire,  mais,  comme  le  dit  l'au- 
teur lui-même,  de  psychologie  presque  autant  que  de  grammaire  proprement 
dite.  Il  s'agit  de  surprendre  derrière  la  façon  de  parler  d"un  peuple  ou  d'un 
individu  sa  façon,  même  inconsciente,  de  concevoir  les  rapports  de  la  pensée. 
Tandis  que  le  philologue  qui  étudie  la  phonétique  ou  la  morphologie  a  sous  son 
microscope  des  objets  précis,  distincts  et  immobiles,  celui  qui  veut  observer 
les  relations  de  la  pensée  avec  le  langage  voit  passer  sous  sa  lentille  une  matière 
toujours  en  fluctuation,  traversée  par  des  courants  qui  se  croisent,  changeant 
de  forme  et  de  couleur  suivant  l'éclairage,  et  qui,  si  on  la  touche,  s'évapore 
souvent  sous  les  doigts.  Aussi  ces  études  sont-elles  l'apanage  d'un  bien  petit 
nombre,  et  cependant  elles  constituent  la  partie  la  plus  intime  en  même  temps 
que  la  plus  philosophique  de  la  linguistique.  Ajoutons  qu'elles  réservent  à  ceux 
qui  les  aiment  les  jouissances  les  plus  vives  de  la  science,  et  leur  donnent  le 
plus  complètement  ce  plaisir  inconnu  du  vulgaire  et  qui  est  la  récompense  suf- 
fisante du  savant,  qui  consiste,  comme  disait  Fontenelle,  à  a  prendre  la  nature 
sur  le  fait  ».  Ce  plaisir,  M.  Tobler  l'a  certainement  souvent  éprouvé  en  pour- 
suivant obstinément  dans  les  fibres  les  plus  cachées  des  tissus  linguistiques  le 
fonctionnement  de  la  vie  ;  grâce  à  lui  nous  pouvons  le  goûter  nous-mêmes,  et 
suivre,  dans  ses  savantes  préparations,  la  souplesse  étonnante  et  la  mécanique 
pourtant  inflexible  avec  lesquelles  la  pensée  pénètre  et  anime  les  formes  maté- 
rielles du  langage.  D'ailleurs  aucune  langue  ne  se  prête  peut-être  mieux  à  des  études 
de  ce  genre  que  l'ancien  français:  la  richesse,  la  naïveté,  la  franchise,  la  variété 
de  ses  tournures  sont  merveilleuses,  et  on  sent  que  l'auteur,  qui  a  consacré  à 
connaître  et  à  faire  connaître  notre  vieille  langue  le  meilleur  de  son  activité  intel- 
lectuelle, l'aime  autant  qu'il  la  comprend.  Ajoutons  que  rien  ne  montre  mieux  que 
les  recherches  de  syntaxe  historique  combien  est  intime  encore,  malgré  bien  des 
ruptures,  le  lien  qui  attache  le  français  moderne  à  l'ancien  français.  Si  nos  gram- 
mairiens classiques  avaient  soupçonné  une  partie  seulement  de  ce  que  révèle  le 
livre  de  M.  Tobler,  ils  auraient  respecté  davantage  l'indépendance  et  même  les 
caprices  d'une  langue  qu'ils  ont  trop  réglementée,  mais  qui  heureusement  a  su 
malgré  eux  conserver  quelque  chose  de  sa  grâce  libre  et  primesautière. 

Je  ne  passerai  pas  en  revue  les  articles  parus  dans  la  Zcitschrift;  les  lecteurs 
delà  Romania  les  connaissent.  Il  y  en  a  deux  nouveaux:  59,  Discours  direct 
précédé  de  que;  discours  direct  continuant  un  discours  indirect;  —  ^0,  Préposition 
avec  le  nominatif.  Ils  ont  l'intérêt  et  la  valeur  des  précédents.  Si  le  passage  du 
style  indirect  au  style  direct  est  assez  fréquent,  l'inverse  est  bien  douteux: 
M.  T.  n'en  cite  en  français  qu'un  exemple,  et  il  ne  vaut  pas:  dans  le  passage 


KoscHwiTZ,  Commenîar  zu  den  (elîesten  franzœsischen  Denkm£lern  443 

allégué  de  Tristan,  il  faut  corriger  Corne  (pour  Dame).  Sur  l'emploi  du  nomi- 
natif après  les  prépositions  on  pourrait  ditférer  quelque  peu  d'avis  avec  l'auteur  ; 
j'avoue  que  malgré  son  avertissement  je  vois  dans  fors  employé  avec  le  nominatif 
{Cui  nus  fors  Damcdius  n" accise)  un  synonyme  de  nisi. 

Une  table  alphabétique  dressée  par  M.  A.  Schuize  permet  de  retrouver  ce 
qu'on  cherche  dans  cette  collection  si  riche  et  si  variée.  Je  regrette  que  l'auteur 
n'ait  pas  également  réuni  les  autres  articles  qu'il  a  écrits  sur  l'ancien  français", 
la  raison  qu'il  en  donne  ne  s'applique  pas  en  tout  cas  à  ceux  qu'il  a  mis  dans 
des  recueils  autres  que  la  Zeitschri't,  et  qui  par  là  même  sont  moins  facilement 
accessibles  à  ceux  qui  en  ont  besoin.  Je  lui  demande,  quand  le  présent  volume 
sera  épuisé,  de  faire  de  ses  contributions  à  l'étude  de  l'ancien  français,  revues  et 
complétées,  un  recueil  général,  auquel  sera  joint,  comme  à  celui-ci,  un  bon 
index.  Un  tel  livre  sera  le  manuel  de  tous  ceux  qui  voudront  non  seulement 
comprendre  le  sens  externe  des  ouvrages  écrits  en  vieux  français  au  moyen 
âge,  mais  pénétrer  le  génie  et  l'âme  même  de  notre  langue  quand  elle  était 
jeune  et  que,  sans  pédagogue,  elle  s'ébattait  librement. 

G.  P. 

Commentar  zu  den  aeltesten  franzœsischen  Denkmaelern,  von 

Dr.  Eduard  Koschwitz,  Professer  der  romanischen  Philologie  an  der 
Universitset  Greifswald.  I.  Eide,  Eulalia,  Jonas,  Hohes  Lied,  Stephan. 
Heilbronn,  Henninger,  1886,  12",  VIII-227  p.  (tome  X  de  VAltfranzœsische 
Bibliothik  dirigée  par  M.  Fœrster). 

Les  Allemands  s'emparent  de  plus  en  plus  du  terrain  des  études  romanes  et 
spécialement  du  domaine  de  l'ancien  français.  C'est  en  vain  que  nous  essayons 
de  marcher  au  moins  de  conserve  avec  eux;  nous  sommes  vaincus  par  le  nombre 
d'abord,  et  nous  sommes  loin  de  posséder  un  outillage  aussi  commode.  Ce  que 
nous  avons  de  mieux  à  faire  est  de  profiter  des  travaux  qu'ils  accumulent  et  de 
les  remercier  quand  ces  travaux  sont  vraiment  utiles.  Ce  n'est  pas  le  cas  de  tous; 
c'est  le  cas  de  celui-ci.  J'ai  annoncé  il  y  a  dix  ans  un  commentaire  aux  plus 
anciens  monuments  de  la  langue  française;  j'en  ai  écrit  depuis  longtemps  une 
bonne  partie,  mais  je  ne  l'ai  pas  terminé,  et  voici  qu'il  nous  arrive  deCreifswald 
et  de  Heilbronn.  Encore  ne  devais-je  m'occuper  que  des  Serments,  d'EuIalie,  de 
Jonas  et  des  poèmes  de  Clermont  ;  M.  Koschwitz  y  joint  le  poème  imité  du 
Cantique  des  Cantiques  et  l'Epître  de  S.  Etienne  (textes  publiés  par  moi  l'un 
et  l'autre)  ;  il  y  joindra  sans  doute  le  jeu  liturgique  des  Dix  Vierges  et  autre 
chose  encore.  Je  n'abandonne  pas  mon  projet,  qui  constitue  une  promesse  vis- 
à-vis  de  la  Société  des  Anciens  Textes;  je  tâcherai  de  prendre  le  sujet  un  peu 
autrement  que  ne  l'a  fait  M.  Koschwitz;  je  me  servirai  naturellement  de  son 
travail.  Il  l'a  conçu  sur  un  bon  plan,  et  l'a  fort  bien  exécuté.  Pour  chaque  texte 
nous  trouvons  les  paragraphes  suivants  :  Manuscrit^  Editions,  Source  (s'il  y  a  lieu), 
Particularités  linguistiques  {voyelles^  consonnes,  flexion),  Dialecte,  Remarcjues 
détachées,  Versification  (s'il  y  a  lieu).  Ce  qu'il  y  a  de  particulièrement  louable 
dans  le  commentaire,  c'est  la  partie  historique.  Toutes  les  opinions  émises  sur 
chaque  texte  et  sur  chaque  fait  de  chaque  texte  sont,  pour   peu   qu'elles  aient 


444  COMPTES-RENDUS 

la  moindre  valeur,  rapportées  avec  une  concision  qui  n'empêche  nullement  la 
clarté  et  discutées  avec  une  impartialité  éclairée.  Mais  loin  de  s'en  tenir  à  une 
compilation,  même  critique,  M.  K.  émet  des  opinions  qui  lui  sont  propres; 
parfois  il  se  borne  à  prendre  le  rôle  de  rapporteur  et  à  conclure  par  un  non  liquet, 
souvent  aussi  il  se  fait  juge  et  prononce  une  sentence,  qu'il  appuie  par  des  con- 
sidérants sobrement  et  solidement  motivés.  On  peut  ne  pas  être  toujours  de  son 
avis,  mais  son  avis  mérite  toujours  d'être  pris  en  sérieuse  considération,  et  son 
livre,  quand  il  sera  terminé,  formera  la  base  indispensable  de  tous  les  travaux 
sur  la  plus  ancienne  période  de  la  langue  française,  période  presque  souter- 
raine, que  nous  ne  connaissons  que  par  de  rares  et  fugitives  échappées. 

Le  livre  de  M.  Koschwitz  ne  se  prête  pas  à  un  compte  rendu  sommaire; 
pour  l'apprécier  dans  le  détail,  il  faudrait  un  espace  considérable,  et  j'aurai 
l'occasion  ailleurs  d'en  reprendre  pied  à  pied  l'examen.  Je  me  bornerai  ici, 
après  avoir  recommandé  le  livre  à  tous  les  romanistes,  à  présenter  quelques 
observations  sur  des  points  notés  çà  et  là  au  courant  d'une  première  lecture. 

I.  Serments.  Sur  l'histoire  du  manuscrit,  des  premières  éditions,  etc.,  voyez 
mon  article  dans  les  Mélanges  Caix-Canelio  (avec  les  rectifications  de  M.  Cari 
Wahlund).  J'ai  indiqué  dans  cet  article,  écrit  il  y  a  bien  longtemps,  une  opi- 
nion tout  autre  que  celle  de  M.  K.  sur  le  dialecte  des  Serments.  Les  arguments 
qu'il  donne  à  l'appui  de  la  sienne  (dialecte  du  sud-ouest)  sont  très  notables;  je 
ne  les  juge  pas  convaincants  (et  d'ailleurs  l'auteur  lui-même  ne  regarde  sa  thèse 
que  comme  vraisemblable).  Je  vois  des  phénomènes  proprement  graphiques  dans 
beaucoup  de  traits  qu'il  envisage  comme  dialectaux,  et  en  revanche  je  trouve  extrê- 
mement pvohMe  que  cadhunn,  eosa  indiquent  un  c  persistant  devant  a  (sur /iT^r/^ 
dans  le  Turpin  saintongeais  et  ailleurs  cf.  Rom.,  VII,  139).  Sendre  est  pour 
siendre,  si  on  admet  que  le  scribe  des  Serments  n'a  systématiquement  jamais 
noté  les  diphtongues  issues  des  voyelles  simples  latines  i\'ei  de  dreit  est  dans  un 
cas  différent);  poblo  est  picard;  ab  a  existé  dans  tous  les  dialectes  français, 
lémo'm  avec.  —  A  propos  d'une  tentative  pour  corriger  le  fameux  non  lostanit, 
j'ai  dit  ici  même  (XI,  444)  :  a  conjecture  aussi  inutile  que  possible  ».  M.  K., 
en  citant  cette  appréciation,  ajoute  qu'  «  on  pourra  l'appliquer  avec  plus  ou 
moins  de  droit  à  toute  nouvelle  tentative  d'explication  ».  Au  risque  de  ressembler 
à  ce  fou  qui  servait  de  guide  dans  un  asile  et  qui  montrait  fort  bien  la  folie 
de  ses  compagnons,  mais  révélait  tout  à  coup  la  sienne,  je  veux  noter  l'explica- 
tion de  ce  passage  que  je  crois  vraisemblable  depuis  longtemps.  Elle  se  rattache 
à  l'hypothèse  Meyer-Suchier-Lùcking-Lindner,  c'est-à-dire  qu'elle  suppose  qu'il 
y  avâ'il  frai nt,  comme  l'exigent  le  sens  et  le  parallélisme  avec  l'allemand  (et  l'ob- 
servation paléographique  deLùcking  ne  me  paraît  nullement  à  dédaigner);  mais 
la  fraint  rencontre  la  grave  objection  de  Diez  {lo  se  rapporterait  au  serment  de 
Louis)  et  celle  que  Meyer  y  a  faite  lui-même;  \e  lis  donc:  et  Karlus  meos  sendra 
de  sua  part  lo  suon  fraint.  La  leçon  en  soi  est  évidemment  satisfaisante;  reste  à 
expliquer  comment  elle  a  été  altérée.  Je  suppose  qu'un  copiste  intermédiaire 
entre  l'original  et  le  nôtre  (ou  peut-être  le  premier  scribe)  avait  oublié  les  trois 
lettres  non  [losfralnt  pour  losuonjraint)  et  les  avait  récrites  au-dessus  de  la  ligne  :  un 
autre  les  aura  remises  dans  le  texte,  mais  en  lisant  non  et  en  se  trompant  de  place  : 
non  losfraint\  un  autre  aura  écrit  non  en  abrégé,  et  omis  l'idevenue  inintelligible 


KOSCHwiTZ,  Commentar  zu  den  altesîen  franzœsischen  Denkmdern  445 

de  los,  et  ainsi  s'est  formée  la  leçon  actuelle,  n  lostanit^  en  y  joignant  la  mau- 
vaise lecture  st  pour  fr;  notre  copiste  ne  comprenait  rien  à  ce  passage,  qu'il 
a  copié,  comme  il  a  fait  l'allemand  qu'il  ne  comprenait  pas  davantage,  aussi  fidè- 
lement que  possible.  Voilà  mes  «  herbes  »  :  t  qui  en  voudra  si  en  prenge,  et 
qui  n'en  voudra  si  les  laist  ».— Je  ne  puis  admettre  la  leçon  de  M.  Lûcking  pour 
les  mots  nun  lui  ier,  parce  que  je  regarde  toute  diphtongue  du  genre  de  ce  le 
comme  exclue  de  la  graphie  de  notre  texte  '  :  un  scribe  qui  aurait  écrit  icr 
aurait  aussi  écrit  dUo,  dieus,  micon,  sicndra^  ko.  Au  reste  j'entends  la  non  pas 
comme  ;v,  mais  comme  ia\  cf.  ou  =  ubi  qu'on  trouve  dans  des  textes  où  d'ail- 
leurs 6  est  rendu  par  0  ou  11  simples  2. 

II.  Euldlk.  Les  observations  (p.  59)  sur  la  forme  menestkr  ne  me  paraissent 
pas  tout  à  fait  justes,  et  comme  j'ai  varié  d'opinion  sur  ce  point,  je  m'y  arrêterai 
quelque  peu.  Régulièrement  ministerium  n'a  pu  donner  que  mencstkrl\ 
cette  forme  une  fois  existante  en  français  n'a  pu  donner  postérieurement  mesîkr 
ni  par  l'intermédiaire  de  mcnstkr  (car  un  e  ainsi  placé  ne  tombe  pas  et  n  devant 
s  ne  tombe  pas  en  français),  ni  par  l'intermédiaire  de  mcesîkr  (car  n  entre  deux 
voyelles  ne  tombe  pas).  Mestier  est  une  forme  parallèle,  remontant  au  latin 
vulgaire,  puisqu'elle  se  retrouve  dans  toutes  les  langues  romanes  de  l'Occident, 
et  qui  s'explique  peut-être  par  une  confusion  de  ministerium  avec  myste- 
rium.  Mcncstkr  nt  nous  est  connu  que  par  Eulalie,  mais  la  même  formation 
régulière,  qui  se  retrouve  m  provençal,  s'est  conservée  dans  le  dérivé  ménestrel, 
de  sorte  qu'on  ne  peut  voir  dans  mcncsticr  un  trait  dialectal;  c'est  un  mot  qui  est 
tombé  de  l'usage  devant  la  concurrence  de  mestkr.—  Il  est  inexact  de  croire  que 
t  i/omn/rc//<:  vient  dedonii nie el  la  par  l'expulsion  du  premier /atone.  i>  D'après 
le  rythme  de  l'accentuation  du  latin  vulgaire,  dominicella  n'aurait  pu  réguliè- 
rement donner  que  domi  ncella;  domnizelk  répond  à  do  m  nicel  la,  forme  tirée 
de  do  m  n  a,  seul  connu  (comme  domnus)  du  latin  vulgaire;  \'i:=zé  a  été  con- 
servé par  euphonie.  —  Sur  l'explication  de  suon  suen^  taon  tuen  (p.  60)  je  par- 
tage complètement  l'opinion  de  M.  Koschwitz.  —  L'explication  de  coist,  ranekt 
(pour  cuist,  rankl)  par  l'influence  des  formes  faibles  (cokant^  ncier]  est  fort  peu 
probable,  et  ne  saurait  s'appliquer  à  ki  ;  il  est  bien  plus  naturel  d'y  voir  avec 
M.  Suchier  un  trait  dialectal.—  Je  vois  bien  (p.  62)  comment  la  rime  de  ie  =  ja 
et  de  ic  —  é  [conseillkrs  :  ckl)  prouve  que  la  prononciation  des  ie  de  cette 
double  origine  était  identique,  mais  je  ne  vois  pas  du  tout  comment  elle  prouve 
que  cette  prononciation  était  «  ié  avec  accentuation  ascendante  ».  —  Je  vois 
dans  ad  {ad  une  espcde)  le  latin  ad  et  non  apud,  et  je  suis  très  porté  à  voir 
également  dans  ai)  ab  et  non  apud.  —  La  question  la  plus  intéressante  pour 
la  phonétique  à' Eulalie  est  celle  du  c{a)  et  du  c(t).  Si  on  admet  avec  M.  K.  (et 
je  crois  qu'il  est  bien  difficile  de  faire  autrement)   que  le  c  devant  a  restait  c 


1.  C'est  pourquoi  je  regarde  également  \'i  de  savir,  podir,  dift  (forme  dont  je  ne  doute 
nullement  aujourd'hui),  mi,  sit,  comme  équivalent  à  ei  sinon  phonétiquement,  au  moins 
graphiquement. 

2.  Cf.  Fcerster  [Lit.  Centralblatt,  26  janv.  1878). 

3.  Ou  plutôt  menesiir;  mais  il  y  a  eu  substitution  de  suffixe  comme  dans  entier  pour 
entir. 


446  COMPTES-RENDUS 

(sans  entrer  dans  de  subtiles  distinctions)  comme  en  picard,  faut-il  admettre  par 
là  même  que  l'auteur,  qui  écrit  c/e/,  cels,  celle,  pulcelb,  merciî  et  surtout  czo  et 
manatce^  prononçait  chicl,  chcls,  etc.,  comme  en  picard  au  xiiF  siècle?  Pour  moi, 
je  pense  de  plus  en  plus  que  le  picard  a  commencé  par  dire  ts  tout  comme  le 
français  et  que  tch  est  un  développement  postérieur  '.  Notez  le  parallélisme  du 
traitement  du  c  devant  e  en  position  forte  et  en  position  faible.   Si  dès  l'origine 
cervum  avait  fait  en  picard  tcherf  et  en  français  tserf,   lucerna  aurait  dû 
donner  en  picard  ludjcrne  et  en  français  ludzcrne.  Orpourle  traitement  du  c  (ou 
du  t)  devant  e,  /  en  position  faible,  les  deux  dialectes  sont  parfaitement  d'accord: 
le  picard  dit  comme  le  français  liiiserne,  damoisete,  plaisir,  voisin,  raison,  acoisier 
et    non    luijerne^   damoijele,    plaijir,   voijin ,   raijon,  aeoijien.     Quelles    que 
soient  l'origine  et  l'explication  des  formes  franco-picardes /ui.s£rnif,  etc.  3,  il   est 
clair  qu'elles  remontent  à  une  forme  première  qui  est  parallèle  non  pas  à  tcherf 
mais  à  tserf.  On  peut  en  conclure  qu'à   l'origine  toute  la   langue  d'oui  disait 
tserf,  ludzerne,  et  que  le  changement  de  tserf  en  tcherf  dans  une  certaine  région 
est  postérieur  4.  Ce  qui  est  un  peu  singulier,  mais  ce  qui  n'est  pas   encore  abso- 
lument établi,  c'est  que  cette  région  soit  rigoureusement  la  même  que  celle  oij 
c  devant  a  a  persisté  et  ne  s'est  pas  changé  en  tch.  Et  après  tout,  cela  même 
peut  s'expliquer  :  on  n'a  développé  le  ts  en  tch  que  là  oi!i  on  n'avait  pas  d'autre 
tch.  L'auteur  d'Eulalic  peut  donc,  si  on  accepte  cette  théorie,  avoir  dit  en  même 
temps  kose,  kicll,  kicf,  et  tsiel,  tsel,  pultselle,  tso,  etc.   —  J'interprète  aujour- 
d'hui pagiens,   regicl  comme  M.  K.  et  je  considère  la  graphie  étymologique  de 
ces  mots  comme  amenée  par  la  prononciation  du  latin,  oiî  le  g  dans  des  mots 
comme «lîgmm,  naiifragium,  etc.,  n'avait  que  la  valeur  d'une  tradition  graphique. 
—  Il  y  a  longtemps  que  j'ai  proposé  de  traduire  si  ruovet  Kiist  non  par  si  rogat 
Christus,  mais  par  sic  rogat  Christum  ;   on  évite  ainsi  la   forme  fautive  Krist  au 
nominatif,  et  on  a  une  meilleure  construction  ;  le  sens  derover  peut  faire  quelque 
difficulté,  mais  on  a  des  exemples  d'emplois  analogues.  —   Pallicella  (p.  89) 
n'est  pas  le  diminutif  de   pull  a,    puisque  les  deux  u,   comme  le  remarque 
M.  K.,  sont  différents.   Pûllum    est  un  diminutif  de  pûtum;    pullicella 
est  un  diminutif  de  pûella,  dont  Vu  s'est  allongé  par  sa  fusion  avec  \'e.  —  Au 
v.  19  corn  arde  tost  veut-il  bien  dire  «  comme  si  elle  brûlait  vite  » .?  Il  semble 
qu'il  faudrait  le  passé  du  subjonctif,  et  le  sens  est  bizarre.  Je  préfère  entendre 
corn  au  sens  de  «  de  manière  à  ce  que,  pour  que  t>,  tout  en   avouant   n'en  pas 
connaître  d'autre  exemple.  —  L'étude  sur  la  versification  à'Eulalie  (p.  1 01- 120) 
est  très  approfondie  ;  je  n'ai  presque  pas  besoin   de  dire  que  j'ai  abandonné 


1.  Il  n'y  a  aucune  connexité  réelle  entre  tch  =  ce  et  k  =ca.  Dans  plusieurs  dialectes 
de  la  langue  d'oc  qui  conservent  c  devant  a,  c  devant  e  devient  ts  [s]  et  non  tch. 

2.  On  trouve  bien  des  formes  avec  j  pour  plusieurs  de  ces  mots  dans  tel  ou  tel  par- 
ler actuel;  mais  ce  sont  là  des  développements  postérieurs  et  qui  se  produisent  aussi  bien 
hors  de  la  région  où  c  persiste  devant  a. 

].  L'hypothèse  proposée  par  M.  K.  pour  ce  problème  difficile  me  paraît  être  la  meil- 
leure qu'on  ait  présentée  jusqu'ici. 

4.  Le  parallélisme  postulé  se  trouve  à  peu  près  en  italien  :  cf.  ragione,  dugento,  da- 
migella,  etc.;  mais  l'histoire  du  c  (,e,  i)  en  position  faible  en  italien  est  aussi  fort  obscure. 


KOSCHWiTZ,  Commcntar  zu  den£ltesten  Jranzœsischen  Denkmdern  4:\-j 

depuis  longtemps  mon  ancienne  opinion  sur  ce  sujet;  elle  contenait  d'ailleurs 
une  parcelle  de  vérité^  qu'il  ne  serait  peut-être  pas  inutile  de  mettre  en  lumière; 
mais  cela  m'entraînerait  présentement  beaucoup  trop  loin. 

III.  Fragment  de  VaUncicnncs.  M.  Koschwitz  a  consacré  à  ce  texte,  qui 
pique  si  vivement  la  curiosité  et  la  satisfait  si  peu,  une  étude  véritablement  digne 
d'admiration  par  la  force  d'attention  et  la  clarté  d'exposition  qu'elle  atteste, 
dans  un  sujet  obscur  et  embrouillé  entre  tous.  Il  a  eu  le  courage  de  couronner 
son  travail  par  une  traduction,  qui  rendra  de  grands  services  à  ceux  qui  s'es- 
saieront après  lui  sur  ce  texte.  Cette  traduction  ne  porte  naturellement  que  sur 
le  verso  de  la  feuille  de  parchemin  qui  nous  a  conservé  par  miracle  le  brouillon 
de  l'homélie  française  du  xe  siècle.  En  la  lisant  en  regard  du  texte,  et  en  la 
comparant  à  celle  que  j'ai  faite  autrefois  pour  mon  usage,  je  soumettrai  à  l'au- 
teur les  observations  suivantes.  Je  ne  suis  pas  convaincu  quefo  (f/?  signifie  «  cela 
veut  dire  »  (p.  128,  160);  je  le  traduirais  plus  volontiers  par  «  ce  dit-il  b  ; 
si  ço  dît  répondait  à  t  das  heisst  »,  il  me  semble  qu'il  serait  placé  en  tète  de 
chaque  phrase  française,  au  lieu  qu'il  est  toujours  en  incidente  après  donc  ou 
autrement  ;  d'ailleurs  la  vraie  forme  française  serait  plutôt  ço  espelt.  —  L.  4  ' 
pour  ne  doceiet  je  lis  ne  doleiet  et  au  commencement  de  la  1.  5  je  supplée  tant  de 
lor  salut^ct  qui  donne  un  sens  simple  et  naturel  :  «  il  ne  s'affligeait  pas  tant 
de  leur  salut  qu'il  faisait  de  la  perte  des  Juifs  »,  tandis  que  la  version  de  M.  K. 
est  fort  compliquée;  doceiet^  comme  le  remarque  l'auteur  (p.  146),  est  phonéti- 
quement incorrect;  enfin  je  crois  que  la  leçon  doleiet  est  très  acceptable 
paléographiquement.  Ici  et  1.  30  j'entends  ne  si  comme  ensi,  sans  d'ailleurs 
pouvoir  bien  l'expliquer.  —  L.  18  je  corrigerais  videbat  per  spiritum  profetie. 
—  L.  37  la  leçon  [Mat]heutn  est-elle  bien  assurée.?  J'ai  lu  jusqu'ici  leu  de  avant 
di{s^t,  et  il  me  semble  que  la  répétition  de  dist  est  bien  invraisemblable. —  Entre 
les  1.  22  et  23  je  supplée  non  une  phrase  terminée  par  [de]fendut^  mais  quelque 
chose  comme:  Cil  homines  de  celé  civitate  [tant  Faveient  o]fcndut  que...  —  Le 
mot  terriculum,  1.  23  et  28,  est  douteux  de  l'aveu  de  M.Schmitz  (J.  Tardif  lisait 
prcdictarn);  je  propose  de  lire  dans  les  deux  passages  triduum.,  qui  convient  à 
merveille  au  moins  au  second,  et,  il  me  semble,  aussi  au  premier. —  J'ai  bien  de  la 
peine  à  admettre  liberi,  1 .  26  :  Di:us  n'a  plus  alors  de  verbe  à  gouvernerS  ;  il  fau- 
drait liberaviî.  —  Entre  27  et  28  je  supplée  :  E  poro  si  vos  avient  [que  vos  bie]n 
jacicst  «iMriduum,  etc.  ;  je  comprends  donc  si  z=z  sic  et  non  =:  si  comme 
M.  Koschwitz,  et  je  traduis  comenciest  par  «  commencez  n  et  non  par  «  beginnen 
môget  »,  qui  n'est  pas  autorisé  par  le  texte.  —  Le  Sire  qui  commence  la  ligne 
jo,  et  dont  M.  K.  ne  dit  rien,  peut  aussi  bien  se  lire  [e]stre,  et  il  suffirait  de 
suppléer  por  ou  por  en  ciel. —  L,  3 1  je  ne  puis  concevoir  la  construction  admise 
par  M.  K.  :  «  prions  lui  que  de  ce  purgatoire  nous  délivre  qui  tant  de  maux 


1.  Je  cite,  comme  M.  K.,  d'après  son  édition  dans  Les  plus  anciens  monuments  (Réédi- 
tion}; mais  il  faut  avouer  que  h  disposition  n'en  est  pas  commode.  Chaque  ligne  du  ms. 
devrait  être  numérotée,  et  ce  qui  manque  au  début  de  chaque  ligne  devrait  être  suppléé 
à  cet  endroit  et  non  à  la  fin  de  la  ligne  précédente. 

2.  La  restitution  de  M.  K  :  «  Dieu  [eut  pitié  d'eux,  et  ainsi  ils  furent]  libres  »  me  pa- 
raît demander  trop  d'espace. 


448  COMPTES-RENDUS 

nous  ayons  fait  »  ;  il  traduit,  il  est  vrai,  habcamus  simplement  par  a  avons  » 
et  rapporte  «  qui  »  à  «nous  »  :  «  prions-le  qu'il  nous  délivre,  nous  qui  avons 
fait  tant  de  maux  »,  mais  cela  ne  me  semble  pas  possible.  Pourrait-on  lire 
habcnt  au  lieu  d'habeamus  ?  Si  on  le  pouvait,  je  serais  tenté  de  lire  paganos  le 
mot  que  Tardif  a  lu /?£ncu/o,  où  M.  Schmitz  n'a  déchiffré  que  PGos  et  où 
M.  K.  soupçonne  purgatorio\  On  comprendrait  alors:  «  Prions-le  de  nous 
délivrer  de  ces  païens  qui  nous  ont  fait  tant  de  mal  »,  et  on  aurait  là  une  allu- 
sion aux  Normands.  Le  fait  que  le  prêcheur  parle  encore  aussitôt  après  «  d^ 
paganis  e  de  mais  christianis  »  ne  contredit  pas  Cette  hypothèse. —  L.  53  au  lieu 
de  c  cels  eleemosynas  on  peut  lire  et  je  lis  e  tels,  qui  convient  mieux  sous  tous 
les  rapports. —  Dans  l'introduction  je  remarquerai  les  points  suivants.  Unanimes 
(p.  131,  150)  me  paraît  un  mot  purement  latin  {unanimes  pour  unanimi). — 
P.  131  je  lis  daréùe  =  durece  et  non  duretie ;  de  duritîa  (?)  on  aurait  i/ur//ie. 

—  Haire  (p.  135)  viendrait  de  l'ail,  hara,  1'^  ayant  donné  <?(  t  sous  l'influence 
de  Vr.  »  Il  vaut  bien  mieux  admettre  un  ha  ria  dérivé  de  har. —  P.  162  M.  K. 
dit  que  toutes  les  explications  proposées  pour  souâr  sont  impossibles,  et  il  ne 
mentionne  pas  celle  qu'il  a  donnée  plus  haut  (p.  i58)sans  hésitation:  sopire; 
je  l'ai  crue  bonne  aussi,  mais  je  ne  l'admets  plus;  il  n'y  a  pas  d'exemple  de 
verbe  en  -ire  passant  à  la  conjugaison  en  -eir.  —  P.  1^7,  malgré  les  re- 
marques de  l'auteur  et  de  M.  Forster,  je  ne  puis  croire  que  noieds^  aussi  lisi- 
blement écrit  que  possible  "dans  le  ms.,  ne  réponde  pas  à  necatus  ou  à 
necatos,  et  j'y  vois  le  plus  ancien  exemple  du  changement  (à  l'atonel  de  à  en  oi 
(voy.  Rom.  XI,  606).  —  Sur  la  question  du  dialecte  et  divers  points  de  gram- 
maire, j'aurais  à  faire  d'autres  remarques  que  je  réserve  pour  plus  tard;  mais 
le  répète  que  le  travail  de  M.  K.  mérite  tout  éloge. 

IV.  Fragment  de  polme  sur  le  Cantique  des  Cantiques.  Ici  aussi  le  commen- 
taire est  excellent.  La  question  du  dialecte  n'est  pas  éclaircie  et  ne  pouvait 
l'être  avec  certitude;  il  faudrait  en  exclure  la  forme  laisîat),  qu'il  n'y  a  aucune 
raison  à  mon  avis  de  ne  pas  interpréter  laissiét  (cf.  p.  196).  Mon  opinion  est 
que  rien  n'empêche  de  regarder  le  poème  comme  composé  dans  le  centre  occi- 
dental de  la  France  (la  rime  Jérusalem:  amant  n'est  certainement  pas  un  obs- 
tacle), et  c'est  cette  région  plutôt  que  l'est  qu'indique  l'emploi  des  accents 
diacritiques  ;  mais  la  brièveté  du  texte  et  l'étrange  graphie  du  copiste  rendent 
toute  décision  fort  douteuse.  —  Oillet  n'est  pas  oleet  (p.  176),  mais  oleat, 
et  tout  à  fait  correct. —  Dans  entreiz  cent  milie  (p.  189)  M.  K.  comprend  entr'eiz 
=z  inter  i  p  su  m;  cela  me  paraît  peu  vraisemblable  ;  \e  préfère  entre  ou  en  treis. 

—  La  graphie  chine  me  semble  provenir  tout  simplement  de  l'habitude  du  co- 
piste d'écrire  chi  r=  qui.  —  La  locution  e  chi  est  illi?  (v.  9)  n'a  rien  d'  «  aut- 
fâllig  ))  (p.  196),  et  est  parfaitement  conforme  à  l'usage  français,  même  moderne.  — 
Aromatigement  est  plus  singulier  que  ne  le  dit  l'auteur,  et  ne  se  justifie  pas  par 
es  exemples  allégués;  les  noms  empruntés  à  des  verbes  en  -izare  sont  nom- 
breux et  ne  présentent  jamais  g;  il  est  donc  fort  probable  que  le  g  est  une  faute 


I .  On  ne  demande  pas  à  Dieu  de  préserver  les  vivants  du  purgatoire,  mais  de  lenfer  ; 
c'est   ceux  qui  sont  déjà  au  purgatoire  qu'on  prie  Dieu  d'en  faire  .sortir. 


KOSCHWiTZ,  Commentar  zu  den  dîesten  franzœsischen  Denkmdlern  449 

pour  5  ou  j.  —  Au  lieu  de  qu'il  aràd  une  annt  (v.  52),  M.  K.  pense  que  l'ori- 
ginal portait  qu'il  aveïct  amie  ;  c'est  fort  peu  probable,  si  on  compare  ert  aux 
V.  53  et  68;  d'ailleurs  notre  poème  est  postérieur  à  VAlexis^qui  ne  connaît  déjà 
que  les  formes  en  -eit. 

V.  Epitrc  farcie  sur  saint  Etienne.  J'aurais  peut-être  ici  plus  d'objections 
de  détail  à  présenter  sur  des  points  de  doctrine,  mais  elles  n'ont  pas  grande 
importance;.  Ainsi  je  ne  crois  pas  que  juif  vienne  de  judivum,  ce  qui  oblige 
à  voir  dans  juef  «  un  compromis  entre  jué  et  juïj  »  :  juïj  est  une  des  formes 
qui  proviennent  de  judaeum;  mais  la  discussion  me  mènerait  trop  loin. — 
La  chute  de  Va  atone  pénultième  dans  Estevre  (p.  205)  n'est  pas  contraire  à  la 
phonétique;  le  v  ne  vient  pas  de/  par  adoucissement  devant  n  ou  r  (p.  214)  : 
on  a  dit  de  Stepanum  Estiévene  puis  Esticvnc,  d'où  Estievre  ou  Estienne.  — 
Pourquoi  nule  (p.  206,  219)  ne  répondrait-il  pas  à  nulla  et  serait-il  pour 
neiile?  —  Je  ne  crois  pas  que  volentiers  réponde  à  voluntariis  avec  une 
provenant  correctement  d'u  atone;  je  vois  dans  cette  forme,  comme  dans  volenteî 
et  rit.  volentieri,  l'influence  de  volentem,  volenter. —  M.  K.  n'admet 
pas  que  l'auteur  ait  laissé  passer  des  rimes  inparfaites;  il  attribue  pren  pour 
prent  au  copiste  (p.  226)  et  croit  devoir  corriger  (d'une  façon  assez  peu  plau- 
sible) lev.  51  (p.  224)  parce  qu'il  présente  une  assonance.  U.3.\%  pren  =  prende 
est  la  seule  forme  usitée  en  anciert  français  (de  même  que  pren  zzipvtnào, 
prens  =  pren  dis,  et  un  versificateur  aussi  médiocre  que  celui  dont  il  s'agit  a 
bien  pu  laisser  échapper  de  mauvaises  rimes.  —  La  recherche  sur  le  dialecte 
aboutit  à  rendre  très  vraisemblable  l'opinion  que  j'avais  émise  il  y  a  vingt-quatre 
ans,  sans  être  en  état  de  l'appuyer  comme  le  fait  aujourd'hui  M.  Koschwitz. 

En  résumé  on  voit,  même  par  ces  remarques  éparses,  quelle  est  la  valeur  et 
quelle  sera  l'utilité  du  Commentaire  de  M.  Koschwitz  ;  souhaitons  qu'il  nous  en 
donne  promptement  la  seconde  partie.  Qu'il  me  soit  permis  en  terminant  de 
dire  un  mot  personnel  :  l'auteur  a  constamment  l'occasion  de  me  citer  et  bien 
souvent  celle  de  me  contredire;  il  le  fait  toujours  avec  une  courtoisie  parfaite,  à 
laquelle  il  a  visiblement  attaché  du  prix,  car  il  lui  a  souvent  sacrifié  la  concision 
qu'il  recherche  avec  raison.  Je  ne  puis  que  lui  en  être  reconnaissant,  sachant 
mieux  que  personne  combien  une  sévérité  plus  grande  aurait  été  facile  et  souvent 
justifiée. 

G.  P. 


Die  Trojanersage  der  Britten.   Von  Georg  Heeger.  Mùnchen,  Olden- 
bourg,-1889,  8°,  p.  99. 

Voici  une  excellente  dissertation,  qui  apporte  à  l'histoire  littéraire  des  résultats 
vraiment  intéressants.  On  a   répété  souvent  que  la  fable  de  l'origine  troyenne 


_i.  On  remarque  aussi  dans  cette  partie  d'assez  nombreuses  fautes  d'impression,  par- 
fois gênantes.  Chons  Sdint-Oug:  iiAnjoumois  (p.  217),  Bucassé  pour  Bourassé  {p.  218), 
parlait  pour  portait  (p.  226). 

Romania,  XV.  29 


4^0  COMPTES-RENDUS 

des  Bretons  était  une  légende  ancienne  et  populaire;  M.  Heeger  n'a  pas 
de  peine  à  montrer  qu'il  n'en  est  rien,  que  c'est  une  pure  fabrication  érudite,  et 
qu'elle  n'apparaît  nulle  part  avant  VHistoria  Britonum  du  prétendu  Nennius'. 
Mais  dans  ce  texte  même  elle  est  très  probablement  interpolée.  L'auteur  primitif 
avait  inséré  dans  son  œuvre,  en  la  modifiant,  la  Generatio  regum  bien  connue, 
de  source  franque,  qui  remonte  au  x«  siècle 2,  et  qui  fait  d'un  certain  Istio, 
frère  d'Erminus  et  d'Inguo,  le  père  des  Romains,  des  Bretons,  des  Francs  et  des 
Alemans.  De  même,  d'après  VHistoria  Brito:Mm^  «  Hissitiohabuit  filios  quatuor, 
hi  sunt  Francus,  Romanus,  Britto,  Albanus.  »  Un  premier  interpolateur. 
jaloux  sans  doute  des  légendes  troyennes  des  Francs  et  des  Normands,  joignit  à 
cette  généalogie,  tirée  d'après  l'auteur  «  ex  veteribus  libris  veterum  nostrorum  », 
une  autre  qui  se  trouverait  «  in  annalibus  Romanorum  »,  et  d'après  laquelle 
Britto  ou  Bruto  aurait  été  un  fils  ou  un  petit-fils  d'Enée,  et,  chassé  d'Italie, 
serait  venu  occuper  la  Bretagne.  Un  troisième  savant  a  voulu  mêler  à  ce  récit  une 
autre  fable  d'après  laquelle  le  consul  Brutus  serait  venu  d'Espagne  en  Bretagne  ?, 
et  a  produit  un  inextricable  imbroglio.  Enfin  un  quatrième  a  essayé  de  réconci- 
lier le  premier  récit  avec  l'origine  troyenne.  Ces  quatre  versions  se  retrouvent 
dans  divers  mss.  de  VHistoiia  Britonum,  dans  un  ordre  qui  n'est  pas  celui  de  leur 
incorporation  à  l'œuvre  ;  aussi  avait-on  regardé  la  2<=  et  la  3",  qui  occupent 
le  I"  et  le  2«  rang  (A,  B),  comme  authentiques,  la  re  (C)  comme  interpolée 
ainsi  que  la  4»  (D).  M.  H.  discute  avec  une  grande  finesse  et  réfute  fort  bien,  à 
l'aide  delà  comparaison  des  mss.  et  de  la  traduction  irlandaise,  ce  système,  qui 
est  celui  de  M.  de  La  Borderie;  il  montre  que  jusqu'au  xii«  siècle  on  ne  trouve 
d'allusions  qu'à  la  i""*^  version  (C),  tandis  que  la  2"  (A)  est  citée  pour  la  pre- 
mière fois  (avec  B)  par  Henri  de  Huntingdon.  Pour  connaître  la  date  de  la 
première  interpolation,  source  de  tous  les  récits  britanno-troyens,  il  faut  d'abord 
connaître  la  date  de  VHistoria  Britonum  elle-même.  M.  H.  rejette  avec  moi  la 
date  de  822;  mais  il  n'accepte  pas  non  plus  celle  de  878,  cette  année  ne 
pouvant  pas  être  la  quatrième  du  règne  de  Mervin  fils  de  Rodri,  parce  que 
Rodri  ne  mourut  qu'en  877.  Il  en  conclut  que  le  passage  où  se  trouve  cette 
date  n'appartient  pas  originairement  à  VHistoria,  mais  est  d'un  auteur  qui 
plaçait  l'invasion  des  Saxons  à  une  date  autre  que  celle  de  429,  admise  par 
VHistoria.  Tout  son  raisonnement  me  paraît  fort  solide.  Rien  ne  permet  donc 
de  dater  avec  certitude  VHistoria  Britonum.  Quant  à  l'interpolation  A,  qui  nous 
intéresse  seule  ici,  elle  se  trouve  dans  le  manuscrit  du  Vatican,  qu'on  a  toujours 
attribué  au  X'^  siècle.  M.  H.  conteste  cette  date,  un  passage  du  manuscrit  dési- 
gnant l'année  1024  (ou  plutôt  1027),  en  sorte  que  «  le  ms.  du  Vatican  ne  peut 
pas  avoir  été  fait  plus  tôt,  mais  peut  bien  l'avoir  été  plus  tard  (p.  56),  »  et  il  faut 


1.  Sur  le  jeu  de  mots  hruti  Britones,  voy.  p.   19. 

2.  Il  y  aurait  à  faire  sur  le  rapport  de  ces  deux  textes  des  recherches  critiques;  il 
semble  que  le  passage  de  VHistoria  Britonum  ait  une  source  commune  avec  la  Generatio 
regum  plutôt  qu'il  ne  provient  d'elle. 

3.  Cette  fable  a  probablement  existé  d'abord  à  part,  et  indépendamment  de  toute  allu- 
sion à  Troie.  Decimus  Brutus,  consul  au  n"  siècle  avant  J.-C  ,  y  est  confondu  avec  Bru- 
tus le  premier  consul. 


HEEGKR,  Die  Trojanersage  der  Britten  45 1 

appliquer  le  même  raisonnement  au  ms.  perdu,  encore  plus  ancien  que  celui  du 
Vatican,  qui  a  été  la  source  du  ms.  de  la  B.  N.  (La  Borderie,  n°  19),  et  qui 
contenait  la  même  date.  Toutefois  cela  ne  prouve  rien  que  pour  la  date  de  la 
plus  ancienne  copie  à  laquelle  nous  puissions  remonter,  et  il  faut  remarquer 
que  cette  copie  contenait  déjà  l'interpolation  A.  M.  Heeger  va  donc  trop  loin 
en  faisant  descendre  cette  interpolation  jusqu'au  temps  d'Edouard  le  Confesseur; 
on  doit  admettre  qu'elle  est  antérieure  à  1027;  mais  si  on  pense  avec  l'auteur 
quelle  s'est  produite  sous  l'influence  de  la  légende  normanno  troyenne  racontée 
par  Dudon  de  Saint-Quentin,  elle  n'a  du  être  antérieure  que  de  bien  peu  '. 

Les  chapitres  suivants  ont  moins  d'importance,  mais  on  y  retrouve  la  même 
critique  judicieuse  et  pénétrante.  M.  H.  montre  que  Gaufrei  de  Monmouth  a 
composé  son  récit  de  l'expédition  de  Brutus  d'après  VHistoria  Brilonum  et  en 
empruntant  plusieurs  traits  (notamment  le  nom  de  Connwi)  à  Virgile  ;  que 
VHistoria  britannica  citée  dans  la  vie  de  saint  Gouëznou  ne  peut  être  que  le  livre  de 
Gaufrei  ;  que  Geoffrei  Gaimar  n'a  pas  eu  de  sources  bretonnes^  ;  enfin  que  Giraud 
de  Barri  ne  tire  que  de  Gaufrei  de  Monmouth  sa  connaissance  de  la  fable 
troyenne?.  Tous  ces  points  étaient  déjà  hors  de  doute  pour  les  genscompétents, 
mais  on  saura  gré  au  jeune  auteur  de  les  avoir  mis  en  pleine  lumière. 

L'étude  de  M.  Heeger  est  une  thèse  présentée  à  l'université  de  Munich.  Elle 
fait  honneur  aux  maîtres  du  nouveau  docteur,  et  on  peut  dire  qu'on  n'en  voit 
pas  souvent  qui  promettent  et  tiennent  déjà  autant. 

G.   P. 


1.  M.  H.  voit  dans  le  ms.  du  Vatican  la  forme  originale  de  l'interpolation,  mais 
j'avoue  que  cette  hypothèse  me  paraît  douteuse.  Dans  ce  ms.  le  mage  qui  fait  l'horoscope 
de  Britto  dit  que  l'enfant  sera  très  vaillant  et  »  amabilis  omnibus  liominibus,  »  et  on  lit 
ensuite  :  «  Propter  banc  vaticinationem  occisus  est  magus  ab  Ascanio.  »  Voilà  une  singu- 
lière récompense  pour  une  prédiction  si  flatteuse!  Le  ms.  continue  :  «  Sic  evenit  :  in  na- 
tivitate  iHius  mater  {ms.  mulier)  mortua  est  ».  Que  signifie  sic  evenit?  Combien  tout  est 
plus  clair  dans  les  autres  mss.  et  dans  la  version  irlandaise'  l.e  mage  prédit  que  l'enfant 
tuera  son  père  et  sa  mère  ;  c'est  pour  avoir  annoncé  cela  qu'on  le  met  à  mort.  En  effet, 
sic  evenit:  sa  naissance  coûta  la  vie  à  sa  mère,  et  il  tua  son  père  par  accident.  11  me 
semble  très  probable  que  l'auteur  de  la  version  du  ms.  du  Vatican  (et  du  ms.de  la  B.  N.) 
a  été  choqué  de  voir  attribuer  à  l'ancêtre  des  Bretons  des  crimes  même  involontaires,  et 
qu'il  a  maladroitement  retouché  l'histoire,  en  laissant  d'ailleurs  subsister  des  vestiges  de 
la  forme  originaire. 

2.  Il  y  a  dans  le  passage  tant  de  fois  cité  de  Gaimar  sur  ses  sources  un  vers  altéré 
dans  le  ms.  et  qu'on  a  essayé  de  rétablir  de  diverses  façons;  M.  H.  adopte  celle  de 
M.  Ten  Brink  :  Le  translata  e  fes  i  mist.  La  vraie  leçon  est  :  E  les  transcendences  i 
mist  :  on  sait  que  transcendcnce  signifie  ce  que  nous  appelons  «  synchronisme.  »  Ce  sont 
ces  synchronismes  qui  n'étaient  pas  dans  VHistoria  regum  Britanniae,  et  que  Gaimar, 
d'après  d'autres  sources,  avait  ajoutés  à  sa  version  :  rien  donc  de  moins  breton. 

3.  M.  H.  accorde  même  trop  à  M.  Joly  en  admettant  que  la  fable  troyenne  était  au 
xiiie  siècle  fgrâce  à  Gaufrei',  «  populaire,' universellement  répandue  »  chez  les  Gallois; 
du  moins  les  ouvrages  de  Giraud  de  Barri  ne  peuvent  servir  à  le  prouver. 


45  2  COMPTES-RENDUS 

In  memoria  di  Napoleone  Caix  e  Ugo  Angelo  Canello.  Miscellanea 
di  filologia  e  linguistica.  Firenze,  successori  Le  Monnier,  1886,  in-4°, 
xxxvni-478  pages. 

Nous  avons  parlé  à  plusieurs  reprises  de  ce  recueil,  dont  l'impression,  depuis 
longtemps  en  train,  vient  enfin  d'être  achevée.  Il  forme  un  beau  volume,  digne 
en  tous  points,  par  le  fond  et  par  la  forme,  de  la  pieuse  destination  à  laquelle 
il  doit  l'existence.  L'Italie,  la  France,  l'Espagne,  le  Portugal,  la  Roumanie, 
l'Allemagne,  l'Autriche,  la  Suisse  sont  représentés  dans  cet  hommage  rendu  à 
la  mémoire  de  deux  romanistes  enlevés  coup  sur  coup  à  la  science  dans  la  pleine 
force  de  l'âge  et  du  talent;  l'Italie  et  l'Allemagne,  pour  des  raisons  différentes, 
le  sont  le  plus  richement.  Le  volume  s'ouvre  par  une  courte  préface,  puis  vient 
un  beau  discours  de  M.  Villari  sur  la  vie  de  N.  Caix  et  une  intéressante  notice 
de  M.  Rajna  sur  ses  écrits;  la  notice  sur  U.  A.  Canello  est  de  M.  Crescini; 
elle  se  termine  par  une  très  utile  bibliographie,  qui  montre  dans  combien  de 
directions  s'était  exercée,  de  1870  à  1883,  l'activité  de  ce  jeune  et  ardent  tra- 
vailleur. 

Le  recueil  proprement  dit  se  compose  de  trente-six  articles,  que  nous  allons 
rapidement  passer  en  revue. 

P.  1-4.  Fr.  Miklosich,  Ucbcr  die  Nationalitat  der  Balgartn.  Le  savant  lin- 
guiste croit  que  les  Bulgares  formaient  un  mélange  de  Turcs  et  de  Finnois. 

P.  5-9.  Edm.  Stengel,  Ueber  dm  bteinischen  Urspiung  der  romanischen  Fûnj- 
zehnsilbiur  und  damit  vcrwandter  weitercr  Versarien.  M,  St.  reconnaît,  comme 
on  l'a  fait  ici  (IX,  177-191),  l'origine  du  vers  en  question  dans  le  tétramètre 
trochaïque  catalectique  rythmique;  cela  est  de  toute  évidence.  Il  explique  d'une 
façon  particulière  la  dérivation  du  vers  de  1 1  syllabes  de  ce  vers  de  1 5  syllabes, 
et  tout  son  article  mérite  d'être  lu. 

P.  I  1-38.  P.  Merle,  ProbUini  fonologici  suW  aiticulazione  e  salï  accento.  I. 
Tentativo  di  classificare  in  un  sistema  unico  d\nticolazioni  k  vocali  e  le  consonanti. 
II.  Diverse  graduzioni  délie  voci  toniche  e  perdita  0  naturdle  rotazwne  délie  atone. 
Observations  fines  et  pénétrantes,  qui  donnent  le  désir  de  voir  bientôt  l'ou- 
vrage que  l'auteur  annonce  sur  ces  matières. 

P.  39-49.  G.  Grôber.  Etymologicn.  i.  Fr.  aiguille,  serait  dû  à  l'influence 
combinée  d'aiguiser.,  d'anguille  et  d'aigu.  —  2 .  It.  ammiccare,  serait  formé  sur 
ammi,  ce  qui  n'est  probable  ni  pour  la  forme  ni  pour  le  sens.  —  3.  Andare. 
Défense  très  ingénieuse  de  l'étymologie  a  m  bit  are;  elle  ne  convaincra  sans 
doute  pas  les  partisans  d'addare  et  d'à  m  bu  lare  —  4.  Fr.  arroser,  viendrait 
du  nom.  ros,  mais  voyez  l'explication  bien  préférable  de  W.  Meyer,  qui 
prouve  l'existence  d'un  neutre  ros,  rosis. —  5.  It.  astore.,\v.  autour.  M. 
Gr.  le  tire  d'asturem  ;  il  ne  s'est  pas  souvenu  que  ce  rapprochement  avait 
déjà  été  fait  {Rom.  XII,  100);  la  question  est  d'ailleurs  fort  compliquée,  —  6. 
V.  fr.  bleron,  poule  d'eau,  «  du  néerl.  blaar,  tache  blanche  sur  le  front  qu' 
distingue  cet  oiseau  »;  le  fr.  bellcque  est  l'ail,  belche,  le  fr.  macroule,  macrole, 
mi7cr£iiic  tient  peut-être  au  hollandais  meyrkoet.  —  7.  Esp.  borraja,  fr. 
bourrache.  M.  Gr.  défend  l'étymologie  de  Diez  contre  celle  de  Littré  et  uneautre 


In  memoria  di  Napoléon  Coix  e  Ugo  Angelo  Canello  45  3 

qu'il  imagine. —  8.Fr.  encre,  viendrait  d'ïyy.a'ju.a  et  non  d'à'y/.au'jTov;  maison  n'y 
gagne  pas  grand'chose  pour  la  forme  et  on  y  perd  beaucoup  pour  le  sens, 
£Y/.au!i.a  n'ayant  pas  la  signification  d'encre.  —  9.  Fr.  jadis  serait  pour  ja  a  dis 
{=  dies)  ;  mais  il  tient  à  tandis,  celui-ci  à  {juandis,  et  déclarer  ejuamdiu  dans 
Boèce,  ^uandius  dins  Léger  pour  des  mots  savants  est  peu  acceptable;  il  vaut 
mieux  s'en  tenir  à  jam  diu.  Je  hui  ponr  ja  hui  zn  jam  hodie  est  une 
étymoiogie  donnée  ici  jadis  (VI,  629)  et  repétée  depuis.  —  10  Pr.  jassè,  ancsc, 
^«if,  rattachés  à  jam  exin,  de  exin;  ancse  serait  formé  du  prov.  ^«c  et 
d'exin.  Tout  cela  est  bien  peu  vraisemblable.  Pour  une  autre  étymoiogie, 
cf.  Rom.  XIV,  577-9.  —  11.  It.  malvagio,  fr.  mauvais  =r  maie  vatius; 
peu  probable  pour  plus  d'une  raison. —  12.  Fr.  morceau.,  non  de  morse  llum 
iDiez),  mais  de  *  morscel  lum  ;  le  seul  appui  de  cette  opinion  est  le  pic. 
morchel  (?),  mourchcu  (Littré);  mais  il  faut  le  juger  comme  amorche  pour 
amorsc  et  l'expliquer  sans  doute  autrement.  M.  Gr.  dit  que  personne  ne  songe 
plus  sans  doute  à  fonder  percer  sur  pertusier;  pert(u)sare  est  cependant  la 
seule  étymoiogie  acceptable  qu'on  ait  proposée;  ici  on  n'aurait  pas  cziz  s,  mais 
c  zn  ts.  —  13.  Fr.  nièce;  le  iat.  neptia  n'est  pas,  comme  le  veut  Diez,  de 
création  française,  mais  se  trouve  déjà  dans  une  inscription  (C.  /.  L.,V,  2208). 
—  14  Fr.  patois,  se  rattache  à  patte  ;  plutôt,  croyons-nous,  au  thème  qui  est 
dans  patte.  —  15.  Fr.  pièce  etc.,  viendrait  de  pe  lia  tiré  de  pedem;  la 
discussion  de  cette  hypothèse  nous  entraînerait  trop  loin;  bornons-nous  à  dire 
que  le  tripetias  de  Sulpice  Sévère  n'a  rien  à  taire  ici;  nous  pensons  qu'il 
faut  lire  tripedas,  devenu  dans  une  première  copie,  par  une  faute  très  na- 
turelle, tripecias,  d'où,  tripetias  d'une  pan  et  tripeccias  de  l'autre.  —  16. 
Fr.  ruisseau;  rejetant  avec  raison  l'étymologie  de  M.  FÔrster,  M.  Gr.  rattache 
ce  mot  au  bas-latin  rogium,  d'origine  d'ailleurs  inconnue;  ses  remarques  à 
ce  sujet  sont  fort  savantes  ;  il  n'en  résulte  pas  nécessairement  que  ru  ne  soit 
pas    rivum    et  ruisseau    riviscellum. 

P.  51-55.  G.  B.  Gandino,  Osscrvazioni  sopra  unversodel  poema  provenzale 
di  Boezio.  jOn  a  jusqu'ici  entendu  non  i  mes  foiso,  Boèce,  v.  26,  au  sens  de  «  il 
n'y  réussit  pas  »  en  paraphrasant  »  il  n'y  mit  pas  assez  (ou  ce  qu'il  fallait)  pour 
réussir  ».  Metrc  foiso  est  une  expression  jusqu'ici  sans  autre  exemple,  mais  je 
crois,  avec  M.  Tobler,  Zcitschrijt.  f.  rom.  Phil.  II,  505,  qu'elle  n'a  rien  de 
choquant.  M.  Gandino  propose  une  nouvelle  explication  à  laquelle  je  ne  puis 
attribuer  aucune  vraisemblance.  Selon  lui  ma  vient  du  latin  metere,  mois- 
sonner j),  et  le  sens  serait  :  «  il  ne  fit  pas  une  moisson  abondante,  il  ne  tira  pas 
grand  fruit  (de  ses  exhortations)  ».  Mais,  outre  que  Joiso  peut  difficilement 
signifier  «  fruits,  récolte  »,  on  n'a  aucune  raison  de  supposer  l'existence  d'un 
verbe  provençal  venant  de   metere,  —  P.  M.]. 

P.  57-69.  A.  Gaspary.  Molicrcs  Don  Juan.  Remarques  littéraires. 
P.  71-76.  A.  Tobler,  Etymologisches.  Butor;  on  peut  voir  la  forme  originaire 
dans  /rufor,  qui  serait  composé  de  ^Au/r^  à  l'impératif  ou  de  brui  primitif  de 
bruyère  et  de  tor  =:  taurum;  mais  il  est  plus  probable  que  la  première 
partie  du  mot  contient  le  verbe  bûtire  ou  bûbire,  qui  désignait  en  latin 
le  cri  du  butio  zz:  butor.  —  Piaffer,  de  picf  ==  pied  ;  mais  piaffer  est  un  mot 
d'argot  qui  n'apparaît  que  dans  la  seconde  moitié  du  xvi«  siècle,   a  trois   syl- 


4^4  COMPTES-RENDUS 

labes,  et  n'a  jamais  d'autre  sens  que  celui  de  «  se  pavaner,  faire  des  embarras, 
braguer,  comme  on  disait  aussi  »  ;  l'application  par  métaphore  à  un  cheval  qui 
relève  les  jambes  avec  élégance  est  enregistrée  pour  la  première  fois  dans  Richelet 
et  encore  inconnue  à  la  première  édition  de  l'Académie,  ainsi  qu'aux  diction- 
naires antérieurs;  quant  au  sens  de  «  frapper  du  pied  »,  il  est  absolument 
moderne  et  dérive  du  précédent.  L'origine  de  piaffer  est  inconnue. —  Forra  it. 
a  défilé  »  =  Furre,  forme  dialectale,  notamment  suisse,  de  Furche.  — 
Recrue  est  le  part,  de  recroître^  ce  n'est  pas  douteux,  mais  recruter,  que  M. T.  en 
tire,  n'en  est  pas  moins  pour  l'ancien  recluter,  qui  a  changé  déforme  précisément 
sous  l'influence  de  rdcru«  ;  on  ne  voit  pas  pourquoi  l'espagnol  aurait  changé 
recrutar  en  reclutar,  et  rien  ne  prouve  que  l'it.  reclutare  vienne  de  l'espagnol. 
—  Avertin  est  un  composé  de  vertin  =:  vertiginem  et  n'a  rien  à  faire  avec 
avertere  (Littré)  ;  cela  est  évident.  L'avertin  serait  pour  la  vertin;  c'est  pos- 
sible, mais  on  peut  croite  2iuss\  qu' avertin  ^nesvertin  m  ex  vertiginem.  Notons 
les  remarques  sur ningremance. —  Gerla  it.,  a.  fr.  jarle;  intéressantes  explications 
sur  les  dérivés  de    gerula    et  accessoirement  sur  le  v.  fr.  gor/e  =:  gùr tel. 

P.  77-89.  G.  Paris,  Les  Serments  de  Strasbourg;  introduction  à  un  commen- 
taire grammatical.  Ce  morceau  contient  quelques  inexactitudes  qui  sont  rectifiées 
par  M,  Cari  Wahlund  dans  une  note  additionnelle  publiée  p.  473  de  ce  vo- 
lume. 

P.  89-93.  C.  Paoli,  Notizia  di  un  codicetto  fiorentino  di  ricordi  scritto  in  vol- 
gare  nel  sccolo  XIII.  Description  d'un  cahier  de  parchemin  contenant  des  actes 
de  vente  rédigés  en  toscan  et  se  rapportant  à  des  terres  du  Vald'Arno  intérieur. 
Les  dates  de  ces  actes  sont  comprises  entre  1255  et  1290. 

P.  95-102.  F.  G.  Fumi,  Pastille  romanze.  I.  Au  romanzo  per  0  atono  latino; 
ces  formes,  qui  sont  propres  à  l'italien  et  au  provençal,  s'expliquent  par  une 
analogie  ou  mieux  un  mal-entendu.  —  II.  Grcggio,  grczzo  ;  l'auteur  défend  une 
étymologie  ancienne  de  lui  qui  rattache  ces  mots  à  grevius  =  gravius  et 
combat  celle  de  Canello  (egregi us)   et  de  Caix    (agrestis). 

P.  103-1 1 1.  G.  Meyer,  Dcr  Einfluss  des  Lateinischen  auf  die  albanesische  For- 
menlehre.  L'auteur  montre  que  l'influence  du  latin  sur  l'albanais  a  atteint  non 
seulement  le  vocabulaire,  mais  des  parties  essentielles  de  la  grammaire. 

P.  113-166.  C.  Michâelis  de  Vasconcellos,  Studien  zur  hispanischen  Worl' 
deutang.  [1.  Açamo.,  açaimo.,  port.  «  muselière»,  açamar.,  açaimar  «  museler  ». 
Du  v.  port,  açaimar  «  charger  une  bête  de  eomme,  ravitailler  une  place  »,  qui 
est  le  lat.  salmare  pour  sagmare.  — 2.  AIçapâo.,  port,  «trappe»,  est 
pour  alça-pde  «  lève  et  baisse  •. —  3.  Alinhavo,  alinhavâo,  port,  i  faufilure  », 
est  pour  â  linha  va  (cf.  fr.  fau-fil).  —  4.  Bagoa,  galicien,  a  larme  » 
Debaccûla,  dérivé  de  bacca  «  baie  ».  —  5.  Birta,  esp.  bilro,  port.  «  quille  y>. 
De  pyrulum,  diminutif  de  pyrum.  — 6.  Birlocha,  cast.,  milocha,  arag., 
miloca,  catal.,  miloja,  valencien  «  cerf-volant  ».  Même  mot  que  mil-ano  avec 
un  autre  suffixe.  Le  b  du  castillan  viendrait  de  ce  que  milano  a  été  confondu 
avec  vilano  (le  milano  passe  pour  oiseau  vil)  ;  IV  de  birlocha  n'est  pas  expliqué. 
—  7.  Bisalho,  port.  «  petit  sac  ».  De  bissac(c)  u  lum.  —  8.  Bolor,  port. 
«  moisissure  ».  De  pallor,  qui  a  ce  sens  dans  Vitruve,  Columelle,  etc.  — 
9.  Bugio.,  port,  f  singe  ».  Du  nom  de  la  ville  de  Bougie.  Dans  l'archiprêtre   de 


In  memoria  di  Napoléons  Caix  e  Ugo  Angeh  Canello  4  5  5 

Hita:  D.  Gimio  alcade  de  Buxùr,  dans  le  Cane,  gênerai:  monos  de  Bugia. —  10. 
Buir,  esp.,port.,  »  polir  »,v.  port. /Jo/r,  pair.  Du  lat.  polire. —  11.  Caramunha 
port.,  Cl  grimace,  moue  s.  De   quaerimonia.  —  12,  Cî/io,  galicien   «  céli- 
bataire ».    De   caelibus    pour   caelibe.  —  13.  Ccrniglo  (c'est  ce  qu'il  faut 
lire  dans  l'arch.  de  Hita,  Str.  982,  au  lieu  de  cenniglo),  esp.  i  fantôme,  épou- 
vantai! )).  Doublet  de  cerm'calo,  sorte  d'oiseau  de  proie.  —  14.  Derreter,  port. 
«  fondre  i,  est   pour  de-rreter,  de-tcrer.   De   deterere.    Cf.  v.  esp.  retir^  de 
ter  ère. —  15.  Dobar,  port.  «  dévider  »;  v,  port,  debarzn  debaar^  dtbàar,  esp. 
devanar.  De  de  pan  are  (pan  us). — 16.  EjVo,  «i7o,port.,  galic,  aido,  forme  popu- 
laire, a  place  devant  une  ferme,  étable  pour  le  petit   bétail  ».  De    aditum.  — 
17.  f/va,  port.,  <i   tache,  défaut    ».  De    labia   pour    labiés,    iabes.   —  18 
Encinta^esp.  «  (femme)  enceinte  ».   De    inciens.  —  19.  Eîrr««r,  esp.,   port. 
•  échapper  à,  éviter    »,   pour  estrocer  r=  estorcer.  De  extorquere.  —  20. 
Fasca^  jascas,  hascas^  esp.,  port.  «  presque,  à  peu  près    ».    De  faz   (impératif 
ou  5«  p.  s.  du  prés,  de  fazer)  joint  h  ca  =  que.   —  21.  Gulnllla,   esp.    «  pru- 
nelle de  l'œil  >.  Pour  guindïlla,  diminutif  de  guinda  e  guigne  »,  cf.  fr.  prumlle. 
—  23.  Lùra,  port.  «  couche  de  terre,  carreau  »„  De   area,    auquel  s'est  joint 
l'article.  —  23.  Macho,  esp.   «  mulet  ».  De    mulus,  par  les   formes  mulacho, 
muaiho.—  i^.  Madroho,  esp.,   port.    «   arbouse,  arbousier    f.  De    matur- 
oneus.  —  2^.   Macico.    esp.    Doit   être  le  même  mot   que   le  port,  maçarico, 
massarico,  sorte  d'oiseau.  —  26.   Mcigo,   port.,  m:gd,   esp.  «    doux,    bénin  ». 
Plutôt   de    magius    que  de    magicus.   —  27.   Morango,   port,    s  fraise  ». 
Formation  hispanique  de  niorus  et  du  suffixe  ango  (p.-e.  a  nie  us). —  28  Mouco, 
port.  «  dur  d'oreille  ».    De  Malchus,  le  sergent  auquel   Pierre  coupa   l'oreille 
droite.  —  29.  Non,  noni^  esp.  ;  nom,  nâo,  port.  «  nom  ».  Formes  abrégées  et 
usitées  seulement  dans  les  serments  et  jurons  de  nome    nomine.   —  30.   Pcl- 
mazo,  esp.  <•  masse  aplatie  »     De    pelma    pour    pegma.  —   31.  Pintalsigo., 
esp.,  port.  0  chardonneret  »;  formes  anciennes:   p'mtasirgo,   pintisirgo,  plnta- 
x/rgo.  Le  mot  iî'rgo  est    syricus;    pinti  est  pour  piti  zi:  pcctus .  —    32.    Pou- 
salousa,  port.  «  papillon  ■>.  Pousa,  impératif  de  pousar,  joint  à  lousa  «  dalle  ». 
Le  composé  n'a  pas  de  sens,  les  deux  mots   n'ont   été  réunis   que  parce  qu'ils 
rimaient  ensemble.    —   33.   Quera,   arag.    a    vermoulure   0.   De  caria   pour 
caries.  —  34.  Qiicxigo,  esp.  »  sorte  de  chêne  vert  1.  Vient  du  portugais,  où 
il  a  été  formé,  comme  perigo,  artigo,  de   *querci  eu  lum.—  35.  Relha,  port, 
f  soc  de  charrue  ».   De  *rallia,    *rallium    pour   ralla,    rallum.  —  56. 
Sandcu.  port,  sandio,  esp.  •  fou,  niais  ».   Ou    bien   de  sine   Deus,  ou   bien 
d'un  nom   de  personne    Sandaeus.    Peut-être   l'esp.     sandio  a-t-il    quelque 
chose  de  commun  avec  sandi'a  «  melon  d'eau  r. .  —  37.  Sar.iu.  «  fête  de  nuit  ». 
scrào  «  veillée  ».  Doublets  dérivés  de  sérum.  L'esp.  ^arjo  vient  du  portugais. 
—  38  Senzido,  V.  esp.,  cencido,  esp.  «  non  foulé,  en  parlant  d'un  pâturage  ». 
Delà  famille  du  port,  singello  t  simple»,  sing-  i  11  us,  et  du  cat.  sancer  «  entier  » 
sincerus.  —  39.   Sosegar,  esp.    ".    calmer  »,  v.   port,    sessegar    «    s'asseoir, 
s'établir».  De  sessicare,    dérivé  du  part,   sessum.   —    40.  So/urno,  port. 
«  sombre,  triste  ».  De  Satu  rnu  s. —  41.  Sovela,  porl.,  subilla, esp.,  «alêne». 
De  *  su  b  il  la    pour    subùla. —  42.  Atordido^  esp.,  stordire,  ital.   Il  n'y  a  pas 
lieu  d'écarter  définitivement  l'étymologie  turdus.  —  43.  Terçô,  port,  t  orgelet». 


40  COMPTES-RENDUS 

De  *  triticeol  um.  —  44.  Tiinca,  esp.,  port,  a  assemblage  de  trois  personnes 
ou  de  trois  choses  ».  De  *trinicus,  formé  sur  unicus.  —  45.  Umbral, 
esp.,  port.  «  seuil  d'une  porte  1.  On  peut  hésiter  entre  des  dérivés  de  lumen, 
l'imen,  humeras  et  limes.  —  46.  Urce,  esp.  ■<  romarin  »,  urzc,  port.  «  bru- 
yère »,  L'étymologie  de  M.  Baist,  ulice,  est  bonne;  mais  présente  quelques 
difficultés  de  sens.  —  47.  Vestiglo^  esp.  «  monstre,  spectre  •.  De  besti- 
culum.  —  48.  Fmco,  port.  «  pli,  raie,  ornière  ».  De  vinculum.  — 49. 
Xato,  esp.  •  veau  ».  L'identité  de  ce  mot  avec  chato.,  «  épaté  »,  proposée  par 
M.  Baist,  n'est  pas  encore  démontrée.  —  50.  Xodreiro,  port.,  s'emploie  en 
parlant  du  porc.  Dérivé  de  xodro,  xordo,  sordidus.  —  $1.  Yjada,  esp. 
Dans  Rabbi  Santob  :  «  piel  syn  yjada  » .?  —  p  Zisme,  esp.  Dans  un  passage 
de  Juan  Manuel,  à  côté  du  mot  pulga.  C'est  cimicem,  par  la  forme  inter- 
médiaire zimcc.  —  A.  M. -F.]. 

P,  167-174.  F.  Neumann,  Die  Enhvickelung  von  consonant  +  w  ini  Fran- 
zôsischen;  remarques  très  ingénieuses,  comme  on  peut  s'y  attendre,  mais  non 
moins  contestables.  Que  Vs  de  co(n)suere  soit  appuyée,  c'est  ce  qui  n'est 
pas  facile  à  concéder  ;■  et  futuere  doit-il  prendre  deux  /  comme  batuere.!* 
L'auteur  à  un  endroit  dit  avec  grande  raison  qu'en  phonétique  des  formes  ver- 
bales, exposées  à  tant  d'influences  analogiques,  ne  peuvent  avoir  de  force  contre 
des  mots  ordinaires  ;  il  aurait  dû,  pensons-nous,  appliquer  cette  règle  à  l'en- 
semble de  son  travail,  dont  la  première  partie  établit  des  lois  phonétiques  à  peu 
près  uniquement  sur  des  formes  verbales. 

P.  175-189.  A.  Miola,  Un  testa  drammatico  spagnuolo  dcl  XV  secolo  pubbti- 
cato  perla  prima  volta.  [Dhlogue  entre  un  vieillard,  l'Amour  et  une  femme, 
tiré  d'un  ms.  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Naples.  M.  Miola  disserte  sur  les 
rapports  de  cette  petite  pièce  avec  le  Didlogo  entre  el  Amor  y  un  vie/o  de  Ro- 
drigo Cota  sans  arriver  à  des  conclusions  bien  précises.  Le  texte  est  correcte- 
ment établi.  Str.  13,  v.  2,  lire  Nestor;  str.  22,  v.  5,  lire  tuerça  ;  str.  26,  v.  5. 
la  correction  est  inutile;  str.  ^i,  w .  ^.,  aparejadas  est  hon;  str.  47,  v.  10  la 
correction  est  mauvaise;  il  faut  lire  le  vers  ainsi:  sin  boradarnos  el  sayo  (sans 
percer  le  pourpoint).  —  A.  M. -F.]. 

P.  191-197.  B.  Wiese,  Einige  Dichtungai  Lionardo  Giustiniani' s .  Diverses 
rectifications  et  indications  bibliographiques  sur  ce  poème,  suivies  de  quatre 
compositions  inédites  tirées  d'un  ms.  de  la  Marciana. 

P.  199-108.  G.  P'iechia,  Etimologie  Sarde.  [Rectifications  au  Vocabulario 
Siirdo-Italiano  de  Spano.  On  trouve  dans  ce  travail,  rédigé  depuis  bien  des 
années,  comme  nous  l'apprend  une  note,  l'érudition  et  la  pénétration  dont  l'au- 
teur a  donné  tant  d'autres  preuves.  Bien  curieuse  est  l'explication  de  meda  (lat- 
meta),  pris  dans  le  sens  de  meule  de  paille  ou  de  foin,  signifiant  «  beaucoup  », 
que  M.  F.  rapproche  avec  raison  de  l'emploi  au  même  sens  de  massa  en  pro- 
vençal. C'est  de  même  encore  qu'aux  Etats-Unis  on  emploie  a  heap. —  P.  M.]. 
P.  209-21 5.  M.  Obédénare,  Une  forme  de  l'article  roumain  qui  se  met  devant 
les  substantifs  et  les  adjectifs.  [Les  éditeurs  de  la  Miscellanca  ont-ils  su  que  cet 
article  est  un  simple  extrait  d'un  travail  plus  étendu  publié  par  feu  Obédénare 
dans  h  Revue  des  langues  romanes,  j«  série,  XI,  131  et  suiv.  i"  L'utilité  de 
cette  réimpression  nous  échappe.  —  P.  M.]. 


In  memoria  di  Napoleone  Caix  e  Ugo  Angelo  Canello  457 

P.  217-229.  J.  Cornu,  Recherches  sur  la  conjugaison  espagnole  aux  xiil*  et 
xive  suclis.  [La  voyelle  de  l'infinitif  tombe  au  futur  et  au  conditionnel,  en 
ancien  espagnol,  toutes  les  fois  qu'une  raison  d'euphonie  ne  s'y  oppose  pas  : 
combrc  (esp.  mod.  comeré),  mais  traerc,  partiré  pour  éviter  la  répétition  de  l'r. — 
Forme  du  futur  où  l'auxiliaire  précède  l'infinitif  au  lieu  de  le  suivre.  M.  Cornu 
en  a  réuni  un  certain  nombre  d'exemples,  pour  la  plupart  assurés,  dans 
d'anciens  textes  en  vers  :  çà  et  là,  toutefois,  l'omission  d'un  de  entre  l'auxiliaire 
et  l'infinitif  ne  serait  pas  contredite  par  la  mesure.  On  peut  remarquer  à  ce 
propos  que  des  romances  en  castillan  assez  archaïque,  qui  se  récitent  encore 
dans  les  Asturies,  ont  conservé  quelques  vestiges  de  cette  forme.  Dans  celle 
qui  commence  Mananitas  de  San  Juan,  la  fille  du  Roi  dit  à  la  Vierge:  «  Ha 
declrmc  la  Senora  Si  tengo  de  ser  casada  ?  »  Puis  la  Vierge  lui  demande  oii 
elle  mettra  l'eau  qu'elle  vient  puiser  à  la  fontaine:  0  En  que  lo  has  llevar,  mi 
vida.  En  que  lo  has  llevar,  mi  aima  ?  —  Hélo  llevar  yo,  Senora,  En  regozos  de 
mi  saya,  etc.  »  (Jahrbuch/ur  rom.  Literatur,  l\l,  281)-  Une  autre  version  donne 
ici  :  «  Diga,  diga  la  Senora,  Donde  llevaré  yo  el  agua?  —  Llevaràslo  tu,  don- 
cella,  Nel  regazo  de  tu  saya  »  etc.  (Menéndez  Pidal,  Coleccion  de  las  viejos 
romances  que  se  cantan  por  los  Asturianos,  etc.  Madrid,  1885,  p.  233).  — 
M.  Cornu  termine  son  article  par  un  tableau  des  conjugaisons  en  ancien 
espagnol.  —  A.  M.-F.] 

P.  231-6;  cf.  p.  474.  P.  Meyer,  Complainte  provençale  et  complainte  latine 
sur  la  mort  du  patriarche  d'AquiUc  Grégoire  de  Montelongo. 

P.  237-241.  C.  Avolio,  La  questione  délie  rime  nei  poeti  siciliani  del  secolo 
XIII.  [Soutient  l'opinion  selon  laquelle  les  poésies  de  l'école  sicilienne  ont  dû 
être  écrites  dans  le  dialecte  local,  et  remarque  à  ce  propos  que  ceux  qui  ont 
étudié  la  question  si  controversée  des  rimes  de  ces  poésies  n'ont  pas  tenu  un 
compte  suffisant  des  variétés  dialectales  qu'offre  le  sicilien.  —  P.  M.]. 

P.  243-254.  F.  Zingarelli,  Un  serventese  di  Ugo  di  Sain  Cire.  [C'est  le  sir- 
ventés  Un  sirventes  veuill  far,  déjà  publié  par  Raynouard,  Lex.  Rom.,  I,  417,  ici 
réédité  d'après  le  ms.  d'Esté.  Diez,  qui  ne  le  connaissait  que  par  la  traduction 
bien  imparfaite  de  Millot,  le  plaçait  en  12 17;  M.  Gaspary,  dans  sa  récente  his- 
toire de  la  littérature  italienne,  l'attribuait  à  l'année  1246.  M.  Z.  prouve  qu'il 
a  dû  être  composé  en  1240.  M.  Casini  était  arrivé  indépendamment  et  en  même 
temps  au  même  résultat,  dans  son  mémoire  sur  les  troubadours  de  la  Marche 
Trévisane  (voy,  Romania,  XV,  158).  L'édition  de  M.  Z.  est  meilleure  que  celle 
de  M.  Casini.  Son  commentaire,  toutefois,  n'est  pas  exempt  de  fautes.  Au 
v.  18  Argensa,  mentionné  à  côté  d'Avignon,  de  Nîmes,  de  Carpentras,  ne 
saurait  être  Argence  dans  le  Calvados.  C'est  la  terre  d'Argence,  sur  la  rive 
droite  du  Rhône,  près  Beaucaire;  voy.  mon  édition  du  poème  de  la  Croisade 
albigeoise,  II,  à  la  table.  Au  v.  19  on  ne  comprend  pas  comment  M.Z.  n'a  pas 
vu  qu'il  s'agissait  de  Venasque  dans  l'arrondissement  de  Carpentras.  —  P.  M.] 

P.  255-261.  A  Mussafia,  Una  particolarità  sintattica  délia  lingua  italiana  dei 
primi  secoli  [Observations  très  fines  et  très  exactes  sur  la  place  des  pronoms 
personnels  atones,  au  cas  oblique,  quand  ils  sont  joints  àun  verbe.  Actuellement, 
en  italien,  ils  se  placent  avant  le  verbe  {la  vidi);  anciennement  il  se  plaçaient 
après  (vidilo)  quand  ce  verbe  était  au  commencement  de  la  proposition.   L'his- 


45°  COMPTES-RENDUS 

toire  de  cette  particularité  est  exposée  avec  autant  de  précision  que  de  clarté. 
Une  exception  que  M.  M.  avait  cru  trouver  daus  un  texte  fort  ancien,  la  for- 
mule de  confession  en  latin  mélangé  de  langue  vulgaire  publiée  et  étudiée  par 
M.  Flechia  (voy.  Rom.  XIV,  304-5),  se  trouve  n'être  qu'une  fausse  lecture, 
voy.  p.  474  de  la  Miscellanea.  ~-  P.  M.]. 

P.  271-288.  R.  Renier,  Un  mazzdlo  di  poésie  populari  fmncesi.  Ce  sont  28 
morceaux,  extraits  de  deux  manuscrits  du  xvie  siècle  de  la  bibliothèque  de  Cor- 
tone;  malheureusement  ce  sontdes  manuscrits  musicaux  (l'un  contient  le  io/jr^no, 
l'autre  le  contralto  des  mêmes  chansons),  qui  ne  donnent  que  le  début  des  pièces, 
et  ces  fragments,  copiés  en  Italie,  sont  fort  altérés.  M.  Renier  a  joint  à  l'édition 
une  introduction  fort  intéressante  sur  les  chansons  italiennes  que  contiennent  les 
mss.  de  Cortone  et  sur  les  autres  recueils  italiens  où  se  trouvent  de  ces  chan- 
sons françaises,  si  populaires  jadis  au  delà  des  Alpes  (on  peut  y  joindre  le  ms. 
de  Pavie  cité  Rom.,  VI,  271).  Parmi  les  28  morceaux  des  mss.  de  Cortone, 
plusieurs  se  retrouvent  ailleurs,  notamment  dans  le  ms.  B  N.  fr.  12744  publié 
par  la  Société  des  Anciens  Textes.  M.  R.  n'en  y  a  retrouvé  que  quatre,  mais 
d'autres  lui  ont  échappé  :  ainsi  les  derniers  mots  du  n»  XVIII  (à  partir  de 
tousior)  sont  en  réalité  le  début  d'une  autre  chanson,  le  n»  XCVI  A.  T.;  le 
no  XXI  R.  =:  XXVII  A. T.  ;  XXVIII  R.  =  XCV  A.  T.  Pour  l'édition,  M.  R. 
énonce  des  principes  fort  dignes  d'approbation,  mais  il  les  suit  imparfaitement. 
Il  dit  qu'il  faut  donner  de  ces  morceaux  si  altérés  une  reproduction  diploma- 
tique; or  1°  il  prend  pour  base  le  texte  d'un  des  mss.,  et,  quand  les  leçons  de 
l'autre  sont  decisamenU  da  preferirsi,  il  les  adopte,  sans  donner  les  variantes 
qu'il  rejette,  en  sorte  qu'après  la  publication  il  faudra  revoir  les  textes  ;  2"^  i  I 
divise  les  vers  à  son  idée,  et  parfois  inexactement  (voyez  par  exemple  la  fin 
déjà  citée  du  n'  XVIII);  il  met  la  ponctuation,  des  apostrophes,  des  accents,  etc., 
et  préjuge  ainsi  la  lecture,  quelquefois  peu  heureusement  (ainsi  XI,  16  je  n'é 
pour  j'en  é  ;  XW,  \,  je  pour  j'è,  etc.);  la  distinctio  verborum  surtout  laisse  à 
désirer:  XI,  8  vigie  corne,  1.  viglecome ;  XII,  ^  che  con  scias  aghut,  1.  che  consel 
as  aghut,  avec  un.?  qui  manque;  XVII,  12  outre  buciet,  1.  ou  trebuciet.  Il  est 
probable  que  les  fautes  réelles,  comme  Se  pour  Le  XIV,  i,Sardonnès  pour  Par- 
donnés  XV  II,  12,  sont  déjà  dans  les  manuscrits.  Malgré  ces  imperfections,  la 
publication  de  M.  Renier  est  digne  d'éloge  et  de  remerciements;  elle  en  mé- 
riterait plus  encore  si  la  musique  était  jointe  au  texte. 

P.  289-291.  H.  Suchier,  Ueber  die  Tenzone  Dante's  mit  Forese  Donati.  [M.  I. 
del  Lungo  a  mis  définitivement  hors  de  contestation  l'authenticité  des  cinq 
sonnets  qui  composent  cette  tenzone  et  dont  trois  sont  de  Dante  et  deux  lui  sont 
adressés  par  Forese  Donati,  voy.  son  édition  de  Dino  Compagni,  II,  611  et 
suiv.  Le  même  savant  a  édité  le  premier  l'un  de  ces  sonnets  jusqu'alors  resté 
inédit  et  amélioré  le  texte  des  autres.  La  note  de  M.  Suchier  est  un  supplément 
au  travail  de  M.  del  Lungo.  Elle  contient  l'explication  d'un  passage  obscur  du 
sonnet  [Ben  ti  faranno)  publié  pour  la  première  fois  par  M.  de)  Lungo,  et  des 
conjectures  sur  l'ordre  de  ces  sonnets.  —  P.  M.]. 

P.  295-303.  A.  d'Ancona,  L'Artc  di  dire  in  rima.  SonctU  di  Antonio  Pucci. 
Suite  de  sonnets  publiés  d'après  un  ms.  d'Udine.    M   d'Ancona,  qui  n'en  exa- 


In  memoria  di  Napoleone  Caix  e  Ugo  Angelo  Canello  459 

gère  pas  la  valeur,  fait  observer  que  l'auteur  a  imité  en  un  endroit  le  Tesoro  de 
Brunetto  Latine. 

P.  30J-}  I  I.  S.  Pieri,  //  vcrbo  arclino  et  lucchcsc. 

P.  313-352.  G.  Morosi.  L'odkrno  dialctto  catalano  d'AIghero.  [On  sait 
que  la  ville  d'AIghero  située  sur  la  côte  occidentale  de  la  Sardaigne  fut  peuplée 
de  Catalans  à  la  suite  de  la  conquête  de  l'île  par  Pierre  IV  d'Aragon.  Le  cata- 
lan, bien  que  de  plus  en  plus  mêlé  de  sarde  et  d'italien,  y  est  encore  parlé 
aujourd'hui.  Le  mémoire  de  M.  Morosi,  composé  avec  une  excellente  méthodei 
montre  que  le  catalan  d'AIghero  n'offre  guère  de  traits  qui  ne  se  retrouvent  en 
Catalogne.  Les  secondes  personnes  du  plur.  sont  en  au,  eu,  comme  en  catalan 
moderne.  L'auteur  en  conclut  que  ces  formes,  considérées  par  feu  Alart  {Rev. 
des  l.  rom.,  2»  série,  IV,  1 10)  comme  relativement  récentes,  devaient  être  plus 
anciennes  que  le  milieu  du  xiv>-'  siècle,  au  moins  dans  la  langue  usuelle  ;  mais 
la  conclusion  ne  me  paraît  pas  rigoureuse  :  jusqu'au  traité  de  Rastadt,  Al- 
ghero  a  été  possession  espagnole,  et  les  rapports  entre  cette  ville  et  Barce- 
lone ont  dû  être  assez  fréquents  pour  que  le  catalan  de  la  métropole  ait  influé 
sur  celui  de  la  colonie.  En  appendice  M.  M.  a  publié  une  petite  collection  de  pro- 
verbes et  de  comparaisons  populaires  qui  n'offrent  rien  de  bien  saillant;  et  enfin 
un  chant  populaire,  évidemment  incomplet,  qui  n'est  autre  que  le  célèbre  chant 
des  transformations  auquel  Mistral  a  donné  une  nouvelle  popularité  par  la 
chanson  de  Magali.  On  connaît  beaucoup  de  rédactions  de  cette  poésie  vérita- 
blement originale  (voy.  Romania,  Vil,  61-4).  Il  en  e.xiste  une  en  Catalogne', 
mais  elle  diffère  notablement  de  celle  d'AIghero,  qui  a  un  commencement  tout  à 
fait  particulier.  Je  citerai  une  strophe  de  cette  dernière  : 

Ma  faré  a  unaanguiléta, 
I  ma  'n  fugiré  nadant. 
—  Si  vus  feu  a  un'  anguileta, 
Ely  '  sa  fara  pascador  [lis)  : 
I  vu  'n  prangara  pascant. 

Nous  aurons  prochainement  l'occasion  de  parler  de  nouveau  du  catalan  d'AI- 
ghero, à  propos  d'un  récent  mémoire  paru  dans  VArchivio  de  M.  Ascoli  (t.  IX) 
au  moment  où  s'achevait  l'impression  de  la  Miscellanea.  —  P.  M.]. 

P.  333-344.  M.  Casier,  Die  rumdnischen  «  Miracles  de  Nostre-Dame  ».  C'est 
une  simple  traduction  de  l"A;i.a'.ToAwv  7oj-r,pia  du  moine  Agapios. 

P.  345-3  n-  ^-  Salvioni.  Antichi  testi  diakttali  chieresi.  [Copie  figurée,  au- 
tant que  le  permet  la  typographie,  de  deux  textes  signalés  pour  la  première  fois 
en  1783  par  Pipino  dans  sa  grammaire  piémontaise  et  publiés  en  1827  par 
Cibrario  dans  ses  Storie  di  Chieri.  Le  plus  long  des  deux,  le  statuto,  est  daté  de 
1321,  mais  je  dois  dire  que  j'ai  toujours  considéré  cette  date  comme  fort  dou- 
teuse. !1  se  pourrait  bien  que  ce  document  fût  une  traduction  faite  au  xv  siècle. 


1.  Pelay  Briz,  Gansons  de  la  trrra, 

2.  Ou  elh ;  remarque  la  mouillure. 


460  COMPTES-RENDUS 

L'éditeur  ne  nous  renseigne  pas  sur  l'âge  du  ms.  A  la  suite  du  texte  viennent 
un  dépouillement  grammatical  et  un  glossaire.  —  P.  M.]. 

P.  357-372.  L.Bhdene,  La  forma  metrica  del  «  commialo  »  nclla  canzont 
italiana  dei  secoli  XIII  t  XIV.  [Ce  mémoire  expose  selon  un  ordre  satisfaisant, 
mais  avec  trop  de  divisions  et  de  subdivisions,  les  résultats  d'un  dépouillement 
à  peu  près  complet  de  la  poésie  lyrique  italienne  du  xiii«  siècle  et  du  xiv^. 
M.  Biadene  montre  que  le  commiato,  ou  comme  nous  dirions  en  français,  l'envoi, 
est  d'origine  provençale;  que  cependant  il  n'est  pas  fréquent  dans  la  poésie  de 
l'école  dite  sicilienne;  qu'il  a  surtout  été  mis  à  la  mode  par  Guittone  d'Arezzo. 
Tout  d'abord,  il  se  présente  dans  les  mêmes  conditions  qu'en  provençal,  où, 
comme  on  sait,  l'envoi  [tornada]  reproduit  la  forme  et  les  rimes  des  derniers 
vers  de  la  strophe  précédente  ;  mais  bientôt  apparaissent,  notamment  chez  Dante, 
des  dispositions  tout  autres  et  susceptibles  d'une  variation  presque  infinie.  En 
appendice  M.  B.  cherche  quel  a  pu  être  le  sens  primitif  du  prov.  tornada.  Il 
repousse  avec  moi  l'explication  proposée  par  un  certain  Kalischer  qui  écrivit 
en  1866,  en  mauvais  latin,  une  dissertation  de  la  dernière  faiblesse  sur  la  tornada, 
et  croyait  retrouver  dans  tornada  tous  les  sens  du  verbe  tornar.  M.  B.  a  bien  vu 
qu'il  fallait  s'en  tenir  à  un  seul  sens,  mais  auquel.?  Il  remarque  que  dans  l'usage 
populaire,  la  commiato  ou  congedo  a  pour  synonime  volta.  Or  Dante  nous  apprend, 
dans  un  passage  souvent  cité  et  commenté  de  son  de  vulgari  eloijuio,  que  volta, 
en  latin  dictsis,  était  le  point  où,  dans  le  corps  d'un  couplet,  on  passait  d'une 
mélodie  à  une  autre.  Par  suite  on  a  appelé  volta  toute  la  fin  de  la  strophe  à 
partir  du  point  où  avait  lieu  le  changement.  Le  prov.  tornada^  qui  au  fond 
signifie  la  même  chose  que  l'it.  volta.,  aurait  subi,  selon  M.  B.,  la  même  extension 
de  sens.  Je  dois  dire  que  je  ne  puis  me  rallier  à  cette  opinion.  J'ai  depuis  long- 
temps abandonné  l'explication  que  j'opposais  il  y  a  vingt  ans,  dans  la  Revue  cri- 
tique, à  celle  de  M.  Kalischer;  j'étais  alors  porté  â  voir  dans  tornada  un  syno- 
nyme du  fr.  envoi.  Je  crois  actuellement  que  tornada  est  tout  à  fait  comparable 
à  volta,  ou  a  ritornello,  ce  dernier  mot  aussi  ayant  été  employé  comme  synonyme 
populaire  de  commiato];  mais  il  faut,  selon  moi,  prendre  volta  en  un  sens  différent 
de  celui  que  Dante  définit  dans  le  de  vulgari  eloquio.  Je  crois  que  par  tornada, 
comme  en  italien  par  volta  ou  ritornello,  on  a  voulu  désigner  un  retour  à  la 
mélodie  des  derniers  vers  de  la  strophe  précédente.  Et  c'est  là  ce  que  Dante 
nous  apprend  quand,  dans  le  Convivio  (II,  chap.  xii),  il  dit  que  htornata  a  été 
imaginée  pour  que  «  une  fois  la  chanson  chantée,  on  y  revînt  avec  une  certaine 
partie  du  chant  »,  perche,  cantata  la  canzone.,  con  ccrta  parte  del  canlo  ad  cssa  si 
ritor nasse.  —  P.  M.]. 

P.  375.  M.  Mila  y  Fontanals,  Un'  alba  catalana.  Déjà  malade  du  mal  qui 
devait  l'emporter,  Mila  voulait  cependant  apporter  quelque  contribution  au 
recueil  et  envoyait  la  copie  d'une  charmante  aubade,  toute  moderne,  recueillie 
par  lui  en  1865  en  Roussillon. 

P-  37S'39'-  P-  Novati.  //  ritmo  Cassinese  e  le  sue  interpretazioni.  [Tentative 
ingénieuse  à  l'effet  de  donner  une  idée  générale  du  sujet  de  ce  poème,  dont 
l'obscurité  est  si  grande.  A  tout  le  moins,  M.  N.  nous  semble  avoir  prouvé  que 
les  diverses  interprétations  proposées  jusqu'à  présent  ne  sont  pas  acceptables. 
La  copie  unique  que  nous  possédons  de   ce  poème  présente  des  lacunes  et  con- 


In  memoria  di  Napoleone  Caix  e  Ugo  Angelo  Canello  461 

tient  beaucoup  de  fautes,  ce  qui  ne  permet  guère  d'espérer  qu'on  arrivera  jamais 
à  l'intelligence  complète  de  ce  poème,  qui  du  reste,  parce  qu'on  en  peut  com- 
prendre, semble  au  fond  médiocrement  intéressant.  C'est  une  suite  de  lieux 
communs  moraux  comme  il  n'y  en  a  que  trop  dans  les  littératures  du  moyen 
âge.  —  P.  M.]. 

P.  395-415.  Fr.  d'Ovidio,  Dclla  qiuintità  pcr  natura  délie  vocali  in  posizione. 
On  lira  avec  un  grand  intérêt  ce  travail  plein  d'esprit  et  de  science,  où  l'auteur 
fait  l'historique  de  la  lente  découverte  et  de  la  plus  lente  utilisation  d'une  vérité 
aujourd'hui  si  palpable,  en  éclaire  les  différents  aspects  et  en  signale  les  prin- 
cipales applications. 

P.  417-421.  E.  Monaci,  //  Trattato  di  poetica  portoghese  esistente  nel  canzo- 
niere  Colocci  Brancuti.  [Ce  traité  nous  est  parvenu,  comme  tout  le  chansonnier 
Colocci  Brancuti,  en  tète  duquel  il  se  trouve,  dans  l'état  le  plus  défectueux. 
La  copie  que  nous  possédons  de  ce  chansonnier  a  été,  comme  on  sait,  exécutée 
au  commencement  du  xvi«  siècle  sous  la  direction  de  Colocci  et  revue  et  com- 
plétéepar  lui.  L'original,  aujourd'hui  perdu,  était  en  très  mauvais  état  ;  il  y 
avait  des  lacunes  et  des  parties  plus  ou  moins  illisibles.  Le  fait  est  que  la  copie 
de  Colocci,  bien  que  faite  avec  un  souci  de  l'exactitude  qui  n'était  pas  général 
à  cette  époque,  est  bien  souvent  inintelligible.  L'édition  publiée  par  M.  Mol- 
teni,  sous  la  direction  de  M.  Monaci  2,  est  une  reproduction  aussi  rigoureuse- 
ment exacte  que  le  permet  la  typographie.  Les  abréviations  sont  reproduites, 
les  lacunes  sont  indiquées  avec  précision  ;  de  sorte  que  cette  édition  vaut  le 
manuscrit.  Mais  il  reste  à  faire,  pour  faciliter  l'intelligence  de  ces  textes  si  cor- 
rompus, tout  un  travail  de  restitution,  que  M.  Molteni,  enlevé  à  la  science  par 
une  mort  prématurée,  n'a  pu  faire.  Actuellement  M.  Monaci  tente  cette  resti- 
tution pour  la  partie  la  plus  défectueuse,  le  traité  de  poétique.  Ce  travail,  où  il 
y  a  beaucoup  de  corrections  ingénieuses,  n'est  donné  par  l'auteur  que  comme 
provisoire.  C'est  du  moins  un  excellent  point  de  départ.  M.  Chabaneau  avait 
supposé  que  l'auteur  de  ce  traité  avait  mis  à  profit  les  Le-js  d'amors.  M.  M. 
exprime  à  cet  égard  des  doutes  qui  me  paraissent  fondés.  11  est  même  porté  à 
douter  que  l'ancienne  poésie  lyrique  des  Portugais  soit  une  dérivation  de  la 
poésie  des  troubadours,  et  là  encore  il  me  semble  avoir  raison  :  du  moins  est-il 
certain  qu'on  a  exagéré  le  rapport  des  deux  poésies.  Je  crois  du  reste  que 
l'opuscule  si  mal  traité  dont  M.  M.  a  tenté  la  restitution  n'a  pas  une  grande 
valeur:  c'est  un  travail  fait  uniquement  d'après  les  poésies  mêmes  qui  nous  sont 
parvenues.  L'auteur  anonyme  ne  nous  dit  à  peu  près  rien  que  nous  ne  puissions 
trouver  par  nous-mêmes  en  étudiant  les  poésies  qu'il  avait  sous  les  yeux.  Quand 
vivait-il?  Avant  le  xv«  siècle,  selon  M.  Monaci.  Je  conjecture  que  la  composition 
de  son  traité  ne  doit  pas  être  de  beaucoup  d'années  antérieure  à  cette  époque  et 
qu'il  connaissait  la  terminologie  poétique  usitée  en  français.  En  effet  il  se  sert  du 
mot  tulho  pour  désigner  la  forme  des  couplets  (III,  viii  et  IV,  i,  pp.  420,  421). 
Or  c'est  précisément  le  sens  du  mot  taille  en  français  au  xiv  siècle   et  au   xv. 


I.  Elle  forme  le  t.   II   des    Communicazioni   dalle  Bibliotheche   di   Roma 
bibliotheche  de  M.  Monaci;  Halle,   1880,  in-4'. 


462  COMPTES-RENDUS 

chez  Eustache  Deschamps,  dans  son  Art  de  dicticr  (éd.  Crapelet,  p.  278,  280), 
dans  le  Doctrinal  de  science  rhétorique  (Arch.  des  Missions,  I,  269)  etc.'  —  P.  M.] 
P.  425-471.  Gr.  Ascoli,  Due  lettre  glotlologiche .  I.  Di  un  filone  italico,  di- 
verse dal  romano,  che  si avverta  nel  campo  neolatino;  il  s'agit  surtout  de/  entre 
voyelles,  qui  n'est  pas  latin,  mais  italique,  et  se  trouve  en  roman,  non  seulement 
dans  des  mots  qui  avaient  déjà  pénétré  en  latin  [sifilare)^  mais  dans  des  mots 
où  le  b  seul  est  attesté  en  latin  [bubulcus);  on  retrouve  là  la  profusion  de  science 
et  d'idées  habituelle  à  l'illustre  auteur.  II.  Dei  neogrammaiici.  M.  Ascoli,  comme 
dans  sa  première  Leltera  glottologica  (voy.  Rom.,  X,  130),  tout  en  rendant  jus- 
tice au  mérite  et  aux  découvertes  de  certains  «  néo-grammairiens  »,  montre 
par  des  exemples  puisés  dans  plusieurs  domaines  linguistiques  que  la  prétention 
de  quelques-uns  d'entre  eux  à  avoir  fait  une  révolution  dans  la  science  n'est  nul- 
lement fondée,  et  que  les  romanistes  notamment  appliquaient  depuis  longtemps 
|es  principes  soi-disant  nouveaux.  Il  revient  en  passant  à  sa  théorie  du  «  motif 
ethnologique  »,  et  essaie  de  démontrer  que  le  changement  espagnol  de /"en  h  est 
d'origine  ibérique,  ce  qui  peut  se  contester  surtout  à  cause  de  la  date  récente 
du  phénomène  (que  jusqu'au  xiii"  siècle  on  ait  conservé  Vf  par  tradition  éty- 
mologique, c'est  fort  peu  probable  :  notez  surtout  la  chanson  polyglotte  de 
Raimbaut  de  Vaqueiras)  et  pour  d'autres  raisons  encore;  il  donne  une  explica- 
tion très  ingénieuse  du  fr.  hors,  qui  égalerait  ors,  extrait  de  dehors  =  de  foris 
{Estiene  =^  Estievne  =  Estiévene  esl  une  rmu\a\se  analogie;  escroele  =  scro- 
f e  11  a  vaudrait  mieux);  mais  comment  s'expliquerait  le  maintien  de  l'i;  (il  faudrait 
deors,  dors)  et  l'aspiration  de  l'A,  qui  est  incontestable  ?  Sur  la  question  du 
développement  de  0  tonique  en  uo,  uf,  of,  ô  {Rom.,  X,  iji),  il  faudrait  une 
discussion  que  nous  ne  pouvons  aborder  ici.  A  propos  d'une  note  de  la  Romania 
(IX,  485)  M.  A.  se  demande  comment  expliquer  Clairac  si  clarum  a 
donné  cler  et  non  clair  f  Bien  simplement  :  Clairac  est  Clariacum  et  répond 
au  fr.  du  nord  Clairi,  Cléri ;  de  même  clairon  vient  d'un  type  clarionem  con- 
servé dans  \'ar\g\.'clarion  et  attesté  en  bas-latin  (voy.  Littré).  La  forme  mesu- 
rier  =z  mensurare  n'est  pas  française,  à  notre  connaissance,  et  nous  ne 
comprenons  pas  quelle  conséquence  en  voudrait  tirer  M.  Ascoli. 

L'impression,  qui  ne  laissait  pas  de  présenter  de  sérieuses  difficultés,  est  en 
général  correcte.  On  regrette  l'absence  de  titres  courants  qui  eussent  singulière- 
ment facilité  les  recherches.  G.  P. 

Teatro    espauol    del  siglo    XVI.    Estudios    historico-literarios,    por 
D.  Manuel  CAfiETE.  Madrid,  188$,  VIII  et  360  pp.  in-8". 

Dans  ce  volume  M.  Cafiete  a  réuni   quatre  études  sur  divers  poètes  drama- 


1 .  Cette  expression  s'appliquait  originairement  à    la  rime.    On   disait   tailler   la   rime, 
pour  rimer: 

Nus  hom  ne  puet  chanson  de  geste  dire 
Que  il  ne  mente  la  ou  li  vers  define, 
As  nios  drecier  et  a  tailler  la  rime 
{La  mort  Aymeri de  Narbonne,  vv.  30)5-7) 


CAfiETE,    Tcatro  espafwl  dtl  siglo  x\i  463 

tiques  du  xvi*  siècle,  Lucas  Fernandez  de  Salamanque,  Miguel  de  Carvajal  de 
Plasencia,  Jaime  Ferruz,  Alonso  de  Terres  et  Francisco  de  las  Cuebas.  Les 
deux  premières  ne  sont  que  la  reproduction  textuelle  —  avec  quelques  légères 
coupures,  mais  sans  additions  ni  corrections  — des  préfaces'  que  l'auteur  avait 
mises  naguère  à  ses  éditions  des  Farsas  y  édogas  de  L.  Fernandez  et  de  la 
Tragcdla  Joscfina  de  M.  de  Carvajal  2.  Quant  aux  deux  autres,  qui  traitent  d'un 
juro  de  Caïn  et  Abel  dû  au  poète  valencien  Jaime  Ferruz  et  de  deux  pièces 
relatives  au  martyre  des  patrons  d'Alcala  de  Henares,  S.  Juste  et  S.  Pasteur» 
composées  par  A.  de  Torres  et  F.  de  las  Cuebas,  je  ne  saurais  dire  si  ce  volume 
nous  en  offre  la  primeur  ou  si,  auparavant,  elles  avaient  déjà  été  publiées  dans 
quelque  recueil  périodique  ;  leur  intérêt  est  d'ailleurs  assez  mince. 

L'article  sur  Lucas  Fernandez,  quoiqu'il  s'y  trouve  des  choses  fort  contes- 
tables ;,  n'appelait  pas  grands  remaniements,  rien  d'important  sur  l'auteur  de  ces 
Farsas  n'ayant  été  mis  au  jour  depuis  1867.  Pour  la  Joscfina  de  Carvajal  il  en 
est  autrement.  M.  Cafiete  aurait  pu  compléter  son  travail,  notamment  sa  biblio- 
graphie plus  ou  moins  raisonnée  des  «  œuvres  dramatiques  antérieures  à 
l'année  16^0  qui  ont  pour  sujet  Thistoire  de  Joseph  »,  en  consultant  les  trois 
premiers  volumes  du  Mistére  du  vicl  testament  publié  par  feu  le  baron  James  de 
Ko\\\sc\\M  youT  h  Société  des  anciens  textes  française.  D'ailleurs  l'édition  elle- 
même  de  cette  Josefina,  donnée  par  M.  Cafiete,  d'après  un  exemplaire  de 
l'année  1  ^6  appartenant  à  la  bibliothèque  de  Munich),  est  à  refaire  depuis  qu'a 
été  retrouvé  un  autre  exemplaire,  jusqu'ici  unique,  d'une  édition  de  !a  même 
pièce  datée  de  i 540. 

Je  vais  montrer  rapidement  dans  quelle  mesure  cette  découverte  modifie  le 
texte  restauré  en  1870  par  M.  Cafiete. 

L'exemplaire  de  l'édition  de  1540,  acquis  il  y  a  trois  ans  en  Italie  et  que  son 
propriétaire  actuel,  M.  le  comte  de  la  Sizeranne,  a  bien  voulu  mettre  à  ma  dis- 
position, est  une  plaquette  gothique  in-4"  de  cinq  cahiers  de  huit  feuillets  chacun, 
sauf  le  dernier  cahier  qui  n'en  a  que  six.  11  manque  au  premier  cahier  les  deux 
premiers  et  les  deux  derniers  feuillets,  c'est-à-dire,  d'une  part,  le  titre  et  pro- 
bablement la  dédicace  de  Carvajal  au  marquis  d'Astorga,  car  on  n'a  pas  de  raison 
de  supposer  qu'elle  ne  s'y  trouvât  pas,  puis,  d'autre  part,  le  passage  qui  dans 
l'édition  Cafiete  commence  (p.  21)  par  les  mots  Hoy  le  qmiais  la  salud  et  finit 
(p.  26)  par  le  vers  Que  estas  alla  sin  sospecha,  c'est-à-dire  quinze  strophes  :  ou 
même  davantage,  le  texte  de  1540  pouvant  être  à  cet  endroit  plus  développé 
que  celui  de  154^'  comme  on  le   constate  ailleurs.    En   effet,  ce  qui  distingue 


1 .  Farsas  y  églogas  al  modo  y  estilo  pasîoril  y  castellano  fechas  por  Lucas  Fernandez 
Salmantino.  Madrid.  1867,  8°  [Biblioteca  selecta  de  autans  claskos  espaiioles,t.  III). 

2.  Tragedia  Uamada  Josefina...  trobada  por  Micael  de  Carvajal.  Madrid.  1870.  8' 
[Sociedad  de  los  bibliôfilos  espaholes). 

j.  Pour  la  partie  philologique,  voy.  Romania,  t.  X,  p.  239. 

4.  Paris,  Didot,  1879  à  1881,  in-8". 

5 .  C'est  Ferdinand  Wolf  qui  a  révélé  aux  savants  espagnols  l'existence  de  cette  œuvre 
dans  un  mémoire  intitulé  Ein  spanisches  Frohnleichnamspiel  vom  Todtentanz  [Sitzungs- 
berichtc  d.  K.  K.  Akad.,  Phil.-hist.  Classe  (t.  Vlll,  p.  1 14  et  suiv.),  qui  a  été  traduit  en 
espagnol  et  imprimé  dans  la  Coleccion  de  doc.  inéd.  para  la  historia  de  Espaùa,t.  X.XII, 
p.  509  et  suiv. 


464  COMPTES-RENDUS 

surtout  l'édition  la  plus  ancienne  de  l'autre,  c'est  que  les  deux  premiers  actes 
y  sont  beaucoup  plus  étendus:  on  y  compte  en  tout  soixante-huit  strophes  que 
l'éditeur  de  1  ^6  a  omises.  Au  contraire  les  deux  derniers  actes  sont,  pour  le 
nombre  des  strophes,  identiques  dans  les  deux  textes.  L'achevé  d'imprimer  de 
notre  plaquette,  qui  se  trouve  au  verso  de  l'avant-dernier  feuillet  du  cinquième 
cahier  (le  dernier  feuillet  est  blanc),  est  ainsi  conçu:  «  Fue  impressa  la  pres- 
sente obra  I  en  la  noble  cibdad  de  Palencia  por  Diego  Fernandez  de  |  Cordova 
A  Costa  de  Juan  Despinosa  mercader  de  libres  |  vezion  (sic)  de  Médina  del 
Campo.  Acabose  postrero  de  setiem  |  bre.  Ano  del  nascimiento  de  nuestro  senor 
Jesu  Christo  |  de  mill  e  quinientos  e  quarenta  anos.  »  |  Suit  la  marque  de  l'im- 
primeur, oij  est  inscrit  son  nom  D.  F.  de  Cordova  et  qui,  par  l'agencement, 
ressemble  assez  à  l'une  de  celles  qu'employa  Guillem  Brocar  " . 

En  général  les  strophes  qu'a  en  plus  l'édition  de  1 540  ne  sont  pas  essentielles 
au  sens,  et  en  les  supprimant  l'imprimeur  de  1546  n'a  pas  nui  à  l'enchaînement 
des  idées:  pur  remplissage  ou  délayage,  on  le  concède;  mais  l'auteur  l'a  voulu 
ainsi,  ces  strophes-là  sont  bien  de  lui  et  une  édition  définitive  devrait  les  repro- 
duire. Du  reste  il  est  un  long  passage  de  l'acte  II  que  le  second  imprimeur  a  eu 
tort  de  supprimer,  sous  prétexte  probablement  qu'il  faisait  longueur  :  c'est 
l'explication  par  Josef  des  songes  du  bouteiller  et  du  pannetier.  Je  les  reproduis 
pour  donner  un  spécimen  de  cette  édition  de  1 540  jusqu'ici  inconnue:  il  doit 
s'intercaler  après  le  vers  Como  en  esta  fcneceis  (p.  98  de  l'éd.  Canete)  : 


Moços. 


Carcelero. 


Carcelero,  que  hazeys .? 
Tornad,  tornad  ese  preso, 
y  cadena  de  gran  peso 
prestamente  le  echareys  ; 
y  a  recaudo  le  porneys 
con  los  otros  criminales, 
que  por  sus  culpas  y  maies 
encarcelados  teneys. 
Y  bivi  muy  avisado 
que  a  nadie  le  dexeys  ver. 

Carcelero. 

Yo  hare  bien  mi  dever, 
Senores,  perde  cuydado, 
que,  segun  lo  qu'  e  alcançado, 
el  deve  ser  mal  hechor. 

Moços. 

Antes  es  muy  gran  traydor; 
tenelde  a  muy  buen  recaudo. 


Amigo,  pues  tu  ventura 
a  esta  carcel  te  a  traydo, 
tu  seras  de  mi  servido 
por  ver  tu  gran  hermossura; 
que  bien  muestra  tu  figura 
ser  sin  culpa  tu  prision. 
En  ti  no  reyne  passion, 
mas  todo  plazer  procura. 

Y  pues  no  mereces  pena, 
que  no  as  hecho  maleficio, 
aunque  sea  contra  mi  oficio, 
no  quiero  tengas  cadena. 
Passeate  nora  buena 

y  huelga  y  toma  plazer, 
que  tu  vida  deve  ser 
de  toda  virtud  muy  llena. 

Y  pues  vienes  fatigado, 
recibe  algun  refrigerio 
conque  en  este  captiverio 
des  consuelo  a  tu  cuydado. 


I.  Voy.  p.  Salvâ,  Catàlogo,  n'  ii^z. 


CAfiETE,  Teairo  espanol  delsiglo  XVI 


465 


Come,  amigo,  algun  bocado, 
alcança  destos  manjares 
y  todo  quanto  mandares 
hare  por  ti  de  buen  grado. 

Josef. 
Carcelero,  yo  no  siento 
como  te  pueda  pagar 
la  merced  tan  sîngular 
que  me  as  hecho  y  tratamiento. 
El  pago,  a  mi  pensamiento, 
que  dare  a  tu  gran  virlud  : 
sera  con  la  gratitud, 
segun  tu  merecimiento. 

Carcelero. 
Porque,  segun  tu  bondad, 
deves  ser  hombre  de  ley, 
con  el  copero  del  rey 
quiero  tengas  amistad. 

Josef. 
De  aquessa  suerte,  en  verdad, 
podre  dezir  con  razon 
la  que  tengo  no  es  prision 
sino  dulce  libertad. 

Copero. 
Amigo,  seas  bien  llegado, 
y  porque  fue  tu  prision  ? 
que  en  verdad  y  con  razon 
a  todos  nos  a  pessado. 

Josef. 
Hermanos,  por  mi  peccado; 
que  mi  gran  dios  lo  a  qucrido 
y  pues  él  d'  ello  es  servido 
sea  bendito  y  alabado. 
Que  por  seguir  la  virtud 
soy  puesto  entamana  afrenta. 

Copero. 
Por  cierto  que  me  contenta 
muy  mucho  tu  joventud. 

Josef. 
Dios  conserue  tusalud 
y  libre  desta  prision. 

Copero. 
Y  a  ti  tambien,  que  es  razon, 
pues  sigues  la  gratitud. 
Tus  lenguajes  muestra  dan 
no  deves  ser  Egypciano. 
Roinania,  XV. 


Josef. 
No,  si  plugo  al  soberano, 
que  hebreo  soy  deChanaan, 
de  la  casa  de  Abrahan 
desciendo  por  lina  reta, 
enemigo  de  la  seta 
gentilica  sin  desman. 

Copero. 
Pues  toda  sciencia  y  saber 
los  judios  alcança  ys 
y  la  ventaja  Uevays 
en  secretos  conocer, 
hazme,  amigo,  este  plazer 
que  un  sueno  que  yo  he  sonado, 
que  me  tiene  congoxado, 
tu  me  lo  des  a  entender. 
SueFio  del  copero. 
De  très  sarmientos  soiîava 
que  unos  razimos  nacian, 
y  del  uno  que  salian 
razimos  me  figurava 
tan  hermossos  que  bastava 
vendimiarse,  segun  ley, 
y  que  en  la  copa  del  rey 
tras  esto  los  estrujava. 
E  yo  con  gran  cortesia, 
como  siervo  muy  leal, 
a  la  persona  real 
aquel  mosto  le  ofrecia, 
y  el  rey  con  gran  alegria 
no  tardava  en  lo  bever. 
Amigo,  da  me  a  entender, 
si  alcanças,  tal  fantasia. 

Josef. 
Hermano,  sin  mas  dezir, 
yo  quiero  luego  de  grado 
desse  sueiïo  que  as  sonado 
el  secreto  descubrir. 
Tu  sabras  que  sin  mentir 
en  très  dias  y  no  mas 
de  prision  suelto  seras 
y  al  rey  yras  a  servir. 
Porque  a  él  mucho  le  a  plazido 
tu  servicio  do  estas, 
en  su  servicio  seras 
muy  presto  constituydo. 
De  oy  mas  tu  pon  en  olvido 
tus  tiistezas  y  passiones, 
porque  ya  de  las  prisiones 
saldras  con  gozo  crecido. 

30 


466 


COMPTES-RENDUS 


Copero. 
Es  verdad  nueva  tan  buena, 
amigo,  como  as  contado  ? 

Y  aquesto  es  lo  que  he  sonado 
en  mi  prision  y  cadena  ? 

Esta  no  es  cosa  terrena, 
sino  gran  divinidad. 

JoseJ. 
Bive  Dios,  que  esto  es  verdad  ! 
Por  tanto  ten  buena  cena. 

Y  pues  esto  passa  assi, 
ruego  te,  si  tu  quisieres, 
que,  quando  suelto  te  vieres, 
que  tu  te  acuerdes  de  mi, 
pues  sabes  que  estoy  aqui 
sin  culpa  en  esta  prision. 

Copero. 
Por  cierto  tienes  razon  ; 
yo  hare  esso  y  mas  por  ti. 
Que  obra  de  tal  condicion 
no  se  puede  assi  pagar 
»in  contino  hombre  quedar 
en  perpétua  obligacion; 
cierto  tu  ères  gran  varon 
y  gran  espiritu  alcanças, 
tu  mereces  alabanças 
y  densete,  que  es  razon 
Que  mereces  mucha  gloria, 
y  por  tu  sciencia  y  bondad 
en  toda  prosperidad 
yo  terne  de  ti  memoria  ; 
quiero  contar  tal  historia 
a  questotros  companeros 
que  estan  aqui  prissioneros 
porque  a  todos  sea  notoria. 
Hermanos,  hago  saber 
qu'este  presso  que  aqui  veis 
los  que  no  lo  conoceys 
le  deveys  de  conocer  ; 
porque  bien  podeys  créer 
que  es  el  moço  mas  prudente, 
mes  (sic)  sabio,  mas  eccelente 
que  jamas  podra  aver. 
Que  un  sueno  me  a  tenido 
congoxoso  y  fatigado, 
por  cierto  el  lo  a  declarado. 
como  hombre  en  tod:  sabido. 

Panadero. 
Pues  saber  tan  ascondido 


diz  que  tienes  no  pequeno, 
declarame  a  mi  otro  sueîio 
que  me  tiene  ora  afligido. 

Josef. 
Amigo,  di  de  buen  grado 
que,  mediante  mi  gran  dios, 
yo  sîtisfare  a  los  dos 
lo  que  me  aveys  demandado. 

Panadero. 
Dime  que  a  significado 
lo  que  en  la  noche  passada 
tray  mi  vida  tan  penada 
que  me  a  puesto  en  gran  cuydado. 
Sonava  con  gran  afan 
sobre  mi  cabeça  yr  piiestos 
aquesta  noche  très  cestos 
y  los  dos  Uenos  de  pan 
y  el  tercero  con  desman 
lleno  de  muchos  menjares, 
muy  ricos  y  singulares, 
quales  a  reyes  se  dan, 
y  que,  bolando  las  aves, 
todo  melo  avian  Uevado. 

Josef. 
Hermano,  tu  me  as  contado 
cosas  estranas  y  graves 
y  nada  seran  suaves 
para  ti ,  segun  yo  pienso. 

Panadero. 
No  me  tengas  mas'suspenso, 
abre,  pues  tienes  las  llaves. 

Josef. 
Amigo,  mucho  quisiera 
de  otra  cosa  muy  mejor 
serte  yo  el  declarador 
que  tu  servicio  cumpliera, 
y  nueva  tan  lastimera 
no  quisiera  dedararte, 
mas  mejor  es  avisarte 
pues  passa  de  tal  manera. 
Los  dos  cestos  que  as  sonado 
muestran  claro  que  sabras 
que  solos  dos  dias  no  mas 
de  vida  a  ti  te  an  quedado; 
y  el  letrero  que  as  contado 
es  cierto  tal  fantasia 
mostrar  que  al  tercero  dia 
tu  seras  crucificado. 


CAfiETE,  Teatro  espafiol  ciel  siglo  XVI  467 

Do,  sin  remedio  tener  y  tn  verdad  quisiera  ser 

por  tos  delitos  tan  graves,  interprète  de  tus  bienes, 

seras  manjar  de  las  aves  mas  perdoname  y  no  pênes 

te  hago  amigo  saber  ;  que  al  no  se  puede  hazer. 

Pour  la  partie  commune  aux  deux  éditions,  la  plaquette  de  1 540  donne  sou- 
vent une  meilleure  leçon  ou  même  la  seule  bonne  leçon.  Voici  quelques 
exemples. 

Dans  le  boniment  que  le  héraut  débite  au  début  de  la  pièce  figurent  quelques 
phrases  en  allemand,  en  italien  et  en  Irançais.  11  est  évident  qu'il  prononce  là 
des  paroles  qu'il  n'entendait  qu'à  moitié;  il  les  reproduit  telles  qu'il  croyait  les 
avoir  entendues.  L'allemand  surtout  est  obscur;  on  y  reconnaît  quelque  chose 
comme  Es  is  gui ^  Hcrr  ...  danke,  gulliebcr  Herr,  Hcrr  liebcr  Lanzeman.  Mais  le 
français,  très  altéré  dans  l'édition  de  1 546  :  perla  sandi  akhusan  donami  balUsa 
dd  bon  Vin,  peut-être  restitué  à  l'aide  de  la  nôtre  :  Par  le  san  Dieu,  aies  vous 
an,  won  ami;  baillés  ça  du  bon  vtn.  Plus  loin,  dans  le  même  prologue,  l'édition 
de  1540  ajoute,  après  le  mot  representar,  la  mention  en  este  pueblo,  et  ceci  porte 
à  croire  que  la  première  représentation  du  drame  n'a  pas  eu  lieu,  comme  le 
voudrait  M.  Canete,  en  la  cité  de  Plasencia. 

L'Envie  entre  en  scène  au  premier  acte  et  dit  un  prologue,  bien  certainement 
imité  de  celui  de  la  Vcndilion  de  Joseph  '.  où  se  lisent  ces  vers:  Cuatro  jurias 
infernales,  Mis  hijas,  les  dejo  al  lado  :  El  pesar  del  prospcrado,  El  placer  del 
abatido,  Maldecir  contra  elsubido,  Odio  contra  el  abonado.  Ici  abonado  n'a  pas 
de  sens  et  de  plus  avec  ce  mot  l'antithèse  disparaît.  Lisons  avec  i  ^o:  abaxado. 
—  P.  59.  Aux  vers  obscurs  et  qui  ont  à  juste  titre  embarrassé  M.  Cafiete: 
Pues  eus  bien  de  las  bier.es,  Ejecuta  tantos  maies,  il  faut  maintenant  substituer 
ceux-ci:  Porque  del  cielo  no  vienes  A  secutar  tantos  maies  ?  —  P.  61.  L'homme 
n'est  pas  Delodo  y  pobre  nascido.,  mais  de  lodo  y  poho  a  de  boue  et  de  pous- 
sière ».  —  P.  64.  Le  vers  manquant  est:  Do  estava  la  fortaleza.  —  P.  73. 
Prologue  du  deuxième  acte.  La  fin  est  ainsi  conçue  dans  1 540; 

«  El  auctor,  como  es  algo  grossero  y  tosco  y  sabe  poco  de  amores,  os  pide  perdon  y 
os  suplica  le  perdoneys  si  este  passe  no  fuere  tan  caliente  que  baste  a  calentar  a  todos  : 
aun  creo  que  noavra  ninguno,  por  frio  que  sea,  que  no  sienta  calor.  El  auctor  hizo 
sus  diligencias  que  fue  procurar  personas  sufficientes  y  abiles  que  le  adestrassen  en  esta 
cosa,  y  no  hallo  sino  Celestina,  y  tomarse  a  como  se  hallare.  »  a  Quiero  me  yr, 
porque  esta  senora  anda    salida,  y  creo  querra  salir  y  pesar  le  a  de  mi  tardança.  » 

P.  84.  Le  vers  manquant  est  dans  1540:  Larga  vida  te  concéda.  —  P.  91. 
La  transposition  de  darme  était  inutile;  il  faut  lire:  1  Porque  me  quies  (pour 
qiiieres)  dar  enojos.  —  P.  101.  Le  début  du  prologue  est  tout  autre  dans  1 540: 

4  Senores,  yo  vengo  algo  vergonçosso  y  muy  alterado  :  vergonçoso  por  ver  las  faltas 
passadas,  ansi  en  los  repressentantes  como  en  los  oyentes  ;   alterado,  por  veros  alterados, 


Voy.  le  Mislere  du  Vid  Testament,  éd.  J.  de  Rothschild,  t.  Il,  p.  343. 


408  COMPTES-RENDUS 

y  como  ya  enhadados,  suplicos  no  me  hagays  tal  afrenta,  porque  yo  he  repressentado 
en  el  coliseo  romano  y  en  Bolonia  ante  el  Papa  y  Emperador,  y  en  Augusta  y  en 
Bohemia  ante  el  Rey  de  Romanos,  y  en  Londres  ante  el  Rey  de  Inglaterra,  y  en  Paris 
ante  el  Rey  de  Francia,  y  en  Napoles  ante  el  Senor  Virrey  e  principes,  y  enConstanti- 
nopla  ante  el  Gran  Turco,  y  en  Lisbona  ante  el  Rey  de  Portugal,  y  en  el  Campo  ante  el 
seiior  Marques  del  Gasto,  e  siempre  gratamente  largas  seys  oras  con  atencion  he  sido 
oydo.  Aqui,  segun  estays  mostrados  a  rebatar  un  sancto  y  degoUalle',  pues  hagos  sabei" 
que  ya  no  ay  sancto  que  merezca  muerte  ». 

Et  plus  loin  dans  le  même  prologue:  Hoy  «el  autor  no  quiere  joyas  ni  presas 
ni  dinero.  p  II  faut  lire  preseas.  —  P.  1 53.  Le  vers  fautif  dans  1 546  doit  être 
rétabli  ainsi  :  «  Gozc  yo  de  vueslra  gloria.  —  Enfin  le  congé  donné  aux  spec- 
tateurs à  la  fin  de  la  représentation  ne  peut-être  :  Jesuchristo  bonis  avibus, 
mais  :  Ilo  bonis  avibus. 

Il  résulte,  je  le  pense,  de  ces  Quelques  remarques,  qu'une  édition  nouvelle  de 
la  Josefina,  si  on  la  donne  jamais,  devra  avant  tout  reproduire  le  texte  plus 
complet  et  souvent  plus  correct  de  l'exemplaire  de  1540  acquis  par  M.  de  la 
Sizeranne.  L'édition  de  M.  Caiïete,  quoique  établie  avec  beaucoup  de  soin,  ne 
nous  livre  qu'un  abrégé  et  un  remaniement  de  l'œuvre  de  Miguel  de  Carvajal, 
œuvre  dont  le  mérite  littéraire  est  incontestable,  encore  bien  qu'il  ait  été  un 
peu  exagéré  par  l'académicien  espagnol. 

Alfred  Morel-Fatio. 


I.  \\lus\on  anx  comedias  de  santos.  Il  doit  manquer  quelques  mots  ici.  «  Vous  qui 
êtes  habitués  à  enlever  un  saint  et  à  l'égorger,  vous  pourriez  bien  prendre  un  peu  de 
patience  »,  ou  quelque  chose  d'approchant. 


PÉRIODIQUES 


I.  —  Revie  des  langues  romanes,  5«  série,  XIV;  septembre  188^.  — 
P.  105.  Chabaiieau,  Paraphrase  des  psaumes  de  la  pénitence,  commentaire  d'un 
texte  publié  dans  le  n»  d'aoiît  1881;  voy.  Romania,  X,  620.  En  appendice 
M.  Ch.  réimprime  une  courte  dissertation  de  Scaliger  sur  les  dialectes  romans 
de  France  (Diatriba  de  hodicrnis  Francorum  linguis),  qui,  sans  nous  rien  apprendre 
que  nous  ne  sachions  beaucoup  mieux,  porte  l'empreinte  de  l'esprit  pénétrant 
du  grand  philologue.  On  y  lit  que  les  Bas  Bretons  peuvent  s'entendre,  sans 
interprète,  avec  les  Gallois,  assertion  souvent  répétée,  qui  maintenant  est  cer- 
tainement inexacte  et  qui  l'était  sans  doute  déjà  du  temps  de  Scaliger.  — 
P,  118,  Chabaneau,  Le  romanz  de  saint  Fanuel  et  de  sainte  Anne  et  de  Nostre 
Dame  et  de  nostre  Segnor  et  de  ses  apostres  (premier  article).  Ce  sont  deux 
romans  pieu.x  qui  se  suivent  assez  naturellement,  puisque  le  premier  {saint 
Fanuel)  est  le  récit  de  la  naissance  miraculeuse  de  sainte  Anne,  mère  de  la 
Vierge.  Ils  ont  été  l'un  et  l'autre  souvent  signalés,  maison  n'en  avait  publié  que 
des  extraits.  Saint  Fanuel  a  été  intercalé  en  d'autres  romans  pieux.  On  en 
trouve  notamment  une  partie  dans  le  texte  de  la  Conception  de  Wace  que 
contient  le  ms.  Add.  15606  du  Musée  britannique  dont  j'ai  donné  la  descrip- 
tion dans  le  t.  VI  de  la  Romania.  J'avais  négligé  de  signaler  cette  importante 
interpolation  dans  ma  notice.  M.  Reinsch  a  publié  dans  VArchiv  de  Herrig, 
t.  LXVII(i882),  p.  263  et  suiv.,  la  légende  de  saint  Fanuel  telle  qu'elle  se 
trouve  dans  ce  ms.  M.  Chabaneau  donne,  dans  le  numéro  dont  nous  rendons 
compte,  la  bibliographie  des  mss.  en  se  servant  des  travaux  antérieurs  de 
M.  Reinsch  et  de  M.  Bonnard.  Cette  bibliographie  est  loin  d'être  complète 
et  d'être  faite  avec  la  précision  nécessaire.  M.  Ch.  semble  croire  (p.  119)  que 
A,  c'est-à-dire  la  vie  de  saint  Fanuel,  ne  se  trouve  pas  dans  les  mss.  fr. 
1535  et  1768  delà  Bibl.  Nat.  et  dans  le  ms.  d'Arras.  Il  s'y  trouve  certaine- 
ment, comme  l'indiquent  les  catalogues  imprimés.  Le  même  poème  se  rencontre 
encore  dans  le  ms.  de  la  Bibl.  Nat.  fr.  2815  que  ne  mentionnent  ni  M.  Ch. 
ni  ses  devanciers.  Quant  au  second  poème  (Z?),  celui  qui  raconte  l'histoire  de 
Notre  Dame  et  de  Jésus  (inc.  :  Qui  Dex  aime  parfitement],  il  se  trouve,  en 
outre  des  mss.  jusqu'ici  signalés,  dans  le  ms.  147  de  Rennes,  où  il  est  isolé, 
voir  le  catalogue  rédigé  par  D.  Mallet  (Rennes  18371,  P-  '22;  dans  le  ms.  de 
l'Arsenal  5201,  pages  87  à  136;  dans  le  ms.  précité  2815,  où  il  est  rattaché 
(fol.  197  ^)  à  la  vie  de  saint  Fanuel,  comme    en  d'autres  mss.   et   particuliè- 


470  PÉRIODIQUES 

rement  dans  celui  de  Montpellier,  et  ailleurs  encore.  De  plus,  la  fin  de  ce 
même  poème  se  trouve  copiée  à  part,  sous  ce  titre:  a  le  Trespassement 
Nostre  Dame  »,  dans  le  ms.  Bibl.  nat,  fr.  1807,  fol.  174.  Voici  le  début  de  ce 
morceau,  en   regard  de  la  leçon  du  ms.  de  Montpellier. 

Montpellier  (v.  3668  et  suiv.)  Paris,  Bibl.  nat.,  n"  1807. 

Après  la  sainte  passion  Grant  tans  après  la  passion 

Ert  Nostre  Dame  en  sa  maison  Estoit  Nostre  Dame  en  maison 

En  Nazareth  ou  el  fu  née  Seule  en  .j.  lit  priveement 

Molt  corrocie  et  molt  irée,  Et  prist  a  plorer  tendrement; 

Por  desirrierdel  roi  autisme  Pour  dousor  et  pour  desirier 

Se  dementoit  a  soi  meïsme.  De  son  douz  fiz  qu'avoit  tent  (sic)  chier 

•  Forment  »,  feit  el,  «  désir  que  fusse        Se  dementoit  a  soi  meïsme  : 
»  Ou  mon  chier  fix  veoir  peùsse,  «  Forment  désir  que  je  la  fusse, 

(i  La  ou  il  est,  en  paradis  «   Ou  je  mon  fiz  veoir  peùse. 

(I  Que  il  otroie  a  ses  amis.   »  «   Biaus  sire  fiz,  reguarde  moi, 

«   Fes  que  fusse  oveques  tai  {sic) 
«  La  ou  tu  ies,  en  paradis 
t  Que  promesis  a  tes  amis.  » 

A  première  vue  la  leçon  de  Montpellier  semble  abrégée.  Puis  le  «  Tres- 
passement Nostre  Dame  »  forme-t-il  un  poème  par  soi,  ou  est-il  simplement 
un  extrait.?  Il  reste,  comme  on  voit,  bien  des  points  à  élucider.  —  P.  124-8, 
L.  Lambert,  Contes  populaires  du  Languedoc  (suite).  —  Bibliographie.  Nizier 
du  Puitspelu,  Très  humble  essai  de  phonétique  lyonnaise  (Clédat  ;  cf.  Remania, 
XIV,  317). —  Clédat,  La  Chanson  de  Roland  (Constans;  cf.  ci-dessus,  p.   138). 

Octobre-décembre  1885.  —  P.  158.  Chabaneau,  Le  Romanz  de  saint  Fanuel 
et  de  sainte  Anne  et  de  Nostre  Dame  et  de  Nostre  Seignor  et  de  ses  apostres  (suite). 
Texte  du  ms.  de  Montpellier.  Deux  lacunes,  l'une  au  début  du'premier  poème, 
l'autre  dans  le  courant  du  second,  ont  été  comblées  la  première  à  l'aide  d'un 
ms.  de  Berne,  la  seconde  à  l'aide  d'un  ms.  de  Paris.  C'est  à  tort  que  M.  Cha- 
baneau a  donné  une  numérotation  continue  aux  deux  poèmes.  Le  second,  qui 
est  bien  distinct  du  premier,  commence  au  v.  85 1  (Qui  Dex  aime  parfitement).  La 
délivrance  de  la  Vierge,  avec  l'aide  de  «  sainte  Agnetese  »,  y  est  contée  comme 
dans  le  mystère  provençal  de  la  Nativité  de  Jésus;  voir  Rom.  XIV,  497.  Nous 
remarquons  dans  ce  poème  un  fait  singulier.  L'auteur  (car  il  ne  semble  pas 
qu'il  y  ait  en  cela  erreur  du  copiste)  paraît  avoir  été  si  satisfait  des  vers  par 
lesquels  il  a  rendu  la  célèbre  comparaison  de  la  conception  de  Jésus  avec  le 
passage  de  la  lumière  à  travers  un  verre,  qu'il  les  a  répétés  deux  fois,  v.  963- 
72  et  v.  15^9-66.  Cette  édition,  que  nous  ne  pouvons  apprécier  puisque  les 
notes  qui  doivent  l'accompagner  n'ont  pas  encore  paru,  ne  saurait  être  que 
provisoire,  l'éditeur  n'ayant  eu  à  sa  disposition  qu'un  seul  des  nombreux  mss. 
qu'on  possède  de  ces  deux  romans.  Faisons  observer  dès  maintenant  que  le  ms. 
reproduit  par  M.  Ch.  donne  une  leçon  incomplète  de  la  fin.  Il  y  manque 
près  de  250  vers.  —  P.  2^9-282,  Chabaneau,  Deux  lettres  inédites  de  Pierre  Je 
Chasteuil  Gdlaap.  Ce  sont  les  deux  lettres  relatives  aux  troubadours  que  j'ai 
signalées  ici-même  (XIV,   633)  d'après    le  catalogue    des    mss.     de   Nîmes 


PÉRIODIQUES  471 

rédigé  par  M.  Molinier,  Comme  je  l'ai  dit  alors,  j'en  ai  une  copie,  prise  il 
y  a  bien  des  années,  sur  un  exemplaire  manuscrit  appartenant  à  la  Bodiéienne. 
Ces  lettres,  examinées  de  près,  m'ont  paru  dénuées  d'intérêt,  et  je  vois  avec 
plaisir  que  M.  Chabaneau,  qui  les  publie  aujourd'hui,  partage  mon  opinion. 
— P.  509.  CIcdat,  Une  correction  an  texte  des  Serments  de  Strasbourg.  Il  s'agit  de 
lire:  «  et  in  adiudha  er  in  cadhuna  cosa  »,  cr  au  lieu  d'et  du  ms.  C'est  une 
correction  acceptable,  bien  qu'elle  ne  s'impose  pas,  mais  peu  nouvelle.  Chaque 
année,  dans  mon  cours  de  l'Ecole  des  Chartes,  je  la  signale,  en  en  faisant 
honneur  à  celui  qui,  longtemps  avant  M.  Clédat,  l'a  proposée,  à  Bonamy, 
auteur  d'un  mémoire  bien  connu  sur  les  Serments  publié  en  1749  dans  le 
t.  XXVI  des  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions   (voy.  p.  647). 

P.  M. 

II.—  RivisTADELL.\  Letteratura  iT.\LiANA,  diretta  da  T.  Casini,S.  Mor- 
PURGO,  A.  Ze.n.'Vtti,  Roma  e  Firenze'.  In-4,  à  deux  colonnes;  six  numéros 
de  trente-deux  colonnes  par  an.  —  Cette  revue,  dirigée  par  trois  jeunes  érudits 
dont  deux  ont  figuré  un  instant  parmi  les  fondateurs  du  Giornale  storico  délia 
Letteratura  Italtana  (voy.  Roni.,X\,  627),  est  une  preuve  nouvelle  de  l'ardeur 
et  en  même  temps  de  la  critique  avec  laquelle  se  poursuivent  les  études  sur  la 
littérature  italienne.  Il  est  bien  difficile  maintenant  qu'un  livre  concernant  l'Italie, 
fût-il  mauvais  (peut-être  faudrait-il  dire,  surtout  s'il  est  mauvais),  échappe 
à  un  examen  .sérieux.  Le  Giornale  storico,  qui  a  pourtant  une  excellente  biblio- 
graphie, aura  désormais  dans  la  Rivista  un  complément  utile.  Aux  comptes- 
rendus,  qui  nous  ont  paru  émaner  d'hommes  parfaitement  compétents,  s'ajoutent, 
en  chaque  numéro,  d'intéressantes  notices  sur  divers  points  d'histoire  littéraire. 
Le  manque  de  temps  et  I  abondance  croissante  des  matières  nous  ont  empêchés 
jusqu'ici  de  signaler  ce  nouveau  recueil  A  l'attention  de  nos  lecteurs:  nous 
ferons  en  sorte  d'annoncer  désormais  les  numéros  au  fur  et  à  mesure  de  leur 
apparition.  Nous  ne  mentionnerons  que  les  articles   concernant  le  moyen  âge. 

1884,  n»  1. —  A.  Bartoli,  Storia  délia  Letteratura  ttaliana,  vol.Vll,  Petrarca 
(Torraca).  —  L.CappeWetù,  Storia  délia  Letteratura  italiana  (Casini  ;  art.  justement 
sévère). —  A.  Capelli  e  S.  Ferrari,  Rime  édite  ed  inédite  di  Antonio  Cammelli  dette 
il  Pistoia  (Morpurgo).  —  Opérette  inédite  0  rare  pubblicate  dalla  libreria  Dante, 
Firenze  (Casini;  art.  intéressant.  Il  fallait  dire  que  la  publication  n"  2,  Index 
bibliothcc£  Medicece,  laisse  beaucoup  à  désirer,  et  que  les  textes  latins  édités  dans 
\ts  Carmina  medïi  xvi  sonih'xenhnùh.  Mais  en  somme,  cette  collection,  fort 
élégamment  imprimée,  est  intéressante).  —  J.  Ulrich,  Recueil  d'exemples  en 
ancien  italien  (Monaci;  critique  sévère,  mais  juste,  de  la  publication  faite 
dans  la  Romania,  XIII,  27  et  suiv.,  par  M.  Ulrich).  —  N.  Lundborg,  Studi  sut 
congiuntivo  nella  Divina  Commcdia  (Setti;  dissertation  inepte  présentée  à  l'uni 
versité  de  Lund).  —  Lumini,  Dante  e  gli  Aretini  (Zenatti;  très  faible). 


I.  Rome,  librairie  Manzoni;  Florence,  Piazza  d'Arno,  i.  Prix    de  l'abonnement.    6  fr 
par  an. 


472  PÉRIODIQUES 

N'^  2.  —  L.Morandi,  Origine  délia  lingua  italiana  (Frati;  très  médiocre  dis- 
sertation).—  F.  Torraca^  Studi  di  storia  letleraria  napoletana  (Zenatti;  très  favo- 
rable). —  Zambrini,  Le  opère  volgari  a  stampa^  quarta  ediz.  (Carducci;  indique 
à  mots  couverts,  et  avec  bienveillance,  les  graves  défauts  de  cet  ouvrage.  — 
Ferrai,  Lttterc  dicortigiane  del  sec.  XVI  (Casini;  édition  très  inexacte). —  Poggio, 
Facezie  (Gentile;  mauvaise  traduction).  — A.  Tobler,  Das  Bach  des  Uguçon  da 
Laodho  (Morpurgo).  — G.  Guasti,  Le  /este  di  S.  Giovanni  Batista  in  Firenzt 
(Morpurgo).  —  Variétés  G.  Biagi,  //  Decamerone  giudicato  da  un  contemporaneo 
(Document  contemporain,  extrait  par  M.  Biagi  d'un  ms.  de  la  Bibl.  naz.  de 
Florence). 

N"  3.  —  D'Ancona  e  Comparetti,  Le  Antiche  rime  volgari,  vol.  III  (Casini; 
observations  intéressantes  sur  le  caractère  de  la  poésie  de  Ghiaro  Davanzati). — 
Monaci,  Sui  primordj  délia  Scuola  poetica  siciliana  da  Bologna  a  Palermo  (Gasini; 
ne  considère  pas  la  question  comme  résolue;  et.  Remania,  XIV,  297).  — 
A.  Tobler,  Die  Berliner  Handschrifl  des  H uon d'Auvergne  (Gasini).—  A.  Mussafia, 
Mitlheilungen  aus  romanischen  Handschriftcn,  I  (Zenatti). —  Poésie  édite  cd  inédite 
di  Lionardo  Giustiniani,  per  cura  di  B.  Wiese  (Gasini  ;  art.  plein  d'observations 
techniques  sur  la  versification).  —  Quattro  Canzoni  popolari  del  sec.  XV  (Mor- 
purgo; publication  per  nozze). —  Variétés.  Monaci,  Per  la  storia  dclla  ballata. 
—  Gasini,  Un  provcnzalista  del  sec.  XVI.  Il  s'agit  d'un  certain  Bartolomeo 
Gasassagia  dont  on  possède  une  traduction  inédite  de  plusieurs  pièces  d'Arnaut 
Daniel  et  deFoIquet  de  Marseille;  cf.  n»  ^,  col.  1 57-8. 

N»  4.  —  Gaspary,  Geschichted.  Italiemschen  Literatur  (Morpurgo;  art.  appro- 
fondi et  généralement  favorable). —  G.  Paris,  Le  lai  de  l'Oiselet  (Teza  ;  quelques 
additions  aux  recherches  de  l'éditeur).  —  E.  Sola,  //  Padiglione  d'Atila  ;  fram- 
mento  inedito  del  poema  italico  Atila  flagellum  Dei,  composta  in  francese  da  Nicolo 
da  Casola  (Gasini;  très  faible;  cf.  Romania,  XIV,  174). 

N°  5.  —  L.  Rigutini,La  unità  oriografica  délia  lingua  italiana  (Straccali).  — 
Di  Giovanni,  Ciulo  d'Alcamo,  ladefensa,  li  agostari  e  il  giuramento  del  Contrasta 
anteriori  alla  costituzione  del  regno  del  12  ^yi  ;  Salvo  Gozzo,  Ciullo  d'Alcamo  0 
Cielo  dal  Camo?;  L.  Natoli,  //  contrasto  di  Cieto  dal  Camo  (Gasini;  écrits  qui 
n'apportent  aucune  solution  acceptable  à  des  questions  dont  on  commence  à  se 
fatiguer).  —  Gellrich,  Ueber  die  Qiiellen  welche  der  in  der  Intelligenza  enthaltenen 
Erzœhlung  derThaten  Cdcsars  zu  Grunde  liegen  (Frati;  M.  Gellrich  croit  que 
l'auteur  de  Vlntelligcnza  s'est  servi  du  texte  français  du  Fait  des  Romains  et 
d'une  des  versions  italiennes;  supposition  qui  nous  paraît  très  contestable. 
Du  reste  M.  G.  ne  connaissait  qu'imparfaitement  le  Fait  des  Romains;  il  lui 
est  maintenant  possible  de  se  mieux  renseigner  depuis  que  la  Romania  (XIV,  i) 
a  publié  un  mémoire  sur  cet  ouvrage,  —  Poésie  giocose  inédite  0  rare  pubbli- 
cate  per  cura  del  dott.  A.  Mabellini  e  precedute  da  un  saggio  sulla  poesia 
giocosa  in  Italia  di  Pietro  Fanfani  (Morpurgo;  l'essai  de  Fanfani  est  arriéré 
et  sans  valeur,  comme  tout  ce  qu'a  écrit  ce  fougueux  partisan  de  M.  Schasffer- 
Boichorst  dans  sa  campagne  contre  Dino  Compagni,  et  le  recueil  lui-même  est 
fait  sans  méthode). —  Variétés.  Otium  sencnse ;  lettre  de  M.  Teza  à  M.  Garducci 
contenant  diverses  notes  sur  des  sujets  variés  d'histoire  littéraire. 


PÉRIODIQUES  47J 

N°  6.  —  L.  Frati,  La  Buca  di  Monteferrato,  lo  Studio  di  Atcne  c  il  Gagno, 
potmdli  satina  dd  xv  secolo,  di  Stcfano  di  Tommaso  Finiguerri  (Morpurgo  ; 
poèmes  médiocres  composés  vers  1410).  —G.  Antonelli,  Indice  dci  manoscritti 
délia  civica  bibliotcca  di  Ferrara,  parte  I  (C.  Frati).  —  A  partir  de  ce  numéro, 
la  Rivista  contient  un  Bollettino  bibliograficodans  lequel  sont  brièvement  annoncés 
et  appréciés  les  ouvrages  auxquels  il  n'a  pas  paru  à  propos  de  consacrer  un 
article  approfondi. 

188^.  N°  I.  —  L.  Morandi,  Antologia  dclla  nostra  critica  letteraria  moderna 
(Morpurgo).  —  Canzonette  antiche  {ZemlX];  recueil  formé  d'éléments  très  dis- 
parates par  M.  Alvisi.)  —  Fr.  Ettari,  //  giardeno  di  Marina  lonata  Agnonese, 
poema  de!  sec.  xv  (F.  Torracal.  —  E.  Gerunzi,  Pietro  de'  Faytinelli  detlo  Mu- 
gnone  e  il  moto  di  Uguccione  délia  Faggiola  in  Toscana^  studio  storico-critico 
(Morpurgo).  —  Variétés.  Dante  a  San  Cemignano.  —  Un  nuoro  documento  di 
Cino  da  Pistoia. 

N°  2.  —  G.  Baccini,  Le  facczic  dcl  piovano  Arlotto,  precedute  dalla  sua  vita 
ed  annotate  (Medin;  médiocre).  —  A.  Piumati,  La  vita  e  le  opère  di  Dante 
Alighieri;  le  même,  La  vita  e  le  opère  di  Francesco  Petrarca  (Casini).  —  A 
Gloria,  Un  errore  nelle  edizioni  délia  divina  Commedia  ;  uno  nci  Vocabolari 
(Crescini;  il  s'agit  de  Par.  IX,  46-8).  —  A.  Zanelli,  Le  schiave  orienlali  a 
Firenze  nei   sec.  XIV  e  Xr(Morpurgo].  —  Variétés.  Iczz^Otium  senense,  II. 

No  3.  —  G.  Finzi,  Sow.mano  dclla  storia  délia  letteratura  italiana  compilato 
ad  uso  délia  scuole  secondarie  (Casini  ;  nombreuses  erreurs).  —  F.  Torraca, 
Cola  di  Rienzo  e  la  canzone  0  Spirto  gentil  »  di  Fr.  Petrarca  (Morpurgo).  — 
Rime  inédite  di  un  cinquecentista,  da  un  codice  Ashburnhamiano,  a  cura  di  Pio 
Ferrieri  (Zenatti  ;  ce  ms.  est  le  n"  606  de  la  collection  Libri,  le  cinquecentista 
est  Lorenzo  Strozzi).  —  G.  Porro,  Catalogo  dei  codici  manoscritti  délia  Trivul- 
ziana  (Morpurgo;  catalogue  d'une  importante  collection  privée  ;  il  est  regrettable 
qu'il  ait  été  disposé  selon  l'ordre  alphabétique  des  auteurs,  ordre  qui  ne  saurait 
convenir  à  un  catalogue  de  manuscrits).  —  L  Biadene,  //  collegamento  délie 
stanze  mcdiante  la  rima,  nella  canzone  italiana  dei  sec.  Xlih  XIV  (Casini). 

N°  4.  —  T.  F.  Crâne,  Mediaval  sermon  Books  and  Stories  (Teza).  — 
G.  Pitre,  Curiosità  popolari  tradizionati  iZenMi).  —  L.  Biadene,  Las  Razos 
de  Trobar  e  lo  Donatz  proensals  (Casini  ;  relève  beaucoup  d'inexactitudes  dans 
cette  édition;  cf.  Romania,  XIV,  616-8).  —  Variétés.  E.  Larama,  Di  un  codice 
di  rime  dei  sec.  XIII  (le  ms.,  qui  est  un  simple  fragment  de  17  feuillets,  est 
daté  de  1491  ;  il  contient  diverses  pièces,  connues  d'ailleurs,  de  Guinizelli,  de 
Dante,  de  Frescobaldi,  etc.). 

N°  5.  —  R.  Renier,  //  tipo  estetico  délia  dona  nel  mediocvo  (Morpurgo; 
conteste  la  thèse  de  l'auteur,  et  produit  divers  textes  qui  lui  sont  restés  in- 
connue). —  P.  Ercole,  Guida  Cavalcantie  le  sue  rime  (Casini;  en  grand  progrès 
sur  l'édition  publiée  en  1881  par  M.  Arnone).  —  V.  C\an,  Ballate  e  strambolli 
dei  sec.  AT  (Biadene;  nombreuses  remarques  sur  la  langue  et  sur  la  versification 
de  ces  pièces) . 

N°  6.  —  //  teatro  italiano  dci  sec.  XII f,  XIV  e  XV,  a  cura  di  F.  Torraca 
(Casini  ;  favorable).    —   C.    Ricci,    Cronaca   bolognese   di   Pietro   di  Marliolo: 


474  PÉRIODIQUES 

le  même,  Framminto  délia  Cronaca  bolognese  di  Prête  Giovanni  (Casini).  — 
Max  Laue,  Ferreto  von  Vicenza,  seine  Dichtungen  u.  sein  Geschichlswerk  (Rœdiger). 
—  A.  d'Ancona,  L'arte  di  dire  in  rima;  sonetti  di  Ant.  Pucci,extra'\t  delà  Miscel- 
lanea  CaixCanello  (Morpurgo).  —  G.  Mignini,  Le  tradizioni  délia  epopea  caro- 
lingia  neW  Umbria  (Zçmtù).  —  Les  douze  n",  de  1884-5,  sont  accompagnés 
d'une  table  détaillée. 

P.  M. 

m.  —  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes  français,  1886, 
n"  I.  —  P.  41-76.  P.  Meyer,  Notice  du  ms.  535  de  la  bibliothèque  municipale 
de  Metz,  renfermant  diverses  compositions  pieuses  (prose  et  vers)  -^en  français.  La 
description  de  ce  ms.,  dans  le  t.  V  du  Catalogue  général  des  manuscrits  des 
Biblwthlques  publiques  des  départements,  bien  qu'imparfaite,  puisqu'elle  ne  men- 
tionne qu'un  très  petit  nombre  des  traités,  sermons  ou  poésies  dont  il  se  com- 
pose, et  n'en  identifie  aucun,  permettait  toutefois  d'en  soupçonner  l'importance. 
La  notice  détaillée  publiée  dans  le  Bulletin  distingue  dans  ce  ms.  57  opuscules 
dont  le  premier  est  le  traité  incomplet  du  début,  intitulé  ordinairement  «  le  livre 
du  paumier  »,  ou  «  le  sermon  du  paumier  »,  et  dont  le  dernier  est  une  copie 
incomplète  de  la  fin  du  «  Doctrinal  Sauvage  ••,  à  ajouter  aux  exemplaires  ma- 
nuscrits du  même  poème  énumérés  dans  la  Romania,  VI,  21.  Le  même  ms. 
renferme  une  copie  jusqu'ici  inconnue  du  curieux  traité  des  quatre  temps  d'âge 
d'homme,  de  Philippe  de  Navarre,  dont  la  Société  des  anciens  textes  publiera 
prochainement  la  première  édition.  D'ailleurs  presque  tous  les  textes  en  prose 
ou  en  vers,  que  contient  le  ms.  de  Metz,  étaient  inconnus.  On  remarquera  dans 
le  nombre  un  certain  nombre  de  chansons  pieuses,  composées  vraisemblable- 
ment sur  le  modèle  de  chansons  profanes.  C'est  du  moins  ce  qui  est  démontré 
pour  l'une  d'elles  (n»  42)  qui  est  imitée  d'une  pastourelle  du  duc  de  Brabant, 
publiée  en  dernier  lieu  par  M.  Scheler  [Trouvères  belges,  I,  46).  Beaucoup  des 
pièces  contenues  dans  ce  ms.  sont,  selon  toute  apparence,  d'origine  messine.  On 
arrivera  peu  à  peu,  par  des  investigations  bien  conduites,  à  constater  que  Metz 
a  été  au  xiii«  siècle  pour  la  littérature  vulgaire,  particulièrement  dans  le  sens 
religieux,  un  centre  véritablement  important. 

IV.  —  Bulletin  de  la  Société  dunoise  (Archéologie,  histoire,  science 
et  arts)  n'  69,  juillet  1886,  Châteaudun,  libr.  Pouillier.  —  P.  219-235. 
Ch.  Cuissard,  Epitres  farcies  pour  les  fêtes  de  saint  Etienne  et  de  l'Epiphanie.  Ces 
deux  épîtres  sont  tirées  du  ms.  d'Orléans,  n»  96,  provenant  deFIeury-sur-Loire. 
La  première  est  bien  connue.  C'est  la  pièce  Entendez  tuit  a  cest  sermon  \  Et  clerc 
et  lai  tuit  environ,  qui  commence  par  huit  vers  rimant  en  ors  et  se  poursuit  en  vers 
accouplés.  Elle  a  été  mainte  fois  publiée,  et  récemment  M.  E.  Langlois  en  a 
édité  un  texte  tout  en  quatrains,  par  conséquent  fort  différent,  d'après  un  ms.de 
Rome  (voy.  ci-dessus,  p.  153).  La  seconde  épître,  que  je  ne  me  rappelle  pas 
avoir  rencontrée  ailleurs,  commence  ainsi  : 

Lectio  Ysaie"^  prophète. 

isaïe,  le  fix  Amos, 

Fist  ceste  leçon,  fist  ces  mos. 


PÉRIODIQUES  475 

Bon  sunt  li  mot,  bon  sunt  li  son. 
Chrestienne  religion 
Les  tient,    les|  croit  et  croire  doit, 
En  créance...  et  en  droit, 
Dont  sainte  Eglise  rtsplendist 
A  qui  saint  Ysaïes  dist  '  : 
Surgc,  illuminare  Jérusalem... 

Tout  en  sachant  gré  à  M.  C.  de  sa  publication,  on  ne  peut  dissimuler  qu'elle 
trahit  beaucoup  d'inexpérience.  Le  texte  contient  des  lectures  défectueuses  qui 
auraient  pu  être  amendées  par  la  comparaison  avec  les  éditions  antérieures  qu'on 
a  de  la  même  pièce.  Le  commentaire  contient  plusieurs  erreurs.  Par  exemple, 
qui  primkrs  conquist  a  durs  cos  est  traduit  par  «  le  premier  il  a  conquis  les 
cœurs  durs  »;  mais  cos  signifie  «  coups.  »  L'introduction  laisse  aussi  bien  à 
désirer.  On  y  lit  (p.  223)  que  Lambers  li  cors  est  l'inventeur  du  vers  alexandrin. 
Il  n'est  plus  permis  d'ignorer  que  l'auteur  de  la  troisième  branche  du  roman 
d'Alexandre  s'appelait  Lambert  li  tors.,  et  que  les  vers  de  douze  syllabes  étaient 
usités  avant  lui. 

P.  M. 


Ces  vers  sont  mal  coupés  dans  l'édition  de  M.  Cuissard  (p.  232). 


CHRONIQUE. 


La  Société  des  anciens  textes  français  va  publier  deux  volumes  qui  com- 
pléteront l'exercice  i88$  avec  le  tome  II  des  œuvres  de  Philippe  de  Beauma- 
noir.  Ces  deux  volumes  sont:  i"  Trois  versions  en  vers  de  l'évangile  de  Nicodéme 
publiées  par  MM.  G.  Paris  et  A.  Bos  ;  2°  Fragments  d'une  vie  de  saint  Thomas 
de  Cantorbery  en  vers  accouplés^  publics  pour  la  première  .fois  d'après  les  feuillets 
de  la  collection  Goethals  Vercruyssc^  avec  fac-similé  en  héliogravure  de  l'original, 
par  M.  P.  Meyer.  Ces  fragments  se  composent  de  quatre  feuillets  ornés  de 
magnifiques  miniatures.  La  Vie  à  laquelle  ils  appartiennent  était  restée  jusqu'à 
présent  inconnue.  Elle  n'a  comme  document  historique  qu'une  valeur  très 
secondaire,  étant  rédigée,  comme  l'éditeur  le  montre,  d'après  la  compilation 
latine  connue  sous  le  nom  de  Quadrilogus.  Ce  n'en  est  pas  m.oins  un  fort  curieux 
document  de  la  poésie  française  en  Angleterre.  En  même  temps  sera  distribué 
le  t.  V  du  Mistere  du  Viel  Testament. 

—  M.  Johann  Storm  a  rédigé  pour  le  tome  XX  de  VEncyclopadia  Britannica 
un  article  intitulé  Romance  languages,  qui  comprend  seize  colonnes.  On  y  trouve 
des  idées  fort  intéressantes,  quoique  çà  et  là  prêtant  à  la  contestation,  sur  l'his- 
toire du  latin.  L'auteur  insiste  plus  que  nous  ne  l'aurions  fait  sur  la  ressem- 
blance du  néo-latin  avec  le  latin  archaïque.  La  partie  consacrée  aux  langues 
romanes  en  elles-mêmes  paraîtrait  un  peu  courte,  si  YEncyclopxdia  ne  contenait 
pas  des  articles  spéciaux  sur  chacune  d'elles.  Ces  articles  sont  les  suivants: 
Frfnc/!,  par  H.  Nicol  ;  Italian,  par  M.  Ascoli  ;  Provençal^  par  Paul  Meyer. 
L'article  Spanish  language  and  littérature,  qui  comprend  aussi  le  catalan,  sera 
rédigé  par  M.  Morel-P'atio. 

—  Notre  collaborateur  M.  le  professeur  F.-A.  Wuiff,  qui  a  fait,  ce  prin- 
temps, divers  travaux  à  la  Colombine  de  Séville,  a  bien  voulu  nous  adresser 
la  collation  du  ms.  de  celte  bibliothèque  qui  renferme  le  Gardacors  et  le  mystère 
provençal,  publiés  dans  le  tome  précédent  de  la  Romania  d'après  le  ms.  Libri. 
Cette  collation,  qui  comble  la  lacune  que  nous  avons  signalée  p.  506,  paraîtra 
dans  un  de  nos  prochains  numéros. 

—  Depuis  que  la  consultation  de  Maître  Jean  Le  Fevre  est  imprimée  (ci-dessus, 
p.  181),  j'ai  remarqué  dans  le  dit  d'Eustache  des  Champs  intitulé  «  Notable 
enseignement  pour  continuer  santé  en  corps  d'homme»  (éd.  Crapelct,  p.  165 
et  suiv.),  certains  conseils  d'hygiène  qui  ont  beaucoup  de  rapport  avec  ceux 


CHRONIQUE  477 

du  médecin  de  Montpellier,  les  uns  et  les  autres  ayant  probablement  été  puisés 
à  une  même  source.  Il  réprouve,  comme  J.  Le  P'evre  («i  3),  l'usage  des  poissons 
«  limoneux»  Crapelet,  p.  167),  des  oiseaux  aquatiques  (p.  164,  cf.  Le  Fevre 
§  4),  du  lièvre  (p.  163,  Le  Fevre  jJ  7),  des  châtaignes  et  autres  fruits  (p.  164; 
cf.  Le  Fevre  >;?;  i,  17),  des  viandes  salées  (p.  164,  Le  Fevre  ?i  10).  Il  ne  veut 
pas  qu'on  se  couche  sur  le  dos  p.  170;  cf.  Le  Fevre  §  18).  Il  recommande  le  pain 
bien  cuit  sentant  un  peu  son  levain  (p.  164,  Le.P'evre,  §§  20,  23),  etc. —  P.  M. 
—  Je  n'ai  point  trouvé  l'original  du  miracle  opéré  par  la  vertu  d'un  trente! 
publié  ci-dessus,  p.  282,  mais  je  puis  signaler  un  poème  anglais  du  xv'  siècle 
sur  le  même  sujet,  intitulé  Trentalle  Sancti  Gregorii,  qui  a  été  publié  par 
M.  Fr.  J.  Furnivall  dans  ses  Politicjl,  religious  and  Love poems.  London,  1886, 
pp.  83-92  {Early  english  Text  Society).  —  P.  M. 

—  Livres  adressés  à  la  Romania  : 

Rustebuefs  Gedkhte.  Nach  den  Handschriften  der  Pariser  National-Bibliothek 
herausgegeben  von  D"-  Adolf  Kressker.  Wolfenbùttel,  Zwissier,  1885.  — 
Sans  être  irréprochable,  cette  édition  donne  un  texte  assurément  meilleur 
que  celui  de  Jubinal,  et  a  l'avantage  de  communiquer,  d'une  façon  plus  ou 
moins  complète,  les  variantes  des  manuscrits  consultés.  Il  n'y  a  pas  de 
glossaire  et  la  préface  est  insignifiante. 

Contes  populaires  de  la  Gascogne,  par  M.  Jean-François  Bladé,  correspondant 
de  l'Institut.  Paris,  Maisonneuve,  1886,  3  vol.  in-12.  —  Ces  trois  volumes, 
qui  ne  contiennent  pas  moins  de  185  numéros,  forment  une  contribution  des 
plus  importantes  au  trésor  des  contes  populaires  européens.  Ils  doivent  être 
complétés  par  un  commentaire  comparatif  de  M.  Reinhold  Kœhler. 

Alcune  osservazioni  a  proposito  del  Ussico  genovese  antico,  di  G.  Flechia,  del  dottor 
E.  G.  Parodi.  Genova,  1886,  8'^  (extrait  du  Giornalc  Ligustico). 

Bases  da  ortografia  portuguesa,  por  R.  Gokçales  Vianna,  romanista,  y  G.  de 
Vasconcellos  Abreu,  orientalista.  Leiboa,  Imprensa  Nacional,  1885,  8», 
14  p.  —  Nous  félicitons  le  Portugal  s'il  demande  aux  savants  une  ortho- 
graphe raisonnable;  on  n'en  est  pas  là  chez  nous. 

Tradizioni  popolari  Abbruzzesi  raccolte  da  Gennaro  Finamore.  Vol.  I.  Novelle 
(parte  secunda),  i88j,  12",  131  p.  Vol.  II.  Canti,  1886,  xii-167  pages.— 
Nous  avons  déjà  signalé  l'importance  et  la  valeur  de  ce  recueil. 

Der  einfluss  Crestien  de  Troies  aufdie  altenglische  literatur,  von  Dr.  Paul  Stein. 
BACH.  Leipzig,  Fock,  1886,  8°,  51  p.  —  Cette  dissertation  est  surtout  con- 
sacrée à  un  examen  comparatif  du  Chevalier  au  lion  et  du  poème  anglais  qui 
en  est  sorti.  Le  système  de  l'auteur  relativement  au  Sir  Perceval  appelle  une 
discussion  que  nous  aurons  occasion  de  reprendre  prochainement.  Il  montre 
que  le  Sir  Isumbras  ne  vient  pas  de  Guillaume  d'Angleterre.  Pour  le  Vert 
Chevalier  nous  renvoyons  aux  observations  faites  ici  (XII,  377). 

Encyklopaedic  und  Méthodologie  der  Romanischen  Philologie,  mit  besonderer 
Berùcksichtigung  des  Franzœsisclien  und  Italienischen,  von  Gustav  Kœr- 
TiNG.  Dritter  Theil.  Die  Encyklopadie  der  Romanischen  Einzelphilolo^ien. 
Heilbronn,   Hendinger,  1886,  8",  XX-838  p.    —  Cet   important   ouvrage, 


^yg  CHRONIQUE 

sur  lequel  nous  reviendrons,  n'est  pas  encore  absolument  terminé  ;  il  y  manque 
les  index,  dont  on  nous  promet  la  prochaine  publication. 
Les  plus  anciens  monuments  de  la  langue  française,  puhWés  pour  les  cours  universi- 
taires par  Ed.  Koschwitz.  Quatrième  édition  enrichie  et  augmentée.  Avec 
un  fac-similé.    Heilbronn,    Henninger,    1886,   in-12,  VIII-50   pag.  —  Ce 
petit  livre  si  commode  et  si  soigneusement  fait  dém.ontre  son  utilité  par  son 
succès  croissant  depuis  la  troisième  édition,  dont  celle-ci  n'est]  qu'une  révi- 
sion, où  M.  A.  Darmesteter  a  pris  une  part.  On  sait  qu'aux  textes  primiti- 
vement admis  est  venu  se  joindre  celui  du  mystère  de  VEpcux  ou  des  Vierges 
Folles. 
Romanisches  und  Keltisches.    Gesammelte  Aufsaetze   von  Hugo  Schuchardt. 
Berlin,  Oppenheim,    1886,    iv-439   pages.    —    Recueil   d'essais  publiés  de 
1871    à   1880  et  destiné  au  gênerai  reader.  Tous  se  lisent  avec  un  grand 
intérêt  et  montrent  chez  l'auteur  autant  de  talent  que  de  science  et  d'idées. 
Citons  particulièrement  ceux  qui  sont  intitulés  :  Boccace^  Anoste,  Camoens, 
Calderon,  la  Rime  et  le  rythme  en  allemand  et  en  roman. 
Miitheilungen   aus  romanischcn    Handschriften.  Von   Adolf  Mussafi.\.   //.  Zur 
Katharinenlegende.  Wien,    Gerold,    1885,    8°,  69   p.    —  Texte   en  vers, 
composée   Aquila    (Abruzze)  en    1330,   publié  d'après   le  ms.  unique  et 
accompagné  de  remarques  linguistiques  et  philologiques. 
Der  Roman  von  Mahomet,  eine   sprachliche   Untersuchung  von  D'  Richard  Peters. 
Besprochen  von   Boleslaw   Ziolecki.  Greifswald,  Abel,  1886,  8",  35  p.  — 
L'auteur  justifie  par  le  menu   ce  que   nous  avons  dit  (ci-dessus,   p.    1 59) 
du  travail   de  M.  Peters,  et  fait  sur  la  langue  et   la  source   du  roman  de 
Mahomet  quelques  bonnes  remarques. 
La  chanson  de  Roland  traduite  en  vers  par  Amédée  Jubert,  Paris,  Librairie  des 
Bibliophiles,  1886,  in-12,  XXIV- 1^  p.    —  M.    Jubert  a  eu   la   singulière 
idée  de  traduire    la   vieille   chanson  en   vers  rimant  deux   à   deux,   alter- 
nativement alexandrins  et  décasyllabiques  ;   le   rythme  est  peu  agréable  en 
lui-même,  et  jure  étrangement  avec  celui  de  l'original. 
Doine  si   strigâturë  dm  Ardeal   date  la  ivealâ    de    Dr.    loan   Urban    Iarnik  si 
Andreiu  Barseanu.  Bucharest,  imprimerie   de  l'Académie,   1885,  8°,  XV- 
326  p.  —  Ce   recueil  de  chansons    d'amour    [doinas)  et  d'airs  de  danse 
[strigheturas],   entièrement  puisé   dans  la   tradition   vivante  des   Roumains 
de  Transylvanie,    est  précieux  en   lui-même  comme  document  sincère   et 
■  riche    de    langue  et  de  jolk-lorc;  mais  il   l'est  bien    plus  encore  par    le 
glossaire  extrêmement  complet  et   détaillé  dont  l'a  accompagné  M.  Jarnik, 
qui  a  rédigé  en  français  la  partie  explicative;  on  ne  saurait  recommander  de 
lecture  plus  fructueuse  à   ceux  qui   veulent   connaître   la  langue  du  peuple 
roumain  et  l'individualité  ethnique  dont  cette  langue  est  l'image. 
Ar)jj.0Tr/.ôv  àujjLa  irsp;  xoCÎ  vszpoO  kozkoou,  iiKO  N.    F.   IIoXixo-j.  Athènes,    1885, 
S-,  69  p.  —  M.  Politis  combat  sur  ce  chant  célèbre,  qui    ressemble  à  la 
ballade  de  Lenore  et  dont  on   retrouve  des  versions  chez  les  Roumains,   les 
hypothèses  émises    par   M.    Psichari.   Quoiqu'il   ne   nous  semble  pas,  en 
général,   avoir  réfuté  les  raisonnements  qu'il  contredit,  son  opuscule  mérite 


CHRONIQUE  479 

d'être  recommandé  à  tous  ceux  qu'intéresse  la  littérature  comparée  ;  il  con- 
tient beaucoup  de  choses  nouvelles  et  d'observations  dignes  de  remarque. 
On  lira  avec  fruit  sur  le  sujet  en  litige  un  article  de  M.  Jules  Girard  dans 
le  Journal  des  Savants. 

S'ih'io  PiEUi.  Note  sul  dialctto  ûrelino.  Pisa,  :S86.  8°.  5 1  p.  —  Bon  travail 
sur  la  phonétique  et  la  conjugaison. 

Glossar  zu  den  Gcdichtcn  des  Bonresin  da  Riva^  von  Dr.  Adolf  Seifert. 
Berlin,  Weber,  1886,  8%  VI-78  p.  —  Excellent  travail,  qui  ne  servira 
pas  seulement  à  l'interprétation  des  poésies  de  Bonvesin,  mais  qu'on  doit 
recommander  à  tous  ceux  qui  s'occupent  de  lexicologie  romane. 

Grundriss  dcr  romanischen  Philologie,  unter  Mitwirkung  von  fùnfundzwangig 
Fachgenossen  herausgegeben  vonGustav  Grokber.  I.  Lieferung.  Strasbourg, 
Trùbner,  1886,  gr.  8",  280  p. —  L'Encyelopédie  de  la  philologie  romane  de 
M.  Kœrting  n'est  pas  encore  terminée,  et  il  commence  à  en  paraître  une 
autre,  qu'on  nous  promet  devoir  être  complète  en  six  fascicules  et  en  dix- 
huit  mois.  Reconnaissant  que  les  forces  d'un  seul  ne  suffiraient  pas  à  mener 
à  bonne  fin,  de  manière  à  satisfaire  les  exigences  actuelles  de  la  critique, 
une  entreprise  de  ce  genre,  M.  Grœber  a  fait  appel  au  concours  d'autres 
savants,  et  il  n'en  a  pas  groupé  moins  de  vingt-six  (et  non  vingt-quatre, 
comme  le  dit  le  titrei  autour  de  lui.  Ce  sont  MM.  Baist  (langue  et  littéra- 
ture espagnole),  Bartsch  (littérature  provençale),  Braga  (littérature  portu- 
gaise), Cornu  (langue  portugaise),  Decurtins  (littérature  rhétoromane), 
Deecke  (idiomes  anciens  de  l'Italie),  Gartner  (langue  rétoromane),  Gaster 
(littérature  roumaine),  Gerland  ibérique),  Jacobsthal  (musique  des  peuples 
romans),  Janischek  (arts  plastiques  des  peuples  romans),  Kluge  (élément 
germanique),  W.  Meyer  (le  latin  et  les  langues  romanes),  Morel-Fatio 
(langue  catalane),  D'Ovidio  (langue  italienne),  Schefîer-Boichorst  (histoire 
des  peuples  romans),  Schuchardt  (créole),  Schuitz  (histoire  de  la  civilisation 
chez  les  peuples  romans  ,Schum  (sources  écrites),  Seybold  (élément  arabe), 
Stengel  (métrique  et  stylistique  romanes),  Suchier  (langue  française,  langue 
provençale),  Tiktin  (langue  roumaine),  Tobler  (méthode  de  la  recherche 
philologique),  Torraca  (littérature  italienne),  Windisch  (élément  celtique). 
On  voit  que  la  plupart  des  noms  connus  dans  notre  science,  du  moins  en 
Allemagne,  figurent  sur  cette  liste,  et  garantissent  la  haute  valeur  de  l'ou- 
vrage. Le  directeur  s'est>éservé  plusieurs  chapitres  (histoire de  la  philologie 
romane,  but  et  division  de  la  philologie  romane,  sources  orales,  méthode 
de  l'étude  linguistique,  classification  et  histoire  externe  des  langues  romanes, 
littérature  latine,  littérature  provençale).  —  Le  premier  fascicule  est  surtout 
de  M.  Grœber,  et  contient  les  quatre  premiers  des  articles  dont  on  vient  de 
lire  les  titres.  Le  plus  intéressant  de  beaucoup  est  l'histoire  de  la  philologie 
romane,  exposée  avec  clarté,  impartialité  et  précision  (sauf  naturellement  çà 
et  là  quelques  erreurs  de  détail).  La  division  de  cette  histoire  en  deux 
périodes,  celle  des  efforts  isolés  dans  chaque  nation  et  celle  de  la  collabo- 
ration des  romanistes  de  toute  l'Europe,  travaillant  à  une  même  œuvre  et 
sur  un  même  plan,  est  frappante  et  juste.  Dans  la  même  livraison  nous  trou- 
vons un  aperçu  de  M.  Schum  sur    «    les   sources   écrites  de   la   philologie 


480  CHRONIQUE 

romane  »,  qui  ne  nous  paraît  pas  avoir  été  fait  de  manière  à  rendre  de  bien 
grands  services,  et  trente  pages  de  M.  Tobler,  pleines  de  remarques  judi- 
cieuses et  utiles  sur  la  méthode  et  la  critique  dans  la  recherche  philolo- 
gique appliquée  aux  langues  romanes.  Malgré  la  valeur  et  l'intérêt  de  plusieurs 
parties,  ce  premier  fascicule  est  naturellement  un  peu  abstrait  et  aride.  Les 
suivants,  qui  sortiront  des  généralités  et  aborderont  plus  directement  le  do- 
maine des  faits,  rencontreront  sans  doute  auprès  des  savants  et  de  ceux 
qui  aspirent  à  le  devenir  un  accueil  empressé,  et  rendront  aux  études  romanes 
un  service  dont  on  peut  déjà  pressentir  l'importance. 

Glaube  unJ  Aberglaube  in  dm  altfranzdsïschen  Dichtungen.  Ein  Beitrag  zur  Cul- 
turgeschichte  der  Mittelalters,  von  Dr.  Richard  Schroeder.  Erlangen, 
Deichert,  1886,  8%  176  pages.  ^-  Beau  sujet  bien  imparfaitement  traité. 
Nous  ne  parlons  pas  seulement  des  omissions,  bien  qu'il  y  en  ait  de  fort 
grandes  (mentionnons  seulement  les  fableaux,  cette  source  si  riche  pour  le 
sujet  choisi  par  l'auteur),  mais  tout  le  travail  est  superficiel,  et  atteste  une 
préparation  et  une  réflexion  insuffisantes.  Comme  recueil  de  passages,  il  ne 
laissera  pas  de  rendre  des  services.  Voici,  pour  indiquer  ce  qu'on  peut 
y  chercher,  la  liste  des  chapitres:  Dieu,  le  Culte  de  Marie,  les  Saints^ 
les  Anges,  le  Purgatoire  et  le  Paradis,  le  Diable,  l'Enfer,  l'Ancien  Testament, 
Fées,  géants,  nains,  etc.,  la  Superstition  dans  les  différents  règnes  de  la  nature, 
le  Jugement  de  Dieu,  la  Croyance  des  païens.  Le  volume  se  termine  par  un 
index. 

Racconti  popolari  siciliani  di  Emmanuele  Gramitto  Xerri.  Girgenti,  Montes, 
1885,  18",  75  p.  —  Récits  traditionnels  reproduits  avec  plus  de  fidélité 
pour  le  fond  que  pour  la  forme,  et  en  italien. 

La  Trasuta  di  Garibaldi  a  Palermo,  storia  popularc  siciiiana  in  poesia,  pubblicata 
da  Salvatore  Salomone-Marino.  Palermo,  Virzi,  1885,  18°,  13  p.  — 
Curieux  échantillon  de  la  poésie  populaire  contemporaine. 

Les  noms  topographiejues  devant  la  philologie,  par  Ferd.  Pennier.  Paris, 
Vieweg,  1886,  in-8»,  161  p.—  L'auteur  de  cet  ouvrage  est  un  celtomane 
d'un  genre  particulier.  Il  croit  que  «  la  plupart  des  noms  topographiques 
sont  la  représentation  du  mot  eau  >•  et  que  ce  mot  est  indiqué  par  trois 
termes  celtiques,  av,  ac  et  dour,  qu'il  se  fait  fort  de  retrouver  dans  tous  les 
noms  de  lieux.  H  ne  paraît  pas  d'ailleurs  être  très  au  courant  des  derniers 
travaux  sur  les  langues  celtiques,  à  en  juger  par  cette  phrase:  «  Tous  les 
«  ouvrages  celtiejues  déclarent  que  les  voyelles  n'ont  pas  ou  presque  pas  de 
«  valeur  et  qu'elles  peuvent  à  peu  près  se  substituer  l'une  ou  l'autre  arbi- 
«  trairement.  Pour  appuyer  cette  singulière  assertion,  ils  invoquent  l'hébreu 
«  et  d'autres  idiomes  sémitiques  qui  autrefois  ne  prenaient  même  pas  la 
«  peine  de  les  écrire...  »  (p.  32).  Inutile  de  poursuivre:  le  lecteur  voit  à 
quel  genre  d'ouvrage  il  a  affaire. 


Errata.  —  P.  165,  1.  12,  les,  lis.  lez;  1.  13,  mes,  lis.  niez.—  P.  191,  I.  18, 
un,  lis.  au.  —  P.  296,  1.  1,  doT.eés.  lis.  donnes.  —  P.  297,  1.  4,  A  on  té 
hier,  lis.  ,1  son  très  ehier. 


LA  MORT 


TRISTAN    ET   D'ISEUT, 

D'APRÈS  LE  MANUSCRIT  FR.   103   DE    La    BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE   COMPARE 
AU  POÈME  ALLEMAND   D'EILHART  D'OBERGl, 


Tous  les  manuscrits  du  roman  en  prose  de  Tristan  s'accordent  dans 
un  même  récit,  non  traditionnel,  de  la  mort  de  Tristan  et  d'Iseut.  Un 
jour  que  Tristan  harpait  dans  la  chambre  d'Iseut^,  une  dénonciation  aver- 
tit le  mari  de  celle-ci,  le  roi  Marc,  qui  accourt  et  frappe  Tristan  d'une 
lance  empoisonnée.  Blessé  à  mort,  Tristan  se  réfugie  au  château  de 
Dinas,  et  obtient  d'y  revoir  une  dernière  fois  son  amante.  Iseut  voudrait 
mourir  avec  lui,  mais  comment  y  arriver  .f'  Elle  n'a  pu  mourir  de  sa  seule 
douleur.  Elle  supplie  Tristan  de  l'emmener  avec  lui  dans  la  mort.  Tristan, 
heureux  de  ce  sombre  désir,  lui  ouvre  ses  bras,  et  l'accole  si  étroitement 
que,  dans  cet  embrassemenî,  leurs  deux  cœurs  se  rompent,  et  leurs  âmes 
s'en  vont. 

Telle  est  la  version  commune  des  manuscrits  en  prose,  sauf  un.  C'est 
un  manuscrit  du  xV  siècle^  —  le  manuscrit  Fr.  105,  —  qui  a  d'ailleurs 
servi  de  base  à  toutes  les  éditions  du  roman  en  prose  imprimées  du  xv* 
au  xvi''  siècle  ^  Ce  manuscrit,  qui  suit  fidèlement,  presque  dans  toute 
son  étendue,  le  te.xte  commun  des  romans  en  prose,  l'abandonne  brus- 
quement pour  donner  de  la  mort  de  Tristan  et  d'Iseut  un  récit  tout  dif- 


1.  Ce  travail  m'a  été  indiqué  par  M.  Gaston  Paris  pour  les  conférences  de 
l'Ecole  pratique  des  hautes  éludes;  il  a  été  lu  et  critiqué  à  ces  coniérenccs. 

2.  Les  éditions  n'ont  pas  été  faites  sur  ce  ms.  même,  mais  sur  un  ms.  très 
voisin,  qui  ne  diffère  du  103  que  par  des  détails  de  style.  Cf.  l'édilion  de  1489. 
par  exemple,  cfiez  Jehan  Bourgoys  à  Rouen,  avec  letextedu  ms.  103  publié 
plus  loin.  [Dans  l'article  de  M.  Lutoslawski  qui  suit  celui-ci,  on  trouvera 
relevées,  pour  un  passage  assez  long,  toutes  les  variantes  de  l'édition  de  Rouen, 
1489;  on  verra  qu'elles  consistent  surtout  en  suppressions  pratiquées  assez 
habilement  dans  la  prose  un  peu  prolixe  de  l'original.  —  Les  éditions  posté- 
rieures à  celle  de  Rouen  sont  toutes  faites  sur  celle-ci  et  n'en  diffèrent  que  par 
des  fautes.  —  G.  P.]. 

Romaniay  XV  3 1 


482  J-    BÉDIER 

férent,  qu'il  paraît  intéressant  de  publier,  et  dont  voici,  brièvement,  les 
traits  essentiels. 

Tristan,  marié  en  Petite  Bretagne  avec  Iseut  «  aux  blanches  mains  », 
a  aidé  son  jeune  beau-frère,  Ruvalen,  dans  une  équipée  amoureuse.  Il 
s'agissait  de  pénétrer  dans  le  château  d'un  mari  jaloux,  Bedalis,  où  vit 
étroitement  surveillée  la  belle  Gargeolain,  amie  de  Ruvalen.  La  galante 
entreprise  réussit  ;  mais,  au  retour,  Tristan  et  Ruvalen  sont  poursuivis 
et  atteints  par  le  mari.  Ruvalen  est  tué,  et  Tristan  blessé  d'une  lance 
envenimée.  Comme  les  médecins,  appelés,  renoncent  à  le  guérir,  Tris- 
tan, mourant,  songe  que,  seule,  son  amie  Iseut  de  Cornouaille,  qui 
tient  de  sa  mère,  le  secret  de  remèdes  puissants,  et  qui  deux  fois  déjà  a 
guéri  ses  blessures,  le  pourra  sauver  ;  il  envoie  donc  en  Cornouaille  un 
de  ses  vassaux  la  supplier  de  venir.  Pour  qu'il  sache  quelques  heures 
plus  tôt  son  bonheur  ou  sa  peine,  que  la  voile  de  la  nef  soit,  au  retour, 
blanche,  si  Iseut  vient;  si  non,  noire.  Iseut  réussit  à  fuir  de  chez  Marc  ; 
elle  s'embarque,  la  nef  approche  et  la  voile  apparaît  au  large,  toute 
blanche.  Mais  la  femme  de  Tristan  a  appris  ces  conventions  ;  à  peine 
a-t-elle  vu  le  vaisseau  qu'elle  accourt  au  lit  de  son  mari.  «  De  quelle  cou- 
leur était  la  voile  ï  lui  demande-t-il.  —  Toute  noire.  »  A  cette  parole, 
Tristan  rend  l'âme.  Iseut  débarque,  apprend  la  nouvelle,  embrasse  le 
cadavre  cher,  et  meurt  à  son  tour. 

Si  cette  version  appartenait  en  propre  à  l'auteur  du  ms.  105,  elle 
n'aurait  d'autre  intérêt  que  sa  grande  valeur  poétique.  Mais  il  n'en  est 
pas  ainsi.  Le  ms.  103  ne  fait  que  reproduire  ici  de  très  anciennes  tra- 
ditions. Car  l'auteur  de  ce  ms.  105,  écrit  au  xv"  s,  s'accorde,  —  cer- 
tainement à  son  insu ,  —  avec  un  poète  allemand  qui  écrivait  vers  1165, 
un  vassal  de  Henri  le  Lion,  duc  de  Brunswick,  Eilhart  d'Oberg.  Or, 
nous  savons  ce  qu'est  ce  poème  d'Eilhart:  c'est  la  traduction  d'une  com- 
pilation française  très  voisine  de  celle  dont  nous  possédons  un  fragment 
sous  le  nom  de  Béroul.  Il  y  a  donc  grand  intérêt  à  comparer,  dans  leurs 
parties  correspondantes,  le  poème  d'Eilhart  et  le  ms.  103  :  les  comparer, 
c'est  chercher  à  reconstituer  leur  modèle  commun,  perdu. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  :  dans  le  bref  abrégé  qui  vient  d'être  fait  du  ms 
103  et  d'Eilhart,  on  a  reconnu  bien  des  traits  d'une  tradition  voisine. 
Cette  blessure  envenimée,  ce  voyage  d'Iseut  appelée  pour  guérir  le 
mourant,  cet  épisode  de  la  voile  blanche  et  de  la  voile  noire,  cette  trom- 
perie de  la  femme  de  Tristan,  enfin  cette  mort  des  deux  amants,  —  tous 
ces  traits,  nous  les  reconnaissons  pour  les  avoir  lus  dans  le  poème  fran- 
çais attribué  à  Thomas.  Or,  Thomas  et  le  modèle  d'Eilhart  représentent, 
nous  le  savons,  deux  traditions  indépendantes  l'une  de  l'autre. 

Nous  arrivons  donc  à  ces  principes  de  comparaison  : 

1)    Les  traits  communs  à  Eilhart  et  au  ms.   103  appartenaient  au 


LA   MORT    DE   TRISTAN    ET    d'iSEUT  483 

poème  qu'ils   imitaient  tous  les  deux  :  Béroul,  ou  une  compilation  voi- 
sine de  Béroul. 

21  Les  traits  communs  non  seulement  au  ms.  103  et  à  Eilhart,  mais 
encore  à  Thomas,  —  outre  qu'ils  appartenaient  à  la  source  des  deux 
premiers,  —  faisaient  aussi  partie  d'un  fonds  plus  ancien  de  traditions 
où  puisait  également  Thomas. 

3I  Si  tel  trait  donné  par  103  est  omis  par  Eilhart,  ou  inversement,  — 
et  qu'il  se  retrouve  dans  Thomas,  —  il  est  ancien,  et  provient  de  cette 
compilation  voisine  de  Béroul,  que  nous  cherchons  à  reconstituer. 

4I  Enfin,  il  est  un  seul  cas  où  nous  ne  pourrons  décider,  autrement 
que  par  conjecture,  si  un  détail  d'Eilhart  ou  de  103  est  primitif;  c'est 
le  cas  où  ce  détail  nous  sera  fourni  par  Eilhart  seul,  ou  103  seul,  — 
sans  que  nous  puissions  recourir  au  contrôle  de  Thomas. 

Toutes  ces  observations  sont  représentées  par  la  figure  suivante: 
Fonds  commun  de  traditions. 


1  .  I 

Béroul,  ou  la  compilation  Thomas, 

voisine  de  Béroul. 

I 

I  I 

I  Le  ms.  103. 

Eilhart. 
On  procédera  à  cette  comparaison  en  divisant,  pour  plus  de  clarté, 
le  récit  commun  d'Eilhart  et  du  ms.  103  en  épisodes  très  courts.  Il  est 
inutile  de  dire  que  ces  divisions  sont  tout  arbitraires,  et  qu'il  ne  s'agit 
pas  ici  de  distinguer  des  épisodes  primitivement  indépendants  les  uns  des 
autres,  plus  tard  réunis  par  compilation.  Tout  ce  récit  de  la  mort  de 
Tristan  offre  un  caractère  frappant  d'unité;  c'est  un  seul  épisode,  qui  a 
germé,  — tout  organisé,  —  dans  l'esprit  d'un  seul  poète. 

\.  Le  premier  de  ces  épisodes  pourrait  s'intituler  :  «  Comment  Ruvalen 
et  Tristan  parviennent  à  la  chambre  de  Gargeolain  (avec  interpolation 
de  l'aventure  de  Tristan  déguisé  en  fou]  ».  Voici  le  récit  du  ms.  103, 
qui  est  aussi,  mais  plus  développé,  le  récit  d'Eilhart: 

Ruvalen,  frère  de  Kehedin  et  d'Iseut  aux  blanches  mains,  n'a  jamais 
parlé  à  son  amie  Gargeolain  qu'une  toute  seule  fois  ;  encore  était-ce  «  sur 
la  douve  d'un  fossé  de  son  manoir,  et  elle  était  enfermée  dedens,  et  lui 
dehors.  «  —  Mais,  dans  cette  unique  entrevue,  Gargeolain  a  promis  à 
son  galant  de  lui  envoyer  les  empreintes  en  cire  de  toutes  les  clefs  du 
manoir.  Elle  tient  sa  promesse,  et  un  jour  que  Tristan  chassait,  Ruvalen 
accourt  au  galop  auprès  de  son  ami,  le  cor  au  cou,  une  boîte  à  la  main; 


484  J-    BÉDIER 

dans  cette  boîte  sont  les  empreintes  de  cire  qu'il  vient  de  recevoir.  Ils 
brisent  la  serrure,  et  «  voient  dedans  leur  grand  deuil  et  leur  mort; 
mais  ils  ne  s'en  aperçurent  ».  Au  lendemain  matin,  Tristan  mande  un 
fevre  de  Nantes,  nommé  Goudri  par  105,  anonyme  pour  Eilhart,  et  lui 
commande  de  fabriquer  des  clefs  d'après  les  empreintes.  Ce  sont,  lui 
dit-il,  les  clefs  d'un  château  rebelle. 

Il  faut  se  borner  ici  à  remarquer  les  noms  différents  donnés  par 
Eilhart  et  103  aux  héros  de  cet  épisode. 

Le  nom  de  la  femme  est  le  même  dans  nos  deux  auteurs.  Eilhart 
appelle  Gargeolain  Gariole,  qui  est  le  cas  sujet  du  nom  dont  Gargeolain 
est  le  cas  oblique.  Il  est  à  remarquer  d'ailleurs  que  Garjole  est  un  nom 
celtique. 

Mais  le  Riivalen  du  ms.  103  est  Kehenis  dans  Eilhart.  Dans  Kehenis 
nous  reconnaissons  Kaherdin,  le  frère  d'Yseut  aux  blanches  mains.  Pour 
le  modèle  commun  de  nos  deux  auteurs,  quel  était  le  héros  de  l'aven- 
ture .f"  —  C'est,  à  n'en  pas  douter,  Kaherdin.  —  C'est  Thomas  qui 
nous  le  prouve. 

Thomas,  en  effet,  suit  une  autre  version  :  chez  lui,  Tristan  n'est  pas 
le  confident  complaisant  qui  aide  son  beau-frère  à  tromper  un  jaloux  ; 
il  est  au  contraire  le  vengeur  d'un  mari  trompé.  Mais  Thomas  a  connu 
l'autre  tradition.  Or,  voici  ce  qu'elle  disait  : 

Plusurs  de  nos  granter  ne  vf)lent 
Ce  que  del  naim  dire  ci  soient, 
Que  femme  Kaherdin  dut  amer. 
Li  naim  redut  Tristan  navrer 
E  entuscherde  grant  engin, 
Quant  et  affolé  Kaherdin. 
Par  cest[e]  plaie  et  par  cest  mal 
Enveiad  Tristan  Guvernal 
En  Engleterre  pur  Isolt  '. 

Dans  l'original,  le  héros  de  l'aventure  était  donc  Kaherdin, 
Quant  au  mari,  il  s'appelle  Bedalis  dans  105,  Nampelênis  dans  Eilhart. 
Peut-être  n'est-ce  là.   malgré  les  différences  extérieures,  qu'un  seul  et 
même  nom.  Ce  mari  jaloux  était,  à  l'origine,  un  nain.   Thomas  nous  le 

dit: 

Li  naim  redut  Tristan  navrer; 

et  Thomas,  bien  qu'il  n'accepte  pas  cette  tradition,  appelle  le  héros  de 
l'aventure  qu'il  raconte  en  place  «  Tristan  le  nain  ».  Le  personnage  pri- 


1.  Tristan,  éd.  Michel,  t.  II,  p.  40. 


LA    MORT    DE    TRISTAN    ET    d'iSEUT  485 

mitif  serait  donc  «  le  nain  Bedenis  «,  nom  qui,  mal  compris  et  mal 
prononcé  par  l'allemand  Eilhart,  serait  devenu  Nampetênis. 

Cette  hypothèse  est  confirmée  d'une  manière  inattendue  par  un  rap- 
prochement possible  entre  la  légende  de  Tristan  et  celle  de  Thésée. 
Des  rapports  frappants  unissent  en  effet  le  héros  breton  et  le  demi-dieu 
athénien.  Ces  traditions  qui  charmèrent  les  vieux  auteurs  de  lais  bretons 
sont  en  partie  les  mêmes  qu'avaient  dites  Hésiode  ',  Pindare  et  Sophocle; 
et  que  les  artistes  grecs  sculptaient  en  bas-reliefs  sur  les  murs  du  Thé- 
seion  d'Athènes.  Et  pourtant,  —  il  est  inutile  de  le  dire,  —  les  poètes 
bretons  ignoraient  Hésiode,  Sophocle,  et  tout  le  cycle  classique  gréco- 
romain.  Il  faut  assimiler  Tristan  et  Thésée,  le  vainqueur  du  Minotaure 
et  le  vainqueur  du  Morhout,  de  ce  géant  qui,  comme  le  monstre  crétois, 
exigeait  un  tribut  de  vierges  et  de  jeunes  garçons  ;  la  voile  blanche  ou 
noire  qui  devait  parer  la  nef  d'Iseut  est  bien  celle  que  le  vieil  Egée 
cherchait  à  l'horizon  sur  les  flots  grecs.  Ce  sont  les  mêmes  légendes  qui 
remplissent  un  poème  hésiodique  et  les  romans  de  la  Table  Ronde;  et, 
sans  que  l'un  ait  connu  l'autre,  Hésiode,  bien  des  siècles  avant  Jésus- 
Christ,  et  Béroul,  bien  des  siècles  après,  glanaient  dans  le  même  fonds 
de  légendes  qui  avaient  amusé,  en  des  temps  quasi  préhistoriques,  les 
esprits  des  hommes  2. 

Or,  dans  la  légende  de  Thésée,  il  est  un  récit  qui  rappelle  celui  qui 
nous  occupe.  Comme  Tristan  va  conquérir  une  femme  qu'aime  son  ami, 
Thésée  aide  Pirithoos  à  ravir  Corè.  Mais  Corè  est  fille  d'Aidoneus  et  de 
Perséphonè,  et  c'est  aux  enfers  que  Thésée  va  la  chercher.  Ne  faut-il 
pas  voir  un  souvenir  presque  effacé  de  cette  descente  aux  enfers  dans 
l'intervention  d'un  nain,  c'est-à-dire  d'une  divinité  souterraine,  dans  la 
quête  amoureuse  de  Tristan  .? 

Les  clefs  doivent  donc  être  remises  dans  huit  jours  à  Tristan  par  le 
fèvre^Goudri,  et  ces  huit  jours  sont  employés,  d'une  manière  qui  sur- 
prend, par  Eilhart  et  par  le  ms.  103,  à  introduire  l'épisode  de  Tristan 
fou. 

Ici  le  récit  qui  nous  intéresse  s'interrompt  ;  au  lieu  de  la  suite  des 
amours  de  Ruvalen,  il  est  longuement  raconté  par  nos  deux  auteurs 
(donc  par  leur  modèle!  comment  Tristan  fut  blessé  —  devant  une  ville 
que  ne  nomme  pas  Eilhart  et  qui  est  Nantes  selon  103,  —  et  comment 
Tristan  profita  de  sa  blessure  pour  se  déguiser  en  fou  et  revoir  Iseut. 


I     Dans  un  poème  qu'a  connu  Pausanias  (IX,  31,  15). 

2.  [Ce  rapprochement  que  j'ai  depuis  longtemps  proposé  dans  mes  cours  me 
paraît  s'appuyer  sur  divers  rapprochements  frappants,  dont  quelques-uns  seu- 
lement sont  indiqués  ci-dessus.  —  G.  P.]. 


486  J.    BÉDIER 

Le  procédé  de  compilation  est  ici  curieux,  parce  qu'il  est  mal  dissimulé  ; 
outre  que  notre  attention,  attirée  sur  les  amours  de  Ruvalen,  en  est 
longtemps  et  maladroitement  distraite,  Eilhart  est  obligé  de  faire  durer 
trois  semaines  le  travail  du  fèvre,  et  le  ms.  103,  deux  mois  :  or  ce  tra- 
vail devait  être  accompli  dans  la  semaine. 

On  sera  très  bref  sur  cet  épisode  de  Tristan  fou,  qui  a  fait  l'objet  d'un 
travail  spécial  de  M.  Lutoslawski.  On  n'en  retiendra  que  quelques  indi- 
cations directement  utiles  au  récit  de  la  mort  des  deux  héros. 

Selon  103,  et  selon  103  seul,  la  nuit  oi!i  Tristan  fou,  déjà  deviné  sous 
son  déguisement  par  les  chambellans  du  roi  Marc,  fait  ses  adieux  à 
Iseut,  celle-ci  lui  demande  un  don  :  «  Beaux  doux  ami,  fait-elle,  je  vous 
demanl  que,  s'il  avient  que  vous  mourez  avant  que  moy  ou  que  si  vous 
avés  mal  de  mort  ains  que  moy,  que  vous  vous  fassiez  mettre  en  une 
nef  et  vous  faites  ça  apporter,  et  gardés  que  la  moitié  du  voile  qui  en  la 
nef  sera  soit  blance  et  l'autre  moitié  noire,  etc..  » 

Dans  Eilhart,  il  n'est  pas  question  de  ce  don  :  cette  convention  de  la 
voile  blanche  et  de  la  voile  noire  n'est  qu'une  imagination  de  Tristan 
déjà  blessé  et  mourant,  quand  il  envoie  son  hôte  chercher  Iseut. 

Quelle  était  la  version  primitive  ^  Il  est  difficile  et  peu  utile  de  le  sa- 
voir-, pourtant  il  est  peut-être  plus  probable  que  c'est  celle  d'Eilhart.  On 
peut  croire  en  effet  que  l'auteur  du  ms,  103  a  prêté  ces  sombres  pres- 
sentiments de  mort  à  Iseut  pour  rattacher  un  peu  plus  fortement  l'épi- 
sode de  Tristan  fou  à  la  trame  du  récit. 

On  peut  faire  encore  ici  une  remarque  générale  :  c'est,  chez  l'auteur 
du  roman  en  prose  lou  chez  son  modèle),  une  recherche  constante  de 
noblesse,  de  bon  goût  soutenu  et  de  gravité. 

Voici  comment  Tristan  fou  se  fait  reconnaître  d'Iseut,  selon  le  bon 
Eilhart. 

Il  dit  aux  seigneurs  :  «  Voyez  ;  je  veux  vous  montrer  que,  de  tous 
«  mes  sens,  je  pensais  à  ma  dame,  puisque  de  si  loin  je  lui  apportais  ce 
«  petit  objet.  «  —  Il  mit  sa  main  dans  sa  capuce,  et  en  tira  un  fromage. 
—  «  Prenez-le;  si  vous  ne  m'étiez  pas  si  chère,  je  ne  vous  aurais 
«  pas  apporté  ce  joyau.  »  (v.  8865.)  «  Puis,  un  instant  après,  il  met 
sur  ses  genoux  le  fromage  qu'il  avait  apporté  et  gardé  sept  nuits  dans 
sa  capuce,  —  et  demande  à  Iseut  de  le  manger  avec  lui.  «  Sur  son 
refus,  il  prit  un  peu  de  fromage,  et  le  mit  dans  la  bouche  de  sa  dame, 
qui  lui  répondit  en  le  frappant  sur  l'oreille.  «  Dame,  lui  dit  le  fou,  si 
«  vous  aimiez  Tristan,  vous  ne  me  frapperiez  pas.  (v.  889 5. 1  » 

Cet  épisode,  dans  sa  grossièreté  plaisante,  est  évidemment  primitif.  Il 
a  choqué  l'auteur  du  roman  en  prose,  qui  rappelle  bien  aussi  qu'Iseut 
frappa  Tristan;  mais  du  fromage,  il  n'est  plus  question.  Le  fou  est  ici 


LA    MORT    DE    TRISTAN    ET    d'iSEUT  487 

frappé  pour  avoir  regardé  trop  amoureusement  la  reine  pendant  qu'elle 
assistait  à  une  partie  du  noble  jeu  des  échecs  '. 

Mais  revenons  à  Karahès.  Tristan  a  déposé  son  habit  de  fou,  et 
voici  que  le  fèvre  Goudri  vient  apporter  à  Ruvalen  les  clefs  du  château. 
Tristan  et  Ruvalen  partent  donc  pour  leur  équipée  d'amour,  couronnés 
de  fleurs,  sans  autres  armes  que  leurs  épées,  «  tout  chantant  et  esba- 
noyant  »;  les  voici  arrivés  aux  portes  du  château.  Ils  entrent;  mais 
comme  ils  passent  le  pont,  le  chapel  d'olivier  que  porte  Tristan  est  en- 
levé par  le  vent  et  tombe  dans  le  fossé.  Tandis  que  les  deux  amants 
«  font  leur  deduyt  ^\  Tristan,  qui  les  a  laissés  ensemble,  s'est  couché 
sur  les  joncs  verts  et  nouveaux  répandus  par  terre.  Sur  une  belle  cour- 
tine où  sont  peints  les  exploits  d'Artus  et  tous  les  sept  arts,  Tristan 
s'amuse  à  lancer  des  joncs.  —  Mais,  hélas  !  le  mari  va  reparaître.  On 
l'entend,  tout  d'un  coup,  dans  la  forêt,  «  corner  de  prise  ».  Tristan 
rappelle  son  ami,  et  tous  deux  s'échappent  comme  ils  étaient  venus. 

Jusqu'ici  Eilhart  et  105  concordent  parfaitement;  il  serait,  par  exem- 
ple, sans  importance  de  noter  que,  dans  Eilhart,  c'est  la  couronne  de 
Kehenis  qui  tombe  au  fossé  (v.  9060);  qu'Eilhart  abrège;  que  la  des- 
cription de  la  courtine  où  est  peinte  l'histoire  d'Artus  est  une  addition 
du  ms.  105;  que  dans  Eilhart  c'est  devant  les  femmes  de  Gargeolain  que 
Tristan  s'amuse  à  lancer  des  joncs  (v.  9075)  ;  enfin  que  dans  Eilhart  ce 
n'est  pas,  comme  dans  le  roman  en  prose,  le  mari  lui-même  qui,  par 
une  sonnerie  de  cor  expressive,  annonce  son  retour  aux  amoureux. 

Les  traits  qui  suivent  sont  aussi  communs  au  roman  en  prose  et  à 
Eilhart.  Bédalis,  en  rentrant  au  château,  voit  avec  soupçon  le  chapel  de 
fleurs  tombé  dans  le  fossé.  Il  entre,  baise  sa  femme  tout  botté,  et  aper- 
çoit sur  la  courtine  les  joncs  fichés  par  Tristan.  «  Lors  se  dresche,  et 
prend  Gargeolain,  et  trait  l'espee,  et  dit  que  par  l'ame  de  son  père  il 
l'occira  si  elle  ne  lui  dit  voir.  «  Car  je  sais  bien,  fait  il,  que  ce  sont  là  les 
«  jeux  Tristan.  —  Certes,  fait-elle,  ce  fut  mon;  lui,  et  Ruvalen  qui  me 
«  baisa  par  force. . .  Car  ils  étaient  deux,  et  je  suis  une  femme  toute 
«  seule  et  sans  nulle  garde.  » 

Bédalis  se  met,  avec  ses  hommes,  à  la  poursuite  des  deux  amis  qui 


I.  On  pourrait  citer  d'autres  exemples.  Eilhart  nous  apprend  que  Tristan 
faillit  bâtonner  des  espions  cachés  dans  la  chambre  d'Iseut.  Le  ms.  105  sup- 
prime cet  épisode,  et  place  dans  la  chambre  d'étranges  espions,  qui  sont  comme 
s'ils  n'étaient  pas,  —  immobiles  et  muets.  Le  ms.  103  paraît  avoir  craint  de 
compromettre  Tristan  avec  des  manants.  Ce  trait  fait  songer  au  scrupule  que 
Béroul  a  quelque  part  de  faire  tuer  des  lépreux  par  Tristan,  —  scrupule  inconnu 
à  Eilhart. 


^88  J-     BÉDIER 

s'aitardaient  par  la  forêt,  gaiement,  à  poursuivre  une  biche  et  ses  bi- 
cheaux.  Ici,  seulement,  se  présentent  d'assez  importantes  différences. 

Voici  exactement  le  bref  récit  d'Eilhart  :  »  Tristan  le  guerrier  entendit 
que  l'on  galopait  derrière  eux.  Je  crois  que  nous  resterons  ici,  dit-il  à 
«  Kehenis.  Comment  pourrions-nous  sauver  notre  vie  .'*  Au  moins,  défen- 
«  dons-nous  bravement.  »  Nampetênis  arriva.  Tous  deux  se  défendirent 
de  grand  courage.  Ils  auraient  volontiers  sauvé  leurs  vies,  mais  ils 
étaient  en  grand  péril.  Les  hommes  de  Nampetênis  frappèrent  Kehénis 
à  mort;  mais  avant  de  mourir^  le  héros  en  tua  trois  de  sa  main.  Tristan 
en  abattit  rapidement  quatre.  Mais  il  fut  blessé  dans  la  lutte.  Nampe- 
tênis le  blessa  d'une  pointe  empoisonnée,  en  sorte  qu'ils  le  laissèrent 
pour  mort  sur  le  champ  de  bataille.  Nampetênis  aurait  volontiers  tenu 
son  honneur  pour  satisfait,  si  les  deux  braves  guerriers  avaient  survécu. 
Il  dit  en  gémissant  :  «  J'ai  vengé  mon  déshonneur,  mais  je  peux  me 
«  plaindre  à  Dieu  dans  le  ciel  de  ce  que  ces  deux  héros  sont  morts.  Je 
«  ne  peux  les  guérir,  et  j'ai  perdu  beaucoup  de  mes  hommes  chers.  » 
Puis  il  rentra  tristement  chez  lui.  »  (V.  9195  ss.) 

Il  est  inutile  de  s'arrêter  aux  détails  du  combat  qui  sont  sans  doute 
propres  à  l'auteur  du  roman  en  prose  et  d'invention  individuelle.  Peu 
importe  que  Ruvalen  ait  tué  un  certain  Authon,  et  que  lui-même  ait  été  tué 
par  le  frère  de  cet  Authon,  Cadio,  qui  naguère  lui  avait,  comme  messager 
de  Gargeolain,  porté  les  empreintes  de  cire  ;  peu  importe  encore  — 
bien  que  cette  remarque  soit  plus  intéressante,  —  ce  fait  assez  étrange 
que,  dans  le  manuscrit  103,  Tristan  n'intervient  que  vers  la  fin  du 
combat,  après  la  mort  de  Ruvalen;  jusque-là,  il  s'est  tapi  derrière  un 
buisson,  non  par  lâcheté  s'entend,  mais  parce  qu'il  espérait  que  Ruvalen 
aussi  se  cacherait  à  temps.  La  véritable  divergence  des  deux  versions  est 
dans  l'attitude  du  mari  vengé.  Le  Nampetênis  d'Eilhart,  on  vient  de  le 
voir,  pleure  noblement  ses  ennemis  abattus;  le  Bédalis  du  roman  en 
prose  reste  jusqu'au  bout  un  personnage  odieux  ou  méchant.  —  Il  n'a 
qu'un  mot  après  sa  victoire:  «  Or  fuyons-nous-en  de  cest  pais.  »  Il  s'em- 
barque donc  avec  sept  cents  de  ses  compagnons  pour  l'île  de  Caussié  ', 
où  il  sera  pirate,  en  rançonnant  les  navires  qui  passent  dans  ces  parages. 

Le  manuscrit  103  nous  raconte  longuement  comment  les  barons 
marchands  de  Flandre,  de  Saxe,  de  Normandie,  s'assemblèrent  pour 
balayer  la  mer,  et  par  quelle  ruse  un  prudhomme  du  Cotentin,  Guiffroy, 
prit  les  «  ullagues  »  au  piège,  et  coupa  la  tête  de  Bédalis. 


1.  Il  faut  voir  dans  Caussié  le  petit  groupe  des   îles  Chausey,   au   large  de 
Granville. 


LA    MORT    DE    TRISTAN    ET    d'iSEUT  489 

Cet  épisode  est-il  une  addition  récente  ?  Il  est  probable  que  non  ; 
peut-être  même  peut-il  nous  renseigner  sur  la  patrie  du  poète  qu'imitaient 
Eilhart  et  le  roman  en  prose.  On  comprend  en  effet  que  les  détails  de 
cette  petite  expédition  maritime  aient  médiocrement  intéressé  les  audi- 
teurs brunswickois  d'Eilhart,  qui  n'avaient  point  vu  de  pirates  sur 
rOcker  ;  mais  des  Normands,  des  Anglais,  des  Bretons  pouvaient  se  plaire 
à  retrouver,  mêlé  aux  aventures  de  Tristan,  le  récit  d'une  expédition  peut- 
être,  au  moins  en  partie,  historique.  Pour  les  mêmes  raisons  qu'Eilhart, 
la  saga  irlandaise  supprime  une  description  de  Londres  que  nous  donne 
Thomas.  On  croirait  donc  volontiers  ici  que  le  roman  en  prose  n'a  rien 
inventé. 

Avant  de  quitter  cette  histoire  de  Gargeolain,  il  importe  de  noter  une 
dernière  différence  entre  nos  deux  récits.  Dans  Eilhart  nous  ne  voyons 
Gariôle  que  dans  la  salle  de  son  château,  d'abord  entre  les  bras  de  son 
ami,  puis  aux  pieds  de  son  mari  furieux.  Ensuite,  elle  disparaît.  Dans  le 
roman  en  prose,  elle  a  entendu  de  son  château  le  deuil  que  menaient  les 
gens  de  Tristan  auprès  du  cadavre  de  Ruvalen  ;  ell2  accourt  au  bruit, 
tombe  sur  le  corps  décapité  de  son  ami,  l'enserre  de  ses  bras,  meurt 
sur  lui,  et  tous  deux  vont  reposer  dans  le  même  tombeau. 

Il  n'est  peut-être  pas  possible  de  décider  en  toute  sécurité  de  l'ancien- 
neté de  ce  trait.  Pourtant,  on  peut  y  soupçonner  avec  vraisemblance  une 
imagination  du  romancier  en  prose.  On  verra  bientôt  en  effet,  combien 
il  est  préoccupé  de  ne  pas  quitter  un  seul  de  ses  héros  secondaires  sans 
dire  ce  qui  lui  advient  par  la  suite,  sans  lui  «  faire  un  sort  ».  D'ailleurs, 
il  ne  s'est  pas  mis  en  frais  d'im^agination  ;  il  s'est  borné,  par  une  inven- 
tion facile,  à  raconter  par  avance,  à  propos  de  Gari-eolain  et  de  Ruvalen, 
la  mort  de  Tristan  et  d'Iseut. 

II.  La  blessure  de  Tristan  est  envenimée.  Eilhart  nous  dit  très  briève- 
ment 1  vers  9247-925  5  :  «  La  femme  de  Tristan  manda  à  la  hâte  les 
médecins  pour  le  soigner  et  guérir  ses  blessures.  Ils  bandèrent  la  plaie 
du  héros,  mais  en  vain.  Il  était  blessé  de  telle  sorte  que  personne  ne  l'eût 
pu  guérir,  sauf  Iseut,  femme  du  roi  Marc  ». 

Le  roman  en  prose  nous  fait  pénétrer  dans  l'officine  de  ces  mires  ;  il 
nous  dit  comment  le  médecin  Agar,  après  avoir  retiré  le  bout  de  la  lance, 
lia  sur  la  plaie  un  emplâtre  de  blancs  d'œufs,  puis  une  mixture  de  «  jus 
de  plantain,  d'ache,  de  fenouil  et  de  sel  pour  étancher  le  sang  ;  mais  la 
jambe  devint  pourtant  plus  noire  que  charbon.  »  Puis  vient  une  petite 
scène  de  comédie  qui  ne  manque  point  d'agrément.  Parmi  ces  médecins 
dignes  de  Diafoirus  et  de  Défonandrès,  était  «  un  pauvre  mire  qui  tout 
nouvelement  estoit  venu  des  écoles  de  Salerne.»  Il  donne  un  bon  conseil, 
qui  eût  sauvé  Tristan,  dit  le  roman.    Mais  quoi!  le  petit  médecin  est 


490  i.    BÉDIER 

pauvre  ;  il  proteste  en  vain  que  «  le  sens  n'est  pas  en  draps  ne  en  ves- 
tures,  mais  en  coeur  où  Dieu  l'a  mis  »,  que  Tristan  mourra  sans  lui. 
Il  est  pauvre,  et  ses  confrères  décrètent  que  Tristan  ne  doit  mourir  que 
sur  leurs  ordonnances.  —  «  Lors  fut  le  pauvre  mire  bouté  dehors  avec 
un  marc  d'argent,  un  habit, un  cheval»^  présents  d'Iseut  aux  blanches 
mains.  Car  nous  savons  qu'  «  on  n'a  cure  de  pauvre  homme  en  nul  lieu  ». 

Cette  jolie  scène  est-elle  de  l'original  du  xii''  siècle  ?  Elle  n'est  pas  en 
tout  cas  de  l'auteur  du  ms.  103.  Il  est  peu  probable  qu'au  xv^  siècle  on 
eût  pensé  à  faire  venir  un  médecin  de  Salerne:  la  vieille  école  italienne, 
dont  l'apogée  fut  au  xii^  siècle,  était  trop  abaissée  pour  que  !e  meilleur 
médecin  de  Tristan  fût,  aux  yeux  d'un  romancier  du  xv^  siècle,  un  étu- 
diant de  Salerne. 

Tristan,  qui  désespère  de  guérir,  mande  Iseut  de  Cornouaille.  Dans 
Eiihart,*  (v.  9285-9310),  comme  dans  le  roman  en  prose,  comme  dans 
Thomas  (v.  1124SS.),  le  messager  se  fera  reconnaître  par  l'anneau  de 
Tristan,  et  annoncera  au  moyen  d'une  voile  blanche  ou  noire  le  succès 
ou  l'insuccès  de  sa  mission. 

Quel  sera  ce  messager  .''  Pour  Thomas,  c'est  Keherdin.  Mais  Tnomas 
connaissait  une  tradition  différente  :  une  version  —  voisine  d'Eilhart 
et  du  roman  en  prose  en  ce  qu'elle  faisait  blesser  Tristan  dans  une 
équipée  amoureuse  entreprise  pour  le  compte  de  son  beau-frère,  — 
chargeait  Guvernal  de  ce  message  : 

Enveiad  Tristan  Guvernal 
En  Engleterre  pur  Ysolt. 

Mais  Thomas  se  refuse  à  admettre  une  telle  tradition,  et  se  fait  fort  de 
montrer  par  raison 

Que  iço  ne  put  pas  ester. 

Cil  (Guvernal)  fust  par  tut  la  part  coneuz, 

Et  par  tut  le  règne  siuz 

Que  de!  amur  ert  parçuners' 

Et  emvers  Ysolt  messagers. 

Li  reis  l'en  haeit  moult  forment; 

Guaiter  le  feseit  a  sa  gent. 

Et  comment  pust  il  dune  venir 

Sun  service  a  la  curt  offrir?... 

Il  sunt  del  cunte  forsveisé 

E  de  la  verur  esluingné; 

Et  se  ço  ne  veulent  granter, 

Ne  voil  [jo]  vers  eus  estriver: 


I .  L'édition  porte  parvincrs. 


LA    MORT    DE    TRISTAN    ET    D  ISEUT  49 1 

Tengent  le  lur  e  jo  le  mien  ; 
La  raisun  s'i  provera  bien', 

Ce  passage  est  curieux,  en  ce  qu'il  prouve  l'existence  d'une  tradition 
qui  se  rapprochait  fort  du  modèle  d'Eilhart  et  de  Thomas,  et  qui  pour- 
tant n'est  pas  ce  modèle.  Car  cette  invraisemblance  qui  a  choqué  si  fort 
Thomas,  le  message  confié  à  Guvernal,  a  frappé  de  même  le  compilateur 
voisin  de  Béroul  :  pour  lui  (Eilhart  et  le  roman  en  prose  nous  le  montrent), 
ce  n'est  pas  Gouvernai  qui  va  chercher  Iseut,  —  ce  n'est  pas  davantage 
Kaherdin,  —  c'est  un  personnage  tout  secondaire,  un  «  hôte  »  de  Tristan. 
Le  ms.  103  ajoute  ce  détail  que  cet  hôte  était  aussi  le  «  compère  »  de 
Tristan,  qui  avait  tenu  sa  fille  sur  les  fonts  de  baptême,  et  l'on  sait  quels 
liens  cette  qualité  de  «  compère  «  établissait  entre  les  hommes  du  moyen 
âge. 

L'hôte  s'est  donc  mis  en  route,  après  avoir  donné  à  sa  fille  commis- 
sion d'observer  le  retour  de  sa  voile. 

De  son  voyage,  du  départ  d'Iseut,  Eilhart  ne  nous  dit  qu'un  mot,  — 
éloquent,  mais  bref:  «  L'hôte  partit,  se  hâta  vers  la  reine,  et  lui  rap- 
porta le  message  de  Tristan.  Qnand  elle  eut  vu  le  petit  anneau,  elle 
laissa  mari  et  pays,  trésors  et  parures,  et  navigua  avec  le  marchand  ; 
sans  rien  emporter,  sauf  ses  remèdes.  «  (Vers  9320  ss.l 

Ici,  le  roman  en  prose  développe  longuement,  et  non  sans  intérêt. 
Gènes  [c'est  le  nom  de  l'hôte  dans  le  ms.  103]  vogue  jusqu'à  Bomme 
en  Cornouaille,  déguisé  en  marchand.  Le  roi  Marc  vient  à  sa  rencontre, 
retient  toute  sa  cargaison  de  vins,  et  lui  offre  de  venir  tous  les  jours 
manger  à  la  cour.  Gènes,  le  bon  apôtre,  refuse  humblement.  «  Car,  dit- 
«  il,  je  promis  et  juray  a  ma  femme  quand  je  me  party  d'elle  qu'en  autre 
«  lieu  ne  prendroye  aisément.  «  Le  roi  rit,  et  va  raconter  à  Iseut 
comment  un  marchand  est  arrivé  de  Bretagne  ;  et  le  bon  roi  n'a  rien 
de  plus  pressé  que  de  décrire  minutieusement  à  sa  femme  un  certain 
bel  anneau  que  le  marchand  porte  à  son  doigt,  anneau  plat  où  s'enchâsse 
une  émeraude,  —  et  qu'Iseut  n'a  garde  de  méconnaître. 

Tout  ce  récit  est-il  postérieur  ?  appartient-il  en  propre  à  l'auteur  du 
roman  en  prose  .''  Non  sans  doute  :  il  l'a  trouvé  dans  son  modèle,  et  son 
modèle  lui-même  a  été  le  puiser,  en  même  temps  que  Thomas,  dans  un 
fonds  plus  ancien  et  commun  de  traditions,  —  Ce  messager  qui  charge 
sa  nef  de  marchandises,  nous  l'avons  déjà  vu  dans  Thomas  s'embarquer 

avec  ses  compagnons: 

De  seie  portent  draperie 
A  ovre  d'estranges  colurs 


I.   Tristan^  éd.  Michel,  t.  II,  p.  41. 


492  J.    BEDIER 

Et  riche  veissele  de  Tiirs, 

Vins  de  Peito,  oisels  d'Espaigne.,..  ' 

Nous  l'avons  vu  aussi  faire  reconnaître  son  anneau,  autrement,  mais 
aussi  spirituellement  que  le  messager  du  roman  en  prose  : 

Un  aficailovré  d'or  fin 
Li  port[e]  en  sa  main  Kaherdin, 
Ne  qui  qu'el  seclc  meiliur  ait; 
Présent  a  la  reine  en  feit. 
«  Li  ors  en  est  mult  bons,  ce  dit. 
Unques  Ysoit  meiliur  ne  vit.   » 
L'anel  Tristan  de  sun  dei  oste. 
Juste  l'altre  le  met  encoste, 
Et  dit  :  «  Reine,  ore  veiez  ." 
Icest  or  est  plus  colurez 
Que  n'est  ii  ors  de  cest  anel.  .  .   » 
Cum  la  reine  l'anel  veit, 
De  Kaherdin  tost  s'aperceil^. 

Jusqu'ici  Thomas  nous  garantit  Tancienneté  du  récit  en  prose.  Mais 
ils  se  séparent  l'un  de  l'autre  quand  il  s'agit  de  raconter  l'évasion  d'Iseut. 
Chez  Thomas,  elle  s'échappe  facilement,  avec  Brangien,  la  nuit, 

Mult  cuintement,  par  grant  eur, 
Par  une  posterne  del  mur 
Que  desur[e]  Tamise  estoit. 

Dans  le  ms.  103,  elle  a  plus  de  peine  à  quitter  son  palais.  Elle  dit  à 
Audret  qu'elle  veut  «  aller  en  gibier  »,  et  quand,  avec  sa  suite,  elle 
arrive  dans  la  campagne,  un  faisan  s'enlève  ;  Audret  laisse  aler  un  fau- 
con pour  le  prendre.  «  Le  temps  estoit  cler  et  bel  ;  si  se  essora  le  fau- 
con. «  Iseut  prétend  qu'elle  le  voit,  posé  sur  le  mât  de  la  nef  de  Gènes. 
Audret  l'accompagne  jusque  là,  laisse  monter  la  reine  ;  mais  quand  il  veut 
la  suivre,  Gènes  fait  basculer  la  planche  qui  relie  le  vaisseau  au  rivage, — 
et  «  fiert  Audret  de  son  aviron,  si  qu'il  l'abat  en  l'eaue  —  et  Gènes  le 
refrapoit  et  le  rabatoit  en  la  mer,  et  disoit  :  «  Couvert,  — traître  !  »  Tout 
ce  récit  est-il  ancien  .?  On  peut  le  croire,  à  cause  de  sa  brutalité  même. 

lu.  —  Tandis  qu'Iseut  vogue  vers  Tristan,  le  blessé  qui  l'attend  se 
fait  chaque  jour  porter  sur  le  port  de  Penmarc,  d'où  il  regarde  au  loin 
la  mer.  Ce  détail,  qui  nous  est  fourni  parle  ms.  10:;,  est  omis  par  Eilhart. 
Mais  il  est  ancien  ;  car  Thomas  le  confirme  : 


1.  Tristan,  éd.   Michel,  t.  II,  p.  61  ;  t.  III,  p.  57. 

2.  Tiislan,  éd.  Michel,  t.  II,  p.  66;  t.  III,  p.  61, 


LA    MORT    DE    TRISTAN    ET    d'iSEUT  493 

Et  sovent  se  fait  reporter, 
Son  lit  faire  juste  la  mer, 
Pour  atendre  et  veeïr  la  nef, 
Comme  el  sigle  et  a  quel  tref  '. 

Il  est  à  croire  aussi  que  le  poste  d'observation  de  Tristan  était  bien 
Penmarch  dans  l'original  :  tant  est  bien  choisie,  pour  voir  au  loin  vers 
la  haute  mer,  cette  falaise  avancée.  Il  est  inutile  de  dire  que  le  port  de 
Penmarc  est  une  fantaisie  géographique  de  l'auteur  du  roman  en  prose 
ou  du  modèle  immédiat  qu'il  suivait. 

Mais  le  mal  empire.  Tristan  n'a  plus  la  force  de  quitter  sa  chambre  ; 
c'est  désormais  sa  filleule,  la  fille  de  Gènes,  qui  interrogera  pour  lui 
l'horizon.  Selon  Eilhart,  comme  selon  le  manuscrit  en  prose,  la  femme 
de  Tristan  s'inquiète  de  ce  guet  continuel  que  fait  l'enfant  sur  la  plage. 
Elle  l'interroge,  la  menace,  apprend  son  secret. 

Ici,  une  grave  divergence  se  produit  entre  les  deux  récits.  D'après  le 
roman  en  prose,  la  jalousie  saisit  Iseut  aux  blanches  mains  :  «  Lasse  ! 
s'écrie-t-elle,  «  qui  cuydast  qu'il  aimast  autre  que  moy  ^  Certes,  ils 
«  n'orentoncquessi  grant  joye  l'un  de  l'autre,  comme  je  leur  feray  avoir 
«  de  doulouret  de  tristesse,  »  —  "  Lors  regarde  aval  la  mer  bien  loing 
et  voit  venir  la  nef  au  blanc  voile.  »  —  On  sait  le  reste  :  elle 
court,  délibérément  ,  de  parti  pris,  au  lit  de  Tristan,  —  et  se  venge. 

Tout  autre,  —  et  bien  difficile  à  comprendre,  -  est  l'Iseut  d'Eilhart. 
—  C'est  «  par  hasard  »  (9546)  qu'Iseut  apprend  le  secret  de  Tristan; 
c'est  sans  aucune  mauvaise  intention,  par  pur  caprice  de  femme  (v  9580' 
qu'elle   dit   noir  au  lieu    de  blanc.    Elle  ment,    —    par  inconscience. 

Cette  version  semble  la  plus  ancienne.  Les  poètespostérieurs  expliquent 
les  obscurités  de  leurs  devanciers.  On  ne  saurait  guère  admettre  la  marche 
inverse  et  la  substitution   volontaire  d'Iseut  inconsciente  àlseut  jalouse. 

Cette  opinion  paraît  contredire  la  méthode  suivie  jusqu'ici,  et  qui  a 
consisté  à  admettre  comme  primitifs  les  traits  communs  à  Eilhart  ou  au 
ms.  103  d'une  part  et  à  Thomas  d'autre  part.  Dans  Thomas,  en  effet, 
Iseut  agit  par  jalousie.  Cachée  derrière  la  paroi  de  la  chambre  de  son 
mari,  elle  a  surpris  ses  confidences  à  Kaherdin  ;  elle  apprend  pourquoi 
Tristan  l'a  respectée  dans  le  mariage  ;  quels  souvenirs  unissent  les  deux 

amants. 

Les  granz  peines,  et  les  tristurs, 

Et  les  joies  et  les  dulurs 

De  leur  amour  fine  et  veraie. 

Mais  elle  saura  punir  son  mari, 


:.  Tristin,  éd.  Michel,  t.  II,  p.  73  ;  t.  III,  p.  60. 


494  J-    BÉDIER 

Et  pense  mal  en  cele  irur. 
Par  quel  manere  venge[e]  ert. 

Il  semblerait  donc  que  l'accord  de  Thomas  et  du  ms.  loj  dût  nous 
faire  conclure  que  dans  la  compilation  voisine  de  Béroul  Iseut  était  déjà 
jalouse  et  qu'elle  se  vengeait  sciemment. 

Mais  peut-être  cet  accord  n'est-il  pas  probant  ;  l'inconscience  d'Iseut 
est  si  peu  vraisemblable,  sa  jalousie  est  une  explication  psycholo- 
gique si  naturelle,  si  simple,  qu'elle  a  pu  se  présenter  comme  une  né- 
cessité à  l'esprit  de  deux  poètes,  étrangers  d'ailleurs  l'un  à  l'autre.  Il  est 
très  naturel  que  Thomas  et  l'auteur  du  roman  en  prose  se  soient,  indi- 
viduellement, l'un  au  xir",  l'autre  au  xv"  siècle,  avisés  d'introduire,  de 
leur  autorité  privée,  la  jalousie  d'Iseut. 

Notons  enfin  que  dans  la  légende  de  Thésée,  bien  que  la  négligence 
soit  le  fait  des  matelots  et  fasse  substituer  réellement,  et  non  pas  seu- 
lement en  paroles,  la  voile  noire  à  la  voile  blanche,  il  s'agit  aussi  non 
d'une  tromperie  intentionnelle,  mais  d'une  erreur  involontaire, 

IV.  Tristan  est  mort  quand  Iseut  débarque.  Le  récit  d'Eilhart  est  ici 
d'une  simplicité  profonde  et  sublime  : 

«  Quand  Iseut  arriva  sur  la  plage  et  qu'elle  entendit  le  grand  deuil 
qui  montait  par  la  ville,  elle  fut  prise  d'une  grande  peur  et  s'écria  :  «  0 
malheur  à  moi  !  et  toujours  !  0  Tristan  !  Il  est  mort  !  «  —  Elle  ne  pâlit 
ni  ne  rougit.  Elle  ne  pleura  pas  davantage  ;  son  cœur  pourtant  lui  faisait 
bien  mal.  «  (Vers  941 5  ss.) 

Suit  alors  une  belle  et  courte  scène  entre  les  deux  femmes  qui  avaient 
aimé  Tristan.  La  femme  de  Tristan,  cause  innocente  de  sa  mort,  'pousse 
de  grands  cris  sur  le  cadavre.  Sans  larmes,  l'autre  Iseut  entre,  et  lui 
dit  (vers  9430I  :  «  Femme,  relève-toi,  et  laisse-moi  m'approcher.  J'ai 
«  plus  de  droits  à  le  pleurer  que  toi  ;  crois-m'en.  Je  l'ai  plus  aimé.  »  Elle 
découvre  le  cercueil,  déplace  un  peu  le  corps^  se  couche  sur  la  civière, 
tout  le  long  de  son  ami,  et,  s:ins  une  parole,  meurt. 

Le  récit  du  roman  en  prose  supprime  ces  traits  si  originaux.  La  scène 
entre  les  deux  femmes  n'existe  plus  :  il  est  vrai  que  c'est  une  conséquence 
presque  nécessaire  de  l'attitude  prêtée  par  le  roman  à  la  femme  de  Tris- 
tan. Si  Iseut  aux  blanches  mains  a  tué  son  mari  par  jalousie,  il  nous 
eût  été  odieux  de  la  voir  pleurer  sur  son  cadavre.  Aussitôt  que  Tristan 
est  mort,  elle  disparaît  (comme  dans  Thomas^^  et  c'est  un  personnage 
épisodique,  la  comtesse  de  Montrelles,  qui  rend  à  Tristan  les  derniers 
devoirs. 

Un  trait  du  roman  en  prose,  omis  par  Eilhart,  mérite  d'être  retenu. 
Quand  Iseut  entend  les  cris  que  pousse  le  peuple  qui  «  regrette  »  Tris- 


LA    MORT    DE   TRISTAN    ET    D  ISEUT  495 

tan,  elle  est  prise  de  pressentiments:  «  Je  me  doubte  trop,  dit-elle,  que 
«  le  songe  que  j'ai  songé  ennuyt  ne  soit  voir.  Car  j'ai  songé  que  je  te- 
«  noyé  en  mon  geron  la  teste  d'un  grant  sanglier  qui  toute  me  honnis- 
«  soit  de  sang  et  ensanglantoit  ma  robe.  Pour  Dieu  !  je  me  doubte  trop 
«  que  Tristan  soit  mort .    » 

On  reconnaît  ici  l'un  de  ces  songes  d'animaux  si  fréquents  dansno 
plus  anciennes  épopées,  et  auxquels  les  critiques  attribuent  une  origine 
germanique.  Ce  trait  du  roman  en  prose  doit  donc  être  ancien. 

V.  —  Eilhart  nous  dit  en  très  peu  de  mots  que  la  femme  de  Tristan 
fit  ensevelir  magnifiquement  les  deux  amants  ;  que  Marc  apprit  la  triste 
nouvelle,  et  l'histoire  du  breuvage  amoureux;  qu'il  regretta  de  l'avoir 
ignorée  jusque-là  :  il  «  aurait  laissé  à  Tristan  et  à  Iseut  ses  royaumes, 
à  toujours.  »  —  Et  le  roman  est  terminé. 

Le  ms  10?  développe  très  longuement  toute  cette  partie  ;  tous  les  dé- 
tails de  l'ensevelissement  nous  sont  donnés  :  nous  savons  que  Tristan  et 
Iseut  «  furent  cousus  en  ung  cuir  de  cerf,  et  que  les  deux  corps  furent 
mis  en  ung  tonnel  en  une  nef  «  (tous  traits  qui  doivent  être  fort  anciens;. 

Nous  savons  aussi  comment  le  roi  Marc  fut  informé  du  malheur  par 
des  lettres  écrites  par  Tristan  mourant,  enfermées  par  lui  dans  un  écrin, 
et  remises  au  roi  par  un  vieil  erm.ite  ce  qui  est  visiblement  d'invention 
plus  récente). 

Nous  assistons  enfin  à  l'embaumement  du  corps  de  Tristan,  à  son 
voyage  sur  la  mer,  à  la  veillée  funèbre  qui  est  confiée  à  une  petite  vieil- 
lotte, etc Lesquels  de  ces  détails  sont  anciens  .?  Il  est  difficile  d'en 

faire  le  décompte.  Pourtant  il  est  permis  de  croire  que  l'auteur  du  roman 
en  prose  a  imaginé  la  plupart  des  renseignements  qu'il  nous  donne  sur 
lesort  qui  attend,  après  la  mort  de  ses  héros  principaux,  les  personnages 
secondaires  du  roman.  Il  nous  apprend  ce  que  deviennent  Perinis,  le 
chien  Hudent,  Gouvernai  et  Brangien.  On  peut  croire  que  son  modèle, 
—  comme  Thomas,  —  terminait  son  récit  sur  l'image  de  Tristan  et 
d'Iseut  embrassés  dans  la  mort.  L'intérêt  qui  s'attache  aux  personnages 
de  [second  plan   disparaissait  devant  cette  grande  catastrophe. 

Il  faut  pour  terminer  noter  un  dernier  trait,  —  où  le  ms.  103  paraît 
suivre  une  tradition  bien  plus  ancienne  qu'Eilhart. 

«  De  dedens  la  tombe  Tristan,  nous  dit  le  roman  en  prose,  yssoit 
une  ronche  belle  et  verte  et  foillue  qui  aloit  par  dessus  la  chappelle  et 
descendoit  le  bout  de  la  ronche  sur  la  tombe  d'Iseut  et  entroit  dedens. 
Ce  virent  les  gens  du  pays  et  le  comptèrent  au  roy.  Le  roy  la  fit  par 
trois  fois  couper.  A  landemain  restoit  aussi  belle  et  en  autel  estât  comme 
elle  avoit  esté  autrefois.  » 

Eilhart  paraît  éprouver  un  véritable  embarras  à  adopter  cette  tou- 


496  J.    BÉDIER 

chante  légende.  «  Je  ne  sais  pas,  dit-il,  si  je  dois  vous  le  dire  :  pourtant, 
j'ai  entendu  raconter  que  le  roi  fit  placer  un  buisson  de  roses  sur  la 
tombe  de  sa  femme ,  et  sur  le  corps  de  Tristan  un  cep  de  noble 
vigne.  Les  deux  plantes  crurent  ensemble,  si  bien  qu'on  ne  put  en  aucune 
manière  les  séparer  l'un  de  l'autre,  —  si  même  on  les  voulait  couper.  » 
(Vers  95 10.) 

Le  récit  du  roman  en  prose  est  ici  évidemment  plus  ancien.  Eilhart  a 
reculé  devant  le  symbolisme  presque  païen  de  son  modèle  ;  il  a  refusé 
de  croire  à  cette  germination  spontanée,  émanation  vivace  de  l'âme  même 
de  Tristan,  qui  va  embrasser  dans  sa  tombe  celle  qu'il  a  tant  aimée'. 

Joseph  BÉDIER. 


TEXTE 

du  ms.  B.  N.  fr.  103, /o/.  374  sqq. 

En  ce  temps  que  Tristan  et  Yseultdemouroient  a  la  Joyeuse  Garde,  fu  entre- 
prise la  queste  du  .saint  graal.  Tristan  se  mist  en  la  queste  et  en  fu  compain- 
gnon  et  par  ce  rot  le  roy  Marc  Yseult  et  en  fist  le  roy  Artus  la  paix.  Et  fu  le 
roy  Marc  delivray  de  prison.  Mais  oncques  pour  ce  ne  se  remuèrent  les  amours 
de  Tristan  et  d'Yseult.  Mais  atant  leisse  le  compte  a  parler  de  ceste  matière, 
et  parole  de  Tristan  qui  revenu  est  a  Karahès  en  Bretaingne  avec  le  roy  Hoel 
et  Yseult  aux  blances  mams  sa  femme  et  Ruvalenz  qui  filz  estoit  au  roy  Hoel  et 
fu  frère  Kehedin  et  Yseult  fem.me  Tristan,  qui  moult  firent  a  Tristan  grant  feste 
et  grant  joye^  et  tous  ceulx  du  pais  aussi,  quant  il  fu  revenu  à  Karahèes. 

Or  dit  le  compte  que  Tristan  et  Ruvalen  estoient  ung  jour  ensemble,  si  dit 
Tristan  :  «  Beaux  doulz  amys,  je  me  merveil  moult  que  vous  ne  me  dites  au- 
cunes nouvelles  de  Gargeolain  vostre  amye.  »  —  «  Parfoy,  »  fait  Ruvalen  tout  en 
riant,  «  je  ne  parlé  a  elle  oncques  encore  que  une  toute  seule  fois,  et  encore  fust 
ce  sur  la  douve  dun  fossé  de  son  manoir,  et  si  estoit  dedens  enfermée  et  j'estoie 
dehors.  Car  Bedalis  son  baron  qui  tant  est  geloux  d'elle  en  avoit  portée  la  clef 
de  la  porte.  Et  tant  me  dit  quant  je  parlay  a  elle  qu'elle  menvoieroit  les  seaulx 
de  toutes  les  clefs  de  leans  en  cire  se  je  voulloye.  Si  me  merveil  moult  que  n'en 
ay  ouy  aucunes  nouvelles.  »  —  «  Par  foy,  »  fait  Tristan,  «  ce  seroit  bien  fait 
se  vous  aviés  les  seaulx.  Et  je  sçeis  ung  fevre  a  Nantes,  qui  vint  de  Nicole  pour 


1.  [Ce  qui  prouve  l'antiquité  de  la  version  du  ms.  103,  c'est  qu'elle  ressemble 
plus  à  celle  de  la  Tristrams  Saga  (Kôlbing.  p.  112,  204),  qui  suit  en  général  le 
poème  de  Thomas  ;  en  revanche,  le  récit  d'Eilhart  paraît  plus  voisin  de  celui  de 
la  Tavola  Ritonda  dont  on  ignore  la  source  directe.  —  Sur  des  récits  pareils  à 
celui-là  appliqués  à  la  sépulture  d'autres  amants,  voyez  P.  Child,  The  english 
and  scottish  Battads,  t.  I,  p.  96.  —  G.  P.] 

2.  Ed.  1520  :  Runalen. 


LA    MORT    DE   TRISTAN    ET    d'ISEUT  497 

l'amour  de  moy,  qui  trop  bien  les  forgera  selon  l'exemplaire  mieulx  que  nul 
autre  et  plus  proprement.  »  Quant  ils  curent  assés  parlé  de  leur  volenté  si  se 
sont  partis  d'illeuc  et  ont  devisé  telle  chose  dont  ilz  moururent  puis  a  grant 
doulour.  Et  en  perdi  Tristan  la  queste  du  Saint  Graal  ou  il  estoit  entré  avec 
les  autres  compaingnons  de  la  Table  Roonde. 

Ung  jour  estoient  Tristan  et  Ruvalen  aies  cachier  en  la  forest.  Atant  es  vous 
Cadio  le  message  Gargeolain  atout  une  boite  bien  fermée  ou  les  seaulx  de  cire 
estoient.  Quant  Cadio  voit  Ruvalen,  si  vint  a  lui  et  trait  la  boite  du  sain  et 
dit  :  «  Sire,  vostre  amye  Gargeolain  vous  salue  et  vous  envoie  ceste  boite.  Et 
sachiez  qu'il  n'y  a  point  de  clef  dont  il  n'ait  cy  l'emprainte.  Or  me  dites  vostre 
volenté,  car  je  m'en  veul  aler  encore  nuit.  »  —  k  Amis,  fait  Ruvalen,  tu  la  me  sa- 
lueras et  lui  diras  que  je  suis  tout  sien.  »  A  tant  s'em  part  Cadio,  et  Tristan 
s'en  vint  apoingnant  a  Ruvalen,  le  cor  au  col,  et  voit  la  boite  qu'il  tenoit  en  sa 
main,  si  sceut  bien  que  Gargeolain  lui  avoit  envoyée,  si  lui  dit  :  «  Ruvalen,  fait 
Tristan,  chascun  ne  sceit  pas  qu'il  a  dedens  celle  boite.  »  Lors  la  prent  en  la 
main  Ruvalen  et  brise  la  serrure,  et  voit  dedens  son  grant  deul  et  sa  mort  et 
son  dommage;  mais  il  ne  s'en  perchut.  » 

Quant  Tristan  et  Ruvalen  virent  les  seaulx,  si  firent  grant  joye  de  leur  en- 
combrement; mais  on  dit  que  on  est  aucune  fois  plus  lié  de  son  mal  que  de  son 
bien,  et  plus  volentiers  va  on  ou  on  a  tourment  que  on  ne  fait  la  ou  on  a  joye 
et  déport.  Tout  ce  ay  je  dit  pour  Tristan  et  pour  Ruvalen  qui  firent  grant  joye 
des  seaulx  qui  furent  achoison  de  leur  mort;  mais  ils  ne  s'en  perchurent.  Tris- 
tan cacha  toute  jour  et  Ruvalen,  si  eurent  pris  une  beste  qu'ilz  emportent  a 
Karahès.  Temps  fu  de  soupper,  si  mengerent  et  s'alerent  dormir  et  reposer  pour 
le  travail  qu'ilz  avoient  souffert  de  la  cache.  A  l'andemain  par  matin  manda 
Tristan  a  Nantes  Goudri  le  fevre  qu'il  vensist  parler  a  lui,  et  il  y  vint.  Tristan 
le  mena  en  une  chambre  tout  coyement  en  ung  destour  et  lui  dit  :  «  Goudris, 
beaux  amis,  je  me  fie  moult  en  toy,  et  je  t'ay  mandé  pour  ung  mien  grant  be- 
soing.  Girolebours,  qui  de  moy  tient  ung  chastel,  ne  me  daingne  servir  ne  faire 
envers  moy  ce  qu'il  doit;  si  nous  ont  cha  les  guetes  du  chastel  envoié(^e)s  les 
seaulx  de  toutes  les  portes  des  tours  et  des  forteresses.  Et  pour  ce  te  pry  que 
tu  forges  les  clefs  selon  l'exemplaire  des  seaulx,  et  qu'il  n'y  ait  ne  plus  ne  mains, 
et  que  je  les  aye  dedens  huit  jours.  Et  garde  que  cest  segret  ne  soit  a  nulli  des- 
couvert. —  Sire,  dit  Goudris,  ne  vous  en  soussiés  ja  ne  esmaiés,  car  nul  du 
monde  ne  le  saura  ja  par  moy.  »  Atant  s'en  part  Goudris  le  fevre  et  emporte  les 
seaulx  des  clefs,  et  les  commence  a  forgier,  et  fit  les  clefs  bien  et  bel,  qu'il  n'y 
avoit  ne  plus  ne  mains  qu'il  avoit  l'emprainte  des  seaulx.  Ha!  tant  maie  forge- 
rie  s'ilz  le  sceussent,  mais  ilz  ne  s'en  donnent  de  garde,  si  est  pitié  et  dommage 
grant  a  toute  chevalerie.  Mais  atant  laisse  le  compte  a  parler  de  Goudry  et  des 
clefs  et  parole  du  comte  Urnoy  de  Nantes  qui  commence  a  révéler  contre  Tristan. 

En  ceste  partie  dit  le  compte  que  quant  le  roy  Hoel  de  Karahès  fu  mort, 
Urnoy  le  comte  de  Nantes,  que  Tristan  avoit  jadis  pris  devant  la  porte  de  Ka- 
rahès, et  les  barons  de  la  terre  se  commencèrent  a  révéler  contre  Tristan  et  Ru- 
valen. Ung  jour  estoit  Tristan  en  sa  sale  ou  il  jouait  aux  esches  a  Yseult  sa 
femme;  estes  vous  venir  devant  lui  ung  niessagier  de  par  Urnoy  le  conte  de 
Nantes,  qui  lui  dit  sans  saluer  :  «  Tristan,  je  te  deffy  de  par  le  conte  de  Nantes, 
Romania,  XIV  52 


498  J.    BÉDIER 

qui  te  mande  qu'il  te  rent  tes  trieves  et  ta  paix  et  dit  qu'il  ne  veult  de  toy  tenir 
terre  ne  riens  nulle  qui  soit.  —  Amis,  dit  Tristan,  puisque  le  conte  me  deffie 
par  toy,  dy  lui  que  je  le  deffie  et  qu'il  se  gart  de  moy;  car  dedens  .viii.  jours 
je  luy  monstreray  devant  Nantes  deux  mille  chevaliers  armés,  et  se  je  le  puis 
prendre  je  le  feray  mourir  a  honte  comme  traitre.  »  Le  messagier  s'en  retourne 
et  dit  au  conte  ce  que  Tristan  lui  avoit  dit  et  respondu,  (Et)  lequel  dit  qu'il  ne 
le  double,  car  il  est  bien  garny.  Tristan  a  mandé  ses  gens  et  son  pouoir  partout, 
et  leur  monstre  lorgueil  que  le  conte  luy  avoit  mandé,  et  ils  lui  crient  tous  a 
une  voix  :  «  Tristan,  alons  sur  luy!  Tu  soies  honny,  si  tu  le  peulx  prendre,  se 
tu  ne  le  prens  et  pens  comme  traitre  qu'il  est.  »  Ad  ce  mot  se  mist  tout  l'ost 
a  chemin  et  s'en  va  droit  a  Nantes. 

Quanf  il  vit  l'ost  Tristan,  si  dit  a  ses  chevaliers  que  jamais  ne  retourneroit 
decha  qu'il  aroit  jousté  a  Tristan.  Lors  se  part  des  siens,  et  Tristan  aussi  des 
siens,  ets'entremeinnent  au  terir  des  espérons  et  s'entrefierent  si  durement  sur 
leurs  escus  que  Tristan  porta  le  conte  du  cheval  a  terre  tout  estourdi  ;  mais  tost 
serelieve  et  trait  l'espee  et  vient  vers  Tristan  et  le  cuide  ferir  :  il  ataint  le  che- 
val au  col  et  lui  trenche  la  teste,  et  Tristan  chiet.  Mais  tost  fu  relevé,  si  tray 
lespee  dont  il  occist  le  Morhoult  et  fiert  le  conte,  se  lui  couppe  le  bras  tout  hors 
et  le  conte  chiet,  si  fu  prins  et  retenu. 

Quant  le  conte  de  Nantes  fu  pris,  si  assemblent  les  ostz  d'une  part  et  d'autre 
et  moult  fu  grant  la  bataille;  mais  ceulx  de  Nantes  ne  pourent  durer,  si  se 
mettent  a  la  fuye  et  s'en  entrent  dedens  Nantes.  Tristan  et  sa  gent  assistrent  la 
ville,  et  les  bourgois  de  la  ville  vinrent  sur  les  murs  et  distrent  a  Tristan  : 
«  Sire,  bien  soies  vous  venu.  Nous  vous  rendons  la  ville  et  nous  avec;  si  nous 
tenez  comme  preudomme  doit  faire  ses  hommes.  «  Par  telle  manière  prist  Tris- 
tan la  ville  de  Nantes.  Au  dehors  de  la  ville  avoit  une  tour  bien  garnye  de  vi- 
taille  et  desergens  que  le  queux  '  avoit  fait  faire.  Le  maistre  des  sergens  qui  gar- 
doit  la  tour  avoit  a  nom  Corbel  au  court  menton.  Tristan  lui  demanda  s'il  lui 
rendroit  la  tour,  et  il  lui  respondi  que  non.  Lors  commanda  Tristan  a  assaillir 
fort  la  tour.  Tristan  avoit  son  chief  desarmé  pour  le  chault,  si  tint  son  escu  sur 
son  chief  et  vint  vers  la  tour  pour  monter  amont.  Et  Corbel  jecte  une  grant  pierre 
et  le  feri  sur  son  escu  si  qu'il  le  fist  jus  voler  a  terre,  puis  reprint  une  autre 
pierre  et  la  jette,  si  qu'il  le  fiert  en  avalant  sur  la  testes!  qu'il  lui  fendi  toute,  et 
l'abat  eu  fossé  aval.  Et  Tristan  sault  sus  et  yst  hors  du  fossé  a  moult  grant 
peine,  et  lors  commande  la  tour  a  miner  et  a  bouter  le  feu  aux  estages,  si  com- 
mencèrent a  ardoir  et  la  tour  a  croistre,  et  fendi  la  tour  en  quatre  parties,  si 
furent  prins  tous  les  traîtres  et  pendus  devant  les  portes  de  Nantes.  Et  le  queux 
fu  mené  a  Karahès  et  mis  en  chartre  a  tousiours.  Tristan  revint  a  Karahès,  qui 
fu  moult  blechié.  Si  fist  mander  par  tout  mires  pour  le  garir.  Grant  peine  mis- 
trent  les  mires  tant  quil  fu  gari.  Ung  jour  se  jesoit  en  son  lit  et  estoit  presque 
gari,  si  lui  print  volenté  de  gésir  avec  sa  femme,  si  just  avec  elle  et  en  fist  sa 
volenté;  et  quant  il  ot  fait  son  désir,  si  chay  emprès  elle  tout  pasmé  aussi  comme 


Faute  pour  quens,  qui  n'est  pas  rare  dans  les  copies  du  xvo  siècle. 


LA    MORT    DE    TRISTAN    ET    d'/SEUT  49C) 

tout  mort.  Et  quant  sa  femme  le  vit,  si  en  fu  forment  espoventee,  si  manda  le 
mire,  qui  moult  tost  y  vint,  et  quant  il  vit  Tristan,  si  ot  doubtance  qu'il  ne 
fust  mort,  et  bien  sceut  qu'il  avoit  geu  avec  Yseult  sa  femme,  si  dist  :  «  Ha  ! 
Tristan,  comme  c'est  grant  dommage  de  vostremort!  »  La  dame  lui  dit  qu'il  se 
teust  et  que  plus  n'en  fust.  Le  mire  fist  ung  bevrage  et  lui  oeuvre  les  dens  a  ung 
coutel  et  lui  avala  dedens  le  corps.  Si  tost  comme  Tristan  en  ot  beu,  il  souspira 
et  ouvry  les  yeul.v,  et  quant  il  vit  le  mire,  si  ot  vergoingne.  Le  mire  le  fist  por- 
ter hors  d'illeuc  et  s'entremist  moult  durement  de  le  garir,  et  y  mist  grant  peine, 
si  le  gari  bien  et  bel,  et  Tristan  le  paia  bien  tout  a  sa  volonté,  si  prist  le  mire 
congié  et  s'en  ala  en  son  pais.  Mais  atant  leisse  le  compte  a  parler  de  ceste  ma- 
tière, et  compte  comment  Tristan  ala  veir  la  royne  Yseult  s'amye  en  Cornoaille 
et  comment  il  fist  le  sot.  Et  commencent  cy  endroit  les  soties  de  Tristan  '. 

En  ceste  partie  dit  le  compte  que  quant  Tristan  se  fu  parti  de  la  royne  Yseult 
de  Cornoaille  s'amye  femme  du  roy  Marc  son  oncle,  et  il  fu  revenu  à  Karahès, 
ses  hommes  et  ses  gens  lui  firent  grant  feste,  car  il(z)  le  cuident  bien  avoir  perdu. 
Moult  fu  Tristan  bien  venu  et  moult  honnourablement  receu.  Or  avint  que 
Tristan  et  Ruvalen  estoient  uiig  jour  ensemble  et  parloient  l'un  a  l'autre  de  leurs 
volentés.  Atant  es  vous  venir  Goudris  le  fevre,  qui  aporta  les  clefs  qu'il  avoit 
forgées,  et  les  baille  a  Tristan,  si  les  noua  toutes  ensemble  a  ung  las  de  soye, 
puis  dit  :  «  Amy,  monton^  si  yrons  veir  Gargeolain  vostre  amye.  —  Sire,  dit 
Ruvalen,  volentiers.  »  Lors  montent  sur  deux  chevaulx  et  ne  pristrent  nulles 
armes  fors  seulement  leurs  espees  et  s'en  vont.  Ha!  Dieu,  comme  pesant  aven- 
ture leur  avint  en  celle  journée  !  Tristan  avoit  en  son  chief  un  chappel  d'olivier, 
si  s'en  aloit  tout  chantant  et  esbanoyant,  et  moult  grant  joye  faisant,  lui  et  Ru- 
valen, a  leur  mort;  mais  ilz  ne  s'en  donnoient  de  garde.  Bedalis,  le  mary  Gar- 
geolain, estoit  ce  jour  aie  cachier,  et  avec  luy  bien  trente  chevaliers  qu'il  avoit 
tous  mandés  pour  lui  tenir  compaingnie.  Tristan  et  Ruvalen  vindrent  au  ma- 
noir devant  le  pont,  qui  estoit  fermé  à  la  clef,  et  en  avoit  Bedalis  portées  les 
clefs  avec  lui.  Tristan  descent  et  boute  la  clef  en  la  serrure  du  pont  qui  estoit 
fermée  a  la  chaene,  et  le  defferme,  et  leisse  avaler  tout  bellement  et  tout  doulce- 
ment,  et  a  l'avaler  2  du  pont  son  chappel  lui  chay,  dont  ce  fu  malheur.  Puis 
passent  oultre  et  defferment  la  porte  et  tous  les  autres  huys  et  s'en  viennent  en 
la  chambre  ou  Gargeolain  estoit,  et  estoit  toute  la  chambre  jonchie  de  joncs 
vers  et  nouveaulx,  et  encourtinee  3  d'une  courtine  la  plus  belle  et  la  plus  riche 
qui  oncques  fust,  car  toute  l'istoire  d'Artus  si  comme  il  avoit  conquis  la  sein- 
gnourie  sur  les  Bretons  y  estoit  pourtraite,  et  tous  les  sept  ars. 

Quant  Ruvalen  entra  en  la  chambre,  si  se  leisse  chier  eu  4  lit  avec  Gargeo- 
lain s'amye  qui  moult  l'amoyt,  et  Tristan  s'en  va  dautre  part  et  les  leisse  en- 
semble, et  print  une  poingnee  de  joncs  et  se  couche  sus  l'erbe  tout  envers,  et 


1 .  Cet  épisode,  étranger  à  notre  sujet,  est  imprimé  dans  le  travail  de  M.  Lu- 
toslawski. 

2.  Ms.  ala  voler. 

3.  Ms.  encontinee. 

4.  Ms.  Sens. 


JOO  J.    BÉDIER 

commence  les  joncs  a  lancher  et  atacher  en  la  courtine  l'un  dedens  l'autre.  Hé- 
las !  oncques  si  mal  jeu(s)  ne  fist!  Mais  il  ne  se  donnoit  garde,  car  il  le  faisoit 
pour  soy  esbanoyer.  Ruvalen  et  Gargeolain  s'amye  furent  en  lit  et  firent  leur 
deduyt  et  toute  leur  volenté.  Ne  demeura  gueres  que  Bedalis  ot  pris  ung  cerf, 
si  commença  a  corner  de  prise.  Tristan  l'oy,  qui  bien  savoit  que  ce  montoit, 
si  dit  à  Ruvalen  :  «  Alons  nous  ent,  amys;  car  j'ay  ouy  Bedalis  corner  de 
prise.  »  Lors  prennent  congié  et  s'en  vont.  He  !  dieux,  que  ilz  ne  sont  bien 
armés  de  leurs  armes!  car  grant  mestier  en  eussent  en  ce  point  d'ore.  Mais  ils 
n'avoient  fors  leurs  chevaul.x  et  leurs  espees.  Tristan  et  Ruvalen  s'en  vont  jouant 
et  esbanoyant.  Estes  vous  Bedalis  qui  s'en  est  retournée  a  l'ostel  cornant  et  dé- 
menant grant  bruyt,  si  deiTerme  le  pont  et  voit  le  chappel  qui  estoit  cheu  a 
Tristan,  si  en  fu  en  grant  souspechon;  puis  regarda  partout,  mais  il  ne  vit  lieu 
par  ou  on  peust  avoir  passé,  si  s'en  entre  leans  et  defferme  tous  les  huys  et 
treuve  sa  femme  Gargeolain,  si  l'acole  et  beise  tout  housé  et  se  leisse  cheir  eu 
lit  tout  envers  et  voit  les  joncs  fichiés  en  la  courtine,  si  commence  tout  a  fré- 
mir, car  bien  sceut  que  c'estoient  des  gieux  Tristan.  Lors  se  dresche  et  prent 
Gargeolain  sa  femme  et  trait  l'espee,  et  dit  que  par  l'ame  son  père  il  l'occira 
s'elle  ne  lui  dit  voir.  «  Car  je  sceis  bien,  fait  il,  que  Tristan  a  cy  esté.  —  Certes, 
fait  elle,  ce  fu  mon,  luy  et  Ruvalen,  qui  me  baisa  par  force.  »  Et  quant  Bedalis 
oy  ce,  si  fu  plus  a  malaise  que  devant,  si  dit  :  Ha!  mauvaise,  plus  y  ot  fait. 
Dites  moy  voir,  ou  je  vous  occiray.  Et  se  vous  me  congnoissiés  vérité,  je  vous 
pardonneray  mon  maltalent.  —  Certes,  fait  elle,  ne  m'en  chault  se  tu  m'occis  ; 
car  mieulx  aime  mourir  que  estre  en  ceste  prison  ou  tu  m'as  mise.  Et  quant  tu 
m'auras  occise,  si  dira  l'en  que  ce  sera  pour  aucun  meffait  ;  mais  le  blasme  en 
est  tien  pour  ta  gelousie.  Et  certes  je  te  diray  vérité,  et  puis  fais  de  moy  ce 
que  tu  vouldras.  Saches  que  Ruvalen  geust  avec  moy  et  fist  de  moy  toute  sa 
volenté;  car  je  ne  me  puis  pas  de  lui  deffendre;  car  ilz  estoient  deux,  et  je  suis 
une  femme  toute  seule  et  sans  nulle  garde.  » 

Quant  Bedalis  entent  que  Ruvalen  avoit  sa  femme  corrumpue,  si  vint  a  ses 
hommes  et  leur  compta,  et  se  clama  a  eulx  de  Tristan  et  de  Ruvalen  qui  tel 
honte  lui  ont  faite,  et  dit  qu'il  ne  mengera  jamais  s'il  n'en  est  vengié.  Et  lors 
montent  qui  mieulx  mieulx  et  s'en  vont  après  les  deux  compaingnons  qui  s'en 
aloient  deduyant  parmy  la  forest,  et  avoient  trouvée  une  biche  et  ses  bichaulx, 
si  estoient  courus  après  pour  les  prendre,  mais  ilz  faillirent,  et  ce  fu  contre  leur 
maie  aventure  qui  leur  devoit  avenir.  Atant  es  vous  venir  Bedalis  et  ses  gens 
tout  aatis  de  mal  faire.  Tristan  les  voit  venir,  si  se  mist  desriere  ung  buisson,  et 
ilz  passent  oultr*e.  Bedalis  vint  ataingnant  Ruvalen,  qui  tout  desarmé  estoit,  si 
lui  mist  le  glaive  parmy  le  corps  et  l'occist,  mais  ne  l'occist  pas  [si  tost]  que 
Ruvalen  ne  traist  son  espee  et  leri  ung  des  hommes  Bedalis,  qui  avoit  a  nom 
Authon,  et  lui  couppa  la  teste.  Quant  Cadio  voit  Ruvalen  qui  a  Authon  '  son 
frère  avoit  couppée  la  teste,  il  trait  l'espeeetfiert  Ruvalen  et  lui  couppela  teste, 
et  cil  chiet  mort  a  terre.  Quant  Tristan  voit  Ruvalen  mort,  si  sault  du  buisson 


Ms.  Anthon. 


LA    MORT   DE    TRISTAN    ET    D'ISEUT  5OI 

et  trait  l'espee  et  fiert  Cadio  et  l'occist,  et  puis  ung  autre  et  l'occist,  et  puis 
!e  tiers.  Atant  es  vous  Bedalis  qui  tint  ung  glaive  dont  le  fer  estoit  envenimé, 
et  le  jecte  a  Tristan,  et  le  nert  en  la  hanche  jusques  a  l'os  et  lui  trenche  la  char 
et  les  os  et  les  nerfs,  et  demoura  le  fer  atout  le  tronchon  en  la  hanche.  Ha  ! 
dieux,  comment  ce  fu  grant  doulour  a  tout  le  pays  !  Quant  Tristan  se  voit  navré 
et  Ruvalen  mort,  et  vit  la  grant  force  de  gens  que  Bedalis  avoit,  si  s'en  part  et 
se  met  en  la  fuye  droit  vers  Karahès.  Bedalis  et  ses  gens  le  cachent  grant  pièce, 
mais  ilz  ne  le  pourent  attaindre,  car  trop  estoit  bien  monté,  si  s'en  retournèrent. 
Mais  oncques  puis  celle  heure  n'osèrent  demeurer  ne  arrester  ou  pais. 

Quant  Bedalis  ot  Ruvalen  occis  et  Tristan  navré,  si  dit  a  ses  hommes  :  «  Or 
fuyons  nous  ent  de  cest  pais,  car  se  Tristan  peult  eschaper,  il  nous  honnira  et 
destruira  tous  et  fera  livrer  a  honte  et  a  tourment  ».  Lors  s'en  vont  et  se  met- 
tent en  mer.  Et  singlerent  tant  qu'ilz  arrivèrent  en  Caussié  en  une  ysle  belle  et 
noble,  close  de  mer  et  de  montaingnes.  Et  dit  lescript  quilz  furent  bien  sept  cens 
de  celle  compaingnie,  et  furent  ulagues ',  c'est  a  dire  larrons  de  mer;  et  ne 
pouoit  passer  par  illeuc  nulle  nef  quelle  qu'elle  fust  qui  marchandise  portast  qui 
ne  fut  desrobée  et  les  gens  de  dedens  mis  a  mort  et  a  destruction.  Les  barons 
marchans  de  Flandres,  de  Sessoingne,  de  Normendie  et  de  par  tous  les  pors 
vindrent  en  Costentin  et  s'assemblèrent  illeuc  et  pristrent  conseil  qu'ilz  feroient 
de  ces  larrons  ullagues  de  l'isle  de  Causié.  I.  preudomme  de  Costentin,  marchant 
en  mer,  preux  et  hardi  et  vaillant,  qui  Guiffroy  avoit  a  nom^  se  leva  et  dit  : 
«  Seigneurs,  fait-il,  je  vous  conseilleray  mouli  bien.  Nous  prendrons  une  nef 
bien  garnie  et  plainne  de  tous  biens,  si  l'envoirons  devant  Causié.  Quant  la 
verront,  si  yront  celle  part,  et  la  vouidront  traire  au  port  pour  rober  ce  qui 
sera  dedens;  et  nous  serons  tous  armés  yssus  par  nuyt  de  la  mer  en  l'isle,  si 
demourra  une  partie  de  nous  sur  la  marine  et  l'autre  partie  s'en  yra  droit  au 
chastel  par  devers  la  roche  et  entreront  au  chastel  quant  les  larrons  seront 
yssus,  si  les  enclorrons  ;  puis  les  métrons  tous  a  l'espee.  »  Ad  ce  saccordent  tous 
et  dient  que  bien  a  dit. 

A  l'andemain  par  matin  garnirent  la  nef  de  diverses  marchandises  et  entrèrent 
ens  jusques  a  douze  cens  personnes  fors  et  hardis  et  bien  appareilliés  de  bonnes 
armes  et  de  chevaulx,  et  s'esquiperent  en  mer.  Et  singlerent  tant  qu'ilz  ariverent 
a  ung  soir  soubz  Causié,  si  yssirent  hors  de  la  nef  tous  armés  et  montés  sur 
bons  destriers.  L'une  partie  deulx  se  mist  devers  la  roche,  et  l'autre  partie  de- 
moura sur  la  marine.  A  l'aube  du  jour  appairant,  apperchurent  ceulx  de  Causié 
la  (casie  la)  nef,  si  descendent  du  chastel  aval  qui  mieulx  mieulx,  et  entrent  en 
la  nef  et  l'emmenèrent  a  port.  Ceulx  qui  furent  en  agait  devers  la  roche  entrent 
au  chastel  et  le  pristrent  sans  nulle  deffense,  car  nul  n'y  estoit  demouré  qui 
tous  ne  fussent  aies  en  la  nef,  car  ilz  ne  se  doubtoient  que  nul  les  peust  prendre. 
Ceulx  qui  furent  demourés  sur  la  marine  escrierent  les  ullagues  a  la  mort,  si  se 
fièrent  a  eulx  et  les  occyent  et  mettent  tous  a  mort.  Et  ceulx  qui  avoient  le 
chastel  pris  reviennent  d'autre  part,  si  encontrent  ceulx  qui  fuyoient  au  chastel 


Ms.  blagues. 


p2  J.    BÉDIER 

a  garant,  si  les  mistrent  tous  a  l'espee;  les  autres  fuyoient  vers  la  mer,  si  se 
fièrent  ens,  et  furent  tous  noyés,  et  Bedalis  ot  la  teste  couppee.  Ainsi  fu  le  pais 
délivré  de  ces  ullagues  larrons  de  mer.  Mais  atant  laisse  le  compte  a  parler 
d'eulx  et  retourne  a  parler  de  Ruvalen  et  de  Gargeolain  s'amye. 

En  ceste  partie  dit  le  compte  [que],  quant  Bedalis  ot  Ruvalen  occis  et  Tristan 
navré,  Tristan  se  fuy  a  Karahès,  et  le  sang  couroit  de  luy  a  trache  partout  ou 
il  aloit.  Quant  Tristan  entra  en  Karahès  ses  gens  virent  le  sang  qui  de  lui  yssoit, 
si  furent  tous  esbahis,  et  vont  après  lui  eu  chastel  pour  savoir  qu'il  avoit.  Quant 
il  vint  ou  chastel  et  il  fu  descendu  de  son  cheval  a  grant  paine  et  a  grant  dou- 
leur, il  se  laisse  cheir  sur  eulx  tout  pasmé,  car  trop  avoit  leissié  de  sang;  et 
quant  il  revint  de  pameson,  si  dit  que  Bedalis  avoit  occis  Ruvalen  et  lui  navré 
a  mort.  Quant  Yseult  sa  femme  et  ses  gens  l'entendent,  si  fontung  deulsi  grant 
que  trop  eust  dur  coeur  qui  les  veist  s'il  nen  eust  pitié.  Tristan  leur  enseingne 
ou  ilz  (les)  trouveront  Ruvalen  mort.  Lors  montent  et  s'en  vont  suyvant  la 
trache  du  sang,  et  trouvent  Ruvalen  mort,  qui  avoit  la  teste  couppee.  Lors 
commence  le  deul  si  grant  que  Gargeolain  l'oy  de  son  manoir  ou  elle  estoit,  si 
s'en  yst  hors  et  s'en  vient  au  cry  toute  effree[e],  et  treuve  son  amy  mort,  si  fu 
si  dolente  qu'elle  se  pasme  sur  le  corps  plus  de  cent  fois,  et  quant  elle  revint  de 
pâmoison  si  dit  :  «  Ha!  Ruvalen,  gentilhomme,  filz  de  roy,  tu  es  mort  pour 
moy  :  je  mourray  aussi  pour  l'amour  de  toy,  si  fera  m'arme  compaingnie  a  la 
tienne,  et  serons  ensemble  enfouys  l'un  emprès  l'autre,  i  Ad  ce  mot  se  pasme 
et  le  coeur  lui  crevé,  si  s'en  part  l'ame  du  corps.  Lors  firent  ceulx  une  bière  de 
feuillie  et  mirent  les  deux  corps  ens,  et  furent  tous  esbahis  de  l'aventure,  si  les 
portèrent  a  grant  deul  enfouir.  L'archevesque  chanta  la  messe  et  les  mist  en 
terre  l'un  emprés  l'autre  en'  deux  tombeaulx  les  plus  riches  qui  oncques  mais 
fussent  veus.  Et  ainsi  furent  mors  Ruvalen  et  Gargeolain  s'amye  et  enfouys 
ensembles. 

Tristan  fist  mander  les  mires  de  partout  pour  lui  garir  de  sa  playe.  Entre  les 
autres  mires  y  en  vint  ung  qui  ot  nom  Agar.  Cil  en  sacha  le  fust.  Mais  le  fer 
demoura  :  a  mal  heure  s'en  entremist  il  oncques!  Puis  prist  l'aubin  de  l'œuf  et 
le  lie  sur  la  playe  sans  plus  faire  :  la  playe  ne  pot  estancher  de  saingner.  Cil 
print  jus  de  plantain  et  d'ache  et  de  fanoul  et  sel  et  en  fist  une  emplâtre  et  le 
mist  dedens  la  playe,  si  l'estancha  ;  mais  la  jambe  lui  devint  plus  noire  que  char- 
bon. Le  chetif  Tristan  crioit  et  braioit  nuit  et  jour,  et  tant  fist  qu'il  tasta  a  la 
playe  et  senti  le  fer,  si  appella  Yseult  sa  femme  et  lui  dit  :  «  Dame,  tastés  cy, 
si  sentes  le  fer  qui  tant  me  fait  mal  souffrir,  que  le  mire  n'a  pas  osté.  Pour 
Dieu,  mandés  le  moy  erraument.  »  Lors  tasta  Yseult  et  senti  le  fer,  puis  fu 
mandé  le  mire  et  il  y  vint  tantost,  si  esracha  le  fer;  mais  moult  en  soufTry  le  las 
Tristan  angoisse  et  travail. 

Quant  le  fer  iu  hors,  le  mire  mist  sur  la  playe  oingnement;  mais  c'est  pour 
néant,  car  il  ne  sceit  rien  du  mestier,  si  est  grant  dommage,  car  ce  qu'il  fait  a 
Tristan  ne  luy  fait  fors  nuyre.  Les  mires  qui  de  par  tout  furent  venus  se  pene- 


I.  Ms.  et. 


LA    MORT    DE    TRISTAN    ET    D'iSEUT  5O3 

rent  moult  de  faire  lui  ce  qu'ilz  cuiderent  qui  bon  lui  fust.  Entr'eulx  estoit  ung 
povre  mire  qui  tout  nouveiement  estoit  venu  des  escoles  de  Salerne.  Quant  il 
vit  ces  grans  maistres,  si  dit  :  «  Seingneurs,  vous  ne  savés  que  vous  faites;  car 
il  ne  garira  ja  ainsi.  La  jambe  est  ja  toute  pleinne  de  feu,  et  se  le  feu  passe  la 
jointte,  nul  n'y  pouroit  mettre  conseil  jamais.  1 

Quant  les  mires  cent  ce  et  ilz  le  virent  povre,  si  le  commencèrent  a  despire, 
et  distrent  :  «  Ha!  sire,  comment  vous  estes  bien  a  harnas  de  vostre  sens!  Il 
vous  pert  bien!  —  Seingneurs,  fait  il,  se  je  suis  povre,  Dieu  me  donnera  assés 
quant  il  lui  plaira.  Nonpourquant  le  sens  n'est  pas  en  draps  ne  en  vestures. 
mais  en  coeur  ou  Dieu  l'a  mis.  Mais  je  m'en  yrai,  et  vous  remaindrés  avec  cest 
las  qui  souffrera  les  angoesses  que  vous  lui  faictes  souflFrir,  et  en  aurés  le  grant 
avoir  pour  le  mettre  a  mort.  Car  je  sceis  certainement  qu'il  ne  vivra  pas  lon- 
guement ainsy  :  t  Adonc  distrent  les  mires  que  se  on  ne  len  cachoit  ilz  s'en 
yroient  tous,  que  jamais  n'y  demourroient.  Lors  fu  le  povre  mire  bouté  dehors; 
car  vous  savés  que  on  n'a  cure  de  povre  homme  en  nul  lieu.  Et  Yseult  la  femme 
Tristan  lui  donna  un  marc  d'argent  et  le  vesti  bien  et  appareilla,  et  lui  donna 
beau  palefroy,  puis  print  congié  et  s'en  ala,  Helas  !  quelle  doulour  quant  il  ne 
demoura!  Car  il  l'eust  tost  gari.  Les  autres  mires  demeurèrent  avec  Tristan, 
qui  moult  bien  se  penerent  de  le  garir;  mais  c'estoit  en  vain  et  pour  néant.  Et 
quant  ils  virent  qu'ilz  perdoient  leur  peine,  si  le  déguerpirent  tous.  Et  quant 
Tristan  voit  ce,  si  dit  tout  bellement  entre  ses  dens  :  «  Dieu,  que  pourray  je 
faire,  quant  nul  mire  ne  me  peult  garir?  Bien  sceis  que  se  j'eusse  par  qui  mander 
la  belle  Yseult  m'amye  qu'elle  me  vensist  garir,  tost  y  vendroit;  car  autre  fois 
m'a  elle  gari.  »  Lors  s'apensa  qu'il  avoit  en  la  ville  ung  sien  compère  marinel, 
qui  avoit  a  nom  Gènes;  si  le  manda  qu'il  vensist  a  lui  parler  sans  targer,  et 
Gènes  y  vint  et  s'assist  devaut  luy.  «  Gènes,  fait  Tristan,  beau  doulz  compère, 
je  vous  ay  cy  mandé,  car  vous  me  poués  donner  santé  se  vous  voulés.  Je  vous 
aime  moult,  et  sachiez  se  je  puis  eschapper  je  marieray  moult  richement  Yseult 
vostre  fille,  ma  fiileule,  et  vousferay  encore  moult  de  biens.  — Sire,  dit  Gènes, 
commandés  moy,  et  je  feray  vostre  commandement,  ou  par  mer  ou  par  terre. 
—  Gènes,  dit  Tristan,  cinq  cens  mercis.  Vous  en  yrés  en  Cornoaille  a  la  royne 
Yseult  m'amye,  et  lui  dires  que  je  lui  mande  qu'elle  me  vienne  garir,  et  lui 
compterés  comme  je  suis  navré,  et  lui  baillerés  ccst  anel,  a  enseignes  quelle 
vous  croie  mieulx.  Et  s'elle  vient  avecques  vous  gardés  que  le  voile  de  vostre  nef 
soit  blanc;  et  se  ne  l'amenés  qu'il  soit  noir.  — Sire,  dit  Gènes,  moult  volentiers 
le  feray.  Ma  nef  est  ja  toute  preste  et  appareillie  au  port  pour  mouvoir.  Mais 
Sire,  pour  Dieu  je  vous  pry  de  ma  fille  vostre  filleule.  —  Certes,  dit  Tristan, 
je  la  garderay  comme  la  moye,  et  de  ce  ne  vous  doubtés;  mais  pensés  de  ma 
besoingne.  » 

Atant  se  part  Gènes  de  Tristan  et  print  congié  et  s'en  vint  au  port  ou  sa  net 
estoit  toute  carchie  et  toute  appareillie,  si  entre  ens.  Et  commanda  a  sessergens 
qu'ilz  desancrassent  et  menassent  la  nef  droit  a  Bomme  en  Cornoaille.  Les 
mariniers  esquiperent  du  port,  et  singlerent  tant  par  jour  et  par  nuyt  qu'ilz 
sont  arivés  scubz  Bomme  au  port.  Le  roy  Marc  sceut  qu'il  avoit  au  port  une 
nef  de  Bretaigne  arivee,  si  ala  veoir  que[l]  marchandise  elle  apportoit.  Quant 
Gènes  vit  le  roi  Marc,  si  yssi  hors  de  sa  nef  et  le  salue.   Le   roy  lui  demanda 


C04  J-    BÉDIER 

dont  il  estoit  :  «  Sire,  dit  Gènes,  je  suis  un  marchant  devers  Bretaingne,  si 
apporte  marchandises  a  vendre  en  vosîre  terre,  qui  sont  toutes  en  vostre  com- 
mandement. B  Le  roy  regarda  Gènes,  qui  rnoult  lui  sembla  courtois,  si  lui  dit: 
«  Frère,  fait  il,  je  veul  eî  te  comande  que  tous  les  jours  que  tu  séjourneras  cy 
tu  viennes  au  mangier  en  ma  court,  et  si  retien  tous  tes  vins  et  te  feray  main- 
tenant délivrer  ton  paiement,  —  Sire,  dit  Gènes,  cinq  cens  mercys;  mais  je  ne 
bevroye  ne  mengeroye  fors  en  ma  nef,  sauve  vostre  grâce;  car  je  le  promis  et 
juray  a  ma  femme,  quant  je  me  party  d'elle,  qu'en  autre  lieu  ne  prendroye  aisé- 
ment. »  Lors  sen  rit  le  roy  et  dit  qu'il  estoit  loyaulx  homs.  Atants'en  retourna 
le  roy  a  la  royne  et  elle  lui  demanda  dont  il  vcnoit,  et  il  lui  dit  qu'il  venoit  du 
port,  ou  il  avoit  une  nef  de  Bretaigne  arivee.  «  Si  ay  détenu  tous  les  vins, 
mais  de  tout  l'autre  avoir  qui  estoiî  en  la  nef  ne  goulousay  riens  nulle  autant 
comme  ung  anel  que  le  marchant  a  qui  la  nef  est  avoit  en  son  doy.  —  Sire, 
dit-elle,  quel  est  l'anel .?  —  Dame,  dit-il,  jen'en  vy  oncques  en  ma  vie  nul  si  bel. 
II  est  tout  plat,  et  si  y  a  une  esmeraude,  la  plus  belle  que  je  veisse  oncques.  » 
Quant  la  royne  entent  la  façon  de  i'anei,  si  pense  que  ce  soit  cellui  qu'elle 
donna  a  Tristan,  et  que  ce  soit  aucun  message  qu'il  y  ait  envoyé,  si  dit  au  roy  : 
«  Sire,  mandés  au  marchant  qu'il  vienne  menger  a  vostre  court.  —  Dame,  fait 
il,  il  n'y  vendroiî  pas,  pour  le  convenant  garder  qu'il  fist  a  sa  femme  au  partir; 
mais  je  luy  manderay  qu'il  vienne  parier  a  vous,  et  si  saurés  s'il  vendroit  l'anel. 
—  Sire,  dit  la  royne,  moult  avés  bien  dit.  »  Et  lors  manda  le  roy  Gènes  qu'il 
vensist  parler  à  la  royne,  et  il  y  vint.  Quant  il  fu  venu  devant  le  roy,  si  lui  dist 
qu'il  alast  en  la  chambre  de  la  royne  parler  a  elle,  et  Gènes  y  ala:  Assés  fu  qui 
le  conduit  et  mena.  Quant  la  royne  vit  Gènes,  si  le  fist  asseoir  emprès  elle,  et 
lui  demanda  dont  il  estoit.  •  Dame,  dit  il,  je  suis  de  Bretaingne  natif,  et  si  suis 
messager  Tristan,  qui  vous  mande  salus  par  moy  et  vous  mande  que  vous  ne 
leissiés  pour  riens  que  vous  ne  le  venés  garir  d'une  plaie  que  Bedalis  lui  fist 
d'un  fer  envenimé,  dont  il  meurt  a  doulour  et  mourra  s'il  na  secours  de  vous  ; 
car  nul  mire  ny  peult  riens  faire,  ains  l'ont  tout  leissié  et  guerpi;  a  ces  enseignes 
que  vecy  l'anel  que  vous  lui  donnastes  quant  il  vous  rendy  au  roi  Marc,  et 
vous  lui  distes  que  vous  ne  croirriés  chose  que  on  vous  dist  de  lui  se  vous  ne 
voies  cest  anel.  —  Par  foy,  dit  la  royne,  c'est  vérité.  Gènes,  fait  la  royne,  le 
roy  Marc  yra  demain  au  matin  a  Cardueil  en  Gales  au  roy  Artus  qui  l'a  mandé, 
et  quant  il  sen  sera  aie,  je  diray  a  Andret  que  je  veul  aler  au  gibier,  et  m'en 
yray  sur  cil  rivage,  et  luy  demanderay  de  vostre  nef  qui  elle  est,  aussi  comme 
se  je  n'en  sceusse  riens  de  vous;  et  il  me  dira  que  c'est  vostre  nef.  Et  vous 
soies  tout  appareillié  comme  de  mouvoir,  et  me  dires  que  je  voise  dedens  vostre 
nef  veir  l'avoir  qui  dedens  est  ;  si  sera  mise  une  plance  en  la  nef  par  ou  je 
yrai,  mais  je  vous  pry,  que  a  Andret  ne  faites  mal.  —  Dame,  dit  Gènes, 
volentiers.  »  Lors  prent  congié  et  s'en  va,  et  lui  leissa  l'anel.  Lors  vint  la 
royne  au  roy  Marc  son  seingneur,  et  dit  que  le  marchant  lui  avoit  donné  son 
anel.  Le  roy  en  mercia  moult  Gènes,  et  lui  en  sceut  sans  faulte  très  bon  gré; 
mais  il  lui  vensist  mieulx  quil  l'eust  congeé  de  son  royaume. 

A  l'andemain  par  matin  s'en  ala  le  roy  Marc  au  roy  Artus,  qui  l'avoit  mandé. 
Et  quant  il  s'en  fu  aie,  la  royne  Yseult  dit  a  Andret  qu'elle  vouloit  aler  eu 
gibier,  si  fist  apprester  les  chiens  et  les  oyseaulx,  puis  montent  et  s'en  vont  aux 


LA    MORT    DE   TRISTAN    ET   D  ISEUT  JO5 

champs.  Moult  de  gens  suyrent  la  royne.  Quant  ilz  furent  aux  champs,  si  firent 
saillir  un  faisant.  Andret  ieisse  aler  ung  faucon  pour  le  prendre,  mais  le  faucon 
failli.  Le  temps  estoiî  cier  eî  bel,  si  se  essora  le  faucon.  La  royne  appella 
Andret,  si  lui  dist  que  le  faucon  s'estoic  assis  sur  le  mast  de  la  nef  qu'elle  voit 
au  port,  si  lui  demanda  qui  elle  estoit.  a  Dame,  fait  Andret,  c'est  la  nef  Gènes 
le  marchant  de  Bretaigne  qui  hier  vous  donna  son  anel.  — Alons,  fait  la  royne, 
la  pour  nostre  faucon.  »  Eî  lors  s'en  vont  a  la  nef.  Gènes  fu  yssu  de  sa  nef  et 
ot  mis  une  planche,  et  vint  contre  la  royne,  et  dit  :  c  Dame,  s'il  vous  plaisoit, 
vous  vendriés  veir  ma  nef  et  l'avoir  qui  dedens  est,  et  s'il  y  a  chose  qui  vous 
plaise,  prendre  le  povés.  —  Gènes,  dit  la  royne,  cinq  cens  mercis.  •  Lors 
descent  la  royne  et  s'en  va  par  la  planche  droit  a  la  nef  et  entre  ens.  Andret 
aloit  a  elle,  mais  Gènes,  qui  dessus  la  piance  estoit  et  tenoit  ung  aviron, 
fiert  Andret  de  l'aviron  si  qu'il  l'abat  en  l'eaue.  Andret  se  cuidoit  a  erdre 
pour  se  relever,  et  Gènes  le  refrapoit  de  l'aviron  et  le  rabatoit  en  la  mer,  et 
disoit:  «  Couvert!  traître!  Or  avés  vous  vost!-e  loyer  du  mal  que  vous  avés 
par  tantes  foys  fait  souffrir  a  Tristan  et  a  la  royne  Yseult  !  1  Lors  vient  a  sa 
nef  et  esquipe  du  port.  Lors  s'en  va  le  cry  et  la  noyse  et  lieve  partout  que 
Gènes  emmeine  la  royne;  si  courent  tous  aux  nefs  et  aux  galies  et  vont  après; 
mais  c'est  pour  néant,  car  oncques  attaindre  ne  le  pourent,  si  s'en  retournent 
arrière  et  trouvent  Androit  qui  noyé  estoit,  tant  avoit  beu  de  l'eaue  de  la  mer; 
si  le  sacherent  hors  eî  (le)  l'enfouirent,  car  autre  chose  n'en  pouoient  faire, 
Mais  atant  en  Ieisse  a  parler  le  compte,  et  retourne  a  parler  de  Tristan. 

En  ceste  partie  dit  le  compte  que  puis,  que  Gènes  se  fu  parti  de  Tristan  pour 
aler  querre  la  royne  Yseult,  que  tous  les  jours  puis  le  matin  jusques  au  soir 
estoit  Tristan  sur  le  port  de  Penmarc  pour  regarder  les  nefs  qui  aloient  et  ve- 
noient  pour  savoir  si  verroit  la  nef  Gènes  venir  qui  amenast  la  royne  Yseult 
s'amye  qu'il  desiroit  tant  a  veir.  Tanî  y  fu  qu'il  ne  pot  plus  endurer  et  qu'il 
s'ala  coucher  arrière  du  tout  en  sa  chambre.  Il  fu  tel  atourné  quil  ne  se  pot 
plus  soustenir  sur  pié  qui!  eust  et  qu'il  ne  peult  mais  boire  ne  menger.  Il  sent 
plus  de  doulour  que  oncques  mais;  il  se  pasme  menu  et  souvent.  Tous  ceulx 
qui  entour  luy  sont  plourent  de  pitié  et  font  grant  deul.  Tristan  appelle  sa  fil- 
leule la  fille  Gène,  si  lui  dit  :  «  Belle  filleule,  je  vous  aime  molt,  et  sachiés  que 
se  je  puis  eschapper  de  cest  mal  je  vous  marieray  bien  et  richement.  Je  vous 
pry,  et  si  le  veul,  qe  vous  celés  mon  secret  et  ce  que  je  vous  diray.  Vous 
yrés  chascun  matin  sur  le  port  de  Penmarc,  et  y  serés  du  matin  jusques  au 
soir,  et  regarderés  se  vous  verres  la  nef  vostre  père  venir;  si  vous  diray  comme 
vous  le  congnoistrés.  S'il  ameine  Yseult  m'amye,  que  je  luy  ay  envoie  querre, 
le  voile  de  sa  nef  sera  tout  blanc;  et  s'il  ne  l'ameine,  il  sera  tout  noir.  Or 
vous  en  prenés  garde  se  vous  le  verres,  et  puis  le  me  vcnés  dire.  —  Sire,  dit 
la  meschine,  volentiers.  »  La  meschine  s'en  ala  sur  le  port  de  Penmarc,  et 
estoit  illeuc  tout  le  jour  et  venoit  deviser  a  Tristan  toutes  les  nefs  qui  par  illeuc 
passoient.  Yseult  la  femme  Tristan  se  merveilla  moult  de  la  meschine  pour 
quoy  c'estoit  qu'elle  seoit  ainsi  souvent  et  tout  le  jour  sur  le  port  et  que  ce 
povoit  estre  qu'elle  conseilloit  si  souvent  a  Tristan  ;  si  dit  qu'elle  le  saura  s'elle 
peult.  Lors  s'en  va  au  port  ou  sa  filleule  seoit,  et  lui  dit  :  «  Filleule,  fait 
elle,  je  t'ay  molt  souef  nourrie  en  ma  chambre.  Je  te  conjure  de  Dieu  que  tu 


<)06  J.    BÉDIER 

me  dies  pour  quoy  tu  es  ainsi  cy  toute  jour.  —  Dame,  fait  elle,  je  ne  puis  veir 
souffrir  ne  oir  le  grant  martire  et  la  grant  doulour  que  monseigneur  mon 
parrain  seuffre.  Si  m'en  esbat  icy  en  regardant  les  nefs  qui  vont  et  viennent.  — 
Certes,  fait  celle,  or  sceis  je  bien  que  tu  m'as  menti.  Et  que  vas  tu  dont  si 
souvent  conseillant  a  ton  parrain.?  Se  Dieu  m'aist,  se  ne  le  me  dis,  jamais 
entour  moy  ne  demourras;  et  se  tu  me  le  dis,  bien  le  feras.  »  Celle  ot  paour 
de  sa  dame,  si  lui  dit  :  »  Dame,  mon  parrain  a  envoyé  mon  père  en  Cornoaille 
pour  querre  Yseult  s'amye  pour  amener  cha  pour  le  garir.  S'elle  vient,  le  voile 
de  la  nef  sera  tout  blanc,  et  s'elle  ne  vient  pas  il  sera  tout  noir;  si  suis  cy  pour 
savoir  se  je  verroie  la  nef  venir,  et  se  je  la  veoie  je  le  yroie  dire  a  mon  parrain,  i 
Quant  celle  ot  la  parole,  si  fu  (si)  courouchie  et  dit:  «  Lasse  !  qui  cuydast 
qu'il  aimast  autre  que  moy .?  Certes  ilz  n'orent  oncques  si  grant  joye  l'un  de 
l'autre  comme  je  leur  feroy  avoir  de  doulour  et  de  tristece  !  »  Lors  regarde  aval 
la  mer  bien  loing  et  voit  venir  la  nef  au  blanc  voile.  Lors  dit  à  la  filleule  Tristan 
«  Je  m'en  vois,  et  tu  demourras  ycy.  »  Moult  fu  Tristan  adoulé  :  il  ne  peult 
mais  boire  ne  menger,  il  n'ot  ne  entent  ;j  mais  toutesvoies  appella  il  l'abbé  de 
Candon  qui  devant  lui  estoit  et  moult  d'autres,  et  leur  dit  :  a  Beaux  seigneurs, 
je  ne  vivray  gueres,  je  le  sens  bien.  Je  vous  pry  que  se  vous  oncques  m'amastes 
que  quant  je  seray  mort  que  vous  me  mettes  en  une  net  et  mon  espee  emprès 
moy  et  cest  escrin.  Et  puis  m'envoies  en  Cornoaille  au  roy  Marc  mon  oncle,  et 
si  gardés  que  nul  ne  lise  le  brief  qui  pent  a  mon  espee  devant  que  je  soye  mort.  » 
Lors  se  pasme.  Adonc  se  lieve  le  cry  par  leans,  et  atant  es  vous  venir  sa  maie 
femme,  qui  lui  apporte  la  maie  nouvelle  et  dit:  «  He  !  Dieux,  je  viens  de  devers 
cel  port,  si  ay  veu  une  nef  qui  cha  vient  de  trop  grant  randon,  et  croy  que  nous 
l'aurons  ennuit  céans  a  hostel.  »  Quant  Tristan  ouy  a  sa  femme  parier  de  la 
nef,  si  ouvri  les  yeulx  et  se  tourne  a  moult  grant  peine  et  dit:  «  Pour  Dieu, 
belle 'seur,'dites  moy  quel  estoit  le  voile  de  la  nef.  —  Par  foy,  fait-elle,  il  est  plus 
noir  que  meure.  »  Helas  !  pour  quoy  le  dit  elle  ?  Tant  la  doivent  les  Bretons  hair  ! 
Tantost  comme  il  ot  ce,  si  sceut  que  Yseult  s'amye  ne  venoit  pas,  si  se  tourne  de 
l'autre  part  et  dit;  «  Ha  !  doulce  amye,  a  Dieu  vous  commant,  jamais  ne  me 
verres,  ne  je  vous;  Dieu  soit  garde  de  vous.  A  Dieu  !  Je  m'en  vois,  je  vous  salue.  » 
Lors  bat  sa  coulpe  et  se  commande  a  Dieu.  Et  le  coeur  lui  crevé  et  l'ame  s'en 
va.  Lors  commence  le  cry  et  le  deul  par  leans.  La  nouvelle  va  par  la  ville  et  par 
la  marine  que  Tristan  est  trespassé.  Lors  y  acourent  grans  et  petis  et  braient 
et  crient  et  font  tel  deul  que  on  n'y  ouyst  pas  Dieu  tonnant.  La  royne  Yseult, 
qui  fu  en  la  mer,  dist  a  Gènes:  «  Je  voy  gens  courre  et  os  crier  trop  durement 
je  me  doubte  trop  que  le  songe  que  j'ay  ennuit  songié  ne  soit  voir.  Car  je  songee 
que  je  tenoye  en  mon  geron  la  teste  d'un  grant  sanglier  qui  toute  me  honnissoit 
de  sang  et  ensanglantoit  ma  robe.  Pour  Dieu,  je  me  doubte  trop  que  Tristan 
ne  soit  mort.  Faites  appareillier  ceste  !nef  et  nagerons  oultre  droit  au  port,  d 
Gènes  la  mist  au  batel  et  nagèrent  oultre  a  terre  sesche.  Quant  ilz  furent  arivés 
a  terre,  elle  demanda  a  ung  escuier  qui  trop  grant  deul  faisoit  qu'il  avoit  et  ou 
ces  gens  couroient  a  tel  besoing.  «  Certes,  dame,  fait-il,  je  pleure  pour  Tristan 
nostre  seigneur,  qui  mort  est  tout  maintenant,  et  la  courent  ces  gens,  que  vous 
veés  courre.  »  Quant  Yseult  ouy  ce,  si  chiet  pasmée  a  terre  et  Gènes  la 
relieve;  et  quant  elle  fu  revenue  de  pameson,  si  s'en  vont  tant  qu'ilz  vindrent 


LA    MORT    DE    TRISTAN    ET    D  ISEUT  507 

en  la  chambre  Tristan,  et  le  treuvent  mort,  et  estoit  le  corps  estendu  sur  ung 
aès,  et  le  lavoit  et  appareilloit  la  contesse  de  Montreiles,  et  lui  avoit  ja  cauchié 
les  cauchons.  Quant  Yseuit  voit  le  corps  de  Tristan  son  amy  qui  illeuc  est  en 
présent,  si  fait  voider  la  chambre  et  se  laisse  cheir  pasmee  sur  le  corps.  Et  quant 
elle  revint  de  pameison,  si  lui  tasta  au  poux  et  a  la  vaine,  mais  ce  fu  pour  néant, 
car  l'ame  se  estoit  pieça  alée.  Lors  dit  :  <  Doulz  amy  Tristan,  comme  cy  a 
dure  départie  de  moy  et  de  vous!  Je  vous  estoie  venu  garir.  Or  ai  perdu  ma 
voie  et  ma  peine  ei.  vous  (perdu.)  Et  certes  puis  que  vous  estes  mort  je  nequier 
plus  vivre  après  vous.  Car  puis  que  l'amour  a  esté  entre  vous  et  moy  a  la  vie, 
bien  doit  estre  a  la  mort.  »  Lors  l'embrace  de  ses  bras  contre  son. pis  si  fort 
qu'elle  peult  et  se  pasme  sur  le  corps  et  jette  ung  souspir,  e  le  cœur  lui  part  i 
et  l'âme  sen  va.  Tout  ainsi  furent  mors  les  deux  amans  Tristan  et  Yseuit.  Quant 
Gènes  voit  celle  aventure,  si  sault  hors  de  la  chambre  trop  grant  deul  faisant, 
et  dit  que  la  royne  Yseuit  est  morte  sur  le  corps  Tristan.  Lors  y  acoururent 
tous,  et  recommence  le  deul  et  le  cry  si  grant  que  trop  eust  dur  coeur  qui  n'en 
eust  pitié.  Autre  chose  n'y  ot  :  les  deu.x  corps  furent  ensevelis  et  appareilliés, 
et  pristrent  conseil  comment  et  ou  ilz  seroient  enfouys.  »  En  nom  Dieu,  dit 
l'abbé  deCandom,  Tristan  nous  dit  qu'il  pendoit  a  son  espee  .L  brief,  et  quant 
il  seroit  mort  que  on  le  fist  lire.  »  Lors  fu  l'espee  apportée  et  le  brief  leu,  qui 
disoit  en  telle  manière. 

«  Tristan  commande  a  tous  ceulx  qui  l'amerent  que  son  corps  soit  porté  en 
Cornoaille  au  roy  Marc  son  oncle,  et  son  espee  emprès  lui,  et  que  nul  ne  soit 
si  hardi  qu'il  oeuvre  l'escrin  qui  y  pent  devant  que  le  roy  le  deffcrme  et  qu'il 
veoie  qu'il  a  dedens.  »  Lors  s'accordent  que  les  deux  corps  soient  envoies  riche- 
ment et  honnourablement  en  Cornoaille;  <  mais  a  tous  le  mains  nous  en  reten- 
drons les  entrailles,  n  Lors  fu  Tristan  ouvert  et  furent  les  entrailles  prises  et 
enfouyes  devant  le  port,  et  fu  faicte  illeuc  une  riche  croix,  e  lu  appellee  la 
croix  Tristan,  et  establirent  ung  chevalier  qui  la.  garde  et  la  .renouvelle  chascun 
an  et  en  tient  bonne  rente;  et  s'il  ne  le  faisoit  il  perdroit  sa  rente.  Puis  enbas- 
merent  le  corps  et  le  cousirent  en  ung  cuir  de  cerf  et  Yseuit  en  ung  autre,  puis 
mistrent  les  deux  corps  en  ung  tonnel  en  une  nef,  et  deux  cierges  ardans  aux 
pies,  et  deux  aux  chiefs,et  mistrent  avecques  croix  et  filatieres  moult  richement, 
et  l'espee  et  l'escrin  emprés  Tristan,  puis  commandent  les  corps  à  Dieu. 

Les  mariniers  r-ntrent  en  la  nef  et  siglerent  et  nagèrent  tant  qu'ilz  ariverent 
au  port  soubz  Tinthanel,  si  yssirent  hors  de  la  nef  et  mistrent  les  corps  hors 
et  les  atournerent  moult  honnourablement,  et  mistrent  les  croix  et  les  fillatieres 
aux  chiefs  et  deux  aux  pies,  puis  les  couvrirent  de  deux  draps  d'or  moult  riches 
et  moult  beaux.  Illeuc  trouvèrent  une  petite  viellote  qui  venoit  des  montaignes 
du  bois.  Quant  elle  voit  les  croix  et  les  corps  si  richement  appareilliés,  si 
demanda  qui  ces  corps  estoient.  Et  les  mariniers  respondirent  que  c'estoit 
Tristan  le  nepveu  le  roy  Marc,  et  Yseuit  la  royne,  femme  leroy  Marc.  Quant 
la  viellote  oy  ce,  si  commence  a  faire  le  greingneur  deul  qui  oncques  mais  fust 


Ms.  pasme. 


508  J.    BÉDIER 

fait  par  une  femme.  Les  mariniers  lui  donnèrent  dix  solz  pour  garder  les  corps, 
puis  rentrent  en  leur  nef  et  s'en  revont  en  leur  pais.  Mai:  atant  leisse  le  compte 
a  parler  de  ceste  matière  et  parole  du  roy  Marc  et  de  ses  gens. 

Or  dit  le  compte  que  quant  les  mariniers  curent  lessié  les  corps  a  garder  a  la 
viellote,  elle  commence  a  plourer  et  a  regreter  les  dis  Tristan  et  ses  fais.  Les 
gens  du  pais  acoururent  au  deul  et  au  cry,  et  demandent  à  la  viellote  qui  ces 
corps  estoient,  et  elle  leur  dit  que  c'estoit  Tristan  et  Yseult  la  belle  qui  fu 
femme  au  roy  Marc.  Lors  recommence  le  cry  et  le  deul  si  grant  que  on  n'y  ouyst 
pas  Dieu  tonnant.  Il  out  illeuc  ung  clerc  qui  leust  le  brief  qui  disoit  que  nul  ne 
fust  si  hardi  qui  deffermast  l'escrin  qui  pendoit  a  l'éspee  et  que  on  ne  les  enfouyst 
devant  que  le  roy  Marc  les  deffermeroiî.  Les  gens  du  pais  firent  faire  murs 
autour  les  corps  et  une  chappelle.  Illeuc  gardèrent  les  corps  nuyt  et  jour,  et 
regardèrent  par  commun  accord  qu'ilz  envoiroientquerre  le  roy  Marc,  qui  estoit 
aie  a  Cardueil  au  roy  Artus  qui  l'avoit  mandé,  si  lui  envolèrent  ung  ermite 
preudomme  et  de  saincte  vie. 

L'ermite  s'en  va  et  erre  tant  qu'il  encontra  le  roy  Marc  a  Cachenés,  qui  ame- 
noit  ung  mainmormet  a  la  royne  Yseult,  que  le  roy  Artus  "lui  envoioit.  Hélas! 
il  ne  savoit  pas  qu'elle  fust  morte,  ne  Tristan  son  nepveu  aussi.  L'ermite  salue 
le  roy  et  dit:  «  Roy,  cil  qui  prent  (en)  deul  a  son  cœur  et  meurt  en  yre,  il  se 
part  de  Dieu  et  donne  son  corps  et  son  ame  au  deable.  Et  pour  ce  dy  je  que 
tu  ne  te  mettes  en  yre  pour  chose  que  tu  oyes  ne  veoies.  »  Le  roy  ouy  l'ermite 
qui  lui  sermonna,  si  lui  dit:  a.  Se  Dieu  plaist,  je  ne  seray  ja  si  sourpris  que 
l'ennemi  ait  povoir  en  moy.  Dy  tout  seuremenî  (ce)  quantque  tu  vouidras.  — 
«  Sire,  dit  l'ermite,  vous  avés  moult  sagement  respondu,  pour  ce  vous  diray. 
Sachiés  certainement  que  Tristan  vostre  nepveu  et  Yseult  vostre  femme  sont 
mors,  et  vous  sont  envoies  de  Bretaigne,  et  a  ung  brief  et  ung  escrin  pendu  a 
l'espee  Tristan,  qui  deffent  que  nul  ne  soit  si  hardi  qu'il  defferme  l'escrin  fors 
que  vous.  Et  sachiés  que  Tristan  estoit  malade  d'une  playe  dont  nul  ne  le  povoit 
garir  fors  que  Yseult;  si  la  manda  par  Gènes  qui  l'emmena;  mais,  avant  qu'elle 
fust  la,  Tristan  fu  mort,  et  elle  aussi  mourut  de  deul;  si  vous  en  sont  les  cors 
envoies.  Si,  pour  Dieu,  près  a  de  trois  jours  qu'ilz  sont  au  port  ;  si  vous  hastés 
et  veés  qu'il  a  dedens  l'escrin,  puis  faites  des  corps  a  vostre  volenté  ». 

Quant  le  roy  oy  ces  nouvelles,  si  fu  dolent  et  fust  cheu  de  dessus  son  cheval 
se  l'ermite  ne  l'eust  détenu,  si  dist  :  «  Ha  !  Tristan,  beau  nepveu,  tant  tu  m'as 
fait  de  mal  souffrir  !  Tu  m'as  mise  a  honte  et  toUue  ma  femme.  Ja  par  l'ame  de 
mon  père  en  mon  pays  enfouy  ne  seras.  »  Lors  chevauche  le  roy  tant  qu'il  vint 
a  Tinthanel  au  port  ou  les  cors  estoient.  Le  peuple  sceut  le  serment  que  le  roy 
sy  avoit  fait,  si  s'escrient  tous  a  une  voix  et  dient  :  «  Ha  !  roy,  pren  tout  quanque 
nous  avons,  si  met  a  honneur  en  terre  cellui  qui  toy  et  ton  pays  et  nous  osta 
du  servage  ou  nous  estions  et  afranchi,  si  comme  tu  le  sceis  bien.  »  Quant  le 
roy  ouy  si  le  peuple  crier,  si  en  ouït  pitié;  et  prent  l'escrin  et  le  defferme,  et 
avoit  dedens  une  chartre  escripte  et  sellée  du  seel  Tristan.  L«  roy  fait  lire  a 
l'archevesque  la  chartre,  qui  disoit  : 

«  A  son  cher  oncle  roy  Marc  de  Cornoaille  Tristan  son  nepveu  salut.  Sire 
vous  m'envoiastes  en  Yrlande  pour  querre  Yseult  vostre  femme.  Quant  je  l'oy 
conquise  et  elle  me  fu  livrée  pour  amener  a  vous,  sa  mère  fist  faire  ung  baril  de 


LA   MORT    DE    TRISTAN    ET   D'ISEUT  509 

vin  herbe  qui  estoit  de  telle  manière  qu'il  convenoit  que  cil  qui  en  bevoit  amast 
celle  qui  après  lui  en  bevroit  et  elle  lui.  Sire,  sachiés  que  cest  baril  fu  baillié  a 
Brangien  a  garder,  et  lui  deffendi  que  nul  n'e[nj  beust  fors  vous  et  Yseult  sa 
fille  la  nuyt  que  vous  l'auriés  espousee  et  que  vous  devriés  coucher  ensemble. 
Sire,  quant  nous  fusmes  mis  en  mer,  il  faisait  si  grant  chaut  qu'il  sembloit  que 
tout  le  monde  estaingnist;  si  me  prist  trop  grant  soif,  si  demanday  a  boire,  et 
Brangien,  qui  ne  s'en  donnoit  garde,  me  donna  a  boire,  si  bus,  et  Yseult  après, 
si  que  oncques  puis  ne  fu  heure  que  nous  ne  nous  entramissions.  Sire,  pour 
Dieu,  si  regardés  raison  se  j'en  puis  mais  se  j'ay  amee  Yseult  quant  je  l'ay  fait 
par  force,  si  en  faites  vostre  plaisir,  et  Dieu  vous  gart.  »  «  Sire,  dit  l'arche- 
vesque,  de  ce  qu'il  a  en  ceste  lettre  dites  vostre  volenté  ». 

Quant  le  roy  Marc  ot  ouy  que  Tristan  avoit  amee  Yseult  par  force  de  vin 
herbe  et  que  ce  n'avoit  pas  esté  de  sa  volenté,  si  fu  dolent  et  courouchié  et 
commence  a  plourer  et  dit:  «  Hélas!  dolent,  pourquoy  ne  savoye  je  ceste 
aventure/  Je  les  eusse  ainchois  celés  et  consentus  qu'il  se  fust  ja  parti  de  moy. 
Las!  or  ai  perdu  mon  nepveu  et  ma  femme!  «  Lors  commanda  que  les  corps 
soient  portés  a  la  chappelle  et  soient  illeuc  enterrés  si  richement  comme  il  appar- 
tient a  si  haulte  gent.  Leroy  fait  faire  deux  sercleux,  ung  de  calcédoine  et 
l'autre  d'un  beril.  Tristan  fu  mis  eu  calcédoine  et  Yseult  ou  beril,  et  furent 
enfouys  a  plours  et  alermes,  l'un  d'une  part  delà  chappelle  et  l'autre  de  l'autre 
part. 

Perinis,  qui  jesoit  malade,  oy  la  noise,  si  se  lieve  et  vient  au  cry.  Quant  il 
sceut  que  Tristan  et  Yseult  sa  dame  furent  mors  et  illeuc  enfouys,  si  commence 
sur  les  tombes  a  faire  trop  grant  deul,  si  qu'il  n'est  nul  qui  le  veist  qui  pitié 
n'en  eust,  et  dit  que  jamais  ne  se  partiroit  d'illeuc  se  mort  non.  Le  roy  lui  fist 
illeuc  faire  ung  habitacle,  quant  il  vit  qu'il  ne  se  vculoit  d'illeuc  partir.  Heudent 
le  chien  Tristan  estoit  aie  en  la  forest,  et  avoit  trouvé  maintes  biches,  mais 
oncques  ne  verti,  et  se  ala  courant  droit  au  port  ou  les  corps  avoient  esté  pre- 
mièrement, et  commence  a  abaier  et  a  hufler,  et  s'en  vient  par  trache  droit  a 
la  chappelle  ou  les  corps  avoient  esté  enterrés.  Si  tost  comme  il  vit  Perinis,  si 
court  celle  part,  et  senti  a  la  trache  que  le  corps  son  seigneur  estoit  illeuc 
enterré,  si  commence  a  faire  si  forte  fin  que  chascun  se  merveilloit.  Illeuc  demeu- 
rèrent Heudent  et  Perinis  sans  boire  et  sans  mangier,  et  quant  ilz  avoient  fait 
leur  deul  sur  Tristan,  si  aloient  sur  Yseult.  Perinis  mande  Gouvernai  et  Bran- 
gien par  un  message  en  Loonnois,  Si  tost  comme  il  sceurent  la  nouvelle,  ilz 
montent  et  chevauchent  tant  qu'ilz  vindrent  en  Cornoaille  et  trouvèrent  Perinis 
et  Heudent  en  la  chappelle  ou  les  corps  estoient  enfouys.  Gouvernai  si  tost 
comme  il  vit  Heudent  si  sceut  bien  que  le  corps  son  seigneur  estoit  illeuc  en- 
terré, et  la  ou  Perinis  estoit,  la  estoit  Yseult  enlouye.  De  dedens  la  tombe 
Tristan  yssoit  une  ronche  belle  et  verte  et  foillue  qui  aloit  par  dessus  la  chap- 
pelle, et  descendoit  le  bout  de  la  ronche  sur  la  tombe  Yseult  et  entroit  dedens. 
Ce  virent  les  gens  du  pais  et  le  comptèrent  au  roy.  Le  roy  la  fit  par  trois  fois 
coupper:  a  l'andemain  restoit  aussi  belle  et  en  autel  estât  comme  elle  avoit  esté 
autrefois.  Cest  miracle  estoit  sur  Tristan  et  sur  Yseult.  Gouvernai  et  Brangien 
commencèrent  a  plourer  et  a  regreter  Tristan  leur  seigneur  et  Yseult  leur  dame. 
Le  roy  Marc  voulut  détenir  avec  lui  Gouvernai  et  Brangien  et  faire  tout  seigneur 


r,o  J.    BÉDIER 


et  maitre  de  sa  terre  ;  mais  ilz  ne  vouldrent  demeurer,  ains  prindrent  congié  et 
amenèrent  avec  eulz  Perinis  et  Heudent.  Gouvernai  estoit  roy  de  Loonois  et 
Brangien  royne,  si  firent  Perinis  seneschal  de  toute  leur  terre,  et  vesquirent 
ensemble  tant  que  Dieu  les  voult  prendre  a  sa  part.  Si  face  il  de  nous!  Amen! 
Cy  finit  le  Rommant  de  Tristan  et  Yseult. 


LES  FOLIES  DE  TRISTAN 


Dans  le  «  recueil  de  ce  qui  reste  des  poèmes  relatifs  aux  aventures  de 
Tristan  » ,  publié  par  M .  Francisque  Michel  (  1 8  3  5  - 1 8  3  9I ,  on  trou ve  deux 
poèmes,  l'un  de  574  vers,  l'autre  de  996  vers,  dont  le  sujet  est  le  dé- 
guisement en  fou  de  Tristan,  dans  le  but  de  voir  Iseut.  Le  premier  de 
ces  poèmes  est  tiré  du  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Berne  554,  où  il 
va  du  fol.  1 5 1  verso  col.  2  jusqu'au  fol.  1 56  verso  col.  2.  Il  sera  désigné 
par  B  '.  Le  second  appartient  au  ms.  Douce  et  va  du  fol.  12  verso  col.  2 
jusqu'au  fol.  19  recto  col.  i:  il  sera  désigné  par  D.  Voici  le  fond 
commun  aux  deux  poèmes  : 

Tristan?,  éloigné  d'Iseut 4,  pense  aux  moyens  de  la  revoir  (D  i,  5, 
B  1 18,  48,  5 1)  pour  soulager  son  tourment  ^D  13-14,  B  88).  Il  quitte 
son  pays  [D  61-62,  B  1 18),  et  ne  s'arrête  pas  avant  d'arriver  à  la  mer 
(D  63-64,  B  1 20-1 21),  qu'il  traverse  bientôt  (D  65-93,  B  127-128). 
Marcs  le  hait  (D  161-164,  B  4-8),  et  voudrait  le  tuer  :  c'est  pourquoi 
il  faut  qu'il  se  déguise  (D  157-160,  B  106-107,  1 10-11 3).  Comme  il 
est  déjà  presque  fou  d'amour  (D  173,  B  93,  124-125),  il  a  l'idée  de 
feindre  la  folie  (D  177-179,  B  129,  108).  Il  tond  ses  cheveux  (D  203- 
209,  B  132),  et  se  donne  l'apparence  d'un  fou  (D  208,  B  133-1 34,  1 54- 
1 55),  va  à  la  cour  (D  221,  B  1 50),  où  on  le  laisse  entrer  sans  difficulté 
[B  1 5 1 ,  D  22 5,  242) .  On  le  hue  (D  246-248,  B  137).  On  lui  jette  des 
pierres  (D  250,  B  1 38),  et  il  frappe  les  gens  avec  le  pieu  qu'il  tient  à 
la  main  (D  254,  B  131).  Marc  l'appelle  (D  261-262,  B  157),  et  lui  de- 
mande le  nom  de  ses  parents  (D  268,  B  1 59-160);  il  répond  qu'il  est  le 
fils  d'une  baleine  (D  271,  B  160)  et  qu'il  a  une  sœur  qu'il  veut  donner 
à  Marc  en  échange  d'Iseut  ^D  280-282,  B  163).  Le  roi  lui  demande  ce 
qu'il  fera  d'Iseut  (D  294-298,  B  164];  il  répond  qu'il  la  conduira  en 
l'air  où  il  a  une  maison  (D  299-300,  B  166-168).  Il  se  nomme  Tran- 
îris^  (D  31 5,  B  127);  il  dit  qu'il  a  bu  avec  Iseut  le  philtre  d'amour 


1.  Ce  travail  a  été  fait  à  l'instigation  et  sous  la  direction  de  M.  Gaston  Pa- 
ris, à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes. 

2.  [Les  citations  de  ce  texte,  insérées  dans  ce  travail,  ont  été  revues  sur  la 
nouvelle  édition  donnée  par  M.  Morf.  —  G.  P.] 

3.  D  a  Tristran,  B  Tritanz.  —  4.  D  a  Ysolt,  B  Ysiaul.—  5.  D  a  Marces,  B 
Mars.  —  6.  Dans  B  aussi  Picous,  et  au  lieu  de  Trantris,  Tantris. 


512  W.    LUTOSLAWSKf 

(D  467-474,  B  174-177)  ;  tout  en  simulant  la  folie,  Tristan  fait  diverses 
allusions  au  passé,  ce  qui  trouble  Iseut  (D  475-477,  B  21 1-2 15).  Après 
le  départ  du  roi  (D  555-536»  B  252-255),  Iseut  va  dans  sa  chambre 
(D  545,  B  258)  et  se  plaint  à  Brengien  '  en  maudissant  le  fou  (D  362- 
263,  B  585-586).  Elle  croit  qu'il  est  sorcier  (D  561-564,  570,  B  378, 
520).  Elle  envoie  Brengien  trouver  le  fou  (D  598-599,  B  269).  Celle-ci 
y  va  et  voit  Tristan  resté  seul  dans  la  salle  (D  607,  B  271).  Il  lui  rap- 
pelle le  philtre  d'amour  (D  641-656,  B  309-317)  ;  elle  le  mène  dans  la 
chambre  d'Iseut  [D  675-676,  B  332-334),  qui  ne  le  reconnaît  pas  en- 
core (D  707-710,  B  357).  Après  avoir  rappelé  diverses  scènes  du  passé, 
Tristan  demande  ce  qu'est  devenu  Husdent',  le  chien  qu'il  avait  donné 
à  Iseut  (D  893-895,  B  488).  Elle  lui  répond  qu'elle  l'a  (D  896-898, 
B  496-498),  et  envoie  Brengien  (D  899-900,  B  508)  le  chercher  (D 
901-902,  B  309).  Le  chien  fait  fête  à  Tristan  aussitôt  qu'il  a  entendu 
sa  voix  (D  919-920,907-916,  B  510-512,  514-517),  ce  qui  étonne 
Iseut  (D  917,  B  5 19),  car  Husdent  ne  permettait  à  personne  de  Pappro- 
cher  (D  921-929,  B  504-506)  depuis  qu'il  avait  perdu  son  maître. 
Tristan  s'écrie  que  le  chien  se  rappelle  mieux  les  bienfaits  qu'il  a  reçus 
que  la  femme  (D  932-936,  B  523-5271.  Enfin  il  montre  à  Iseut  l'anneau 
qu'elle  lui  avait  laissé  en  le  quittant  (D  957,  B  528-539);  Iseut  recon- 
naît son  amant,  et  ils  se  réjouissent  (D  974-976,  986-996,  B  543-550, 

571-5741- 

On  voit  que  les  deux  poèmes  commencent  et  finissent  de  la  même  ma- 
nière, et  que  les  traits  fort  nombreux  qui  leur  sont  communs  suffiraient  à 
reconstruire  un  poème  hypothétique  X  qui  aurait  servi  de  source  à  B  et 
D .  Afin  de  mieux  juger  cette  hypothèse,  il  faut  comparer  les  deux  poèmes, 
B  étant  le  plus  court  et  probablement  le  plus  ancien,  il  sera  plus  aisé  de 
suivre  l'ordre  de  ce  poème,  et  de  chercher  dans  D  les  vers  qui  corres- 
pondent à  ceux  de  B. 

1.  B  1-2.  Tristan  est  découragé.  D  5-24  décrit  également  le  décou- 
ragement de  Tristan,  en  y  ajoutant  des  réflexions  générales  [Mort  est 
assez  kl  en  dohir  vit  ;  Penser  confunî  hume  et  occist)  pour  expliquer  que 
Tristan  préfère  la  mort  à  la  douleur  qu'il  éprouve. 

2.  B  3,  53.  Tristan  craint  le  roi  Marc.  B  4-44  raconte  comment  le 
roi  Marc  s'est  plaint  à  ses  barons  de  l'adultère  de  sa  femme,  et  a  promis 
des  récompenses  à  ceux  qui  pourraient  saisir  Tristan.  Dinas,  l'ami  de 
Tristan,  lui  fait  connaître  la  colère  du  roi.  Tout  ce  récit  paraît  être  une 


1.  B  Brangien,  D  Brengien. 

2.  B  Hudent,  D  Huden. 


LES  FOLIES    DE    TRISTAN  $1  J 

interpolation,  et  n'est  en  aucun  rapport  avec  ce  qui  précède  et  ce  qui 
suit.  Il  contient  à  son  tour  plusieurs  vers  qui  l'interrompent.  En  omet- 
tant les  vers  î-44,  on  trouve  que  le  vers  45  se  rattache  parfaitement  au 
vers  2  sans  que  le  sens  ni  la  rime  en  souffrent  : 

I   Moult  est  Tritanz  mêliez  a  cort  : 
Ne  set  0  aille  ne  ou  tort  ; 
45  N'ose  repairier  ou  païs, 
Sovant  en  a  esté  fuitis. 

3.  B  4$-$o,  88,  D  5-24.  L'éloignement  d'Iseut  le  rend  triste  et  mal- 
heureux, et  il  cherche  les  moyens  de  la  revoir  (B  5 1-52,  90,  94,  D  5-4, 
IS5-156,  174-176)  : 

D  14.  Tut  ensement  confuntTristran.  B  88.  Dex!  con  sui  maz  et  confonduz. 
D    3.  Purpenset  soi  ke  faire  pot.  B  51.  Porpanse  soi  qu'il  porra  faire. 

4.  B  54-1 1 5,  long  monologue  de  Tristan,  qui  manque  dans  D.  Ce 
monologue  contient  des  répétitions,  et  surtout  plusieurs  passages  (59-63, 
68-70,  97-105,  104-107)  qui  représentent  le  voyage  en  Angleterre 
comme  un  devoir,  ce  qui  est  en  contradiction  avec  le  reste  du  poème. 
D'autres  passages  y  sont  corrompus  et  obscurs  ou  sans  relation  avec  le 
reste  (82-87,  96,  97-103).  En  omettant  les  vers  60-89,  94-107,  on  éli- 
minerait tous  ces  passages  suspects,  non  seulement  par  leur  contenu, 
mais  aussi  par  le  style  : 

B  71.  Amors  qui  totes  choses  vaint  B  i'^i.  E  Dex  11  doint  joie  et  santé 
Me  doint  encor  que  il  avaigne  S'il  vialt  par  sa  doce  bonté! 

Que  a  ma  volonté  la  taigne!  Et  il  me  doint  enor  et  joie 

Si  ferai  je  voir  se  Deu  plait.  B  85.  Et  si  m.e  tor[t]  en  itel  voie 
75.  A  Deu  pri  ge  qu'i[l]  ne  me  iaist  Q^ancor[e]  la  puisse  aviser 

Morir  devant  ce  que  je  l'aie. . .  Et  li  veoir  et  encontrer  1 

5.  B  M 6- 125,  238,  D  59-66.  Tristan  quitte  son  pays  et  ne  s'arrête 
pas  avant  d'arriver  à  la  mer.  Il  va  comme  un  pauvre  homme  (B  119,  D 
31-33)  à  pied. 

B  120.  D'errer  ne  fine  nuit  et  jor  ;  D  63.  Il  ne  finat  unke  d'errer, 

Jusqu'à  la  mer  ne  prist  sejor.  Si  est  venu  droit  a  la  mer. 

6.  B  126-1 30,  D  515,  363,67-94,139-141,  187-222.  Tristan  tra- 
verse la  mer  et  feint  la  folie  :  il  bat  les  gens  qu'il  rencontre  (B  131,  D 
373,  254,  527-530I;  il  a  tondu  ses  cheveux  (B  132,  D  203-209],  et 
tout  le  monde  le  prend  pour  un  fou  (B  133-135,  D  208,  224,  248).  On 
le  hue  (B  1 37,  D  246-248)  et  on  lui  jette  des  pierres  (B  1 38,  D  249- 
250). 

Romanta,  XV  33 


514  W.    LUTOSLAWSKl 

Tout  ce  qui  se  rapporte  aux  moyens  employés  par  Tristan  pour  pa- 
raître fou  est  raconté  beaucoup  plus  amplement  dans  D.  L'auteur  paraît 
dominer  son  sujet  complètement  et  le  traiter  librement.  Il  nous  raconte 
par  exemple  comment  Tristan  se  tondit  : 

D  203.  Tristran  unes  forces  avait  : 
Il  meimes  porter  les  soleit  ; 
205.  De  grant  manere  les  amat  : 
Ysolt  les  forces  lu  donat; 
207.  Od  les  forces  haut  se  lundi. 

Cette  histoire  paraît  inventée  par  l'auteur  de  D,  car  on  ne  trouve  au- 
cune allusion  à  ce  don  d'Iseut  dans  les  diverses  versions  de  la  légende 
de  Tristan. 

7.  B  140- 149  contiennent  des  répétitions  et  pourraient  être  omis  sans 
nuire  au  sens  ni  à  la  rime. 

139.  Tritanz  s'en  va,  plus  n'i  areste. 
150.  Droit  a  la  cort  en  est  venuz  : 
Onques  huis  ne  li  fu  tenuz. 

Le  style  de  ces  vers  140-149  ressemble  à  celui  des  vers  60-89,  94" 
107  du  monologue  de  Tristan  :  les  phrases  sont  courtes  et  sans  rapport 
entre  elles;  l'action  n'avance  pas,  et  la  plupart  des  pensées  qui  y  sont 
exprimées  se  retrouvent  ailleurs  dans  le  poème,  ou  sont  superflues.  Leur 
banalité  ofïre  un  contraste  remarquable  avec  la  plus  grande  partie  du 
poème,  qui  contient  des  beautés  poétiques  réelles. 

8.  B  150-157,  D  221,  225,  242,  259-268.  Tristan  vient  à  la  cour, 
on  le  laisse  entrer  et  Marc  l'interroge .  L'entrée  à  la  cour  a  dans  D  des 
développements  analogues  à  ceux  du  voyage  et  du  travestissement. 

9.  B  159-161,0  271,280-2,285-292,  513-314.  Tristan  dit  qu'il 
est  le  fils  d'une  baleine,  et  qu'il  veut  échanger  sa  sœur  contre  Iseut  qu'il 
aime.  Cette  proposition  est  faite  dans  D  sur  un  ton  plaisant  qui  manque 
à  B  : 

D  285.  Reis,  je  vus  durai  ma  sorur  B  161.  Une  suer  ai  que  vos  amoine  ; 

Pur  Ysolt,  ki  aim  par  amur.  La  meschineanon  Bruneheut  : 

Fesumbargaine,fesum  change;  Vos  ravroizetje  avrai  Yseut. 

Bon  est  asaer  chose  estrange; 
De  Ysolt  estes  tut  ennuez: 
A  une  autre  [vus]  acuintez. 

10.  B  164-169,   D  294-308.  Le  roi  lui  demandant  où  il  conduirait 


LES    FOLIES   DE   TRISTAN  5  1  S 

Iseut,  il  répond  qu'il  lui  fera  une  maison  au-dessus  des  nuages.  Dans  D 
cette  idée  est  développée  :  la  maison  est  déjà  faite,  et  il  y  a  une  chambre 
de  cristal,  ce  qui  rappelle  la  remarque  de  Gottfried  16704  :  «  diu  minne 
sol  auch  kristallin  durchsihtic  und  durchluter  sin  »,  à  l'occasion  de  la 
description  du  lit  en  cristal  dans  la  «  fossiur  a  la  gent  amant  ». 

11.  B  170-180,  308-321,  D  46^-472,  641-658.  Allusion  au  breu- 
vage d'amour.  D'après  B  c'est  Brengien  qui  a  apporté  à  Tristan  et  Iseut 
le  breuvage  d'amour,  ce  qui  est  en  contradiction  avec  toutes  les  versions 
du  roman  de  Tristan,  hors  Sir  Tristrem.  Dans  D  c'est  un  valet  qui  ap- 
porte ce  breuvage  par  mégarde.  L'idée  que  le  passé  pourrait  paraître  un 
songe  se  trouve  dans  B  et  D  : 

D  456  Iseut  dit  :  B  178  Tristan  dit  : 

Mais  vus  recuntez  vostre  sunge.  Et  si  lo  tient  or  a  mançonge  ; 

A  nuit  fustes  ivre  al  cucher.  Don  di  je  bien  que  ce  fu  songe, 

E  le  ivrez[e]  vus  fist  sunger.  Car  je  lo  songé  tote  nuit. 
—  Vers  est,  de  itel  baivre  sui  ivre 
Dunt  je  ne  quid  estre  délivre.  » 

12.  B  181-189.  Tristan  se  plaint  des  peines  qu'il  a  souffertes  à  cause 
de  son  amour.  Ce  passage  contient  une  allusion  à  une  aventure  où 
Tristan  a  «  sailli  '  »,  qui  se  rapporte  à  la  version  de  Béroul  en  excluant 
la  version  de  Thomas. 

13.  B  190-195,  D  369-378.  On  lui  dit  de  cesser  .ses  plaisanteries; 
il  répond  comme  un  fou.  Cette  réponse  ne  consiste  qu'en  paroles  dans  B. 
Dans  D  Tristan  se  met  à  battre  tout  le  monde  (D  372  Si  se  jet  ben  tenir 
pur  sot]. 

14.  B  196-209,  D  875-892.  Tristan  raconte  la  scène  où  le  roi 
trouva  les  amants  endormis  et  laissa  son  gant  près  d'eux.  B  se  rattache 
à  la  version  de  Béroul,  tout  en  introduisant  un  trait  nouveau  :  Tristan 
faisait  semblant  de  dormir.  D  est  parfaitement  d'accord  avec  la  version 
de  Thomas  :  le  roi  pardonne  à  Tristan  et  Iseut  et  les  rappelle  à  la  cour. 

15.  B  210-215,  D  3 18-324,  365-370,  380-386,  407-41 1,  455-460, 
475-477.  La  reine  est  fâchée.  La  colère  de  la  reine  est  exprimée  dans 
D  six  fois,  de  même  que  le  contentement  du  roi.  Ce  contraste  n'est  pas 
aussi  prononcé  dans  B,  où  le  roi  lui-même  dit  à  Tristan  de  cesser  ses 
plaisanteries. 


1.  A  l'occasion  d'un  travestissement  en  pèlerin. 


5l6  W.    LUTOSLAWSKl 

16.  B  216-221.  Tristan  dit  à  Iseut  que  si  elle  savait  qui  il  est,  rien 
ne  la  retiendrait.  Cette  apostrophe  audacieuse  en  présence  du  roi  n'est 
pas  même  modérée  par  quelques  paroles  folles  qui  détourneraient  l'at- 
tention. Dans  D  Tristan  est  beaucoup  plus  circonspect,  et  il  ne  parle 
devant  le  roi  que  de  choses  connues  de  tout  le  monde  :  l'allusion  au 
breuvage  d'amour  y  est  si  délicate  qu'elle  ne  peut  être  comprise  par 
le  roi.  En  outre  les  allusions  y  sont  entremêlées  de  boutades  folles,  pour 
détourner  l'attention  et  les  soupçons. 

17.  B  222-227,  D  959-957.  Tristan  dit  qu'il  a  encore  l'anneau 
qu'Iseut  lui  avait  donné.  D  raconte  la  scène  en  accord  avec  la  version 
de  Thomas.  B  s'exprime  assez  vaguement,  mais  peut  cependant  être 
rattaché  à  la  version  de  Béroul.  —  B  228-247.  Tristan  se  plaint  siauda- 
cieusement  de  l'indifférence  d'Iseut,  et  de  ce  qu'elle  ne  le  reconnaît  pas, 
qu'il  éveille  des  murmures  inquiets  dans  la  salle  :  ce  trait  manque  dans 
D,  dont  l'auteur  écarte  toutes  les  choses  peu  probables  et  nous  repré- 
sente Tristan  comme  sachant  toujours  bien  calculer  l'effet  de  ses  pa- 
roles. 

18.  B  252-257,0  53  j-537.  Le  roi  part  pour  se  divertir,  tout  le  monde 
sort.  B  258-269,  D  559-548,  585-588,  598-600.  La  reine  rentre  dans 
sa  chambre,  maudit  le  fou  et  envoie  Brengien  vers  lui. 

19.  B  270-507.  Brengien  se  moque  d'abord  du  fou,  elle  s'étonne  en- 
suite de  lui  entendre  dire  son  nom.  Il  la  prie  de  l'aider  auprès  de  la  reine. 
Elle  le  regarde  mieux,  et  comprend  que  c'est  un  chevalier.  Elle  le  prie 
de  lui  pardonner  ce  qu'elle  a  dit,  et  de  ne  point  déshonorer  la  reine.  Le 
rôle  de  Brengien  est  tout  autre  dans  D. 

20.  B  508-521,  D  641.  Tristan  rappelle  à  Brengien  le  breuvage 
d'amour.  Il  se  nomme.  B  522,  D  61 5-618. 

21.  B  525-551.  Brengien  le  reconnaît  et  implore  son  pardon;  c/./2°  19. 

22.  B  552-554,  D  675-676.  Elle  le  mène  dans  la  chambre  d'Iseut. 

23.  B  555-557,  D  680-682.  Iseut  ne  sait  quel  accueil  lui  faire.  Il  se 
plaint  de  son  indifférence  (B  558-556,  D  688-705). 

23.  B  557-566.  Brengien  reproche  à  Iseut  ses  doutes.  Cf.  n°  19, 
Iseut  doute  que  Tristan  se  soit  permis  de  si  mauvaises  plaisanteries,  B 
567-575,  et  Tristan  en  explique  la  nécessité,  B  576-579.  Tout  cela 
manque  dans  D. 


LES    FOLIES    DE   TRISTAN  517 

25.  B  580-401.  Tristan  rappelle  à  Iseut  qu'il  l'a  délivrée  de  Gama- 
rien'.  Ce  nom  ne  se  trouve  nulle  part  dans  la  légende  de  Tristan. 
Cependant  il  ne  peut  désigner  personne  d'autre  que  le  harpeur  irlandais, 
auquel  il  est  fait  allusion  D  765-774,  et  qui  est  nommé  Gaudin  par 
Gottfried.  H  se  pourrait  que  les  noms  de  Gamarien  ou  Guimarien  et  de 
Gaudin  remontassent  à  une  même  source.  Ce  ne  peut  être  Ivain,  comme 
le  veut  M.  Vetter^,  car  Tristan  dit,  B  590-2  :  «  Resanblé  je  point  a 
celui  Qui  sol  sanz  aie  d^ autrui  Vos  secorut  a  ce!  besoin?  »,  tandis  que 
plus  tard,  B  455,  où  il  fait  une  allusion  plus  claire  à  Ivain,  il  rappelle 
que  Governall'a  aidé,  d'accord  avec  le  poème  de  Béroul. 

26.  B  401-405  (D  527-362].  Allusion  à  la  guérison  de  la  plaie  que 
lui  fit  le  Morhout,  et  dont  Iseut  l'a  guéri  elle-même,  ce  qui  est  en  con- 
tradiction avec  la  version  de  Béroul,  où  Iseut  le  guérit  par  l'entremise 
de  son  père,  et  avec  celle  de  Thomas,  où  c'est  la  mère  d'Iseut  qui  le 
guérit.  D  s'accorde  bien  avec  la  version  de  Thomas.  Ensuite,  B  406- 
420,  D  414-454,  allusion  à  la  guérison  de  la  maladie  causée  par  le  venin 
du  serpent,  et  au  bain  où  Iseut  voulut  tuer  Tristan.  B  s'accorde  avec  la 
version  de  Béroul,  D  avec  celle  de  Thomas,  surtout  pour  la  manière 
dont  Iseut  s'aperçoit  de  la  brèche  à  l'épée  :  dans  B  c'est  en  essuyant 
l'épée,  dans  D  c'est  en  la  tirant  du  fourreau. 

27.  B  421-425.  Allusion  au  cheveu. 

28.  B  426-445,  D  641-658.  Départ  d'Irlande  et  breuvage  d'amour. 
Cf.  nM  I . 

29.  B  446-465.  Allusions  au  saut  de  la  chapelle,  à  Ivain,  à  l'ermite 
Ugrin,  épisodes  connus  uniquement  par  la  version  de  Béroul  et  man- 
quants dans  D. 

30.  B  466-475.  Iseut  menace  Tristan  de  l'accuser  auprès  du  roi. 

31.  B  474-485,  D  688-706.  Tristan  se  plaint  d'avoir  perdu  son  amie. 

32.  B  486-488,  496-527,  D  895-956.  Husdent reconnaît  Tristan.  Ce 
passage  est  des  plus  remarquables  dans  les  deux  poèmes,  d'abord  parce 
que  c'est  le  seul  épisode  de  D  qui  se  rapporte  à  la  version  de  Béroul,  et 


I.  Cette  forme,  au  moins  pour  la  terminaison,  est  attestée  par  la  rime.  Au 

593  le  copiste  a  écrit  Gaimarant. 

z.  F.  Vetter,  La  Légende  de  Tristan.  Marburg,  1882. 


5  l8  W.    LUTOSLAWSKl 

ensuite  parce  que  l'identité  des  particularités  de  cette  scène  dans  B  e 
D  est  une  des  preuves  les  plus  claires  de  leur  origine  commune.  On  va 
voir  en  effet  que  cette  identité  s'étend  même  à  l'expression,  et  que  les 
deux  textes  ont  pour  ce  récit  des  vers  pareils  et  jusqu'à  un  quatrain  en. 
tier  en  commun. 


D  894. ..  vus  donai  Huden,  mun  chen. 
K'en  avez  fct  ?  Mustrez  le  mai  ? 
Ysoltrespunt  :  «  Je  le  ai,  parjai! 

859.  Brengien,  ore  alez  purlecheii.  » 

903. E  ledeslie,  aler  le  lait. 

909.Unkes  de  chen  ne  oï  retraire 
Ke  poïst  maiur2  joie  faire 
Ke  Huden  fist  a  sun  sennur. 
Tant  par  li  mustre  grant  amur  : 
Sur[e]  lui  cort^  levé  la  teste  ; 
Une  si  grant  joie  ne  fist  best[e]  : 
Bute  ;  del  vis  [e]  jerl  del  pé  ; 
Aver  en  poust  l'en  gran  pilé. 

9i7.Iso!t  le  tint  a  grant  merveille; 
Huntusefu,  (si)devint  vermaille 
De  ço  k'il  /('  ftst  le  joie, 
Tantost  cum  (il)  a  sa  volz  oie. 
Kar  il  art  fel  e  de  puite  aire, 
£  mordeit  e  saveit  mal  faire 
A  tuz  icès  ki  od  lu  juoent 
E  tuz  icès  ki[l]  maniomt. 

928.  Tant  par  esteit  demal'e]  maine 
Depuis  ke  il  sun  mestre  perdi. 

932.  «  ...  Melz  li  suvient 

Kejol{e)  nurri,  ki  le  afaitai, 
Ke  vus  ne  fai[t],  ki  tant  amai! 
Multpar  at  enchengrant  fran- 
[chise 
E  en  femme  [rat]  grant  feintise!  » 


B  488.  Queles!  [qu'est]  Hudcnt  devenu  '  ? 
^c)6.  Certes,  jel  gart  en  ma  saisine. 

508.  Damoisele,  amenez  lo  ça! 

509.  Brangiensi  cort,  sou  dcsloia. 

5 1 8.  Ses  mains  loiche,  de  joie  abaie. 


5  i^.Sor[e]  li  cort,  liève  la  teste; 
Onques  tel  joie  ne  fist  teste  : 
Boute  do  groin  et  fiert  do  pié  ; 
Toz  li  monz  en  aiist  pitié. 

519.  Voit  lo  \se\it,  formant  s'esmaie. 

5 1 1 .  Lo  lien  fait  des  mains  voler 

5 12.  A  la  meschine  qui  l'amoine. 
jio.Qant  li  brechez  ioï  parler. 
504. Car  puis  que  Tritanz  s" an  ala 

Home  de  lui  ne  s'aprima 
Qu'il  ne  voh'isl  mangier  as  danz 


523.  i   ...  la  norriture 

C'ai  mise  en  toi  soi  beneoite  ! 
Ne  m'as  mie  t'amor  toloite  : 
Moult  m'as  moutré  plus  bel  sam  - 
[blant 
Que  celi  cui  \'amoie  tant  !  » 


33.  B  528-5^9,  D  949-9')7.  Tristan  montre  l'anneau. 

34.  B  540-574  D  974-976,  986-996.  Iseut  reconnaît  Tristan.  Fin, 


1 .  Ed.  post  meur. 

2.  Ed.  Rute. 

z.  Les  vers  B  489-495  interrompent  le  sens;  ils  s'accordent  bien  avec  le 
poème  de  Béroui,  v.  1413  sqq.  Tristan  y  rappelle  la  conduite  de  son  chien 
lorsqu'il  se  vit  séparé  de  son  maître  après  le  «  saut  de  la  chapelle  ». 


LES    FOLIES   DE   TRISTAN  5I9 

En  tout,  sur  les  574  vers  de  B,  il  n'y  en  a  que  191  (3,  53,  9-39,  54- 
74,89,  104-107,  158,  162,  181-189,  216-221,  248-251,  270-307, 
52^55I,  ^57-379.  421-42$.  446-473,  489-495I  qui  n'aient  pas  leur 
équivalent  dans  D.  Dans  ces  191  vers  nous  trouvons  surtout  plusieurs 
traits  qui  servent  à  faire  paraître  Tristan  plus  audacieux  qu'il  ne  Pest 
dans  D  :  n°s  12,  16,  17,  30;  quelques  passages  suspects  ou  insigni- 
fiants :  n"'  2,  4  ;  et  seulement  quatre  allusions  particulières  à  la  version 
de  Béroul  et  étrangères  à  celle  de  Thomas,  n°'  12,  27,  29.  Enfin  la 
différence  principale  des  deux  poèmes  consiste  dans  le  rôle  de  Brengien. 

D'après  D  Brengien  suppose  d'abord  que  le  fou  est  Tristan,  et  en- 
suite, dans  sa  conversation  avec  Tristan,  elle  lui  dit  qu'elle  ne  se  rap- 
pelle pas  du  tout  les  scènes  dont  il  évoque  le  souvenir.  Dans  B  Brengien 
commence  par  se  moquer  du  fou  et  l'insulter,  ensuite  elle  le  reconnaît 
et  implore  son  pardon,  fait  des  reproches  à  Iseut  parce  qu'elle  ne  le  re- 
connaît pas  ;  vers  la  fin  elle  exhorte  Iseut  à  profiter  de  l'absence  du  roi 
et  exprime  le  désir  que  celui-ci  ne  revienne  pas  de  si  tôt.  Cette  différence 
écarte  la  supposition  que  D  ait  travaillé  d'après  B,  tel  que  nous  l'avons 
aujourd'hui.  Il  est  plus  probable  que  Dest  un  remaniement  d'un  original  X, 
dans  lequel  le  rôle  de  Brengien  aurait  été  restreint  aux  points  communs 
aux  deux  poèmes.  B  serait  dans  ce  cas  dérivé  de  X  par  un  développe- 
ment du  rôle  de  Brengien  et  par  l'addition  de  quatre  nouvelles  allusions 
au  passé.  Sept  allusions  auraient  pu  exister  déjà  dans  X  (combat  contre 
le  Morhout,  contre  le  serpent,  départ  d'Irlande  et  breuvage  d'amour,  vie 
dans  la  forêt,  harpe  et  rote,  anneau,  Husdent),  et  elles  auraient  pu  y  être 
exprimées  assez  vaguement  pour  que  D  les  développât  d'après  la  ver- 
sion de  Thomas,  B  d'après  la  version  de  Béroul  '.  Si  X  n'avait  pas  con- 
tenu d'allusions,  il  serait  assez  surprenant  que  deux  poètes  différents 
eussent  eu  la  même  idée  de  les  introduire  dans  leurs  remaniements  de  X. 
En  tout  cas,  les  changements  que  B  a  fait  subir  à  X  ne  sont  pas  très 
considérables;  on  y  voit  surtout  l'influence  du  poème  de  Béroul,  Les 
différences  de  D  avec  X  (c'est-à-dire  les  additions  au  fond  commun  de  B 
et  de  D)  sont  plus  nombreuses;  d'abord  le  nombre  des  allusions  au  passé 
de  Tristan  est  si  considérable  qu'il  nous  permettrait  de  reconstruire 
toute  son  histoire.  L'auteur  aime  à  raconter  avec  toute  l'ampleur  épique  : 
il  nous  décrit  Tintagel,  l'arrivée  et  le  travestissement  de  Tristan,  son 
entrée  à  la  cour  et  la  conversation  de  Tristan  et  du  roi  avec  une  verve 
et  un  art  qui  témoignent  que  le  poème  a  été  composé  à  une  époque  pos- 


I.  Non  sans  exceptions;  cf.  n"  11,  14,  25,  26,  et  une  mention,  B  239,  d'ur 
voyage  en  Espagne  qui  ne  se  trouve  que  dans  la  version  de  Thomas. 


5  20  W.    LUTOSLAWSKl 

térieure  à  la  rude  simplicité  de  B,  et  par  un  poète  qui  n'était  pas  esclave 
de  son  sujet.  A  plusieurs  occasions  il  mêle  au  récit  des  réflexions  géné- 
rales, comme  :  (D  5-20)  que  la  mort  est  préférable  à  une  longue  souf- 
france, (049-56)  qu'il  est  bon  de  cacher  ses  projets  et  qu'on  court 
beaucoup  de  risques  à  être  trop  confiant,  (D  288)  «  Bon  est  asaer  chose 
estrange  ».  Tristan  ne  sort  jamais  de  son  rôle  de  fou;  pour  qu'on  ne  le 
reconnaisse  pas,  il  change  sa  voix  et  peint  son  visage  ;  en  entrant  il  fait 
un  récit  burlesque  au  portier;  après  des  allusions  un  peu  trop  vives,  il 
bat  les  gens  et  rit  comme  un  fou  ;  c'est  pourquoi  il  n'excite  pas  de  mur- 
mures comme  dans  B,  et  parvient  à  amuser  le  roi,  qui  exprime  son  con- 
tentement six  fois.  Tristan  adresse  ses  allusions  à  la  reine  et  non  au  roi 
comme  dans  B,  et  à  la  fm,  malgré  tout  ce  qu'il  lui  a  rappelé  de  leur 
passé,  malgré  l'anneau  qui  leur  a  toujours  servi  de  signe  de  reconnais- 
sance, Iseut  ne  le  reconnaît  que  quand  elle  l'a  entendu  parler  de  sa  voix 
naturelle.  Ce  dernier  trait  paraît  être  une  invention  de  D,  et  il  n'est  pas 
tout  à  fait  d'accord  avec  le  fait  que  Husdent  l'a  reconnu  à  sa  voix,  avant 
qu'il  eût  cessé  de  la  déguiser. 

On  voit  que  les  différences  des  deux  poèmes  suffisent  pour  nous  faire 
douter  qu'ils  soient  faits  l'un  sur  l'autre,  mais  n'autorisent  aucunement  à 
affirmer,  comme  le  fait  M.  Vetter  ',  qu'il  est  peu  probable  que  les  deux 
poèmes  remontent  à  la  même  source.  Quant  à  cette  source,  X,  elle  paraît 
avoir  été  un  lai  indépendant  du  reste  des  poèmes  de  Tristan  ;  autrement 
il  serait  difficile  d'expliquer  pourquoi  B  et  D  commencent  et  finissent  au 
même  point.  Si  X  avait  fait  partie  d'un  poème  contenant  le  reste  des 
aventures  de  Tristan,  D  ou  B  auraient  sans  doute  conservé  la  suite  de 
ce  déguisement  de  Tristan.  En  outre  B  et  surtout  D  ont  une  introduction 
et  une  fin  qui  déterminent  le  poème  et  ne  laissent  aucune  trace  de  rap- 
ports avec  ce  qui  aurait  pu  précéder  ou  suivre. 

Cette  opinion  est  confirmée  par  l'épisode  de  la  folie  de  Tristan  dans 
le  roman  en  prose  français,  que  nous  trouvons  dans  le  ms.  103  de  la 
Bibliothèque  Nationale  -  et  dans  les  éditions  du  xv^  et  du  xvi^  siècle.  Voici 
le  texte  du  manuscrit  [jol.  375  r^)  3  : 

I  *  (Mais  atant  ieisse  le  compte  a  parler  de  ceste  matière,  et  compte  comment 
Tristan  aia  veir  la  royne  Yseuit  s'amye  en  Cornoaille  et  comment  il  fist 
le  sot.  Et  commencent  cy  endroit  les  soties  de  Tristan.) 


1.  Loc.  cit.,  p.  19. 

2.  On  trouvera  dans  un  travail  de  M.  Bédier,  imprimé  dans  le  même  cahier 
de  la  Romania  que  celui-ci,  le  contexte  où  ce  morceau  est  inséré. 

*  Les  numéros  mis  en  marge  servent  à  taciliter  les  citations  et  sont  arbitraires, 
car  le  texte  ne  contient  aucune  division. 

3.  La  première  édition  est  de  1489  et  porte  le  titre  (à  la  fin)  :  t  Histoire  du 


LES   FOLIES    DE   TRISTAN  S  2  I 

2.  Or  dit  le  compte  ^  que  Tristan  et  son  nepveu  s'aloient  ung  jour  esbanoiant 
j.   sur  la  marine,  si  souvint  a  Tristan  de   la  royne  Yseult  s'amyeî,  si  dit 4  : 

4.  «  Helas  !  amye  (doulce  si,  comment  pourray  je  jamais  parler  a  vous  (que  je 

5.  ne  soye  congneu)  ?  —  Ha  6!  sire,  (pour  Dieu,)  fait  son  nepveu,  ne  vous 
esmaiés,  car  trop  mieulx  y  parlerons?  que  oncques  mais.  Car  vous  me 
ressemblés  8  mieulx  sot9,  ad  ce  que  vous  estes  tondu  et  a  la  playe  que  vous 

6.  avés  (eu  visagel,  que  nul  hmme  qui  soit.  —  Me  dis  tu  voir?  fait  Tristan. 
—  Certes,  sire,  dit  le  varlet,  oyl  "'.  »  (Lors  s'en  retournent  Tristan  et  son 

7.  nepveu  a  Karchès).  A  l'andemain  par  matin  fait  Tristan  tailler  une  gonnelle 
d'un  '  '  lait  burel  sans  pointes  (et  sans  gérons),  mal  faite' 2  et  mal  taillie,  et  print. 

8.  C.  ss.  '  3  (que  nul  ne  le  sceut)  ;  et  voit  un  viliain  qui  portoit  une  (grant)  ma- 

9.  chue  '4  (a  son  col):  Tristan  vint  M  a  lui  et  lui  toult.  Puis  s'en  va  toute  la  marine, 

10.  tout  nudz  pies,  la  machue  au  coi  '6.  (Trop  bien  ressemble  fol  de  grant  ma- 
nière.) Si  vint  17  au  port  et  trouva  une  nef,  qui  estoit  a  ung  bourgois  '8  de 

1 1 .  Tinthanel  '9,  qui  s'en  vouloit  râler  20  en  son  pais-'.  Tristan  prent  ses  de- 

12.  niers  et  les  commença  a  jetter -2  partout  en  sotois.  Quant  les  mariniers  le 
15.   virent,  ils  le  firent  entrer  en  leur  nef  et  il  leur  donna  tous  ses  deniers. 

14.  Tant  singla  -5  la  nef,  qu'ils  arrivèrent  soubz  Tinthanel.  Le  roi -4  Marcs'estoit 

1 5 .  venu  jouer  et  esbanoier  -S  au  port.  Tristan,  qui  ot  prins  26  ung  fourmage  en 

1 6 .  ung  tonnel  »7,  sault  (sus)  de  la  nef,  sa  machue  au  col  28  ;  (et)  quant  le  roy  39  le 

17.  vist,  SI  l'appella,  et  Tristan  lui  court  sus  comme  s'il  fust  (tout)  esragié  3°,  et 
le  roy  et  tous  ses  compaingnons  5'  commencent  a  fuir  32  (droit)  auchastel  3  3 
ide  Tinthanel  1,  et  illeuq  s'enferma  (le  roy  pour  le  fol),  et  Tristan  34  demeura 

18.  dehors.  Le  roy  vint  aux  fenestres  et  la  royne  Yseult  35,  (et)  Tristan  qui  tout 

19.  estoit  forsené  56  pour  s'amour  37  print  38  son  fourmage  et  le  commence  a 

20.  menger;  (et)  le  roy  (l'appella  et)  dit  :  «  Fol  39,  que  te  4°  semble  de  la  royne 

21.  Yseult  4'.?  —  Certes,  fait  le  fol  4^,  se  je  gesoie'^3  une  nuit  avec  elle,  elle  me 

22 .  rendroit  tout  mon  sens  que  j'ai  perdu  pour  elle.  —  Fol,  fait  le  roy,  ou  fus 
tu  né.?  —  En  Angleterre,  fait  il.—  Et  qui  fu  ton  père.?  —  Ung  roucliin44. 

25.   —  Et  ta  mère.?  —  Une  brebis.  Et  mon  père  m'envoya  cha  4S  toy  faire  coup.  » 
24.   Lors  rougi 46  la  royne  (et  s'embruncha)  et  lui  membra47  de  Tristan.  «  Fol, 


très  vaillant  noble  et  excellent  chevalier  Tristan,  fils  du  roi  Meliadus  de  Leon- 
nois,  imprimé  à  Rouen  en  l'ostel  Jehan  le  Bourgois  le  dernier  jour  de  septembre 
mil  cccc  un  xx  et  ix.  t  Les  variantes  de  cette  édition  seront  désignées  par  R, 
Les  mots  du  ms.  103  omis  dans  R  sont  mis  entre  parenthèses. 

R  :  2  conte  —  3  de  samic  la  royne  Yseult  —   4  dist  —    5   doulce  manque  — 
6  Haa  —  7  car  vous  y  parlerez  mieux  —  8  semblez  —  9  eslre  sot  —  10  «  O'û  » 

—  I  I  d^ung  —  12  faicte  —  13  cent  soubs,   et  s'en  prent  et  voit...  —  14  massue 

—  15  vient  —  16  la  massue  ei  son  col  —  17  (7  vint  —  18  bourgoys  —  19 
Cintagel  —  20  retourner  —  21  a  son  paiz  —  22  jecter  —  23  cingla  —   24  roy 

—  25  esbanoyer  —  26  tonneau  —  27  Tristan  print  —  28  et  en  son  col  sa  massue 

—  29  roy  Marc  —  30  enrage  —  3 1  compaignons  —  32  fuyr  —  -^^  a  son  chasteau 

—  34  et  le  fol  —  35  Iscull  —  ]G  forcené  —  37  son  amour —  ^d>  prent  —  39  S  t 

—  i\o  te  —  41  Iseult  —  ^2  sot  —  43  j'estoyc  —  44  roucin  —  45  f'J  pour  — 
46  rougit  —  47  remembra. 


522  W.    LUTOSLAWSKI 

25.  fait  le  roy,  qui  te  fist  celle  playe?  —  Je  l'oy,  fait  '  le  fol,  en  ung  assauit 
(devant  celle  tour).  —  Et  fus  tu  oncques  a  tournoiement  2?  (faille  roy). — 
OyI  5,  fait  le  fol,  en  Bretaingne4  et  en  CornoailleS,  ou  j'en  ay  occis  plus 

26.  de  cent.  »  (Et)  lors  commencent  tous  a  rire,  et  dient  qu'il  est  fol  de  na- 
ture. Le  roy  le  fait^  (appeller  et)  mettre  dedens  le  chastel?  (et  le  commen- 
cha  trop  a  amer  pour  les  soties  qu'il  disoit). 

27.  Ung  jour  vint  du  monstier^  et  s'assist  a  jouer  aux  9  esches  a  uug  che- 
lier,  (et)  la  royne  s'enclina  au  gieu  'o.  Et  Tristan  la  commence  a  regarder, 

28.  ^qui  tout  ardoit  de  s'amour,  mais)  elle  (ne  le  congnoissoit,  si)  haulce  la 
main  et  fiert  Tristan  au  '  1  col,  et  dit  :  «  Fol,  pourquoi  me  regardés  '2  vous 

29.  ainsi.?  —  Certes,  dame,  fait  Tristan,  fol  suis  je.  Et  sachiés '3  qu'il  a'4  passé 
huit  jours  M  que  nefinay  defoloier '6  pour  vous;  maisse  le  mal  '7  fust  a  droit 
parti'8,  vousfoloyssiez:9  (aussi)  comme  moi.  (Etsi)2o  vous  pry^i  pour  (Dieu 
et  pour)  l'amour  de  Tristan  (a  qui  coeur  vous  avés)  que  ne  me  touchiés  22 

30.  plus.  Car  (certes)  le  boire  que  vous  et  luy23  beustes  en  la  mer  ne  vous  est 
pas  si  amer  (au  coeur)  comme  (il  est)  au  fol  Tristan.  »  (Et  tout  ce  dit  il  bas 

31.  que)   nul  24  ne  l'oy  ^s  fors  seulement  26  (la  royne)  Yseult.  Quant  (la  royne) 

32.  l'entent,  si  se  part  du  gieu  27  (toute)  Cûurouchie  28^  et  entre  29  en  sa  chambre 
toute  yree.  Si  appelle  Camille  sa  damoiselle;  et  elle  vint  30,  si  lui  demande 

33.  qu'elle  a  qui  est  si  yree.  «  Certes,  fait  elle,  ce  fol  m'a  trop  courcuchie  28.  U 
m'a  reprouvé  3'  Tristan;  mais  jamais  n'auray  joye  au  coeur  32  si  sauray5) 

34.  qui  la  parole  lui  a  dite  34.  Le  roy  doit  aler  35  cacher  3^,  et  quant  (il  y  sera 
aie  et)  tout  sera  vuidié  57,  tu  yras  querre  cel  fol  38  et  le  m'amèneras  39,  (carje 

35.  veul  savoir  qui  ce  lui  a  dit,  et  dont  ce  vient).  —  Dame,  fait  Camille,  vo- 
lentiers  A°.  »  Le  roy  va  en  bois  cacher  4' ,  et  Camille  va  querre  le  sot  et  l'am- 
meine42  en  la  chambre;  la  royne (l'appella  et)  dit43:  «Cha44  venés45,  amy. 

36.  Je  vous  fery  huy  par  gieu  46;  (tenés,)  je47  le  vous  amende  48.  »  Lors  le  prist 
par  la  main  et  l'assist  decoste  Iuy49  et  dit  :  «   Amis,  (or  me)  dites  5°  qui 

37.  vous  dit  que  Tristan  m'amoit^'.?  —Dame,  fait  il,  vous  me  le  déistes.  — 
Et  quand  fust  î-  ce?  fait  elle.  —  Dame,  fait-il,  n'a  pas  ung  an.  —  Et  qui 
es  tu  donc?  —  Dame,  je  suis  Tristan.  —  Tristan!  fait  elle.  —  Voire, 
dame.  —  Par  ma  foy,  fait  Yseult,  vous  avés  5  3  menti.  Vous  ne  lui  ressem- 

38.  blés  54  pas.  Or  tost,  fuyés5S  de  cy  S6;  (que)  maldehais  ait  acort  defol!  (Et) 

39.  certes  mal  déistes  57  (oncques)  que  vous  estes  [Tristan]  s8,  »  Quant  il  voit 


R  ;  I  l'ay  eue  fait  il  a  ung  —  2  tournoiement  —  3  ail  —  4  Brciaigne  —   5 
Cornouaille  —  6  fist  —  j  chasteau  —  8  le  roy  —  <)  aulx  —   \o  a  jouer  au  jeu 

—  \\  sur  le —  12  regarder  —  13  sachiez  —  14)'^  —  '5  ^^P^  ^^^  —  ^'^ 
foloyer  —  ij  le  jeu  —  18  party  —  \c) joloyassiez  —  20  mais  je  —  21  pri  — 
22  touchiez  —  23  lui  —  24  mais  nul  —  25  entendit  —  26  scullement  —  27  jeu 

—  28  couroucée  —  29  s'en  entre  —  30  vint  a  elle  —  31  car  il  m'a  reproché  — 
32  au  cœur  joye  —  33  scay  —  34  dicte  —  ^^  yra  —  36  chasser —  37  vuide  — 
^8  ce  sot  —  39  l'amaineras  —  40  \oulcnlitrs  —  41  s'en  va  au  boys  chassr  — 
42  l'amaine  —  43   lui  dit  —  44  Ca  —  4^  venez  —  46  geu  —  47    mais  je  — 


^Samenderay  —  4c)  elle  —  (,0  dictes  —  <,i  m'ayme  —  S^  f^t   —  53    avez   —  54 
semblez-  55  juyez  —  56  d'icy  —  si  distes  —  58  estes  Tristan. 


LES   FOLIES   DE   TRISTAN  $2? 

qu'elle  le  (conjoie  si  laidement)',  si  met  son^  anel  en  son  doy,  qu'elle  lui 
avoit  donné  quant  il  la  rendi  au  roy  Marc  et  le  roi  Artus  en  fist  la  paix,  et } 
il  lui  dit  4  qu'elle  ne  creust  de  lui  chose  que  on  lui  deist  s  devant  s'elle  ne 

40.  veoitô  l'anel?.  Tristan  lui  (monstre  l'anel  et)  dit  :  «  Certes,  dame,  il  m'est 
moult  beJS  que  vous  m'avés9  descongiie  u  'o.  ar  or  croy  je  bien  que  vous 
avez  fait  autre  '  '  amy  ■  2  de  1 5  moy  ;  et  puis  que  1 4  est  ainsi,  assés  plus  belle- 
ment le  me  peussiés  '  S  avoir  dit  que  moy  conjoier  '6^  (que  vous  n'eussiés  cure 

41 .  de  moy  ;  Si  m'en  fusse  râlé  '7  en  mon  pais  '^  (arrière)  et  eusse  fait  une  autre 
42     amye'''  (que  vous).  Je  vy  ja  telle  heure  que  vous  m'amiés2o  bien,  mais  c'est 

coustume  de  lemme  (qui  tost  a  mué  son  courage)  :  elle  n'amera  ja  cellui 
qui  (bien  et)  loyaument  l'ayme^i,  mais  cellui  qui  plus   lui  fera  de  honte, 

43 .  cellui  22aimera2?  elle  detoutson  coeur24;  (et  certes  je  suis  a  bon  droit  clamé 
fol,  quant  je  me  suis  atournéss  (comme  fol  et  me  suis  départi)  de  mon  pays 
(et  de  ma  terre),  et  me  fais  26  battre  (et  ledenger)  la  dehors  a  ces  pauton- 
niers,  et  mengue  es  cendres  et  (me)  gis  27  a  la  terre  (toute  nue,  aussi  comme 

44.  un  chien  pour  l'amour  de  vous),  n'oncques  ne  m'y  avésï^  regardé  (ne 
congneu).  » 

45.  Quant  Yseult  voit  l'anel  et  l'ot  ainsi  parler 29,  si  le  congneut.  Lors   l'en* 

46.  brace3o  et  (acole)  et  beise?'  plus  de  cent  fois  32.  et  il  elle.  Lors  lui  compta  3  3 

47.  Tristan  comment  34  laplaieJS  lui  fut  faitejô  par  quoy  (elle  et  les  autres  ront)37 

48.  descongneu  38,  (et  lui  compte  de  ses  aventures).  Elle  lui  donne  robes  linges, 

49.  car  d'autres  59  ne  veuli  il  point  prendre.  La  royne  dit  4°  a  l'uyssier4'  que 
pour  Dieu  il  fist  ung  lit  au  fol  (en  la  sale  ou  que  soit)  ou  il  dormist  de42 
nuit.  «  Dame,  fait  il,  volentiers.  »  Si43  lui  fist  dessoubs  ung  degré  en  ung 
anglet  d'un  poy  d'estrain  et  de  deux  Iincheux44  que  la  royne  lui  donna. 

jo.  (Illeuq  gist  Tristan  par  jour  et  par  nuit,  et)  quand  le  roy  va  cacher 4S,  Tris- 
tan va  coucher  avec  la  royne,  (si  que  nul  ne  le  sceit  tors  seulement  Camille), 

5 1 .  Ainsi  fu  Tristan  deux  moys  a  TinthaneU^  que  oncques  ne  fu47  congneu  48. 

52.  Ung  jourestoit  le  roy  Marc  devant  sa  tour.  (Estes  vous)  49  ung  messager  5° 
du  roy  Artus,  qui  lui  mandoit  qu'il  alast  a  lui  parler  a  Carduel  (car  il  avoit 
de  lui  a  besoingner;  et)  quant  le  roy  Marc  ouyS'    le  mandement  (du  roy 

53 .  Artus  son  seingneur),  si  dit  M  qu'il  yroitn  volentiers  S  4.  Lors  s'appareille  (et 
s'atourne)  et  s'en  va  a  court.  Si  tost  comme  il  fu  !  5  parti,  Tristan  ala  S6  cou- 

54.  cher  avec  la  royne  Iseult.  L'uyssierl'oy  S7  (moult)  bien  lever  (de  son  lit),  si 
s'en  va  (tout  coiement  garder)  s8  au  lit  du  fol,  mais  il  ne  le  trouva  mie  59. 


R  :  I  lui  donne  ainsi  congé  —  2  ung  —  3  si  —  4  dist  —  5    die  —  6  voit  — 
7  l'ancau  —  8  bccia  —  0  avez  —  1 0  dcscongnu  —  11  aallre  —  1 2  ami  —  1 3  que 

—  14  qu'il  —  1 5  pcussiez  —  16  conjurer  —  17  (eusse  retourné  —  18  paiz  — 
19  amie  —  20  me  amiez  —  21  l'a-jmcra  —  22  celui  —  23  amera  —  24  courage 
2\  pari)  —  26  car  vous  me  faites  —  27  giz  —  28  avez  —  29  l'oit  ainsi  parler 
et  voit  l'ancau  —  30  l'enbrasse —  5 1  baise  —   32  joiz  —  33  conta  —  34  comme 

—  35  pla)e  —  36  avoit  esté  f aie  le  —  37   il  estait  —  38  dcscongnu  —  39  aultres 

—  40  dist  —  41  uissier  —  42  par  nuit  —  4;  Lors  —  44  linceux  —  45 
chasser  —  46  Cilhagel  —  47  fat  —  48  congnu  —  49  atant  vccy  venir  — 
50  mesagier  —  51  entent  —  52  il  dit  —  53  ira  —  54  voulenturs  —  55  fut  — 
56  s'en  ala  —   ^^7  oit  —  58  loult  droit  —    59   pas. 


524  W.    LUTOSLAWSKl 

55.  Lors  s'en  va  (pas  après  pas)  '  après  Tristan  droit  en  la  chambre  a^  la 
royne  Iseult.  Tristan  entre  en  la  chambre  5,  et  Camille  (qui  l'atendoit)  re- 

56.  clôt  l'uys  après4  lui,  et  il  ses  va  coucher  emprès 6  la  royne  (Iseult).  L'uys- 
sier  (l'espia  et)  dit  qu'il  sara7  s'il   peult  qu'il  quiert  (en  la  chambre  la 

57.  royne).  Lors  regarde  par  une  cravache 8  qui  estoit  en   la  paroy  et  voit 

58.  Tristan  couchié9  avec  la  royne  Iseult.  Et  quant  il  les  areveus'o  ensemble, 
si  "  se  va  coucher  en  son  lit  et  pensa  bien  que  c'estoit  Tristan  '  2.  Mais  Tris- 
tan ne  se  donnoit  garde  de  ce  qu'il  l'eust  espié. 

^9.  A  l'andemain  conta  '5  ruyssier'4  aux  chamberlans  comment  'S  il  avoit  veu 
le  fol  couchié  '  6  avec  la  royne,  et  leur  dit  '  7  :  «  Sachiés  '  §  vraiement  que  c'est 

60.  Tristan.  »  Quant  les  chamberlans '9  oircnt  2°  ce,  si  furent  (moult)  2'  courou- 
chiés22,  et  dient2}  qu'ils  metront  (encore  nuit  de  bonnes)  espies  en  la 
chambre  a  la  royne  Iseult  si  (soubtilement)  que  la  royne  ne  s'en  (donnera 

6 1 .  point  garde]  24.  Quant  il  fu  2  s  nuit,  Tristan  ala  26  en  la  chambre  de  la  royne, 

62.  et  s'assist  emprès  27  elle.  Les  chamberlans  ont  mis  leurs  espies  dedens^s  la 

63.  chambre,  dont  Tristan  ne  se  donnoit  29  garde.  «  Dame,  dit  Tristan  a  la 
royne,  il  m'en  convient  aler,  car  j'ay  esté  appercheu  5°  (et  bien  le  sceis)  ;  (et) 
se  le  roy  venoit  et  il  me  tenoit,  il  me  feroit  a  honte  mourir.  Je  vy  hyer 

64.  l'uyssier  et  le  chambelan  parler?'  ensemble  de  moy.  »  (Et)  quant  la  royne 
oy  î2  parler  Tristan  du  départir,  si  commence  a  plourer  (moult  tendrement) 

65.  et  (lui)  dit  53  :  «  Ha  h!  Tristan,  beaulx  ;s  doulz  î^amy  37,  jesceisî^devoir 
que  39  ne  vous  verray  jamais  ne  vous  moy  en  vie.  Or  vous  prie  je  pour 
Dieu  (et  requier)  que  vous  me  donnés  4°  ung  don.  —  Certes,  dit  4"  Tristan, 
ma  dame,  volentiers42;  demandés43  et  vous  l'aurés44.  — Beau  (et)doulz4S 
amy46  (faitelle),  je  vous  demant47  que  s'il  avient  que  vous  mourés48  avant 
(que)  moy,  ou  que  se  vous  avés49  mal  de  mort  ains  que  moy,  que  vous  vous 
fachiésso  mettre  en  une  nef  et  vous  faites  P  cha  S  2  apporter,  etgardésS?  quela 
moitié  54  du  voile  n  qui  en  la  nef  sera  soit  blance  S  &  et  l'autre  (moitié)  noires?. 
Et  se  vous  estes  mort  ou  que  ce  soit  mal  de  mort,  que  le  noir  soit 
mis  au  devant,  en  saine  santé  S  8,  si  soit  le  blanc  mis  devant  et  le  noir  des- 
riereS9.  Et  tout  autel  feray  je  de  moy  s'il  avient  60  de  moy  ains  que  de  vous; 
et  si  tost  comme  la  nef  sera  venue  au  port  je  yray  61  veir  mon  grant  dom- 
mage ou  mon  grant  confort,  et  vous  prendray  entre  mes  bras  et  vous  be- 
seray62  que  ja  pour  nully  ne  le  leisseray,  et  puis  mourray,  si  que  nous 


R  :  I  après  Tristan  pas  après  pas  —  2  de  —  3  chambre  de  la  royne  —  4 
aprez  —  5  s'en  —  6  avec  —  7  scaira  —  8  crcvace  —  9  couché  —  10  eut  veuz 
—  1 1  (7  —  12  Tristan  de  Léonais  —  1 3  compta  —  1 4  uissier  —  i  ^  comme  — 
16  couché —  i-j  dist —  18  sachiez  —  19  chamberlens —  20  ouïrent  —  21 
durement —  22  couroucés  —  2]  dyent  —  2^appercevra  ja;  Tristan  les  cuyt  bien 
parler  —  2^  fut  nuyt  —  26  alla  —  27  emprez  —  2S  en  —  29  prenait  —  30 
apperceu  —  3 1  ensemble  parlons  —  ^2oit  —  53  dist  —  34  Haa  —  35  beau  — 
36  doulx  —  37  ami  —  38  sccy  —  39  ^iie  je  —  40  donnez  —  ^i  fait  —  42  vou- 
lenlier  —  43  demandez  —  44  aurez  —  45  doulx  —  46  ami  —  47  demande  — 
48  mouvez  —  49  avez  —  50  facez  —  51  faictes  —  52  éa  —  53  gardez  —  54 
nioytié  —  55  voille  —  56  blanche  —  57  n'ester  mort  et  que  vous  soiez  — 
58  en  plainne  santé  —  59  derrière  —  60  advient  —  61  iray  voir  —  62  baiseray. 


LES    FOLIES    DE    TRISTAN  $2^ 

serons'  tous  deux  ensembles  =  enfouys;  car  puique  l'amour  est  si  joincte  a 
la  vie,  elle  ne  (doit)  ;  pas  (estre)  dessevree  a  la  mort.  Et  sachiés4  que  se  je 
muir  J  avant  (que)  vous,  tout  autel  feray  je. Certes,  dame,  dit  Tris- 
tan, (et)  je  l'octroy.  «  (Tout)»  ainsi  se  sont  entreconvenanciés7,  (et)  lors 
s'entrebeisentS,  (et)  puis  print  Tristan  congié9  (de  s'amye  la  royne  Iseult), 
et  se  '0  part  par  tel  convenant  que  oncques  puis  ne  s'entrevirent  en  vie. 

66.  Quant  Tristan  ot  '  '  prins  congic'^d'lseult,  si  s'en  vint' 3  a  la  mer  et  trouva 
ung  marchant  de  Karahes  qui  le  congnoissoit  et  moult  l'amoit,  si  le  mist 

67.  en  sa  nef.  Puis  singlerentu  et  nagèrent  tant  qu'ils  arrivèrent 'S  au  port  de 

68.  Karahès.  Moult  fist  l'en  a  Tristan  grant  feste,  car  ses  gens  le  cuiderent  bien 

69.  avoir  perdu.  A  l'andemainiô  par  matin  (quant  il  fu  jour)  comptèrent  les 
espies  aux  chambelans  que  17  c'estoit  Tristan  qui  (fol  se  faisoit)'^  et  qu'il 

70.  avoitlanuit  '9  geu  ^oavec  la  royne  (Iseult).  «  Ha!  Dieu,  font  ils^i,  se  le  roy 
Marc  (nostre  seingneur)  le  sceit-^-,  il  nous  destruira  et  mettra  (tous)  a  mort 

71 .  pour  ce  que  nous  ne  l'avons  pris  -5  et  retenu  ;  or  n'y  a  fors  (d'une  chose) 
que  ceste  chose  soit  celée  et  que  monseingneurH  ne  le  sache  pas,  car  s'il  le 

72.  savoitS)  ilnousferoit2''tousoccire27(et  livrera  honte).  »  Ad^S  ces'acordent 
7  j .   tous  qu'iiz29  ne  lui  diront  pas,  ne  que  par  eulx  ne  seroit  accusé  5°.  (Mais  a 

tant  se  taist  le  compte  de  ceste  matière  et  de  la  royne  Iseult,  et  retourne  a 
parler  de  Tristan  et  de  Ruvalen  et  de  Gargeolain  s'amye.)' 

La  manière  dont  est  introduit  cet  épisode,  les  mots  «  et  commencent 
cy  endroit  les  soties  de  Tristan  «  (omis  dans  R),  suffiraient  à  éveiller  le 
soupçon  que  le  récit  de  la  folie  de  Tristan  a  été  interpolé.  Ce  récit,  de 
même  que  l'épisode  du  siège  de  Nantes  qui  le  précède,  interrompt  l'his- 
toire des  amours  de  Ruvalen  et  de  Gargeolain,  et  des  clefs  que  Tristan 
fit  faire  pour  que  Ruvalen  pût  pénétrer  chez  son  amie.  Ce  qui  complique 
la  question,  c'est  que  toute  la  fin  du  roman,  telle  qu'elle  est  dans  le  ms. 
1 G  5  et  dans  les  éditions  anciennes,  a  été  empruntée  par  la  source  commune 
de  ce  ms.  et  de  ces  éditions  à  un  poème  perdu  (voyez  le  travail  de 
M.  Bédier)  et  n'appartient  pas  en  réalité  au  roman  en  prose,  dont  aucun 
autre  manuscrit  ne  le  présente.  Dans  cette  fin  étrangère  l'épisode  de  la 
folie  de  Tristan  forme  à  son  tour  une  interpolation;  mais  il  ne  faut  pas 
croire  que  cette  interpolation  ne  date  que  du  xv^  siècle,  époque  de  l'ori- 
gine du  ms.  103.  Nous  trouvons  dans  le  Tristan  d'Eilhart  d'  Oberg,  du 


R  :  I  soyons  —  2  ensemble  —  3  sera  —  4  sachez  —  5  meur  —  6  et  —  7 
se  sont  ils  accordez  —  8  s' entrebaisent  —  9  congé  —  i  o  s'en  —  i  ]  eut  —  12 
conee  —  1 3  vient  —  1 4  cinglèrent  —  1 5  arrivèrent  —  1 6  lendemain  —  ij  les 
espies  qui  en  la  chambre  de  la  royne  estaient  contèrent  aux  chamberlens  que  —  18 
ce  faisait  le  fol  —  \c)nuyt  —  20  jeu  —  21  Hz  —  22  scait  —  23  prins  —  24 
monseigneur  —  25  scait  —  26  fera  —  27  mourir  —  28  ^  —  29  Hz  —  30  le 
ms.  a  occise^  ce  qui  ne  donne  aucun  sens.  R:  accuse. 

I.  On  voit  que  la  première  édition  de  1489  s'accorde  fort  bien  avec  le  ms. 
103  ;  les  omissions  ne  servent  qu'à  abréger  le  texte. 


526  W.    LUTOSLAWSKl 

xii«  siècle,  la  même  interpolation.  En  voici  la  traduction  '  d'après  l'édi- 
tion de  Lichtenstein  (Strasbourg,  1878)  : 

R  5,  47.  Vers  8646.  Après  sa  guérison,  quand  il  put  aller  à  pied  et  à  che- 
val, Tristrant  était  devenu  tout  autre  qu'il  ne  l'était  auparavant  :  il 
avait  changé  son  teint  et  personne  ne  l'aurait  reconnu  à  son  visage, 

R  2.  si  l'on  n'avait  su  qu'il  était  Tristrant  2.  Avec  lui  était  venu  de  son 

pays  un  enfant,  qui  était  le  fils  de  sa  sœur  :  il  l'aimait  beaucoup,  et 
avec  raison.  Un  jour  il  était  allé  à  la  chasse  avec  son  neveu,  et  ils 
arrivèrent  à  la  mer  :  on  ne  voyait  pas  la  terre  de  Cornouaille.  Alors 

R  3,  4.  Tristan  dit  tout  bas  :  «  Hélas!  reine  bien  aimée,  je  ne  te  reverrai 
donc  jamais!  Comment  cela   pourrait-il  arriver.?  »   Son   neveu,   qu; 

R  ^.  l'entendit,  lui  répondit  :  n  Mon  oncle,  j'entends  merveille;  pourquo 

ne  pourrais-tu  pas  la  voir?  —  Non,  cela  ne  se  peut  pas.  —  Cela  se 
peut  bien!  —  C'est  impossible.  —  Pourquoi.?  —  Quand  je  l'ai  vue 
la  dernière  fois,  on  m'a  découvert,  et  je  n'aurais  pu  m'enfuir,  si  je 
n'avais  eu  beaucoup  de  chance.  Un  ami  5  m'a  caché,  et  il  m'aida  à 
partir;  nous  partîmes  comme  deux  garçons 4  et  nous  avons  réussi 
avec  peine  à  nous  sauver.  Une  autre  fois  S  on  m'avait  reconnu  aussi, 
et  je  parvins  à  peine  à  échapper  à  la  mort;  j'étais  déguisé  en  pèlerin; 
maintenant  je  ne  puis  plus  le  faire  :  leur  attention  est  éveillée,  et  je 
n'ose  plus  aller,  hélas!  où  je  pourrais  la  voir.  Que  ne  donnerais-je 
pas  pour  avoir  Kurneval  ici.?   II  me  donnerait  le  moyen  d'y  arriver 

R  5.  sans  que  personne  le  sache.  II   connaît  beaucoup  de  ruses.  —  Mon 

oncle,  dit  le  neveu,  tu  ne  pourras  jamais  la  voir  à  ta  volonté  mieux 
que  maintenant.  —  Comment  donc?  —  Tu  es  bien  autre  qu'avant  la 
maladie;  tes  cheveux  sont  tondus,  et  quelqu'un  qui  t'aurait  reconnu 
auparavant  ne  saura  pas  maintenant  qui  tu  es,  s'il  n'apprend  ton 
nom.  Tu  devrais  aller  tout  seul  par  ta  ruse  :  mets  un  manteau  avec 
un  capuchon  6,  prends  l'allure  d'un  fou,  alors  les  gardiens  croiront 
que  tu  es  vraiment  fou.  » 

E  8710.  Le  très  vaillant  Tristan  se  mit  à  rire  et  baisa  très  affectueusement 
l'enfant  :  «  Dieu  te  récompense,  dit-il,  mon  cher  neveu!  Je  te  serai 


1.  Les  numéros  en  marge  se  rapportent  à  R,  et  désignent  les  points  com- 
muns à  Eilhart  et  à  R.  Dans  ce  qui  suit,  Eilhart  sera  désigné  par  E,  et  le  ro- 
man en  prose  allemande,  qui  en  est  dérivé,  par  L.  Pour  ce  dernier,  j'ai  em- 
ployé le  rajeunissement  de  Bùsching  et  Von  der  Hagen,  dans  leur  Buch  dcr 
Licbe.  Berlin,  1809;  vol.  I,  p.  i2-j-[]2,  et  l'édition  de  Fr.  Pfaff,  Tristrant 
und  Isalde,  Prosaroman  des  xv  Jahrhundcrts,  Tùbingcn,  1881,  p.  182-190. 

2.  L  :  Tristrant^  E  a  généralement  Trlstranl,  quelquefois  Tristrand. 

3.  Allusion  aux  vers  E  8238  sqq.,  l'ami  était  Dinas. 

4.  Allusion  aux  vers  E  7755  sqq.,  il  fut  reconnu  par  un  chevalier  qui  lui 
demanda  de  faire  un  saut,  de  lancer  une  pierre  et  de  tirer  une  flèche.  La  même 
allusion  se  trouve  B  184. 

5.  Avec  Kurneval.  E  garzuns,  L  gartz. 

6.  E  kogilroc,  L  narrcn  jugel. 


LES    FOLIES    DE   TRISTAN  ^7 

R  7.  toujours  reconnaissant  du  conseil  que  tu   m'as  donné.  »  Alors  Tris- 

R  8,  9.      trant  s'en  aia  bientôt,  prit  le  manteau',  et  partit  seul  sans  regret;  il 

R  10.  portait  une  grande  massue  et  vint  en  secret  à  tous  les  vaisseaux  qui 
étaient  arrivés  de  Kurnevales.  Ils  pouvaient  lui  être  utiles  pour  son 
voyage,  et  il  rôda  longtemps  aux  alentours,  jusqu'à  ce  qu'un  mar- 
chand, qui  était  de  TintanjoU,  l'eût  pris.  Celui-ci  croyait  que  Tris- 
trant  était  fou,  et  voulait  le  présenter  en  cadeau  à  son  roi  et  à  sa  reine. 
Je  le  dis  sans  mensonge,  Tristrant  en  était  bien  content.  Le  mar- 
chand le  prit  avec  lui  là  où  il  voulait  aller,  et  il  fit  comme  il  devait. 
Il  était  bien  content  du  fou.  Il  leva  l'ancre  des  sables  de  la  mer,  et  se 
dirigea  vers  la  terre.  Je  dis  la  vérité,  Tristrant  fit  si  bien  le  fou,  que 
tout  le  monde  dans  le  vaisseau  en  rit  beaucoup  en  le  regardant,  et 
ils  dirent  que  jamais  on  n'avait  vu  de  meilleur  fou.  On  lui  donna  du 
fromage?  pour  qu'il  le  mangeât  :  il  n'oublia  passa  dame  bien  aimée, 
et  il  mit  secrètement  le  fromage  dans  son  capuchon,  pour  l'apporter 

R  13.  à  la  reine,  et  mangea  ce  qu'il  put  avoir  d'autre.  Ils  vinrent  sans 
dommage  à  Tintanjol,  où  ils  trouvèrent  le  roi  Marc  à  cheval  sur  la 
plage.  Ils  ne  voulurent  pas  attendre,  et  lui  donnèrent  le  fou  aussitôt, 

R  17.  Il  avait  l'air  tellement  sot,  et  se  comportait  de  telle  manière,  qu'ils 
étaient  bien  sûrs  qu'il  était  fou.  On  le  tira  par  les  oreilles  et  on 
commença  a  s'amuser  de  lui:  il  supporta  beaucoup  de  choses  désa- 
gréables. 

Alors  Antred4  le  mauvais  duc,  qui  lui  avait  fait  beaucoup  de  mal 
auparavant  par  des  mensonges  et  des  vérités,  voulut  aussi  jouer  avec 
lui.  Le  fou  le  chassa  et  voulait  le  tuer  :  je  ne  m'en  plaindrais  pas  s'il 
l'avait  atteint  :  ses  mauvais  conseils  et  ses  ruses  si  fréquentes  auraient 
été  punis  sur-Ie  champ.  Il  eut  la  chance  de  s'enfuir,  et  d'emporter 

R  17.  son  corps  sain  et  sauf.  Le  roi  vient  à  la  cour,  le  fou  l'accompagne  de 
près,  et  porte  sa  massue  en  l'air,  en  faisant  diverses  folies.  Beaucoup 
de  chevaliers  le  suivaient  quand  il  arriva  devant  la  reine.  Elle  le  reçut 
comme  on  reçoit  un  fou.  Alors  il  s'arrêta  devant  elle,  et  voulut  qu'elle 
k  baisât.  La  reine  n'en  avait  pas  envie,  car  elle  ne  savait  pas  qui  il 

R  18.  était.  Le  fou  était  devant  elle  et  il  la  regardait  si  amoureusement  que 
le  roi  lui-même  dit  :  «  Eh!  bien,  fou,  laisse  donc  cela;  est-ce  que  tu 
dois  regarder  si  tendrement  ma  dame.?  —  Je  le  dois  et  je  le  puis.  — 
Pourquoi.''  —  Parce  qu'elle  doit  être  bien  disposée  envers  moi,  — 
Par  quelle  raison.?  —  Je  le  dirai.  —  Dis-le.  —  Elle  m'aime.  —  Tu 
plaisantes.  —  Sire,  non.  —  Tu  le  lais.  —  Non,  je  ne  le  fais  pas;  il 

R  21,  23.  arrivera  aisément  que  je  couche  avec  elle.  —  Avec  qui?  —  Avec  la 
reine.  —  Ma  dame?  —  Oui,  ta  femme.  —  Tais-toi,  fou;  laisse  ce 


1.  L  fit  faire  un  habit  de  fou. 

2.  L  Thyntarol. 

3.  L  du  fromage,  du  pain  et  autres  choses, 

4.  L  Auctrat. 


528  W.    LUTOSLAWSKl 

langage.  —  Je  ne  puis  pas  me  taire  d'elle.  —  Parie  donc  d'autres 
femmes.  —  Mais  je  ne  puis  pas  mentir.  —  Maintenant  tu  mens  ce- 
pendant. —  Ce  que  je  dis  est  la  vérité.  —  Elle  n'a  rien  à  craindre  de 
toi.  —  Je  ne  sais  pas  si  c'est  vrai.  —  Elle  peut  bien  se  passer  de  ton 
amour.  —  Elle  m'aime  pourtant  comme  son  propre  corps.  —  Com- 
ment une  femme  si  belle  pourrait-elle  faire  attention  à  un  fou  comme 

R  25.  toi?  —  Sire,  je  suis  un  bon  chevalier  et  j'ai  beaucoup  fait  pour  elle. 
—  Qu'est-ce  que  tu  as  fait.?  —  J'ai  accompli  maint  travail,  et  j'ai 
eu  beaucoup  de  joie  et  de  douleur  pour  elle.  Dois-je  te  dire  la  vé- 

R  21.  rite.?  C'est  par  elle  que  je  suis  devenu  fou.  Si  l'on  me  tire  ici  par  les 
oreilles,  je  le  supporte  tranquillement  à  cause  d'elle;  elle  m'est  chère 
comme  rien  au  monde,  et  si  vous  ne  voulez  pas  y  croire,  je  ne  souhaite 
pas  moins  à  personne  autant  de  bien  qu'à  elle.  «  Il  s'assit  devant  elle 
sur  le  tapis  et  la  regarda  dans  les  yeux.  Le'   roi  l'observait  et  n'en 

R  26.  détournait  pas  ses  regards;  il  devait'  toujours  le  regarder  ainsi,  car 
lui  et  les  autres  qui  le  voyaient  croyaient  que  c'était  un  fou  ■.  Mais  ' 
quelques  chevaliers  et  dames  sages  dirent,  tout  bas  entre  eux  et  non 
publiquement  :  «  Il  i  ne  parle  pas  comme  un  fou  :  cela  •  se  voit  clai- 
rement. —  Je  '  suis  plus  sage  que  vous  tous,  quoi  que  vous  en  disiez. 
Vous'  êtes  des  jaloux,  et  cela  '  vous  fait  de  la  peine  que  je  sois  si 
adroit  '  ;  voyez,  je  vous  montrerai  que  j'ai  pensé  avec  tous  mes  sens 
a  ma  dame,  puisque  je  lui  apporté  de  si  loin  parla  mer  ce  petit  sou- 
venir. »  Il  prit  le  fromage  de  son  capuchon  et  dit  en  le  montrant  : 
«  Ce'  serait  dommage  si  mon  travail  et  ma  peine  étaient  perdus.  » 
Il  dit  alors  à  la  reine  :  «  Prenez,  ma  chère  dame;  je  vous  dis  par  ma 
foi  que  si  vous  ne  m'étiez  pas  si  chère,  je  ne  vous  aurais  pas  apporté 

R  26.  ce  joyau.  »  Alors  ils  se  mirent  tou^  à  rire,  et  dirent  qu'il  était  bien 
sijrement  un  fou  et  un  sot.  Il  conduisit  jusqu'à  la  fin  un  discours 
sage,  et  puis  il  se  mit  à  le  détourner  de  telle  sorte  que  tous  auraient 
juré  que  dans  aucun  royaume  ils  n'avaient  vu  un  fou  plus  sot  et  plus 
divertissant. 

Quand  le  roi  fut  sorti,  le  fou  se  comporta  de  telle  manière  qu'on 
ne  le  chassa  point,  et  il  en  était  bien  content,  car  il  ne  trouvait  pas 
le  temps  long.  Il  rompit  sur  ses  genoux  le  fromage  qu'il  avait  ap- 
porté, et  qu'il  avait  tenu  sept  jours  dans  son  capuchon.  Il  pria  la 
reine  Isalde  de  manger  avec  lui.  Malgré  ses  prières,  elle  n'en  voulut 
rien  faire.  Alors  le  fou  Tristant  prit  un  peu  de  fromage  et  le  mit  à 

R  28.  la  bouche  de  sa  dame.  Elle  le  frappa  légèrement  à  l'oreille.  «  Ma 
dame,  dit-il,  vous  me  frappez  trop  fort  ;  si  vous  saviez  qui  je  suis, 

R  29.  vous  ne  me  battriez  pas  ainsi.  Si  Tristant  vous  est  cher,  vous  ne  de- 
vez pas  me  battre.  •  La  dame  lui  demanda  aussitôt  ce  qu'il  savait 
de  Tristant.  Le  fou  lui  dit  alors  avec  ruse  beaucoup  de  choses  qui 


Cette  phrase  manque  dans  L. 


LES    FOLIES    DE   TRISTAN  529 

R  59.         lui  étaient  arrivées  avec  elle,  et  il  lui  fit  voir  un  anneau  qu'elle  lui 

R  57.         avait  donné  elle-même.   Alors  dit  le  vaillant  chevalier  :  «  Dame,  je 

R  41).         suis  Tristant.  i  Elle  le  reconnut  aussitôt,  et  en  fut  bien  contente. 

R  49.  Elle  commanda  qu'il  fût  bien  hébergé,  et  lui  fit  mettre  un  bon  lit 
sous  l'escalier  dans  sa  chambre.  11  en  était  bien  content.  Alors  il  eut 

R  50,  51.  beaucoup  de  joie  :  le  jour  il  était  fou  et  la  nuit  il  avait  tout  son  bon 
sens,  et  il  allait  souvent  chez  sa  dame,-  tôt  et  tard.  Il  le  faisait  si 
adroitement  que  personne  ne  le  savait;  il  parvint  à  force  de  ruse  à 
faire  sa  volonté  secrètement  avec  la  dame.  Ainsi  passèrent  trois  se- 
maines depuis  qu'il  était  venu. 

R  H'S^.  C'est  alors  que  deux  chambellans  remarquèrent  les  amours  de  l'im- 
posteur avec  la  reine.  Ils  le  dirent  en  secret  à  trois  de  leurs  compa- 
gnons, qui  devaient   les  aider  à  le  surprendre.  Ils  vinrent  le  même 

R  52.  soir  dans  la  chambre,  le  roi  étant  absent.  Un  d'eux  se  plaça  près  du 
lit  de  la  reine,  deux  étaient  devant  et  deux  derrière  la  porte,  pour 
garder  les  issues.  Ils  voulaient  tuer  ou  prendre  le  héros  quand  il  sor- 

R  71,  64.  tirait.  Tristrant,  le  vaillant  chevalier,  aperçut  les  gardiens;  il  prit  sa 
massue  à  la  main  et  alla  chez  la  dame;  nulles  menaces  n'auraient  pu 
le  retenir,  car  elle  l'aimait,  et  il  l'aimait  au-dessus  de  tout  au  monde. 
Les  gardiens  perdirent  leur  courage  et  ils  n'osèrent  pas  l'attaquer.  Il 
vint  à  la  dame  et  l'embrassa  amoureusement  et  dit  avec  tristesse  : 

R  63.  a  II  faut  nous  séparer,  c'est  tout  ce  qu'il  y  a  de  mieux  à  faire,  parce 
qu'on  m'a  remarqué,  et  maintenant  je  ne  pourrai  plus,  hélas!  venir 
là  où  je  vous  pourrais  voir;  j'en  suis  bien  chagriné.  Si  je  savais  ce 
que  je  pourrais  faire  M  Soyez-moi  fidèle,  et  moi  je  le  serai  aussi.  Sj 
un  messager  vous  apporte  cet  anneau,   faites  secrètement  ce  que  je 

R  65.  vous  manderai.  Dieu  maudisse  ceux  qui  nous  séparent  si  tôt.  —  Et  le 
diable  les  prenne  aussi!  »  dit  la  dame,  et  elle  pleura  beaucoup. 
Tristan  partit,  et  il  portait  sa  massue  en  l'air,  comme  s'il  voulait 
tuer  ceux  qui  l'avaient  attendu  pour  le  prendre.  Ils  eurent  grande 
peur  quand  ils  le  virent  si  courageux,  et  ils  n'osèrent  pas  l'attaquer. 
Quand  il  fut  loin,  ceux  qui  étaient  à  l'intérieur  commencèrent  à  blâ- 
mer les  gardiens  de  dehors  de  ce  qu'il  leur  était  échappé  sans  avoir 
été  tué  ni  pris;  tous  en  avaient  grande  honte;  chacun  d'eux  l'impu- 
tait aux  autres  et  ils  s'accusaient  mutuellement  :  «  Si  tu  l'avais  at- 
taqué, je  ne  t'aurais  pas  fait  défaut!  — Ni  moi  non  plus,  vraiment.  s> 
Ils  regrettèrent  beaucoup  de  ne  pas  l'avoir  arrêté,  et  ils  le  suivirent 
en  voulant  l'attraper;  mais  quand  ils  le  virent,  il  leur  parut  si  ter- 
rible qu'ils  perdirent  de  nouveau  leur  courage.  Tristan  arriva  chez 
lui  sans  dommage,  et  aucun  des  gardiens  n'osa  dire  ce  qui  était 
arrivé. 


I.  L  Si  je  savais  ce  que  je  pourrais  faire  peur  votre  plaisir,  rien  ne  me  serai 
trop  grand  ni  trop  diificile,  je  ferais  tout. 

Romania,  XV  34 


5  50  W.    LUTOSLAWSKI 

On  voit  que  le  récit  du  xii"  siècle  a  avec  celui  du  xv"  de  grandes  res- 
semblances. Surtout  le  manque  du  rôle  de  Camille  (correspondant  à 
Brengien  dans  B  et  D)  dans  la  plus  ancienne  de  ces  versions  confirme  la 
supposition,  exprimée  plus  haut,  que  le  développement  de  ce  rôle  est  une 
formation  postérieure.  Les  autres  différences  entre  E  et  R  s'expliquent 
par  la  différence  de  l'âge  de  ces  deux  récits  et  par  la  différence  de  la 
nationalité  des  auteurs.  Afm  qu'on  puisse  juger  de  la  quantité  de  points 
communs  à  E  et  R,  en  voici  l'énumération  : 

1 .  Au  commencement,  Tristan  est  convalescent  d'une  blessure  qu'il 
a  reçue  au  siège  d'une  tour;  il  est  chez  lui. 

2 .  Son  aspect  est  changé  par  la  maladie,  ses  cheveux  sont  tondus. 

3 .  Il  est  au  bord  de  la  mer,  avec  son  neveu. 

4.  Il  exprime  sa  douleur  de  ne  jamais  pouvoir  revoir  Iseut. 

5 .  Son  neveu  lui  dit  que  jamais  il  ne  la  pourrait  mieux  voir  que 
maintenant,  et  il  lui  conseille  de  faire  k  fou. 

0.  Tristan  se  déguise  et  part  bientôt.  Il  porte  une  massue. 

7.  Il  vient  au  port,  où  il  trouve  un  vaisseau  appartenant  à  un  mar- 
chand de  Tintajol.,  qui  voulait  retourner  dans  son  pays.  Il  s'embarque. 

8.  Le  vaisseau  arrive  à  Tintajol,  où  le  roi  Marc  se  promenait  au 
bord  de  la  mer.  Tristan  fait  le  fou  si  bien  qu'on  ne  le  reconnaît  pas. 

9.  Avec  le  roi.,  il  arrive  devant  la  reine;  son  amour  est  si  grand  qu'il 
éveille  l'attention  du  roi. 

10.  Tristan  dit  qu'il  couchera  avec  la  reine;  qu'il  est  devenu  fou  par 
elle;  qu'il  a  accompli  maint  travail  de  chevalier. 

1 1 .  Tristan  mange  un  fromage  qu'il  avait  apporté  avec  lui. 

12.  La  reine  le  frappe  avec  sa  main  (  les  motifs  de  ce  coup  dif- 
fèrent dans  E  et  R) ,  et  il  la  prie  pour  l'amour  de  Tristan  de  ne  pas  le 
frapper. 

13.  Il  lui  montre  Vanneau  qu'elle  lui  avait  donné. 

14.  Il  se  nomme. 

1 5 .  Iseut  le  reconnaît. 

16.  Elle  fait  mettre  un  lit  pour  lui  sous  l'escalier. 

17.  Pendant  plusieurs  semaines  (E  trois  semaines,  R  neuf  semaines) 
il  reste  à  Tintajol  et  couche  souvent  avec  Iseut  pendant  ce  temps. 

18.  Pendant  une  absence  du  roi,  on  (E  deux  chambellans,  R  l'huis- 
sier) remarque  qu'il  couche  avec  la  reine.  Plusieurs  chambellans  forment 
le  projet  de  le  prendre. 

19.  Tristan,  sachant  qu'il  est  épié  (voir  le  renvoi  88  à  R  61),  va  dans 
la  chambre  de  la  reine  et  lui  dit  qu'il  faut  qu'il  parte,  parce  qu'il  a  été 
épié.  La  reine  pleure  beaucoup. 

20.  Les  deux  versions  E  et  R  contiennent  chacune  une  autre  allusion 


LES    FOLIES    DE    TRISTAN  H' 

à  la  fin  du  poème  ;  dans  E  allusion  au  dernier  message  de  Tristan  à 
Iseut,  dans  R  allusion  à  la  voile  blanche  ou  noire  qui  devait  signifier  la 
vie  ou  la  mort  pour  l'un  des  amants. 

2 1  .   Tristan  part,  et  les  espions  n'osent  l'attaquer. 

22.  Les  espions,  ayant  honte  de  l'avoir  laissé  s'échapper,  et  craignant 
que  le  roi  Marc  ne  les  punisse  s'il  apprend  que  le  fou  était  Tristan,  con- 
viennent de  tenir  l'aventure  secrète. 

Le  point  20  paraît  confirmer  l'opinion  que  la  folie  de  Tristan  a  été 
interpolée  dans  l'ensemble  du  roman.  Les  autres  2  1  points  nécessitent  la 
supposition  d'une  source  commune,  Y,  de  laquelle  serait  dérivé  le  poème 
d'Eilhart  et  le  roman  en  prose  française. 

Quant  au  rapport  de  Y  et  de  X  (la  source  de  B  et  de  D',  il  serait  dif- 
ficile de  les  faire  dériver  l'un  de  l'autre;  leur  source  peut  être  une  com- 
mune tradition  ou  bien  un  petit  lai,  Z,  contenant  la  simple  indication 
d'un  travestissement  en  fou  de  Tristan,  à  l'aide  duquel  il  aurait  réussi  à 
pénétrer  auprès  de  la  reine.  Ce  lai,  s'il  a  existé,  serait  bien  ancien,  et 
remonterait  au  moins  à  la  première  moitié  du  xii''  siècle.  X  y  aurait 
ajouté  les  allusions  au  passé  faites  par  Tristan  en  présence  du  roi,  le  rôle 
de  Brengien  et  l'épisode  de  Husdent;  Y  aurait  introduit  l'épisode  du 
fromage,  la  scène  où  Iseut  frappe  Tristan  et  où  celui-ci  la  prie  au  nom  de 
Tristan  de  ne  plus  le  faire,  le  lit  sous  l'escalier  et  la  scène  des  espions. 

Nous  possédons  encore  deux  versions  de  la  folie  de  Tristan  :  dans  la 
suite  du  poème  de  Gottfried  par  Ulrich  de  Tùrheim  et  dans  la  suite  du 
même  poème  par  Heinrich  de  F'reiberg',  de  1240  et  de  1500  envi- 
ron. Voici  le  résumé 2  du  récit  d'Ulrich,  v.  2471-2482  : 

Isolt  fait  dire  à  Tristan.,  qui  est  chez  Tinas.,  son  ami,  qu'il  vienne  chez  elle  dé- 
guisé en  fou,  et  il  suit  ce  conseil.  Dans  le  capuchon  de  son  manteau  gris  il  avait 
deux  fromages,  et  il  portait  une  massue.  Il  vient  chez  la  reine,  lui  parle  fami- 
lièrement, et  lui  jette  un  morceau  de  fromage.  Isolt  dit  à  Marke  d'éloigner  le  fou; 
personne  n'ose  le  toucher.  Antred  l'approche  et  reçoit  un  coup  qui  lui  fait  perdre 
connaissance ,  Tout  le  monde  s'enfuit,  même  le  roi.  Le  fou  se  promène  sans  empê- 
chement. Le  nain  Melot.,  qui  l'avait  dénoncé  auparavant,  était  là;  Tristan  le  prend 
par  les  pieds  et  le  porte  ainsi  dans  la  cour;  personne  ne  peut  délivrer  le  nain.  Quand 
la  reine  est  venue,  il  le  laisse.  A  la  table  du  roi  il  prend  les  mets  qui  lui  plaisent.  Le 
soir,  il  se  met  devant  la  porte  de  la  chambre  d'Isolt  et  fait  semblant  de  dormir; 
//  se  fait  connaître  à  Brangaene.  Quand  Marke  et  Isolt  viennent,  il  chante  comme 


1.  On  trouve  ces  deux  poèmes  dans  l'édition  des  œuvres  de  Gottfried  de 
Strasbourg,  par  F.  H.  von  der  Hagen,  Breslau,  1823. 

2.  Ce  sommaire  est  traduit  du  sommaire  de  R.  Bechstein,  dans  son  édition  de 
Tristan  (Leipzig,  1875),  vol.  II,  p.  308;  ce  qui  diffère  d'E  est  en  italique. 


5  52  W.    LUTOSLAWSKI 

un  fou,  ensuite  il  s'élance  furieusement  et  chasse  tout  le  monde,  même  le  roi;  il  bal 
Melot  et  lui  crevé  un  œil.  Isolt  en  était  contente,  le  roi  était  fâché. 

Le  lendemain,  le  roi  alla  chasser  pour  quinze  jours.  Le  fou  Tristan  pouvait 
aisément  avoir  Isolt.  Le  jour  il  fait  le  fou,  la  nuit  il  est  avec  la  reine.  Un  matin 
Antred  les  surprit,  et  il  s'écria  :  «  Tristan  est  chez  la  reine!  »  Tristan  s'éloigne, 
obéissant  au  commandement  d'Isolt,  et  parvient  à  se  frayer  une  route  avec  sa  mas- 
sue. Dans  la  forêt  il  rencontre  le  roi,  qui  n'avait  pas  encore  appris  l'aventure,  et  il 
h  chasse  avec  sa  massue.  Près  d'une  rivière  il  trouve  une  barque  et  traverse  l'eau. 
Pleherin  '  l'avait  suivi  et  il  l'invite  pour  l'amour  de  la  reine  à  s'arrêter.  Il  obéit  et 
tue  Pleherin  avec  sa  massue.  Il  traverse  l'eau  de  nouveau,  échappe  au  roi  qui  le 
poursuit,  et  s'embarque  sur  la  mer.  Marke  regrette  la  mort  de  Pleherin;  il  vou- 
drait enterrer  Isolt  avec  lui,  mais  ses  barons  lui  conseillent  d'apaiser  sa  collre,  car 
Antred  étant  l'ennemi  de  la  reine,  il  l'a  certainement  calomniée. 

Le  récit  de  Heinrich  de  Freiberg  est  beaucoup  plus  long  :  en  le  lisant 
on  voit  aisément  que  la  fantaisie  du  poète  est  assez  libre  pour  qu'on 
puisse  supposer  qu'il  a  fait  subir  certains  changements  à  sa  source.  En 
voici  le  contenu  *  : 

V.  5055.  Tristan  est  malade  à  Litan,  ch:z  Dinas.  Isolt  lui  envoie,  par  Paranis 
et  Tantrisel,  une  médecine  qui  le  guérit.  Tristan  soupire  après  Isolt;  Tantriscl  lu' 
dit  qu'il  pourrait  la  voir  mieux  que  jamais.  Tristan  lui  répond  qu'il  juge  comme 
un  enfantde  choses  qu'il  ne  peut  apprécier.  Tantrisel  lui  décrit  l'aspect  qu'il  a, 
et  lui  donne  le  conseil  de  se  travestir  en  fou,  et  de  parvenir  ainsi  jusqu'à  la 
reine.  Tristan  le  loue  de  son  bon  conseil,  prend  un  manteau  avec  un  capuchon, 
dans  lequel  il  met  du  fromage.  En  arrivant  à  la  cour  du  roi,  il  adresse  à  la  reine 
les  mots  (5173)  :  «  sit  iu  diu  kuneginne,  so  gebet  mir  iuwere  minne  »,  et  parle 
ensuite  comme  un  fou;  il  jette  un  peu  de  fromage  à  la  bouche  de  la  reine  (^200), 
Marke  lui  tire  les  oreilles.,  et  il  veut  le  frapper  avec  sa  massue  :  c'est  Antret  qui 
reçoit  le  coup  et  tombe  évanoui.  Tantrisel  arrive  et  dit  à  la  reine  que  le  fou  est 
Tristan.  Le  lendemain,  le  roi  va  chasser  pour  huit  jours  et  recommande  le  fou  à 
la  reine.  Tristan  se  nomme  Peilnetosi,  et  Isot  comprend  que  cela  veut  dire  Isotenliep 
(a  cher  à  Isot  »,  en  lisant  à  rebours).  Le  soir  il  se  couche  près  de  la  chambre 
d'Isot.  Celle-ci  dit  à  Brangane  de  l'amener.  Brangane  en  étant  tout  étonnée,  Isot  lui 
dit  que  le  fou  est  Tristan.  Brangane  l'amené  dans  la  chambre  d'Isot,  et  elle  se  retire. 
Le  matin  Isot  l'éveille,  et  il  sort  pour  se  mettre  de  nouveau  sur  son  lit.  Pfi- 
hrin  annonce  à  la  reine  l'arrivée  du  roi.  Les  amants  doivent  se  séparer  ;  en  partant 
Tristan  fait  un  saut  si  extraordinaire  que  Pfelerin,  étonné,  demande  son  nom.  Quand 
'/  a  entendu  le  nom  de  Peilnetosi,  il  comprend  que  c'est  Tristan.  Il  le  poursuit,  le 


1 .  E  684^  sqq.  (pas  dans  la  folie  de  Tristan)  raconte  aussi  que  Pleherin  avait 
poursuivi  Peronis,  qu'il  prenait  pour  Tristan,  et  l'avait  invité  au  nom  d'Isolt  à 
s'arrêter,  mais  en  vain.  II  s'en  vanta  devant  Isolt  et  la  mit  ainsi  en  colère 
contreTristan.  C'est  bien  différent! 

2.  D'après  l'édition  de  Von  der  Hagen,  t.  II,  p.  74  sqq.  Dans  ce  qui  suit, 
Heinrich  von  Freiberg  sera  désigné  par  H  et  Ulrich  par  U. 


LES    FOLIES    DE    TRISTAN  5  ^^ 

rejoint  et  lui  dit  de  s'arriter  pour  l'amour  de  la  reine.  Tristan  s'arrête,  combat  avec 
Pjekrin  et  le  tue.  Le  roi  qui  survient  demande  qui  a  tue  Pfchrin.  Tantrisel  lui  répond 
que  c'est  le  fou.  Le  roi  Marc  devine  que  c'est  Tristan,  et  ordonne  qu'on  le  poursuive. 
Il  échappe  et  revient  à  Lilan  chez  Tinas.  Le  roi  Marc  cesse  de  soupçonner  son  neveu 
(5718)- 

Tout  ce  qui  est  souligné  manque  dans  Eilhart  ;  on  voit  donc  que 
Heinrich  de  Freiberg  et  Ulrich  de  Tùrheim  ont  dû  se  servir  de  sources 
autres  que  le  poème  d'Eilhart  '  pour  la  folie  de  Tristan.  Des  points  com- 
muns à  E  et  R,  énumérés  plus  haut,  les  numéros  i,  3,7,  8,  10,  12,  13, 
14,  15,  16,  19,  20,  21,  22  manquent  dans  H  aussi  bien  que  dans  U. 
Quant  au  rapport  de  ces  derniers,  les  différences  dans  les  rôles  de  Tan- 
trisel, d'Antret,  de  Brangane  nous  empêchent  de  croire  que  H  ait  tra- 
vaillé d'après  U;  mais  les  nombreux  points  communs  à  ces  deux  poètes 
nous  forcent  à  admettre  qu'ils  remontent  tous  les  deux  à  la  même  source 
française*,  que  nous  nommerons  W.  Ce  poème  W  devait  remonter  à  Z 
comme  X  et  Y  :  il  différait  de  ces  derniers  en  ce  qu'au  commencement 
Tristan  n'est  pas  dans  son  pays  ;  qu'il  ne  traverse  pas  la  mer  pour  ar- 
river en  Cornouaille  ;  qu'Isolt  sait  avant  qu'il  soit  seul  avec  elle  qui  il 
est;  qu'il  tue  Pleherin,  et  que  le  roi  Marc  apprend  sa  présence  et  le 
poursuit.  Le  fait  que  H  et  U  introduisent  la  folie  de  Tristan  à  un  autre 
endroit  du  poème  que  E  et  R  est  une  nouvelle  preuve  de  l'indépendance 
primitive  de  cet  épisode. 

Voici  le  rapport  des  six  versions  connues  jusqu'à  ce  jour  de  la  folie 
de  Tristan  ;  la  découverte  de  nouvelles  versions  pourrait  modifier  ces 
conclusions  '  : 


Z' 
1 

1 

X* 

1 

1 
R 

1 
Y* 

1 

1 

W* 

1 

1      1 

B          D 

1 
E 

1           1 
H         U 

W.   LUTOSLAWSKI. 


1 .  Certaines  ressemblances  pourraient  cependant  être  attribuées  à  une  influence 
secondaire  d'Eilhart  sur  Ulrich,  qui  écrivait  soixante  ans  après  lui,  et  sur  Hein- 
rich, qui  écrivait  cent  vingt  ans  après  Eilhart.  et  qui  probablement  l'a  connu. 

2.  On  trouve  des  mots  français  dans  H. 

3.  Les  astérisques  désignent  les  formes  perdues,  sources  de  celles  qui  nous 
restent. 


LES  ALLUSIONS 

A   LA 

LÉGENDE    DE   TRISTAN 

DANS    LA    LITTÉRATURE    DU    MOYEN    AGE 


Les  amours  de  Tristan  et  d'Iseut  sont  une  des  traditions  poétiques 
qui  ont  le  plus  charmé,  le  plus  frappé  les  esprits  au  moyen  âge.  A  côté 
des  poèmes  de  Béroul  et  de  Thomas  ',  qui  traitent  ce  sujet  celtique  dans 
son  entier,  les  nombreuses  allusions  à  ces  amours  et  à  leurs  péripéties 
dont  sont  parsemés  les  écrits  des  poètes,  soit  provençaux,  soit  français, 
soit  même  étrangers,  entre  le  xii^  et  le  xv*  siècle,  et  aussi  certains  pe- 
tits poèmes  épisodiques  qui  se  rattachent  à  cette  même  légende,  nous 
sont  une  preuve  précieuse  de  la  connaissance  profonde  que  chacun  en 
avait  et  de  l'intérêt  que  les  lecteurs  de  ce  temps  prenaient  à  son  sou- 
venir. Non  moins  utile  d'ailleurs  est  l'étude  de  ces  allusions  et  de  ces 
poèmes  épisodiques  par  les  éléments  qu'elle  peut  apporter  à  l'histoire 
de  la  formation  et  du  développement  de  la  légende.  Si  beaucoup  de  ces 
allusions  en  effet  peuvent  se  rattacher  directement  à  des  traits  renfermés 
dans  les  fragments  de  Béroul  et  de  Thomas,  il  en  est  certaines  aussi  qui, 
se  rapportant  à  des  incidents  compris  dans  les  traductions  des  poèmes 
anglo-normands,  corroborent  le  témoignage  de  ces  dernières  et  peuvent 
être  d'une  grande  utilité  pour  la  reconstitution  du  texte  mutilé  de  nos 
poètes;  enfin  il  en  est  d'autres  qui  sont  complètement  indépendantes  et 
des  poèmes  de  Béroul  et  Thomas  et  de  leurs  traductions,  qui  se  pré- 
sentent avec  un  caractère  tout  à  fait  particulier  et  à  ce  titre  méritent 
notre  attention. 


I.  Ces  poèmes  ont  été  publiés  par  Fr.  Michel,  Tristan,  recueil  de  ce  qui  reste 
des  poèmes  reiaiifs  à  ses  aventures,  composés  en  français,  en  anglo-normand  et  en 
grec  dans  les  xii«  et  xiiie  siècles.  Londres,  I  et  II,  1835;  III,  1839. 


LES   ALLUSIONS    A    LA    LÉGENDE    DE    TRISTAN  555 

Les  allusions  les  plus  nombreuses  sont  naturellement  celles  qui  ont 
trait  à  l'amour  de  Tristan  et  d'Iseut  considéré  en  lui-même  et  indépen- 
damment des  circonstances  où  cet  amour  s'est  manifesté.  Dans  une  pièce 
qui  remonte  à  1 1 54,  —  cette  allusion,  si  elle  n'est  pas  la  plus  ancienne 
des  allusions  provençales,  est  du  moins  parmi  les  plus  anciennes  celle  à 
laquelle  on  peut  assigner  une  date  certaine,  —  Bernart  de  Ventadour 
nous  dit  que  ses  peines  d'amour  sont  plus  cruelles  que  celles  dont  souf- 
frit Tristan  : 

Tan  trac  pena  d'amor 

Qu'a  Tristan  l'amador 

Non  avenc  tan  de  dolor 

Per  Yzeut  la  blonda'. 

A  la  suite  de  Bernart  de  Ventadour,  nombre  de  troubadours  proposent 
Tristan  et  Iseut  comme  les  types  de  parfaits  amants,  comme  des  modèles 
de  constance  et  de  fidélité.  Arnaut  de  Mareuil  dit  à  sa  dame  qu'Iseut 
n'éprouva  jamais  auprès  de  Tristan  la  joie  qu'il  ressent  auprès  d'elle  : 

E  Rodocesta  ni  Biblis 
Blancaflors  ni  Semiramis 
Tibes  ni  Leida  ni  Elena 
Ni  Antigona  ni  Esmena 
Ni!  bel'  Yseus  ab  lo  pel  bloi 
Non  agro  la  meitat  de  joi 
Ni  d'ajegrier  ab  lor  amis 
Corn  eu  ab  vos,  so  m'es  avis^. 

De  même  Folquet  de  Marseille  : 

Qu'eu  sui  garenz  plus  vos  am  sens  enjan 
Non  fes  Yseutz  son  bon  amie  Tristan^. 


Pons  de  Chapteuil  : 


Domna  genser  qu'ieu  sai 
Mais  vos  am  ses  bauzia 
No  fes  Tristans  s'amia 
Et  autre  pro  noi  ai  ''. 


1.  Ms.  de  la  Bibl.  Nat.,  fonds  fr.  856  fol.  50  ;  Bartsch,  C/^r^5^  pr.,  p.  63 . 

2.  Ms.  de  la  Bibl.  Nat.  22545,  fol.  134.  Bartsch,  Chrest.  pr.^p.  97. 

3.  Ms.  8h,  fol.  64. 

4.  Ms.  856, fol.  21  verso. 


5^6  L.    SUDRE 

Bem  deu  valer  s'ainors,  quar  fis  amans 
Li  sui  trop  mielhs  no  fo  d'Iseut  Tristans'. 

Aimeric  de  Pegulhan  : 

Nis  mes  Tristans  d'amor  en  tant  d'assai  2. 

Uc  de  La  Bacalaria  : 


Tristans  ni  Amelis 
No  foron  d'amor  tant  fis  ' 


Peire  Cardenal 


Etz  Tristans  fon  de  totz  les  amadors 
Le  plus  leals  e  fes  mai  d'ardimens '<. 

Chez  les  poètes  français,  les  allusions  aux  amours  de  Tristan  et  d'Iseut 
ne  sont  pas  moins  nombreuses,  et  là  aussi  elles  servent  généralement  de 
point  de  comparaison  avec  d'autres  attachements.  Il  en  est  déjà  question 
dans  Huon  de  Bordeaux  (fin  du  xii"  siècle)  :  Auberon  ayant  défendu  à 
Huon  de  toucher  à  la  belle  Esclarmonde,  ce  dernier  désobéit.  Aussitôt 
une  tempête  s'élève,  et  les  deux  amants  sont  jetés  dans  une  île.  Aux 
lamentations  d'Esclarmonde,  Huon  répond  : 

«   Dame,  dist  Hues,  or  laissiés  çou  ester; 
Foi  que  doi  vous,  n'i  valt  riens  dementer; 
Acolons  nous,  si  morrons  plus  soef. 
Tristrans  morut  por  bêle  Iseut  amer, 
Si  ferons  nous,  moi  et  vous,  en  non  Dés.  >> 

Dans  un  fableau  du  xiii*^  siècle  :  C'est  de  la  dame  cjui  aveine  demandoit 
pour  Morel  sa  provende  avoir,  il  est  dit  : 

Tristans  tant  corn  fu  en  cest  monde 
N'anma  autant  Ysout  la  blonde  6. 

Dans  la  Châtelaine  de  Vergi  : 


Je  cuidoie  que  plus  loiaus 

Me  fussiez,  se  Dieu  me  conseut, 

Que  ne  fust  Tristans  a  Yseut7. 


1.  Ibid.^  fol.  20  verso. 

2.  Birch-Hirschfeld,  Uekr  du  den  provcnzalischen   Troubadours  des   XII  und 
XIII  Jahrhunderts  bckannten  epischen  Stoffe.  Halle,  1878,  p.  40. 

5.  Ibid.^  p.  40. 
4.  Ibid.^  p.  59. 

$.  Huon  de  Bordeaux^  éd.  Guessard  et  Grandmaison,  v.  6806. 

6.  Montaiglon  et  Raynaud,  Recueil  des  fabliaux  des  xiii"  et  xiv«5.,  I,  p.  519. 

7.  Fabliaux  et  contes,  IV,  p.   519  20. 


LES    ALLUSIONS   A    LA    LÉGENDE    DE    TRISTAN  S^l 

Vénus,  dans  le  poème  de  la  Déesse  d\%mor,  présentant  un  amant,  ne 
trouve  rien  de  mieux  pour  faire  son  éloge  que  d'affirmer  qu'il  a  souffert 
plus  que  Tristan  : 

...  ne  sofFri  tant  Tristans 
...  [ne  t]ormens  ne  ahans  '. 

Thibaut,  comte  de  Champagne,  ne  manque  pas  de  se  comparer  à 
Tristan  : 

Douce  dame,  s'il  vos  plaisoit,  un  soir 
M'avriez  vous  plus  de  joie  donee 
Conques  Tristanz,  qui  en  fit  son  pooir, 
Ne  pot  avoir  tant  corne  il  ot  durée  8. 

de  même  : 

Car  quant  je  pens  a  son  très  doux  visage. 
De  mon  penser  aim  miex  la  compaignie 
Conques  Tristanz  ne  fist  Yseut  s'amie  5. 

Faisant  allusion  aux  amours  de  Thibaut  et  de  la  reine  Blanche  de 
Castille,  l'auteur  des  Chroniques  de  Saint-Magloire  s'exprime  ainsi  : 

Maintes  paroles  en  dist  an 
Comme  d'Iseut  et  de  Tristan 4. 

Enfin,  en  Italie  même^  nous  trouvons  une  allusion  fort  ancienne,  da- 
tant de  la  fin  du  xii*  siècle,  dans  le  poème  de  Henri  le  Pauvre,  curé  de 
Settimello,  qui  a  pour  titre  :  Elegia  de  dhersitaie  Fortunae  et  Philosophiae 
consolatione.  Il  y  compare  son  infortune  à  celle  de  Titye,  de  Tantale,  de 
Job  et  de  Tristan  : 

Quis  ille 
Tristanus  qui  me  tristia  plura  tulits? 

Le  plus  souvent,  nos  deux  amants  sont  cités  à  côté  des  plus  célèbres 
amants  de  l'antiquité  ou  du  moyen  âge.  Ainsi,  dans  les  vers  qui  pré- 
cèdent le  passage  de  Vénus  Déesse  d'Amor  que  nous  avons  cité  plus  haut, 


1.  Venus  la  Déesse  d'Amor,  p.  p.  Foerster,  Bonn,  i88o,  p.  302. 

2.  Poésies  du  roi  de  Navarre,  II,  p.  7. 
j.  Jbid.,  p.  144. 

4.  Fabliaux  et  contes,  II,  p.  224. 

5 .  Leyser,  Historia  poelarum  medii  acvi  dcccm  posl  annum  a  nato  Chrisio  CCCC 
seculorum.  Halae  Magd  ,  1721,  I,  p.  458,  v.  97.  Une  glose  reproduite  en  note 
à  propos  du  mot  de  Tristan  est  assez  curieuse.  Elle  porte  :  Tristumus  fuit  (jui- 
dani  miles  oui  multa  mala  suitinuit.  Voir  dans  Poeii  dcl  prim.  s.c,  I,  p.  143, 
249,  458  des  allusions  dans  des  poèmes  italiens  du  milieu  du  xiiie  siècle. 


558  L.    SUDRE 

le  nom  de  Tristan  est  accompagné  de  celui  de  Paris  et  d'Hélène;  de 
même  dans  Gautier  d'Aupais  : 

Ainsi  servi  Gautier  toute  une  quarantaine, 

E  soufri  tel  dolor  qu'ainz  Tristanz  si  grant  peine 

Ne  soufri  por  Yseut,  ne  Paris  por  Elaine^ 

Dans  VEmpereris  qui  garda  sa  chasteé^,  Tristan  et  Yseut  sont  com- 
parés à  Pirame  et  Tisbé  : 

Plus  vos  aim,  dame,  et  plus  i  bé 

Qiie  Piramus  n'ama  Tybé 

Ne  que  Tristan  Yseut  la  blonde; 

de  même  à  Erec  et  Enide  dans  un  poème  provençal  anonyme  cité  par 
Fauriel^  : 

Erecs  non  araet  Henida 
Tant  ni  Yseutz  Tristan 
Con  ieu  vos,  dona  grazida  ; 

à  Lancelot  et  Guenièvre  dans  Gower"*  : 

Ther  was  Tristram  which  was  byleved 
With  bêle  Isolde,  and  Lancelote 
Stode  with  Gunnor,  and  Galahote 
With  his  lady. 

Ce  même  Gower,  dans  une  de  ses  ballades  en  français,  s'exprime 
ainsi  au  sujet  de  Tristan  et  Lancelot  : 

Communes  sont  la  cronique  et  l'estoire 
De  Lancelot  et  Tristrans  ensement, 
Encore  maint  lour  sotie  en  mémoire 
Pour  ensampler  les  altres  du  présent  i. 

C'est  là,  on  le  voit,  une  critique  de  l'amour  de  Tristan  et  d'Iseut  et, 
ajoutons-le,  c'est  la  seule  que  l'on  rencontre  au  moyen  âge.  Il  est  vrai, 
comme  le  fait  remarquer  M.  Fr.  Michel,  que  Gower  avait  le  tour  d'es- 
prit fort  sentencieux,  qu'il  trouvait  partout  sujet  à  moraliser.  C'est  lui 
en  effet  qui  tire  de  l'histoire  du  philtre  amoureux  la  conclusion  tout  à 
fait  inattendue  qu'il  faut  se  garder  de  trop  boire  6. 


1.  Cité  par  Fr.  Michel,  I,  lxxxii. 

2.  Méon,  II,  p.  1 1 . 
j.  III,  p.  484. 

4.  Cité  par  Fr.  Michel,  I,  xxiv. 

^.  Voy.  Stengel,  John  Gowei's  MinncSiUig  uiui  Ehezuchtbiichlem,  p.  23. 

6.  I.,  p.  xcvii. 


LES   ALLUSIONS    A    LA    LÉGENDE    DE    TRISTAN  $  J9 

Tristan  est  encore  placé  en  qualité  d'amant  illustre  en  regard  du  châ- 
telain de  Coucy  et  de  Blondel  par  Eustache  le  Peintre  : 

Onques  Tristans  n'ama  de  tel  manière, 
Li  chasteiains  ne  Blondiaus  autressi, 
Comme  j'ai  fait,  très  douce  dame  chiere^. 

Enfin  Dante  donne  place  à  Tristan  parmi  les  amants  qu'il  décrit  fuyant 
à  travers  les  airs  comme  une  compagnie  de  cigognes  : 

Vidi  Paris,  Tristano,  et  più  di  mille 
Ombre  mostrommi  e  nominolle  a  dite 
Che  amer  di  nostra  vita  dispartille^. 

Bien  que  ces  comparaisons  entre  l'amour  de  Tristan  et  celui  d'un 
Lancelot,  d'un  châtelain  de  Couci,  d'un  Blondel,  aussi  bien  que  les  com- 
paraisons des  troubadours  et  des  trouvères  entre  eux-mêmes  et  notre 
héros  soient  assez  vagues  et  ne  tendent  guère  qu'à  faire  de  lui  un  type 
général  d'amant  fidèle  et  malheureux,  on  est  pourtant  obligé  de  convenir 
que  les  écrivains  qui  présentaient  ainsi  son  attachement  à  Iseut  comme 
un  modèle  inimitable,  comme  un  idéal,  méconnaissaient  le  caractère  assez 
primitif  et  presque  sauvage  de  cet  attachement  tel  que  nous  le  présentent 
Beroul  et  Thomas.  Chez  eux,  l'amour  de  Tristan  et  d'Iseut  n'a  rien  de 
commun  avec  l'amour  délicat  des  chevaliers  de  Provence  ni  avec  l'amour 
mystique  des  romans  de  la  Table  Ronde  et  de  la  société  qui  en  faisait 
ses  délices  :  il  n'a  rien  de  commun  surtout  avec  l'amour  de  Lancelot  et 
de  Guenièvre,  lequel  a  introduit  justement  dans  la  littérature  une  nou- 
velle conception  de  ce  sentiment.  En  un  mot,  toutes  ces  allusions,  ou 
presque  toutes,  semblent  dériver  de  la  transformation  opérée  par  Chré- 
tien de  Troyes^  ou  par  un  autre  dans  l'ancienne  tradition  des  amours 
de  Tristan  et  d'Iseut,  transformation  qui  fut  continuée  et  surtout  déve- 
loppée par  les  romans  en  prose  sur  ce  même  sujet. 

Mais  venons  aux  allusions  qui  sont  plus  en  rapport  avec  le  fond  de  la 
légende.  L'ouvrage  où  ces  allusions  sont  le  plus  nombreuses  est  le  Ro- 


1.  Chansons  du  Chat,  de  Coucy,  p.  loo. 

2.  Inf.,  V,  V.  67  sq. 

5.  Dans  le  roman  de  Tristan  qu'il  avait  composé  et  qui  est  malheureusement 
perdu.  Il  nous  apprend  lui-même  dans  les  premiers  vers  de  Clig'cs  qu'il  avait 
fait  une  œuvre  sur  le  sujet  de  Tristan  : 

Cil  qui  fist  d'Erec  et  d'Enidt 
Dou  roi  Marc  et  d'Iseut  la  Blonde. 


540  L.    SUDRE 

man  de  l'Escoafle,  du  xiii=  siècle.  La  description  d'une  coupe  où  sont  ci- 
selées les  amours  de  Tristan  et  d'Iseut  est  en  quelque  sorte  un  petit 
résumé  de  la  légende,  et  ce  passage  est  d'autant  plus  curieux  qu'il  nous 
présente  un  mélange  des  versions  de  Thomas  et  de  Béroul. 

La  première  partie  dérive  évidemment  de  la  même  source  que  les  épi- 
sodes qui  y  correspondent  dans  la  traduction  allemande  par  Eilhart  d'un 
poème  analogue  à  celui  de  Béroul  : 

Dedens  estoit  portrais  rois  Mars, 

Et  s'i  estoit  comment  l'aronde 

Li  aporta  d'Yseult  la  blonde 

Le  chevol  sor  par  la  fenestre 

Et  comment  Tristrans  en  dut  estre 

Ocis  en  Irlande  {éd.  Islande)  en  sa  terre 

El  la  nés  en  qui  l'ala  querre 

Estoit  portraite  en  cel  vaisseP. 

La  mention  du  cheveu  d'Iseut  apporté  par  une  hirondelle  au  roi  Marc 
est  ici  caractéristique.  Eilhart  seul  en  parle-,  tandis  que  dans  les  trois 
représentants  de  la  version  de  Thomas  c'est  par  la  bouche  de  Tristan 
que  Marc  apprend  la  beauté  d'Iseut. 

De  même  les  vers  qui  suivent  nous  ramènent  encore  à  la  version  de 
Béroul  : 

Defors,  enter  sur  le  noiel 
Estoit  entailliés  a  esmaus 
Tristans  et  maistre  Govrenaus 
E  Yseult  e  ses  chiens  Hudains, 
Comment  il  lor  prendoit  les  dains 
E  les  cers  sans  noise  et  sans  cris. 

Béroul  et  Eilhart  en  effet  font  seuls  figurer  Gouvernai  dans  cet  épi- 
sode ;  les  représentants  de  la  version  de  Thomas  n'en  parlent  pas,  sauf 
cependant  Gottfrid  de  Strasbourg  ^  qui  semble  avoir  emprunté  ce  trait  à 
Eilhart  \ 

Le  poète  passe  ensuite  à  l'épisode  de  la  surprise  des  deux  amants  par 
le  roi  dans  la  forêt  : 


1 .  Ce  passage  et   les  suivants   du   roman  de    VEscoufle  sont    cités  d'après 
Fr.  Michel,  t.  III,  xi-xv. 

2.  V.  1370-1418. 

5.  V.   16407-17710. 

4.  Velter,  La  Lé;;endc  de  Tristan  d'après  le  poème  français  de  Thomas  et  les 
versions  principales  (jui  s'y  rattachent.  Marburg,  1882,  p.  42. 


LES    ALLUSIONS    A    LA    LKGF.NDE    DE    TRISTAN  54 1 

Sor  le  covercle  estoit  li  lis 
Comment  il  jurent  en  la  roche 
Et  comment  li  brans  0  tout  l'oche 
Fu  trovés  entr'aus  deus  tos  nus. .  . 

La  roche  dont  il  est  question  ici,  et  qui  sert  de  demeure  aux  amants, 
ne  figure  pas  dans  Béroul  ;  nous  n'en  trouvons  trace  que  dans  la  ver- 
sion de  Thomas,  et  en  particulier  dans  le  Tristan  fou  du  ms.  Douce  : 

A  Ifa]  forest  puis  en  aiames. 
E  mult  bel  liu  fnus]  i  trovames  : 
En  une  roche  lu  cavee'. 

Quant  à  la  description  du  pumel  de  la  coupe,  elle  rappelle  un  épisode 
qu'il  est  plus  difficile  de  rattacher  à  l'une  ou  à  l'autre  version  : 

Sor  le  pumel  estoit  li  nains 
Comment  il  jut  sor  les  planciés, 
Et  comment  il  fu  engigniés, 
Et  comment  Yseult  l'aperçut, 
Et  comment  Tristrans  l'a  déçut, 
K.i  trop  sot  et  d'engien  et  d'art, 
Comment  il  ocist  maugremart(?i. 

Il  ne  peut  s'agir  ici  de  l'épisode  oh  le  nain  jette  de  la  farine  entre  les 
deux  lits  2;  car,  comme  on  peut  le  remarquer  par  ce  qui  précède,  l'au- 
teur du  roman  de  VEscoufle  semble  suivre  l'ordre  chronologique  des 
événements.  Or,  dans  les  deux  versions,  l'épisode  de  la  farine  est  anté- 
rieur à  celui  de  la  vie  des  amants  dans  la  forêt.  D'autre  part,  dans  le 
Roman  de  VEscoufle,  c'est  Iseut,  tandis  que  dans  Béroul  c'est  Tristan 
qui  aperçoit  le  nain.  De  même  si  l'on  se  reporte  au  fragment  de  Cam- 
bridge^, c'est  Tristan  qui  en  s'éveillant  se  voit  surpris  par  le  roi  et  le 
nain.  N'aurions-nous  pas  plutôt  affaire  ici  à  une  scène  analogue  à  celle 
qui  termine  le  fragment  que  nous  possédons  de  l'œuvre  de  Béroul  et 
dans  laquelle  le  traître  Godoine  est  aperçu  à  la  fenêtre  par  Iseut  et  tué 
par  Tristan  4 .?  La  ressemblance  est  lointaine  sans  doute,  mais  le  rappro- 
chement des  deux  scènes  est  possible.  Si  cette  hypothèse  était  acceptable, 
il  faudrait  évidemment  lire  mau  gré  Mart  au  lieu  de  maugremart  dans  le 
texte.  On  pourrait  encore  supposer  que  le  mot  maugremart  désigne  un 


1.  Fr.  Michel,  II,  p.  130,  v.  861  sq. 

2.  Tristan  fou,   ms.  Douce,  725-754;  Fr.  Michel,  II,  p.   121   sq.;   cf.  Bé- 
roul, v.  590-746, I,  p.  32. 

3.  Archives  des  Missions  scientifiques^  t.  V,  1856,  p.  97  sq. 

4.  Fr.  Michel,  I,  p.  209,  v.  45  56sq. 


542  L.    SUDRE 

personnage,  et  alors  l'épisode  en  question  serait  un  épisode  à  part  dont 
le  roman  de  VEscoufle  seul  se  serait  fait  l'écho. 

Outre  les  épisodes  auxquels  il  est  fait  allusion  dans  la  description  de 
la  coupe,  il  en  est  d'autres  mentionnés  dans  la  suite  du  poème,  et  à  ceux- 
ci  aussi  il  serait  malaisé  d'attribuer  une  source  unique.  Le  don  d'un 
anneau  fait  par  Iseut  à  Tristan  est  rappelé  par  ces  vers  : 

Or  me  dira  je  ne  fui  mie 
De  la  cortoisie  Tristran, 
Qui  en  et  un  gardé  maint  an 
Por  l'amor  la  roïne  Ysout. 

Ici  l'allusion  n'est  pas  assez  détaillée  pour  qu'on  puisse  la  rattacher 
soit  à  Béroul,  soit  à  Thomas. 

Mais  en  voici  deux  autres  dont  la  première  a  plus  de  rapport  avec  la 
version  de  Béroul  qu'avec  celle  de  Thomas  : 

Il  fu  par  consaut  faus  lonc  tens 
Et  mesiaus  e  faus  pèlerins. 

Les  rédactions  du  groupe  de  Thomas  ne  font  pas  paraître  Tristan  dé- 
guisé en  fou  ;  il  n'y  apparaît  que  comme  lépreux  et  pèlerin'.  Cependant 
la  question  ici  est  assez  complexe.  Il  a  pu  y  avoir  en  effet  influence 
exercée  par  les  petits  poèmes  épisodiques  de  Tristan  fou.  Par  contre, 
les  vers 

Tût  autretel  fist  Kahedins 

Ançois  qu'il  fust  bien  de  Brangien 

renvoient  à  la  version  de  Thomas,  puisque  dans  le  poème  d'Eilh'art  Ka- 
herdin  n'aime  pas  Brangien  et  n'entreprend  nullement  son  voyage  avec 
Tristan  pour  obtenir  ses  faveurs  2. 

Ainsi  les  allusions  à  notre  légende  dans  le  roman  de  VEscoufle  nous 
présentent  un  mélange  incontestable  des  deux  versions;  pourtant,  à  bien 
considérer  les  choses,  elles  se  rapportent  beaucoup  plus  à  la  version  de 
Béroul  qu'à  celle  de  Thomas. 

Les  autres  allusions  relatives  à  la  légende  de  Tristan  se  trouvent  épar- 
pillées dans  différents  poèmes  ou  chansons.  Nous  allons  étudier  les  prin- 
cipales en  suivant  l'ordre  des  événements. 

Le  combat  du  Morhout  est  rappelé  dans  le  roman  à'Erec  et  Enide  de 
Chrétien  de  Troyes,  et  avec  cette  particularité  que  l'île  où  s'est  livré 
ce  combat  y  porte  le  nom  de  Saint-Samson  : 


1.  Cf.  Vetter,  p.  59. 

2.  Cf.  Vetter,  p.  48. 


LES    ALLUSIONS    A    LA    LÉGENDE    DE    TRISTAN  ^45 

Onques  encor  tel  joie  n'ot 
La  ou  Tristanz  le  fier  Morhot 
En  l'isie  Saint  Samson  veinqui 
Con  faisoient  d'Erec  enqui  '. 

Le  roman  en  prose  sur  Tristan  lui  donne  aussi  cette  dénomination. 
Quand  on  apprend  au  Morhout  que  Tristan  veut  lutter  avec  lui,  il  en- 
voie demander  au  roi  Marc  où  doit  se  livrer  la  bataille  :  Lors  montent  et 
viennent  au  roy  et  lui  demandent  ou  labataillese  fera^et  il  leur  disl:C y  devant 
en  l'isie  Saint  Samson'^.  Nous  ne  trouvons  l'île  ainsi  nommée  dans  au- 
cune rédaction,  pas  plus  que  dans  aucune  autre  allusion.  Ainsi  dans  le 
roman  de  Guinglain  ou  le  Bel  Inconnu,  il  est  dit  que  le  combat  du  Bel 
Inconnu  à  Senaudon,  dans  la  Caste  Cité,  fut  plus  violent  que  celui  de 
Tristan  contre  le  Morhout^;  mais  l'auteur  se  garde  bien  de  nous  nommer 
l'endroit.  Ce  détail  précis  donné  par  Chrétien  de  Troyes  peut,  à  défaut 
d'autres  témoignages,  faire  supposer  qu'il  avait  puisé  à  d'autres  sources 
que  Béroul  et  Thomas  pour  la  composition  de  son  Tristan. 

Dans  ce  même  roman  à^Erec  et  Enide,  Chrétien  de  Troyes  fait  al- 
lusion à  un  autre  épisode  de  la  légende,  celui  où  Brangien  pousse  la 
complaisance  jusqu'à  se  substituer  dans  la  première  nuit  des  noces  à  Iseut 
qui  s'était  échappée  du  lit  conjugal  : 

La  ne  fu  pas  Yseuz  emblée 

Ne  Brangien  enz  en  son  leu  mise^ 

Ces  deux  allusions,  si  nous  leur  en  adjoignons  deux  autres  tirées  du 
même  poème,  l'une  relative  aux  cheveux  d'Iseut  : 

Por  voir  vos  di  qu'Iseut  la  blonde 
N'ot  tant  les  crins  sors  et  iuisanz 
Que  a  ceste  ne  fust  neanz  (v.  418). 

l'autre  concernant  la  beauté  de  la  reine  : 

0  lui  une  dame  tant  bêle 

Qu'Yseuz  semblast  estre  s'ancele  (v.  4909), 

ainsi  que  la  mention  qui  est  faite  du  nom  de  Tristan  dans  le  poème  de 


1.  Cité  par  Fr.  Michel,  III,  xx. 

2.  Histoire  des  vertueux,  nobles  et  glorieux  fditz  du  chevalier  Tristan,  fils  de  Me- 
liadus  de  Leonoys,  par  Luce,  chevalier,  seigneur  du  château  de  Gast.  Rouen,  1849, 


fol.  30  verso 

3.  Romania,  t. XV,  p.  9 

4.  V.  2066  (éd.  Hauptj 


544  L.    SUDRE 

Philomena\  retrouvé  par  M.  G.  Paris  au  milieu  de  la  traduction  des 
métamorphoses  de  Chrétien  Legouais  de  Saint-More,  nous  donnent  lieu 
de  penser  que  Chrétien  de  Troyes  avait  écrit  son  poème  de  Tristan  avant 
toutes  les  œuvres  que  nous  connaissons  de  lui,  que  ce  fut  sa  première 
composition-. 

Le  philtre  d'amour,  le  «  heivre  »  amoureux  qui  lie  fatalement  Tristan 
et  Iseut,  est  un  des  traits  de  leur  histoire  pour  lesquels  nous  rencontrons 
le  plus  grand  nombre  d'allusions.  Parmi  les  troubadours,  Augier  Novella 
est  le  premier  à  le  mentionner  : 

Ara  sai  eu  qu'ieu  ai  begut  de!  broc 

Don  bec  Tristans  qu'anc  pois  garir  non  poc^. 

puis  Aimeric  de  Pegulhan  : 

Et  ieu  dobii  la  balansa 
Quel  doble  tenc  lieis  plus  car 
Totz  jorns  qu'aissi  sai  doblar 
Doblamen  ma  malanansa  ; 
Mas  assatz  doblet  plus  gen 
Tristans,  quan  bec  !o  pimen  ; 
Quar  el  guazanhet  s'amia 
Per  so  par  qu'ieu  pert  la  mia"*. 

Deude  de  Prades  : 

Beurem  fai  ab  l'enaps  Tristan 
Amers  et  eisses  les  pimens"'. 

Bertolomeu  Zorgi  : 

L'amorozeta  bevanda 
Non  feiric  ab  son  cairel 
Tristan  n'Izoi  plus  formen 
Quant  il  veniron  d'Irlanda^. 

En  France,  nous  constatons  des  allusions  à  cet  épisode  dans  une  des 
chansons  du  Châtelain  de  Couci  : 

Tant  ai  en  li  ferm  assis  mon  corage 
Qu'ailleurs  ne  pens  ;  et  Die.x  m'en  laist  joïr  ! 


1.  Hist.  lut.  de  la  France,  XXIX,  p.  495. 

2.  Cf.  là-dessus,  Roma/2w,  XII,  p.  462,  note  3. 
j.  Raynouard,  III,  105;  Birch-Hirschfeld,  p.  40. 

4.  Ms.  856,  fol.  9^  vers. 

5.  Raynouard,  il,  p.  514. 

6.  Raynouard,  II,  315. 


LES   ALLUSIONS   A    LA    LÉGENDE    DE    TRISTAN  ^4J 

Conques  Tristan,  cil  qui  but  le  brevage 
Plus  loiaument  n'ama  sans  repentir  <. 

dans  une  chanson  de  Thibaut  de  Champagne  attribuée  à  tort  par  Wac- 
kernagel  -  et  Matzner  -  à  Chrétien  de  Troyes  : 

Ains  de!  beverage  ne  bui 
Dont  Tristans  fu  empuisunés, 
Car  plus  me  fait  amer  que  lui 
Fins  cuers  et  boines  volantes. 

Il  en  est  question  aussi  dans  des  vers  de  Heinrich  von  Veldeke,  min- 
nesinger  allemand,  qui  mourut  avant  la  fin  du  xii*"  siècle,  et  le  passage 
est  assez  curieux  en  ce  qu'il  marque,  malgré  son  ancienneté,  un  certain 
scepticisme  à  l'égard  des  amours  de  Tristan  : 

Tristan  muoste  sunder  danc 
Stete  sin  der  kuniginne, 
Wan  in  der  poisun  darzuo  twanc 
Mère  dan  diu  kraft  der  minne. 
Des  sol  mir  diu  guote  danc 
Wizen  daz  ich  solchen  tranc 
Nie  genam,  und  ich  doch  minne 
Baz  danne  er  4; 

de  même  dans  ce  passage  de  Bernger  de  Horheim  imilieu  du  xm'  siècle)  : 

Nu  enbeiz  ich  doch  des  trankes  nie 
Da  von  Tristan  in  kumber  kam. 
Noch  herzelicher  minne  sie 
Dann  er  Isalden,  daz  ist  min  wan. 
Daz  habent  diu  ougeu  min  getan, 
Daz  leite  mich,  daz  ich  dar  gie. . .  s. 

Cette  conception  de  l'amour  communiqué  au  moyen  d'un  breuvage 
et  liant  fatalement  deux  cœurs  l'un  à  l'autre  pour  toujours  ou  pour  un 
temps  déterminé,  conception  qui  répondait  d'ailleurs  aux  anciennes 
croyances  sur  la  vertu  magique  des  plantes,  avait  naturellement  frappé 
les  esprits  ;  il  n'est  donc  pas  étonnant  de  trouver  le  fait  si  souvent  rap- 
pelé.  Cependant,  quelque  nombreuses  que  soient  ces  allusions,  elles 


1.  Chansons  du  Ch.  de  Coucy,  éd.  Fr.  Michel,  p.  70. 

2.  Wackernagel,  Altfr.  Licdcr,  p.  17. 

3.  Mxtzner,  xVtfr.  Licder^  p.  64. 

4.  Von  der  Hagen,  Minne^inger^  I,  p.  36. 

5.  Ibid.,  p.  520. 

Romania,  XV. 


546  L.    SUDRE 

ne  peuvent  servir  qu'à  prouver  la  popularité  de  cette  partie  des  aven- 
tures de  Tristan  et  d'Iseut,  mais  ne  jettent  aucun  jour  nouveau  sur  l'his- 
toire de  la  légende  en  elle-même  ;  car,  sauf  une  tençon  provençale  du 
XII*'  siècle  '  et  le  passage  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  de  Gower, 
dans  lesquels  il  est  dit  expressément  que  Brangien  présenta  elle-même 
le  breuvage  aux  deux  amants,  les  autres  allusions  sont  muettes  sur  les 
circonstances  qui  ont  entouré  le  fait  et  sur  les  personnages  qui  y  ont 
joué  un  rôle. 

Il  est  encore  question  de  Brangien  dans  une  pièce  du  troubadour 
Raimbaut,  comte  d'Orange,  et  le  contenu  de  cette  allusion  est  si  parti- 
culier, se  détache  si  bien  au  milieu  des  autres  allusions  plus  vagues  et 
plus  générales  des  poètes  provençaux  qu'il  a  servi  de  base  à  Raynouard 
pour  poser  l'hypothèse  qu'il  a  existé  un  roman  sur  Tristan  et  Iseut  écrit 
dans  la  langue  des  troubadours.  Voici  le  passage  : 

Sobre  totz  aurai  gran  valor 

S'aitals  caniisa  m'es  dada 
Cum  Iseus  det  a  l'amador 

Que  mais  non  era  portada. 
Tristans  meut  prezet  gent  prezen  ; 

Puis  fon  breumens  conseiilada, 
Qu'ilh  fetz  a  son  mari  crezen 

Cane  hom  que  nasques  de  maire 
Non  toques  en  lieis  mantenen^. 

C'est  là,  on  le  voit,  une  réminiscence  de  la  réponse  allégorique  que, 
suivant  Eilhart  et  les  autres  rédactions,  Brangien  fit  aux  chevaliers  en- 
voyés par  Iseut  pour  la  tuer.  Elle  leur  raconta  en  efïet  que  la  mère 
d'Iseut  leur  avait  donné  à  chacune,  avant  leur  départ,  une  chemise  neuve, 
et  qu'Iseut  devait  porter  la  sienne  la  première  nuit  qu'elle  coucherait 
avec  le  roi.  Il  arriva  que  la  chemise  d'Iseut  se  trouva  décousue  et  dé- 
chirée au  moment  de  s'en  servir;  la  reine  pria  alors  Brangien  de  lui 
prêter  la  sienne,  ce  qu'elle  fit  à  contre-cœur;  c'était  là,  disait-elle,  le 
seul  grief  d'Iseut;.  Maintenant  peut-on  faire  fond  sur  cette  allusion  de 
Raimbaut  pour  établir  qu'il  y  a  eu  un  roman  provençal  sur  le  sujet  de 
Tristan.''  D'accord  avec  M.  Birch-Hirschfeld,  nous  ne  le  croyons  pas4. 
Car  l'allusion  de  Raimbaut,  --  si  toutefois  elle  doit  lui  être  attribuée,  — 


1.  Birch-Hirschfeld,  p.  40. 

2.  Raynouard,  II,  312  sq.;  V,  402;  Birch-Hirsch.,  p.  39. 

3.  Cette  chemise  a  été  remplacée  poétiquement  dans  les  rédactions  en  prose 
par  une  fleur  de  lis. 

4.  P.  43  sq. 


LES    ALLUSIONS    A    LA    LEGENDE    DE    TRISTAN  ^47 

comme  toutes  les  autres  allusions  provençales,  ne  remonte  pas  plus  haut 
que  l'année  1 1 S4-  Or,  à  cette  époque,  la  légende  de  Tristan  était  tout 
à  fait  populaire  dans  le  nord  de  la  France  ;  elle  avait  été  ou  allait  être 
le  sujet  du  poème  de  Chrétien  de  Troyes  après  avoir  été,  comme  nous 
le  verrons  plus  loin,  le  sujet  de  lais  et  de  poèmes  anglo-normands.  Les 
différents  détails  de  la  légende  ont  donc  pu  fort  bien  être  connus  au  delà 
de  la  Loire  du  temps  de  Raimbaut,  et  les  vers  de  ce  troubadour  sont 
plutôt  à  considérer  comme  un  écho  des  poèmes  français  que  comme  le 
témoignage  de  l'existence  d'une  œuvre  provençale  dont  on  n'a  jamais 
retrouvé  aucune  trace. 

Il  est  un  autre  trait  de  la  légende,  particulier  celui-là  à  Béroul  et  à 
Eilhart,  qui  nous  représente  Tristan  en  compagnie  du  roi  Arthur.  La  lé- 
gende de  Tristan  fut  certainement  à  l'origine  indépendante  de  celle 
d'Arthur  dans  les  traditions  bretonnes  ;  ce  ne  fut  que  plus  tard  que  les 
trouvères  les  réunirent.  D'ailleurs,  comme  le  fait  remarquer  M.  Vetter ', 
le  passage  d'Eilhart  concernant  le  séjour  de  Tristan  parmi  les  chevaliers 
de  la  Table  Ronde  pourrait  être  supprimé  sans  que  cette  lacune  inter- 
rompît en  aucune  façon  le  fil  des  événements;  dans  Béroul,  la  présence 
d'Arthur  est  sans  doute  mieux  motivée,  mais  l'épisode  de  l'épreuve  judi- 
diciaire  subie  par  la  reine  pourrait  aussi  fort  bien  s'en  passer.  Béroul 
n'est  cependant  pas  l'auteur  de  cette  innovation  dans  le  traitement  de  la 
légende  ;  il  n'a  fait  que  suivre  une  tradition  déjà  en  cours  avant  lui.  En  effet 
un  écrivain  ecclésiastique  du  xu''  siècle,  Pierre  de  Blois  (f  1200),  nous 
apprend  que  déjà  de  son  temps  les  jongleurs  aimaient  à  réunir  le  nom  de 
Tristan  à  celui  d'Arthur  ou  de  ses  chevaliers  :  Saepe  in  tragoediis  et  alils 
carminibus  poeîarum,  in  joculatorum  cantilenis  describitur  aliquis  vir  pra- 
dens,  decorus,  fortis^  amabilis  et  per  omnia  graîiosus.  Recitantar  eîiam  pres- 
surae  vel  injuriae  eidem  crudeliter  irrogatae,  sicut  de  Arturo  et  Gaugano 
iGauvain)  et  Tristanno  fabulosa  quaedam  référant  histriones,  quorum  au- 
ditu  concutiuntur  ad  compassionem  audientium  corda  et  usque  ad  lacrimas 
compunguntur  ^ .  Quoi  qu'il  en  soit,  le  pli  fut  pris  désormais,  et,  à  la  suite 
de  Béroul,  tous  les  poètes  unirent  dans  une  même  tradition  les  noms  et 
les  exploits  de  Tristan  à  ceux  des  chevaliers  de  la  Table  Ronde.  La  liste 
serait  longue  des  écrivains  qui  continuèrent  cette  confusion.  Citons 
seulement  pour  le  xiii"  siècle  Jacob  van  Maerlant  qui  s'exprime  ainsi 
dans  sa  vie  de  saint  François  : 


1.  P.  45,  note  2. 

2.  Cité  par  Von  der  Hagen,  Minnesinger,  IV,  p.  124,  note  2. 


548  L.   SUDRE 

Mer  Tristram  endè  Lanceloet 
Perchevael  ende  Galehoet, 
Ghevende  namen  ende  ongheboren 
Hier  of  willen  de  lieden  horen  >. 

et  une  chanson  populaire  italienne  du  xiv  siècle  :  ^"' 

Tristano  e  Lancialotto, 
Ancor  nel  monde  la  lor  fama  vale^? 

La  vie  des  deux  amants  dans  la  forêt  est  décrite  dans  le  roman  de  la 
Poïrt'i  avec  des  traits  qui,  malgré  quelques  variantes,  se  rapprochent  de 
la  version  de  Béroul.  Le  roi  n'est  pas  amené  dans  la  forêt  par  le  fores- 
tier, mais  seulement  par  le  plaisir  de  la  chasse  : 

Alez  estoit  chacier 
En  la  forest  ramée. 

Il  ne  met  pas  son  gant  sur  le  visage  d'Iseut,  mais  s'en  sert  pour  bou- 
cher le  trou  de  la  hutte  qui  laisse  passer  les  rayons  du  soleil  : 

Li  rois  doz  et  plesanz 
Ne  se  volt  esmaier; 
Sor  noz  faces  luisanz 
Vit  le  soleiil  raier 
El  tro  qui  n'ert  pas  granz 
Ala  son  gant  plaier. 

Mais,  comme  dans  Béroul 4,  Tristan  et  Iseut  sont  couchés  dans  une 
loge  qu'ils  avaient  fait  dresser  : 

Et  ge,  por  solacier 
Avec  m'amie  amee, 
Avoie  fet  drecier 
Geste  loge  et  fermée 
Por  ma  dame  embracier 
Qui  reine  est  clamée. 

Comme  dans  Béroul  encore  ?,  le  roi  Marc  se  repent  de  sa  sévérité  : 


1.  Cité  par  Fr.  Michel,  I,  viii. 

2.  Romaniû^  I,  p.  119. 

3.  Li  Romanz  de  la  Poire  de  Messirc  Thibaut,  p.  p.  Stehlich,  p.  37,  v.  143  sq. 

4.  Fr.  Michel,  I,  p.  88,  v.  1764  sq.  :  La  loge  fa  de  vers  rains  faite,  —  De 
leus  en  leus  ot  facile  atraite  —  Et  par  terre  fii  bien  jonchie. 

5.  Fr.  Michel,  I,  p.  97,  v.  1968  sq. 


LES   ALLUSIONS  A    LA    LÉGENDE    DE   TRISTAN  549 

Grant  joie  en  soi  conçut 
Li  rois,  n'en  dotez  mie 
Quant  l'espee  aparçut 
Entre  moi  et  m'amie  ; 
Et  dit  trop  le  déçut 
Celui  par  sa  voidie 
Cui  conseill  il  reçut, 
Par  sa  losangerie. 

Pourtant  il  faut  encore  ici  noter  une  différence.  Dans  Béroul,  les  deux 
amants  dorment  réellement ',  tandis  que  dans  le  roman  de  la  Poire  ils 
font  semblant  de  dormir  ^  : 

Sor  nos  vint,  ce  m'est  vis, 
Li  rois,  fust  joie  0  dels, 
Et  ge  m'espee  mis 
Gésir  entre  nos  deus. 
Puis  tornames  noz  vis 
Ireuz  et  engoisseus. 

Un  des  derniers  épisodes  de  l'histoire  de  Tristan  et  d'Iseut  est  celui 
de  la  voile  qui  cause  la  mort  de  notre  héros.  Iseut,  ramenée  auprès  de 
son  amant  malade,  fait  hisser,  au  moment  d'aborder,  et  comme  signe 
convenu  de  sa  présence,  une  voile  blanche.  Iseut  aux  blanches  mains 
annonce  à  Tristan,  sans  mauvaise  intention  chez  Eilhart,  dans  le  but  de 
se  venger  des  dédains  de  son  mari  chez  Thomas,  que  la  voile  du  vais- 
seau est  noire  ;  Tristan  meurt  aussitôt.  C'est  à  cette  fm  dramatique  que 
fait  allusion  une  ballade  allemande  3  : 

War  je  mein  gleich 

Das  glaub  ich  hart, 

Fùrwahr!  mein  Ungefell  ist  gross  ; 

Der  Sonnen  Glast 

Ist  mir  verkert. 

Mit  klag  bin  ich  Tristans  Genoss. 

Da  ihm  verkùndt  war  der  schwarz  Segel 

Viel  kranker  Ding 

Er  da  beging, 

AIsbald  die  Glock  schlagt  zwey  aus  rechter  Regel. 

Enfm  une  romance  espagnole  du  xiii*^  siècle  peut  nous  présenter  quelque 


1.  Fr.  Michel,  I,  p.  89,  v.  1792  :  Eisi  s'endorment  li  amant. 

2.  De  même  dans  la  Folie  Tristan  de  Berne,  v.  200. 

5.  Cette  ballade  a  été  publiée  parGôrres.  Altteutsche  Volks-ui,d  Mtistcrliedcr, 
Francfort,  1817,  ;?.  79  ;  le  style  en  est  visiblement  rajeuni. 


5  50  L.    SUDRE 

intérêt,  non  parce  qu'elle  reproduit  directement  un  des  traits  contenus 
dans  la  version  de  Béroul  ou  dans  celle  de  Thomas,  mais  au  contraire 
parce  qu'elle  nous  offre  un  mélange  assez  curieux  de  détails  originaire- 
ment distincts'.  Il  s'agit  dans  cette  romance  de  Tristan  qui,  gravement 
blessé  par  la  lance  de  son  oncle  jaloux,  est  visité  par  Iseut.  Tous  deux 
s'embrassent,  baignent  le  lit  de  leurs  larmes,  et  à  cette  place  croît  aus- 
sitôt un  lis  qui  a  la  propriété  de  rendre  les  jeunes  filles  mères  comme 
Iseut  le  devient  à  ce  moment.  Dans  cette  version  populaire,  où  Tristan 
est  frappé  de  la  lance  par  son  oncle,  détail  qui  nous  rappelle  la  façon 
bizarre  dont  le  roman  en  prose  fait  mourir  notre  héros  2,  Iseut  a  pris  la 
place  de  Elanchefleur,  mère  de  Tristan,  et  Tristan  celle  de  Rivvalin,  son 
père.  D'après  la  version  ^de  Thomas,  en  effet,  le  père  de  Tristan,  se 
trouvant  à  la  cour  de  Marc  et  ayant  accompagné  ce  prince  dans  une 
guerre,  y  est  blessé  mortellement.  Elanchefleur,  la  fille  du  roi,  éprise 
d'amour  pour  lui,  vient  le  trouver  dans  sa  chambre,  et  c'est  à  cette  en- 
trevue que  Tristan  doit  sa  naissance  3.  Il  y  a  parfaite  analogie  entre  cette 
version  primitive  et  la  tradition  populaire  que  nous  offre  la  romance  es- 
pagnole ;  le  cadre  est  le  même,  les  .personnages  seuls  ont  changé  de 
nom.  Quant  au  lis  qui  croît  près  du  lit  des  deux  amants,  outre  qu'il  nous 
rappelle  la  transformation  opérée  par  le  roman  en  prose  dans  le  dis- 
cours allégorique  de  Brangien,  sa  présence  ici  semble  dériver  de  la  tra- 
dition populaire  dont  Eilhart  s'est  fait  l'écho  4,  et  suivant  laquelle,  sur  les 
tombeaux  des  deux  amants,  s'élevait  soit  un  lis,  soit  un  lierre,  soit  un 
rosier  qui  les  recouvrait.  La  romance  espagnole  ne  fait  pas  pousser 
ce  lis  sur  leurs  tombes  ;  néanmoins  elle  a  dû  emprunter  ce  trait  à  la 
croyance  dont  nous  venons  de  parler. 

Nous  arrivons  maintenant  aux  petits  poèmes  épisodiques  relatifs  à 
notre  légende.  Ces  petits  poèmes  sont  au  nombre  de  quatre  :  le  Tristan 
fou  du  ms.  de  Berne,  le  Tristan  fou  du  ms.  Douce,  le  lai  du  Chèvre- 
feuille de  Marie  de  France  et  un  fragment  du  Donnet  des  Am.)nz.  Nous 
n'étudierons  que  les  deux  derniers  5. 


1.  Voir  Fr.  Michel,  I,  xvii,  et  VondcrHagen,  p.  ^64.  A  cette  romance  es- 
pagnole correspond  une  romance  portugaise  du  xv«  siècle,  Fr.  Michel,  II,  p  298, 
Von  der  Hagen,  p.  577. 

2.  Il  meurt  en  effet  blessé  par  le  glaive  envenimé  de  Bédalis,  mari  de  Gar- 
geolain.  en  allant  visiter  cette  dernière,  qui  était  l'amante  de  son  compagnon 
Kaherdin.  Voir  l'étude  de  M.  Bédier. 

3.  Vetter,  p.  36. 

4.  Voyez  ce  qui  est  dit  dans  l'étude  de  M.  Bédier  sur  le  dénouement  du 
roman. 

5.  Sur  les  deux  poèmes  relatifs  à  Tristan  fou,  voyez  l'étude  de  M.  Lutos- 
lawski. 


LES    ALLUSIONS    A    LA    LÉGENDE    DE    TRISTAN  55  I 

Voici  le  sujet  du  Chèvrefeuille.  Tristan,  chassé  de  la  cour  par  le  roi 
Marc  irrité  contre  lui  à  cause  de  son  amour  pour  la  reine,  se  retire  dans 
le  pays  de  Galles,  sa  patrie.  Il  ne  peut  rester  longtemps  séparé  de  son 
amie,  revient  en  Cornouailles  et,  pour  ne  pas  se  faire  reconnaître,  il  vit, 
le  jour,  dans  une  forêt  et,  le  soir,  il  reçoit  l'hospitalité  chez  des  paysans 
qui  lui  donnent  des  nouvelles  de  la  cour.  Ils  lui  apprennent  que  le 
roi  doit  se  rendre  avec  la  'reine  à  Tintajoil  à  la  Pentecôte  pour  y  tenir 
assemblée.  Comme  le  cortège  doit  traverser  la  forêt,  Tristan  coupe  une 
branche  de  coudrier,  la  taille  en  carré,  et  avec  son  couteau  y  grave  son 
nom  ;  puis  il  place  le  bâton  sur  le  chemin  où  doit  passer  la  reine.  Il  l'avait 
avertie  de  ce  signal  qu'il  lui  donnerait,  en  lui  écrivant  qu'il  ne  pouvait 
vivre  sans  elle,  comme  elle  ne  pouvait  vivre  sans  lui,  semblables  au  chè- 
vrefeuille et  au  coudrier  auquel  ses  branches  sont  entrelacées  :  si  le  cou- 
drier meurt^  le  chèvrefeuille  languit  aussitôt.  La  reine,  en  se  dirigeant 
avec  son  escorte  vers  Tintajoil,  aperçoit  le  bâton,  ordonne  à  ses  gens 
de  s'arrêter  et,  suivie  de  sa  fidèle  Brangien,  elle  s'engage  dans  le  bois 
où  elle  «  meine  grant  joie  «  avec  Tristan  et  lui  promet  d'obtenir  sa  grâce 
auprès  du  roi  ;  puis  ils  se  séparent  en  pleurant.  Tristan,  de  retour  dans 
le  pays  de  Galles  et  joyeux  d'avoir  revu  son  amie,  en  fait  un  nouveau 
lai  que  les  .anglais  ont  appelé  goîelef  ei  les  Français  chèvrefeuille. 

A  quelle  partie,  dans  l'ensemble  de  la  légende  de  Tristan,  se  rattache 
cet  épisode  tel  que  nous  le  présente  Marie  de  France  .f'  On  peut,  au  pre- 
mier abord,  en  rapprocher  des  passages  correspondants  d'Eilhart  '  et 
de  Henri  de  Freiberg^  où  nous  voyons  en  effet  une  branche  d'arbre  figurer 
comme  signe  convenu  entre  les  deux  amants  pour  leur  entrevue  dans  la 
Blanche  Lande.  Mais  chez  l'un  et  chez  l'autre  la  branche  d'arbre  n'ap- 
paraît que  comme  un  signe  et  nullement  comme  une  allégorie  de  leur 
amour.  Il  y  a  là  tout  au  plus  un  souvenir  lointain,  une  simple  réminis- 
cence du  lai  de  Marie  de  France.  De  plus,  l'épisode  dans  Eilhart  et  dans 
Heinrich  de  Freiberg  est  placé  à  un  moment  tout  différent  de  la  légende, 
dans  le  second  acte,  pour  ainsi  dire,  des  amours  de  Tristan  et  d'Iseut,  après 
une  dernière  surprise  qui  rend  le  rappel  de  Tristan  entièrement  impossible 
et  le  réduit  à  ne  revoir  désormais  Iseut  qu'au  moyen  de  ruses  et  de  dé- 
guisements. Dans  Marie  de  France,  au  contraire,  Iseut  promet  à  Tristan 
d'obtenir  son  retour',  et,  plus  loin,  Marie  dit  expressément  que  cette 
faveur  lui  a  été  accordée  : 


1.  Buch  der  Liebe,  p.  98. 

2.  Hcinrichs  von  Frdbcrg  Tristan,  hgg.  V.  Bechstein  (Leipzig,  1877), p.  188  sq. 

3.  V.  97  sq.  Die  Lais  der  Marie  de  France,  hgg.  von  Warnke.  Halle,  i88<, 
181-85. 


5J2  L.    SUDRE 

Tristan  en  Wales  s'en  râla 
Tant  que  sis  uncles  le  manda  i. 

L'épisode  dans  Marie  de  France  précède  donc  la  séparation  définitive 
des  deux  amants.  Reste  à  savoir  quels  points  communs  ce  lai  présente 
soit  avec  la  version  de  Béroul,  soit  avec  celle  de  Thomas.  Sur  la  cause 
de  l'exil  de  Tristan,  Marie  est  à  peu  près  muette  ;  elle  nous  dit  bien,  il 
est  vrai,  que  Marc  l'avait  chassé  par  encusement  ^,  mais  sans  nous 
apprendre  qui  avait  accusé  le  neveu  du  roi  et  dans  quelles  circonstances 
il  avait  été  dénoncé.  Quand  elle  ajoute  que  le  roi  éprouvait  des  regrets 
de  l'avoir  exilé  et  qu'il  le  rappela?,  nous  sommes  moins  embarrassés 
pour  décider  à  laquelle  des  deux  versions  on  peut  rattacher,  même  de 
loin,  le  sujet  du  Chèvrefeuille.  Selon  Béroul,  les  deux  amants  reconnus 
coupables  sont  condamnés  à  être  brûlés  ;  Tristan  s'échappe  et,  avec  Iseut 
qu'il  a  arrachée  des  n.ains  des  lépreux,  il  va  vivre  dans  la  forêt  du  Morrois 
jusqu'à  ce  que  le  philtre  d'amour  ait  perdu  sa  force  ;  alors  Tristan  écrit  au 
roi  pour  le  prier  de  consentir  à  reprendre  la  reine;  celle-ci  revient  à  la 
cour,  mais  Tristan  s'exile  et  n'y  reparaît  qu'à  la  faveur  de  subterfuges  ;  il 
n'y  est  jamais  rappelé  officiellement.  Dans  la  version  de  Thomas,  au 
contraire,  Iseut  et  Tristan  sont  surpris  trois  fois  :  après  la  première 
découverte,  Tristan,  qui  a  épargné  à  la  reine  un  parjure  en  se  laissant 
tomber  avec  elle,  va  combattre  le  géant  Urgan,  pendant  qu'Iseut  reste  à 
la  cour  et  le  fait  bientôt  rappeler.  Ils  sont  surpris  une  seconde  fois,  et  c'est 
alors  qu'ils  vont  vivre  ensemble  dans  la  forêl  jusqu'à  ce  qu'ayant  été  trouvés 
dans  la  grotte  par  le  roi  ils  rentrent  à  la  cour.  Enfin  survient  une  troi- 
sième découverte,  celle  que  raconte  le  fragment  de  Cambridge  4,  laquelle 
les  sépare  définitivement.  C'est  donc  entre  la  première  et  la  seconde 
surprise  des  deux  amants  suivant  la  version  de  Thomas,  alors  que  Tris- 
îan  est  à  l'étranger,  que  l'on  peut  avec  le  plus  de  vraisemblance  inter- 
caler l'épisode  du  chèvrefeuille.  Le  cadre  seul  du  récit  de  Thomas  parait 
lui  convenir;  la  source  semble  avoir  été  la  même  pour  les  deux  poètes. 

Qu'est-ce  maintenant  au  fond  que  ce  lai  de  Marie  de  France .?  Le  sujet 
n'est  pas  de  son  invention  ;  elle  prend  soin  de  nous  le  dire  elle-même 
tout  au  début  : 

Plusur  le  m'unt  cunlé  e  dit 
E  jeo  l'ai  trové  en  escrit  s. 


1.  V.    I9«   Sâi 

2.  V.    lui. 

j.  V.  io6. 

A,-  Arch.  des  Missions  sdaitifiao' s    V    p.  9f  i 

5-  V.  S' 


LES    ALLUSIONS   A    LA    LÉFENDE    DE   TRISTAN  553 

D'autre  pari  les  vers  : 

De  Tristran  e  de  la  reïne, 
De  lur  amur  qui  tant  fu  fine, 
Puis  en  mururent  en  un  jur  ', 

nous  indiquent  nettement  que  l'épisode  auquel  nous  avons  affaire  fait 
dans  la  pensée  de  l'auteur  partie  intégrante  de  la  légende,  est  un  de  ses 
éléments  constitutifs.  Mais,  en  laissant  même  de  côté  la  sécheresse  des 
détails,  le  petit  nombre  des  personnages,  la  forme  allégorique  donnée  à 
une  partie  du  sujet,  en  négligeant  tout  cet  ensemble  de  traits  ca- 
ractéristiques qui  sont  par  eux-mêmes  des  raisons  péremptoires  et  tout  à 
fait  convaincantes,  le  titre  de  lai  que  porte  ce  petit  poème  ne  nous  per- 
met pas  de  croire  qu'il  est  un  fragment  détaché  d'un  ouvrage  d'ensemble 
sur  la  légende  de  Tristan.  Un  lai,  pour  Marie  de  France  et  pour  ses 
contemporains,  était,  comme  le  dit  M.  G.  Paris,  «  le  livret  d'une  mélo- 
die bretonne  connue^  «.  D'abord  composition  musicale  et  distinct  du 
récit  qui  en  était  le  sujet,  il  fmit  par  être  identifié  avec  lui.  Le  lai  du 
Chhrefeuille  ne  peut  pas  être  autre  chose  que  la  traduction  en  français 
du  sujet  d'un  morceau  de  musique  breton  sur  la  légende  celtique  de 
Tristan,  traduction  à  laquelle  Marie  de  France  a  donné  la  forme  habi- 
tuelle des  narrations  rimées,  c'est-à-dire  la  forme  de  vers  de  huit  syllabes 
rimant  deux  à  deux. 

Une  preuve  de  l'existence  de  ce  lai  à  l'état  de  composition  musicale 
nous  est  fournie  par  Marie  de  France  elle-même  quand  elle  nous  dit  que 
Tristan  l'avait  composé  : 

Tristram,  ki  bien  saveit  harper. 
En  avait  fet  un  nuvel  lai  5. 

Elle  a  donc  dû  l'entendre  sous  une  forme  lyrique,  ou  bien  cette  der- 
nière lui  était  attribuée  par  la  tradition  comme  étant  sa  forme  primitive. 
En  effet,  outre  sa  réputation  d'amant  fidèle  et  malheureux,  Tristan  pos- 
sédait celle  de  musicien  consommé.  Gottfrid  de  Strasbourg  nous  le 
représente  auprès  d'Iseut  aux  Blanches  Mains  composant  le  beau  lai  de 
Tristan  «  qu'on  ne  cessera  d'admirer,  dit  le  poète,  tant  que  le  monde 
durera  »,  et  à  tous  ses  chants  il  entremêlait  le  refrain  :  Isot  ma  drue,  Isot 
m'amie,  —  En  vus  ma  mort,  en  vus  ma  v/e4.  Dans  le  roman  en  prose,  il 
est  souvent  question  de  lais  dont  Tristan  est  l'auteur,  en  particulier  du 


1.  V.  7  sq. 

2.  Romania,  VII,  p.  1.  Voir  du  reste  pour  les  lais  en  général,  et  pour  ceux 
de  Marie  de  France  en  particulier,  ibid.,  VIII,  p.  38  et  630;  XIV,  p.  604. 

3.  V.   1  12  sq. 

4.  Cf.  Bossert  qui  a  traduit  ce  passage,  p.  85-86. 


5  54  L.    SUDRE 

lai  de  plour  qu'il  avait  fait  à  l'occasion  de  son  premier  voyage  en  Ir- 
lande, du  lai  du  boire  pesant  inspiré  par  le  souvenir  du  philtre  d'amour, 
du  lai  du  déduit  d'Amours  où  il  chantait  son  séjour  avec  Iseut  dans  la  forêt 
du  Morrois,  enfin  du  lai  mortal  qui  commençait  ainsi  : 

Je  feiz  jadis  chansons  et  lays, 
Mais  a  cest  point  toutes  les  lays. 
Amour  m'occist  :  n'est  ce  bel  lays?  \  .. 

Mais  nulle  part  dans  le  roman  en  prose  il  n'est  question  d'un  lai  du 
Chèvrefeuille.  Seuls,  un  manuscrit  de  Berne  et  un  manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque Nationale  nous  ont  conservé  un  lai  lyrique  de  ce  nom  attribué 
à  Tristan  et  dont  les  paroles  sont  peut-être  encore  du  xii'=  siècle  2.  C'est 
sans  doute  à  ce  lai  ou  à  un  autre  analogue  que  fait  allusion  ce  vers  de 
Flamenca  : 

L'us  viola  lais  del  Cabrefoil  5. 

et  ce  passage  du  roman  de  Renart  : 

De  Tristram  qui  la  chievre  fist, 
Qui  assez  bêlement  en  dist  4, 

Ce  lai  lyrique  du  Chèvrefeuille  n'est  sans  doute  que  dans  un  rapport 
assez  lointain  avec  le  lai  narratif  de  Marie  de  France;  Tristan,  nous  y 
est-il  dit  dans  les  derniers  vers,  lui  a  donné  ce  nom  à  cause  de  la  douce 
odeur  du  chèvrefeuille. 

Ke  por  ceu  ke  chievrefiaus 
Est  plus  dous  et  flaire  miaus 
K'erbe  ke  on  voie  as  iaus 

Ait  nom  cist  douls  lais 

Chievrefuels  li  gais. 

Nous  sommes  loin,  on  le  voit,  de  l'allégorie  de  Marie  de  France; 
mais  nous  n'en  avons  pas  moins  dans  l'existence  de  ce  lai  un  indice  pré- 
cieux qui  nous  permet  d'affirmer  que  Marie  a  puisé  à  une  source  réelle 
et  qu'elle  a  donné  une  forme  épique  à  un  sujet  lyrique  qu'elle  avait  en- 
tendu chanter  autour  d'elle. 

Nous  avons  vu  tout  à  l'heure  Gottfrid  de  Strasbours;  citant  en  fran- 


1.  Voir  Von  der  Hagen,  p.    581,  note   \,   qui   cite  ces  détails  du  roman  en 
prose  d'après  un  ms.  du  Vatican. 

2.  Ce  lai  a  été  publié  pour  la  première  fois  par  Wackernagel,  Altfr.  Lieder, 
p.    178-79.  Il  est  en  outre  dans  Bartsch,  Chreslomathie,  4e  éd.,  p.  227  sq. 

3.  Le  Roman  de  Flamenca.,  pp.  Meyer,  p.  571. 

4.  Martin,  Roman  de  Renart,  I,  p.  90,  v.   5. 


LES    ALLUSIONS    A    LA    LÉGENDE    DE    TRISTAN  555 

çais  le  refrain  des  chants  de  Tristan.  Pour  qu'il  ait  songé  à  citer  ces 
vers,  il  fallait  qu'ils  appartinssent  à  une  chanson  connue  et  célèbre  à 
cette  époque.  Nous  avons  vu  aussi  qu'il  était  question  d'un  lai  du  Chè- 
vrefeuille dans  le  roman  de  Flamenca  ;  les  vers  qui  suivent  immédiate- 
ment ce  passage  font  mention  d'autres  lais  sur  ce  même  sujet  de  Tristan  : 

L'us  viola  lais  del  Cabrefoil, 
L'autre  celui  de  Tintagoil 


L'us  contava  de  Governaii 
Com  per  Tristan  ac  greu  trebail. 

De  même  dans  le  roman  de  Renart  : 

t  Je  fot  savoir  bon  lai  breton 
Et  de  Merlin  et  de  Noton, 
Del  roi  Artu  et  de  Tristan, 
Del  Chevrefoil,  de  saint  Brandan. 

—  E  sez  tu  le  lai  dam  Iset? 

—  Ya,  ya  :  godistoët  ; 

Ge  lot  saveir,  fet  il,  trestoz  5.  » 

Dans  le  roman  en  prose,  il  est  aussi  question  d'un  lai  de  la  franchise 
Tristan  que  les  Bretons  auraient  composé  et  chanté  à  propos  de  la  mort 
du  géant  Nabon  que  Tristan  avait  tué;,  délivrant  ainsi  le  pays  de  ses  bri- 
gandages :  Li  pays  est  orendroit  apelés  li  franchise  Tristan.  Li  Breton 
firent  un  lai  de  ceste  aventure  qui  est  appeliez  li  lai  de  la  franchise  Tristan^. 
Tous  ces  passages,  ainsi  que  celui  de  Pierre  de  Blois  cité  plus  haut,  où 
il  est  dit  que  Tristan  était  avec  Gauvain  et  Arthur  un  des  sujets  de 
prédilection  des  jongleurs,  ne  nous  prouvent-ils  pas  que  le  lai  dont  Marie 
de  France  a  recueilli  la  tradition  faisait  partie  d'un  groupe  de  morceaux 
analogues  à  lui,  non  par  le  fond  qui  variait  de  l'un  à  l'autre,  mais  par 
leur  forme  brève  et  musicale,  dont  chacun  chantait  un  épisode  distinct 
de  la  légende  de  Tristan  ?  Cette  dernière  aurait  donc  été  à  l'origine  mor- 
celée et  fragmentée  avant  d'être  groupée  en  un  tout  par  Béroul,  Thomas 
et  Chrétien  de  Troyes.  Maintenant  Marie  a-t-elle  emprunté  le  sujet  de 
son  lai  directement  aux  Bretons .?  C'est  peu  probable.  L'épisode  tout  en- 
tier se  passe  en  Angleterre,  et  le  nom  du  chèvrefeuille  est  traduit  en 
anglais.  Si  elle  a  songé  à  nous  renseigner  ainsi  sur  la  dénomination  que 
donnaient  les  Anglais  à  ce  lai,  c'est  qu'elle  l'avait  entendu  conter  dans 


Cité  par  Von  der  Hagen,  p.  581,  n.   i 


5  $6  L.    SUDRE 

leur  langue  et  que  cette  dernière  lui  a  servi  d'intermédiaire.  D'ailleurs 
le  mot  lovendris  [love  drink)  que  nous  rencontrons  dans  Béroul  '  vient 
confirmer  celte  assertion  qu'une  partie  des  aventures  de  Tristan  et 
d'Iseut  ont  été  traduites  du  breton  en  anglais  avant  de  passer  dans  les 
œuvres  de  nos  poètes  *. 

Le  second  morceau  épisodique  dont  nous  avons  à  nous  occuper  fait 
partie  du  Donnet  des  Ainanz^,  poème  erotique  conservé  dans  un  manus- 
crit du  xiii*^  siècle.  Ce  fragment  s'y  trouve  intercalé  entre  le  dialogue 
d'un  amant  et  de  sa  maîtresse  et  l'histoire  de  Didon  et  d'Enée.  Tristan, 
exilé  en  Bretagne  et  n'ayant  pas  revu  Iseut  depuis  un  an,  pénètre  seul 
une  nuit  dans  le  jardin  du  roi  Marc.  Il  monte  sur  un  arbre  et  là  se  met 
à  contrefaire  le  chant  des  oiseaux  les  plus  harmonieux  ;  c'était  un  talent, 
nous  dit  le  poète,  que  Tristan  avait  appris  dès  son  plus  jeune  âge.  Iseut, 
couchée  près  du  roi  Marc,  reconnaît  son  ami  à  ce  chant,  mais  ne  sait 
comment  elle  pourra  le  rejoindre,  car  tous  ses  mouvements  sont  épiés 
par  dix  chevaliers  et  par  un  nain  plus  terrible  à  lui  seul  que  les  dix  che- 
valiers. Elle  ne  résiste  pas  cependant  au  désir  de  revoir  Tristan,  se 
lève,  passe  à  travers  les  chevaliers,  qui  se  trouvaient  justement  endormis, 
et  arrive  à  la  porte  du  jardin.  Elle  tire  la  barre,  mais  le  bruit  que  fait  la 
chaîne  éveille  le  nain,  qui  court  après  la  reine  et  veut  la  retenir  par  le 
bras.  Celle-ci  furieuse  lui  assène  un  tel  coup  sur  la  figure  qu'elle  lui  fait 
sauter  quatre  dents  et  l'étend  à  terre  tout  ensanglanté.  Aux  cris  poussés 
par  le  nain,  le  roi  Marc  arrive,  et  son  fidèle  serviteur  lui  expose  le  fait. 
Marc,  loin  d'être  courroucé,  repond  au  nain  qu'il  s'est  mépris,  que  Tristan 
ne  peut  être  dans  le  voisinage,  et  qu'on  peut  laisser  la  reine  se  promener 
en  toute  liberté  dans  le  jardin.  Iseut  va  droit  à  Tristan,  et  le  poète  ter- 
mine en  disant  qu'elle  n'avait  fait  que  son  devoir  en  se  mettant  en  aven- 
ture et  en  péril  pour  un  homme  qui,  par  amour  pour  elle, 

Rere  se  fit  dreit  cum'e]  fol 
Barbe,  guernon  [e]  chef  e  col, 
E  bricun  se  feseit  clamer .... 
Aperteinent  dunt  il  mustra 
Ke  pas  en  gabere  n'ania  4. 

Ces  derniers  vers  font  allusion  à  l'épisode  de  Tristan  fou.  Voilà  tout 
ce  que,  dans  ce  morceau  du  Donnet  des  Amanz,  si  nous  y  ajoutons  tou- 
tefois le  séjour  de  Tristan  en  Bretagne  et  la  présence  d'un  nain  dénon- 


1 .  Fr.  Michel,  I,  p.  104,  v.  2105 . 

2.  Voir  les  observations  de  G.  Paris  à  ce  sujet,  Rom.,  XIV,  p.  604. 

3.  Fr.  Michel,  II,  p.  149-1 57. 

4.  V.  i6j  sq. 


LES   ALLUSIONS   A    LA   LÉGENDE    DE   TRISTAN  557 

dateur,  nous  trouvons  de  commun  avec  les  versions  connues  de  notre 
légende.  Pour  l'imitation  du  chant  des  oiseaux,  nous  n'en  retrouvons 
qu'un  lointain  souvenir  dans  un  passage  d'Eiihart  où  la  reine,  répondant 
au  concert  des  oiseaux  dans  la  forêt^  trouve  moyen  en  s'adressant  à  eux 
d'indiquer  à  Tristan  où  elle  sera  la  nuit,  et  de  lui  donner  ainsi  un  ren- 
dez-vous'. Enfin  nous  ne  rencontrons  dans  aucune  rédaction  un  récit 
qui,  par  la  mise  en  scène,  par  les  personnages,  soit  non  seulement  sem- 
blable, mais  même  analogue  à  celui  qui  fait  le  fond  de  cet  épisode.  Avons- 
nous  affaire  ici,  comme  pour  le  lai  du  Chèvrefeuille,  à  une  ancienne 
composition  bretonne  qui,  après  avoir  été  chantée  par  les  bardes,  serait 
devenue  la  propriété  des  harpeurs  anglais,  puis  des  jongleurs  français  ? 
Ce  serait  là  une  hypothèse  assez  vraisemblable.  Malheureusement  nous 
n'avons  pas  pour  cet  épisode,  comme  pour  l'épisode  du  Chèvrefeuille, 
des  témoignages  certains  de  son  existence  en  dehors  du  Bonnet  des  Amanz, 
des  points  de  repère  qui  nous  permettent  de  constater  dans  la  littérature 
une  tradition  dont  il  serait  le  dérivé.  La  chose  reste  donc  tout  entière 
dans  le  domaine  de  la  conjecture.  Une  autre  supposition,  moins  sédui- 
sante peut-être,  mais  tout  aussi  vraisemblable,  consisterait  à  voir  dans 
cet  épisode  une  variante  des  nombreux  incidents  inventés  par  les  poètes  à 
propos  de  l'exil  de  Tristan.  Les  efforts  pour  se  rapprocherfaits  par  deux 
amants  qui  ne  peuvent  plus  se  voir  qu'en  cachette  et  au  prix  de  grandes 
difficultés  étaient  un  thème  offert  à  l'imagination  des  conteurs,  et  sur  ce 
thème  ils  pouvaient  broder  à  l'infini.  Béroul  et  Thomas  nous  offrent  à 
chaque  page  des  exemples  de  cette  tendance  à  compliquer  les  dangers 
dans  les  entrevues  des  deux  amants;  Eilhart  fait  revenir  successivement 
Tristan  en  Angleterre  sous  quatre  déguisements,  en  lépreux,  en  pèlerin, 
en  ménestrel,  en  fou;  les  poèmes  de  Tristan  fou,  le  lai  du  Chèvrefeuille 
dérivent  eux-mêmes  de  cette  tendance.  A  son  tour,  l'épisode  du  Donnet 
des  Amants  peut  devoir  sa  naissance  à  ce  penchant  tout  naturel  à  pré- 
senter un  fait  connu  sous  un  nouveau  jour,  à  enrichir  une  situation  donnée 
de  nouveaux  imbroglios  et  de  nouvelles  intrigues. 

Léopold  SuDRE. 


I  .  «  Sic  durfte  ihm  nicht  zusprechen,  so  weisete  sic  aber  den  vogelein  ihren 
Willen  und  Meinung,  dabei  er  verstchen  mocht,  an  welchen  Ende  er  sie 
funde...  )'  Bach  da  Liebc,  p.  99.  Ajoutons  que  Siegfried,  dans  les  Nibelungcn, 
possède  lui  aussi  le  talent  de  contrelaire  le  chant  des  oiseaux. 


LA  FOLIE  TRISTAN 


DU    MANUSCRIT    DE    BERNE 


L'édition  qui  suit  est  faite  sur  une  nouvelle  copie  des  feuilles  i  j  i  v"  b- 
1 56  V''  b  du  manuscrit  n*^  354  de  la  bibliothèque  de  Berne.  J'avais,  en 
prenant  cette  copie,  sous  les  yeux  l'édition  de  M.  Fr.  Michel  [The  poe- 
îical  romances  of  Tristan,  Lonàou,  1835,  t.  I,  p.  2i$-24i).  L'exem- 
plaire de  ce  livre  dont  je  me  servais  appartient  à  M.  Gaston  Paris;  il 
porte  en  marge  des  notes  proposant  des  émendations  au  texte  imprimé. 
Ces  émendations  ont  été  en  partie  confirmées  par  les  leçons  du  manus- 
crit (auquel  cas  elles  ne  sont  pas  signalées)  ;  je  me  suis  servi  des  autres 
pour  améliorer  le  texte  de  mon  édition  en  les  indiquant  par  P.  Les  émenda- 
tions proposées  par  M.  Michel  sont  marquées  M.  Jesignale  par  «  M.  lit» 
les  endroits  où  Michel  a  mal  lu  le  manuscrit,  mais  je  ne  fais  pas  mention 
des  cas  assez  nombreux  où  ma  ponctuation  diffère  de  la  sienne.  —  Je 
sépare  les  mots  autrement  que  lui  dans  les  cas  suivants  où  il  écrit: 
■j  norine;  23  n'osai;  48  et  49  n'en;  117  s'antorne;  2^ç)l'anbre;  273 
et  389  engrande ;  332  et  382  anmoine;  340  ceil.  —  Je  résous  les  abré- 
viations: ml't  =  mou?,  cf.  dialt  4J,  vialt  83,  255,  mais  ordinairement 
viaut;  9=  con,  châbre  =  chanbre,  mt  =  mant,  telles  qu'elles  sont 
presque  toujours  écrites  en  toutes  lettres;  q.  q  ^  que,  qui,  qui  se 
trouvent  plus  souvent  en  toutes  lettres  que  qe,  qi  ;  n9  =  nos  ou  nus,  ce 
dernier  n'arrive  qu'au  vers  247;  etc.  Dans  le  manuscrit,  les  noms  propres 
sont  souvent  indiqués  par  la  seule  initiale  (par  exemple  .Y.)  ;  les  lettres 
ajoutées  par  moi  sont  en  italiques  (Ysiaut).  — Les  quelques  lettres  que  le 
copiste  a  détruites  par  un  point  mis  au-dessous  d'elles  sont,  excepté  aux 
vers  1 56,  43 1  tout  simplement  passées  sous  silence  comme  n'offrant  aucun 
intérêt.  J'ai  écrit  v,j  et  g,  quoique  le  copiste  emploie  constamment  u,  i 
et  c. —  .....  à  la  fm  d'un  vers  signifient  que  je  suppose  une  lacune; 


LA    FOLIE    TRISTAN    DE    BERNE.  559 

le  manuscrit  lui-même  n'en  indique  jamais.  —  Les  vers  4,  5,  26, 
27,  32,  58,  104,  109,  1 16,  1 19,  1 56,  221,  263,  293,  537,  remplissent 
deux  lignes  chacun,  la  plupart  avec  des  répétitions  des  mots  finals. 


Cl  conmance  de  Tristan. 

Moût  est  Tritanz  mêliez  a  cort, 

Ne  set  G  aille  ne  ou  tort. . . 

Formant  redoute  Marc  lo  roi, 

Que  rois  Mars  formant  lou  menace, 
5  Si  viaut  bien  que  Tritanz  lou  sache, 

Se  de  lui  puet  avoir  saisine, 

Moût  li  vaudra  po  sans  n'orine 

Que  par  lui  ne  reçoive  mort. 

De  sa  famé  li  a  fait  tort. 
10  Clamé  s'en  est  a  son  barnage 

Et  de  la  honte  et  de  l'otrage 

Que  Tritanz  ses  niés  li  a  fait. 

Honte  a  de  ce  qu'il  li  a  fait  ; 

Ne  pot  mais  aler  sanz  celer. 
1 5  Ses  barons  fait  toz  asanbler 

Et  lor  a  bien  montrée  l'ovre,        [fol.  152.  r".  a] 

Lo  mesfait  Tritan  lor  descovre. 

«  Seignor,  »  fait  il^  «  que  porrai  faire  ^. 

Moût  me  torne  a  grant  contraire 
20  Que  de  Iritan  ne  pris  vangence, 

Sel  me  torne  Tan  a  enfance. 

Foïz  s'an  est  en  ceste  terre 

Que  je  no  sei  0  jamais  querre, 

Car  moût  l'avrai  tôt  jorz  salve. 
25  Se  poise  moi,  por  saint  Odé. .  . 

Se  nus  de  vos  lou  puet  parçoivre. 

Faites  lou  moi  savoir  sanz  faille. 

Par  saint  Sanson  de  Cornouaille, 


1  M.  lit  menez.  —  2  M,  lit  cort.  —  5  M.;  ms.   Si  i  uaut.  —  7  P.  ms.  son 
uorine.  —  26  ms.  nos  au  lieu  de  nus. 


JÔO  H.    MORF. 

Quil  me  randroit,  gré  l'an  savroie 
30  Et  tôt  jorz  plus  chier  l'an  avroie.  » 
N'i  a  celui  ne  li  promete 
Que  a  lui  prandre  entante  mete. 
Dinas  li  senechax  sopire, 
Por  Tritan  a  au  cuer  grant  ire, 
3  $   Forment  l'an  poise  en  son  corage  ; 
Erramant  a  pris  un  mesage 
Par  cui  a  fait  Tritan  savoir 
Con  a  perdu  par  non  savoir 
L'amor  del  roi,  quil  et  de  mort. 
40  Mar  vit  Trltanz  son  bel  déport. 
Par  envie  est  aparceùz  ; 
Moût  en  a  esté  deceùz. 

Qant  Tritanz  oï  la  novele,  [fol.  152.  r°.  b]. 

Sachiez  ne  li  fu  mie  bêle  ; 
4S  N'ose  repairier  ou  pais, 
Sovant  en  a  esté  fuitis. 
Sovant  sopire  et  moût  se  dialt 
De  ce  c'o  lui  nen  a  Ysiaut. 
Ysiaut  a  il,  mais  nen  a  mie 
50  Celi  qui  primes  fu  s'amie. 
Porpanse  soi  qu'il  porra  faire, 
Con  la  porra  a  soi  atraire, 
Car  n'ose  aler  en  la  contrée, 
«■  Ha  !  Dex,  «  fait  il,  »  quel  destinée  ! 
5  5  C'ai  je  sofert  en  tel  amor  ! 
Onques  de  li  ne  fis  clamor 
Ne  ne  me  plains  de  ma  destrece, 
Por  quoi  m'asaut,  por  quoi  me  blece  ? 
Dex  !  ce  que  doi[t]  ?  qui  me  sanble... 
60  Don  ne  fai  je  ce  que  demande  ? 
Nenil,  qant  celé  a[i]  laissiee 
Qui  a  por  moi  tant  de  hachiee, 
Tant  mal  et  tant  honte  [et]  anui. 
Las  !  «  fait  il,  »  [he  las  !]  con  je  sui 
65  Malaùrox,  etcon  mar  fui  !... 
Soferte  et  tante  poine  aûe  ! 
Ainz  si  bêle  ne  fu  veue. 


29  ms.  Qel.  —  32  P.;  ms.  qui.  —  50  nis.  pr.  a  samie. 


LA    FOLIE    TRISTAN    DE    BERNE.  56 1 

Ja  n'an  soit  mais  nul  jor  amez, 
Ainz  soit  tôt  jorz  failliz  clamez 
70  Qui  de  lui  amer  ja  se  faim  ! 
Amors,  qui  totes  choses  vaint, 
Me  doint  encor  que  il  avaigne         [fol.  152.  v".  a.] 
Que  a  ma  volante  la  taigne  ! 
Si  ferai  je,  voir,  se  Dex  plait. 
75  A  Deu  pri  ge  qu'i  ne  me  laist 
Morir  devant  [ce]  que  je  [P]  aie. 
Moût  me  gari  soef  ma  plaie. 
Et  Dex  me  doint  encor  tant  vivre 
Que  la  voie  saine  et  délivre  ! 
80  Encor  avroie  je  moût  chier 
S'a  li  me  pooie  acointier. 
Et  Dex  li  doint  joie  et  santé, 
S'il  vialt,  por  sa  doce  bonté  ! 
Et  il  me  doint  enor  et  joie^ 
85  Et  si  me  tor^t]  en  itel  voie, 
Q'ancor^e]  la  puisse  aviser 
Et  li  veoir  et  encontrer  ! 
Dex  !  con  sui  maz  et  confonduz 
Et  en  terre  moût  po  cremuz  ! 
90  Las  !  que  ferai,  quant  ne  la  voi  ? 
Que  por  li  sui  en  grant  efroi 
Et  nuit  et  jor  et  tôt  lo  terme. 
Qant  ne  la  voi  a  po  ne  de[r]ve. 
Las  !  que  ferai  ?  ne  sai  que  faire, 
95  Que  por  lui  sont  en  grant  afaire. . . 
Morir  devant  ce  que  je  l'aie  ? 
Moût  me  gari  soef  ma  plaie 
Que  je  reçui  en  Cornuaille, 
Qant  a  Mohort  fis  la  bataille 
lûo  En  l'ile  ou  fui  menez  a  nage 
Por  desfandre  lo  treussaje 

Que  cil  dévoient  de  la  terre  :         [fol.  i  )  2.  v".  b.] 
A  m'espee  fmé  la  guerre. 
Tenir  me  porroit  por  mauvais, 
10)  Se  por  nule  menace  lais 


70  P.;  ms.  amer  ne  se  fait.  —  74  P.  ;  rns.  serai.  —  99  M.  lit  Mehort 
103  A/:  A  m'espée  [ai]  fine  la  guerre. 

Romania,  XV  3^ 


562 


Que  je  n'i  aille  en  tanpinaje 

O  en  abit  de  fol  onbrage. 

Por  li  me  ferai  rere  et  tondre, 

S'autremant  ne  me  puis  repondre. 
1 10  Trop  sui  el  pais  coneùz  : 

Sanpres  seroie  deceûz, 

Se  je  ne  puis  changier  a  gré 

Ma  vesteûre  et  mon  aé. 

Ne  fmerai  onques  d'errer 
1 1 5  Tant  con  porrai  nés  point  aler.  » 

Quant  ce  ot  dit,  plus  ne  demore, 

Ainz  s'an  torne  meismes  l'ore, 

Gerpi  sa  terre  et  son  roiaume, 

Il  ne  prinst  ne  hauberc  ne  hiaume. 
120  D'errer  ne  fine  nuit  et  jor^ 

Jusq'a  la  mer  ne  prist  sejor. 

A  moût  grande  poine  vint  la; 

Et  si  vos  di  qu'il  a  pieç'a 

Tel  poine  soferte  por  lis 
125  Et  moût  esté  fol,  je  vos  di. 

Change  son  non,  fait  soi  clamer 

Tantris.  Qant  il  ot  passé  mer, 

Passez  est  outre  lo  rivage.  [fol.  153.  r' 

Ne  vialt  pas  q'en  lo  taigne  a  sage  : 
1 30  Ses  dras  deront,  sa  chère  grate, 

Ne  voit  home  cui  il  ne  bâte  ; 

Tondre  a  fait  sa  bloie  crine. 

N'i  a  un  sol  en  la  marine 

Qui  ne  croie  que  ce  soit  rage  ; 
1 3  5  Mais  ne  sevent  pas  son  corage. 

En  sa  main  porte  une  maçue; 

Comme  fox  va  :  chascuns  lo  hue, 

Citant  li  pierres  a  la  teste. 

Tritanz  s'en  va,  plus  n'i  areste. 
140  Ensinc  ala  lonc  tans  par  terre 

Tôt  por  YamorYsiant  conquerre. 


107  P.;  ms.  félon  braie.—  1  14  ms.  en  mon  aer;  le  copiste  paraît  s'être  trompé 
de  ligne  en  copiant  encore  une  Jais  la  fin  du  virs  113;  /'r  final  est  évidemment 
ajouté  après  coup.  Nés  point  du  vers  115=:  même  un  pas  [cf.  Zcitschrif,  II,  409 
s.).  —  122  ms.  grant.  —  134  ms   Quil. 


LA    FOLIE    TRISTAN    DE    BERNE.  563 

Mout  li  ert  boen  ce  qu'il  faisoit, 

Nule  rien  ne  li  desplaisoit 

Fors  ce  qu'il  n'estoit  o  Yseut: 
145  Celi  desirre,  celi  veut. 

N'a  encor  pas  esté  a  cort, 

Mais  or  ira,  a  quel  qu'[il]  tort, 

Et  se  fera  por  fol  sambler, 

Que  a  Ysiaut  viaut  il  parler. 
1 50  Droit  a  la  cort  en  est  venuz, 

Onques  huis  ne  li  fu  tenuz. 

Qant  Tritanz  vint  devant  lo  roi, 

Auques  fu  de  povre  conroi  : 

Haut  fu  tonduz,  lonc  ot  lo  col, 
1 5  5  A  mervoiile  sambla  bien  fol, 

Mout  s'est  mis  por  amor  en  grand(r  e. 

Mars  l'apele,  si  li  demande:         [fol.  153.  r"  b.] 

«  Fox,  con  as  non  ?  »  «  G'énon  Picous.  » 

«  Qui  t'angendra  ?  »  «  Uns  valerox.  » 
160  «  De  que  t'ot  il  ?  «  0  D'une  balaine. 

Une  suer  ai,  que  vos  amoine  ; 

La  meschine  a  non  Bruneheut; 

Vos  l'avroiz,  je  avrai  Yseut.  « 

«  Se  nos  chanjon,  que  feras  tu  ?  » 
16$   Et  dit  Tritanz  :  «  0  bee[sj  tu  ? 

Entre  les  nues  et  lo  ciel 

De  flors  et  de  roses,  sanz  giel, 

Iluec  ferai  une  maison 

0  moi  et  li  nos  dedt  iron 
170  A  ces  Galois,  cui  Dex  doint  honte! 

Encor  n'ai  pas  fine  mon  conte. 

Rois  Mars,  demoisele  Brangain 

Traist,  je  t'afi  enz  en(z)  ta  main, 

Del  boivre  don  dona  Tritan^ 
175   Don  il  sofri  puis  grant  ahan. 

Moi  et  Ysiauî,  que  je  voi  ci, 

En  beùmes  :  demandez  li  ; 


144  M.  lit  oy  au  lieu  de  0  Yseut.  —  14^  ms.  que  il  veut  ûu  lisu  de  celi 
veut.  —  \\G  Le  copiste  a  d'abord  écrit  graindrc,  puis  effacé  /'i.  Cj.  389.  — 
\i>2P.;ms.  brunchor.  —  172  P.;  ms .  demoi  sece,  —  17^  ms.  'i'ain. 


564 


Et  si  lo  tient  or  a  mançonge  ; 

Don  di  je  bien  que  ce  fu  songe, 
180  Car  je  lo  songé  tote  nuit. 

Rois,  tu  n'iés  mie  encor  bien  duit; 

Esgarde  [moi]  en  mi  lo  vis  : 

Don  ne  sanble  je  bien  Tantris  ? 

Je  ai  sailli  et  lanciez  jons, 
185  Et  sostenu  dolez  bastons, 

Et  en  bois  vescu  de  racine, 

Entre  mes  braz  tenu  raine.         [fol.  153.  v°  a.] 

Plus  dire,  se  m'an  entremet  ; 

En  terre  pose  Picolet.  » 
1 90  «  Ce  poise  moi  que  tant  fait  as  ; 

Lai  or  hui  mais  ester  tes  gas.  » 

«  A  moi  que  chaut  s'il  vos  en  poise .'' 

Je  n'i  donroie  .j.  po  de  gloise.  » 

Or  dient  tuit  li  chevalier  : 
195  «  N'a  fol  baer,  n'a  fol  tancier  !  » 

«  Rois,  manbre  os  d'un[e]  peor  grant, 

Qant  vos  nos  trovastes  gisant 

Dedanz  la  foilliee,  estandu 

Entre  nos  .ij.  mon  branc  tôt  nu  .? 
200  La  fis  je  sanblant  de  dormir, 

Car  je  n'osoie  pas  foir. 

Chaut  faisoit  con  el  tans  de  mai; 

Par  mi  la  loje  vi  .j.  rai; 

Li  rais  sor  sa  face  luisoit  : 
205  Moût  faisoit  Dex  ce  qu'il  voloit  ; 

Tes  ganz  botas  enz  el  pertuis, 

Si  t'an  alas,  il  n'i  ot  plus  ^ 

Car  je  ne  voil  l'autre  conter, 

Car  il  li  devroit  bien  manbrer.  » 
210  Marc  en  esgarde  la  raine, 

Et  celé  tint  la  chère  encline, 

Son  chief  covri  de  son  mantel  : 

«  Fol,  mal  aient  li  marinel 

Qui  ça  outre  vos  amenèrent,, 
2 1 5  Qant  en  la  mer  ne  vos  giterent  !  » 


196  ms.  manbre  vos.  Cf.  Rom.  XIV,  306.  —  203  P.;  ms.  lo  laie.  —    208 
ms.  lordre. 


LA    FOLIE    TRISTAN    DE    BERNE.  $6$ 

Adonques  a  Tritanz  parlé  : 

«  Dame,  cist  cox  ait  mal  dahé!     [fol.  15^.  v».  b.l 

Se  estoiez  certe  de  moi, 

Se  près  vos  m'avoiez  secroi 
220  Et  vos  saûssiez  bien  mon  estre, 

Ne  vos  tandroit  huis  ne  ffenestre 

Ne  lo  commandemant  lo  roi. 

Encor  ai  l'anel  près  de  moi 

Que  me  donestes  au  partir 
225  Del  parlemant  que  doi  haïr. 

Maldite  soi  ceste  asanblee  ! 

Mainte  dolereuse  jornee 

En  ai  puis  aûe  et  soferte. 

Car  m'estorez,  dame,  ma  perte 
250  En  doz  baisier  de  fine  amor 

Ou  enbracer  soz  covertor. 

Moût  m'avroiez  fait  grant  confort, 

Certes,  0  autremant  sui  mort. 

Onques  Yder,  qui  ocist  Tors, 
23  $  N'ot  tant  ne  poines  ne  dolors 

Por  Guenievre,  la  famé  Artur, 

Con  je  por  vos,  car  je  en  mur. 

Gerpi  en  ai  tote  Bretaigne, 

Par  moi  sui  venuz  en  Espaigne  ; 
240  Onques  nel  sorent  mi  ami, 

Ne  nel  sot  la  suer  Caadin. 

Tant  ai  erré  par  mer,  par  terre, 

Que  je  vos  sui  venuz  requerre. 

Se  je  ensin  m'an  vois  do  tôt, 
245  Que  l'un  en  l'autre  ne  vos  bot, 

Donc  ai  je  perdue  ma  joie;         [fol.  i  $4.  r".  a.] 

Ja  mais  en  augur  nus  ne  croie.  » 

En  la  sale  maint  en  consoille, 

Li  uns  a  l'autre  [enz]  en  l'oroille  : 
250  «  Mien  esciant  tôt  avandroit 

Que  mes  sires  cel  fol  crerroit.  » 


219  ms.  :  Se  par  vos  marinet  seruoi.  —  224  P.;  ms.  Qui.  —  231  P.;  ms. 
sanz.  —  234  P.;  ms.  Ydel  quocist  ;  M.  lit  Ysiaut,  Del  quocist.  —  236  ms. 
Artus.  —  241  P.;  ms.  candin.  —  247  M.  lit  nos. 


S^G 


Li  rois  a  demandé  chevax, 
Aler  veoir  vialt  ses  oisiax 

La  de  defors  voler  as  grues  : 
2  5  5   Pieç'a  que  n'issirent  des  mues. 

Tuit  s'an  issent,  la  sale  est  [v]uie, 

Et  Tritanz  a  un  banc  s'apoie. 

La  raine  entra  en  sa  chanbre, 

Don  li  pavemanz  est  de  lanbre, 
260  A  soi  apele  sa  meschine. 

Dit  li  a  :  «  Por  sainte  Estrestine, 

As  tu  oi  del  fol  mervoilles  ? 

Maie  goûte  ait  il  es  oroilles  ! 

Tant  a  hui  mes  faiz  regreté 
265   Et  les  Tritan,  c'ai  tantamé 

Et  fais  encor^  pas  ne  m'an  fain  ! 

Lasse  !  si  m'a  il  en  desdain, 

Et  si  m'an  sofre  encor  a  poine. 

Va  por  lo  fol,  si  lo  m'amoine  !  » 
270  Celé  s'an  torne  eschevelee  ; 

Voit  la  Tntanz^  moût  li  agrée. 

«  Dan  fol,  ma  dame  vos  demande. 

Moût  avez  hui  esté  en  grande 

De  reconter  hui  vostre  vie. 
275  Plains  estes  de  mélancolie  :         [fol.  1 54.  v°.  b]. 

Si  m'aist  Dex,  qui  vos  pandroit, 

Je  cuit  que  bien  esploiteroit.  » 

«  Certes,  Brangien,  ainz  feroit  mal  : 

Plus  fol  de  moi  vait  a  cheval.  » 
280  «  Quel  deiable  enpané  bis  (?) 

Vos  ont  mon  non  ensi  apris.?  » 

«  Bêle,  pieç'a  que  je  lo  soi. 

Par  lo  mien  chef,  qui  ja  fu  bloi, 

Partie  est  de  cest  [chief]  raison  : 
285  Par  vos  est  fors.  Lo  gerredon 

Hui  cest  jor,  bêle,  vos  demant, 

Que  me  façoiz  solemant  tant 

Que  la  raine  me  merisse 

La  carte  part  de  mon  servise 


255  P.;  ms.  aleueor.  —  256  P.  ;  M.  lit  vu     —  264  P.;  ms.  fox.  —  285 
•vs.  sors.  —  288  P.;  ms.   reisse.  - 


LA    FOLIE    TRISTAN    DE    BERNE.  07 

290  0  la  moitié  de  mon  travail.  » 

Don  sopira  a  grant  baail. 

Brangien  si  l'a  bien  agaitié  : 

Biaus  braz,  bêles  mains  et  biaufx)  piéiz) 

Li  voit  avoir  a  desmesure  ; 
295   Bien  est  tailliez  par  la  çainture. 

En  son  cuer  panse  qu'il  est  sage 

Et  [en]  meillor  mal  que  (que)  n'est  rage. 

«  Chevaliers  sire,  Dex  l'anorit] 

Et  doint  joie,  mais  qu'il  ne  tort 
300  A  la  raine  a  desenor 

Ne  a  moi,  qui  sui  de  s'amor  ! 

Pardone  m.oi  ce  que  t'ai  dit, 

Ne  m'an  poise  mie  petit,  » 

«  Jel  vospardoin,  pas  ne  m'an  poise.  «  [fol.i  54. va.] 
305  A  tant  dit  Brangien  que  cortoise: 

«  Toe  merci  porchace  t'uevre  : 

D'autrui  que  de  Tritan  recovre .  » 

«  Ja  si  feroie  je  mon  voil  ; 

Mais  11  boivres  del  trosseroil 
310  M'a  si  emblé  et  cuer  et  sans 

Que  je  n'an  ai  autre  porpans 

Fors  que  tant  en  amor  servir. 

Dex  m'an  doint  a  boen  chief  venir  ! 

Mar  fu  celé  ovre  appareilliee: 
3 1 5  Mon  San  ai  an  folor  changiee. 

Et  vos,  Brangien,  qui  l'aportates, 

Certes  malemant  esploitates. 

Cil  boivres  fu  faiz  a  envers 

De  plusor  herbes  moût  divers. 
320  Je  muir  por  li,  ele  nel  sant  : 

N'est  pas  parti  oniemant  ; 

Car  je  sui  Tritanz,  qui  mar  fu.    » 

A  cest  mot  l'a  bien  conneû. 

A  ses  piez  chiet,  merci  li  crie, 
325  Qu'il  li  pardoint  sa  vilenie; 

Si  la  relieve  par  les  doiz, 

Si  la  baisa  plus  de  .c.  foiz. 


306  t'uevre  est  employé  i-ô  y.ov^o^;  cf.  TobUr,  Vermischte  Beitraege,  p.   117. 


$68 


Or  la  prie  de  sa  besoingne 
Et  qu'el  la  face  sans  essoigne, 
330  Bien  s'anporra  apercevoir, 
Et  qu'ele  en  face  son  pooir. 
Brangien  l'an  moine  par  lo  poin, 
L'uns  près  de  l'autre,  non  pas  loing,  [fol.  i  ^.  v.  b.] 
Et  vienent  en  la  chanbre  ensanble. 
3  3  5  Voit  lo  Ysiaut,  ii  cuers  li  tranble, 
Car  moût  lo  het  por  les  paroles 
Que  il  dist  hui  mati[n]  si  foies. 
Moût  boenemant  et  san  losange 
La  salua,  a  quel  qu'i[l]  praigne. 
340  «  Dex  saut,  »  fait  ce  il,  «  la  raine, 
Avoc  li  Brangien  sa  meschine! 
Car  ele  m'avroit  tost  gari 
Por  sol  moi  apeler  ami. 
Amis  sui  je  et  ele  amie. 
345  N'est  pas  l'amors  a  droit  partie: 
Je  sui  a  doble  traveillié. 
Mais  el(e)  n'an  a  nule  pitié. 
0  fain,  o(i)  soif  et  ou  durs  Hz, 
Pansis,  pansant,  do  cuer,  do  piz 
350  Ai  soferte  mainte  destrece; 

N'ai  rien  mesfait  par  ma  parece. 
Mais  cil  Dex  qui  reigne  sanz  fm. 
Qui  as  noces  Archedeclin 
Lor  fu  tant  cortois  botoillier 
3  $  5  Que  l'eve  fist  en  vin  changier, 
Icel  Dex  me  mete  en  corage 
Qu[eJ  i[l]  me  giet  d'icest  folage  !  » 
Celé  se  taist,  qui  mot  ne  sone. 
Voit  laBrangiens,  si  l'araisone  : 
360  «  Dame  »,  fait  ele,  «  quel  sanblant 
Faites  au  plus  loial  amant 

Qui  onques  fust  ne  ja  mais  soit  ?       [fol.   1 5  5  r".  a. 
Vostre  amor  l'a  trop  en  destroit. 
Metez  li  tost  voz  braz  au  col  ! 
365  Por  vos  s'est  tonduz  conme  fol. 


348  ms.  dur. 


LA    FOLIE    TRISTAN    DE    BERNE.  ^6q 

Dame,  entandez  que  je  i  di  : 

Ce  est  Tritans,  gel  vos  afi.  » 

«  Damoisele,  vos  avez  tort. 

Car  fussiez  vos  a  lui  au  port 
370  0  il  ariva  hui  matin  ! 

Trop  a  en  lui  cointe  meschin. 

Se  ce  fust  il,   il  n'aùst  pas 

Hui  dit  de  moi  si  vilains  gas, 

Oient  toz  cez  en  celé  sale. 
375  Miauz  volsist  estre  el  fonz  de  fale.  » 

«  Dame,  gel  fis  por  nos  covrir, 

Et  por  aux  toz  por  fox  tenir. 

Ainz  ne  soi  rien  de  devinaille. 

La  nostre  amor  trop  me  travaille. 
j8o  Po  vos  manbre  de  Gamarien, 

Qui  ne  demandoit  autre  rien 

Fors  vostre  cors  qu'il  en  mena  : 

Qui  fu  ce  qui  vos  délivra?  » 

«   Certes,  Tritans,  li  niés  lo  roi, 
385  Qui  molt  fu  de  riche  conroi.  « 

Voit  lo  Tritans,  moût  li  est  buen: 

Bien  set  que  il  avra  do  suen, 

S'amor,  car  plus  ne  li  demande. 

Sovant  en  a  esté  en  grand(r)e. 
390  «  Resanble  je  point  a  celui 

Qui  sol,  sanz  aie  d'autrui,       [fol.  15$.  r».  b.) 

Vos  secorut  a  cel  besoin, 

A  Guimarant  copa  lo  poin  ?  » 

«  Oïl,  itant  que  estes  home. 
395  Ne  vos  conois,  ce  est  la  some.  » 

«  Certes,  dame,  c'est  grant  dolor. 

Ja  fui  je  vostre  harpeor. 

En  la  chanbre  0  fui  venistes 

Tele  ore  que  je  fui  molttristre[s]... 
400  Et  vos,  raine,  encor  un  poi. 

Car  de  la  plaie  que  je  oi, 

Que  il  me  fist  par  mi  l'espaule, 

Siissi  je  de  ceste  aule  (?), 


398  ms.  chanbre  de  lui  menistre. 


J70 


H.    MORF. 

Me  randistes  et  sauf  et  sain  ; 
405  Autres  de  vos  n'i  mist  la  main. 
Del  velin  del  cruiel  sarpent, 
Panduz  soie,  se  je  en  manî, 
Me  gar[es]istessanz  mehain. 
Et  quant  je  fui  entrez  el  bain, 
4 1  o  Traisistes  vos  mon  branc  d'acier  : 
L'osche  trovas  a  l'essuier; 
Donc  apelastes  Perenis 
0  la  bande  de  paile  bis 
0  la  pièce  iert  envelopee; 
41 5  L'acier  joinssistes  a  l'espee, 
Quant  l'un  acier  a  l'autre  joint, 
Donc  ne  m'amastes  vos  donc  point. 
Par  grant  ire  por  moi  ferir 

L'alastes  a  deus  poinz  saisir  :       [fol .   1 5  5 .  v\  a .  ] 
420  Venistes  ver  moi  tôt  iriee. 
En  po  d'ore  vos  oi  paiee 
0  la  parole  do  chevol, 
Don  je  ai  puis  au  grant  dol. 
Vostre  mère  sot  ce  secroi, 
425  Ice  voijs  afi  je  par  foi  ; 

Don  me  fustes  vos  [puis]  bailliee. 
Bien  fu  la  nés  apareilliee. 
Qant  de  haute  fumes  torné. 
Au  tiers  jornos  failli  oré. 
450  Toz  nos  estut  nagier  as  rains 
Je  meismes  i  mis  les  mains. 
Granz  fu  li  chauz,  s'aùmes  soif  ; 
Brangiens,  qui  ci  est  devant  toi, 
Corut  en  haste  au  trosseroel  ; 
43  5   Ele  meprist  estre  son  voil: 
Do  buv[e]rage  empli  la  cope, 
Moût  par  fu  clers^,  n'i  parut  sope, 
Tandi  lo  moi,  et  je  lo  pris. 
Ainz  ne  iert  mal  ne  après  pis 
440  Car  trop  savez  de  la  favele. 
Mar  vos  vi  onques,  damoise[le].)) 


41 1  P,,-  ms.  trouastes.  —  417  M.  Ut  manjastes.  —  429  P.;  ms.  Autre  — 
4J1  M.  lit  II.  —  439  iert  n'est  pas  tout  à  fait  sûr  :  ont  {M)  est  certainement  une 
erreur. 


L\    FOLIE   TRISTAM    DE    BERNE.  57I 

«  De  mout  bon  maistre  avez  leù  ! 

A  vostre  voil  seroiz  tenu 

Por  Triian,  a  cui  Dex  ait; 
445  Maistoz  eniroiz  escondit. 

Diroiz  vos  mais  noie  novele  ?  » 

«  Oil:  lo  saut  de  la  chapele. 

Qant  a  ardoir  fustes  jugiee 

Et  as  malades  otroiee_,  [fol.  155,  v".  b.] 

450  Mout  s'antraloient  desrainnant 

Et  mout  durement  estrivant, 

A  l'un  en  donerent  le  chois, 

Li  qex  d'aux  vos  avroit  el  bois. 

Je  n'an  fis  autre  enbuschemant 
45  5  Fors  do  Gorvenal  solement. 

Mout  me  deùssiez  bien  conoistre. 

Car  je  formant  lo  fis  je  croistre. 

Ainz  par  moi  n'en  fu  un  desdit, 

Mes  Gorvenal,  cui  Dex  ait, 
460  Lor  dona  tex  cox  des  bastons 

Ou  s'  apooient  des  moignons 

En  la  forest  fumes  un  terme, 

0  nos  plorames  mainte  lerme. 

Ne  vit  encor.e)  l;i)  hermite  Ugrin  ? 
465  Dex  mete  s'ame  a  boene  fin  !  » 

«  Ce  poez  bien  laissier  ester; 

De  lui  ne  fait  mie  a  parler. 

Vos  nel  resanbleroiz  oan . 

Il  est  prodom,  et  vos  truan'z). 
470  Estrange  chose  avez  enprise  : 

Maint  engingniez  par  truandise. 

Je  vos  feroie  mout  tost  prandre 

Et  au  roi  vos  ovres  antandre.  « 

«  Certes,  dame,  si  lo  savoit, 
475  Je  cuit  qu'i[l]  vos  en  peseroit. 

L'an  dit  :  qui  ainz  servi  amor, 

Tôt  lo  gerredone  en  un  jor. 

Selonc  les  ovres  qu'e[n]  li  voi, 

Est  ce  granz  enors  endroit  moi  ?        [fol.  156.  r"  a] 


445  Ms.  escondiz.  — 461  P.;  mj.  Qui. —  471  M.  /ùen  gragniez.  —  478  m^. 
que  lioi,  ^u/  parait  avoir  été  originairement  que  uoi. 


572  H.    MORF. 

480  Je  soloie  ja  avoir  drue, 

Mais  or  l'ai,  ce  m'est  vis,  perdue.  » 

«  Sire,  qui  vos  a  destorbé  ?  » 

«  Celé  qui  tant  jorz  m'a  amé 

Et  fera  encor,  se  Deu  plaist. 
485  Ne  m'est  mestier  c'ancor  me  laist. 

Or  vos  conterai  autre  rien  : 

Estrange  nature  a  en  chien. 

Queles  !  qu'est  Hudent  devenu  ? 

Qant  cil  l'orent  .iij.  iorz  tenu, 
490  Ainz  ne  vost  boivre  ne  mangier, 

Por  moi  se  voloit  enragier. 

Donc  abatirent  au  bréchet 

Lo  bel  lien  0  tôt  Tuisset. 

Ainz  ne  fma,  si  vint  a  moi. 
495   «  Par  celé  foi  que  je  vos  doi, 

Certes,  jel  gart  en  ma  saisine 

A  celui  eus  cui  me  destine 

Q'ancor  ferons  ensanble  joie.  » 

«  Por  moi  lairoit  Ysiaut  la  bloie. 
5  00  Car  lo  me  mostrez  orandroit, 

Savoir  se  il  me  conoistroit.  » . 

«  Connoistre  !  vos  dites  richece. 

Po  priseroit  vostre  destrece  ; 

Car  puis  que  Tritanz  s'an  ala, 
505  Home  de  lui  ne  s'aprima 

Qu'il  ne  volsist  mangier  as  danz. 

Il  gent  en  la  chanbre  loianz. 

Damoisele,  amenez  lo  ça  !  » 

Brangiens  i  cort,  sou  desloia.       [fol.  i  $6.  r°  b.] 
5 1 0  Qant  li  brechez  l'oï  parler, 

Lo  lien  fait  des  mains  voler 

A  la  meschine  qui  l'amoine  ; 

De  venir  a  Tritan  se  poine, 

S[or]e  li  cort,  lieve  la  teste  : 
5 1 5  Onques  tel  joie  ne  fist  beste  ; 

Boute  do  groin  et  fiert  do  pié  : 

Toz  li  monz  en  aûst  pitié  ; 

484  ms.  dex.  —  488  P.;  ms.  Queles  hudent  devenu.  —  497  M.  ens.  — 
499  M. lit  lairoie.  —  505  ms.  nostre.  —  $11  P.;  ms.  mars.  —  $'4  ^«  — 
516  P.;  ms.  grain. 


LA   FOLIE   TRISTAN    DE   BERNE.  J7Î 

Ses  mains  loiche,  de  joie  abaie. 
Voit  io  Ysiaut^  formant  s'esmaie, 
5  20  Craint  que  il  soit  enchanteor 

0  aucun  boen  bareteor  : 
Tritanz  ot  povre  vesteùre. 
Au  brachet  dit  :  «  La  norriture 

C'ai  mis  en  toi  soit  beneoite  ! 
525  Ne  m'as  mie  t'amor  toloite. 

Moit  m'as  montré  plus  bel  sanblant 

Que  celi  cuij'amoie  tant. 

Ele  cuide  que  je  me  faigne  : 

Ele  verra  la  destre  ensaigne 
5  30  Q'ele  me  dona  en  baisant, 

Qant  départîmes  en  plorant, 

Cest  enelet  petit  d'or  fm  : 

Moût  m'a  estépruchien  voisin. 

Mainte  foiz  ai  a  lui  parlé, 
5  3  5  Et  quis  consoil  et  demandé. 

[Et]  qan  ne  me  savoit  respondre, 

Avis  m'iert  que  deiisse  fondre. 

Par  amor  bais(s;ai  l'esmeraude,       [fol.  156.  v°  a.] 

Mi  oil  moillerent  d'eve  chaude.  » 
540  Ysiaut  conut  bien  l'anelet 

Et  vit  la  joie  del  bréchet 

Que  il  fait,  a  poi  ne  s'anrage. 

Or  s'aperçoit  en  son  corage 

C'est  Tritans  a  cui  el^e)  parole. 
545   «  Lasse  !  »  fait  ele,  «  tant  sui  foie! 

Hé!  mauvais  cuers,  por  que  ne  fonz, 

Qant  ne  conois  la  rien  el  mont 

Qui  por  moi  a  plus  de  tormant  ? 

Sire,  merci  !  je  m'an  repant.  » 
5  50  Pasmee  chiet,  cil  la  reçoit. 

Or  voit  Brangiens  ce  qu'el  voloit. 

Quant  el  revint^  es  flans  l'anbrace  ; 

Lo  vis  et  lo  nés  et  la  face 

Li  a  plus  de  mil  foiz  baisié. 
5  5  $   «  Ha  !  Tritanz  sire,  quel  pechié. 


542  M.j  ms.  poi.  —    Ç44.  P.  —  552  ms.  el  .ft. 


574 


Qui  tel  poine  sofrez  por  moi  ! 
Don  mal  soie  fille  de  roi, 
S'or  ne  vos  rant  lo  gerredon  ! 
Quelles  !  Brangien,  quel  la  feron  ? 

560  «  Dame,  nel  tenez  mie  a  gas  : 
Alez,  si  li  querez  les  dras. 
H  est  Tritanz  et  vos  Yseut.  » 
Or  voit  l'an  bien  qui  plus  se  deut. . 
A  molt  petitet  d'achoison. 

^65  Et  dit  :  «  Quel  aise  li  feron  ?  » 
«  Tandis  con  vos  avez  loisir, 
Moût  vos  penez  de  lui  servir, 
Tant  que  Mars  viegne  de  rivière. 
«  Car  la  trovast  il  si  pleniere 

570  Qu'il  ne  venist  devant  .viij.  jorz!. 
A  cez  paroles,  sanz  grant  cri, 
Con  vos  avez  ici  oï, 
Entre  Tritanz  soz  la  cortine  : 
Entre  ses  braz  tient  la  raine. 


Berne,  le  21  novembre  !886. 


Henri  Morf. 


564  M.  lit  de  choison.  —  569  M.  omet  si.  —  573  M.  lit  sor. 


SUR  l'identité 
DU  THOMAS  AUTEUR  DE  TRISTRAN 

ET 

DU  THOMAS  AUTEUR  DE  HORN 


Le  roman  anglo-normand  de  Horn  et  Rimel,  imprimé  pour  la  première 
fois  d'une  manière  très  insuffisante  par  M.  Francisque  Michel,  en  1845, 
et  dont  MM.  Brede  et  Stengel  ont  publié  récemment  des  copies  fidèles 
d'après  les  trois  manuscrits  [Ausgaben  und  Abhandbngen,  viii),  com- 
mence et  finit  en  indiquant  qu'il  a  pour  auteur  «  mestre  Thomas  »  : 

vv.  I  S{]^.  Seignurs,  ci  avez  le  vers  del  parchemin, 
Cum  li  bers  Aaluf  est  venuz  a  sa  fin. 
Mestre  Thomas  ne  volt  k'il  seit  mis  a  déclin, 
K'il  ne  die  de  Horn  le  vaillant  orphanin; 

et  à  la  fin,  v.  5245: 

Tomas  n'en  dirrat  plus,  tu  aiiUm  chantera. 

M.  Francisque  Michel,  dans  l'introduction  de  son  édition  (p.  li),  a,  le 
premier,  posé  la  question  de  savoir  si  on  doit  voir  dans  ce  Thomas  le 
même  personnage  que  celui  qui  se  donne  comme  l'auteur  des  fragments 
du  roman  de  Tristan,  qu'on  appelle  d'un  nom  commun  la  version  de 
Thomas,  ou  s'il  faut  voir  en  lui  quelqu'un  des  autres  Thomas  qui  figurent 
dans  la  littérature  française  ou  anglo-normande  du  moyen  âge  :  Thomas 
de  Kent,  l'auteur  d'une  version  de  l'histoire  d'Alexandre;  —  l'auteur 
d'un  poème  anglo-normand  sur  la  mort  de  la  Sainte  Vierge  ;  —  enfin  le 
fameu.x  Thomas  d'Erceldone  «  le  Rimeur  «  ^  Après  avoir  rejeté  cette 
dernière  supposition  comme  tout  à  fait  inadmissible,  M .  Michel  tâche  de 
prouver  que  le  Thomas  du  roman  de  Horn  est  le  même  que  le  Thomas  de 


576  W.    SODERHJELM. 

Bretagne  cité  par  Gotfrid,  à  savoir  l'auteur  du  roman  de  Tristran.  Son 
argumentation  est  assez  faible.  Il  procède,  comme  il  le  dit  lui-même, 
par  voie  d'exclusion  :  il  écarte  d'abord  Thomas  de  Kent  par  la  raison 
que  son  «  roman  de  toute  chevalerie  »  est  en  tout  point  tellement  infé- 
rieur à  celui  de  Horn  qu'il  accuse  une  main  différente  '  ;  il  en  use  de 
même  à  l'égard  du  Thomas  du  poème  sur  la  mort  de  la  Sainte  Vierge, 
parce  que  le  trouvère  qui  porte  ce  nom  «  paraît  ne  le  devoir  qu'à  une 
erreur  du  copiste  et  s'être  réellement  appelé  Hermans»;  il  ne  reste  donc 
que  l'auteur  de  Tristran .  Pour  appuyer  son  hypothèse  que  celui-ci  est 
aussi  l'auteur  de  Horn^  M.  Michel  prétend  se  fonder  sur  une  tirade  de 
la  préface  du  roman  inédit  à'Atla  -,  où  l'auteur  déclare  que  les  his- 
toires d'Aelof,  de  Tristran  et  d'autres  ont  été  traduites  de  l'anglais  en 
français.  «  Il  faut  admettre,  »  dit  M.  Michel,  «  que  sous  le  titre  d'his- 
toire d'Aelof,  l'auteur  entendait  parler  non  seulement  du  roman  d'Allof, 
mais  encore  de  celui  de  Horn.  qui  n'en  est  qu'une  branche,  et  qu'il  a 
cité  cette  histoire  en  même  temps  que  le  roman  de  Tristran,  parce  que 
ces  deux  ouvrages  provenaient  de  la  même  main.  »  J'avoue  que  cette 
argumentation  ne  me  paraît  pas  assez  forte  pour  prouver  tout  de  suite 
que  l'hypothèse  de  M.  Michel  est  la  seule  juste.  Au  reste,  il  s'en  tient  là, 
sans  comparer  les  deux  poèmes  entre  eux,  sans  indiquer  les  ressemblances 
éventuelles  du  style  et  de  la  langue. 

On  en  est  resté  jusqu'ici  au  même  point.  L'hypothèse  de  M.  Michel, 
qu'il  ne  présentait  que  très  dubitativement,  est  devenue  un  axiome  pour 
certains  romanistes  :  on  l'a  acceptée  sans  se  donner  la  peine  d'en  chercher 
des  preuves  satisfaisantes.  Ainsi  M.  Stengel,  dans  la  préface  de  son  édition 
de  Horn  3,  se  contente  de  dire  que  nous  pouvons  sans  hésiter  identifier 
l'auteur  de  ce  poème  à  celui  du  roman  de  Tristran,  et  M.  Vising,  dans 
son  étude  sur  la  versification  anglo-normande 4,  s'exprime  à  peu  près  de 
la  même  manière,,  ajoutant  seulement  que  l'état  de  la  langue  corrobore  la 
vraisemblance  de  cette  opinion. 

Il  est  donc  utile  d'étudier  la  question  d'un  peu  plus  près. 

Mais  on  voit,  dès  le  premier  moment,  qu'il  ne  peut  guère  s'agir  que  de 
conjectures  plus  ou  moins  vagues.  La  forme  extérieure  des  deux  textes 
soulève  déjà  une  difficulté  considérable  pour  la  comparaison  :  tandis  que 


1 .  [Il  y  en  a  mainlenant  une  raison  encore  meilleure  :  c'est  que  l'auteur  de  cette 
histoire  d'Alexandre  s'appelait  sans  doute  non  Thomas,  mais  Eustace;  voy. 
P.  Meyer,  Alexandre,  t.  II,  p.  281.  —  G.  P.] 

2.  [Ou  plutôt  de  Waldef  ;  voy.  Sachs,  Beitrdge  zur  Kande  altfranzœsischer. 
alUnglischtr  und  provcnzalischer  Liuratur,  p.  47.  —  G.  P.] 

3.  L.  c,  p.  m. 

4.  P.  74- 


LES   AUTEURS    DE   TRISTRAN    ET    DE    HORN.  577 

Tristan  esi  écrit  en  vers  de  huit  syllabes,  c'est  l'alexandrin  qui  règne 
dans  Horn,  lui  donnant  un  tout  autre  caractère.  Puis  les  manuscrits  de 
Horn  offrent  une  quantité  de  fautes  de  scribe  qui  rendent  surtout  les 
questions  de  métrique  presque  insolubles,  à  moins  qu'on  ne  se  donne  la 
peine  d'essayer  une  reconstruction  critique  de  tous  les  5250  vers.  Enfm 
il  y  a  dans  la  langue  des  deux  poèmes  très  peu  de  traits  de  phonétique 
ou  de  tlexion  qui,  leur  étant  individuels  et  différant  d'une  façon  remar- 
quable de  ceux  des  autres  poèmes  anglo-normands  de  la  même  période, 
puissent  faciliter  une  conclusion  décisive.  Ce  sont  là  des  difficultés  qui 
empêcheront  probablement  d'obtenir  un  résultat  tout  à  fait  sûr. 

D'abord  je  donnerai  un  petit  aperçu  du  contenu  du  roman  de  Horn 
pour  qu'on  puisse  se  faire  une  idée  du  caractère  et  de  la  composition  de 
ce  poème. 

Le  roi  païen  Rodmund,  aprèsavoir  tué  le  roi  Aalufet  s'être  emparé  de 
son  royaume  de  Suddene,  fait  mettre  Horn,  le  plus  jeune  fils  d'Aaluf,  et 
ses  quinze  compagnons  dans  un  vieux  bateau  pour  les  laisser  périr  en 
pleine  mer.  Mais  un  vent  de  nord-ouest  les  pousse  au  rivage  de  la  Bre- 
tagne. Là  règne  un  roi,  nommé  Hunlaf,  qui  les  accueille  avec  bien- 
veillance et  leur  fait  donner  par  ses  barons  l'éducation  des  chevaliers. 
Quand  ils  ont  seize  ans,  ils  paraissent  à  la  cour.  Horn  est  parmi  tous  le 
plus  beau  :  «  Dame  nel  ad  veu,  »  dit  le  poète,  «  qui  ne  seit  pasmee  ». 
Même  Rimel  ou  Rimenhild,  la  fille  du  roi  Hunlaf,  devient  si  amoureuse 
du  bel  étranger  qu'elle  est  prise  d'une  folle  envie  de  se  donner  à  lui. 
Elle  fait  appeler  Horn  chez  elle  ;  il  vient  non  sans  peine,  mais  il  refuse 
l'amour  que  lui  offre  Rimel  aussi  bien  que  l'anneau  qu'elle  veut  lui 
donner;  il  dit  qu'il  n'est  qu'un  pauvre  écuyer,  et  qu'il  doit  au  moins 
gagner  ses  éperons  dans  une  bataille  ou  dans  un  tournoi  avant  de  rece- 
voir les  preuves  d'amour  d'une  si  noble  personne. 

Bientôt  se  présente  une  occasion  où  Horn  peut  se  montrer  digne  de 
l'honneur  que  toute  la  cour  lui  rend.  Deux  rois  africains,  frères  de  ce 
Rodmund  qui  a  tué  Aaluf,  viennent  d'envahir  le  pays  de  Hunlaf.  Horn 
demande  au  roi  la  permission  de  marcher  contre  les  ennemis;  Hunlaf  la 
lui  donne  et  le  fait  chevalier;  après  un  combat  acharné,  Horn  et  ses  gens 
anéantissent  toute  l'armée  africaine.  Le  triomphe  de  Horn  est  grand.  Le 
roi  le  reçoit  comme  son  sauveur,  le  pays  lui  témoigne  sa  profonde  recon- 
naissance, et  Rimel  lui  offre  de  nouveau  son  amour,  que  Horn  ne  refuse 
point  cette  fois.  Mais  sa  joie  ne  dure  pas  longtemps,  car  un  de  ses 
compagnons,  Wikel,  qui  l'envie,  le  calomnie  auprès  du  roi  en  l'accusant 
d'avoir  séduit  Rimel  sans  intention  de  l'épouser.  Le  roi  prie  Horn  de  se 
défendre  contre  cette  accusation  par  un  serment,  mais  Horn  prétend 
qu'il  ne  convient  pas  à  un  chevalier  de  se  défendre  autrement  qu'en  se 
battant  avec  son  accusateur.  Le  roi  tient  au  serment:  si  Horn  ne  veut 
Romania,  XV.  27 


578  W.    SoDERHJELM. 

pas  jurer,  il  le  considérera  comme  coupable  et  il  sera  forcé  de  le  chasser 
de  son  pays.  Horn  se  prépare  à  partir.  Il  prend  ses  armes,  rassemble 
ses  compagnons,  et  fait  ses  adieux  au  roi  ;  quand  il  s'approche  de  la  belle 
Rimel,  elle  se  pâme;  enfm  elle  lui  promet  de  l'attendre  sept  ans,  et  lui 
donne  un  anneau  qui  doit  le  sauver  de  tout  danger. 

Horn  s'embarque  sur  un  navire,  dont  la  destination  est  Westir.  Il  ne  se 
fait  plus  nommer  que  Gudmond,  pour  ne  pas  être  reconnu.  Sur  la  rive  de 
Westir  il  rencontre  les  filsdu  roi  de  ce  pays,  Gudereche,  dont  l'un  le  prend 
à  son  service.  A  la  cour  de  Westir  se  répètent  les  mêmes  choses  qu'en  Bre- 
tagne :  Horn  excite  l'admiration  de  tous  les  hommes  et  l'amour  de  toutes 
les  femmes.  Lemburc,  la  fille  du  roi,  lui  ofîre  ses  faveurs  et  des  présents, 
tout  à  fait  comme  l'avait  fait  auparavant  Rimel,  et  Horn  les  refuse  en 
disant  qu'il  ne  les  mérite  pas.  Cinq  ans  se  passent  ainsi  sans  événements. 
Horn  commence  à  trouver  la  vie  trop  oisive,  car  il  n'y  a  que  des  jeux  et 
des  fêtes  tout  le  temps.  Cependant  il  est  toujours  le  premier,  dans  les 
armes,,  pour  la  musique/  aux  échecs,  et  il  se  concilie  la  plus  haute  estime 
de  tous.  Enfm  il  a  le  bonheur  de  rendre  un  service  au  roi  Gudereche  sur 
le  champ  de  bataille.  Cela  se  fait  de  la  même  manière  qu'en  Bretagne  : 
les  Africains,  conduits  par  deux  frères  de  Rodmund  nommés  Hydebrant 
et  Herebrant  (curieux  noms  africains  !) ,  se  sont  jetés  en  grande  foule  sur  la 
frontière  du  Westir  ;  Horn  est  envoyé  à  leur  rencontre,  et  une  bataille 
terrible  s'engage.  Les  fils  du  roi  et  plusieurs  nobles  du  royaume  tombent, 
mais  enfin  Horn  décide  la  victoire  en  tuant  les  princes  africains.  Alors 
le  roi  Gudereche  lui  offre  de  partager  son  royaume  et  d'épouser  sa  fille 
Lemburc.  Mais  Horn  refuse,  se  rappelant  sa  promesse  à  la  belle  Rimel. 
A  ce  moment  arrive  à  la  cour  un  «  paumer  pèlerin  »  ;  en  apercevant 
Horn,  il  se  jette  à  ses  genoux,  l'appelle  de  son  vrai  nom  et  le  prie  de 
venir  aider  son  père,  le  sénéchal  du  roi  Hunlaf,  qui  par  les  ruses  du 
traître  Wikel  a  été  privé  de  tous  ses  biens.  Horn  essaie  d'abord  de 
garder  son  incognito,  mais  quand  le  pèlerin  lui  raconte  que  Rimel  va  être 
contrainte  d'épouser  le  roi  deFenoie,  Modin,  si  Horn  ne  vient  pas  à  son 
aide^  il  avoue  au  roi  son  nom  et  son  origine,  et  se  prépare  à  partir,  suivi 
d'un  grand  nombre  de  chevaliers  Westiriens.  Après  trois  jours  de  voyage 
on  arrive  en  Bretagne.  Horn  s'en  va  seul  vers  la  cour  pour  s'informer. 
Il  rencontre  un  mendiant,  change  d'habits  avec  lui  et  attend  près  du 
château  le  cortège  nuptial.  Il  le  voit  passer:  Wikel  et  le  fiancé  de  Rimel 
vont  ensemble,  et  Horn  ne  peut  s'empêcher  de  leur  lancer  des  invec- 
tives. Ensuite  Horn  pénètre  dans  le  château,  après  avoir  lutté  avec  les 
portiers  ;  il  se  mêle  aux  pauvres,  qui  sont  servis  à  la  fin  de  la  fête 
par  la  princesse.  Horn  parle,  le  visage  couvert,  à  Rimel  ;  elle  le  re- 
connaît enfin  à  l'anneau  donné  jadis.  Horn  retourne  près  de  ses  compa- 
gnons, un  tournoi  est  préparé  par  Rimel,  le  roi  de  Fenoie  est  vaincu,  tout 


LES    AUTEURS    DE    TRISTRAN    ET    DE    HORN.  579 

le  monde  passe  du  côté  de  Horn,  et  celui-ci  va  assiéger  la  ville  ;  mais  le 
roi  Hunlaf  voit  qu'il  a  eu  tort,  et  le  mariage  de  Horn  et  Rimel  est  célébré 
par  une  grande  fête.  Wikel,  le  traître,  obtient  son  pardon. 

Ici  se  présente  une  lacune  de  plusieurs  vers.  On  y  racontait  probable- 
ment comment  Horn  se  justifia  auprès  du  roi,  comment  il  retourna  dans 
son  pays  de  Suddene,  que  possédait  encore  Rodmund,  et  comment  il 
y  retrouva  un  ami  nommé  Hardré.  Le  récit  reprend  là. 

Par  la  ruse  de  Hardré  l'armée  de  Rodmund  tombe  dans  une  embus- 
cade oili  il  est  facile  à  Horn  de  l'anéantir.  Rodmund  est  tué  de  la  propre 
main  de  Horn,  celui-ci  devient  maître  de  tout  le  pays,  les  païens  sont 
forcés  d'abjurer  leur  foi  ou  de  mourir,  on  bâtit  des  églises  et  des  cou- 
vents. La  renommée  de  Horn  se  répand  par  le  monde  entier  et  arrive 
enfin  jusqu'à  la  mère  de  Horn,  qui  après  la  mort  d'Aaluf  s'était  retirée 
dans  les  Ardennes  [sic].  Elle  se  rend  à  la  cour,  et  son  arrivée  donne  lieu  à 
une  grande  fête.  Tout  va  bien,  jusqu'à  ce  que  Horn,  qui  a  laissé  sa 
femme  en  Bretagne,  ait  une  nuit  au  sujet  de  Rimel  et  de  V/ikel  un  songe 
si  affreux  qu'il  se  sent  forcé  d'aller  là-bas  pour  voir  ce  qui  se  passe.  En 
effet,  Wikel  est  de  nouveau  en  possession  du  pouvoir,  et  se  prépare  à 
épouser  par  force  Rimel.  Mais  Horn  le  vainc  et  lui  fait  subir,  en  le  tuant, 
le  sort  commun  de  tous  ses  ennemis.  Puis  il  va  visiter  le  Westir  avec 
le  roi  de  Fenoie,  qui  tout  à  coup  est  devenu  son  cousin  et  bon  ami  ;  il 
marie  Lemburc  à  celui-ci,  et  il  retourne  ensuite  en  Suddene  avec 
Rimel,  qui  pendant  ce  temps  lui  a  donné  un  fils,  le  plus  beau  du  monde, 
Hadermod,  le  vainqueur  futur  de  toute  l'Afrique.  C'est  ce  prince  dont 
le  fils  de  l'auteur,  Gilimot,  «  ki  la  rime  après  mei  bien  contruverat  », 
devait  plus  tard  chanter  les  hauts  faits. 

Il  est  facile  de  voir,  je  crois,  que  le  caractère  de  ce  poème  n'offre 
guère  de  ressemblance  avec  celui  de  Tristran.  Tandis  que  celui-ci  est  un 
des  romans  du  cycle  breton  les  plus  caractéristiques,  un  de  ceux  quj 
portent  le  plus  cette  marque  de  sentiment  et  de  lyrisme  qui  leur  est 
propre,  Horn  nous  frappe  au  contraire  par  les  rapports  très  étroits  qu'il 
a  avec  les  chansons  de  geste  d'un  côté  et  avec  l'épopée  germanique  de 
l'autre.  En  effet,  il  offre  un  mélange  curieux  des  traits  de  ces  deux 
genres  de  poèmes  épiques  et  de  la  poésie  du  cycle  breton.  Nous  y 
voyons  les  caractères  principaux  des  chansons  de  geste,  la  lutte  entre 
les  chrétiens  et  les  païens,  la  glorification  de  la  rude  bravoure  et  des 
actions  d'éclat  sur  le  champ  de  bataille  ;  nous  y  rencontrons  le  ton  des 
poèmes  allemands,  où  les  héros  sont  certainement  très  amoureux, 
mais  où  ils  ne  le  montrent  que  par  des  actions  guerrières  ;  enfin  nous 
y  voyons,  comme  dans  les  romans  de  la  Table  Ronde,  des  scènes 
d'amour,  des  descriptions  des  habitudes  élégantes  des  cours,  et  des  per- 
fection viriles  et  chevaleresques.  Mais,  pour  le  dire  tout  de  suite,  il  me 


580  W.    SÔDERHJELM. 

semble  que  c'est  le  cycle  breton  qui  a  le  moins  contribué  à  former  le 
fond  et  le  style  du  poème  :  d'abord  le  sujet  est  d'origine  germanique  (on  le 
retrouve  dans  de  nombreuses  légendes  anglaises,  danoises  et  suédoises), 
puis  ce  sont  les  scènes  belliqueuses  ainsi  que  les  jeux  et  les  fêtes  de  la 
cour  que  le  poète  a  traités  avec  le  plus  d'habileté  et  le  plus  de  prédi- 
lection. On  pourrait  dire  que  le  Horn  est  un  reflet  de  l'épopée  germanique 
projeté  sur  le  fond  des  chansons  de  geste  françaises  ;  ce  mot  résume, 
selon  moi,  la  tendance  et  les  qualités  de  ce  poème,  en  tant  qu'on  n'a  pas 
besoin  de  le  rapprocher  des  romans  bretons  pour  le  comprendre  et  l'ex- 
pliquer. 

Le  jugement  que  je  viens  de  porter  implique  par  lui-même  les  diffé- 
rences principales  entre  les  deux  poèmes  qui  nous  occupent.  Un  examen 
détaillé  nous  les  montrera  plus  clairement  encore. 

Le  roman  de  Horn  raconte  les  exploits  et  les  aventures  d'un  chevalier 
depuis  sa  naissance  jusqu'au  moment  où,  après  avoir  remporté  une  mul- 
titude de  victoires  sur  les  païens,  il  va  se  reposer  dans  le  royaume  pa- 
ternel. C'est  une  histoire  dont  l'action  se  développe  lentement  par  une 
suite  de  scènes  guerrières  et  dont  le  contenu  essentiel  consiste  surtout 
dans  la  description  de  ces  scènes.  Chaque  fois  que  l'auteur  trouve  l'oc- 
casion de  parler  d'un  combat  ou  d'un  jeu  de  force,  il  se  jette  là-dessus 
avec  une  vraie  volupté  et  nous  en  donne  en  plusieurs  pages  les  détails 
les  plus  complets.  On  dirait  que  le  premier  sujet  qu'il  avait  emprunté 
aux  légendes  anglaises,  c'est-à-dire  les  amours  de  Horn  et  Rimel,  ne 
l'a  pas  suffisamment  intéressé  ;  il  inclinait  plutôt  vers  la  poésie  épique 
proprement  dite,  et  il  a  insisté  le  plus  possible  sur  les  endroits  qui 
pouvaient  lui  donner  occasion  de  développer  ses  aptitudes  naturelles 
pour  les  descriptions  de  ce  genre.  De  plus,  les  siennes  ressemblent  sou- 
vent d'une  manière  surprenante  à  des  passages  correspondants  dans  les 
chansons  de  geste.  L'auteur  nous  raconte  comment,  pendant  les  combats 
contre  «  les  feluns  sarazins»,  tel  ou  tel  de  nos  chevaliers  se  bat  avec  tel  ou 
tel  païen,  comment  la  lutte  s'engage  et  devient  acharnée,  comm.ent  tous 
attendent  des  secours  du  héros  principal,  comment  le  chrétien  frappe  le 

païen  tant 

Ke  le  quir  e  le  fust  tut  quaisse  et  départ, 
E  par  mi  le  hauberc  il  ront  et  char  et  lart, 

et  comment  la  bataille  a  été  telle  que 

Pus  ce!  jor  ne  fud  mais  bataille  meuz  férue. 

Tout  cela  n'est-il  pas  bien  dans  la  manière  stéréotypique  que  nous 
connaissons  d'après  toutes  les  chansons  de  geste  .'*  Puis,  ce  qu'on 
trouve  aussi  dans  la  Chanson  de  Roland,  les  vainqueurs  lancent  des  in- 
sultes aux  vaincus  et  s'exhortent  eux-mêmes  après  un  coup  heureux  ;  ils 


LES    AUTEURS    DE    TRISTRAN    ET    DE    HORN.  581 

donnent  aux  vaincus  le  choix  entre  la  mort  et  l'abjuration  de  leur  foi,  etc. 
—  Roland  et  Durendal  sont  même  nommés.  En  un  mot,  dans  les  pas- 
sages pareils  règne  le  style  des  chansons  de  geste,  spécialement  des  plus 
anciennes,  et  ces  passages  occupant  une  partie  considérable  du  roman 
entier,  celui-ci  ne  peut  pas  manquer  de  produire  par  le  caractère  général 
de  son  style,  surtout  quand  on  y  ajoute  la  forme  extérieure,  les  longues 
tirades  de  vers  alexandrins  monorimes,  etc.,  un  effet  qui  est  bien  différent 
de  celui  que  fait  le  Trlstnin. 

Quant  aux  personnages  que  mettent  devant  nos  yeux  l'auteur  de  Nom 
et  l'auteur  de  Tristran,  ils  portent  eux  aussi  un  cachet  très  différent, 
et  cette  diversité  résulte  de  celle  que  j'ai  indiquée  entre  les  deux  poèmes. 
Nous  retrouvons  d"abord  dans  le  roman  de  Horn  les  deux  types  propres 
aux  épopées  françaises:  le  héros  et  le  traître,  Horn  et  Wikel.  Celui-ci 
est  aussi  félon  qu'un  personnage  quelconque  de  la  fameuse  f:imille  de 
Ganelon,  et  sa  haine  contre  Horn  a  pour  cause  l'ambition;  quant  à  Horn, 
il  offre  de  son  côté  beaucoup  plus  de  ressemblance  avec  les  héros  de  l'épo- 
pée française  qu'avec  Tristran.  Tandis  que  Horn  est  toujours  le  vaillant, 
le  superbe  et  le  fier,  qui  a  consacré  sa  vie  tout  entière  à  venger  la  mort 
de  son  père,  à  lutter  contre  les  païens  et  à  se  perfectionner  dans  toutes 
les  qualités  du  chevalier,  tandis  qu'il  ne  s'abandonne  pas  aux  jouissances 
de  l'amour  avant  d'avoir  rempli  tous  ses  devoirs  de  soldat  et  de  ser- 
viteur fidèle  du  roi  et  l'avoir  ainsi  mérité  [un  trait  germanique  du  reste), 
Tristran  se  conduit  d'une  manière  presque  tout  à  fait  contraire  :  il  est  le 
type  du  héros  des  romans  bretons;  il  passe  son  temps  à  languir  et  à 
soupirer  del'aoïour  le  plus  tendre;  l'auteur  nous  dit  à  tout  moment  qu'il 
a  «  mult  grant  dolur  «,  qu'il  est  «  pale  de  vis  »,  qu'il  «  plure  des 
oilz  »  etc;  il  se  mêle  assez  peu,  et  par  hasard  plutôt  que  par  entraî- 
nement, d'entreprises  belliqueuses,  et  elles  sont  d'ailleurs  d'une  espèce 
toute  différente  de  celles  de  Horn.  Quant  à  Wikel,  le  traître,  il  n'y 
a  pas  de  personnage  correspondant  dans  la  version  de  Thomas,  car 
Cariado  joue  un  rôle  tout  à  fait  différent,  et  le  sénéchal  Meriadoc  ou 
Mariado,  le  compagnon  de  Tristran,  qui  dans  les  traductions  islandaise, 
anglaise  et  allemande,  est  le  premier  à  dénoncer  au  roi  les  amours  de 
Tristran  et  Iseut,  le  fait  d'une  manière  si  différente  de  celle  qu'emploie 
Wikel,  que  ce  trait  (Wikel  est  jaloux  de  Horn  à  cause  d'un  beau 
cheval,  Meriadoc  de  Tristran  à  cause  d'Iseut)  serait  déjà  suffisant  pour 
suggérer  le  soupçon  d'une  diversité  d'auteurs. 

Les  caractères  féminins  eux  aussi  sont  très  différents  dans  Horn  et 
Tristran.  Je  ne  sais  si  ce  n'est  pas  une  exagération  de  prétendre  avec 
M.  Wissmann  '  que  les  femmes,  par  exemple  Rimel,  nous  dégoûtent  par 

1.   King  Horn.  Quellcn  11.  Forschungen,  XVI,  p.  118. 


582  W.    SÔDERHJELM. 

la  manière  dont  elles  s'offrent  elles-mêmes.  Je  ne  crois  pas  qu'il  faille 
compter  si  rigoureusement  avec  la  pudeur  féminine  au  moyen  âge,  et 
d'ailleurs  que  de  Rimels  ne  trouve-ton  pas  dans  les  chansons  de  geste  ! 
Mais  il  faut  avouer  pourtant  que  la  reine  Iseut  est,  comme  personnage 
poétique,  bien  supérieure  à  Rimel  et  à  Lemburc;  elle  est  plus  femme, 
plus  gracieuse  et  charmante,  plus  tendre  dans  son  amour  et  plus  noble 
dans  sa  manière  de  l'exprimer.  D'ailleurs^  les  caractères  de  Rimel  et  de 
Lemburc  sont  à  peine  ébauchés;  l'auteur  ne  s'embarrasse  pas  d'analyser 
leur  passion  ni  les  actes  qu'elle  leur  inspire.  On  est  frappé  tout  d'abord 
de  voir  combien  l'observation  psychologique  est  superficielle  ;  on  cherche 
en  vain  dans  les  caractères  féminins  du  rom.an  de  Horn  ces  peintures  du 
cœur  que  nous  trouvons  dans  les  personnages  d'Iseut  la  blonde  et  même 
d'Iseut  aux  blanches  mains.  Le  personnage  de  Rimel  est  naturellement 
le  plus  travaillé  ;  or  elle  ne  nous  admet  guère  à  la  confidence  de  ses 
sentiments  ;  ainsi  elle  ne  nous  ouvre  pas  son  âme  quand  il  s'agit 
d'événements  aussi  capitaux  que  son  mariage  forcé  avec  le  roi  de 
Fenoie  ou  avec  Wikel  ;  comparez  les  discours  sincères  et  expansifs 
d'Iseut  avec  Brengain  et  Tristran,  où  elle  nous  montre  les  mouvements 
les  plus  intimes  de  son  cœur. —  Entre  Brengain  et  Herselot,  la  chambrière 
de  Rimel,  il  n'y  a  pas  de  ressemblance:  l'une  joue  un  rôle  considérable  à 
côté  de  sa  maîtresse,  tandis  que  l'apparition  de  l'autre  est  momentanée 
et  sans  aucune  importance  pour  la  composition. 

Nous  voyons  donc  que  l'auteur  de  Horn  et  l'auteur  de  Tristran  orrt 
traité  des  caractères  qui  se  présentaient  à  peu  près  dans  les  mêmes  con- 
ditions d'une  manière  essentiellement  différente. 

Il  y  a  encore  un  trait  dans  le  caractère  général  du  roman  de  Horn  qui 
l'éloigné  du  roman  de  Tristran  en  le  rapprochant  des  chansons  de  geste  : 
c'est  l'absence  complète  de  ce  qui  est  ou  pourrait  paraître  merveilleux 
ou  surnaturel.  Un  seul  point  fait  exception,  mais  c'est  justem.ent  l'unique 
élém.ent  de  merveilleux  que  contiennent  les  chansons  de  geste  :  c'est  «  le 
songe  épique,  »  comme  l'appelle  M,  Gautier,  auquel  les  trouvères  ont 
l'art  de  donner  un  caractère  prophétique  ;  nous  le  retrouvons  dans  ces 
imaginations  nocturnes  qui  troublent  le  repos  victorieux  de  Horn  et  le 
forcent  de  retourner  en  Bretagne. 

C'est  pour  rendre  plus  claire  la  différence  qu'offre  le  caractère  général 
de  nos  deux  poèmes  que  j'ai  rattaché  le  roman  de  Horn  aux  chansons  de 
geste.  Pourtant,  je  l'ai  dit  au  commencement  de  mon  étude,  je  ne  voudrais 
pas,  comme  l'a  fait  M.  Gautier,  ranger  sans  restriction  ce  poème 
parmi  les  épopées  françaises.  Il  y  là  trop  de  chevaleresque,  trop  de  des- 
criptions de  la  vie  qu'on  menait  en  temps  de  paix  à  la  cour,  on  voit  trop 
bien  l'intention  qu'a  l'auteur  de  plaire  aux  lecteurs  les  plus  délicats,  pour 
qu'on  ne  soit  pas  porté  à  penser  à  des  éléments  étrangers.  Mais  par  cette 


LES   AUTEURS    DE   TRISTRAN    ET    DE    HORN.  ^8^ 

direction  de  ses  tendances  poétiques  il  ne  se  rapproche  pas  non  plus  de 
l'auteur  de  Tristran,  qui  regarde  les  fêtes  brillantes  de  la  cour  comme  des 
sujets  aussi  peu  appropriés  à  son  talent  que  les  guerres  et  les  combats. 
Il  les  décrit  rarement  et,  comme  nous  le  verrons  plus  tard,  sa  force  de 
peinture  ne  suffit  pas  à  les  rendre  aussi  vivantes,  aussi  colorées  que 
les  rend  l'auteur  de  Horn. 

On  peut  dire  en  un  mot  que  l'imagination  poétique  de  l'auteur  de  Horn 
est  tournée  vers  le  monde  extérieur^  tandis  que  l'auteur  de  Tristran  est 
exclusivement  contemplatif,  sentimental  et  moraliste.  C'est  ce  que  nous 
apprenons  tout  de  suite  par  un  examen  du  caractère  général  des  deux 
poèmes,  et,  quoique  ce  jugement  puisse  sembler  prématuré,  je  suis  porté 
déjà  à  tirer  de  cette  dissemblance  une  conclusion  que  je  soutiendrai  plus 
loin  par  des  preuves  détaillées.  Il  est,  à  mon  avis,  presque  inadmissible 
qu'un  même  poète  du  moyen  âge  ait  pu  composer  deux  ouvrages  d'un 
caractère  aussi  différent  que  le  sont  le  roman  de  Horn  et  le  roman  de 
Tristran  ■  ;  la  chose  est  encore  moins  vraisemblable  dans  ce  cas-ci,  car  il 
faut  supposer  que,  si  l'auteur  du  roman  de  Tristran  s'était  proposé  de 
traiter  un  sujet  comme  les  amours  de  Horn  et  Rimel,  où  il  aurait  trouvé 
tant  d'occasions  d'abonder  dans  le  sens  de  ses  aptitudes,  il  l'eût  fait 
d'une  manière  analogue  à  celle  qu'il  emploie  dans  un  autre  cas  sem- 
blable. Je  crois  qu'il  aurait  pris  les  événements  militaires  comme  cadre, 
sans  en  faire  la  matière  même  de  son  poème,  qu'il  aurait  transformé  le 
héros  belliqueux  en  un  amoureux  sentimental,  et  qu'il  aurait  mis  le  per- 
sonnage de  Rimel  au  premier  plan  de  l'action,  en  traitant  les  développe- 
ments de  passion  avec  plus  d'intérêt  et  plus  de  soin.  En  un  mot,  il  aurait 
rapproché  son  poème,  qui  offrait  un  sujet  si  propre  pour  cela,  des  romans 
bretons,  au  lieu  de  l'en  éloigner,,  comme  l'a  fait  notre  auteur. 

Nous  allons  voir  maintenant  que  l'examen  plus  détaillé  du  style  de 
ces  deux  poèmes  appuie  l'opinion  que  je  viens  d'émettre. 

Prenons  d'abord  au  hasard  quelques  passages  à  peu  près  correspon- 
dants pour  constater  la  façon  différente  dont  ils  ont  été  traités  au  point 
de  vue  du  style. 

Voici  par  exemple  les  vers  (ms.  Douce  501  sqq.)  où  Tristran  revient 
déguisé  en  mendiant,  et  l'endroit  où  Horn,  en  habit  de  pèlerin,  va  s'in- 
former des  nouvelles  de  la  cour  (v.  3966  sqq.K  Dans  le  premier  morceau 
on  raconte  très  simplement  comment  Tristran  se  déguise: 


I.  Je  n'oublie  pas  qu'un  même  poète  du  moyen  âge  a  pu  employer  di- 
verses formes  (Wace,  Adenet  le  Roi)  ;  mais  le  caractère  du  conteur  n'a  pas 
essentiellement  changé  avec  la  forme. 


584  W.    SÔDERHJELM. 

Or(e)  s'aturne  de  povre  atur, 
De  povre  atur,  de  vil  abit, 
Que  nuls  ne  que  r.ule  [ne]  quit 
Ne  aperceive  que  Tristran  seit. 
Par  une  herbe  tut  les  deceit  : 
Sum  vis  em  fait  tut  eslever, 
Cum  se  malade  fust,  enfler 
Pur  sei  seurement  covrir,  etc. 

Dans  Horn,  au  contraire,  la  scène  du  déguisement  est  très  vive.  Horn 
rencontre  le  pèlerin  et  change  d'habits  avec  lui,  pièce  à  pièce  ;  il  lui  dit  : 

«  Pur  la  cote  qu'avez  avérez  bliaud  purprin, 
L'esclavin  avérai  joe  e  vus  cest  mantel  hermin, 
E  pur  ces  trebuz  ces  chauces  d'osterin, 
Pur  cest  vustre  burdun  cest  mien  amoravin, 
Pur  la  paume  del  col  '  cest  bon  brant  acerin; 
Pus  si  tendez  a  Deu,  paumer,  vostre  chemin 
E  jou  irai  a  la  curt  pur  veier  lur  covin.  » 

On  les  a  tous  deux  devant  les  yeux,  on  les  voit  s'éloigner  de  divers 
côtés,  le  mendiant  sur  son  beau  cheval,  fier  de  ses  nouveaux  et  riches 
habits,  et  Horn  courbé  sous  les  haillons  du  mendiant.  —  De  même  dans 
la  suite  la  sécheresse  du  style  de  Tristran  continue  à  s'opposer  au  style 
coloré  et  vivant  de  Horn.  Les  deux  héros  voient  passer  devant  eux  le 
cortège  qu'ils  ont  attendu:  l'auteur  de  Tristran  (Michel,  III,  85)  se  con- 
tente de  nommer  les  divers  genres  de  passants  et  de  faire  échanger  à 
Tristran  et  à  Kaherdin  quelques  mots  dans  leur  cachette.  Cette  scène  est 
pourtant  une  des  meilleures  et  des  plus  vivantes  de  cette  espèce  qu'ait 
produites  l'auteur  de  Tristran.  Mais  l'auteur  de  Horn  le  surpasse  en 
habileté  poétique.  Il  fait  jouer  à  Horn  le  rôle  principal:  Horn,  qui  attend 
Wikel  et  Modin,  est  extrêmement  attentif:  il  regarde  les  passants,  mais 
se  tait  et  reste  immobile  quand  il  reconnaît  que  ce  ne  sont  pas  ceux  qu'il 
attend  ;  le  poète  raconte  tout,  pour  ainsi  dire,  par  les  impressions  de 
Horn,  sans  s'y  mêler  lui-même  : 

E  vont  vers  la  cité  tuz  les  chemins  herbuz  ; 

Contre  ciel  flambeient  lur  espiez,  lur  escuz  ; 

De  la  u  fut  dan  Horn  les  ad  bien  coneuz. 

Ne  se  movera  d'iloc  tresque  seient  venuz, 

E  a  ceus  qu'il  voldra  si  rendra  ses  saluz. 

Les  premiers  laist  passer,  tut  koi  se  tint  e  muz  : 


On  connaît  l'usage  des  pèlerins  de  porter  une  palme  bénite  au  cou. 


LES    AUTEURS    DE    TRISTRAN    ET    DE    HORN.  585 

Kar  çoe  sunt  esquiers,  genz,  enueisez  e  druz  ; 
E  après  si  vienent  li  jofne  prim  barbuz, 
De  novel  adobez,  chevaliers  bien  vestuz, 
E  ceus  lait  si  passer  ;  ne  lur  est  mot  renduz. 

Cette  scène  vraiment  dramatique,  nous  la  cherchons  en  vain  au  lieu 
correspondant  de  TmVan.  Tout  est  là  plus  effacé,  plus  monotone  et 
objectif  : 

Vienent  garzun,  viennent  vallet, 

Vienent  seuz,  vienent  brachet, 

E  li  curliu  e  li  veltrier, 

E  li  cuistruns  e  li  bernier... 


Après  lui  espessist  li  rangs 
De  chevaliers,  de  dameisels, 
D'ensegnez,  de  pruz  e  de  bels  ' 
Chantent  bels  suns  e  pastureles. 
Après  vienent  les  dameiseles, 
Filles  a  princes,  a  baruns, 
Nées  de  plusurs  regiuns; 
Chantent  suns  e  chant  delilus. 


Dans  une  occasion  à  peu  près  semblable,  Tristran,  méconnu  par  Iseut, 
se  laisse  malmener  et  chasser  ;  Horn  est  aussi  arrêté  par  les  portiers, 
mais  —  détail  caractéristique  —  il  se  fraie  un  chemin  en  les  bousculant. 
Voici  les  deux  passages;  d'abord  Tristran  t.  II,  p.  26  ;  t.  III,  p.  92)  : 

Tristan  la  veit,  del  sun  li  prie, 
Mais  Isolt  nel  reconnut  mie 


Grant  eschar  en  ont  li  serjant. 
Cum  la  reine  vait  sivant, 
Li  uns  l'enpeint,  l'altre  le  bute 
E  sil  metent  hors  de  la  rute  ; 
L'un  menace,  l'altre  lu  fiert. 


Horn   v.  4082  du  ms.  de  Cambridge!  : 

Tant  ad  erré  dan  Horn  qu'a  la  porte  est  venu  ; 
Mes  nel  lessent  entrer,  car  n'i  fud  coneu, 
Çoe  si  est  une  rien  dunt  il  fud  commeuz 
E  dunt  li  portiers  ot  trestuz  el  ke  saluz  : 
Kar  dan  Horn  s'aprosma  cum  horn  k'ert  irascuz, 


I.  [Leçon  corrigée;  celle  du  manuscrit  est  altérée.  Dans  les  autres  passages 
de  Tristran,  nous  avons  aussi  introduit  quelques  corrections  nécessaires.  —  G.  P.] 


j86  W.    SÔDERHJELM. 

Sus  le  prist  bien  en  haut  par  les  cheveus  menus, 
E  a  sei  le  sacha  cum  cil  ki  ert  de  vertuz. 
11  l'enpeinst  e  retraist  ke  treis  cops  out  feruz  : 
Sil  referist  le  quart,  a  tuz  dis  fust  perduz. 
Suz  le  punt  le  jetad  enz  es  parfunz  paluz. 
Pus  entra  a  bandun,  si  s'est  absconduz. 

La  différence  me  semble  évidente  ;  il  y  a  dans  le  récit  de  Horn  une 
fraîcheur,  un  mouvement  et  un  accent  de  réalité  qui  sont  étrangers  au 
Tristran.  —  Plus  loin  nous  avons  la  rencontre  entre  Tristran  et  Iseut,  entre 
Horn  et  Rimel,  quand  les  deux  héros  sont  reconnus  par  leurs  dames  : 
l'auteur  de  Tristran  nous  raconte  en  quelques  vers  bien  courts  comment 
Tristran  pénètre  dans  la  chapelle  et  se  fait  remarquer  par  ses  cris  et 
comment  Iseut  le  reconnaît  d'après  son  hanap  : 

Ysolt  en  est  tut  ennuiee, 
Regarde  le  cum  femme  iree, 
Si  se  merveille  que  il  ait, 
Ki  pruef  de  li  itant  se  trait. 
Veit  le  hanap  qu'ele  cunuit, 
Que  Tristrans  ert  ben  s'aperçut 
Par  Sun  gent  cors,  par  sa  faiture, 
Par  la  furme  de  s'estature  ; 
En  sun  cuer  en  est  effreee 
E  el  vis  teinte  e  culuree. 

L'auteur  de  Horn  ne  se  contente  pas  d'une  pareille  simplicité  quand  il 
décrit  la  jolie  scène  correspondante  qui  se  passe  entre  Rimel  et  Horn 
le  jour  des  noces  de  celle-ci  avec  le  roi  Modin  et  que  je  vais  résumer. 
D'abord,  c'est  au  milieu  de  la  grande  fête  nuptiale  qu'ils  se  ren- 
contrent; la  fête  est,  comme  d'habitude,  longuement  racontée.  Quand 
le  dîner  est  fini,  Rimel  doit  offrir  du  vin  aux  convives  :  elle  va  s'habiller 
richement,  ensuite  elle  vient  avec  trente  dames  de  la  cour  et  passe 
quatre  fois  autour  de  la  salle  en  servant  du  «  piment  »  et  du  «  claret  »  aux 
invités;  —  quand  elle  veut  faire  ce  tour  pour  la  cinquième  fois,  Horn  la 
saisit  par  le  bras  et  la  blâme  de  ne  servir  que  les  riches  :  elle  devrait 
aussi  se  rappeler  les  pauvres.  Rimel  est  étonnée  de  cette  hardiesse,  mais 
elle  trouve  que  c'est  bien  dit  : 

N'i  direit  milleur  sermun  evesque  ne  abbez, 

et  offre  à  Horn  un  hanap  de  vin.  Celui-ci  refuse.  L'étonnement  de  Rimel 
va  grandissant  : 

4193 .   Forment  s'en  merveille,  si  ne  sout  que  penser  ; 
Mut  ententivement  le  cummence  a  viser  : 


LES    AUTEURS    DE    TRiSTRAN    ET    DE    HORN.  587 

El  vit  la  cheir  blanche  e  le  visage  cler. 

Bien  parut  k'il  nen  ot  lung  temps  esté  paumer, 

Ne  k'il  hom  ne  semblot  ki  menast  tel  mester. 

Rime!  demande  pourquoi  il  ne  veut  pas  boire.  Hom  répond  qu'il  est  accou- 
tumé à  prendre  son  vin  dans  de  plus  riches  coupes,  mais  qu'il  ne  veut 
pourtant  pas  lui  refuser,  qu'il  consent  à  boire  dans  un  «  corn  «  à  cause 
de  Horn  (Mes  corn  apelent  horn  li  engleis  laîimier).  En  entendant  ce 
nom,  Rimel  est  près  de  se  pâmer;  elle  croit  que  cet  homme  est  un 
messager  de  Horn.  Elle  va  chercher  du  vin;  ensuite 

Quant  el  vint  devant  lui  en  la  main  li  bailla, 

E  il  prist  sun  anel,  suef  enz  le  jeta, 

Mêmes  cel  que  Rigmel  al  partirs  li  bailla. 

Pus  si  but  la  meitié  e  vers  lui  se  turna, 

Rova  li  k'el  beust  cum  el  li  comança 

Puramur  iceli  ke  desorainz  noma  : 

Or  verreit  si  fust  veirs  qu'ele  jadis  l'ama. 

Ele  prist,  si  en  but  e  le  corn  enclina, 

E  l'anel  od  le  vin  a  sa  bûche  hurta; 

E  quant  el  le  senti,  si  s'en  espoenta. 

El  l'ad  pris,  sil  conut  taunt  tost  cum  lesgarda. 

Bien  conut  que  ce  iert  cil  que  dan  Horn  enporta, 

Quand  il  prist  le  cungié  e  de  lui  s'en  ala. 

Rimel  lui  demande  s'il  lui  apporte  des  nouvelles  de  celui  qui  lui  a  donné 
cet  anneau  ;  Horn  fait  semblant  de  ne  pas  comprendre  :  il  dit  seulement 
qu'il  est  attaché  à  l'anneau  et  à  la  dame  de  laquelle  il  l'a  reçu  ;  il  con- 
tinue en  métaphores  poétiques  : 

Joe  fu  javalleton  nurri  en  cest  pais. 

Par  mun  servise  grant  un  ostur  i  conquis: 

Ainz  que  l'oi  afaitié  enz  en  mue  le  mis, 

Près  ad  ja  de  set  anz ,  bien  poet  estre  sursis. 

Or  le  vienc  reveeir,  quiels  il  seit,  de  quel  pris, 

S'il  veut  estre  maniers  u  veut  estre  jolifs  ; 

E  s'il  est  si  entier  cum  il  iud  a  ces  dis. 

Quant  joe  turnai  de  ci,  dune  iert  mien,  çoe  plevis: 

Od  mei  l'emporterai  de  ci  qu'a  mes  amis  ; 

E  s'il  est  depecié  u  en  coe  malmis, 

Ke  penne  ait  brisée,  dunt  rien  li  seit  de  pis, 

Ja  mes  pus  nen  iert  miens,  si  m'ait  saint  Denis. 

Alors  Rimel  le  reconnaît  parfaitement  : 

Quand  Rigmel  l'ad  oi,  si  ad  jeté  un  ris  ; 

Dune  dit  mut  bonement:  «  Du  mal  k'oi  or  garis. 


588  W.    SÔDERHJELM. 

Amis  Horn,  c'estes  vus,  bien  conois  vostre  vis. 

Si  m'ait  li  haut  rei  ki  meint  en  parais 

E  !e  mund  ad  formé  dunt  il  est  poestis, 

Li  ostur  dunt  parlez,  ja  mar  seez  pensis, 

Par  tut  est  bien  gardé  si  cum  çoe  vus  pramis  '.  » 

Que  de  vie  dramatique,  que  de  couleur  et  de  talent  descriptif  dans  ce 
récit!  Il  est  bien  plus  long  et  étendu  que  celui  de  Tristran,  mais  il 
a  aussi  beaucoup  plus  de  relief  et  il  est  beaucoup  plus  saisissant.  Outre 
la  beauté  que  la  situation  offre  par  elle-même,  c'est  essentiellement  la 
richesse  des  détails  qui  contribue  à  ce  résultat;  de  petits  traits  (comme 
ceux-ci:  l'habile  jeu  sur  les  mots  cor/z et /^orr/ et  la  manière  fme  par  laquelle 
Horn  peut  ainsi  parler  de  lui-même;  Rimel  prend  la  corne  et  boit  en  l'in- 
clinant toujours  davantage,  si  bien  qu'avec  le  vin  l'anneau  coule  dans  sa 
bouche)  donnent  au  récit  un  effet  très  vif  de  réalité.  Ce  sont  justement 
des  traits  de  ce  genre  qu'il  nous  serait  impossible  de  trouver  dans  le 
roman  de  Tristran. 

Quant  au  contenu  de  cette  scène  dont  je  viens  de  parler,  quelqu'un 
pourrait  peut  être  trouver  dans  sa  ressemblance  avec  la  scène  de  Tristran 
ci -dessus  racontée  un  argument  en  faveur  de  l'identité  d'un  auteur 
avec  l'autre.  Mais  il  n'en  est  rien  :  les  sources  respectives  devaient  offrir 
ce  thème,  car  il  se  rencontre  bien  des  fois  dans  la  poésie  du  moyen  âge 
comme  dans  l'épopée  de  peuples  très  divers. 

Revenons  à  notre  comparaison.  Dans  les  deux  poèmes  il  y  a  un 
tournoi.  Le  passage  est  intéressant  dans  Tristran,  car  il  s'y  agit  non  seu- 
lement d'une  fête  de  cour,  mais  aussi  de  la  prédominance  de  Tristran 
sur  les  autres  chevaliers,  c'est-à-dire  des  choses  qu'on  trouve  si  souvent 
dans  le  Horn.  Voici  comment  tout  cela  est  raconté. 

A  une  feste  que  Mars  tint 
Grant  fu  li  poples  qui  i  vint. 
Après  manger  déduire  vunt, 
E  plusurs  jus  comencerfunt, 
D'eskermies  e  de  palestes  : 
De  tuz  i  fut  Tristrans  li  mestres. 
E  puis  firent  uns  sauz  waleis, 
E  uns  qu'apelent  waueleisC?), 
E  puis  si  portèrent  cembeals, 
E  si  lancèrent  od  roseals, 


I.  Cette  métaphore  n'est  certainement  pas  de  l'invention  de  l'auteur  de  Horn  ; 
mais  s'il  était  le  même  que  celui  de  Tristran,  il  aurait  sans  doute  employé  de 
semblables  métaphores  dans  l'autre  poème  aussi. 


LES  AUTEURS  DE  TRISTRAN  ET  DE  HORN.  589 

Od  gavelos  e  od  espiez: 
Sur  tuz  i  fud  Tristrans  prcisez, 
E  enpruef  de  li  Kaherdins 
Venqui  les  altres  par  engins. 

Comparez  la  fête  que  donne  le  roi  de  Westir  à  la  Pentecôte, les  jeux 
auxquels  on  se  livre  et  les  victoires  remportées  par  Horn  dans  tous  ces 
jeux.  Chacun  d'eux  est  particulièrement  et  longuement  décrit;  l'inter- 
vention et  la  victoire  de  Horn  sont  racontées  avec  une  vivacité  presque 
moderne  :  on  apprend  non  seulement  qu'il  «  de  tuz  fud  mestres  »  et 
«  sur  tuz  preisez  »  comme  Tristan,  mais  encore  comment  il  en  fut  ainsi. 
Par  exemple  dans  le  jeu  de  la  pierre  :  Egfer,  le  maître  de  Horn,  lance 
la  pierre  trois  pieds  plus  loin  que  les  autres  ;  Eglof,  l'écuyer  de  Gufer, 
encore  à  cinq  pied  de  plus.  Alors  Egfer  prie  Horn  de  le  venger.  Horn 
se  dit  peu  exercé  à  ce  jeu,  mais  il  consent  à  essayer;  il  prend  la 
pierre,  qui  lui  semble  aussi  légère  qu'un  gant,  et  la  lance  aussi  loin 
qu'Eglof.  Celui-ci  d'un  nouveau  coup  le  dépasse  d'un  pied;  la  lutte  se 
continue  ainsi  jusqu'à  ce  que  Horn  lance  la  pierre  à  une  distance  de 
sept  pieds  de  plus  qu'Eglof.  De  même  au  jeu  des  échecs,  au  jeu  de  la 
harpe,  etc.  Toujours  chez  l'auteur  un  besoin  d'expliquer  les  choses  tout 
au  long,  un  besoin  de  vie  et  de  réalité,  dont  fauteur  de  Tristran  ne 
s'embarrasse  pas  du  tout. 

Continuons:  Tristran  prend  part  au  tournoi,  Kaherdin  tue  Cariado  et 
tous  les  deux  s'enfuient. 

Tristrans  i  fud  reconeuz, 

D'un  Sun  ami  aperceuz. 

Dous  chevals  lur  dona  de  pris  : 

N'en  aveit  melliurs  el  pais. 

Car  il  aveit  malt  grant  pour 

Que  il  ne  fussent  pris  al  jur. 

En  grant  aventure  se  mistrent. 

Deus  baruns  en  la  place  ocisrent: 

L'un  fud  Kariado  li  beals, 

Kaherdin  l'occist  as  cembeals 

Pur  tant  qu'il  dit  qu'il  s'en  fui 

A  l'altre  feiz  qu'il  s'en  parti  : 

Aquité  ad  le  serement 

Ki  fud  tait  a  l'acordement  ; 

E  puis  se  metent  al  fuir 

Amdeus  pur  les  lur  cors  guarir. 
Le  récit  n'est  pas  plus  long  dans  le  Horn^  mais  pourtant  il  est  d'une 
force  et  d'une  vivacité  bien  supérieures  : 

H.  C.  4474.  Quant  çoe  eut  comandé,  od  sul  dis  est  eissuz; 
Vers  le  turnei  s'en  vint,  galopant  les  herbuz. 


590  W.    SODERHJELM. 

Mut  i  vont  fièrement  cumme  gent  irascuz: 
Chascun  choisi  le  soen.  Après  se  sunt  feruz 
Qu'a  cel  cop  premerein  en  ont  dis  abatuz  : 
Li  un  d'els  fud  Modin,  ke  Horn  et  cuneuz 
Ke  sis  heaumes  lusanz  soillé  fud  de!  paluz. 

On  pourrait  encore  citer  beaucoup  d'exemples  pareils,  mais  je  m'arrê- 
terai ici  pour  ne  pas  devenir  trop  long.  Les  passages  cités  prouveront, 
je  crois,  suffisamment,  qu'il  y  a  une  différence  capitale  entre  le  style  de 
l'auteur  de  Tristran  et  celui  de  l'auteur  de  Horn.  Comme  le  talent  poétique 
du  premier  a  surtout  pour  domaine  l'observation  intérieure,  son  style  se 
façonne  d'après  ces  tendances  de  son  esprit,  qui  restreignent  sa  faculté 
d'expression  aux  choses  de  la  vie  morale.  Mais  il  a  sur  ce  terrain  un  don 
remarquable,  et  il  en  profite  pour  multiplier  ces  thèmes  en  leur  donnant 
les  formes  les  plus  diverses  possible.  Pourtant  son  expression  n'est 
jamais  très  précise;  elle  est  aisée,  coulante  et  même  agréable  quelquefois, 
mais  elle  n'épuise  jamais  l'idée.  Quand  il  s'agit  de  faits  réels,  il  n'a  pas 
la  faculté  de  les  mettre  clairement  devant  les  yeux  du  lecteur,  il  passe 
par-dessus  en  quelques  lignes  plus  ou  moins  banales.  Tout  cela  donne  à 
sa  manière  d'écrire  une  couleur  terne  et  vague  qui  devient  encore  plus 
frappante  par  le  manque  chez  lui  de  tout  sens  épique  :  il  s'interrompt 
souvent  dans  son  récit,  et  il  y  mêle  des  choses  qui  n'ont  rien  à  y  faire  et 
qui  gênent  la  clarté  de  l'exposition. 

Combien  le  style  de  l'auteur  de  Horn  n'est-il  pas  contraire  !  Chez  lui 
il  ne  faut  pas  chercher  cette  espèce  de  langue  poétique,  qui  nuance  les 
mouvements  du  cœur  et  qui,  avec  une  variété  inépuisable  d'expressions, 
nous  montre  les  luttes  intimes  d'une  âme  humaine.  Quand  il  traite  cet 
ordre  de  sentiments,  il  ne  l'exprime  que  par  ses  effets  extérieurs:  quand 
Rimel  ou  Lemburc  souffrent  des  peines  d'amour,  elles  font  appeler 
Horn  pour  s'abandonner  à  lui,  elles  lui  envoient  des  cadeaux,  Lemburc 
veut  entrer  dans  un  couvent  parce  qu'il  ne  l'aime  pas,  elles  se  pâment 
rien  qu'en  le  regardant.  Mais  quand  il  s'agit  de  faits  réels  et  surtout 
de  faits  auxquels  on  peut  donner  un  vernis  d'élégance,  alors  sa  muse 
est  dans  son  élément.  Il  a  l'œil  fin  pour  les  choses  extérieures,  et  il 
a  un  style  très  bien  approprié  à  ce  genre  de  descriptions;  il  voit  dans 
son  imagination  comment  tout  se  passe,  il  saisit  le  moindre  mouvement, 
les  moindres  traits  de  l'action  et  de  l'extérieur  des  personnages  agissants, 
et  il  les  fixe  immédiatement  en  les  présentant  sous  la  forme  la  plus  vive 
et  la  plus  pittoresque.  C'est  par  cette  accumulation  de  petits  faits,  dont 
aucun  n'échappe  à  son  imagination  et  qu'il  exprime  avec  tout  leur  relief, 
que  ses  tableaux  ont  tant  de  vivacité  et  donnent  au  lecteur  une  impression 
de  vérité  si  frappante.  Seulement  cette  inclination  même  de  son  talent 
et  la  satisfaction  qu'il  éprouve  à  se  sentir  sur  son  véritable  terrain  l'ont 


LES   AUTEURS    DE    TRISTRAN    ET    DE    HORN.  591 

entraîné  bien  des  fois  trop  loin.  Comme  la  plupart  des  poètes  épiques  du 
moyen  âge,  il  n'a  pas  eu  le  sens  de  la  composition  et  il  s'est  livré  à  de 
véritables  débauches  de  descriptions  de  combats  et  de  fêtes. 

Ajoutons  encore  quelques  traits  spéciaux  qui  caractérisent  le  style  de 
Horn. 

Horn  parle  quelquefois  en  belles  métaphores,  qui  donnent  à  la  des- 
cription une  élévation  très  poétique  :  j'ai  déjà  cité  le  passage  de  «l'ostur  « 
et  je  rappelle  son  discours  avec  Wikel  et  Modin,  ob.  il  parle  du  poisson 
qu'il  a  dans  son  filet.  Ce  n'est  pas  une  métaphore  inventée  par  l'auteur, 
mais  il  aie  mérite  de  l'avoir  employée.  — Tristran  est  toujours  plus 
sobre. 

Conformément  à  ses  tendances  raisonneuses  l'auteur  de  Horn  ne  laisse 
rien  passer  sans  en  donner  les  causes  :  l'entrée  et  la  sortie  des  person- 
nages sont  toujours  longuement  motivées,  le  lecteur  n'a  jamais  besoin  de 
se  demander  comment  tel  ou  tel  acteur  a  paru  tout  à  coup,  son  arrivée 
est  toujours  annoncée  à  l'avance.  Quel  besoin  on  a  de  lui  et  à  quoi  il 
sert  dans  l'ensemble,  c'est  au  contraire  une  question  qu'on  peut  se 
faire  assez  souvent.  —  Dans  Tristran  cela  n'a  pas  lieu. 

L'auteur  de  Horn  brille  par  une  connaissance  des  noms  géographiques 
qui  serait  vraiment  surprenante,  si  on  pouvait  supposer  qu'il  sait  aussi 
où  sont  situés  tous  les  pays  et  toutes  les  villes  qu'il  indique.  Mais  on 
peut  en  douter,  car  il  mêle  tout  ensemble;  il  a  probablement  puisé  sa 
provision  dans  diverses  épopées.  Il  s'agit  tantôt  de  villes  italiennes,  de 
Rome,  Pise,  Pavie,  Milan,  tantôt  de  villes  françaises,  Paris,  <'  Lions  « 
(c'est  là  que  doivent  avoir  lieu  les  noces  de  Rimel  et  de  Modin)', 
a  Mascun  en  Bourgoigne  »,  «  Peitieres»  etc.,  tantôt  de  pays  étrangers 
«  Norweie»,  «  Frise»,  Russie,  Palestine,  «  Hungerie  »,  «  Albanei  », 
«  Fenoie  »,  le  règne  Persan,  Chanaan,  etc.  La  grande  Bretagne  n'est 
pas  expressément  nommée,  mais  l'auteur  nous  dit  que  Westir  est  l'ancien 
nom  de  l'Irlande  : 

En  Westir  volt  aler  k'est  règne  preisez: 
Irlande  ot  si  à  num  el  tens  d'antiquitez. 

Les  païens  viennent  à  la  ville  de  Divelin,  qui  est  naturellement 
Dublin,  et  le  frère  du  roi  de  Westir  est  le  roi  d'Orkanye  (les  iles 
Orcades).  Suddene  doit  signifier  le  sud  de  l'Angleterre,  car  c'est  un 


1.  Il  est  pourtant  admissible  que  «  Lions  »  soit  Carlion.  Mais  le  voyage 
de  Westir  jusqu'à  cette  ville  a  duré  trois  jours,  mais  auparavant  Horn  a  fait  le 
voyage  de  la  cour  de  Hunlaf  jusqu'à  Westir,  et  il  est  expressément  dit  qu'au 
retour  «  bon  fud  li  orez  ».  C'est  ce  qui  m'a  tait  croire  que  a  Lions  »  était  peut- 
être  Lyon  et  la  capitale  du  royaume  de  Modin. 


J92  W.    SÔDERHJELM. 

vent  de  nord-ouest  qui  pousse  le  bateau  de  Horn  et  de  ses  compagnons 
de  Suddene  à  la  côte  de  la  Bretagne.  Du  reste^,  dans  une  forme  anglaise 
du  roman,  Horn  Cliilde,  le  père  de  Horn  est  appelé  roi  d'«  Ingland  ». 
Thomas  semble  avoir  emprunté  ces  noms  à  son  original  ;  je  ne  sais 
s'ils  se  trouvent  chez  aucun  autre  poète  anglo-normand.  L'auteur  de 
Tristran  ne  les  emploie  pas,  comme  nous  le  savons.  Ses  notions  géogra- 
phiques sont  du  reste  beaucoup  plus  simples.  Les  fragments  français  ne 
nomment  que  la  Bretagne,  l'Espagne  et  l'Afrique,  mais  les  versions  alle- 
mande et  islandaise  indiquent  pourtant  quelques  autres  pays. 

Quant  aux  noms  des  personnages,  on  en  trouve  dans  Horn  une  aussi 
grande  abondance  que  de  noms  géographiques.  Seulement  il  est  regret- 
table que  dans  cette  multitude  d'indications  il  n'y  ait  rien  où  se  prendre, 
rien  qui  puisse  nous  suggérer  quelque  conjecture  sur  la  personnalité  de 
l'auteur.  Le  roman  d'Aaluf,  dont  il  parle  au  commencement,  on  ne  le 
connaît  pas  et  on  ne  sait  même  si  cet  Aaluf  a  été  un  personnage  histo- 
rique, si  c'est  lui  qui  est  nommé  sous  le  nom  d'Alof  dans  la  Vita  Here- 
wardi  Saxonis  comme  roi  de  Cornubie.  —  En  outre  il  existe  dans  Horn 
un  vrai  pêle-mêle  de  noms,  qu'on  ne  peut  pas  appliquer  à  des  person- 
nages historiques  et  dans  lesquels  on  ne  saurait  voir  des  allusions  à  cer- 
taines légendes.  Ilsontpourla  plupart  une  forme  germanique  (quelquefois 
anglo-saxonne,  p.  ex.  Godspi,  v.  852)  et  certains  d'entre  eux  appuient  la 
supposition  ci-dessus  émise  que  l'auteur  a  connu  la  légende  épique 
de  l'Allemagne,  p.  ex.  Hydebrant  et  Herebranî.  Les  dieux  païens  Mahun^ 
Tervaganî  et  ApoUin  sont  nommés  très  souvent,  comme  plusieurs  autres 
figures  de  l'épopée  française  (même  Rollant],  et  nous  rencontrons  même 
des  noms  comme  César,  Constantin,  elc.^èi  côté  de  Lowis,  comme  réminis- 
cences françaises,  et  Whegod,  de  source  Scandinave  ou  gothique.  Le  nom 
Godmund  est  peut-être  une  altération  de  Gormund  ou  Gormont,  qui  est  em- 
ployé très  souvent  dans  l'épopée  française  comme  nom  d'un  héros  africain 
ou  normand  [Gormont  et  Isembart,  Enfances  Vivien,  Hugue  Capet,  Daurel  et 
Beton\.  Il  est  clair  que  les  Normands  ont  dû  céder  ici,  comme  partout, 
la  place  aux  «  feluns  sarazins  ». —  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  toutes 
ces  particularités  sont  entièrement  étrangères  à  l'auteur  de  Tristran  et 
qu'en  revanche  des  allusions  qui  se  trouvent  chez  lui,  —  p.  ex.  à  Artur, 
à  la  légende  de  Guiron,  etc.  —  aucune  ne  se  rencontre  dans  Horn. 

L'auteur  de  Horn  fait  d'innombrables  allusions  à  la  Bible  :  Moïse, 
Daniel  et  d'autres  reviennent  souvent.  Dieu  et  les  saints  sont  invoqués 
à  chaque  instant,  tout  est  attribué  à  la  puissance  de  Dieu,  les  person- 
nages sont  mus  par  le  sentiment  religieux,  et  les  prières  sont  assez  fré- 
quentes; il  termine  aussi  par  le  liturgique  Tuautem!  Rappelons-nous 
par  contre  la  fm  du  roman  de  Tristran,  si  caractéristique  par  son  style 
tendre: 


LES    AUTEURS    DE    TRISTRAN    ET    DE    HORN  595 

Tumas  fine  ci  sun  escrit  : 
A  tuz  amanz  saluz  i  dit, 
As  pensis  e  as  amerus, 
As  emvius,  as  desirus...  ' 


Voila  ce  que  je  trouve  de  plus  remarquable  dans  le  caractère  généra 
et  dans  le  style  spécial  des  deux  poèmes  dont  il  s'agit.  A  côté  des  grandes 
différences  que  je  viens  de  relever  et  sur  lesquelles  je  base  mon  opinion 
que  ces  deux  poèmes  ne  partent  pas  de  h  même  main,  il  y  a  peut-être 
de  petits  traits  qui  coïncident  ;  je  n'ai  pas  attiré  l'attention  sur  eux 
parce  que  je  les  considère  comme  trop  peu  importants.  Quelquefois, 
comme  nous  l'avons  vu,  il  y  a  une  ressemblance  légère  entre  les  sujets, 
mais  alors  l'origine  en  est  clairement  la  légende  primitive,  Quelquefois 
on  rencontrs  les  mêmes  expressions  [Tr.  cume  femme  iree —  H.  r.iime 
home  irascuz,  etc.),  mais  on  peut  à  juste  titre  attribuer  ces  coïncidences 
au  hasard. 

Reste  à  cet  égard  une  objection  éventuelle  à  repousser.  On  pourrait 
dire  que  les  différences  caractéristiques  résultent  de  la  diversité  des 
sources  originales  et  que  c'est  en  les  suivant  consciencieusement  que  les 
auteurs  semblent  incliner  dans  des  sens  divers.  Mais  les  légendes  primi- 
tives qui  ont  pu  former  la  source  de  l'auteur,  ou  dont  il  existe  des  trans- 
formations poétiques  à  côté  de  notre  roman  2,  nous  montrent  que  l'auteur 
du  roman  anglo-normand  de  Horri  a  ajouté  au  sujet  prim.iiif  une  multitude 
de  descriptions  de  combats  et  de  fêtes,  qu'il  a  supprimé  ce  qui  pourrait 
sembler  merveilleux,  etc.,  —  c'est-à-dire  que  ces  changements  ont 
introduit  dans  le  poème  justement  ce  que  nous  y  avons  indiqué  comme 
le  plus  caractéristique. 

La  langue  de  Horn,  comme  on  le  voit  au  premier  coup  d'œil,  appar- 


1.  Il  me  semble  inutile  d'insister  sur  les  «  procédés  de  style  »  qu'emploie 
l'auteur.  Ils  sont  rassemblés  dans  l'ouvrage  récemment  paru  de  M.  Nauss:  Dcr 
Styl  des  agn.  Horn  (Halle,  1885).  Presque  toutes  les  particularités  de  styie  que 
l'auteur  a  trouvées  dans  Horn —  surtout  celles  qu'il  indique  pp.  5,  8,  28, 
42,  39,  4^,  ^9 —  sont  étrangères  au  Tnstran  et  appartiennent  entièrement  au 
style  proprement  épique. 

2.  La  question  de  la  source  du  roman  français  de  Horn  n'est  pas  résolue; 
M.  Wissmann  a  tort  quand  il  prétend  que  Horn  est  une  transformation  de  King 
Horn;  il  ne  semble  pas  avoir  tenu  compte  de  la  langue  de  notre  poème,  d'après 
laquelle  on  ne  peut  placer  le  roman  français  qu'au  milieu  ou  à  la  fin  du 
XIP  siècle,  tandis  que  King  Horn  date  d'une  époque  plus  récente  (Wissmann,  /. 
c.  p.  58).  L'erreur  de  M.  W.  a  été  déjà  remarquée  par  M.  Vising  {Sur  la 
vcrsificallon  anjo-nornmndc,  p.  7,  note  i). 

Romanidj  XV  38 


594  W.    SÔDERHJELM 

tient  au  dialecte  anglo-normand,  et,  à  cause  des  grandes  ressemblances 
qu'elle  offre  avec  celle  des  poèmes  anglo-normands  dont  on  a  le  moyen 
de  fixer  la  date  au  milieu  ou  vers  la  fin  du  xii''  siècle,  on  peut  rap- 
procher la  composition  de  notre  roman  de  ce  temps-là. 

Comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  la  langue  de  Horn  offre  peu  de  traits  qui 
ne  se  trouvent  pas  dans  d'autres  poèmes  de  cette  même  période^  dans  le 
Tristran  de  Béroul  et  dans  celui  de  Thomas,  dans  le  Brandan^  dans  VEstone 
de  Gaimar,  dans  la  chronique  de  Fantosme  ou  enfin  dans  la  Vie  de  suint 
Gilles.  Dans  le  Tristran  de  Thomas,  je  crois  cependant  avoir  observé 
quelques  traits  qui  peuvent  servir  pour  appuyer  mon  hypothèse  qui 
l'auteur  de  ce  poème  n'est  pas  celui  de  notre  roman.  On  peut  ob- 
verver  que  le  Horn  offre  au  point  de  vue  de  la  langue  une  singularité, 
qui  correspond  à  celle  que  nous  avons  remarquée  dans  le  contenu,  c'est- 
à-dire  qu'il  est  composé  de  plusieurs  éléments  divers,  éléments  plus 
anciens  et  éléments  plus  récents.  C'est  ce  qui,  selon  moi,  rend  difficile  la 
détermination  exacte  du  temps  où  Horn  a  été  écrit. 

Mais  cette  question  ne  nous  regardant  pas  pour  le  moment,  nous  nous 
occuperons  seulement  des  diversités  de  la  langue  de  Tristran  et  de  celle 
de  Horn. 

Quant  à  la  versification,  j'ai  peu  à  remarquer,  n'ayant  pas  pu  m'oc- 
cuper  d'une  reconstruction  parfaite  de  tout  le  texte.  Je  crois  cependant 
que  les  vers  sont  bons  et  qu'on  n'aurait  pas  à  y  relever  de  faits  sin- 
guliers en  comparaison  avec  le  Tristran.  C'est  pourquoi  je  n'attribue  pas 
grande  importance  à  des  différences  comme  les  suivantes  :  que  Ve 
atone  forme  le  plus  souvent  hiatus  dans  Horn  '  tandis  que  l'élision  est 
générale  dans  Tristran  ^,  que  dans  Horn  quelquefois  me  te  se  le  de  forment 
hiatus  contrairement  à  la  règle,  que  l'article  féminin  la  semble  être 
toujours  élidé  dans  Horn  mais  se  trouve  trois  fois  en  hiatus  dans  Tristran, 
que  l'ace,  sing.  de  l'article  le  forme  deux  fois  hiatus  dans  Tristran  mais  est 
toujours  élidé  dans  Horn,  enfin  que  se  (lat.  si)  et  que  (conjonct.  et 
ace.  sing.  du  pronom)  semblent  former  plus  souvent  hiatus  dans  Horn 
que  dans  Tristran;  ces  choses-là  ne  prouvent  pas  grand  chose,  car  une 
correction  pourrait  peut-être  effacer  la  diversité,  ou  elle  dépend  plutôt 
du  hasard  que  d'un  principe  fixe  chez  l'auteur.  Il  n'y  a  que  deux  diffé- 
rences plus  saillantes  dans  la  versification  des  deux  poèmes:  i°  dans 
Horn  Ve  atone  dans  l'intérieur  d'un  mot  devant  une  voyelle  tonique 
compte  pour  la  'mesure  beaucoup  plus  rarement  que  dans  Tristran;  2"  dans 


1.  Brede,  Ueber  die  Handss.  der  Ch.  ^ê  H.,  §  IV,  253, 

2.  Rôttiger,  Ueber  den  Tristran  des  Thomas,  p.  28. 


LES    AUTEURS    DE    TRISTRAN    ET    DE    HORN  59^ 

cedernier  poème  on  a  constaté  environ  12  %  derimes  riches  de  diverses 
espèces'  tandis  que  dans  Horn  on  n'en  trouve  guère  que  quand  une  for- 
mation adverbiale  ou  une  terminaison  verbale  la  facilite.  Mais  on  n'aura 
sans  doute  pas  tort  en  attribuant  la  plupart  de  ces  différences  au 
caractère  diff'érent  du  vers  employé  par  les  auteurs. 

En  étudiant  le  vocalisme  nous  aurons  à  faire  des  observations  plus 
importantes  pour  notre  but. 

a.  L'auteur  de  Trisiran  îaiinmer  la  terminaison  -alemavecla  terminai- 
son latine -e  11  u  m,  ainsi  ^Uc7  (nucalem)  :  flavel  (flabellum)  D.  5 1 5. 
Dans  le  Horn  la  terminaison  -alem,  qui  se  trouve  dans  une  multitude  de 
laisses,  se  maintient  comme  al;  un  seul  mot  fait  exception,  à  savoir  leel, 
mais  d'après  Suchier-  ce  mot  est  un  anglonormannisme,  et  d'ailleurs  il  se 
trouve  neuf  fois  rimant  en  al,  contre  deux  fois  en  el,  tandis  que  dans 
Tristran  le  même  mot  rime  plusieurs  fois  avec  -ell  um  et  ne  se  trouve 
jamais  sous  la  forme  leal.  On  peut  dire  en  général  que  le  Horn  maintient 
plus  strictement  que  tous  les  autres  poèmes  de  la  même  période  la  ter- 
minaison al  (p.  ex.  Noal  i8$o,  Noauz  2592,  dans  le  vers). 

b.  Dans  Horn,  an  et  en  sont  parfaitement  distincts  ;  la  rime  penitance-, 
ance,  qui  se  rencontre  chez  plusieurs  poètes  anglo-normands  et  aussi 
dans  Tristran,  ne  se  trouve  pas  ici,  quoique  cette  terminaison  soit  em- 
ployée dans  plusieurs  laisses.  —  Quant  aux  participes  présents,  l'auteur 
de  Tristran  ne  se  permet  pas  les  mêmes  libertés  que  prend  l'auteur  de 
Horn  en  employant  les  deux  formes  -ent  et  -ant;  quelquefois  l'emploi 
des  form.es  diverses  dépend  de  leur  sens  verbal  ou  adjectival,  mais  dans 
d'autres  cas  le  poète  les  traite  tout  à  fait  arbitrairement  '.  Tristran  n'em- 
ploie que  la  forme  plus  récente  en  -ant. 

c.  Le  Horn  a  cinq  fois  dans  la  rime  la  forme  esta  (  :  ja,  :  a,  :  la  etc.) 
comme  3*=  pers.  du  prés,  de  l'indicatif  de  verbe  «/er.  Cette  forme  est 
étrangère  à  l'auteur  de  Tristran. 

d  J  se  confond  dans  Tristranaxec  ai,  surtout  avants  (S^*  641,  D  527, 
574)  779)-  Dans  Horn  ils  sont  rigoureusement  distincts). 
e.  e  ne  semble  pas  rimer  avec  ie  dans  Tristran 'i;  ces  deux  rimes  sont  au 


1.  Rottiger,  p.  23. 

2.  Zeitschr  f.  r.  Pti.,  III,  141  . 

3.  Nons  trouvons  pourtant  dans  Horn  un  participe  de  la  1"  conjugaison  rimant 
dans  une  laisse  en  -cnt:  trenchent  ^205  :  respicnt,  prcnt,  etc.  Mais  d'abord  c'est 
le  seul  cas  et  nous  n'avons  qu'un  manuscrit  (0)  pour  vérifier  ce  lait  ;  puis 
la  forme  juste  ticnclunt  se  trouve  dans  le  vers  1998.  Il  est  donc  très  probable 
que  l'original  contenait  un  autre  mot. 

4.  Comp.  Rottiger,  p.  55  sq.,  qui  regarde,  avec  raison,  les  quatre  rimes /s;  « 
comme  assez  douteuses,  parce  qu'elles  ne  se  trouventque  dans  un  seul  manuscrit. 


596  W.    SÔDERHJELM 

contraire  entièrement  confondues  dans  Horn.  Dans  chaque  laisse  on  les 
trouve  ensemble:  ie  de  c  bref  latin  rime  avec  e  fermé  de  a  latin  (piez: 
nez:  buntez  v.  16,  etc.),  avec  couvert  tonique  [entier  [intëgrumj:  cler 
V.  120I  avec  ie  de  a  [ier  [hëri]:  chier  v.  1201  etc;  le  verbe  aider,  qui 
dans  Tristran  ne  rime  qu'avec  i:,  rime  ici  avec  ie  et  e  sans  distinction. 

/.  Dans  Tristran  Vô  de  bon  se  trouve  diphtongue  ou  non  ;  dans  Horn  cet 
0  ne  se  diphtongue  pas,  mais  se  maintient  comme  0  dans  son  intégrité 
rimant  avec  0. 

g.  Aiei  ei  sont  constamment  confondus  dans  Tristran  devant  une  nasale 
(D.  $69,  765,  1299,  etc.'i,  tandis  que  dans  Horn  ces  deux  diphtongues 
ne  riment  jamais  ensemble. 

h.  Quant  aux  consonnes,  il  n'y  arien  à  remarquer.  Les  rimes  toujours 
masculines  et  en  général  très  pures  de  Horn  ne  nous  permettent  pas  de 
savoir  si  l'auteur  fait  rimer  /  et  n  mouillées  avec  /  et  n  pures  comme  le 
fait  Thomas  dans  Tristran.  D'autres  traits  remarquables,  la  distinction 
de  s  et  z,  la  chute  de  la  dentale  finale  après  une  voyelle  tonique,  sont 
les  mêmes  dans  les  deux  poèmes,  quoique  la  graphie  des  scribes  de 
Horn  fasse  quelquefois  supposer  le  contraire. 

/.  Pour  la  flexion  on  ne  trouve  pas  beaucoup  non  plus  dans  les  rimes  de 
Horn.  La  déclinaison  semble  être  encore  plus  ruinée  que  dans  Tristran 
(les  exemples  du  cas  régime  au  lieu  du  cas  sujet  se  trouvent  à  chaque 
page  et  en  beaucoup  plus  grand  nombre  que  dans  Tristrarv,  tandis  que 
les  form.es  de  conjugaison  employées  à  la  rime  sont  très  rares  et 
ne  nous  montrent  que  peu  de  faits  qui  coïncident  avec  les  formes  corres- 
pondantes de  Tristran.  il  semble  pourtant  qu'on  pourrait  trouver,  après 
la  reconstruction  critique  du  texte,  plusieurs  différences  entre  la  flexion 
verbale  de  l'auteur  de  Tristran  et  celle  de  l'auteur  de  Horn. 

Je  me  contenterai  pour  le  moment  des  observations  phonétiques  que  je 
viens  de  faire  pour  appuyer  mon  opinion.  Les  recherches  plus  appro- 
fondies que  j'ai  déjà  commencées  montreront,  je  l'espère,  sûrement  que 
l'auteur  de  Horn  appartient  à  une  époque  plus  récente  que  celui  de 
Tristran.  Peut-être  pourra-t-on  expliquer  les  contradictions  de  ses 
principes  phonétiques  de  la  même  manière  dont  on  a  expliqué  le  mé- 
lange des  formes  archaïques  et  nouvelles  dans  la  langue  de  Guillaume  de 
Berneville. 

Helsingfors. 

W.   SÔDERHJELM, 


NOTE 


LES  ROMANS  RELATIFS  A  TRISTAN 


Les  travaux  qu'on  vient  de  lire  sont  sortis,  —  sauf  l'édition  de 
M.  Morf,  que  je  lui  ai  demandée,  —  de  la  conférence  que  j'ai  tenue 
chez  moi  le  dimanche,  pour  l'Ecole  des  Hautes  Etudes,  pendant  l'année 
1885-1886.  Outre  MM.  Bédier,  Lutoslawski,  Sudre  et  Soderhjelm,  en 
faisaient  partie  MM.  Muret,  Lôseth,  et,  passagèrement,  [MM.  Grand, 
Ernst  et  Bonnier.  MM.  Muret  et  Lôseth  ont  commencé  d'importants 
travaux,  l'un  sur  la  source  d'Eilhart  d'Oberg,  l'autre  sur  le  roman  de 
Tristan  en  prose;  le  premier  de  ces  travaux  sera  très  prochainement 
publié  ;  le  second  se  fera  sans  doute  un  peu  plus  attendre.  M.W.  Meyer, 
privat-docent  à  Zurich,  qui  prenait  aussi  part  à  la  conférence,  a  copié  le 
fragment  de  Béroul  Michel,  t.  I)  sur  le  ms.  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale, et  j'espère  qu'il  nous  en  donnera  bientôt  une  édition. 

Déjà  il  y  a  quelques  années  j'avais  choisi  les  romans  sur  Tristan  pour 
sujet  de  ma  conférence  du  dimanche.  Ceux  qui  y  prirent  part  alors  étaient 
notamment  MM.  Fécamp,  Thomas,  Gilliéron,  Ulrich,  Vctter  et  Nyrop. 
M.  Vetter  y  conçut  le  plan  d'une  édition  nouvelle  des  fragments  du  poème 
de  Thomas,  dont  il  a  depuis  longtemps  réuni  les  matériaux,  et  dont  il  a 
donné  en  partie  l'introduction  dans  sa  dissertation  parue  en  1882.  Mal- 
heureusement M.  Ve;ter,  je  ne  sais  pourquoi,  malgré  des  sollicitations 
souvent  répétées,  n'a  pas  encore  mis  la  dernière  main  à  son  travail,  et 
je  ne  saurais  dire  dans  combien  de  temps  on  peut  espérer  de  le  voir 
paraître. 

Les  études  publiées  ci-dessus  apportent  à  la  critique  des  récits  relatifs 
à  Tristan  quelques  données  intéressantes.  Notons  d'abord  ce  qui  résulte 
tant  des  remarques  de  M.  Sudre  'p.  555]  que  du  passage  du  roman  de 


598  G.    PARIS 

ly^We/ rappelé  par  M.  Sôderhjelm  (p.  576)  :  c'est,  au  moins  en  partie, 
par  un  intermédiaire  anglais  que  les  récits  sur  Tristan  ont  passé  aux 
conteurs  français  (cf.  Rom.  XIV,  604  ss.).  Ce  résultat  important  con- 
corde avec  le  fait  curieux  de  l'absence  à  peu  près  complète  du  nom  de 
Tristan  dans  ce  qui  nous  reste  de  la  littérature  galloise  du  moyen  âge. 
L'épopée  nationale  des  Bretons  avait  été  accueillie,  grâce  àleurs  chanteurs 
errants,  par  les  Anglais  dès  avant  1066,  et  elle  passa  ainsi  aux  Nor- 
mands; dans  sa  propre  patrie,  elle  paraît  avoir  été  presque  oubliée  au 
bout  d'assez  peu  de  temps.  On  trouve  cependant  encore  en  gallois  des 
traces  assez  nombreuses  de  l'épopée  proprement  arthurienne,  qui 
d'ailleurs,  en  général,  ne  coïncident  guère  avec  ce  que  nous  en  con- 
naissons par  les  poèmes  français;  mais  l'épopée  particulière  de  Tristan  a 
péri  à  peu  près  entièrement  sous  sa  forme  originaire  ;  nous  n'avons  non 
plus  rien  qui  s'y  rapporte  en  anglais  (en  dehors  du  Sir  Tristrem,  de 
provenance  française),  de  sorte  que  nous  ne  la  connaîtrions  aucune- 
ment si  les  Normands  n'avaient  pénétré  en  Angleterre  juste  à  temps 
pour  recueillir,  soit  de  la  bouche  des  chanteurs  bretons,  soit  de  celle  des 
conteurs  anglais,  les  récits  qui  circulaient,  sous  des  formes  variées,  des 
aventures  héroïques  et  amoureuses  du  héros  gallois. 

Il  serait  d'ailleurs  tout  à  fait  déraisonnable  de  révoquer  en  doute 
l'origine  celtique  de  ces  récits.  Le  roi  Marc,  avec  ses  oreilles  de  cheval, 
suffirait  par  son  nom  à  l'attester  {marc  en  celtique  signifie  «  cheval  »). 
Le  Morholt,  qui  joue  ici  le  rôle  du  Minotaure,  est  originairement  un 
monstre  marin,  qui  porte  aussi  un  nom  bien  celtique,  dans  lequel  le 
premier  élément  est  visiblement  le  mot  mor,  «  mer  ».  Le  théâtre  de  la 
scène^est  alternativement  en  Léon  (ou  Galles  du  Sud,  voy.  Marie  de 
France),  pays  de  Tristan,  —  en  Cornouaille,  pays  de  Marc,  —  en  Ir- 
lande, pays  de  la  première  Iseut,  —  et  en  Petite-Bretagne,  pays  de  la 
seconde  Iseut.  La  mer,  qu'on  traverse  à  chaque  instant,  met  en  commu- 
nication constante  ces  quatre  lieux  de  l'action,  ce  qui  nous  reporte  à 
une  époque  assez  ancienne;  car  au  xii^  siècle  il  semble  qu'on  ne  voya- 
geait plus  aussi  facilement  de  Bretagne  en  Armorique  et  en  Irlande  qu'on 
l'avait  fait  au  temps  où  les  Bretons  avaient  peuplé  l'Armorique  et  où  les 
Gaëls  d'Irlande  avaient  occupé  les  côtes  occidentales  de  la  Bretagne. 
Cette  domination  des  Irlandais  au  moins  sur  la  Cornouaille  paraît  avoir 
laissé  sa  trace  dans  l'épisode,  d'ailleurs  mythologique  au  fond,  du 
Morholt.  Bien  d'autres  traits  pourraient  servir  à  démontrer  le  caractère 
celtique  des  récits  relatifs  à  Tristan.  Ce  n'est  pas  non  plus  exclusive- 
ment par  le  canal  des  Anglais  que  les  trouveurs  français  out  connu  ces 
récits,  puisque  le  Breri  auquel  se  réfère  Thomas  est  bien  probablement  le 
célèbre  fabiilator  gallois  dont  parle  Giraud  de  Barri  (voy.  Roin.VUl,  42  5). 
Il  faut   donc   laisser  aux  Celles  la  gloire  d'avoir   créé,    en   face    de 


LES    ROMANS    DE    TRISTAN  559 

épopées  plus  héroïques  que  d'autres  races  ont  produites  ou  qu'ils  ont 
enfantées  eux-mêmes,  l'incomparable  épopée  de  l'amour. 

Les  poèmes  anglo-normands  sur  Tristan,  qui  ont  toujours  pour  sujet 
essentiel  l'amour  fatal  qui  l'enchaîne  à  Iseut,  femme  de  son  oncle,  se 
divisent,  comme  on  sait,  en  deux  groupes  principaux.  L'un  comprend  le 
long  fragment  où  se'trouve  le  nom  de  Béroul  et  le  poème  allemand  d'Eil- 
hart  d'Oberg,  l'autre  le  poème  de  Thomas,  conservé  par  fragments 
seulement  en  français,  à  moitié  dans  l'imitation  allemande  de  Gotfrid 
de  Strasbourg,  sous  une  forme  très  altérée  dans  Sir  Trisirem,  enfin  en 
entier  et  dans  une  traduction  abrégée  mais  fidèle  dans  la  version  nor- 
végienne de  frère  Robert.  Ce  second  groupe,  en  attendant  l'édition  de 
M.  Vetter,  est  aujourd'hui  facile  à  étudier  grâce  à  l'excellente  édition 
des  versions  norvégienne  et  anglaise  qu'on  doit  à  M.  Kôlbing  et  à 
l'ample  introduction  qui  les  précède.  En  faisant  connaître  dans  son  texte 
le  plus  ancien  et  en  comparant  à  la  fin  du  poème  d'Eilhart  le  précieux 
dénouement  qu'un  copiste,  au  xiv«  ou  au  xv*  siècle,  s'est  avisé  d'em- 
prunter à  un  vieux  poème  pour  le  substituer  au  dénouement  du  roman 
en  prose,  M.  Bédier  a  enrichi  notablement  notre  connaissance  du 
premier  groupe.  C'est  à  ce  groupe,  on  peut  l'affirmer  d'ores  et  déjà 
d'après  quelques  indices  qui  seront  réunis  ailleurs,  que  se  rattachait 
le  poème  perdu  de  Chrétien  de  Troies. 

La  question  du  rapport  des  deux  petits  poèmes  épisodiques  sur  le 
déguisement  de  Tristan  en  fou  n'avait  pas  été  jusqu'ici  traitée  avec  toute 
l'attention  et  la  critique  désirables.  L'étude  de  M.  Lutoslawski,  qui  a 
soumis  à  la  comparaison  les  quatre  autres  formes  du  même  récit,  nous 
permet  de  remonter  à  la  forme  originaire  et  très  simple  de  ce  thème, 
qui  n'est  autre  au  fond  qu'une  variante  de  l'histoire  du  retour  d'Ulysse, 
méconnu  par  sa  femme  et  reconnu  par  son  chien.  Les  allusions  à  l'his- 
toire antérieure  de  Tristan  ajoutées  à  ce  thème  dans  B  et  D  donnent  un 
intérêt  tout  particulier  à  ces  deux  lais,  qui  ont  en  outre  une  véritable 
valeur  poétique.  Grâce  à  M.  Morf,  nous  avons  maintenant  de  la  Folie 
Trisîran  de  Berne  une  édition  aussi  bonne  que  possible;  nous  en  auront 
sans  doute  bientôt  une,  meilleure  que  celle  qui  existe,  de  la  Folie  Tristran 
du  ms.  Douce. 

Le  poème  de  Thomas  est  une  des  œuvres  les  plus  remarquables  de 
cette  poésie  anglo-normande  qui  prend  chaque  jour  une  place  plus  con- 
sidérable dans  l'histoire  de  la  poésie  du  moyen  âge.  Une  autre  œuvre 
anglo-normande  très  remarquable  aussi,  mais  par  des  qualités  d'un  autre 
ordre,  le  poème  de  Horn,  est  également  d'un  auteur  nommé  Thomas. 
On  a  supposé  que  ces  deux  poètes  distingués  n'en  faisaient  qu'un,  et 
cette  hypothèse  a  été  admise  avec  une  faveur,  trop  empressée  sans  doute. 


600  G.    PARIS 

L'étude  fine  et  pénétrante  de  M.  Sôderhjelm  montre  déjà  qu'elle  a  peu 
de  chance  d'être  vraie  ;  l'auteur  se  réserve  de  traiter  un  jour  plus  à  fond 
cette  question  intéressante. 

A  côté  des  deux  groupes  de  récits  indiqués  ci-dessus,  il  a  circulé  en 
Angleterre  sur  les  amours  de  Tristan  et  d'Iseut  d'autres  contes  épisodiques, 
tels  que  celui  du  Chèvrefeuille^  celui  du  rossignol  que  nous  offre  le  Donat 
des  Amants,  elc...  M.  Sudre  a  demandé  aux  allusions  si  nombreuses  à 
ces  amours  que  contient  la  poésie  française,  provençale,  allemande,  an- 
glaise, italienne,  espagnole  du  moyen  âge,  des  renseignements  sur 
quelques-uns  de  ces  contes,  sur  la  date  des  poèmes  connus  de  nom  ou 
de  fait,  sur  la  popularité  plus  ou  moins  grande  de  chacun  d'eux.  Son 
travail,  qui  avait  été  préparé  par  les  recherches  de  M.  Francisque 
Michel,  pourra  recevoir  plus  d'une  addition;  il  offre  déjà  à  l'étude  une 
base  intéressante  et  de  solides  points  de  repère. 

En  dehors  de  tous  les  récits  en  vers  se  présente  à  nous  la  masse 
énorme  et  bizarre  du  Tristan  en  prose.  Personne  n'a  encore  osé  en 
aborder  de  front  l'étude  longue  et  en  bien  des  points  fastidieuse.  Mon 
ami  J.  Brakelmann,  au  moment  où  le  devoir  militaire  le  rappela  en 
Allemagne  en  juillet  1870,  était  engagé  en  plein  dans  un  travail  sur  ce 
sujet  dont  il  avait  à  peu  près  rédigé  certaines  parties.  On  sait  qu'il 
trouva  la  mort  à  Gravelotte.  Ses  notes,  confiées  à  M.  Zacher,  m'ont  été 
communiquées  il  y  a  quelques  années:  j'y  ai  vu  les  preuves  d'un  travail 
persévérant  et  consciencieux  ;  mais,  ayant  fait  moi-même  des  voyages 
de  découverte  assez  variés  danslelabyrintlie  du  Tristan,  W  m'a  étépromp- 
temenl  manifeste  que  Brakelmann  s'y  était  égaré  dès  le  début  et  avait 
suivi  Tune  après  l'autre,  —  car  il  est  souvent  revenu  sur  ses  pas  pour 
changer  de  direction,  —  plusieurs  fausses  pistes.  On  a  publié  récem- 
ment [Zeitschrift  Jiir  deuîsche  Philologie^  t.  XVir,  p.  81-94)  une  partie 
de  ses  recherches,  ce  qui  concerne  le  rapport  des  différents  manuscrits  en 
prose.  Sans  entrer  dans  le  détail,  je  remarquerai  simplement  que  toutes  les 
allégations  qui  se  trouvent  dans  les  manuscrits  relativement  à  Robert  de 
Boron  et  Élie  de  Boron  sont  de  pures  «  bourdes,  »  sans  aucune 
espèce  de  valeur.  C'est  ce  que  je  montrerai  dans  un  travail  d'ensemble 
sur  les  romans  bretons  en  prose;  mais  un  simple  fait  suffit  à  mettre  en 
pleine  lumière,  pour  le  Tristan,  l'imposture  de  toutes  ces  prétendues 
mentions.  D'après  le  soi-disant  Élie  de  Boron,  un  chevalier  appelé 
Luce  du  Gast  avait  écrit  un  roman  sur  Tristan,  le  plus  ancien  de  tous 
les  romans  de  la  Table  Ronde,  puis  lui,  Élie,  l'a  continué  et  amplifié 
et  en  a  fait  un  livre  qu'on  appelle  le  Bref,  mot  dont  on  a  vainement 
cherché  l'étymologie  jusqu'à  présent.  Or,  une  suite  en  prose  du  Merlin  de 
Robert  de  Boron,  conservée  dans  un  seul  manuscrit,  etqui  va  paraître  inces- 


LES    ROMANS    DE    TRISTAN  6oi 

samment  dans  hcolkcùondehSociété  des  Anciens  Tex/w,  nous  apprend  ce 
qu'il  faut  penser  de  ce  fameux  Bret.  L'auteur,  qui  se  donne  pour  Robert 
de  Boron  (avec  autant  de  droit  que  tous  ces  prosateurs  en  ont  a  s'affubler 
de  noms  usurpés),  après  avoir  fait  allusion  à  une  aventure,  ajoute  :  «  De 
ceste  aventure  que  je  vous  devise  chi  ne  parole  pas  chis  livres,  pour  chou 
que  li  contes  de!  brait  le  devise  apertement.  Et  saichiés  que  li  brais  dont 
maistre  Helies  fait  son  livre  fu  li  daerrains  brais  que  Merlins  gieta  en 
la  fosse  ou  il  estùit....  Et  de!  brait  dont  je  vous  parole  fu  la  vois  oie  par 
tout  le  roiaume  de  Logres  si  grans  et  si  Ions  coume  il  estoit  '.  »  Ce  titre 
du  Brait  se  retrouve  dans  le  titre  d'un  roman  espagnol  :  El  Daladro  de 
Merlin,  qui  fut  imprimé  à  Burgosen  1498,  et  dont  on  ne  connaît  aujour- 
d'hui qu'un  seul  exemplaire.  Voici,  d'après  M.  de  Gayangos (L/i^ro^s  Cabal- 
leria,  p.  x)  le  titre  et  le  résumé  du  ch.  CCCXXXIX  :  «  Del  gran 
baladroque  diô  Merlin  é  de  cômo  maria.  Cuenta  cômo  al  morir  el  nigromante 
diô  un  grito  tan  espantoso  que  fué  oido  sobre  las  otrasvoces,  é  sonôtres 
léguas  a  todas  partes.  »  Le  Brait  était  donc  un  roman  qui  racontait 
r  «  entombement  «  de  Merlin,  en  y  mêlant  (comme  nous  le  dit  le 
roman  de  Merlin  que  je  viens  de  citer}  quelque  histoire  où  figurait  Tris- 
tan. Ce  roman  du  Brait  était  d'un  certain  maître  Élie.  L'auteur  de  la 
rédaction  du  Tristan  en  prose  qui  a  jugé  bon  de  se  donner  le  nom 
d'Élie  de  Boron  a  connu  le  titre  de  ce  roman,  sous  la  forme  de  Bret  et 
non  de  Brait  (c'est  une  graphie  fréquente  ;  voy.  Godefroy],  et  il  a  su  que 
Tristan  y  figurait;  mais,  ne  comprenant  pas  ce  que  le  mot  Bret  voulait 
dire,  il  en  a  fait  une  histoire  de  Tristan  et  a  prétendu  être  lui-même 
l'auteur  de  ce  Bret.  En  maint  autre  passage,  l'ignorance  et  l'audace 
de  ces  remanieurs  pseudonymes  se  décèlent  aussi  manifestement. 

(^uant  à  Luce  du  Gast,  l'auteur  prétendu  de  la  rédaction  primitive  du 
roman  en  prose,  rien  ne  s'oppose  à  ce  qu'il  ait  existé  et  écrit  un  livre 
quelconque  sur  Tristan;  mais  il  est  certainement  impossible  de  démêler 
ce  qui  peut  être  de  lui  dans  l'immense  et  indigeste  compilation  à  laquelle 
son  nom  est  aujourd'hui  attaché  avec  celui  du  prétendu  Èlie  de  Boron. 
Tous  les  manuscrits  qui  contiennent  le  prologue  où  ce  soi-disant  cheva- 
lier anglais,  seigneur  d'un  château  près  de  Salisbury-,  parle  si  allègre- 
ment de  lui  même  à  la  première  personne,  le  font  suivre  d'une  introduc- 
tion, aussi  ennuyeuse  que  longue  et  inutile,  sur  les  ancêtres  de  Tristan, 


1.  Merlin,  p.  p.  G.  Paris  et  J.  Ulrich,  t.  II,  p.  198. 

2.  Luce,  ou  celui  qui  prend  son  nom,  dit  expressément  qu'il  est  du  châ- 
teau dn  Gast  [Gail,  Gant,  Gat,  etc.)  près  de  Sdlisbury  ;  il  faut  vouloir  absolu- 
ment fermer  les  yeux  à  l'évidence  pour  aller  chercher,  comme  le  fait  M.  Suchier 
{Zeilschr.  /.  d.  Fhil.  XVIII,  81),  ce  château  en  Normandie.    De  même  il   est 


602  G.     PARIS 

farcie  de  réminiscences  mythologiques,  et  de  fictions  d'une  monotone 
absurdité.  Cette  introduction  devrait  être  attrib\iée  à  Luce  du  Gast  ;  or 
il  paraît  impossible  de  faire  remonter  si  haut  une  pareille  fabrication. 
Dans  la  suite,  la  classification  que  Brakelmann  a  cru  pouvoir  faire  des 
diverses  rédactions  du  roman  me  parait  chimérique  ;  mais  il  faudrait 
pour  le  critiquer  reprendre  et  poursuivre  par  le  menu  le  difficile 
examen  de  tous  les  manuscrits.  J'ai  voulu  seulement  indiquer  ici  le  peu 
de  fond  qu'il  convient  de  faire  sur  les  allégations  des  manuscrits 
relatives  aux  auteurs,  aux  rédactions  diverses,  à  l'ordre  de  succession  de 
ces  étranges  compositions  qui  sont  les  grands  romans  en  prose  de  la  Table 
Ronde.  J'ajouterai  que  le  Tristan  me  paraît  avoir  pour  base  un  poème, 
et  sans  doute,  autant  qu'on  peut  le  supposer,  le  poème  de  Chrétien  de 
Troies.  Ce  sont  les  œuvres  du  poète  champenois  qui  ont  été,  en  France, 
le  principal  point  de  départ  de  toutes  les  imitations  de  contes  bretons; 
j'ai  montré  ailleurs  que  le  Lancelot  en  prose  avait  copié  le  poème  de 
la  Charrette  :  que  le  Tristan  en  prose  ait  eu  pour  premier  noyau  une  imi- 
tation du  Tristan  de  Chrétien,  c'est  ce  qui  me  paraît,  pour  plus  d'une 
raison,  très  vraisemblable. 

Mais  j'arrête  ici  ces  remarques  occasionnelles.  Il  y  a  encore  beau- 
coup à  faire  pour  débrouiller  l'histoire  poétique  de  Tristan,  en  retrouver 
la  forme  la  plus  ancienne,  en  classer  les  diverses  variantes.  Je  suis  heu- 
reux d'avoir  engagé  plusieurs  jeunes  travailleurs  à  tourner  leurs  recherches 
de  ce  côté,  et  j'espère  que  celles  que  nous  leur  devons  déjà  en  feront 
bientôt  naître  d'autres. 

Gaston  Paris. 


commode  de  supposer  (ib.)  qu'Élie  de  Boron  a  commis  un  malentendu  en  décla- 
rant que  le  Tristan  de  Luce  est  le  plus  ancien  des  romans  en  prose,  mais  c'est 
Luce  lui-même,  dans  son  prologue,  qui  déclare  que  personne  avant  lui  n'avait 
rien  traduit  du  prétendu  livre  latin  du  Saint  Graal.  Si  Luce  n'a  pas  voulu  dire 
ce  qu'entend  Élie  de  Boron  et  si  celui-ci  s'y  est  trompé,  il  faudra  bien  recon- 
naître qu'il  n'était  pas  le  contemporain  et  le  collaborateur  de  Robert  de  Boom. 


MELANGES 


I. 

LE  CHASTIE-MUSART 
d'après  LE  MS.    Harléien  43  33. 

La  description  du  ms.  4333  (Musée  Britannique)  a  été  publiée  dans 
le  tome  I  de  la  Romania,  pp.  206-9.  Lorsque  je  rédigeai  cette  notice,  je 
n'avais  à  ma  disposition  que  les  deux  premiers  vers  du  petit  poème  qui 
sera  publié  ci-après.  Ne  m'étant  point  rappelé  que  ces  deux  vers  figuraient 
à  une  autre  place,  dans  le  Clustie-Miisart,  et  induit  en  erreur  par  la  ru- 
brique, c'est  l'évangile  de  faines,  je  ne  réussis  point  à  identifier  cette 
composition.  Depuis,  ayant  examiné  de  nouveau  le  ms.,  je  reconnus 
sans  peine  qu'il  contenait,  sous  un  titre  nouveau,  un  texte  assez  court 
du  Chastie-musart^  poème  publié  depuis  longtemps.  Si  je  mets  au  jour 
actuellement  la  copie  que  je  fis,  il  y  a  plusieurs  années,  de  ce  texte, 
c'est  parce  qu'un  travail  récent  a  rappelé  l'attention  sur  le  Chastie-musart. 

En  effet,  M.  Tobler  a  édité  dernièrement  '  d'après  un  ms.  delà  collec- 
tion Hamilton  un  long  poème  en  quatrains,  composé  dans  l'Italie  septen- 
trionale, et  qui  n'est  autre  chose  qu'un  recueil  de  lieux  communs  sur  les 
femmes,  ou  plutôt  contre  les  femmes,  ce  qu'indique  d'ailleurs  assez  bien 
la  rubrique  initiale:  Proverbia  que  dicuntur  super  naturel  feminarnm.  Or 
il  existe  entre  ce  poème  italien  et  notre  Chastie-musdrt  des  rapports 
d'idées,  souvent  même  d'expressions  qui  ne  peuvent  être  fortuits.  C'est  ce 
qu'a  parfaitement  établi  M.  Tobler  par  des  rapprochements  qui  ne  laissent 
subsister  aucun  doute.  On  peut  donc  considérer  comme  certain  que 
'auteur  du  poème  italien  a  connu  le  poème  français  et  s'en  est  inspiré  à 


I.  Zeitschrilt  f.   roman  Philologie,   IX,  287-331  ;   cf.   l'important  article  de 
M.  Novati,  dans  le  Gwrnalt  stonco  délia  letteratura  italiana,  VII,  432. 


604  MÉLANGES 

diverses  reprises.  Cette  circonstance  assigne  une  valeur  particulière  au 
Chasite-musart,  qui  d'ailleurs,  envisagé  en  lui-même,  ne  manque  pas 
d'intérêt. 

En  France  même  le  Chasîïe-musart  parait  avoir  obtenu  un  assez  grand 
succès.  Ce  qui  nous  le  fait  croire,  ce  n'est  pas  précisément  la  quantité 
des  copies  qu'on  en  a  conservées  :  ces  copies  sont,  jusqu'à  présent  du 
moins,  au  nombre  de  six  seulement  ',  en  comptant  le  ms.  Harléien,  et 
pour  certains  poèmes  moraux  en  quatrains,  tels  que  le  Doctrinal  de  Sau- 
vage, ou  la  Pleur e-chanîe,  nous  avons  trois  ou  quatre  fois  autant  de 
manuscrits  ;  mais  les  différences  qui  distinguent  nos  copies  font  supposer 
que  le  poème  a  dû  être  très  répandu. 

M.  Tobler,  s'aidant  de  renseignements  fournis  par  M.  G.  Raynaud, 
a  dressé  la  liste  des  cinq  copies  connues  jusqu'ici^  et  a  même  essayé  de 
donner  un  tableau  de  l'ordre  des  couplets  dans  les  trois  que  possède  la 
Bibliothèque  nationale.  Ce  tableau,  dont  la  disposition  est  loin  d'offrir 
toute  la  clarté  désirable,  désigne  chaque  couplet  par  un  numéro  d'ordre. 
Or,  de  ces  trois  copies,  une  seulement  est  publiée,  et  les  couplets  n'y 
sont  pas  numérotés.  Par  conséquent  le  tableau  dressé  par  M .  Tobler 
ou  par  M.  Raynaud  reste  actuellement  inintelligible. 

Les  textes  du  Chastie-musart  sont,  à  part  celui  qui  sera  publié  ci-après, 
contenus  dans  les  mss.  dont  l'indication  suit  : 

Paris,  Bibl.  nat.  fr.  19152  (ancien  Saint-Germain  français  1239), 
fol.  105  etsuiv.  Contient  84  couplets  publiés  par  Jubinal 
en  appendice  à  son  édition  de  Rutebeuf  12^  édition,  III, 
382-9:;i. 

—  Bibl.nat.fr.   159?,   fol.    159  et  suiv.   Contient  seulement  $0' 

couplets,  dont  neuf  ne  se  trouvent  pas  dans   le   ms.    pré- 
cédent. 

—  Bibl.  nat.  fr.  12405.  Ce  ms.,  dont  il  a  été  plusieurs  fois  question 

dans  \a Ro mania  [xolrnolâmment  XIV,  442),  ne  contient 
qu'un  choix  de  strophes  du  Chasîie-musart;  il  y  en  a  21 
parmi  lesquelles  cinq  ne  se  trouvent  point  dans  le  ms.  1 9 1 5  2 , 
mais  existent  dans  1 59>. 
Rome,  Vatican,  Reg.  1323,  fol.  !$i  etsuiv.  Copie  de  la  fm  du  xv^, 
dont  Keller  a  publié  \Romvart,  p.  145-6)  les  six  premiers 
couplets,  et  qui  d'après  des  renseignements  fournis  par 
M.  Tobler  [Zeitschrift,    p.   330)   diffère   notablement  des 


1.  L'une  de  ces  six  copies  n'est,  comme  on  le  verra  p!  s  loin,   qu'un   cour 
extrait  composé  de  cinq  couplets. 


LE    CHASTIE-MUSART  605 

autres  textes^  et  renferme  une  suite  d'environ  1 2$overs  qui 
ne  paraissent  pas  se  trouver  ailleurs. 

Oxford,  Bodléienne,  Digby  86,  fol.   114.    Cinq    couplets    seulement 
insérés  dans  un  poème  en  vers  octosyllabiques,  et  publiés 
par  M.   Stengel,  dans  sa  notice  de  ce  ms.,  p.  59.   Quatre 
de  ces  couplets  existent  dans   le  ms.    191  52;  ce  sont  les 
couplets  qui  correspondent  aux  vers  65-8,  93-6,  195-200  de 
l'édition  Jubinal  ;  celui  que  ne  contient  pas  le  ms.  1 9 1 5  2  se 
retrouve  dans  le  ms.  1593  et  est  publié  d'après  ce  dernier 
ms.  dans  la  Zeïtschriju  p.  329. 
Le  texte  de  Londres  se  compose  de  vingt-neuf  couplets  dont   vingt- 
deux  sont  compris  dans  la  leçon  du  ms.  191 52.  J'ai  indiqué,  à  la  suite 
de  chaque  couplet,  la  concordance  avec  l'édition  que  Jubinal  a  donnée 
de   cette  leçon'.  Des  sept  autres   couplets,   quatre,    les    derniers  du 
morceau,  se  retrouvent  dans  le  ms.  1595;  les  deux  derniers  sont  aussi 
dans  le  ms.  12483.  Enfin  il  y  a  trois  couplets   (XIX,  XXIV  et   XXV) 
qui  ne   paraissent  pas  s'être  conservés  ailleurs,  à  moins  toutefois  qu'ils 
se  rencontrent  dans  le  ms.  du  Vatican,  ce  que  j'ignore. 

Mon  but  est  simplement  de  mettre  un  nouveau  texte  à  la  portée  de  qui 
voudra  entreprendre  un  travail  critique  sur  les  leçons  diverses  du  Chasiie- 
musarî.  Ceux  qui  après  moi,  jetteront  les  yeux  sur  le  ms.  jugeront  que, 
pour  être  simple,  ia  tâche  n'était  pas  aisée.  A  partir  de  ce  morceau,  en 
effet,  l'écriture  devient  extrêmement  fine,  et  de  plus  est,  par  places, 
effacée.  Ce  n'est  pas  sans  fatigue  que  j'ai  collationnécet  été  les  épreuves 
avec  le  manuscrit.  J'ai  jugé  inutile  de  joindre  à  la  copie  du  ms.  Harléien 
les  variantes  des  autres  copies.  Le  texte  de  Londres  n'ayant  qu'un  petit 
nombre  de  strophes,  ce  travail  n'eût  pas  dispensé  ceux  qui  s'occuperont 
dorénavant  du  sujet  d'avoir  recours  aux  manuscrits. 

P.  M. 


C'tsi  l'évangile  de  faines .  (P'ol.  1  1 3  i) 

L  Anmors  art,  anmors [point]  et  si  esprent  trop  fort; 

Anmors  sanz  desirier  a  meint  preudomme  mort, 

Kar  qui  a  anmor  de  famme  s'acostume  et  amorl 

Bien  porchace  sa  honte,  son  domage  et  sa  mort. 

(S.-C,  V.  49-^2.) 


1.   Je   rappelle  que  cette  édition  reproduit  le  ms.  19152  que  je  désigne  par 
S. -G.  (Saint-Germain). 


6o6  MÉLANGES 

II.  Fanme  n'enmera  ja,  se  Dex  iii'eint  et  secore, 
Celui  qui  por  s'anmor  pleint  et  sospire  et  plore  ; 
Mais  celui  qui  la  bat  et  le  sien  li  dévore, 
Celui  prise  ele  et  ainme  et  tient  chier  et  honere  {sic}. 
[S.-G.,  V.  61-4.) 

III.  Biens,  honors  et  avoirs  faut  par  fanme  et  avorte; 
Fanme  n'e[n]mera  ja  qui  foi  n'enmor  li  porte, 
Mais  celui  qui  la  bat  tant  qu'i  la  lait  por  morte, 
A  celui  se  déduit  et  solace  et  déporte. 

{S.-G.,  V.    69-72.) 

IV.  Se  sens  d'onme  vaut  pou,  sens  de  fa.  vaut  meins, 
Q^ue,  puisque  la  chalors  li  est  montée  es  rains, 
Ne  se  garde  de  nu!  qui  ele  tiegne  a  meins, 

Qués  issoit'  ,  clers  ou  lais,  granz  ou  petiz  ou  neins. 
(S.-G.,  V.  81-4.) 

V.  Por  ce  di  ge  que  nus  qui  ait  sens  ne  savoir 
Por  nule  anmor  de  f.  ne  doit  grant  joie  avoir  : 
Aussi  tôt  le  het  ele,  ce  sachiez  vos  por  voir. 
F.  ne  bée  a  riens  qu'a  honme  décevoir. 

(S.-C.,v.  85-8.) 

VI.  Et  qui  bée  a  tel  f.  grant  peine  li  est  sorse  ; 
F.  si  bée  a  bons  plus  qu'a  miel  ne  fait  ourse  2; 
Tiex  anmors  n'est  pas  droite,  ainz  est  vix  et  reborse, 
El(e)  ne  vient  pas  de  cuer,  ainçois  vient  de  la  borse. 
(S.-G.,  V.  93-6,-  Digby.) 

VII.  Trop  set  f.  de  mal,  de  barat  et  de  lobe; 

Honme  qui  la  viet  croire  barate  et  guile  et  bole; 
Tôt  petit  a  petit  le  despole  et  desrobe, 

(S.-G.,  V.  109-12.) 

VIII.  Ja  ne  troverai  f.  qui  de  ce  me  desmente  : 
Se  d'avoir  bêle  robe  se  depleint  et  démente, 


4.  Pour  (7  soit. 

5.  Vers  proverbial:  Femme  convoite  avoir  plus  que  miel  ne  fait  ourse  (L'Evan- 
gile desfamcs,iah'm?i\,  Jongl.  et  Trouv.,  p.  27;  Constans,  Marie  de  Compiegne.1 
p.  67). 


LE    CHASTIE-MUSART  607 

S'ele  n'a  dont  les  ait,  ne  chatel  ne  rente  (sic), 
Qu'ele  ne  mete  ainçois  ses  denrées  en  vente. 

(S.-C,  V.  129-32.) 

IX.  F.  sanc  et  sustance  trait  d'onme  débonnaire, 
Cote  et  sorcot  et  chape,  pelice,  robe  vaire, 
Garnison  a  l'ostel,  deniers  au  despens  faire: 
Ja  f.  ne  laira  reins  qu'ele  en  puisse  traire,  (fol.  1 14) 
(S.-C,  )'.  117-20.) 

X.  De  tant  corn  la  f.  est  plus  mignote  et  plus  cointe, 
De  tant  est  plus  musarz  et  plus  soz  qui  l'acointe  : 
Ne  li  chaut  qui  li  hurt  sur  son  cul  de  sa  pointe, 
Mais  qui  li  doint  deniers  ou  robe  ou  coutepointe '. 

(S.-C,  V.  137-40.) 

XI.  Lors  ne  fit  Diex  tignex  ne  camus  ne  truant, 
Avugle  ne  contrait  ne  boçu  ne  puant. 

Se  il  li  viet  donner  largement  etsovent, 
Qui  n'en  ait  bêle  chiere  et  f.  remuant. 

(S.-G./v.  133-6.) 

XII.  Ja  mar  avrez  en  f.  fiance  ne  atente, 

Tant  soit  ja  bobenciere,  mignote.  cointe  et  gente, 
S'ele  puet  gahengnier,  que  jamais  se  repente, 
Que  por  un  lecheor  en  vorroit  avoir  trente. 

{S.-C,  V.  141-4.) 

XIII.  Celé  qui  plus  s'orguele  et  qui  plus  se  desroie, 

Qui  samble  que  soit  danme  de  Provins  ou  de  Troie  2, 
Ne  li  chat  cui  el  mete  ou  em  point  ou  en  roie, 
Por  un  toissu  d'argent  ou  por  une  corroie. 

(S.-C,  V.   145-8.) 

XIV.  F.  est  plus  connue  que  mareschauz  qui  ferre'j; 
Pris,  honor  et  renon  va  porchacier  et  querre 


1 .  Ms.  Cdlepointc. 

2.  On  pourrait  supposer  qu'il  y  a  ici  un  indice  de  l'origine  du  poème; 
remarquons  toutefois  au'il  y  a  de  Peronne  ou  de  Roie  dans  S. -G.  On' peut  donc 
hésiter  entre  la  Picardie  et  la  Champagne. 

3.  Corr.  conn[c]ùe?  Ce  vers  ainsi  isolé,  n'a  guère  de  sens  ;  dans  S. -G.  il  est 
suivi  du  V.  4  de  la  présente  leçon  :  Fcme  a  plus  d'acointa:'.ce  que  mareschal  qui 
ferre  \  A  toz  ces  chevaliers  qui  vont.,  etc.  La  leçon  du  ms.  1 593  (fol.  140  d)  est 
toute  différente. 


6o8  MÉLANGES 

Par  toz  les  lix  do  mont,  soit  en  pais  soit  en  guerre 
Si  com  .j.  chevaliers  qui  va  errant  par  terre. 

(S.-G.,  V.  169-72.) 

XV.  Tôt  aussi  com  hom  dit:  «  Cit  est  bons,  cit  est  biaus, 
«  Cit  a  le  cercle  d'or  et  cit  a  les  osiaus, 
(i  Cit  joute  me.x  que  nus  et  cil  meinne  cembiaus, 
11  Et  cit  a  sor  son  point  l'ostoir  qu'est  plus  iniax  »  ; 
{S.-G.,v.    173-6.) 

XVI.  Autel  dit  om  des  f.  orendroit  a  cors, 

Par  citez,  par  chatia.x    par  viles  et  par  bors  : 
0  Ceste  a  non  Jehannete  et  ceste  Erambors, 
«  Ceste  3  les  crins  pendanz  et  ceste  les  a  blons  '.  » 
{S.-G.,  V.  177-80.) 

XVII.   De  la  loiie  au  f.  est  partot  la  parole, 

Chacur.s  s'en  gabe  mais,  et  chacuns  en  parole; 

F",  het  le  moutier,  si  ainme  la  karole; 

A  poinnestrov'  on  mais  f.  qui  ne  soit  foie. 

(S.-G.,  V.  185-8  ) 

XVIli.  Por  ce  dit  com  cortois  et  conme  sage  mètre  •', 
Com  cil  qui  bien  conoist  lorcovineet  lor  estre  : 
F.  qui  bien  se  veut  vestir  et  bien  chaucier  et  peitre 
N'iert  ja  saole  d'onme  ;  lassée  en  puet  ele  estre. 
(S.-C,  V.  249-52.) 

XIX.  Nus  ne  se  doit  fier,  certes,  nés  en  sa  suer. 
Quant  il  samble  que  f.  n'ait  point  joie  a  son  cuer, 
Que  ele  brait  et  crie,  giete  larmes  et  pluer, 

C'est  toz  baraz  et  guile,  que  nos  (s;V)  fait  pas  de  cuer. 

XX.  Trop  setf.  bien  faire  chiere  dolente  et  mate; 

Nus  n'en  a  bia  samblant  se  mo  (sic)  chier  ne  l'achate.  {h) 
F.  set  trop  de  mal,  de  guile  et  de  barate, 
F.  samble  trois  choses  :  lou  et  vorpil  et  chate. 

[S.-G..,  V.  269-72.) 


1.  Couplet  très  corrompu:  V.  i,  S.-G.  orendroil  tout  a  cors;  v.  4  :  ceste  les 
a  icbors. 

2.  II  faut  probablement  malgré  l'accord  du  ms.  S.-G.,  corr.  ./.  mestre;  et  ce 
maître,  cité  de  seconde  main, est,  selon  toute  apparence,  Juvénal. 


LE    CHASTIE-MUSART  609 

XXI.  Lous  et  vorpil  et  cliate  sunt  trois  bestes  de  proie: 
Chaz  surche',  vorpix  gaite,  li  lous  robe  et  proie. 
F.  sovent  engigne  celui  qui  plus  la  proie, 

Qui  plus  fouxement  l'ainme  et  plus  bevra  la  proie  2. 
{S.-G.,  V.  27J-4,) 

XXII.  D'une  chose  me  fait  f.  molt  esbahir  : 
Celui  qui  plus  l'ennore  et  plus  la  sert  d'ahir 
El  fet  sa  volenté  het  ele  et  viet  trahir, 

Et  celui  sert  et  ainme  qui  ele  doit  haïr. 

(iS93,/o/.   140.) 

XXIII.  Honiz  soit  quiaf.  son  corage  descuevre, 
Ne  qui  le  sien  li  dôme,  a  qui  ele  recuevre, 
Car  a  f.  ne  chat  qui  la  jambe  li  huevre  : 
Toz  jors  vorroit  la  f.  c'om  li  fut  en  tel  o[e]vre. 

iS.-G.,  V.  241-4.) 

XXIV.  F.  se  change  et  mue  .xx.  [foiz]  le  jor  ou  .xxx. 
Plus  a  le  cuer  movant  que  nacele  en  tormente. 
Une  or  la  viet  (sic),  or  est  liée,  or  dolente  ; 

Por  ce  est  fox  qui  son  cuer  i  met  trop  ne  s'entente. 

XXV.  Or  viet  estre  entre  genz  et  or  viet  estre  en  mue, 
Or  jengle  conme  jais,  et  or  devient  si  mue 
Qu'ele  ne  puet  mot  dire  :  ainsi  se  change  et  mue, 
Et  viet,  que  qu'ele  face,  estre  danme  et  cremue. 

XXVI.  Sachiez,  se  f.  avoit  trestot  le  vostre  eu, 
Et  mueble  et  héritage  tôt  mengié  et  beù, 
Se  vos  feroit  Testrange  et  le  mesqueneû, 
Ausi  corn  s'onques  mais  ne  vos  avoit  veii. 

(1595,  fol.  140.  a  b.) 

XXVII.  Pou  en  veez  mais  nule  ne  ferme  ne  estable  [}) 
De  loiauté  tenir;  ne  cuidiez  que  soit  fable, 
Que  a  tant  mal  en  f.,  ce  est  parole  estable 
Que  l'en  dit  que  f.  a  un  art  plus  que  diable  3  . 

1593,  fol.   141  d.) 


1.  S.-G.  cherche.  L.  Chatc  surche,  vorpix  g.,  lous  r.  et  proie. 

2.  Les  vers  3  et  4  sont  tout  différents  dans  S.-G. 

5.  C'est  en  effet  un  proverbe  fort  répandu.  Le  Roux  de  Lincy,   Livre  des  prov. 
224,  ne  le  cite  que  d'après  un  recueil  du  xv  siècle,  mais  on  le  trouve  à  la 

Romama,  XV  J9 


6lO  MÉLANGES. 

XXVIII.  F.  s'esforce  a  faire  tôt  ce  que  l'en  li  vée  ; 
Nés  de  trover  mençonge  ne  sera  ja  lassée, 
Por  nul  méfait  dont  elesoit  grevée'; 
S'ele  a  le  cul  covert,  ja  n'iert  prise  provée. 

(i  593,  fol.   141  c;   12483,  loi.  25  !  b.) 

XXIX.  Car  ce  que  les  genz  sevent  .xiij.  ou  .xiiij.  ou  .xx., 
Comment  cil  i  ala  et  uns  autres  en  vint, 
Noie  ele,  tence  et  jure  la  mort  que  Deus  sostint, 
Que  c'est  orde  mençonge,  c'onques  ne  li  avint. 

(1 593,  fol.  141  c;  12483,  fol.  251  b.) 


LE  CONTE  DE   LA  REINE  Q^UI   TUA   SON   SENECHAL. 

Depuis  que  j'ai  publié  dans  ce  recueil  (t.  XI,  p.  581  ss.)  un  article 
sur  le  conte  dont  on  vient  de  lire  le  titre,  j'ai  eu  connaissance  d'une 
version  irlandaise,  qui  se  trouve  dans  le  «  Livre  de  Leinster  »  2.  Je  ne 
l'ai  d'abord  connue,  ne  possédant  pas  la  langue  irlandaise,  que  par  le 
court  résumé  de  l'éditeur  (p.  279  a,  1.  35  —  280  a,  1.  42);  M.  Thur- 
neysen  a  bien  voulu  en  faire  pour  moi  une  traduction  complète  5. 

Voici  le  contenu  du  récit  irlandais. 

La  fille  d'un  roi  des  Grecs,  aussitôt  après  sa  naissance,  avait  été  fiancée 
au  fils  d'un  noble,  né  la  même  nuit  qu'elle,  comme  c'est  l'usage  chez  les 
Grecs.  Mais  quand  elle  fut  grande  elle  s'éprit  d'un  beau  garçon  qui  fai- 
sait partie  de  la  domesticité  et  eut  avec  lui  le  commerce  le  plus  intime. 
Un  jour  ils  étaient  ensemble  au  lit,  quand  le  roi  vint  visiter  sa  fille  et 
cria  à  la  porte  :  «  Ouvrez  !  «  Elle  se  leva,  jeta  un  coussin  sur  le  jeune 
homme  et  ouvrit.  Le  roi  s'assit  avec  sa  fille  sur  le  coussin  et  s'entretint 
longtemps  avec  elle.  Quand  enfin  il  partit,  le  galant  était  mort.  La  prin- 


fin  de  certains  textes  du  Blâmt  des  femmes  (cl.  ci-dessus,  p.  359),  dans 
un  des  cxcmpla  recueillis  par  Th.  Wright  dans  ses  Latin  i/ona  (London,  1842) 
p.  1 5  :  «  Sccundum  quod  solet  dici,  mulier  habet  unam  artem,  id  est  unum 
«  decipiendi  modum,  plus  quam  diabolus  ».  Cf.  aussi  Le  grand  Parangon  des 
JVouvÊ//£i  «o/;vc'//«i,  de  Nicolas  de  Troyes,  éd.  Mabille  (1869),  pp.    128   et   134. 

1 .  Corrigez  nul  m.  du  mont  ou  clc  s. 

2.  The  Book  of  Leinster,  someûme  called  the  Book  of  Gleendalough,  a  collection 
j  puces  {prose  and  '      

of  the  Xlith  centur) 


oj  puces  {prose  and  verse)  in  the  Irish  language,  compiled^  in  part,  aboui  the  middle 
of  the  Xlith  century  :  now  for  the  first  lime  published  from  the  original  Manuscript 
in  the  Library  of  Tnnity  Collège,  Dublin,  by  the  Royal  Irish  Acadcmy,  r/ith. 
Introduction,  Analysxs  of  Contents^  and  Index,  by  R.  Atkinson.  Dublin,  1880. 

3.  Cette  traduction,  revue  par  M.   d'Arbois  de  Jubainviile,  paraîtra  dans  la 
Revue  Celtique. 


LECONTE    DE    LA    REINE       (^1     TUA  SON    SÉNÉCHAL  6ll 

cesse  appelle  un  vigoureux  rusire,  qui  charge  le  mort  sur  ses  épaules,  ct 
va  avec  lui  sur  le  haut  d'un  rocher,  d'où  il  doit  jeter  le  ca-Iavre.  Arrivés 
là,  elle  le  précipite  lui-même  avec  le  corps.  —  Bientôt  il  lui  faut  épouser 
son  fiancé  ;  elle  craint  que  sa  mauvaise  conduite  passée  ne  soit  décou- 
verte et  qu'elle  ne  soit  brûlée.  A  sa  demande,  une  de  ses  suivantes,  qui 
est  vierge,  prend  pour  une  heure  sa  place  dans  le  lit  nuptial.  Mais,  le 
marié  endormi,  la  servante  se  refuse  à  céder  cette  place.  La  princesse 
alors  met  le  feu  à  l'appartement,  et,  comme  la  suivante  veut  puiser  de 
l'eau  dans  un  réservoir  pour  éteindre  la  flamme,  elle  la  saisit  par  les 
janibes  et  lui  tient  la  tête  sous  l'eau  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  morte.  Cepen- 
dant le  marié  a  éteint  le  feu,  et  la  princesse  se  lamente  de  ce  que  sa  sui- 
vante est  noyée.  —  Après  qu'elle  a  été  mariée  assez  longtemps,  son  père 
meurt,  puis  son  mari.  Comme  elle  confesse  ses  péchés  au  confesseur  du 
nouveau  roi,  il  lui  fait  des  propositions  d'amour  ;  elle  les  repousse,  et 
alors  le  prêtre  révèle  sa  confession  au  roi,  qui  ordonne  de  l'enferm.er 
dans  une  logette  de  bois  près  d'un  carrefour.  Elle  vit  là  pendant  sept  ans 
de  ce  que  des  gens  charitables  lui  font  passer  par  les  petites  fenêtres  de 
la  logette.  Au  bout  de  sept  ans,  le  roi,  apprenant  qu'elle  vit  encore,  la 
fait  sortir,  et,  sur  sa  demande,  fonde  pour  elle  un  couvent  et  une  église. 
Le  confesseur  aussi,  pendant  ce  temps,  avait  fait  pénitence  ;  lui  et  la 
princesse,  après  leur  mort,  allèrent  au  ciel,  et  de  grands  miracles  eurent 
lieu  à  cause  d'eux.  Une  ville  s'était  formée  autour  du  couvent:  c'est  la 
meilleure  ville  de  prières  chez  les  Grecs. 

La  version  irlandaise  est  beaucoup  plus  proche  du  récit  persan  du 
Bahar-Dunush  que  du  conte  et  du  miracle  français  et  du  conte  anglais. 
Les  versions  irlandaise  et  persane  ont  en  commun  que  dans  l'une  et 
l'autre  l'héroïne  est  une  fille  de  roi  qui  a  un  amant  en  secret,  [et  que 
cet  amant,  obligé  de  se  cacher  à  la  suite  de  la  visite  imprévue  du  roi, 
meurt  étouffé.  La  version  irlandaise  est  en  un  point  plus  voisine  de  la 
version  anglaise  que  des  autres  :  dans  toutes  deux  l'homme  qui  doit 
jeter  dans  un  puits  profond,  du  haut  d'un  rocher,  le  corps  de  l'amant,  y 
est  précipité  lui-même  par  l'héroïne  avec  ce  cadavre  attaché  sur  ses 
épaules. 

Reinhold  Kœhler. 


NOTE  ADDITIONNELLE  SUR  JEAN    DE    GRAILLI, 
COMTE  DE   POIX. 

P.  Meyer  a  montré  [Rom.  XIV,  227)  que  la  devise  :  J'ay  belle  dame, 
qui  se  trouve  sur  quatre  manuscrits  provenant  de  la  bibliothèque  des 


6l2 


MÉLANGES 


comtes  de  P'oix,  était  celle  de  Jean  de  Grailli,  comte  de  Foix,  de  1412 
à  1456.  Les  doutes  que  l'on  pourrait  encore  conserver  sur  cette  attri- 
bution sont  levés  par  un  passage  du  Débat  des  deux  fortunés  d'Amour  (ap- 
pelé souvent  aussi  le  Débat  du  Gras  et  du  Maigre)  d'Alain  Charlier.  Deux 
chevaliers,  en  présence  des  dames,  soutiennent,  l'un  qu'il  y  a  plus  de 
biens  que  de  maux  en  amour,  l'autre  l'inverse.  Quand  ils  ont  fini,  on 
cherche  un  juge  '  : 

Q_ui  pour  gaignier  cueur  d'amoureux 

Or  l'a  il  belle.         [enflame. 

Cil  doit  sçavoir  qu'est  Tardant  cstin- 

[celle 

Et  coiignoistre  le  plaisir  que  l'on  celle, 

F.t  bien  jugier  sans  que  nul  en  apelle. 

Ainsi  conclurent, 

Et  d'un  accord  dames  et  servans  lurent; 

Aussi  les  deux  de  bon  cuer   le  voula- 

[rent, 

Et  bien  firent,  quant  si  bon   juge  es- 

Sans  respiîer,  [lurent 

Qui  en  haulx  faiz  se  scet  bien  déliter 
Et  par  honneur  loyaulté  acquicter 
Et  a  Phebus  de  vertus  hériter, 

Qui  tant  fut  preux 
Et  tant  hay  chetifz  faiz  et  honteux, 
Et  tant  ama  les  déduis  deliteux, 
Tre.'îdur  aux  fiers  et  aux  humbles  pi- 

Comme  je  sent.  [teux, 

Or  fut  alors  le  noble  conte  absent, 
En  ost  armé  comme  honneur  le  consent; 
Pour  ce  furent  tous  d'un  commun  as- 

Qu'on  cscriroit  [sent 

Tout  le  débat  ou  tant  qu'il  souffiroit, 
Et  qu'au  retour  lors  Phebus  le  liroit, 
Et  s'il  lui  plaist  son  advis  en  diroit; 

Et  je  qui  iere 
Seul  clerc  présent,  escoutant  par  der- 
[riere 
Tout  le  débat,  lespoins  et  la  manière, 
Fus  lors  requis  par  courtoise  priera 

Que  je  l'escrive... 


Une  dame,  quant  el  vint  a  sa  foiz, 
Alla  nommer  le  bon  conte  de  Foiz, 

Sage  et  entier, 
Noble  Jehan,  de  Phebus  héritier, 
Et  qui  porte  son  escu  en  quartier. 
Et  de  tousjours  suit  l'amoureux  mes- 

Quant  l'ont  ouy  [tier. 

Ainsi  nommer,  chascun  s'en  esjouy^ 
Corn  decelluy  qui  d'onneur  a  jouy, 
N'onques  nulz  d'eulx  sa   court    n'en 
[deffouy, 

Ains  se  soubzmisdrent 

En  son  décret,  et  ainsile  promisdrent, 

El  devant  luy  en  jugement  se  misdrent, 

Et  les  dames  leur  pouoir  luy  commisd- 

[rent 

En  son  absence. 
Toutes  dirent  qu'il  a  sens  et  science 
Et  de  chascun  escouter  pacience, 
Et  en  amours  tresgrant  expérience 

Et  grant  sçavoir, 

Valeur,  bonté,  hault    cueur  et    bon 

[devoir, 

Et  bon  advis  pour  congnoistre  le  voir, 

Et  qu'il  vaut  bien  a  belle  dame  avoir  ; 

Aussi  son  port 
En  fait  assez  tesmoignage  et  raport; 
Car  en  son  mot  il  porte  par  déport, 
Comme  celluy  qu'Amours  maine  a  bon 

J'ji  telle  dame,  [po^t  : 

Qui   sans   peine    n'advint  oncques  a 

[a  me 

Et  sans  sentir  le  mal  et  Tardant  flamc 


I.  Je  donne  ces  vers  d'après  les  mss.  de  la  Bibl.  Nat.  1642  et  2262;  l'édition 
de  Galliot  du  Pré  offre  plus  d'une  faute,  et  la  langue  y  est  constamment  rajeunie. 


NOTE   SUR   JEAN    DE   GRAILLI,    COMTE    DE    FOIX  613 

Cette  circonstance  que  le  comte  de  Foix  était  absent  pour  peu  de 
temps  et  occupé  à  une  expédition  militaire  parait  dater  le  poème  d'Alain 
de  1425  ou  1426  (voyez  Flourac,  Jean  l"',  comte  de  Foix,  p.  103  et 
suiv.).  Le  vers  Or  Va  il  bêle  semble  faire  allusion  au  second  mariage  de 
Jean,  avec  Jeanne  d'Albret,  en  1423. 

On  voit  que  le  comte  Jean  de  Foix  ne  se  bornait  pas  à  aimer  les  livres, 
mais  que,  comme  d'autres  grands  seigneurs  de  l'époque,  il  s'intéressait 
à  la  poésie  contemporaine,  et  particulièrement  à  la  poésie  galante. 

G.    P. 
IV. 

UN    ARTICLE    DU    DICTIONNAIRE    DE    M.    GODEFROY. 

Je  ne  connais  pas  de  lecture  plus  agréable  que  celle  du  Dictionnaire  de 
M.  Godefroy  ;  on  y  apprend  toujours,  et  on  s'y  amuse  souvent.  En  l'ou- 
vrant au  hasard,  comme  je  le  fais  quand  j'ai  quelques  minutes  de  loisir, 
je  tombe  sur  l'article  Lèche  ,t.  IV,  p.  749I,  que  je  signale  au  laborieux 
lexicographe  pour  que,  dans  son  Supplément,  il  le  corrige  ou  plutôt  le  sup- 
prime. Ce  mot,  qui  s'écrivait  aussi  leiclie  et  lesche,  signifierait  «  appât, 
amorce,  friandise  ».  Quatre  exemples  sont  donnés  à  l'appui.  1°  Si  comme 
H  poissons  s'amort  A  lèche  quant  boue  la  sant  ;  il  est  clair  qu'il  faut  lire  A 
l'eche.  2°  Biauié  et 'grasse  sont  deux  lèches  qui  font  fuir  (1.  soffrir)  maintes 
destreches  As  amans.  Si  au  lieu  d'emprunter  cette  citation  de  Jean  de 
Condé  à  Dinaux,  M.  G.  avait  consulté  l'édition  d'A.  Scheler,  il  aurait 
vu  qu'il  y  a  teches  et  non  lèches.  4«  Regardez  cy  la  villainie  De  ce  gentil 
genin  de  lesche,  dit  Ch .  Fontaine  ;  mais  Jenin  de  Lesche  est  un  nom 
propre  :  c'est  le  nom  d'un  «  badin  »  fort  connu  à  Paris  au  commence- 
ment du  xvi''  siècle  fvoy.  Montaiglon  et  Rothschild,  Recueil,  t  X,  p. 
569).  —  Reste  le  troisième  exemple,  emprunté  au  livre  du  chevalier  de 
La  Tour  Landri  ;  l'édition  de  M.  de  Montaiglon  porte  bien /e/c/;e  fp.  234), 
mais  ce  mot,  d'un  sens  vague,  est  sans  doute  une  faute  que  la  compa- 
raison des  manuscrits  ferait  disparaître. 

En  somme,  le  mot  lèche  au  sens  indiqué  par  M.  Godefroy  n'existe  pas 
dans  l'ancienne  langue  française. 

G.  P. 


COMPTES-RENDUS 


Geschichte  desdeutschen  Kultureinf lusses  auf  Frankreich,  mit 
besonderer  Berûcksichtigung  der  litterarischen  Ein^virkung. 

Von  Professer  Dr.  Th.  Supfle.  Erster  Band.  Von  den  œltesten  germanischen 
Einflùssen  bis  auf  die  Zeit  Klopstocks.  Gotha,  Thienemann,  1886,  in-8'^, 
xxii-359  pages. 

Ce  livre,  dont  le  sujet  est  intéressant,  paraît  bien  fait  et  instructif  pour  la 
période  moderne  ;  mais  pour  celle  qui  précède  le  xvi'^  siècle,  et  qui  nous  inté 
resse  seule  ici,  il  ne  tient  pas  ce  qu'on  pourrait  en  attendre.  L'influence  germa- 
nique sur  la  France  du  moyen  âge  revient  tout  entière  aux  temps  mérovingiens; 
elle  a  été  considérable,  et  s'est  exercée  sur  la  langue,  sur  la  poésie  (épopée),  sur 
la  société.  L'auteur  annonce  qu'il  étudiera  plus  profondément  qu'on  ne  l'a  fait 
la  pénétration,  dans  ces  trois  sens,  de  l'élément  germanique  en  France  ;  mais  ce 
qu'il  nous  donne  n'a  ni  grande  nouveauté  ni  grande  valeur.  Pour  la  langue,  i' 
se  borne  à  peu  près  à  une  liste  (établie  sans  critique)  des  mots  allemands  dans 
le  français  moderne,  tandis  qu'il  y  avait  tant  à  puiser  dans  l'ancien  français  et 
le  provençal.  Pour  la  poésie,  il  ne  connaît  pas  le  livre  de  Pio  Rajna.  Pour 
la  véritable  «  Kulturgeschichte  »,  où  il  y  avait  tant  à  dire,  il  se  borne  à 
quelques  indications  sommaires  et  presque  toutes  de  seconde  main.  Le  sujet  qu'il 
n'a  fait  qu'effleurer  reste  à  traiter,  et  mérite  d'être  traité  avec  l'érudition  et  la 
pénétration  nécessaires  pour  en  tirer  tout  ce  qu'il  contient. —  Nous  avons  voulu 
simplement  signaler  l'esquisse  de  M.  Supfle  à  nos  lecteurs,  qui  sur  la  foi  du  titre 
auraient  pu  croire  que  son  livre  avait  pour  nos  études  une  importance  qu'il  n'a 
pas.  Répétons  qu'il  n'en  est  pas  ainsi  pour  ce  qui  concerne  l'histoire  littéraire 
moderne  ;  sur  le  xviii«  siècle  notamment  nous  y  avons  trouvé  une  grande 
richesse  d'informations  et  partout  un  jugement  impartial  et  modéré  ;  la  suite, 
qui  traitera  de  l'influence  intellectuelle  de  l'Allemagne  depuis  Klopstock,  sera 
sans  doute  encore  plus  importante. 

Das  S  vor  Consonant  im  Franzœsische.!...  von   Wilhelm    Kœritz. 
Strasbourg,  Bauer,  1886,.  in-S*^,  viii-135  pages  (diss.  de  docteur). 

La  dissertation  de  M.  Kœritz  mérite  d'être  signalée   à  l'atte  ition.  Elle  traite 
un  point  important  et  jusqu'à  présent  mal  éclairci  de  l'histoire  de  notre  langue  ; 


KŒRiTZ,  Das  s  ror  Consonant  im  Franzœsischen  6 1 5 

elle  le  traite  avec  méthode,  intelligence  et  conscience,  et  les  résultats  généraux 
auxquels  elle  aboutit  peuvent  être  considérés  comme  acquis.  Il  est  vrai  qu'ils 
devaient  déjà  être  évidents,  au  moins  dans  leur  partieessentielle,  pour  tous  ceux 
qui  professent  les  doctrines  de  la  linguistique  moderne  ;  mais  quand  on  voit  que 
des  philologues  de  premier  ordre,  à  commencer  par  Diez,  ne  les  ont  pas  nette- 
ment discernés,  on  reconnaît  que  le  jeune  auteur,  en  faisant  son  possible  pour 
les  démontrer  et  les  mettre  hors  de  doute,  a  bien  mérité  de  la  science.  A 
côté  de  ce  réel  mérite,  on  peut  signaler,  dans  ce  travail  d'ailleurs  bien  fait,  des 
lacunes  et  des  erreurs',  et  il  ne  sera  pas  inutile  de  l'examiner  avec  quelque 
détail. 

La  règle  générale,  en  français,  est  que  Vs  qui  précède  une  autre  consonne 
à  l'intérieur  d'un  mot  tombe,  d'abord  dans  la  prononciation,  puis  dans  l'écri- 
ture. Cependant,  sans  parler  de  termes  techniques  d'introduction  évidemment 
savante,  on  trouve  dans  nos  dictionnaires  français  un  grand  nombre  de  mots 
qui  conservent  1'^.  «  L's,  dit  Diez,  persiste  fortuitement  dans  quelques  anciens 
mots...»  Et  cette  appréciation  n'a  jamais,  au  moins  publiquement,  été  formelle- 
ment contredite  ;  elle  a  même  été  récemment  donnée  comme  incontestable  î. 
M.  K.  l'a  soumise  à  un  examen  critique  d'où  il  résulte,  comme  on  pouvait  s'y 
attendre,  qu'elle  repose  sur  une  vue  trop  hâtive  des  faits.  Il  prend  l'un  après 
l'autre  tous  les  mots  du  français  moderne  qui  présentent  une  s  devant  une 
consonne  et  montre  qu'il  n'y  en  a  pas  qui  méritent  vraiment  la  qualification  de 
mots  «  anciens  »  que  leur  donne  Diez.  Il  les  divise  en  six  classes  :  1°  Mots  pour 
lesquels  Us  gr.vnmainens  du  xvp  s.  attestent  l' amiïi  s  sèment  de  l's  (grâce  au  livre  de 
Thurot,  l'auteur  a  pu  réunir  des  renseignements  nombreux  et  précis).  —  2° 
Mots  empruntés  à  des  langues  étrangères  (italien,  espagnol,  anglais,  allemand)  à  une 
époque  relativement  moderne.  —  j*»  Mots  anciens,  mais  tombés  en  désuétude,  et  repris 
dans  les  livres  parles  lettrés  (il  est  bon  de  les  indiquer:  destrier,  escrimera, 
geste  (chanson  de),  ménestrel,  ost  (au  xviF  siècle  on  prononçait  encore  6t), 
^ènestre).  —  40  Mots  qui.,  outre  qu'ils  conservent  l's,  violent  encore  une  autre  loi 
phonétique  (c'est  là  qu'on  trouve  les  mots  cités  par  Diez,  estimer,  estomac, 
esclandre,  espace,  espérer,  esprit  ;  un  seul  fait  réellement  difficulté,  c'est  espérer 
avec  ses  congénères  espoir  et  espérance  ;  M.  K.  a  très  finement  remarqué 
qu'espérer  n'est  pas  la  forme  régulière  de  sperare:  on  devrait  avoir  espérer 
comme  on  a  mener.,  celer,  serein;  si  espérer  a  subi  pour  la  voyelle  l'influence  du 
latin  4,  il  a  pu  et  dii  la  subir  aussi  pour  la  consonne,  ou  plutôt  «  le  mot  savant 


1 .  On  pourrait  aussi  y  relever  trop  de  fautes  d'impression,  et,  comme  dans  beaucoup 
d'ouvrages  philologiques  allemands,  une  typographie  d'un  aspect  désagréable  et  d'une 
disposition  incommode 

2.  Voy.  Fœrster,  De  Venus,  p.  60.  Sur  le  mot  esquiver,  incontestablement  italien, 
voy.  Kœritz.  p.  7}. 

3.  L'explication  de  ce  mot  est  bien  douteuse.  L'anc.  fr.  ne  donnait  (\\x'escremir  et 
escremie;  comment  a-ton  pu  en  tirer  escrimer  et  escrime  >  Escrime  se  dénonce  comme 
étranger  par  son  /  aussi  bivn  que  par  son  s.  Le  mot  n'apparaît  d'ailleurs  qu'au  xvi'=  siècle 
(1  exemp'.e  de  Bouciquaut  dans  Littré  est  plus  que  suspect)  ;  il  provient  du  prov.  cat. 
escrima  ou  de  l'esp.  esgrima. 

4.  Ce  changement  d'«  fém.  en  è  par  imitation  du  latin  n'est  pas  rare. 


6l6  COMPTES-RENDUS 

espérer  a  supplanté  le  mot  populaire  épercr,  et  a  amené  à  la  suite  la  prononcia- 
tion espoir  pour  époir;  cf.  nùnestnl  à  côté  de  mcnéuier  »).  —  5°  Mots  dans 
lesquels  la  prononeïal'.on  est  ou  a  été  incertaine  (l'auteur  montre  qu'au  moyen  âge 
on  a  dû  prononcer  par  exemple /u/ir,  Irite^,  céléte,  à  côté  de  juste,  triste,  cèkstti 
prononciations  savantes  ,  comme  on  a  prononcé  longtemps  honeste  à  côté 
d'honnête  qui,  ici,  a  triomphé).  —  6°  Mots  qui  ne  violent  que  la  règle  de  la  chute 
del's;  ce  sont  d'après  M.  K.  astuce  (dans  Gaimar  il  faut  lire  non  astucie,  mais 
astutie  =^  estultie],  haste  (qui,  comme  le  dit  fort  bien  l'auteur,  n'a  rien  à  faire 
avec  l'a.  fr.  hanste,  cf.  Rom.  VII,  467^  langouste  (mot  venu  récemment  du  midi  > 
l'a.  fr.  langoste,  «  sauterelle  »,  vît  dans  les  patois  sous  la  forme  langoute,  langôteY 
pasteur,  questeur,  respirer,  conspirer  ;  il  n'a  pas  de  peine  à  montrer  que  ce  sont 
des  mots  savants.  —  Reste,  comme  7"=  classe,  «  un  seul  mot,  dans  lequel  la  con- 
servation de  Vs  n'est  pas  expliquée  »;  c'est  forestier.  Il  est  clair  que  ce  mot, 
surtout  si  on  le  rapproche  de  foret,  ne  peut  rien  prouver  (il  doit  probablement 
sa  forme  à  l'influence  du  hùn  forest.iiius,  employé  dans  les  ordonnances  et  éta- 
blissements de  charges),  et  l'auteur  est  parfaitement  autorisé  à  conclure  «  qu'on 
ne  doit  plus,  au  moins  à  l'aide  des  mots  qui  présentent  s  devant  une  consonne, 
révoquer  en  doute  l'axiome  de  la  valeur  absolue  des  lois  phonétiques  ».  — 
L'ordre  qu'il  suit  prêterait  à  la  critiquez,  ce  qui  d'ailleurs,  grâce  à  l'index 
alphabétique,  a  peu  d'importance  ;  mais  toute  cette  partie  du  livre  est  très 
louable  ;  l'auteur  y  fait  preuve  d'un  discernement  remarquable,  et  il  a  souvent 
des  vues  ingénieuses,  comme  quand  il  montre  par  quels  équivalents  l'ancien 
français  remplaçait  tel  ou  tel  mot  qui  nous  semble  n'avoir  jamais  pu  manquer 
à  la  langue  populaire. 

Mais  M.  Kœritz  ne  s'est  pas  contenté  de  cet  examen  des  mots  oili  \'s  est  con- 
servée, qui  occupe  plus  de  la  moitié  de  son  travail.  Dans  deux  chapitres  préli- 
minaires, il  étudie  le  phénomène  de  la  chute  de  1'^  dans  le  temps  et  dans  l'es- 
pace. Cette  introduction,  d'une  portée  scientifique  plus  grande,  amène  aussi 
l'auteur  sur  un  terrain  moins  sûr  et  plus  dangereux.  Tout  en  montrant  là  encore 
de  solides  qualités,  il  n'a  pas  obtenu  de  résultats  aussi  certains  que  dans  ce  qui 
fait  d'ailleurs  le  véritable  sujet  de  sa  thèse. 

I.  Epoque  de  l'amuissement  de  /'s.  Les  deux  seuls  auteurs  qui  aient  touché 
cette  question  sont,  d'après  M.  K.,  MM.  Fœrster  et  Neumann  3  ;  encore  ne  l'ont- 
ils  touchée  qu'indiretemenl,  lepremier  en  disant  que  «  l'^s'est  amuïe  (en  normand) 
d'abord  devant  /  et  n,  peut-être  aussi  devant  m,  »  et  que  «  ce  procès,  dans  le 
cours  de  la  seconde  moitié  du  xiF  siècle,  s'étendit  aussi  à  5  -j-  muette  et  devint 
toujours  plus  général  »;  le  second  en  attribuant  au  français  de  l'est,  comparé  à 
celui  de  l'ouest,  un  certain  retard  dans  l'accomplissement  du  phénomène.  M.  K. 
commence  par  écarter  les   mots  qui   ne   peuvent  donner  de   résultats  certains 


1  Au  reste,  on  a  dit  régulièrement  jast  et  trist;  ce  dernier  dans  la  Passion  est  une 
forme  aussi  bien  française  que  provençale. 

2.  11  suffisait  en  réalité  de  deux  classes:  mots  savants  ou  étrangers,  mots  oh  la  pronon- 
ciation de  /'s  est  plus  ou  moins  récente. 

].  Voyez  cepeadant  les  passages  auxquels  renvoie  la  table  de  la  Romania  (p.  iji)  et 
notamment  l'étude  fort  louable  de  M.  Scholle. 


KŒRiTz,  Das  s  ror  Consonanî  im  Franzœsischen  6 1 7 

(composés  avec  de  ou  des,  avec  re  ou  res^  trebuchicr  ou  tresbuihier,  suffixes  des 
ordinaux),  puis  il  cherche  les  plus  anciens  exemples  de  la  chute  de  1'^  ;  il  trouve 
la  preuve  de  celte  chute  soit  dans  les  rimes,  scit  dans  la  graphie  (suppression 
de  \'s.  remplacement  de  Vs  par  une  autre  lettre,  addition  de  I'j  contrairement  à 
l'étymologie).  Il  examine  successivement  les  textes  anglo-normands  (Philippe  de 
Thaon,  Brandan,  les  Psautiers,  Rois,  Gaimar,  Fantosme)  et  continentaux  (La- 
pidaire, Etienne  de  Fougères,  S.  Etienne,  Guillaume  de  Saint-Pair,  Wace, 
Beneeit  de  Sainte-More,  Marie  de  France,  Garnier,  le  Chevalier  au  lion,  les  Dia- 
logues de  Grégoire,  Job,  Scrmo  de  Sapientia^  Brut  de  Munich,  Philippe  Mousket, 
Baudouin  et  Jean  de  Coridé).  Ce  choix  est  évidemment  beaucoup  trop  restreint, 
et  le  travail  dont  M.  K.  a  eu  l'initiative  devra  être  repris  sur  une  plus  vaste 
échelle.  Les  chartes  notamment,  qui  ont  l'immense  avantage  d'être  exactement 
datées,  sont  pour  une  recherche  de  ce  genre  la  mine  la  plus  sûre.  Les  poètes 
du  XII'"  siècle  sont  beaucoup  trop  peu  représentés.  M.  K.,  sauf  la  Vie  de  saint 
Thomas,  n'a  consulté  que  des  poèmes  écrits  en  rimes  plates,  ce  qui  lui  a  sug- 
géré des  observations  d'ailleurs  assez  fines  pour  expliquer  la  rareté  des  rimes 
probantes  ;  mais  ces  observations  ne  s'appliqueraient  pas  aussi  bien  aux  chan- 
sons lyriques,  aux  œuvres  dramatiques,  aux  poèmes  écrits  en  laisses  monorimes. 
Une  source  de  première  importance,  les  glosses  et  glossaires  hébraïco-trançais, 
a  été  laissée  complètement  de  côté,  ainsi  que  les  transcriptions  en  langues  étran- 
gères. L'auteur  conclut  que  l'amuïssement  doit  être  reporté  au  plus  tard  au 
commencement  du  xii«  siècle  ;  il  dit  avec  raison  que  s'il  apparaît  plus  tôt  en 
Angleterre  que  sur  le  continent,  ce  n'est  que  par  suite  de  circonstances  exté- 
rieures :  le  phénomène  étant  inconnu  à  l'anglais,  les  écrivains  anglo-normands 
ne  le  présentent  que  parce  qu'il  existait  déjà  en  français.  Mais  ici  se  pose  une 
question  que  M.  K.  a  traitée  avec  peu  de  précision  et  de  clarté,  et  qui  est  de 
première  importance  :  c'est  la  question  indiquée  par  M.  P'œrster. 

«  L'opinion  de  Fœrster,  dit  M.  K.,  d'après  laquelle  1*5  s'est  amuie  devant 
les  .liquides  plus  tôt  que  devant  les  muettes,  n'est  pas  soutcnable,  comme  le 
montre  la  rime  met  :  est  dans  Philippe  de  Thaon  ;  du  moins  on  ne  peut  la  sou- 
tenir avec  les  matériaux  qu'il  emploie.  Il  n'y  a  que  les  mots  français  de  la 
'angue  anglaise  qui  appuient  cette  vue,  car  nous  y  voyons,  en  regard  de  mots 
avec  s  -j-  liquide  où  s  est  muette  (cf.  islc,  maie,  valet,  dini]  le  groupe  des  mots 
avec  s  -f  muette,  p.  ex.  beast,  feast,  forest,  tempest,  etc.,  où  s  se  prononce 
encore  aujourd'hui.  En  outre  comparez  des  cas  comme  to  effra-j  (v.  fr.  esfreir^^ 
to  efforee  (esjorcier)^  to  defeat  {desfait).  D'après  cela  l'amuïssement  de  l'i  devant 
les  liquides  et/a  précédé  la  transplantation  du  français  en  Angleterre;  l'amuïsse- 
ment continental  de  Vs  devant  les  muettes,  au  contraire,  n'a  eu  lieu  que  plus 
tard,  mais  encore  avant  la  fin  du  xi»  siècle.  Cf.  aussi  l'anglais  liideous,  a.  fr. 
hisdousi.  B  L'observation,  quoique  mal  formulée,  est  juste,  mais  la  portée  en 
est  plus  grande  que  ne  l'a  cru  l'auteur.  En  réalité,  la    chute  de   Vs  devant  les 


1.  M.  K.  donne  à  tort  es fraier. 

2.  L'auteur  ajoute   comme  étymologie    hispidosns,    mais   \'h  étant  aspiréf,   cette 
origine  est  impossible.  Pour  trouver  l'étymologie,  il  faut  partir  de  hisde. 


6l8  COMPTES-RENDUS 

consonnes  comprend  deux  séries  de  faits  qui  sont  parfaitement  distinctes:  i"  s 
devant  les  spirnntes  (/,  /.  v^,  les  sonores  {b,  d,  g),  et  les  liquides  (/,  m,  n,  r)  ; 
2°  s  devant  les  sourdes  (/',  t,  c).  Dans  la  première  série  l'^  est  tombée  bien 
avant  l'époque  où  elle  est  tombée  dans  la  seconde  ;  aux  mots  anglais  cités,  qui 
nous  la  montrent  tombée  devant  /,  n,  f,  t\  d,  on  peut  en  ajouter  d'autres  qui 
nous  la  montrent  tombée  devant  b,  m,  r  '.  D'ailleurs  il  est  facile  de  voir,  dans 
les  textes  mêmes  qu'a  étudiés  M.  K.,  que  la  chute  de  Vs  pour  la  première  série 
se  produit  dans  de  tout  autres  conditions  que  pour  la  seconde.  A  côté  de  formes 
très  nombreuses  où  1'^  tombe  devant  les  consonnes  de  la  première  série 2,  on  ne 
trouve,  pour  l'époque  ancienne,  à  peu  près  aucun  exemple  de  la  seconde  série 
(voyez  plus  loin).  Mais  il  y  a  un  fait  aussi  probant  que  la  séparation  des  deux 
groupes  en  anglais,  et  dont  M.  K..  n'a  pas  tenu  compte.  Le  wallon,  comme  il 
le  constate  dans  :on  second  chapitre,  conserve  jusqu'à  nos  jours  Vs  devant  les 
muettes  sourdes  ;  mais  il  ne  l'a  pas  devant  les  sonores.  M.  K.  aurait  dû  remar- 
quer que  devant  b,  d,  g,  /,  m,  r,  n,  f,  v,  /  il  n'y  a  pas  un  exemple  d's  en 
wallon  ;  il  cite  lui-même  elère,  ema'i,  raine  (à'araisnicr)^  valet,  venredi,  todi  [tos 
dis)^  pâmé,  rêjoihi,  jeudi^  mardi,  mainime,  même,  amoune,  mais  il  suppose  à  tort 
que  ce  sont  des  mots  d'importation  étrangères.  Autre  remarque,  qui  converge 
avec  les  autres  :  le  remplacement  de  Vs  par  (/,g,  h  ou  r,  ne  se  trouve  que  devant 
des  consonnes  de  la  première  série,  /,  n,f  ;  il  en  est  de  même  de  l'assimilation. 
C'est  qu'en  réalité  dans  la  chute  de  Vs  de  la  première  série  et  dans  la  chute  de  Vs 
de  la  seconde  il  s'agit  de  deux  phénomènes  différents:  la  première  s  est  une  s 
sonore,  la  seconde  est  une  s  sourde.  L'altération  de  Vs  sonore  s'est  produite  bien 
avant  celle  de  1*5  sourde  et  tout  à  fait  indépendamment  d'elle 4. 

A  cette  question  se  rattache  aussi  celle  des  lettres  qu'on  trouve  employées 
dans  difféients  te.xtes  pour  remplacer  Vs  de  la  première  série.  M.  K.  regarde 
toutes  ces  lettres  comme  des  signes  muets,  mais  il  est  certainement  dans  l'erreur. 
Ces  lettres  sont  J,  g,  h,  r  ;  examinons-les  successivement. 

r  Z)  est  propre  aux  textes  anglo-normands.  Il  figure  devant  /  dans  Philippe  de 
Thaon  (uile^  gredle)  et  dans  les  Rois  (medler,  vadlet,  madle),  devant  n  dans  les 
Rois  seulement  [adtu,  maidnee,  chaidne,  podnce,  didne)'i,  c'est-à-dire  devant  deux 


1.  Par  exemple  debauch,  blâme,  v.  a.  emoven,  v.  a.  arace,  etc. 

2.  Déjà  dans  le  Rollant  le  fait  que  blasme,  pasmc  peuvent  figurer  à  l'assonance  en  a 
nasal  prouve  que  Vs  y  était  tombée. 

3.  M.  K.  dit  bien  légèrement  que,  le  patois  de  Liège  conservant  IV ,  le  Dialogue  de 
Grégoire  ne  peut  être  de  la  région  de  Liège,  ou  en  montre  les  formes  mêlées  avec  celles 
du  français  central,  puisque  ce  texte  témoigne  en  diverses  manières  de  l'amuïssement  de 
Vs.  Or  le  Dialogue,  sauf  sopezons  et  descroissanz  qui  ne  prouvent  rien  (confusion  de  suf- 
fixes), n'a  d'exemples  de  la  chute  de  l'j  que  devant  /,  n,  m,  f,  g,  c'est-à-dire  qu'il  se 
comporte  non  seulement  comme  le  liégeois,  mais  comme  tous  les  dialectes  wallons. 

4.  M.  K.  dit  avec  raison  (p.  33)  que  la  chute  de  Vs  est  analogue  à  celle  des  muettes 
précédant  une  autre  muette,  à  la  vocalisation  de  1'/,  à  la  perte  des  nasales  dans  les 
voyelles  précédentes  ;  mais  ces  différents  phénomènes,  s'ils  proviennent  d'une  même  ten- 
dance, se  sont  produits  à  des  époques  fort  diverses.  Us  n'ont  pas  non  plus  pour  cause 
<  une  des  lois  les  plus  générales  de  la  langue  française  »  qui  serait  a  la  suppression  de 
toute  consonne  qui  clôt  une  syllabe  »  ;  car  dans  forest,  vaut,  sent,  etc.,  la  première  con- 
sonne ne  clôt  pas  la  syllabe. 

5.  Je  me  borne  aux  textes  cités  par  M.  Kœritz  ;  on  en  trouverait  d'autres  exemples  en 
Angleterre. 


KŒRiTZ,  Dus  S  vor  Consonant  im  Franzœsischen  6 1 9 

liquides  dentales  ;  cette  observation  suffit  à  montrer  qu'il  s'agit  bien  là  d'un  phé- 
nomène phonétique '.  M.  Forster  a  déjà  fait  remarquer  que  l'angl.  meddic  a 
conservé  le  d  de  l'anglo  normand  medler  ;  il  faut  y  ajouter  medlar  =  meslier,  en 
sorte  que  ces  deux  exemples  se  fortifient  ;  il  est  vrai  que  ù/c,  ma!e,  valet  présen- 
tent la  chute  complète  du  i/,  mais  dans  des  mots  d'emprunt  ces  irrégularités 
n'ont  rien  de  surprenant.  On  peut  regarder  le  d  comme  un  développement  pro- 
pre à  l'anglo-normand,  devant  /  et  n,  du  son  particulier  qu'avait  pris  dans  ce 
cas  Vs  sonore  ;  c'était  sans  doute  une  espèce  de  th  doux. 

2'  G.  La  question  est  ici  plus  compliquée.  Le  g  ne  se  trouve  pour  5  que 
devant  n  et  après  /  (ig^^l-,  maignit),  c'est-à-dire  dans  les  conditions  où  d'ordi- 
naire il  indique  \'n  mouillée.  M.  K.  pense  que  le  g,  dans  plusieurs  groupes 
composés  de  gn,  étant  muet,  il  a  été  employé  ici  comme  signe  muet,  peut-être 
marquant  l'allongement  de  la  voyelle  précédente.  Le  fait  allégué  est  vrai  pour 
certains  mots  savants  dont  les  correspondants  latins  avaient  gn^  comme  digne^ 
signe,  règne  ^  ;  en  outre  dans  certains  dialectes,  le  gn  s'est  réduit  à  n.  Mais  en 
France  c'est  un  phénomène  assez  récent  et  qu'on  ne  peut  faire  remonterau  haut 
moyen  âge.  Si  la  graphie  ign  =  isn  ne  se  trouvait  que  dans  des  textes  anglo- 
normands,  l'explication  de  M.  K.  serait  admissible  3  ;  mais  on  la  rencontre  dans 
des  textes  appartenant  à  des  régions  très  différentes.  Il  est  donc  plus  probable 
que  \'s  sonore  devant  n  a  pris  parfois  après  ;  un  son  particulier  qui,  en  se  com- 
binant avec  n,  s'est  au  moins  beaucoup  rapproché  de  \'n  mouillée  4.  Ce  qui 
confirme  cette  manière  de  voir,  c'est  que  dans  certains  mots  le  son  mouillé  s'est 
effectivement  substitué  à  celui  de  sn  :  en  Champagne  aujourd'hui  on  dit  des  egnes 
pour  l'a.  fr.  aisnts  =  acinos;  le  mot  mais  nie  est  devenu  mcgnic  aussi  bien 
que  mlnie,  etc.  On  pourrait,  il  est  vrai,  croire  que  l'^  est  simplement  tombée  et 
que  i'n  mouillée  est  résultée  du  contact  d'(  (=  y)  etn  ;  mais  ce  qui  rend  le  fait 
douteux,  c'est  qu'il  ne  s'est  pas  produit  (sauf  cà  et  là  par  confusion  de  suffixes) 
pour  les  mots  qui  n'ont  pas  d's  entre  1';  et  Vn.  C'est  un  point  intéressant,  qui 
demande  une  étude  particulière. 

30  H.  M.  Kœritz  ne  s'occupe  pas  spécialement  de  ce  substitut  de  Vs  ;  il  mérite 
cependant  l'attention.  Il  ne  se  trouve  que  dans  des  textes  orientaux  et  même 
wallons  {Dialogues,  JobS)  ,  et  seulement  devant  n  {maihnie,  raihnable,  ahnessc) 
ou  /;;  (blahmcr).  Si  cette  h  était  un  signe  du  genre  de  notre  accent  circonflexe, 
pourquoi  ne  l'emploierait-on  que  devant  n  et  m  ?  Je  la  regarde  comme  l'expres- 


1.  C'est  aussi  l'opinion  de  M.  Schlœsser  (/.  c.  infra,  p.  73). 

2.  Il  n'y  a  que  les  mots  de  ce  genre  qui  fournissent,  en  dehors  des  poèmes  anglo-nor- 
mands, les  rimes  mixtes  citées  par  M.  Kœritz:  les  autres  reposent  sur  de  mauvaises 
graphies  :  ainsi  dans  Gu.  de  Saint- Pair,  1.  grifaigne,  essoine,  areine,  Campaine  ;  dans 
VVace  Ciemogne  {chavctaine  est  bon),  dans  Mousket  Septimagne,  maintienne,  Cam- 
pane,  etc.  —  C'est  à  tort  que  M.  K.  voit  dans  cisne  une  graphie  inverse  pour  cigne : 
cisne  —  cicinum. 

3.  Les  objections  de  M.  Schlœsser  ne  sont  pas  péremptoires. 

4.  Sur  l'hypothèse  de  M.  Suchier,  d'après  laquelle  le  g  aurait  ici  sa  valeur  ordinaire, 
voy.  Schlœsser,  /.  c.  infra. 

5.  Ici  encore  on  pourrait  alléguer  plusieurs  autres  textes.  Citons  seulement  \e  Poème 
moral  (voy.  V Introduction  de  M.  Cloetta,  p.  loi). 


620  COMPTES-RENDUS 

sion  du  son  particulier  que  \'s  sonore  devant  les  nasales  avait  pris  dans  la  région 
wallonne  ;  on  peut  en  rapprocher  le  changement  d'5  sonore  intervocale  en  h  qui 
s"est  produit  plus  tard  dans  la  même  région  et  dans  la  région  lorraine  {rahi  = 
raisin,  ohcu  =  oiscmi,  etc .  )  1 . 

4"  R.  L'r  se  substitue  à  s  sonore  devant  /  [varkt,  mark,  muter,  parle),  j 
(murjoe,  torjors),  n  {ainc^,almornc),  j  [orfraie],  v  [derver),  et  cela  particulièrement 
dans  la  région  picarde  M.  K.,  qui  ne  cite  que  varkt,  derrèi,  voit  encore  là  un 
signe  muet,  s'appuyant  sur  ce  que  dans  différents  textes  r  devant  une  consonne 
n'empêche  pas  la  rime  avec  cette  même  consonne  (de/ors  :  endos,  large  :  sagt'»). 
Cela  prouve  simplement  une  prononciation  faible  de  l'r;  mais  il  est  impossible 
de  soutenir  que  dans  les  mots  cités  l'r,  qui  se  prononce  encore  en  français  dans 
orfraie,  soit  un  signe  muet.  D'ailleurs  ce  phénomène  n'est  pas  particulier  au 
français.  M.  K.  aurait  pu  voir  dans  Diezi  les  exemples  semblables  de  l'italien 
(ciurma,  orma),  du  portugais  {cirnt),  dn  provençal  (azermar,  varvassor,  almorna)^. 
L'r  ne  remplace  d'ailleurs  que  1'^  sonore  7  :  c'est  un  fait  du  même  ordre  que  la 
substitution  d'r  à  s  sonore  (ou  réciproquement)  intervocale  observée  à  une  cer 
taine  époque  en  français  et  en  provençal  8. 

Résumons-nous.  Vs  sonore,  devant  les  sonores,  les  spirantes  et  les  liquides, 
s'est  de  bonne  heurealtéréed'une  manière  qui  en  a  amené  la  chute  complète,  dans 
certains  cas  au  moins,  dès  avant  le  milieu  du  w"  siècle 9.  Cette  altération  a  pris 
des  formes  variables,  généralement  transitoires,  dont  quelques-unes  cependant  ont 
persisté  :  devant  /,  n  on  trouve  en  anglo  normand  un  d  prononcé  sans  doute 
très  mollement  ;  devant  m,  n  en  wallon  une  h  ;  devant/,  v,  /,  n  en  picard  et  en 
français  une  r  ;  Vs  précédée  d'z  a  eu  une  tendance  à  mouiller  Va  qui  la  suivait. 
L'ébranlement  de  Vs  sonore  dans  ces  conditions  et  sa  chute  définitive  (sauf 
quelques  traces  comme  orfraie,  aignc)  sont,  avec  les  variations  indiquées  plus 
haut,  des  faits  communs  à  tous  les  dialectes,  et  qu'on  n'a  aucune  raison  de  regar- 
der comme  plus  anciens  dans  l'un  que  dans  l'autre  'o. 


1 .  Sur  /i  pour  s  sourde,  voyez  plus  loin. 

2.  Voy.  Rom.  XllI,  259. 

3.  En  revanche  il  allègue  des  exemples  qui  n'ont  rien  à  faire  ici  :  dans  hesbergier, 
mescredi,  l'r  est  tombée  pir  dissimilation  et  Vs  est  un  signe  muet  (cf.  musdre.  Poème 
moral,  p.  ici);  il  faut  juger  de  même  sotrait  (voy.  ci-dessus)  ;  sourduire  =  souduire  est  une 
confusion  de  suffixes. 

4.  La  rime  tertre  senestre  s'explique  de  même  :  senestre  =  senetre. 

5.  Gramm.,  trad.  fr.,  I,  221.  Voy.  aussi  Joret,  de  Rhotacismo. 

6.  Pour  le  provençal,  ajoutez  les  exemples  cités  par  P.  Meyer,  Rom.  IV,  184. 

7.  Il  semble  que  Vs  provenant  d'jj  dans  ossifraga,  vass(  a)llettum  doive  être 
sourde;  mais  cf.  la  juste  remarque  de  Diez,  Gramm.,  I,  274,  note.  Le  changement  d'5 
sourde  en  r  est  un  phénomène  d'un  autre  ordre,  et  qui  me  paraît  inconnu  en  français;  on 
le  trouve  par  exemple  en  limousin  (Chabaneau,  Gramm.  limousine,  p.  78). 

8.  Voy.  Rom.  IV,   184;  VI,  261  ;  V-II,  633  ;  IX,  622. 

9.  Voy.  ci-dessus,  p.  618,  n.  2,  ce  qui  est  dit  du  Rollant.  Dans  le  Domesday  Book  on 
ne  trouve  qu'un  exemple:  Gillebert  à  côté  de  Gislebert  [Zeitsehr.  VIII,  362). 

10.  Signalons  une  erreur  de  détail.  D'après  M.  K.  (p.  18)  graisle  est  une  graphie  in- 
verse; la  bonne  forme  est  graile.  Mais  gracile  m  i  donné  graisle  comme  acinum_, 
c  ici  nu  m  ont  donné  aisne,cisne;  si  le  c  avait  été  traité  comme  dans  -aculum,  on  aurait 
grail  et  non  graile  (dans  le  pr.  graile.   Vs   est  tombée).  Je  crois  aujourd'hui  qu'il  faut 


KŒRiTZ,  Das  s  lor  Consonant  iin  Franzœsischen  621 

Passons  maintenant  à  la  chute  de  \'s  de  la  seconde  série,  c'est-à-dire  de  l'i 
sourde  devant  p,  r,  c.  C'est,  comme  nous  l'avons  vu,  un  phénomène  indépen- 
dant du  premier,  et  postérieur  ;  il  est  inconnu  à  l'anglo-normand  d'une  part  et 
au  wallon  de  l'autre.  Il  est  vrai  que  pour  l'anglo-normand  M.  Kœritz  allègue 
d'assez  nombreux  exemples,  soit  de  rimes,  soit  de  graphies,  mais  il  faut  d'abord 
écarter  tous  ceux  qui  touchent  des  formes  verbales.  De  très  bonne  heure  il  y 
eut  en  Angleterre  des  gens  qui  écrivaient  (dans  tous  les  sens>  le  français  sans 
bien  le  savoir  ;  aussi  m  les  rimes  ni  les  graphies  où  -ist,  -asl  sent  confondus 
avec  -it,  -al  ne  prouvent-elles  rien  (ces  rimes  se  réduisent  d'ailleursà  deux  rimes 
fort  douteuses  de  Philippe  de  Thaon  et  à  deux  autres  de  Gaimar).  Il  faut  juger 
de  même,  quoique  le  cas  soit  plus  rare,  de  la  rime  de  me^t  =  mittit  avec  est 
dans  Phil.  de  Thaon  (Best.,  v.  428  ')•  Les  autres  exemples  allégués  sont  à  peu  près 
tous  faux 2.  —Sur  le  continent,  la  chute  de  Vs  sourde  est  incontestable;  nous  la 
trouvons  attestée  d'abord  par  des  rimes  de  Wace,  de  Beneeit  de  Sainte-More, 
de  Guillaume  de  Saint-Pair  3,  de  Marie  de  France,  de  Garnier  de  PontSainte- 
Maxence  (douteux),  c'est-à-dire  d'écrivains  normands.  Graphiquement,  elle  appa- 
raît avant  la  fin  du  xn"  siècle  dans  le  S.  Etienne.  Ce  n'est  pas  avec  le  maigre 
apparat  fourni  par  M.  K.  qu'on  peut  étudier  le  phénomène  dans  les  autres  ré- 
gions ;  bornons-nous  à  rappeler  que  Chrétien  de  Troies  ne  le  connaît  pas  (voyez 
V  Introduction  de  M.  Fœrster  à  Cligcs,  p.  LXXIII4).  Tout  ce  que  nous  pouvons 
dire,  c'est  qu'il  est  postérieur  à  la  conquête  de  l'Angleterre,  qu'il  se  montre 
d'abord  dans  la  région  occidentale,  et  qu'il  avait  atteint  au  xiir  siècle  son 
étendue  actuelle!.  Il  n'a  jamais  pénétré  dans  le  wallon  ;  c'est  ce  qui  distingue  le 
plus  remarquablement  ce  grand  parler  des  autres  dialectes  français,  et  ce  serait 
peut-être  un  caractère  suffisant  pour  lui  tracer  des  limites  conventionnelles. 
Quant  à  la  façon  dont  le  phénomène  s'est  opéré,  elle  nous  échappe  plus    encore 


expliquer  de  même  \tfraisk  du  ms.  L  A' Alexis,  ce.  qui  enlève  à  M.  K.  .son  plus  ancien 
témoignage  (par  graphie  inverse)  pour  la  chute  de  Ys.  Fragilem,  ai-je  dit  autrefois 
et  dit  M.  K.,  n'a  pu  donner  que/r^i'/f;  mais  en  réalité  fragilem  n'aurait  donné  que 
frail,  Ve  ne  s'explique  pas  sur  tstrilk  —  strigila  cf.  it.  stregghia].  Je  suppose  que  fra- 
gilem, sous  l'influence  de  gracilem  ,  est  devenu  fracileni  (cf.  grevem  à  cause  de 
brevem  et  levem,  destrum  à  cause  de  sinistrum,  et  sinestrum  à  cause 
de   destrum),    et  dès  lors  a  donné  régulièrement /rû(.r/£. 

1.  Le  ms.  de  Copenhague  confirme  ici  la  leçon  du  ms.  imprimé. 

2.  Respleniz  [Biandan]  est  une  confusion  avec  les  mots  commençant  par  r«  ;  amestistcs 
(id.)tst  un  mot  étranger;  deque  (Ps.M.)  n'est  pas  deusque  ;  toutes  les  formes  alléguées 
des  Rois  [trépassant,  ancêtres,  vôtres,  mécréantes,  repentance,  escrist)  sont  de  mauvaises 
leçons  de  Le  Roux  de  Lincy  fvoy.  Schlœsser,  Die  Lautverhaltnisse  der  Quatre  Livres  des 
Rois),  excepté  descrud,  qui  ne  prouve  rien,  et  asquanz,  qui  se  retrouve  souvent  et 
provient  sans  doute  d'une  confusion.  Reste  uniquement  checun  dans  Brandan  ;  l'éty- 
mologie  de  ce  mot  est  fort  douteuse  ;  les  autres  langues  romanes  semblent  bien  attester 
Vs  ;  mais  en  français  la  brièveté  de  Va  de  chaque,  chacun,  parlerait  plutôt  pour  une  forme 
sans  s  (cf.  le  prov.  cac,  quecs). 

3.  Guillaume  n'a  pas  écrit  en  I  ijo,  comme  ledit  M.  K.;  nous  savons  seulement 
qu'il  a  composé  son  poème  el  tens  Robert  de  Torigné,  c'est-à-dire   de  1 1  54  à  1 186. 

4.  Chrétien  prononce  mffmfj,  veïmes,  et  revide,  c'est-à-diie  supprime  Vs  sonore, 
mais  seulement  celle-là  ;  ametite  pour  ametiste  e:t  amené  par  crisolite  etc. 

5.  Sur  la  chute  de  Vs  an  xur  siècle,  voyez  notamment  l'article  cité  de  M.  Scholle  et 
le  glossaire  hébreu-français  publié  par  M.  Bœhmer  {Rom.  Studien,  1). 


622  COMPTES-RENDUS 

que  pour  la  chute  de  Vs  sonore.  L'opinion  de  M.  Neumann,  d'après  laquelle  Vs 
aurait  passé  par  li  ,  me  paraît  appuyée  non  seulement  par  les  rimes  des  poètes 
allemands  du  moyen-âge  (forcht  :  sleht^  etc.),  mais  par  l'induction  phonétique  et 
par  le  fait  de  l'allongement  de  la  voyelle  précédente.  Il  est  évident  que  paste 
n'est  pas  devenu  tout  d'un  coup  pdte;  la  transition  la  plus  naturelle  (en  dési- 
gnant par  h  toute  une  série  de  dégradations  successives)  est  pahte  ;  on  sait 
d'ailleurs  l'affinité  de  Vs  et  de  Vh  ,  et  nous  avons  vu  que  le  changement  d'^ 
sonore  en  h  en  certains  Cds  est  positivement  attesté.  Les  objections  de  M.  K. 
(p.  34)  ne  sont  pas  solides  ;  on  peut  lui  accorder  sa  conclusion,  que  «  les  dia- 
lectes français  qui  au  moyen  âge  font  rimer  par  exemple  Uh  et  vcske  ne  possé- 
daient pas  ou  ne  possédaient  plus,  quand  ils  admettaient  de  pareilles  rimes,  ce 
son  de  transition  ».  Encore  est-il  clair  que  l'aspiration  qui  avait  pris  la  place 
de  1*5  a  pu  être  simplement  très  affaiblie  et  permettre  ainsi  la  rime  (cf.  ce  qui 
s'est  passé  pour  l'r)  ;  d'autre  part,  l'existence  de  cette  aspiration  pouvait  empê- 
cher de  rimer  sans  aucune  hésitation  les  terminaisons  pareilles  avec  et  sans  s. 
C'est  ce  qui  peut  aussi  faire  comprendre  la  persistance  en  somme  surprenante 
de  la  graphie  avec  5  ;  quelle  que  soit  la  force  de  la  tradition  en  pareille  matière, 
il  est  naturel  de  penser  qu'un  obstacle  réel  l'a  aidée  à  empêcher  la  vérité  phoné- 
tique de  se  produire  '. 

II.  Limites  de  ïamaisscmcnt  de  /'s  en  français.  Cette  partie  du  travail  de 
M.  Kœritz  est  assurément  la  plus  faible;  on  l'excusera  en  songeant  qu'elle  com- 
porte un  matériel  considérable  qu'il  n'avait  sans  doute  pas  à  sa  disposition.  I] 
aurait  fallu  établir  :  i»  les  limites,  en  regard  des  autres  parlers  français,  du  phé- 
nomène wallon  de  la  persistance  de  Vs  sourde  avec  amuïssement  de  1*5  sonore  ; 
2"  les  limites,  en  regard  des  parlers  méridionaux,  du  phénomène  français  de 
d'amuïssement  de  Vs  tant  sourde  que  sonore.  M.  K.  n'a  rempli  la  première 
tâche  que  fort  superficiellement,  à  l'aide  de  quelques  dictionnaires  patois  ;  il 
n'a  pas  même  abordé  la  seconde,  se  bornant  à  renvoyer  au  travail  de  MM.  Brin- 
guier  et  de  Tourtoulon  pour  la  fixation  de  la  limite  entre  la  langue  d'oui  et  la 
langue  d'o.  C'est  une  étude  à  reprendre 2.  En   revanche,  il  prouve  longuement, 


1 .  On  pourrait  demander  pourquoi  on  ne  trouve  pas  ehtre,  evehque,  puisqu'on  trouve 
maihnie.  blahmer.  Ces  formes,  et  par  conséquent  l'usage  graphique  de  \'h  en  ce  cas, 
appartiennent  au  wallon,  qui  ne  connaît  pas  les  faits  de  la  seconde  série. —  Cet  article 
était  à  l'impression  quand  j'ai  eu  connaissance  de  l'excellent  travail  de  M.  Behrens  sur  le 
français  en  Angleterre  [Franz.  Sîudien,\',  2).  L'auteur  distingue  à  peu  près  comme  je  l'ai 
fait  la  destinée  de  Vs  sonore  et  de  l'j'  sourde.  Pour  ce  dernier  cas,  il  cite  le  témoignage 
précieux  de  VOrthographia  gallica,  qui  ne  m'était  pas  revenu  à  la  mémoire  :  «  Item 
quedam  sillabe  pronunciate  quasi  cum  aspiratione  possunt  scribi  cum  s  et  t,  verbi  gracia 
est,  plest,  cest  »,  et  ailleurs:  a  Quant  s  est  joynt  a  la  t,  ele  avéra  le  soun  de  h,  corne 
est,  plest  seront  sonez  eghî,  pleght  ».  Il  en  rapproche  des  graphies  anglo-normandes 
comme  osaht,  vousiht,  miht,  feiht.  L'anglais,  soit  qu'il  ait  pris  ses  mots  au  français  avant 
l'époque  de  ce  phénomène,  soit  qu'en  anglo-normand  la  prononciation  de  ï's  devant  p,  t, 
c,  après  avoir  été  ébranlée,  se  soit  raffermie,  ne  connaît  pas  (sauf  un  très  petit  nombre 
d'exceptions  d'origine  moderne)  la  chute  de  Vs  dans  ce  cas. 

2.  Il  serait  intéressant  de  suivre  en  provençal  les  exemples  d'amuïssement  de  l's  devant 
une  consonne  11  semble  que  le  phénomène  ne  se  soit  presque  produit,  au  sud  d'une  cer- 
aine  ligne,  que  pour  \'s  sonore;  encore  n'est-il  pas  général  et  paraît-il  se  produire  à 
es  dates  diverses. 


wiLMOTTE,  L'Enseignement  de  la  philologie  romane  623 

par  des  exemples  inutiles,  que,  sauf  le  wallon,  tous  les  dialectes  français  suppri- 
ment i's  devant  les  consonnes;  il  suffisait  de  l'énoncer. 

Malgré  ces  restrictions,  le  travail  de  M.  Kœritz,  je  le  répète  en  terminant, 
est  digne  -i'éloge.  Il  fixe  un  point  important  et  obscur  de  la  grammaire  française; 
il  en  commence  l'histoire,  s'il  ne  la  faitpascomplètement  '  ;  il  apporte  une  preuve 
de  plus  à  la  théorie  désormais  innébranlable  du  caractère  absolu  des  lois  phoné- 
tiques. L'auteur  de  cet  utile  travail  y  montre  tout  le  temps  de  l'intelligence  et 
de  la  méthode;  espérons  qu'il  les  appliquera  encore  dans  le  domaine  où  il  a 
marqué  ses  premiers  pas. 

G.  P. 

L'Enseignement  de  la  philologie  romane  à  Paris  et  en  Alle- 
magne (1883-1885).  Rapport  à  M.  le  ministre  de  l'Intérieur  et  de  l'Ins- 
truction publique,  par  M.  Wh-motte,  professeur  à  l'Ecole  Normale  des  Hu- 
manités. Bru.xelles,  imprimerie  Pollenuis,  1852,  in-S»,  de  52  p. 

M.  Wilmotte  a  reçu  du  gouvernement  belge  une  mission  pour  perfectionner, 
d'abord  en  France,  puis  en  Allemagne,  ses  études  de  philologie  romane.  Il 
n'avait  pu  suivre  en  Belgique  de  cours  spéciaux  sur  ce  sujet,  et  l'enseignement 
qu'il  a  vu  donner  à  Paris,  à  Berlin  et  à  Halle  a  été  pour  lui  une  véritable  rêvé" 
lation.  Il  a  noté  les  impressions  qu'il  en  a  reçues  avec  une  sincérité  parfaite  et 
un  enthousiasme  dont  il  n'a  pas  voulu,  après  réflexion,  atténuer  la  première 
vivacité.  Le  meilleur  éloge  que  M.  Wilmotte  puisse  faire  des  maîtres  dont  il 
parle  avec  tant  de  sympathie,  c'est  de  prouver  qu'il  a  bien  profité  de  leurs  leçons  ; 
il  a  déjà  commencé  à  le  faire  :  nous  avons  signalé  et  nous  signalerons  encore  de 
lui  d'intéressants  articles,  et  dans  cette  brochure  même,  à  la  suite  de  son  rap- 
port, on  trouve  deux  petites  études  dont  nous  allons  dire  un  mot.  M.  Wil- 
motte, et  nous  l'en  félicitons,  manifeste  l'intention  de  consacrer  surtout  ses 
efforts  à  l'investigation  historique  et  contemporaine  du  wallon  ;  c'est  là  pour  la 
Belgique  une  œuvre  vraiment  nationale,  et  il  ne  faut  pas  qu'elle  la  laisse 
aux  étrangers.  Mais  pour  s'en  acquitter  dignement,  il  faut  naturellement,  et 
M.  Wilmotte  l'a  compris,  posséder  les  principes  et  les  résultats  de  la  gram- 
maire romane  en  général,  et  connaître  à  fond  la  littérature  française  du  moyen 
âge.  Le  jeune  professeur  liégeois,  en  donnant  à  ses  études  ce  centre  et  ce  rayon- 
nement, se  rendra  tout  à  fait  digne  d'inaugurer  dans  les  universités  de  son  pays 
l'enseignement  de  la  philologie  romane. 

La  première  des  études  indiquées  plus  haut  est  une  note  sur  l'auteur  d'une 
Vengeance  d'Alexandre,  appelé  depuis  Fauchet  Jehan  le  Nevclois.  M.  Wilmotte, 
contrairement  aux  habitudes  trop  répandues  d'un  étroit  patriotisme,  refuse  d'an- 
nexer ce  poète  à  la  Belgique  en  en  faisant  un  habitant  de  Nivelle.  Il  remarque 


I.  En  réalité,  l'histoire  de  ramuïssement  de  \'s  devrait  comprendre  \'s  finale,  qui  est 
tombée  d'abord  devant  une  consonne  initiale,  par  conséquent  dans  les  mêmes  conditions 
que  \'s  médiaie.  Le  cas  embarrassant  de /oa(jue,  ;>uà^ue,  presque,  que  M.  K.  a  d'ailleurs 
raité  avec  finesse,  montre  l'étroite  liaison  des  deux  ordres  de  faits. 


624  COMPTES-RENDUS 

que  la  forme  de  son  nom  la  mieux  appuyée  par  les  manuscrits  est  le  Vendais. 
P.  Meyer  dans  son  Alexandre  (II,  268  ss.)  arrive  à  peu  près  aux  mêmes  con- 
clusions. Ce  que  je  connais  du  poème  de  Jean  ne  me  fait  pas  paraître  aussi 
invraisemblable  qu'à  Meyer  qu'il  ait  vécu  au  xii^  siècle  et  qu'il  ait  écrit  pour  le 
comte  Henri  de  Champagne.  Les  vers  imprimés  par  M.  W.  prêteraient  à  cer- 
taines critiques  au  point  de  vue  de  la  reproduction  typographique,  notamment 
en  ce  qui  concerne  l'emploi  des  majuscules  (V.  52  lisez  gran:  pitiez)^  mais  en 
somme  ils  sont  bien  publiés. 

Sur  les  publicatious  des  Louanges  de  la  Sainte  Vierg--,  qui  termine  l'opuscule 
de  M.  Wilmotte,  je  ne  puis  que  renvoyer  aux  remarques  intéressantes  de 
M.  Suchier  dans  le  n"  de  février  1887  du  Literaturb lait  fiir  germanise!' e  iind 
rcmanische  Philologie. 

O.P. 


PÉRIODIQUES 


I.  —  Revue  des  langues  romanes,  je  série,  XV;  janvier  1886 — P.  1-16. 
Castets,  Recherches  sur  les  rapports  des  chansons  de  geste  et  de  F  épopée  chevale- 
resque halienne  (suite).  L'auteur  continue  l'analyse  du  Renaut  de  Montauban 
que  renferme  le  ms.  de  Montpellier  (voy.  Rom.,  XIV,  302).  Mais  il  est  impos- 
sible de  donner  une  idée  nette  de  cette  rédaction  sans  la  comparer  avec  les 
autres  rédactions  (mss.  de  Paris,  de  Venise,  de  Londres,  d'Oxford,  de  Metz,  etc.) 
que  M.  C.  ne  connaît  pas  ou  du  moins  n'a  pas  à  sa  portée.  Les  pages  9-16  sont 
occupées  par  des  observations  assez  vagues  sur  Maugis  d'Aigrement.,  dont  le 
même  ms.  de  Montpellier  contient  un  texte  qui,  lorsque  je  l'ai  étudié  il  y  a 
près  de  trente  ans,  m'a  paru  abrégé.  — Variétés.  P.  55-6.  P.  Fesquet,  houle. 
Ce  mot,  et  son  correspondant  espagnol  ola,  viendraient  d'undula.  Nous 
croyons  que  letymologie  reste  encore  à  trouver.  —  Bibliographie.  P.  41-3. 
Documents  historiques  bas-latins.,  provençaux  et  français  concernant  principalement 
La  Marche  et  le  Limousin,  p.  p.  A.  Leroux,  E.  Molinier  et  A.  Thomas,  2  vol. 
in-S",  1883-5(0.  C;  critiques  de  détail).  —  Périodiques.  M.  Chabaneau 
reproduit,  d'après  le  Bulletin  de  la  Société  archéologique  de  Tarn-et-Garonne 
(XII,  1884),  des  fragments  de  vies  de  saints  très  courtes  en  prose  provençale. 
L'écriture  de  ces  fragments,  qui  ont  appartenu  à  un  ms.  de  Moissac,  est  du 
XIV'^  siècle. 

Février  1886.  —  P.  53.  P.  Vidal,  Documents  sur  la  langue  catalane  des 
anciens  comtés  de  Roussillon  et  de  Ccrdagne  (de  1 3 1  i  à  1380).  Feu  Alart  avait 
publié  dans  la  Revue  des  langues  romanes  une  quantité  considérable  de  documents 
ne  dépassant  pas  l'année  1311.  «  Mais  »,  dit  M.Vidal,  «  nous  savons  positive- 
t  ment  que  l'idée  de  notre  savant  ami  était  de  pousser  cette  publication  jusqu'à 
i  l'année  1380,  époque  où  la  langue  catalane  peut  être  considérée  comme  fixée  ». 
Aussi  M.  Vidal  se  propose-t-il  de  continuer  la  collection  jusqu'à  1380.  Il  lui 
faut  vingt  pages  pour  arriver  à  la  fin  de  131 3.  Nous  croyons  qu'un  recueil 
aussi  étendu  ne  peut  se  passer  de  tables,  et  par  conséquent  perd  beaucoup  de 
son  utilité  à  être  publié  par  petites  fractions  dans  une  revue,  où  un  index  des 
mots  et  des  noms  ne  saurait  prendre  place.  —  P.  77.  E.  Revillout,  Grandeur 
et  décadence  du  mot  «  méchant  »  au  XVIh  siècle.  —  P.  93-7.  «  De  Lombarde  et 
Lumaca  »,  poème  latin  du  moyen  âge  Mnbué  à  Ovide;  d'après  le  ms.  lat.  6111 
de  la  Bibl.  nat.  Tiré  des  papiers  de  feu  Boucherie.  —  P.  99.  Boucherie, 
gandin.,  gourgandine;  Boucherie  hh  venir  ces  deux  mots  du  patois  du  Jura! 
Remania,  XV  40 


626  PÉRIODIQUES 

Il  n'y  avait  pas  lieu  de  publier  ces  notes  posthumes.  Au  moins  fallait-il  prendre 
la  peine  de  consulter  le  supplément  de  Littré,  où  il  y  a  pour  gjn</(;)  une  origine 
qui  paraît  bien  vraisemblable. 

Mars  1885.  —  P.  105.  Castets,  Recherches  sur  les  rapports  des  chansons  de 
geste  et  de  l'épopée  chevaleresque  italienne.  Cet  article  se  compose  des  986  premiers 
vers  de  Maugis  d'après  le  ms.  de  Montpellier,  qui  est  souvent  mauvais.  L'édi- 
teur a  fait  en  tout  quatre  corrections  (pp.  110,  1 1  1  et  120).  Mais  il  y  en  avait 
bien  d'autres  à  faire.  V.  55  «  Prist  la  dame  ses  mains  »,  lis.  ses  maus  (il  s'agit 
d'une  femme  qui  accouche);  v.  246,  dcritre^  lisez  dcrier  \  v.  532,  antour.,  I. 
autour,  etc.  Plusieurs  vers  sont  trop  courts.  M.  C.  ne  paraît  pas  savoir 
dans  quelles  conditions  nous  est  parvenu  le  texte  qu'il  publie.  Il  connaît  sans 
doute,  par  l'Histoire  littéraire.,  le  ms.  766  de  la  Bibl.  nat.,  mais  il  ignore  dans 
quel  rapport  il  est  avec  le  ms.  de  Montpellier.  Il  ne  .sait  pas  non  plus  qu'il  y 
a  à  Cambridge  un  fort  bon  ms.  du  même  poème  découvert  et  signalé  il  y  a 
douze  ou  treize  ans  {Romania.,  III,  507).  Les  deux  mss.  de  Paris  et  de  Cam- 
bridge contiennent  à  peu  près  le  même  texte;  le  ms.  de  Cambridge  m'a  paru 
le  meilleur  des  deux.  Le  poème,  dans  ces  deux  copies,  a  environ  8,000  vers. 
Si  j'ai  bonne  mémoire,  le  ms.  de  Montpellier  n'a  guère  que  5,000  vers  qui 
tous,  ou  presque  tous,  se  retrouvent  dans  l'autre  leçon.  Ainsi  les  deux  tirades 
en  /  et  en  iés,  qui  dans  Montpellier  occupent  trente  vers  (v.  237  à  266),  n'en 
ont  pas  moins  de  soixante  dans  l'autre  version.  Les  trente  vers  de  Montpellier 
se  retrouvent  parmi  les  soixante  de  Paris-Cambridge,  les  trente  vers  qu'ont  en 
plus  ces  deux  derniers  mss.  étant  un  pur  remplissage.  Il  n'y  a  que  deux  hypo- 
thèses possibles.  Ou  bien  la  copie  de  Montpellier  est  l'œuvre  d'un  homme  ami 
de  la  concision,  qui  a  supprimé  tout  ce  qui  faisait  longueur  dans  le  texte  qu'il 
avait  sous  les  yeux,  ou  bien  la  leçon  la  plus  longue  est  un  plat  développement 
dû  à  un  remanieur  qui  s'est  étudié,  non  pas  à  récrire  le  poème  en  le  développant, 
mais  à  y  intercaler  de  place  en  place  des  vers  sans  grande  signification.  Je  me 
rappelle  qu'autrefois,  lorsque  je  devais  publier  ce  poème  pour  la  collection  des 
anciens  poètes  de  la  France,  je  tenais  pour  la  première  hypothèse  ;  actuellement, 
n'ayant  plus  mes  notes  et  mes  extraits,  et  me  défiant  de  mes  opinions  anciennes, 
je  n'oserais  plus  me  prononcer.  C'est  à  M.  Gilliéron,  qui  a  préparé  il  y  a  plu- 
sieurs années,  pour  la  Société  des  anciens  textes  français,  une  édition  de 
Maugis,  qu'il  appartient  de  résoudre  cette    question   épineuse'.    —  P.  133. 


I.  Pour  que  le  lecteur,  et  aussi  M.  Castets,  puisse  se  faire  une  idée  de  la  question,  je 
transcrirai  ici  une  courte  laisse  de  Montpellier  que  je  ferai  suivre  de  la  leçon  correspon- 
dante de  Cambridge.  Je  mettrai  en  italiques,  dans  le  second  texte,  tous  les  vers  qui 
manquent  au  premier. 

Montpellier. 
A  l'enfant  sunt  andui  les  bestes  reperiés 
Pour  chen  qu'il  fu  petit,  fu  forment  convoitiés. 
260  Le  liepart  saut  avant,  puis  s'estoit  avanchiés. 
Quant  le  lion  le  voit,  moût  en  fu  airiés  ; 
Ne  veut  que  il  i  soit  de  noient  parchonniers. 
De  lui  est  le  liepart  fièrement  rechigniés; 
Mes,  sachiés,  le  liepart  fu  fier  et  eilgaigniez. 
265  Quant  le  lion  le  voit  venir  si  esragiés, 

Adonc  est  li  estour  merveilleux  commenchiés. 


PÉRIODIQUES  627 

E.  Revillout,  Le  mot  t  paire  »  et  les  noms  français  qui  n'ont  pas   de   singulier. 
—  P.  145.  L.  Lambert,  Contes  populaires  du  Languedoc  (suite). 

Avril  ib!86. —  P.  157.  Chabaneau,  Vie  de  Saint  Hermcntaire  (premier  ar- 
ticle). M.  Roque  Ferrier  avait  cru  pouvoir  attribuer  à  Raimon  Feraud,  l'auteur 
de  la  Vie  de  Saint  Honorât,  une  vie  de  saint  Hermentaire  perdue  sous  sa  forme 
originale,  mais  dont  on  connaissait,  à  l'état  fragmentaire,  une  traduction  en 
prose  française  (voy.  Romania.,  X,  620,  XI,  161).  M.  Chabaneau  a  retrouvé 
une  copie  complète  de  la  vie  en  prose  de  saint  Hermentaire  et  il  montre  que 
loin  d'être  l'œuvre  de  R.  Feraut,  elle  a  été  fabriquée  beaucoup  plus  tard,  et, 
selon  toute  apparence,  par  Jean  de  Nostre-Dame,  à  l'aide  de  la  vie  de  saint 
Honorât.  M.  Ch.  publie  in  extenso  cette  fabrication  qui,  son  caractère  une  fois 
établi,  n'offre  évidemment  plus  aucun  intérêt.  —  P.  175.  Le  P.  Bougerel, 
Parnasse  provençal,  ou  les  poêles  provençaux  qui  ont  écrit  depuis  environ  le  milieu 
du  .\VI«  siècle  jusqu'à  présent.  —  P.  207,  Puitspelu,  Calcaria,  «  tannerie  ». 

P.  M. 

II.  —  Zeitschrift  fur  romanische  Philologie,  IX  (1885-86).  —  l.  P. 
I,  Pfeffer,  les  Formalités  du  combat  judiciaire  dans  l'épopée  française  ;  excellent 
travail,  qui  montre  l'importance  de  l'épopée  comme  source  juridique  principale- 
ment pour  l'époque  oià  les  textes  proprement  juridiques  font  le  plus  défaut.  La 
matière  est  bien  divisée,  l'exposition  claire,  méthodique  et  intelligente.  On  peut 
seulement  signaler  quelques  points  qui  auraient  demandé  plus  d'éclaircissements, 
comme  le  terme  rccrcire,  employé  pour  les  otages.  De  même  à  propos  du  serment, 
l'usage  de  faire  dire  par  un  des  juges  du  camp  la  formule  du  serment,  que  répè- 
tent les  combattants  (usage  plus  fréquent  que  ne  le  dit  l'auteur  et  qu'il  n'explique 


Cambridge. 
Quant  des  testes  fu  si  trestoz  II  cors  mengiez 
De  l'esclave.,  et  a  duel  et  a  tort  dépêchiez. 
Fors  del  chief  seulement  que  d'aux  n'est  atochiés, 
A  l'enfant  sont  niout  tost  et  errant  adrecié. 
Por  ce  qu'il  ert  petiz  fu  forment  rovoitiez. 
Or  le  garisse  Dex,  par  la  soe  pitiez  ! 
Li  lieparz  saut  avant;  forment  s'est  aprochiez. 
Quant  li  lions  le  vit,  forment  en  fu  iriez, 
Ne  velt  que  il  en  soit  de  néant  parçoniers. 
De  lui  fu  li  lieparz  fièrement  rechigniez, 
Mèsli  lieparz  fu  fel  et  niout  mal  engroigniez. 
A  l'enfant  est  venus  ;  ne  s'i  est  atargkz. 
Quant  li  lions  le  voit,  vers  lui  s'est  avanciez  ; 
Ne  velt  que  il  en  soit  de  néant  parçoniers. 
D'aux  .ij.  est  li  estours  maintenant  comenciez. 
Li ./.  encontre  l'autre  est  fièrement  drcciez. 
Et  des  poes  devant  sont  si  entrelacié 
Endui  s'entremenguent  ;  moût  se  sont  damagié  ; 
A  la  gale  lor  est  li  sanz  ver  maux  raiez. 
Tût  ice  voloit  Dex,  de  verte  le  sachiez, 
For  le  petit  enfant  qu'a  mort  ne  fust  Iretiez. 
Il  ne  puet  rien  cremir  cui  il  velt  bien  aidier. 
Il  est  certain  qu'à  en  juger  par  ce  seul  morceau,   on  serait  bien   tenté  de  regarder  la 
leçon  la  plus  longue  comme  une  mauvaise  amplification  de  la  plus  courte. 


628  PÉRIODIQUES 

pas  bien)  est  exprimé  par  les  deux  mots  cscharir  et  eschavir  le  screment,  sur 
lesquels  on  aurait  attendu  des  explications.  —  P-  75,  Hammer,  la  Langue  du 
Branda«  anglo-normand  ;  intéressant  particulièrement  pour  les  questions  de  ver- 
sification, fort  bien  traitées  ;  sur  d'autres  points,  le  travail  de  M.  Brekke  est  plus 
complet  et  plus  original.  —  [P.  1  16,  Schultz,  Sur  les  vies  de  quelques  trouba- 
dours. Recherches  historiques,  en  général  bien  conduites,  sur  quelques  trouba- 
dours du  XIII"  siècle  presque  tous  provençaux  :  Pujol,  Bertran  del  Pojet,  Ber- 
tran  de  Gourdon,  Gui  de  Cavaillon,  Bertran  d'Avignon,  Blacatz,  Folquet  de 
Romans,  Bertran  de  Lamanon.  On  y  remarque  toutefois  beaucoup  de  petites 
inexactitudes  dont  plusieurs  ne  sont  sans  doute  que  des  fautes  d'impression.  Il  y 
a  notamment  de  nombreuses  erreurs  dans  les  renvois  aux  sources.  M.  Schultz  a 
raison  d'identifier  le  Pojet  d'où  Bertran  del  Pojet  tirait  son  surnom  avec  Puget, 
canton  de  Cuers,  arr.  de  Toulon,  et  de  repousser  l'identification  avec  Puget- 
Théniers  (p.  1 18),  mais  il  s'est  trompé  sur  le  sens  de  Teuncs,  qui  est  le  comita- 
tus  Telonensis^  c'est-à-dire  le  Toulonnais.  Sarrcnom  (p.  131)  n'existe  pas  ;  il  laut 
dire  Seranon.  P.  126,  note  4,  la  Vaucluse  devient  un  arrondissement.  Partout 
Vaissette  au  lieu  de  Vaissete,  etc.  —  P.  M.]. 

Mélaxges.  p.  156,  List,  Fragment  de  P'ierabras;  précieux  comme  provenant 
d'une  rédaction  assez  difTérente  des  autres.  —  P.  138,  Mussafia,  Sur  le  conte  du 
Juïtel  ;  additions  et  corrections  à  la  publication  de  M.  Wolter.  —  P-  1 38,  Knust, 
k  nom  Lucanor  ;  rend  vraisemblable  qu'il  provient,  par  diverses  altérations,  de 
Lucaman  —  Loqman  dans  la  Disciplina  clcncalis.  —  P.  140,  Horning,  Ëtymolo- 
gies  françaises  :  cacher,  allécher  (*coa  cticare,  *allecticare  ;  ces  formations 
sont  faciles  à  imaginer,  mais  trop  faciles  ;  je  penche  plutôt  à  croire  aue  cacher 
vient  du  provençal  ;  il  n'apparaît  qu'au  xiv^  siècle  en  Franche-Comté  ;  quanlàallê- 
chcr,  l'étymologie  paraît  plus  probable), /a/2e  (de /^7(i/Vr,  qui  viendrait  de  latiare, 
mais  n'existe  pas  ;  laize  est  en  a.  fr.  laisc,  qui  est  une  forme  de  latitia  parral- 
lèle  A  laece  ;  voy.  Godefroy  à  ce  mot  ;  de  là  lisière.,  pour  la'isiere  leisicre?),  mitan 
et  plus  loin  $11  (médium  temp  u  s,  à  cause  de  la  forme  lorraine  mut^ô,  cf 
to  —  tempus  ;  ce  mot  difficile  appelle  une  explication,  qui  ne  sera  sans  doute 
pas  celle  de  M.  H.,  si  on  songe  au  dérivé  mitanier  —  métayer  au  xiv"  siècle)  ; 
acovateir  (de  *adcopertare  ;  mais  le  mot  n'est  pas  seulement  lorrain,  et  le  fr. 
acouveter  n'a  pu  perdre  \'r  :  c'est  sans  doute  un  dérivé  de  couver)  ;  lorr.  xtrôfd, 
vanter  (e  x  t  r  i  u  m  p  h  a  r  e  ;  mais  c'est  sans  doute  un  mot  moderne  et  formé  d  u  français 
triompher).  —  P.  142,  Horning,  les  suffixes  -Tcius,  -Icius;  M.  H.  reconnaît 
l'existence,  qu'il  avait  jadis  oubliée,  et  la  fécondité  du  suffixe -"ici us.  — P.  143, 
W.  Meyer,  Sur  les  lois  des  finales  en  roman  ;  observations  rattachées  à  l'article 
de  M.  Neumann  sur  la  phonétique  syntactique,  très  profondes,  mais  en  partie 
contestables  (illoque  ne  semble  pas  avoir  pu  faire  illoc  ;  lac,  5uc  sont  assuré- 
ment savants  ;  antic  en  fr.  n'existe  pàs)  ;  la  remarque  sur  m  dans  l'imparfait 
(i"  personne)  en  sarde  et  en  roumain  est  d'un  grand  intérêt.  —  P.  146,  Baist, 
Le  passage  d'si  à  z  en  espagnol  ;  M.  B.  établit,  bien  qu'il  reste  quelques  points 
douteux  (notamment  gozo),  que  ce  phénomène  n'existe  que  dans  des  mots  pris  à 
l'arabe,  ou  qui  ont  passé  par  l'arabe.  —  P.  149,  Tobler,  a.  jr.  arere  ;  prouve 
contre  moi  (Rom.  XllI,  1 30)  l'existence  de  ce  mot.  —  P.  150,  Schultz,  la 
Raverdie  (nom  en  a.  fr.  d'une  sorte  de  chanson  printanière). 


PÉRIODIQUES  629 

Comptes-rendus.  P.  151,  Bolctin  folklorico  espûîiol  ;  Pitre,  Curiosità  popo- 
Liri,  MI  (Liebrecht).  —  P.  155,  Buck,  Ràlische  Ortsnamcn  (Gartner  :  très  bon). 
—  P.  156,  Rœmer,  Die  volksthiimlichcn  Dichtungsarten  dcr  altprovenzalischcn 
Lyrik  (Schuitz  :  travail  qu'il  aurait  mieux  valu  ne  pas  concevoir  et  ne  pas  im- 
primer). —  P.  1 58,  Brekke,  Etude  sur  la  flexion  dans  le  voyage  de  S.  Brandan 
(Grœber  :  observations  de  détail  ;  notons  que  !'<;  a  été  nasalisé  aussi  bien  dans 
année  que  dans  an). 

II-III.  —  P.  161,  Mail,  Sur  l'histoirede  la  fable  au  moyen  âge  et  en  particulier 
sur  l'Esope  de  Mariede  France.  Dans  ce  travail  capital  M.  Mail  établit  d'abord  que 
tous  nos  manuscrits  de  R**  (c'est  le  recueil  que  M.  Hervieux  appelle  le  dérivé  latin 
du  Roniulus  de  Marie  de  France)  proviennent  d'un  original  qui  avait  aitéré,  par 
suite  d'un  accident,  l'ordre  des  cahiers,  en  sorte  qu'une  fable  et  sa  morale  se 
trouvent  dans  tous  faire  les  n°^  35  et  73  (ou  75),  séparés  par  des  fables  qui  de- 
vraient être  à  la  fin  du  recueil.  Passant  ensuite  à  Marie,  il  prouve  définitivement, 
par  l'évidente  (et  très  méritoire)  explication  du  mot  scpanJe  —  angl.  sippande, 
«  créateur  »,  qu'elle  travaillait  sur  un  texte  anglais.  Il  démontre  aussi  que  le 
texte  sur  lequel  reposent  Marie  et  R**,  et  que  j'ai  appelé  le  Romulus  anglo- 
latin,  a  pour  une  de  ses  sources  le  Romulus  de  Nilant.  Enfin  d'après  lui,  et 
il  rend  cette  opinion  très  vraisemblable,  les  fables  de  R**  qui  ne  sont  pas  dans 
Marie  ont  été  reprises  par  le  rédacteur  de  R**  au  Romulus  ordinaire.  Ce  que 
M.  Mal!  veut  ensuite  établir  me  paraît  moins  assuré,  et  je  ne'crois  pas  être  guidé 
par  un  attachement  obstiné  à  une  opinion  que  j'ai  émise  (Journal  des  Savants, 
févr.  1885).  J'avais  pensé  que  R*  (Romulus  Roberlï)  provenait  directement  de 
l'original  latin  du  recueil  anglo-saxon  traduit  par  Marie,  et  que  R**  était  une 
traduction  latine  de  ce  recueil  anglo-saxon.  M.  Mail  croit  au  contraire  que  R* 
et  R**  sont  simplement  des  traductions  de  Marie  de  France,  le  premier  (qui  ne 
contient  que  18  fables)  avec  addition  en  tête  de  quatre  fables  prises  à  Romulus, 
le  second  avec  l'addition  de  23  fables  prises  à  Romulus  et  avec  des  emprunts  de 
détail  à  diverses  sources  latines.  Il  croit  mettre  celte  opinion  hors  de  doute  en 
montrant  un  contre-sens  commis  par  R**  sur  le  texte  de  Marie  :  dans  la  fable 
du  Rat  qui  veut  prendre  femme,  Marie  appelle  le  héros  un  mulet.,  c'est-à-dire 
un  mulot,  ou  quelque  chose  d'approchant  (et  non  un  muset.,  comme  le  porte 
Roquefort)  :  R**  en  fait  un  mulus.,  ce  qui  rend  toute  la  fable  absurde.  Assuré- 
ment la  coïncidence  est  bizarre;  mais  ne  peut-on  l'expliquer  autrement .?  Le  mot 
mulus  a  été  pris  en  bas-latin  dans  le  sens  de  mulot  ;  on  trouve  par  exemple  dans 
les  gloses  de  Reichenau  :  talpe  muti  qui  terram  fodunt  ;  quelque  inepte  que 
puisse  être  parfois  l'auteur  de  R**,  peut-on  vraiment  croire  qu'il  ait  fait  dire  à  un 
mulet,  en  parlant  du  rat  :  filia  ipsiui  neptis  mea  est.,  et  inlendebam  aliunde  partn- 
telam  contrahere,  ut  genus  meum  nobihtarem  ?  Si  l'anglais  avait  mol  ou  un  mot 
semblable  (p.  ê.  mul?).,  les  deux  traducteurs  ont  pu  mettre  indépendamment  l'un 
mulet,  l'autre  mulus.  Il  faut  noter  que  Marie  de  France  n'est  pas  partout  aisée 
à  comprendre,  et  qu'en  cherchant  avec  soin  de  quoi  étayer  sa  thèse,  M.  Mali 
n'a  pas  trouvé  d'autres  cas  vraiment  graves  de  traduction  infidèle.  En  ce  qui 
concerne  le  Romulus  Roberti.^  les  coïncidences  qu'il  signale  avec  le  texte  de  Marie 
paraissent  plus  frappantes  ;  j'avais  cru  cependant  faire  des  observations  contraires 


6}0  PÉRIOOIQUUES 

à  l'hypothèse  du  savant  allemand.  Je  ne  me  prononce  assurément  pas  :  M.  Mail 
veut  bien  dire  que  si  je  me  suis  trompé,  c'est  à  cause  de  l'insuffisance  des  maté- 
riaux à  ma  disposition  ;  il  possède  au  contraire  tous  ceux  qui  sont  nécessaires 
et  les  étudie  depuis  longtemps  avec  une  grande  intelligence.  Pour  le  contredire 
ou  se  ranger  résolument  à  son  avis,  il  faudrait  un  examen  minutieux  que  je  ne 
puis  faire  ;  tout  ce  que  je  veux  dire,  c'est  que  les  arguments  qu'il  apporte 
aujourd'hui  ne  semblent  pas  d'ores  et  déjà  décisifs  (il  cite  lui-même  des  traits 
communs  à  R*  et  à  R**  qui  manquent  dans  Marie,  ce  qu'il  a  bien  de  la  peine 
à  expliquer).  Au  début  de  son  article,  il  nous  dit  sommairement  que  le  Purga- 
toire de  S.Patrice  a  été  traduit  par  Marie  du  latin  de  Henri  de  Salîerey,  composé  entre 
1185  et  1 190;  or  «  les  arguments  linguistiques  et  les  preuves  externes  «montrent  que 
ce  poème  est  le  premier  ouvrage  de  Marie  ;  donc  «  le  roi  anglais  auquel  sont  dédiés 
les  lais  ne  peut  plus  être  Henri  II...  tout  indique  au  contraire  Richard  Cœur  de 
Lion'  ».  On  est  impatient  de  connaître  les  preuves  en  question.  En  somme,  ce 
nouveau  travail  du  futur  éditeur  de  VEsope  montre  avec  quelle  conscience  il  se 
prépare  à  sa  tâche,  mais  malheureusement  il  nous  annonce  aussi  que  nous  ne 
sommes  pas  près  de  la  voir  accomplie.  —  P.  204,  Settegast,  L'idée  de  l'honneur 
dans  la  Chanson  de  Roland.  —  P.  222,  W.  Meyer,  Contributions  à  la  phoné- 
tique et  à  la  morphologie  romanes.  II.  Le  parfait  Jaible.  I.  \^  et  4*  conjugaisons  ; 
l'auteur,  avec  la  science  et  la  force  de  raisonnement  qu'on  lui  connaît,  recons- 
truit ces  parfaits  en  latin  vulgaire  à  l'aide  de  toutes  les  formes  romanes,  en 
expliquant  les  déviations.  On  peut  persister  à  croire  que  le  parf.  delà  i«  conju- 
gaison en  provençal,  amet,  provient  de  la  seconde ,  c'est-à-dire  de  dédit  ;  si  on 
suppose,  par  exemple,  que  anar  so\i  pour  andar  et  vienne  d'addare  =  addere, 
le  parfait  anei  =  addedi  n'a-t-il  pu  servir  de  transition  ?  Je  ne  suis  pas  non 
plus  convaincu  que  le  fr.  amat  soit  analogique  et  vienne  de  habet  ;  )e  ne  vois 
pas  d'autres  raisons  contre  a  m  a  v  t  que  le  besoin  d'avoir  a  m  a  u  t  en  latin  vulgaire  ; 
mais  on  peut  bien  admettre  qu'en  gallo-roman  le  changement  de  -avten  -aut 
n'a  pas  eu  lieu.  2.  2*  conjugaison  {2"  et  3«  latines).  Le  résultat  est  qu'il  n'y  a 
pas  de  type  communaux  diverses  langues  romanes.  Le  français  a  remplacé  par  le 
parf.  de  la  4'^  conj.  (dormit)  l'ancien  parf.  faible  de  la  seconde  (vendiet)  ;  l'expli- 
cation donnée  de  cette  substitution  est  un  peu  laborieuse.  3.  Les  parfaits  en-u. 
Le  français  est  omis,  à  cause  d'un  travail  annoncé  sur  ce  sujet  par  M.  Seelmann. 
4.  Sur  les  parfaits  du  type  dedi,  et]^.  Parfaits  italiens  en  -s.  Remarques  de  détail. 
—  P.  268,  Krause,  La  valeur  de  l'accent  dans  le  vers  français  au  point  de  vue  du 
sens.  L'auteur  veut  démontrer  que  l'alexandrin  a  quatre  accents,  et  prend  pour 
une  loi  rythmique  ce  qui  ressort  de  la  nature  même  de  la  langue  et  de  l'accen- 
tuation françaises.  —  P.  280,  Heller,  La  Clemenza  di  Tito  de  Métastase.  — 
P.  287,  Tobler,  Proverbia  que  dicnntur  de  naiura  feminarum  ;  curieuse  satire  ita- 
lienne contre  les  femmes,  publiée  d'après  le  ms.    Hamilton  avec  des  remarques 


I.  J'ai  dit  par  un  lapsus  {Rom.  XIV,  60})  que  M.  Mail,  dans  cet  article,  faisait 
vivre  Marie  sous  Henri  III  ;  il  ne  la  fait  descendre  que  d'un  règne.  Mais  il  semble,  vu 
les  circonstances  des  règnes  de  Richard  et  de  Jean,  que  la  dédicace  des  fables  ne  con- 
vienne guère  qu'à  Henri  II  ou  Henri  III,  et  celui-ci  est  certainement  écarté. 


PÉRIODIQUES  6?I 

critiques  et  littéraires  et  un  glossaire.  M.  Tobler  a  constaté  que  l'auteur  italien 
s'appuie  en  partie  sur  le  poème  français  appelé  Chastumusart,  et,  outre  le  rap- 
prochement de  couplets  déjà  publiés,  il  en  a  imprimé  quelques  strophes  tirées 
d'une  récension  inédite.  On  a  pu  lire  ci-dessus,  p.  605  ss.,  un  texte  écourté,  jus- 
qu'ici inconnu,  de  ce  poème.  Quant  au  morceau  publié  dans  les  Reli^uiae  anli- 
quac,  I,  162,  que  M.  T.  (p.  290)  regrette  de  ne  pas  connaître,  c'est  un  fragment 
du  Char  dt  Bozon,  comme  on  l'a  établi.  —  P.  352,  Decurtins,  Une  chroni^juc 
ladinc  rimêe.  —  P.  360,  C  Michaelis  de  Vasconcellos,  Communications  de  manus- 
crits portugais  (fin).  —  P.  575,  Dreser,  Additions  au  dictionnaire  italien-allemand 
de  Michaelis.  Sans  aucun  intérêt.  Il  est  singulier  que  la  Zcitschrift  continue  la 
publication  de  cette  inutile  compilation,  après  le  sévère  avertissement  que  lui  a 
donné  le  Giornale  storko  dclla  Ictt.  it..,  IV,  325.  —  P.  396,  Reifferscheid,  L'ac- 
tivité de  Diez  comme  professeur;  relevé,  d'après  les  actes  officiels,  des  cours  faits 
par  le  maître  de  1822  à  1875. 

Mél.wges.  P,  40^,  Schuitz,  Sur  les  troubadours  génois.  —  P.  407,  Stengel, 
Le  développement  de  /'alba  provençale.  —  P.  41 2,  Mussafia,  Sur  le  Juïtel  ;  nouvelle 
version.  — P.  413,  Tobler,  Sur  les  poèmes  du  Rendus  de  Moilicns  ;  observations 
de  détail.  M.  Tobler  critique  avec  raison  les  formes  latines  barbares  jointes  dans 
plusieurs  glossaires  aux  mots  en  guise  d'étymologie.  —  P.  418,  Tobler,  Sur  les 
exemples  en  anc.  italien  p.  p.  Ulrich  (cf.  Rom.,  XIV,  162).  —  P.  419,  Schwie- 
ger.  Remarques  critiques  sur  Amis  et  Amiles,  éd.  Hofmann.  —  P.  425,  Gaspary, 
Le  développement  du  sens  factit-f  dans  les  verbes  romans  ;  bonnes  et  fines  observa- 
tions. Les  passages  en  anc.  fr.  sont  bien  interprétés  (deviez  dans  le  Charroi  est 
une  leçon  mal  établie)  ;  dans  les  deux  derniers  exemples  italiens,  on  peut  com- 
prendre un  peu  autrement  rimasto  et  rimanere.  —  P.  429,  Ulrich,  Verbes  romans 
dérivés  avec  le  suffixe -le- .  Exemples  fort  douteux;  notons  que  le  fr.  attaquer  \\eni 
de  l'italien,  et  que  pitanza  est  sans  contestation  possible  le  bas-latin  pietantia. 

Co.MPTES-RENDUS.  P.  43 1 ,  Habicht,  Bciirâge  zur  Begrûndung  der  Stcllung 
von  Subjekt  und  Prâdikat  im  Neufranzosischen  (Schuize  :  travail  sans  base 
historique). 

IV.  P.  437,  Crescini,  Idalagos  ;  première  partie  d'un  travail  sur  les  confi- 
dences autobiographiques  de  Boccace.  —  P.  480,  Horning,  Etudes  sur  le 
wallon;  remarques  phonétiques,  grammaticales  et  lexicologiques  d'après  le  par- 
ler d'une  femme  des  environs  de  Liège.  —  P.  497,  Horning,  Etudes  sur  les  dia- 
lectes des  Vosges  et  de  la  Lorraine  ;  choix  de  mots  difficiles  en  général  fort  bien 
expliqués.  L'hypothèse  sur  salade  paraît  peu  utile  :  les  formes  lorraines  prouve- 
raient seulement  qu'on  a  dit  satarde  pour  sakde  par  élymologie  populaire,  et  que 
la  chute  de  l'r  devant  d  est  postérieure  à  l'introduction  du  mot.  Etant  donné  le 
mot  pantaisier,  de  phantasiare,  en  en  a  varié  le  suîfixe,  mais  l'étymologie  n'est 
pas  douteuse.  Pois  de  pu  1  su  m  est  plus  qu'invraisemblable;  c'est  le  lat.  vulg. 
pulvus,  pulveris  (W.  Meyer).  Sur  néjol'  cf.  le  fr.  nois  jauge,  gauge  =  nux 
gallica,  le  seul  reste  vivant  du  vieux  nom  des  Gaules  (car  l'ail.  Walnuss  n'est 
pas  le  même   mot).  L'étymologie   proposée  pour  magnié   est  peu    probable    en 


6]2  PÉRIODIQUES 

regard  de  l'a.  fr.  maigmen^  it.  magnano.  —  P.  513,  Hirsch,  Phonétique  et  mor- 
phologie du  dialecte  de  Sienne  (première  partie).  —  P.  571,  Gaspary,  Sur  le  t.  III 
des  Antiche  Rime  volgari  publiées  par  d'Ancona  et  Comparetti  ;  remarques  litté- 
raires et  critiques. —  P.  $90,  Tiktin,  La  place  des  pronoms  et  des  formes  verbales 
atones  en  roumain.  —  P.  597,  W.  Meyer,  Etudes  franco-italiennes,  I.  M.  M.  se 
propose  d'étudier  scientifiquement  à  tous  les  degrés  le  mélange  linguistique  qui 
s'est  produit  entre  le  français  et  le  vénitien  (puis  entre  le  vénitien  et  le  toscan) 
par  la  transplantation  de  la  poésie  française  (notamment  épique)  en  Italie.  II  com- 
mence par  le  cas  le  plus  simple,  celui  d'un  texte  français  copié  par  un  Italien, 
et  prend  d'abord  la  version  italianisée  d'Anseïs  de  Carthage,  dont  il  publie  quel- 
ques centaines  de  vers  avec  le  texte  français  en  regard.  Puis  il  étudie  les  altéra- 
tions phonétiques,  grammaticales  et  lexicologiques  que  ce  texte  a  subies. 
P.  641.  Table  du  volume. 

G.  P. 

III.  ~  MoDERN  Language  Notes.  A  monthly  publication  (for  eight  months 
in  the  year)  devoted  to  the  interests  of  the  Académie  Study  ofEnglish,  German, 
and  the  Romance  Languages,  published  by  A.  M.  Elliott,  James  W.  Bright, 
Julius  Goebel,  H-  A.  Todd  of  Johns  Hopkms  University,  Baltimore,  Md.  Vol. 
in-S",  1-8,  Jan.-Dec,  1886.  —  La  création  de  ce  premier  recueil  périodique 
américain  consacré  exclusivement  à  la  philologie  germanique  et  romane  et 
l'accueil  de  plus  en  plus  encourageant  qu'il  a  reçu  pendant  le  cours  de  sa 
première  année  suffisent  à  prouver  que  l'étude  des  langues  modernes  (spécia- 
lement celle  des  langues  teutoniques  et  des  langues  romanes)  commence  à 
être  appréciée  en  Amérique.  Les  directeurs  annonçaient  dès  le  début  (I,  col.  2) 
qu'ils  voulaient  donner  à  ce  recueil  «  as  scientific  a  character  as  may  be  pos- 
sible, considering  the  présent  status  of  modem  language  study  in  America  », 
sans  toutefois  exclure  la  discussion  des  questions  pratiques  et  pédagogiques, 
et  ils  ont  tenu  parole.  C'était  à  mon  avis  prendre  un  parti  très  sage  que  de 
ne  pas  se  placer  à  un  point  de  vue  trop  exclusif.  La  mission  du  recueil  est 
de  conquérir  l'esprit  du  grand  public  des  instituteurs  et  même  des  professeurs 
pour  l'étude  scientifique  ;  cela  ne  pouvait  se  faire  qu'en  intéressant  ce  grand 
public,  et  il  a  fallu  lui  faire  des  concessions.  La  forme  delà  publication  s'adapte 
bien  à  une  Lirge  circulation,  le  recueil  étant  publié  chaque  mois  de  l'année 
scolaire  et  à  un  prix  très  modéré  (un  dollar  par  an).  C'est  évidemment  le 
«  Literaturblatt  fur  germanische  und  romanische  Philologie  »  qui  lui  a  servi  de 
modèle,  quoiqu'il  ne  soit  pas  aussi  exclusivement  destiné  à  des  comptes-rendus 
critiques.  Voici  maintenant  les  articles  des  huit  premiers  numéros  qui  peuvent 
intéresser  les  lecteurs  de  la  Romania. 

1.  Janvier.  Col.  7-10,  Stengel,  Le  Théâtre  d' Alexandre  Hard-j  (Elliott:  repro- 
duction d'un  article  de  V American  Journal  of  Philology,  vol.  VI.  pp.  360-62). 
—  C.  14-15,0.  Paris,  La  poésie  du  moyen  âge  (Todd  :  grand  éloge  mérité).  — 
C.  20-21,  A.  Williams,  The  Syntax  of  the  Subjunctive  Mood  in  French  (Elliott  : 
très  bien  fait). 

2,  Février.  C.  31-35,  A.  Tilley,  The  Literature  of  the  French  Renaissance 
^Todd  :  bon  comme  essai  d'introduction).  —  C.  46-48,  H.  Schmidt,  Das  Pro- 


PÉRIODIQUES  6^^ 

nomcn  bn  Mol'ùrc  im  Vcrgkich  zii  dem    hculigm  u.  dcm   altfranz.  Sprachgebrauch 
(Bowen  :  travail  utile  et  bien  fait). 

3.  Mars.  C.  71-75,  Sievers,  Gnindzùge  dcr  Phonctik^  3.  Auflage  (Sheldon: 
fait  d'utiles  remarques  sur  le  passage  de  /  latin  à  d  roman).  —  C.  75-77,  E. 
Courtonne,  Langue  inttrnûùonale  néo-latine  (v.  Jagemann  :  sans  valeur). 

4.  Avril.  C.  106-8,  The  Paradiso  oj  Dante  edited  with  translation  [en  prose] 
et  notes  by  A.  J.  Butler  (Walter).  —  C.  1  12-4,  Clédat,  Grammaire  élémentaire 
de  ta  vieille  langue  française  (Portier  :  élogieux,  mais  faible).  — C.  124,  Li  Ro- 
mans de  Carité  et  le  Miserere  du  Rendus  de  Moiliens  p.  p.  van  Hamel  (notice 
sommaire). 

5.  Mai.  C.  125-29,  Lang,  Contributions  to  Spanish  Grammar.  M.  L.  prouve 
par  de  nombreu.x  e.xemples  tirés  surtout  des  anciens  auteurs  espagnols:  i)  que 
les  pronoms  démonstratifs  ello  et  es{s)o  sont  souvent  employés  dans  un  sens  dis- 
tributif  (v.  Diez,  Gram.  III,  69)  ;  2)  que  les  substantifs  christiano,  moro,  judio, 
pagano,  cosa  et  cosiella  remplacent  le  pronom  indéfini  surtout  dans  une  proposi- 
tion négative  (Diez,  III,  79-80);  3)  qu'une  trentaine  de  noms  en  dehors  de  ceux 
notés  par  Diez  (III,  399)  servent  comme  complément  de  la  négation.  —  C.  140- 
41,  Stùrzinger,  The  Oaths  oj  Strasburg.  Réfutation  de  la  correction  de  Bonamy 
proposée  de  nouveau  par  M.  Clédat  (R.  des  l.  rom.^  oct.  1885,  p.  309  ;  cf.  ci- 
dessus,  p.  471).  Quoique  la  même  correction  ait  été  faite  depuis  par  M.  Kars- 
ten  {Mod.  Lang.  Notes,  juin  1886,  col.  172-5)  et  par  M.  Settegast  {Zeitschrift 
fur  rom.  Philol.,  X,  169-70),  je  n'ai  pas  changé  d'opinion.  Il  me  semble  que  le 
contexte  et  la  version  allemande  ne  comportent  guère  la  correction.  C'est  sur- 
tout la  proposilion  comparative  si  cum  om  per  dreil  son  fradra  salvar  dift  qui 
me  paraît  la  rendre  invraisemblable.  On  n'a  qu'à  lire  le  passage  en  entier, 
tel  qu'il  a  été  corrigé  :  si  salvarai  eo  cist  meon  jradre  Karlo  et  in  aiudha  [fi]  er  in 
cadhuna  cosa  si  cum  om  per  dreit  son  fradra  salvar  dift,  et  on  s'apercevra  que  si 
cum  om  per  dreit  son  fradra  salvar  dift  ne  répond  qu'à  une  des  deux  propositions 
précédentes,  et  encore  est-ce  à  la  plus  éloignée.  Il  y  a  donc  désaccord  entre  la 
proposition  subordonnée,  qui  ne  suppose  qu'une  seule  proposition  principale, 
avec  le  verbe  salvar,  et  les  deux  propositions  principales.  Or  ce  désaccord  n'est 
dû  qu'à  la  correction,  car  la  leçon  du  ms.  n'a  qu'une  seule  proposition  princi- 
pale et  justement  celle  qui  a  pour  verbe  salvar,  la  seconde  étant  réduite  à  un 
simple  attribut  adverbial  de  salvar  sous  la  forme  de  et  in  aiudha  et  in  cadhuma 
cosa.  Tout  est  donc  en  parfaite  harmoniedans  la  leçon  du  ms  ,  et  la  correction, 
qui  vient  embrouiller  la  phrase,  est  à  rejeter.  Quant  au  texte  allemand,  que 
l'avais  invoqué  en  faveur  de  mon  opinion,  il  ne  confirme  certainement  pas  la 
correction,  quoi  qu'en  dise  M.  Karsten.  Je  conviens  que  ce  n'est  pas  un  fort 
argument  non  plus  pour  mon  opinion,  puisque  la  version  allemande  a  tout  sim- 
plement omis  et  in  aiudha  et  in  cadhuna  cosa.  Mais  il  me  semble  toutefois  que 
l'omission  d'un  simple  attribut  adverbial  peut  se  justifier  mieux  que  celle  d'une 
proposition  entière  qni  introduit  une  idée  nouvelle  '.  D'autres  difficultés  ont  été 


I.  [Je  partage  absolument,  pour  ma  part,  l'opinion  si  bien  appuyée  par  M.  Stùrzinger. 
G.  P.| 


6^4  PÉRIODIQUES 

signalées  par  les  auteurs  mêmes  de  !a  correction.  —  C.  145-50,  Siede,  Syn- 
taktische  Eigentûmlichkeiten  der  Pariser  Umgangssprachc  in  den  Scènes  populaires 
von  H.  Monnier  (Garner  :  travail  utile).  —  C.  156-57,  Vising,  Sur  la  versifi- 
cation anglo-normande  (Zdanowicz).  —  C.  161,  Gonçalves  Vianna  e  de  Vâs- 
concellos  Abreu,  Bases  da  orlographia  portuguesa  (notice  sommaire). 

6.  Juin.  C.  172-75,  Karsten,  Zu  den  Strassburger  Eiden.  M.  K.  se  prononce, 
quoiqu'en  hésitant  quelque  peu,  en  faveur  de  la  correction  de  Bonamy  dont  nous 
venons  de  parler.  —  C.  189-96,  Boehmer's  RomanischeStudien,  Hefl  XX  et  XXI 
(Stùrzinger  :  fait  qq.  additions  et  corrections  aux  différents  travaux  rétoromans 
d'ailleurs  très  consciencieux  et  importants,  que  contiennent  les  deux  numéros). 
—  C.  202-5^  La  Chanson  de  Roland  p.  p.  Clédat  (Colin  :  article  sévère). 

7.  Novembre.  C.  219  27.  Karsten,  Lateinisch-franzosischer  Vocalschwund. 
M.  K.  cherche  à  expliquer  le  traitement  différent  que  le  c  latin  devant  e,  i  a 
subi  dans  faire,  dire,  duire,  etc.  d'un  côté  et  dans  disme,  graisle,  aisne  de  l'autre 
comme  étant  dû  à  une  différente  accentuation  de  ces  mots  à  l'intérieur  de  la 
phrase.  Un  faccre  tt  un  decimum  fortement  accentués  auraient  gardé  tous  les 
deux  la  voyelle  de  la  pénultième  jusqu'après  l'assibilation  du  c  précédent, 
tandis  que  les  mêmes  mots  dans  une  position  plus  ou  moins  atone  auraient 
perdu  cette  même  voyelle  pénultième  avant  l'assibilation  du  c.  De  chacun  de 
ces  mots  il  y  aurait  donc  eu  des  doublets  syntactiques.  De  ces  formes  doubles 
on  n'en  aurait  ensuite  gardé  qu'une,  soit  la  forme  atone  comme  dans  faire, 
dire,  duire,  soit  la  forme  accentuée  comme  dans  disme,  graisle,  aisne.  C'est  une 
hypothèse  fort  ingénieuse,  mais  ce  n'est  qu'une  hypothèse.  L'article  a  le  même 
inconvénient  que  les  autres  qui  ont  mis  en  jeu  la  phonétique  syntactique, 
c'est  qu'il  suppose  trop  et  ne  prouve  pas  assez.  En  principe  il  n'y  a  rien  à  dire 
contre  la  phonétique  syntactique,  mais  qu'on  n'en  fasse  pas,  comme  comme  on 
a  fait  de  l'analogie,  la  panacée  pour  tous  les  cas  difficiles  à  expliquer.  Qu'on 
se  rappelle  que  toutes  les  lois  phonétiques  ne  nous  sont  pas  encore  connues  et 
que  l'existence  de  celles  qui  sont  aujourd'hui  admises  a  dû  être  prouvée.  Qu'on 
nous  prouve  donc  aussi  pour  chaque  cas  l'influence  prétendue  de  la  phonétique 
syntactique.  —  C.  233-40,  Todd,  Knapp's  Spanish  Etymologies.  M.  K.  dans  sa 
«  Spanish  Grammar  »  et  surtout  dans  le  vobabulaire  de  ses  «  Spanish  Rcadings  t 
s'est  souvent  écarté  sans  aucune  nécessité  des  etymologies  de  Diez.  M.  Todd 
rétablit  celles-ci  pour  plus  de  cent  mots.  Ce  n'était  guère  nécessaire;  un  éty- 
mologiste  qui  tire  hidalgo  de  italiens  quoiqu'il  connaisse  l'ancienne  forme  fijo 
dalgo  ne  peut  lutter  contre  Diez  et  ne  méritait  pas  l'honneur  d'une  réfutation 
aussi  détaillée.  —  C.  249,  E.  Pelissier,  French  Roots  and  their  Familles.  A  syn- 
thetic  vocabulary  based  upon  dérivation  (v.  Jagemann). 

8  Décembre.  C.  284-90,  Todd,  Knapp's  Span.  Etymologies.  Conclusion  de 
l'article  du  numéro  précédent.  —  C.  294-97,  Schuchardt,  Romanisches  u.  Kel- 
tisches  (Grandgent  :  publication  charmante). 

Chacun  de  ces  huit  numéros  se  termine  par  des  notices,  une  bibliographie  assez 
étendue  et  des  annonces;  il  n'y  a  que  le  dépouillement  des  périodiques  qui 
manque. 

J.  Stùrzinger. 


PÉRIODIQUES  6lS 

IV.—  Traksactioxs  of  THE  MoDERN  Lakguage  Associatiox  of  America 
1884-5.  Vol.  I.  Baltimore,  1886. —  La  Société  américaine  des  langues  modernes 
dont  la  formation  a  été  annoncée  ici  (XIV,  312)  vient  de  publier  le  premier  vo- 
lume de  ses  travaux.  Il  se  compose  de  dix-huit  mémoires  lus  aux  deux  réunions 
annuellesde  1884  et  1885.  , Voici  ceux  qui  ont  trait  à  la  philologie  romane. 
—  P.  64-83,  V.  Jagemann,  On  tht  dnitive  in  OldFicnch.  C'est  l'exposition  de 
l'emploi  du  génitif  dans  Villehardouin,  Les  faits  sont  donc  connus,  mais  l'auteur 
les  a  présentés  en  très  bon  ordre.— C.  96-1  i  1,  Fortier,  The  French  Languagcin 
Louisiane  and  the  Negro-French  Dialect.  Ce  n'est  que  la  seconde  partie  de  cette 
h.\\iàt^  Il  patois  créole  ('Ç).  loi-iii),  que  nous  aurons  à  signaler,  la  première 
étant  tout  historique.  Cette  esquisse  rapide  de  la  transformation  des  sons  et  des 
formes  de  la  langue  française  dans  la  bouche  des  nègres  ajoute  quelques  faits  de 
détail  à  ce  que  nous  savions  déjà  de  ce  parler  nègre  par  la  remarquable  étude 
comparative  des  patois  créoles  de  M.  Cot\\\o  {Doktim  da  Sociedadede  geographia 
de  Lisboa  1880,  p.  129-96).  Ainsi  pour  la  transformation  des  sons  on  peut 
noter:  i»  la  nasalisation  de  la  voyelle  finale,  si  elle  est  précédée  immédiate- 
ment d'une  consonne  nasale:  conni/î  (connais  103,  connu  104),  c/o/ïni/i  (donné  104), 
moin  (moi  103),  zamain  (jamais  110),  main  (mais  no),  laimin  (aimer  109), 
gaignin  (gagner  109);  2»  la  labialisation  de  la  voyelle  par  la  consonne  précé- 
dente: moman  (maman  103),  popa  (papa  103);  3"  la  transformation  d'un  0 
fermé  en  e  fermé  et  d'un  0  ouvert  en  e  ouvert:  zié  '  (yeux  103),  vit  (vieux  103), 
Djé  (Dieux  104),  pc  (peu  1 10),  dé  (deuz  106)  —  bonair  (bonheur  103),  lomair 
(honneur  103),  in  (un  106).  Dans  la  partie  morphologique  la  forme  de  l'article 
pluriel  ye  qui  suit  toujours  le  nom  est  à  remarquer,  ainsi  que  l'emploi  de  qui  pour 
quel.  Le  futur  est  indiqué  par  le  verbe  aller  (malè  coupé  =z  moi  aller  couper 
«  \e  couperai)  »,  le  conditionnel  par  sré  \mo  srè  coupé  zr  moi  serais  couper),  la 
voix  passive  par  la  troisième  pers.  plur.  de  l'actif  (ye  laimin  moin  =z  eux  aimer 
moi).  L'adverbe  a  la  forme  de  l'adjectif  précédé  de  bcn  ou  tre  (/;'  mouriben  brave 
ou  tre  brave).  Quant  aux  remarques  générales  sur  ce  patois  créole,  l'auteur  les 
aurait  sans  doute  modifiées  s'il  avait  connu  le  travail  de  M.  Coelho.—  P.  1 3  3-48, 
Lang,  The  Collective  Singular  in  Spanish.  Cet  article  prouve  une  lecture  atten- 
tive et  intelligente  des  anciens  textes,  l'auteur  ayant  rassemblé  plus  de  1 50  pas- 
sages dans  lesquels  des  noms  génériques  comme  homme.,  femme,  chrétien,  cheval, 
arme.,  grain,  pierre,  etc.  sont  employés  au  singulier  avec  la  signification  du 
pluriel,  puisqu'ils  sont  dans  la  plupart  des  cas  accompagnés  d'adjectifs  multi- 
plicatifs comme  tanto.,  quanto,  mucho.  Si  M.  L.  a  bien  fait  de  signaler  cet 
emploi,  il  a  tort  d'adresser  une  sévère  réprimande  à  Diez  pour  ne  pas 
l'avoir  remarqué;  le  fait  n'est  pas  assez  important  pour  qu'une  grammaire 
tracée  à  grandes  lignes  ne  le  puisse  négliger;  y  a-t-il  en  effet  quelque  chose  de 
plus  simple  que  l'emploi  d'un  nom  générique  dans  un  sens  collectif.?  — 
P.  204-15,  Stùrzinger,  Remarks  on  the  Conjugation   of  the  Wallonian  Dialect. 


I.  Zié  représente  plutôt  des  yeux,  car  lez  est  certainement  dû  à  \'s  de  l'article  comme 
ailleurs  et  non  pas  au  y  comme  dit  M.  F.  (p.  10}  et  105). 


S'^ô  PÉRIODIQUES 

Ces  observations  ne  s'appliquent  proprement  qu'au  patois  moderne  de  Mal- 
médy;  le  titre  plus  général  de  dialecte  wallon  peut  toutefois  se  justifier  par  le 
fait  que  les  points  sur  lesquels  portent  ces  observations  sont  en  général  les 
mêmes  pour  tout  le  pays  wallon  malgré  les  variations  des  formes  dans  les  diffé- 
rentes provinces.  Il  s'agit  de  la  réduction  des  formes  que  l'analogie  a  fait  subir 
à  la  conjugaison.  Cette  réduction  a  été  portée  si  loin  qu'il  n'y  a  plus  qu'une 
seule  manière  de  conjuguer  pour  tous  les  verbes,  les  deux  auxiliaires  exceptés; 
car  toutes  les  formes  de  la  flexion  forte  ont  été  abandonnées  et  remplacées  par 
des  formes  faibles,  à  l'exception  de  quelques  infinitifs  et  participes  passés;  les 
trois  conjugaisons  ont  été  réduites  à  une,  essentiellement  à  la  première,  et  les 
six  terminaisons  personnelles  à  deux,  l'une  employée  au  singulier  et  l'autre  au 
pluriel.  Cette  simplification  a  surtout  envahi  les  formes  des  temps  passés. 

J.  Sturzinger. 

V.  —  Revue  Critioue,  1886.  —  Art.  18,  Meyer,  Gïrart  de  Roussillon 
(A.  Thomas).  —  35,  Fœrster,  ■//  Sermon  saint  Btrnart  (L.  Clédat).  —  63, 
Berger,  la  Bible  française  au  moyen  âge  (A.  Thomas).  —  66^  Schuchardt,  Sur 
les  lois  phonétiques  (V.  Henry  ;  voyez  p.  294  la  réponse  de  M.  Schuchardt).  — 
80,  1 5 1 ,  Godefroy,  Dictionnaire  de  l'ancienne  langue  française,  htlTÇS  l,  J  (A. 
Jacques).  —  109,  Voizard,  Etude  sur  la  langue  de  Mortaigne  (A.  Delboulle  : 
livre  «  à  recommencer  »).  —  126,  Zotenberg,  Notice  sur  le  livre  de  Barlaam  et 
Joasaph  {G.  P.).  —  139,  Estienne,  Dialogues  du  langage  français  italianizé, 
p.  p.  Ristelhuber  (T.  de  L.).  —  1 57,  Constans,  Supplément  à  la  Chrestomathie 
de  l'ancien  français  (L.  Clédat).  —  192,  Bibliothèque  populaire  de  la  Société  cata- 
lane d'excursions  (A.  Morel-Fatio).  —  225,  Espagnolle.  L'Origine  du  français 
(A.  Delboulle:  livre  absurde).  —  228,  Appel,  Les  manuscrits  berlinois  de  Pé- 
trarque (P.  N.).  —  249,  Tougard,  l'Hellénisme  dans  les  écrivains  du  moyen  âge 
(A.  Delboulle). 


CHRONIQUE 


A  partir  de  1887,  la  Romania  sera  imprimée  dans  un  autre  caractère,  un  peu 
moins  serré  que  celui  dont  elle  s'est  servi  jusqu'à  présent.  On  se  mettra  en 
mesure  d'avoir  tous  les  signes  typographiques  qui  seront  nécessaires  à  l'impres- 
sion des  articles  de  linguistique. 

—  MM.  Gilliéron  et  Rousselot  vont  publier  une  Rmie  des  patois  gallo-ro- 
mans ;  nous  donnerons  dans  notre  prochain  cahier  le  prospectus  de  cette  très 
intéressante  entreprise. 

—  M.  J.  Leite  de  Vasconcellos  a  entrepris  la  publication  d'une  Rcvista 
Lusilana,  qui  sera  e.xclusivement  consacrée  à  la  linguistique  et  à  l'ethnographie 
portugaise,  en  prenant  ces  mots  dans  leur  sens  le  plus  compréhensif.  Parmi 
les  noms  des  collaborateurs  annoncés,  nous  trouvons  ceux  de  MM.  Gonçalves 
Vianiia,  A.  Coelho,  G.  de  Vasconcellos  Abreu,  Th.  Braga,  Z.  Consiglieri 
Pedroso,  et  celui  de  Madame  Michaelis  de  Vasconcellos.  C'est  dire  que  la 
Revista  présente  les  meilleures  garanties  non  seulement  de  solidité,  mais  d'ori- 
ginalité scientifique.  Nous  lui  souhaitons  le  succès  que  mérite  une  aussi  excellente 
conception.  Le  premier  numéro  doit  paraître  en  janvier  1887.  On  s'abonne 
chez  Lopes  et  G»,  rua  do  Almada,  119  a  123,  Porto.  Le  prix,  pour  les  pays 
européens  en  dehors  du  Portugal, est  de  12  francs  par  an. 

—  Nous  avons  le  regret  d'apprendre  la  mort  de  M.  Hugo  de  Feilitzen, 
jeune  romaniste  suédois,  doccnt  à  l'université  d'Upsala.  M.  de  Feilitzen  s'était 
déjà  fait  avantageusement  connaître  par  divers  travaux,  notamment  par  son 
édition  des  Vers  del  juïse  (voy.  Romania^  XIV,  146)  et  l'importante  publication, 
entreprise  en  commun  avec  M.  Cari  Wahlund,  des  Enfances  Vivien.  M.  de  Fei- 
litzen est  mort  à  Stockholm,  le  19  janvier,  après  une  longue  et  cruelle  mala- 
die; il  n'avait  que  trente-deux  ans. 

—  M.  Alfred  Risop,  de  Berlin,  prépare  une  édition  critique  du  Florimont 
d'Aimon  de  Varennes,  pour  laquelle  il  a  déjà  réuni  presque  tous  les  matériaux. 

—  L'Académie  royale  de  Berlin  a  désigné  M.  Johannes  Schmidt  pour  rem- 
placer M.  Waitz  dans  le  comité  directeur  de  la  fondation  Diez. 

—  Il  vient  de  se  fonder  en  Allemagne  une  Association  de  «  néophilologues  », 
c'est-à-dire  essentiellement  de  romanistes  et  d'anglicistes,  tant  professeurs  d'uni- 
versité que  professeurs  de  gymnase.  La  nouvelle  société,  qui  compte  déjà  près 
de  trois  cents  membres,  a  tenu  sa  première  réunion,  son  premier  «  Neuphilo- 


638  CHRONIQUE 

logentag  »  à  Hanovre,  le  4  octobre  et  jours  suivants.  MM.  les  professeurs 
Kœrting,  de  Munster,  Koschwitz,  de  Greifswald,  Stengel,  de  Marbourg,  ainsi 
que  MM.  Zupitza,  de  Berlin,  Trautmann,  de  Bonn,  Wûlcker,  de  Leipzig,  et 
Kœlbing,  de  Breslau,  y  assistaient.  M.  Van  Hamei,  de  Groningue,  y  représen- 
tait les  études  romanes  des  Pays-Bas.  Les  délibérations  ont  eu  un  caractère 
pratique  plutôt  que  scientifique  ;  elles  tendaient  surtout  à  donner  aux  profes- 
seurs des  gymnases  allemands  des  directions  utiles  pour  la  réforme  de  l'enseigne- 
ment du  français  et  de  l'anglais  dans  ces  établissements.  M.  Kœrting  y  a  exposé 
un  plan  très  étendu  et  très  sérieux  d'études  universitaires  de  philologie  romane 
et  anglaise.  M.  Trautmann,  le  phonétiste  bien  connu,  a  entretenu  l'assemblée  du 
«  Zaepfchen-r  »  et  du  «  Zungen-r  ».  D'après  lui  IV  grasseyée n'est  qu'une  mau- 
vaise habitude  de  prononciation  paresseuse  que  les  Français  ont  prise  au  milieu 
du  xviie  siècle  et  que  les  Allemands  ont  adoptée  au  xviii'=  siècle  par  pure  imita- 
tion du  genre  français.  Il  a  terminé  sa  communication  parun  ardent  plaidoyer  en 
faveur  de  IV  linguale.  Le  prochain  «  Neuphilologentag  »  se  tiendra  à  Francfort, 
vers  la  Pentecôte. 

—  Livres  adressés  à  la  Romania  : 

Die  Geschichte  des  consonanlischen  Auslauts  im  Franzôsischtn.  Von  Paul  Kauf- 
MANN.  Lahr,  Kaufmann,  1886,8°,  71  p.  (dissert,  de  Fribourg  en  Brisgau). 
—  Ce  travail  d'un  élève  de  M.  Neumann  n'est  ici  imprimé  qu'au  quart; 
nous  en  parlerons  quand  il  sera  complet. 

Devinettes  de  la  Haute-Bretagne,  par  Paul  Sébillot.  Paris,  Maisonneuve,  1886, 
8',  26  p.  (extrait  des  Mémoires  de  la  Société  d'émulation  des  Côtes-du-Nord). — 
Joli  recueil. 

Infinitiven  i  det  fornsp.mska  Lagsprâket...  af  Gustaf  LiLjEauiST.  Lund, 
Berling,  1886,  4',  110  p.  —  Etude  syntactique  sur  l'emploi  de  l'infinitif 
dans  les  documents  juridiques  espagnols  du  xiiie  siècle. 

Gilles  de  Rais,  maréchal  de  France,  dit  Barbe-Bleue  (1404-1440),  par  l'abbé 
Eugène  Bossard,  d'après  les  documents  inédits  réunis  par  M.  René  de 
Maulde.  Paris,  Champion,  1886,  8',  \'ix-426-cxlviii  pages.  —  Nous 
mentionnons  ici  ce  livre  tout  historique,  parce  qu'il  contient  un  longchapitre, 
fort  peu  concluant  d'ailleurs,  sur  le  rapport  du  célèbre  Gilles  de  Rais  avec 
le  héros  du  conte  de  Barbe-Bleue.  Le  seigneur  de  Tiffauges  et  autres 
châteaux  a  pu  laisser  un  souvenir  vague  dans  la  mémoire  des  populations 
que  ses  crimes  étranges  avaient  terrifiées,  mais  rien  ne  prouve  que  le  sur- 
nom de  Barbe-Bleue  lui  ait  été  donné  avant  notre  siècle,  et  sous  l'influence 
du  conte  de  Perrault,  qui  ne  provient  certainement  pas  de  son  histoire. 

Zur  Lautlehre  des  Franzôsischtn,  von  Wilhelm  Duschixsky.  Sechshaus,  1886, 
Seibstverlag  des  Verfassers,  8°,  32  p.  (extrait  du  douzième  Jahres-Bericht 
de  la  Realschule  de  Sechshaus  près  Vienne).—  Après  des  remarques  géné- 
rales peu  neuves,  vient  une  nouvelle  tentative  pour  découvrir  en  français  une 
accentuation  différente  de  l'accentuation  étymologique. 

Das  altfranzôsische  Rolandslied.  Text  von  Paris,  Cambridge,  Lyon  und  den 
sog.   Lothringischen    Fragmenten,  mit  R.  Heiligbrodt's  Concordanztabelle 


CHRONIQUE  639 

zum  altfranzosischen  Rolandslied  herausgegeben  von  Wendelin  Foersthr. 
Heilbronn,  Henninger,  1886,  12*  xxii-577  p.  —  M.  Fœrster  a  rapide- 
ment et  parfaitement  exécuté  le  plan  qu'il  s'était  proposé  de  mettre  à  la 
disposition  dessavants  tous  les  renouvellements  du  RolLuit.  Une  disposition 
très  commode,  etqu'il  n'était  pas  facile  detrouver,  permet  d'embrasser  d'un 
coup  d'œil  les  quatre  textes,  tous  incomplets,  de  la  seconde  famille  de  ces 
renouvellements.  M.  F.  songe  encore  à  donner,  dans  un  troisième  volume, 
«  les  parties  correspondantes  au  Roland  français  des  rédactions  suédoise  et 
danoise,  de  la  Spagna  en  vers  et  en  prose  et  du  Galicn  »,  et  même  «  à 
réunir  dans  un  seul  volume,  avec  une  disposition  typographique  spéciale, 
toutes  les  rédactions  françaises.  »  On  aura  ainsi  sous  la  main  tous  les  maté- 
riaux nécessaires  à  la  reconstruction,  qui  ne  sera  jamais  qu'approximative, 
du  Rolbnt  du  xi<=  siècle.  Notons  une  distraction  du  savant  éditeur.  «  L'es- 
pérance de  voir  reparaître  quelque  part  et  de  pouvoir  utiliser  le  manuscrit 
vendu  à  Londres  le  6  février  1858  {Catalogue  Savile^  5  5)>ne  s'est  mal- 
heureusement pas  réalisée.  ■>  Li  Romania  (XU,  5)  a  signalé  ce  manuscrit  à 
Cheltenham,  en  a  fait  connaître  le  contenu  et  en  a  publié  des  fragments.  La 
table  de  concordance  due  à  M.  Heiligbrodt  rendra  les  plus  grands  services  ; 
M.  F.  demande  que  tous  ceux  qui  en  feront  usage  lui  communiquent  les 
erreurs,  inévitables  dans  un  pareil  travail,  qu'ils  pourraient  rencontrer. 
Enfin  l'infatigable  philologue  annonce  une  édition  critique  du  texte  primitif; 
on  ne  niera  pas  qu'il  ne  se  soit  sérieusement  préparé  à  l'entreprendre. 

Phonologie  des  patois  du  canton  de  Vaud,  par  Alfred  Odin.  Halle,  Niemeyer, 
1886,  8»,  vni-i6C  p.  —  Nous  reviendrons  sur  cet  ouvrage  fort  intéressant: 
mais  nous  voulons  signaler  tout  de  suite  l'explication  proposée  par  l'auteur 
d'un  phénomène  singulier,  que  présentent,  non  seulement  les  parlers  vaudois, 
mais  tous  ceux  du  domaine  appelé  franco-provençal  par  M.  Ascoli.  On 
sait  que  dans  ce  domaine  a  tonique  persiste,  mais  qu'il  se  change  en  ié  sous 
l'influence  d'une  palatale  précédente;  canta{r)  mais  mangic{r)  ;  ce  qui  a  été 
jusqu'à  présent  inexplicable,  c'est  que  le  participe  passé  ne  se  comporte  pas, 
dans  le  second  cas,  comme  l'infinitif  :  à  côté  de  mangiér  =  manducare 
on  a  manjd  =  manducatum.  On  avait  bien  remarqué,  mais  sans  en  tirer 
de  conséquences,  que  dans  le  participe  passé  le  masculine!  le  féminin  étaient 
identiques.  M.  Odin  pense,  pour  le  patois  qu'il  étudie,  que  le  masculin 
a  pris  la  forme  du  féminin,  et  que  pour  le  féminin  la  forme  mj:ijd  est  con- 
forme à  la  phonétique.  Une  explication  pareille^  quoique  peut-être  un  peu 
différente,  conviendrait  au  même  fait  dans  les  parlers  dauphinois,  et  il  ne 
nous  paraît  pas  impossible  qu'elle  donne  la  clef  du  problème.  Voilà  encore 
un  cas,  si  le  fait  est  prouvé,  où  un  caprice  apparent  du  langage  est  ramené 
à  la  règle  etoij  la  phonétique  et  l'analogie  triomphent  en  commun. 

Dic  altfranzosischen  Liederhandschnften,  ihrVerhaeltniss,  ihreEntstehung  und  ihre 
Bestimmung,  eine  litterarhistorische  Untersuchung  von  Dr.  EduardScHw.w. 
Berlin,  Weidmann,  1886,  8",  v-275  P^g^s.  —  Nous  nous  bornons  pour 
le  moment  à  annoncer  cette  intéressante  publication,  sur  laquelle  nous 
reviendrons. 


640  CHRONIQUE 

Das  Imperfckt  mdPlusqmmptrfeclum  des  Futurs  im  Altfranzôsischen.  Von  Dr.  Otto 
BuRGATZCKY.  Greifswald,  Abel,  1886,  8",  196  p.  —  Bonne  étude  de  syn- 
taxe historique,  un  peu  plus  longue  qu'il  n'était  nécessaire.  L'auteur  dé- 
montre, ce  qui  d'ailleurs  aujourd'hui  est  admis  généralement,  que  le  condi- 
tionnel (ou  futur  imparfait)  est  un  temps  de  l'indicatif  et  non  pas  un  mode  ; 
et  partant  de  là  il  en  suit  tous  les  emplois  dans  les  textes  français  du  moyen 
âge.  11  est  à  remarquer  que  le  français  moderne  fait  de  ce  temps  un  usage 
presque  tout  à  fait  semblable  à  celui  très  varié  qu'en  faisait  l'ancienne 
langue. 

L'emploi  des  temps  et  des  modes  dans  les  phrases  hypothétiques  commencées  par  se 
en  ancien  français  depuis  les  commencements  de  la  langue  littéraire  jusqu'à 
la  fin  du  XIII"  siècle.  Par  J.-H.-R.  Lenander,  docteur  es  lettres.  Lund, 
Berling,  1886,  8',  iv-150  p.  —  Ce  travail,  écrit  dans  un  français  quelque 
peu  embarrassé,  est  utile  par  le  soin  qu'a  pris  l'auteur  de  donner  in  extenso 
tous  les  exemples  qu'il  cite.  La  matière  est  bien  disposée,  mais  les  divisions 
sont  trop  nombreuses  et  parfois  peu  claires.  Deux  points  sont  à  contester. 
L'auteur  pense  que  le  plus  ancien  français  employait  encore  le  futur  après  se 
dans  les  phrases  hypothétiques;  mais,  quoi  qu'il  en  dise,  les  exem- 
ples empruntés  au  Ps.  0.,  étant  calqués  sur  le  latin,  ne  prouvent 
rien;  quant  à  l'exemple  de  Wace  (p.  25),  il  repose  sur  une  erreur: 
se  point  il  aidereiz  dépend  de  dites  mei,  c'est-à-dire  appartient  à  une 
tout  autre  construction .  —  Les  exemples  cités  de  l'emploi  du  subjonctif 
présent  après  se  appartiennent  tous  à  des  textes  anglo-normands,  et  cet 
usage  ne  peut  par  conséquent  être  attribué  au  français  (est-il  en  rap- 
port avec  la  construction  anglaise  du  subjonctif  après  (/ ?)  ;  la  question  est 
de  savoir  si  dans  le  Rollant  (dans  le  vers  1 307  de  Gui  de  Bourgogne,  cité 
p.  94,  lisez  que  pour  qui)  cette  construction  appartient  à  l'auteur  ou  au 
copiste.  Cela  étant  établi,  la  question  traitée  en  appendice  par  M.  L.  est 
par  là  même  résolue  :  dans  les  locutions  si  ou  se  m'ait  Deus,  si  ou  se  Deus 
m'ait,  si  est  le  latin  sic  ;  5«  a  été  substitué  à  si  par  une  confusion  explicable, 
et  cette  confusion  a  entraîné  la  modification  de  l'ordre  des  mots.  (Depuis  que 
j'ai  écrit  cette  note,  j'ai  relevé  quelques  exemples  vraiment  français  de  se 
avec  le  subjonctif,  ce  qui  d'ailleurs  n'empêche  pas  l'explication  donnée  ci- 
dessus  pour  5£  m'a/f  D;eu5  d'être  bonne  (cf.  Rom.  XII,  628.)  Il  y  aurait 
quelques  autres  remarques  à  faire  sur  ce  travail,  d'ailleurs  méritoire  et 
consciencieux. 

Beitrage  ziir  Geichichte  der  romanischen  Philologie  in  Deutschland.  Festschrift  fur 
den  ersten  Neuphilologentag  Deutschlands  zu  Hannover,  von  Edmund  Sten- 
GEL.  Marburg,  Elwest,  1886,  8^,44  p.  —Cet  opuscule  contient  d'abord 
quelques  renseignements  sur  les  premières  gramm  aires  françaises  à  l'usage  des 
Allemands  (Pillot,  Garnier,  Du  Vivier,  Cauchie),  puis  une  courte  notice  sur 
Valentin  Schmidt,  une  note  sur  la  correspondance  de  Fr.Wolf,  etdes  extraits 
de  la  correspondance  de  Lemcke  (entre  autres  trois  lettres  de  Diez). 

Die  Sprache  des  Roman  du  Mont-Saint-Michel  von  Guillaume  de  Saint-Paicr . . . 
von  Karl  Huber.  Braunschweig,  1886,  8°,  110  p.  (dissert,  de  Strasbourg). 


CHRONIÇ^UE  641 

—  Ce  travail  est  fait  avec  soin  ;  mais  il  ne   saurait    être    définitif,   l'auteur 
n'ayant  pu  utiliser  le  second  manuscrit  du  poème. 

Dlc  Lautverh'xhnissc  dcr  quiitre  livres  des  Rois. . .  Von  Paul  Schlœsser  (disser- 
tation de  Bonn).  Bonn,  Georgi,  1886,  8",  96  p.  —  Le  résultat  essentiel  de 
cette  étude,  qui  parait  bien  faite,  et  à  laquelle  est  jointe  une  utile  collation 
de  l'édition  de  Le  Roux  de  Lincy,  est  de  mettre  hors  de  doute  l'origine 
anglo-normande  de  la  célèbre  traduction  des  Quatre  livres  des  Rois. 

Les  Trouvères  et  leurs  exhortations  aux  croisades.  Par  J.-H.-H.  Trebi;.  Leipzig, 
Hinrichs,  4",  23  p.  (progr.  du  Realgymnasium  de  Leipzig).  — Sans 
valeur. 

Note  sur  le  patois  deCouvin,  par  R.  Wilmotte.  Gand,  1886,  8',  12  p. —  Utile 
contribution  à  l'étude,  qui  commence  à  faire  tant  de  progrès,  des  patois 
wallons. 

Das  Rolandslied  des  pfaffen  Konrad,  seine  poetische  Technik  im  Verhaeltniss  zur 
franzœsischen  Chanson  de  Roland. . .  Von  Wolfgang  Golther.  Mùnchen, 
Straub,  8",  48  p.  (dissert,  de  Munich).  —  Cette  étude  ne  forme  qu'une 
partie  d'un  mémoire  honoré  d'un  prix  par  la  Faculté  de  philosophie  de 
Munich,  et  nous  la  retrouverons  sans  doute  sous  une  forme  plus  complète. 
L'auteur  y  étudie  avec  sympathie,  mais  impartialement,  les  traits  par  les- 
quels Conrad  se  distingue  de  son  modèle  français.  Ce  qui  nous  intéresse  le 
plus  est  l'hypothèse  d'une  source  française  perdue  pour  l'introduction  du 
Rolandslid,  qui,  comme  on  sait,  ne  se  trouve  dans  aucun  te.xte  français  ; 
c'est  une  question  à  reprendre  et  à  examiner  de  près. 

Die  Berliner  Handschriften  der  Rime  Pctrarcas,  beschrieben  von  Cari  Appel. 
Berlin,  Reimer,  8»,  108  p.  —  Il  s'agit  de  sept  manuscrits  des  Rime  acquis 
par  le  roi  de  Prusse  dans  la  coliection  Hamilton. 

John  Gowefs  Minnesang  und  EhezuchlbiichUin.  LXXII  anglo-normanische  Ba!- 
laden...  neu  herausgegeben  von  Edmund  Stexgel.  Marburg,  Friedrich, 
1886,  S",  28  p.  —  Cette  plaquette,  imprimée  par  M.  Stengel  à  l'occa- 
sion du  mariage  de  M.  W.  V^ietor,  contient  72  ballades  françaises  de  Gower, 
tort  dignes  d'intérêt,  et  qui  étaient  comme  inédites,  ayant  été  imprimées  en 
1818,  pour  le  Roxburghe-Club,  à  un  nombre  extrêmement  restreint  d'exem- 
plaires. Inutile  de  dire  que  l'édition  de  M.  Stengel  est  d'ailleurs  meilleure  ; 
elle  est  accompagnée  de  quelques  remarques. 

Dictionnaire  étymologique  et  explicatif  de  la  langue  française  et  spécialement  du 
langage  populaire  par  Charles  Toubin.  Paris,  Leroux,  1886,  8",  774  p.  — 
Il  suffira,  pour  faire  apprécier  cet  ouvrage  aux  lecteurs  de  la  Romama,  de 
citer  l'étymologie  de  ménagerie.,  «  du  gr.  âjjia,  ensemble,  et  Èvay^iooj,  réunir, 
assembler,  1  et  celle  de  troubadour,  «  de  la  racine  /r  marquant  passage  d'un 
lieu  dans  un  autre  et  sansc.  pat.,  aller,  gr.  [îxtc'ov  y.  Le  livre  est  dédié  à 
M.  Emile  Burnouf.  La  Revue  des  Deux-Mondes  a  fait  l'éloge  du  dictionnaire 
de  M.  Toubin.  disant  que  tout  n'y  était  peut-être  pas  bien  assuré,  mais 
qu'il  aurait  du  moins  l'avantage  «  d'inquiéter  certains  philologues  sur  la 
solidité  de  leurs  positions  ».  Voyez  d'ailleurs  Rom.,  XIV,  633. 
Romania,  XV.  41 


642  CHRONIQUE 

Répertoire  des  ouvrages  pédagogiijues  du  xvi'=  siècle  (bibliothèques  de  Paris  et  des 
départements).  Paris,  Imprimerie  Nationale,  1S86,  8",  xii-735  p.  —  Ce 
catalogue,  publié  par  les  soins  du  ministère  de  l'Instruction  publique,  n'est 
pas  complet,  naturellement,  et  pourrait  être  mieux  fait,  mais  il  est  déjà 
précieux  et  contient  des  renseignements  peu  connus.  Nous  signalerons, 
comme  pouvant  intéresser  les  études  romanes,  les  grammaires,  colloques  et 
dictionnaires. 

Essai  sur  un  piitois  vosgien  (Uriménil).  Dictionnaire  phonétique  et  étymologique  par 
M.  Haillakt.  Epinal,  chez  l'auteur,  1886,  8",  608  p.  —  Cette  œuvre 
consciencieuse  a  le  grand  mérite  d'être  essentiellement  fondée  sur  le  parler 
d'une  seule  commune  ;  dans  le  détail  de  l'exécution,  il  y  a  bien  des  petites 
choses  à  reprendre,  mais  le  répertoire  n'en  est  pas  moins  utile  et  digne  de 
confiance. 

Die  Fabcl  vonder  Krdhc^  die  sich  mit  fremden  Federn  schmùckt,  betrachtetin  ihren 
verschiedenen  Gestaltungen  in  der  abendL-endischen  Litteratur. ..  von  Max 
FucHS.  Berlin,  Schade,  8",  46  p.  (dissert,  de  Berlin.)  —  Recherche  faite 
avec  soin  et  méthode,  mais  qui  laisse  à  désirer  sur  quelques  points. 

Les  Œuvres  de  Hugues  de  Saint-Victor.  Essai  critique  par  B.  Hauré.\u,  mem- 
bre de  l'Institut.  Nouvelle  édition.  Paris,  Hachette,  1886,  8'^,  ix-238  p. 
—  Travail  plein  d'érudition  et  de  critique,  oij  on  trouve  beaucoup  de  faits 
nouveaux  pour  l'histoire  littéraire  du  moyen  âge  latin. 

Glosario  elimolâgico  de  las  palabras  espanolas  (castellanas,  catalanas,  gal- 
legas,  mallorquinas,  portuguesas,  valencianas  y  vascongadas)  de  ori'gen 
oriental  (arabe,  hebreo,  malayo,  persa  y  turco).  Por  D.  Leopoldo  Eguilaz 
y  YA\'GUAS,cateddratico  de  literatura  gênerai  y  espanola  en  la  Universidad 
de  Granada.  Granada,  imprenta  de  la  Lealtad,  1886,  pet.  in-4°,  xxiv- 
591p. — Ouvrage  considérable,  sur  lequel  nous  espérons  bien  revenir  en 
détail,  mais  que  nous  n'avons  pas  voulu  tarder  à  signaler  à  nos  lecteurs. 

Petrarca  in  der  dcutschcn  Dichtung.  Von  Dr.  W.  Soderhjelm.  Helsingfors, 
1886,  in-40,  44  p. 

L'Opéra  Salernitana  Circa  Instans  «  ed  il  tisto  primitive  del  «  Grant  Herbier  en 
françoys  »  seconde  due  codici  del  secolo  xv  conservati  nella  regia  Biblio- 
teca  Estense,  per  Giulio  Camus,  professore  nella  reale  scuola  militare. 
Modena,  1886,  in-40,  155p.  — Très  intéressante  contribution  à  la  con- 
naissance de  la  nomenclature  botanique  du  moyen  âge,  particulièrement  en 
ancien  français. 

Les  Enfances  Vivien,  chanson  de  geste,  publiée  pour  la  première  fois  d'après 
les  manuscrits  de  Paris,  de  Boulogne,  de  Londres  et  de  Milan  par  Cari 
Wahluxd  et  Hugo  von  Feilitzen,  professeurs  agrégés  à  l'université 
d'Upsala.  Paris,  Vieweg,  18S6,  in-4'',  89  p.  —  Nous  reparlerons  de  cette 
très  importante  publication  quand  elle  sera  terminée  ;  nous  nous  bornons  à 
dire  aujourd'hui  qu'elle  marquera  une  date  dans  l'histoire  de  la  mise  au  jour 
de  nos  chansons  de  geste.  Les  deux  savants  éditeurs  (dont  l'un  vient  d'être 
enlevé  à  la  science,  voy.  ci-dessus,  p.  637)  ont  reproduit  intégralement  et 


CHRONIQIIE  643 

diplomatiquemeut  les  textes  des  manuscrits  qui  contiennent  le  poème,  et  les 
ont  disposés  d'une  manière  ingénieuse  qui  permet  aux  lecteurs  de  se  rendre 
pour  chaque  vers  un  compte  exact  de  leurs  rapports. 

Miracles  de  Nostre-Dame  collccteJ  by  Jeun  Mielot,  secretary  to  Philip  the  Good, 
duke  ofBurgundy.  Reproduced  in  fac-simile  from  Douce  Manuscript  374 
for  John  Ma'.coim  of  Poitailoch,  wilh  text,  introduction  and  annotated 
analysis  by  George  F.  Warxer,  M.  A.  Westminster,  Nichols,  1885,  gr. 
in-4'',  XLViii,  82  p.  —  Magnifique  publication,  tirée  à  peu  d'exemplaires, 
importante  surtout  au  point  de  vue  de  la  reproduction  des  miniatures,  mais 
intéressante  aussi  par  le  commentaire  dont  l'éditeur  a  accompagné  chacun 
des  miracles  racontés  par  Jean  Mielot. 

Précis  de  grammaire  historique  de  la  langue  française,  avec  une  introduction  sur 
les  origines  et  le  développement  de  cette  langue  par  Ferdinand  Brunot, 
ancien  élève  de  l'Ecole  Normale,  supérieure,  maître  de  conférences  à  la 
Faculté  des  Lettres  de  Lyon.  Paris,  Masson,  1887,  in-12,  vni-692  p.  — 
Ouvrage  important  et  digne  d'éloges,  qui  mérite  un  examen  détaillé. 

Franzosische  Grammatilc  fiir  den  Schulgebrauch,  von  Hermann  Breymann.  Zweiter 
Thcil  :  Satziehre.  Mùnchen,  Oldenbourg,  1886,  in-S",  x-108  p. 

Ueber  die  Betheiurungs  und  Beschnorungsformeln  in  den  Miracles  de  Nostre  Dame 
par  personnages...  son  K\z\\2iT A  BfscH,  Darmstadt,  Brill,  1886  (diss.de 
Marbourg).  —  Ce  mémoire  sera  inséré  dans  les  Ausgabcn  und  Abhandlungen 
publiées  par  M.  Stengel. 

Catalogue  des  manuscrits  néerlandais  de  la  Bibliothèque  Nationale.^  par  Gédéon  Huet. 
Paris,  1886,  in-S",  174  p. 

L'Image  du  Monde.,  poème  inédit  du  milieu  du  xiii'=  siècle,  étudié  dans  ses 
diverses  rédactions  françaises  d'après  les  manuscrits  des  bibliothèques  de 
Paris  et  de  Stockholm  par  Cari  Fant.  Upsala,  1886,  in-8'',  78  p.  —  Ce 
travail  est  intelligent  et  contient  des  observations  intéressantes;  mais  on  sait 
que  P.  Meyer  a  récemment  découvert  sur  Vlmage  du  monde  de  nouvelles 
données,  qui  permettront  sans  doute  d'arriver  à  des  résultats  plus  précis  que 
ceux  qu'on  a  pu  atteindre  jusqu'à  présent.  Il  les  communiquera  dans  une  pu- 
blication prochaine. 

Verslehre  und  Stil  der  românischen  Volkslieder...  von  Cari  Fr.  W.  Rudow. 
Halle,  1886,  in-8',  45  p. 

Ueber  die  Ausdrucksweise  des  altfranzôsischcn  Kunstromans...  von  Herrrann 
GuNTHER.  Halle,  1886,  in-80,  27  p.  —  Travail  intelligent. 

Dis  erste  Person  Pluralis  des  Verbums  im  Allfranzôsischen...  von  Albert 
Lorentz.  Hidelberg,  Homing,  1886  (diss.  de  docteur),  in-S",  45  p.  —  Ce 
sujet  intéressant  est  traité  ici  avec  une  critique  judicieuse. 

Ueber  die  Sprache  des  altfransosischcn  Gregors  B...  von  Karl  Kuchen'backer. 
Halle,  1886,  in-8*,  29  p.  —  Nous  aurons  prochainement  l'occasion  de 
revenir  sur  les  rapports  des  diverses  versions  du  poème  français  sur  saint 
Grégoire. 


644  CHRONIQUE 

Sur  les  éléments  turcs  dans  la  langue  roumaine...  parle  professeur  B.  P.  Hasdeu. 
Bucarest,  1886,  in-8',  21  p.  —  Cette  note,  communiquée  en  octobre  1886 
au  congrès  des  Orientalistes  à  Vienne,  a  surtout  pour  but  d'établir  que  les 
éléments  turcs  du  roumain  ne  sont  pas  tous  proprement  turcs,  que  plusieurs 
remontent  au  coumain  ou  à  l'ancien  bulgare  ;  il  y  a  là  une  indication  qu'il 
sera  intéressant  de  suivre  et  de  vérifier. 

Zur  Lanvalsage.  Eine  Quellenuntersuchung,  von  D""  Anton  Kolh.  Berlin, 
Heltler,  1886,  in-8°,  67  p,  —  Ce  travail,  présenté  sous  une  forme  toute 
schématique,  intéresse  presque  exclusivement  les  versions  anglaises  du  récit. 
Cependant  l'auteur  établit,  par  la  comparaison  d'un  assez  grand  nombre  de 
vers,  qu'il  y  a  un  lien  étroit  entre  le  Lai  de  Lanval  de  Marie  de  France  et 
le  Lai  de  Gracient .^  qui  n'est  sûrement  pas  d'elle.  Reste  à  savoir  si  les  deux 
poèmes  ont  une  source  commune,  ou  si  l'un  a  influencé  l'autre. 

Recherches  sur  les  rapports  des  chansons  de  gestes  et  de  l'épopée  chevaleresque 
italienne,  avec  textes  inédits  empruntés  au  ms.  H  247  de  Montpellier,  par 
Ferdinand  Castets.  Paris,  Maisonneuve,  1887,  iii-S",  viii-260  p.  —  Ex- 
trait de  la  Revue  des  langues  romanes. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages. 

G.  Paris.  Etudes  sur  les  romans  de  la  Table  Ponde.  Guinglain  ou  le  Bel  Inconnu.  i 

A.  Thomas.  Les  Proverbes  dt  Guyiem  de  Cervera,  poème  catalan  du  xii"  siècle. ..  25 

E.  Rolland.  L'Escriveto,  chanson  populaire  du  midi  de  la  France m 

P.  Meyer.  Notice  d'un  manuscrit  messin  (Montpellier  164  et  Libri  96) 161 

A.  Morel-Fatio.  Mélanges  de  littérature  catalane.  —  III.  Le  Livre  de  Courtoisie.  192 
P.  Meyer.  Les  manuscrits  français  de  Cambridge.  —  II.  Bibliothèque  de  l'univer- 
sité   236 

E.  Picot.  Le  Monologue  dramatique  dans  l'ancien  théâtre  français  (premier   ar- 
ticle)  " 358 

J.  BÉDiER.  La  mort  de  Tristan  et  d'Iseut,  d'après  le  ms.  fr.  103  de  la  Bibliothèque 

Nationale  comparé  au  poème  allemand  d'Eilhart  d'Oberg 481 

VV.  LuTOSLAwsKi.  Les  Folies  de  Tristan 5 1  ' 

L.  SuDRE.  Les  allusions  à  la  légende  de  Tristan  dans  la  littérature  du  moyen  âge.  $34 

La  Folie  Tristan  du  ms.  de  Berne,  p.  p.  H.  Morf jjS 

W.  Sœderhjelm.  Sur  l'identité  du  Thomas  auteur  de  Tristan  et  d^i  Thomas  au- 
teur de  Horn 575 

G.  Paris.  Note  sur  les  romans  relatifs  à  Tristan , 597 

MÉLANGES. 

Le  décasyllabe  roman  (L.  Havet) 125 

Alcuni  appunti  sui  «  Proverbi  volgari  del  1200  »,  éd.  Gloria  (Ad.  Mussafia). . ....  126 

Un  nouveau  manuscrit  du  roman  de  Jules  César,  par  Jacot  de  Forest  (P.  M.). . .  129 
Quelques   particularités    grammaticales    du    dialecte  wallon   au   xiii°   siècle    (E. 

Pasquet) 150 

L'adjectif  possessif  féminin  en  lyonnais  (J.  Cornu) 134 

La  Poétique  de  Baudet  Herenc  (G.  P.) 13$ 

Sul  métro  di  due  componimenti  poetici  di  Filippo  de  Beaumanoir,  éd.  Suchier  (Ad. 

Mussafia) 423 

Le  possessif  tonique  du  singulier  en  lyonnais  (E.   Philipon) 430 

L'adjectif  pronom  possessif  en  lyonnais  (Puitspelu) 434 

Ant  en  langue  d'oc  (Puitspelu) 435 

Acala  en  auvergnat  (Puitspelu) 436 

Le  Chastie-Musart  d'après  le  ms.  harléien  4333  (P.  M.) 603 

Le  conte  de  la  reine  qui  tua  son  sénéchal  (R.  Kœhler) 610 


646  TABLE    DES   MATIÈRES 

Note  additionnelle  sur  Jean  de  Grailli,  comte  de  Foix  (G.  P.) 611 

Un  article  du  Dictionnaire  de  M.  Godefroy  (G.  P.) 61  j 


COMPTES  RENDUS. 

Caix,  voy.  Miscellanea. 
Canéllo,  voy.  Miscellanea. 

CAnETE  (M.),  Teatro  espanoi  del  siglo  xvi  (A.  Morel-Fatio) 462 

Clédat,  voy.  Roland. 

Heeger  (g.),  Die  Trojanersage  der  Britten  (G.  P.) 449 

Henry  (V.),  Contribution  à  l'étude  des  origines  du  décasyllabe  roman  (G.  P.). . . .  137 

Kœritz,  Das  .f  vor  Consonant  im  Franzœsischen  (G.    P.) 614 

KoscHwiTZ  (E.),    Commentar  zu    den    ae'.testen    franzœsischen   Denkmslern,    I, 

(G.   P.) ■ 443 

Miscellanea  difilologia  e  Unguistica  in  memoria  di  N.  Caix  e  V.  X.  Canello   (G. 

P.,  P.  M.,  A.  M.-F.) 455 

Nyrop  (K.).,  Adjektivernes  Kœnsbœjning  i  de  romanske  Sprog  (G-  P.) 437 

Roland  {La  Chanson  de),  nouvelle  édition  classique,  par  L.  Clédat  (G.  P.) 138 

SÛPFLE  (Th.),  Geschichte  des  deutschen  Kultureinflusses  auf  Frankreich,  I 614 

ToBLER  (A.).,  Vermischte  Beitraege  zur  franzœsischen  Grammatik  (G.  P.) 439 

VisiNG  (G.).,  Sur  la  versification  anglo-normande  (P.  M.) 144 

WiLMOTTE,  L'enseignement  de  la   philologie  romane  en  France  et   en  Allemagne 

(O.P.) 623 


LIVRES  ANNONCES  SOMMAIREMENT. 

APPEL,  die  Berliner  Handsrhriften  des  Petrarca 642 

Bladé,  Contes  populaires  de  la  Gascogne 477 

BossARD,  Gilles  de  Rais 658 

Breul,  Sir  Cowther 1 60 

Breymann,  Franzœsische  Grammatik 643 

Broberg,  Det  store  Testament  af  Villon 159 

Brunot,  Précis  de  grammaire  historique 643 

Burgatzcky,  Das  Imp.  und  Plusqupf.  des  Fut.  im  Altfranzœsischen 640 

BuscH,  Die  Bethheuerungsformeln  in  den  Miracles  de  N.  D 643 

Camus,  L'Opéra  Salernitana  Circa  Instans 642 

[Casini],  Le  Rime  provenzali  di  Rambertino  Buvalelli 158 

Casin!,  I  Trovatori  nella  marca  Trevigiana 158 

Castets,  Recherches  sur  l'épopée  chevaleresque : 644 

Delisle,  Discours  prononcé  à  la  Société  d'histoire  de  France 157 

DuscHiNSKY,  Zur  Lautlehre  des  Franzœsischen 638 

EcKLEBEN,  Die  ae'teste  Schilderung  vom  Fegefeuer  des  h.  Patricius 159 

Eguilaz.  Glosario  etimolôgico  de  las  palabras  castellanas  de  origen  oriental 642 

Elliot,  Contributions  to  a  history  of  the  french  language  of  Canada 1(8 

Fant,  Vlmage  du  Monde 643 

F1NAM0RE,  Tradizioni  populari  abbruzzesi 477 

Fœrstkr,  Das  Rolandslied.  Texte  von  Paris,  Cambridge,  Lyon 638 

FucHs,  Die  Fabel  von  der  Kraehe 642 

GoLTHER,  Das  Rolandslied  des  Pfaffen  Conrad 641 

GoNÇALES  Vianna  y  Vasconcellos  Abreu,  Orthographia  portuguesa 477 


TABLE    DES    MATIÈRES  647 

Gramitta  Xerri,  Racconti  populari  siciliani 480 

Crœuer,  Grundriss  der  romanischen  Philologie,  I 479 

GuNTHER,  Die  Ausdruckswçise  des  franz.  Kimstromans 64} 

Haillant,  Essai  sur  un  patois  vosgien,  m 642 

Hasdeu,  Les  éléments  turcs  du  roumain 644 

Hauréau,  Les  œuvres  de  Hugues  de  Saint-Victor 642 

HuBER,  Die  Sprache  des  Romans  du  Mont  Saint-Michel 640 

H UET,  Catalogue  des  manuscrits  néerlandais  de  la  B.  N 645 

lARNiK  et  Barsean,  Doine  si  strigature  din  Ardeal . , 478 

JuuERT,  La  Chanson  de  Roland  traduite  en  vers 478 

Kaufmann,  Die  Geschichte  des  consonantischen  Auslauts  im  Franzœsischen. .  . . . .  6}8 

Kœrting,  Encyklopaedie  und  Méthodologie  der  rom.  Philologie,  III 477 

KoLH,  Zur  Lanval-Sagc 644 

KoscHwiTZ,  Les  plus  anciens  monuments  de  la  langue  française,  4'  éd 478 

Kuchenbacker,  Die  Sprache  des  Grcgors  B  . . 64  5 

Lenander,  Des  temps  et  des  modes  dans  les  phrases  hypoth.  de  l'anc.  français. . .  640 

LiLJFQi;isT,  Infinitiven  i  det  fornspanska  Lagspraket 638 

LoRENTZ,  Die  erste  Person  Fluralis  im  Altfranzœsisclien 643 

Morel-Fatio,  Libro  de  los  hechos  de  la  Morea i  j9 

Mussafia,  Zur  Katharinen- Légende 478 

Neuhaus,  Adgar's  Marienlegenden 160 

Odin,  Phonologie  des  patois  du  canton  de  Vaud 639 

Parodi,  Osservazioni  a  proposito  del  lessico  genovese  di  Flechia 477 

Pennier,  Les  noms  topographiques  devant  la  philologie 480 

Peters,  Der  Roman  von  Mahomet  (voy.  Zialecki) . .  159 

Pieri,  Note  sul  dialetto  Aretino 479 

PoLiTis,  Le  Chant  du  frère  mort 478 

Répertoire  des  ouvrages  pédagogiques  du  xvi'=  siècle 642 

RiTTER,  Recueil  de  morceaux  choisis  en  vieux  français 160 

RuDow,  Verslehre  und  Stil  der  rumsnischen  Volkslieder 64} 

Rustebuef's  Gcdichte,  herausgeg.  von  Kressner 477 

Salomone-Marino,  La  Trasuta  di  Garibaldi 480 

ScHLŒSSER,  Die  Lautverhseltnisse  der  Livres  des  Rois 64 1 

ScHRŒDER,  Glaube  und  Aberglaube  in  den  altfr.  Dichtungen 480 

ScHUCHARDT,  Romanisches  und  Keltisches 478 

Schwan,  Die  altfranzœsischen  Liederhandschriften. 639 

Sebillot,  Devinettes  de  la  Haute-Bretagne 6}8 

Seifert,  Glossar  zu  den  Gedichten  des  Bonvesin  da  Ripa 479 

Sœderhjelm,  Petrarca  in  der  deutschen  Dichtung 642 

Stein,  Der  Einfluss  Crestien  de  Troies  auf  die  altengl.  Literatur 477 

Stengel,  Beitraege  zur  geschichte  der  rom.  Philologie 640 

Stencel,  Gower's  Minnesang  und  Ehezuchtbùchlein 64 1 

TouBiN,  Dictionnaire  étymologique  de  la  langue  française 64 1 

Trebe,  Les  Trouvères  et  leurs  exhortations  aux  Croisades 64 1 

Wahlund  et  Feilitzen,  Les  Enfances  Vivien,  1 642 

Warner,  Miracles  de  Nostre-Dame  collected  by  J,  Mielot 643 

WiLMOTTE,  Note  sur  le  patois  de  Couvin 641 

Zialecki,  Der  Roman  von  Mahomet 478 

ZoTENBERG,  Notice  suf  Ic  livrc  de  Barlaam  et  Joasaph 159 


648  TABLE    DES    MATIÈRES 


PÉRIODIQUES. 

Annales  de  la  Faculté  des  Lettres  de  Lyon,  III,  I l  j  j 

Bulletin  de  la  Société  des  Anciens  Textes,  1 886,  I 474 

Bulletin  de  la  Société  Dunoise,  1 886,  juillet 474 

Mélanges  publiés  par  l'Ecole  de  Rome,  I,  II,  V 152 

Modem  Language  Notes,  i88j 632 

Revue  Critique,  avril-décembre  1 88  j i  S  4 

—  janvier-décembre  1886 6j6 

Revue  des  langues  romanes,  juillet-août  1 88  < 149 

—  —  septembre  188  j 469 

—  —  octobre-décembre  1885 470 

—  —  janvier-avril  1886 62  j 

Rivista  délia  letteratura  Italiana,  1 884 471 

—  -  1885 47} 

Romanische  Forschungen,  1,3 150 

Romanische  Studien,  VI,   1-3 149 

Transactions  of  the  Modem  Language  Association  of  America 634 

Zeitschrift  fur  romanische  Philologie,  188$ 627 

CHRONIQUE. 

Janvier 1 5  j 

Avril-juillet 476 

Octobre 637 


Le  gérant:  F.  VIEWEG, 


Chartres.  —  Imprimerie  DURAND. 


I 


BIN:  MN  2  9  1968 


PC  Romania 

2 

R6 

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